\"Marxisme anglo-saxon : figures contemporaines\", by Jonathan Martineau (ed)

July 27, 2017 | Autor: Fabien Escalona | Categoría: Marxism (Political Science)
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travaux de J. C. Scott, D. L. Swartz avance que « le degré d’acceptation et de respect des hiérarchies existantes peut être moins profondément intériorisé en de nombreuses occasions que ce qu’implique l’idée de violence symbolique » (p. 42) et relève le manque de prise en compte de la réflexivité des « acteurs ordinaires » et de leur capacité à se mobiliser. L’absence d’une théorie du changement ou sa réduction à une disjonction entre les habitus et le champ, qu’il rapproche de la théorie de la privation relative, sont pointées comme une difficulté à articuler l’inertie attribuée aux structures incorporées et objectivées et les phases de transformation rapide (p. 238). Quelque peu nord-américano-centrée, l’assertion selon laquelle la pertinence de la sociologie de Bourdieu, tant pour l’analyse du politique que pour sa critique normative, passe inaperçue en dehors de la France est à nuancer : dans des États à peine sortis de la dictature (en Espagne, en Amérique latine, en Europe de l’Est) en particulier, celle-ci n’avait guère échappé à ses lecteurs. Surtout destiné à un public académique anglophone, l’ouvrage privilégie sans surprise l’œuvre au détriment de ses modalités de réalisation ; en outre, il n’apprendra pas grand-chose aux connaisseurs francophones de Bourdieu, ce qui ne retire en rien son utilité pour ceux qui n’ont pas encore pris la mesure des dimensions politiques de ses textes, de sa manière de pratiquer le métier de sociologue et de s’engager dans la cité. Nul doute, comme D. L. Swartz le concède en note de bas de page, que la discussion des cours au Collège de France consacrés à l’État, a priori les plus idoines à susciter l’intérêt des politistes et des sociologues du politique, publiés au moment où son manuscrit était déposé chez l’éditeur, aurait apporté de l’eau à son moulin.

Hervé Rayner – Université de Lausanne, CRAPUL

Martineau (Jonathan), dir. – Marxisme anglo-saxon : figures contemporaines. De Perry Anderson à David McNally – Montréal, Lux Éditeur, 2013 (Humanités). 432 p. près une période de déclin de la pensée critique durant la décennie 1980, qui a correspondu à l’essor et au triomphe du néolibéralisme, les crises de ce dernier et le

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dynamisme retrouvé des mouvements sociaux ont plutôt favorisé son renouvellement. Ces dernières années, plusieurs tentatives de synthèse ont même témoigné de la double nécessité d’une vulgarisation et d’un état des lieux d’une production foisonnante, mais aussi très diverse dans ses filiations théoriques et dans ses buts politiques. L’entreprise collective dirigée par Jonathan Martineau, consacrée aux figures contemporaines du marxisme anglo-saxon, relève de cette catégorie d’ouvrages. Elle paraît pratiquement au même moment qu’un autre livre intitulé Radicalité1, dont elle se rapproche par le procédé (une galerie de portraits de penseurs critiques) et par une claire volonté pédagogique. Elle s’en distingue cependant par les contours du corpus d’auteurs sélectionnés. Tous ceux qui ont été choisis relèvent en effet d’un courant de la théorie sociale marxiste. Dénommé « anglo-saxon » en raison de sa filiation avec la New Left britannique des années 1950-1960, il est présenté comme une des « vagues d’autocritiques » (p. 6) générées par les tendances à la rigidification du marxisme originel. Les neuf figures rassemblées dans l’ouvrage (Perry Anderson, Edward P. Thompson, David Harvey, Moishe Postone, Derek Sayer, Simon Clarke, Robert Brenner, Ellen M. Wood, David McNally) ont en effet en commun le rejet d’une vision économiciste ou téléologique du devenir des sociétés humaines. Ils partagent la vision du capitalisme comme un fait social total à historiciser, au moyen de l’analyse concrète de la trajectoire des formations sociales dans lesquelles il s’est incarné. Pour autant, ces penseurs proviennent aussi de disciplines différentes et leurs sensibilités politiques n’ont pas toujours évolué de la même manière. C’est ce qui fait en partie l’intérêt de l’ouvrage, qui deviendrait redondant sans le pluralisme évident d’un courant qui ne présente donc pas la cohérence d’une « école ». Plusieurs exemples en témoignent. Au sein de la New Left des origines, P. Anderson proposait une lecture encore mécaniste de l’évolution des sociétés, quand E. P. Thompson (le célèbre auteur de La formation de la classe ouvrière) déconstruisait plus franchement la dichotomie base/superstructure et accordait davantage d’importance au libre arbitre des agents sociaux. Plus récemment, E. M. Wood et D. Harvey ont débattu de leurs divergences quant à leurs définitions respectives de

1. Cédric Biagini, Guillaume Carnino, Patrick Marcolini (dir.), Radicalité. 20 penseurs vraiment critiques, Montreuil, Éditions L'Échappée, 2013. DE SCIENCE POLITIQUE ❘ VOL. 64 No 6 ❘ 2014 ❘ REVUE FRANCAISE ¸

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l’impérialisme et de la post-modernité, une notion d’ailleurs abordée par d’autres auteurs du corpus, mais là encore en ordre dispersé. Quant à M. Postone, il pousse plus loin que les autres l’analyse du capital comme domination abstraite, au point d’en livrer une lecture totalisante jugée excessive par certains auteurs, tel D. McNally qui lui reproche de négliger la contradiction systémique portée par la lutte des classes, sous prétexte qu’elle se déroulerait dans un cadre surdéterminé par la logique de la valeur. D’une certaine façon, les désaccords internes à ce corpus d’auteurs marxistes renvoient aux deux axes utilisés par Razmig Keucheyan pour cartographier la pensée critique contemporaine, à savoir d’un côté l’interprétation de la nature du « système global » dans lequel les sociétés sont enserrées, et de l’autre l’identité des potentiels « sujets de l’émancipation »1. Ces points de débats s’inscrivent cependant dans une compréhension commune du capitalisme comme un ordre social et un système de pouvoir institué, irréductible à la seule sphère de la production. La bifurcation historique qu’il a représentée est résumée ainsi dans le chapitre consacré à D. Sayer : « Libéré de la dépendance personnelle qui l’attachait à un seigneur féodal, l’individu évolue dans un système de relations sociales où son indépendance personnelle repose sur une dépendance médiatisée par des choses » (p. 185). Pour les politistes, cette interprétation est intéressante au regard des conclusions qui en sont tirées sur la nature de l’État. Si ce dernier est volontiers qualifié de « capitaliste », ce n’est pas au sens caricatural où il serait tout entier aux mains de la bourgeoisie, mais dans celui où il inaugure une séparation « formelle mais pas substantielle » entre les appareils de domination politique et d’exploitation économique. D’où la thèse de E. M. Wood selon laquelle « l’extension de la citoyenneté dans la période moderne s’accompagne nécessairement d’une restriction de sa portée » (p. 282), d’autant plus appelée à perdurer que la mondialisation représenterait l’universalisation des rapports sociaux à l’origine de cette citoyenneté tronquée. Précédée d’une introduction courte mais éclairante, la galerie de portraits de l’ouvrage aurait peut-être gagnée à être aussi suivie d’une conclusion. Celle-ci aurait permis de revenir plus

systématiquement sur les similarités et différences entre les auteurs présentés, et d’interroger le rapport du marxisme anglo-saxon aux autres courants de la pensée critique. Ce regret est néanmoins compensé par les nombreux mérites de l’ouvrage. J. Martineau et ses collègues donnent ainsi accès à des travaux étrangers qui n’ont pas toujours fait l’objet d’une traduction ou d’une réception importante en France. De plus, la qualité pédagogique des chapitres est indéniable, tandis que l’empathie visible des auteurs envers ces figures marxistes ne les a pas empêchés de conserver une certaine distance critique. Enfin, la réflexion du lecteur ne pourra qu’être stimulée au contact de pensées préoccupées par des « big issues », parfois négligés par les sciences sociales contemporaines.

Fabien Escalona – Sciences Po Grenoble, PACTE

Rose (Richard) – Learning About Politics in Time and Space. A Memoir. – Colchester, ECPR Press, 2014. 210 p. Illustrations. Bibliogr. CV. Index. earning About Politics in Time and Space se présente dès son sous-titre comme les mémoires de son auteur, le politiste Richard Rose, né en 1933 à Saint-Louis, Missouri, et affilié à l’Université de Strathclyde depuis 1966. Par opposition explicite à une autobiographie, l’auteur revendique l’objectif d’évoquer aussi bien sa propre trajectoire que les événements historiques dont il a été témoin. Les trois parties du livre reflètent cet objectif : plutôt que de s’enchaîner de manière chronologique, elles reviennent sur des thématiques différentes et suivent leurs temporalités propres. En ce sens, elles peuvent intéresser des lectorats variés.

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La première partie, « Socialization of a social scientist », est particulièrement intéressante pour des historiens de la science politique. En revenant sur le parcours professionnel de Richard Rose, elle donne à voir de manière concrète un ensemble de processus affectant la discipline au cours de la seconde moitié du 20e siècle. Les premiers chapitres, focalisés sur la formation de l’auteur, sont d’abord révélateurs de la porosité d’une profession en structuration, constituée d’« amateurs » venant de tous horizons. À l’image de nombre de

1. Razmig Keucheyan, Hémisphère gauche. Une cartographie des nouvelles pensées critiques, Paris, La Découverte, 2010. Cf. aussi l'article éclairant de Dani Filc, Uri Ram, « Marxism after Postmodernism : Rethinking the Emancipatory Political Subject », Current Sociology, 62 (3), 2014, p. 295-313. DE SCIENCE POLITIQUE ❘ VOL. 64 No 6 ❘ 2014 ❘ REVUE FRANCAISE ¸

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