La production orientaliste en traduction arabe

June 24, 2017 | Autor: Richard Jacquemond | Categoría: Translation Studies, Histoire de la traduction
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Descripción

15 La production orientaliste en traduction arabe Un retour à l’original ? Richard Jacquemond

quiconque fréquente avec un peu d’assiduité les librairies et les salons du livre des grandes capitales arabes aura remarqué que, dans l’ensemble de la production éditoriale traduite en arabe, de nombreux titres portent plus ou moins directement sur le monde arabe (histoire ancienne ou moderne, problèmes politiques et sociaux contemporains, affaires internationales, etc.) et nombre d’auteurs traduits sont des auteurs d’origine arabe qui écrivent dans d’autres langues, notamment le français et l’anglais (mohamed arkoun, Tahar Ben Jelloun, amin maalouf, edward Said, etc.). en outre, la forte présence de ces traductions d’un genre particulier est un indice d’un certain succès public auquel accèdent plus rarement les traductions « ordinaires » ; succès que semble confirmer la fréquence relative des rééditions de ce type d’ouvrages traduits (ainsi que les doubles voire triples traductions, phénomène fréquent dans l’édition arabe). ces observations empiriques sont corroborées par mon expérience d’animateur du programme français d’aide à la traduction à l’ambassade de France en Égypte dans les années 1988-1995. Le premier projet éditorial que nous avions soutenu alors était une collection d’égyptologie en traduction arabe, qui fut aussi celle qui rencontra le succès public le plus net (avec la réimpression rapide de plusieurs titres). dans le catalogue d’une centaine de titres que nous avions édités en 1995, les ouvrages d’égyptologie, d’histoire et de sciences sociales appliquées à l’Égypte et au monde arabe en représentaient un tiers environ. Pourtant, ce type de traduction particulier est rarement évoqué dans les discussions sur la traduction arabe contemporaine. Les rapports du Pnud sur le développement humain arabe, et en particulier celui de 2003, intitulé « Vers une société de la connaissance », ont popularisé l’idée que la traduction est un vecteur essentiel du

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développement des sociétés arabes, et que la faiblesse du mouvement de traduction vers l’arabe, tant qualitative que quantitative, était un des plus clairs indices de la crise de la culture arabe contemporaine. mais ce qui est visé, dans ce type de discours, c’est la traduction des savoirs et des connaissances étrangers, dans une perspective « développementaliste » (« rattraper le retard » vis-à-vis du monde développé), ou celle des grandes œuvres de la culture mondiale, dans une perspective humaniste. on envisage très rarement la troisième dimension de cette activité : la traduction des savoirs et des œuvres relatifs à la culture arabe elle-même écrits dans des langues étrangères, ou par des auteurs arabes écrivant dans ces langues. ces traductions d’un type particulier sont d’autant moins visibles que généralement, que ce soit dans les librairies, les catalogues d’éditeurs ou les répertoires bibliographiques, les livres sont classés par matière : littérature, histoire, politique, sciences sociales, etc. Par exemple, le catalogue des mille titres publiés au caire, de 1995 à 2006, dans le cadre du « Projet national de traduction » – un des principaux programmes de promotion de la traduction qui ont fleuri dans le monde arabe depuis le tournant du millénaire – est précédé de deux tableaux qui donnent la répartition de ces mille titres par langue d’origine d’une part, et par matière d’autre part (selon le classement décimal dewey), ainsi que d’une préface du directeur du projet, Gabir ‘usfûr, où celui-ci énumère les priorités qui ont présidé au projet – et où la traduction de la production orientaliste n’est pas davantage mentionnée. or un recensement de tous les ouvrages qui, dans ce catalogue, portent directement sur l’Égypte ou le monde arabe aboutit à une liste de 200 titres. À quoi il faut ajouter une cinquantaine d’ouvrages d’auteurs égyptiens et arabes, dont la majorité traite entièrement ou partiellement de sujets s’y rapportant : autrement dit, un quart de ces mille titres relève de cette forme particulière de traduction, de la réappropriation de savoirs et de représentations sur soi écrits dans des langues étrangères. ainsi, la traduction de l’orientalisme, dans ce sens très large de production éditoriale relative au monde arabe et écrite dans d’autres langues que l’arabe (et plus précisément dans les langues européennes dominantes), apparaît paradoxalement à la fois comme un point fort et comme un point aveugle du mouvement de traduction arabe contemporain. Selon la représentation commune, la traduction sert à faire entrer dans une culture donnée ce qui vient de l’étranger et qui est écrit dans des langues étrangères, et donc, a priori, des contenus étrangers. d’ailleurs, à la limite, la traduction en arabe de textes écrits dans d’autres langues et ayant pour objet la culture, l’histoire, ou le présent des sociétés arabes, n’est pas à proprement parler de la traduction, mais plutôt une forme de retour à l’original, une réappropriation qui peut prendre des formes variables complexes, comme on en verra quelques exemples. en tout cas c’est une forme particulière de traduction. nous tenterons ici de donner une description analytique, très générale, de ces traductions-réappropriations et de proposer quelques réflexions sur les causes de leur forte présence et les fonctions qu’elles remplissent dans le marché éditorial et au-delà dans le champ culturel et intellectuel arabe contemporain.

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mais auparavant, précisons notre objet : on entendra ici par production orientaliste l’ensemble des écrits prenant pour objet principal les sociétés arabes, dans leur passé ou leur présent, et rédigés dans une langue européenne, quelle que soit par ailleurs l’origine ethnique de leur auteur. Sont inclus aussi bien les ouvrages de type académique que les essais journalistiques, récits de voyage, ou la littérature de fiction. Sont inclus les écrits en français, anglais, allemand, italien, russe, etc., mais pas ceux en turc ou en persan par exemple. cette définition est donc plus large que celle de l’orientalisme au sens de champ académique ou de mouvement littéraire. en privilégiant la langue d’écriture sur l’origine ethnique de l’auteur, elle souligne la puissance de la domination linguistique exercée sur l’arabe par les langues européennes, principalement l’anglais et le français, langues par excellence de la domination coloniale et postcoloniale. cette définition est donc proche de celle du Dictionnaire des orientalistes de langue française1, mais restreinte à l’aire arabe, quant au sujet, et étendue aux autres grandes langues européennes. avec peut-être une restriction, ou une nuance. ce qui définit la production orientaliste dans ce sens large, c’est sa double appartenance au monde arabe par le sujet traité et/ou l’identité de l’auteur, et à l’espace euro-américain (pour ne pas dire « occidental ») par la langue d’écriture et donc l’espace de la réception première du texte. À cet égard, il faudrait ajouter un critère supplémentaire, celui du lieu de publication, et exclure de cette définition les textes en langues européennes publiés dans le monde arabe, ou, plus généralement, les auteurs arabes qui, tout en n’utilisant pas l’arabe comme langue d’expression, ont mené leur carrière intellectuelle ou artistique dans leur pays d’origine. en ce sens, autant on peut comprendre la présence, dans le Dictionnaire des orientalistes, d’un Taha Hussein, « doyen des lettres arabes » mais aussi auteur de travaux importants en français, autant le terme d’orientaliste peut paraître artificiellement plaqué sur un Tahar djaout, écrivain algérien d’expression française dont toute la trajectoire se déroule dans l’algérie postcoloniale et dont la plupart des œuvres furent initialement publiées à alger. cette remarque souligne l’impossibilité de tracer une frontière étanche entre production « autochtone » et production « orientaliste ». Pour rester en algérie : en 2007, dans le cadre de « alger capitale de la culture arabe », le ministère de la culture a financé la traduction en arabe d’une centaine de livres. Presque tous traduits du français, et tous, sans exception, d’auteurs algériens. difficile de dire que toutes ces traductions relèvent d’une « production orientaliste », même au sens large qu’on lui donne ici. on est plutôt devant un pays où la production éditoriale s’est développée dans deux espaces linguistiques, français et arabe, plus ou moins étanches, à l’image d’un champ intellectuel et culturel où l’opposition entre « francisants » et « arabisants » (comme on dit en algérie) était très marquée, avec les conséquences dramatiques que l’on sait. on peut voir dans ce programme public de traduction de 2007 une tentative de réduire cette fracture linguistique, dans une 1. François Pouillon (éd.), Dictionnaire des orientalistes de langue française, Paris, iiSmmKarthala, 2008.

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logique favorable au français d’ailleurs, car il ne semble pas que les autorités algériennes aient soutenu de manière équivalente la traduction en français de la production nationale arabophone : comme si l’on pensait que les « arabisants » doivent pouvoir accéder aux lumières de la production nationale francophone sans que l’inverse ne soit nécessaire…

Une vue d’ensemble Pour quitter ces frontières indécises et revenir au cœur du sujet : la traduction des savoirs et des représentations relatifs au monde arabe produits dans des langues étrangères, et donc, ajoutons ce critère, publiés principalement dans les centres euro-américains de l’espace intellectuel et littéraire international, et essayons de la sérier en fonction des causes. L’abondance de ces traductions s’explique d’abord par l’écart entre les connaissances produites par l’étranger/en langues étrangères et celles produites en arabe. Selon les sujets et les disciplines, cet écart est tantôt qualitatif, tantôt quantitatif, ou les deux. un exemple frappant, celui de l’égyptologie. L’essentiel de la production éditoriale sur l’Égypte ancienne disponible en arabe a longtemps consisté et consiste encore largement en traductions de l’anglais et du français. il y avait peu d’ouvrages écrits en arabe sur l’Égypte ancienne parce qu’il y avait peu d’égyptologues égyptiens. Pour diverses raisons analysées notamment par donald Reid2, cette discipline est restée plus longtemps que d’autres marquée par l’héritage colonial, et quand elle a commencé à s’en dégager, c’est-à-dire quand les égyptologues égyptiens ont commencé à exister dans la discipline, c’était pour découvrir que pour s’y faire reconnaître, ils devaient écrire en français, en anglais ou en allemand. il ne semble pas en outre qu’ils portent un intérêt particulier à s’autotraduire ou à faire traduire leurs écrits en arabe : d’après ce que l’on peut voir dans les librairies cairotes, aujourd’hui encore, la bibliographie en arabe de l’histoire de l’Égypte ancienne est dominée par les ouvrages traduits d’égyptologues anglo-saxons, français et allemands essentiellement. L’égyptologie (et, mutatis mutandis, l’histoire des diverses régions du monde arabe avant l’islam) n’est que l’illustration extrême de ce qui se passe d’une manière générale dans le domaine des études arabes. La traduction d’ouvrages sur l’islam, l’histoire ancienne ou récente du monde arabe ou de telle ou telle de ses parties, ou sur les questions contemporaines apporte en arabe à la fois un supplément de connaissance brute, si l’on peut dire, et en même temps cette connaissance est formulée dans des catégories de pensée, organisée sous une forme plus ou moins différente de celles 2. donald Reid, Whose Pharaohs ? Archaeology, Museums, and Egyptian National Identity from Napoleon to World War I, Berkeley et Los angeles, university of california Press, 2002.

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qui ont cours dans le champ intellectuel ou scientifique local avec lequel elles entrent en dialogue et qu’elles contribuent à redéfinir constamment. Écrire l’histoire de ce mouvement de traduction, à l’échelle de tout le monde arabe et dans tous les champs du savoir, des idées et des représentations qu’il couvre, suppose donc, voire revient à écrire l’histoire de la formation du champ culturel et scientifique arabe moderne dans ses échanges avec ses pairs euro-américains : vaste chantier, qui est justement celui du présent ouvrage dans son ensemble. Plus modestement, cette contribution s’en tiendra donc à quelques observations générales inspirées de l’analyse des bibliographies des traductions arabes3 et à quelques exemples significatifs. en premier lieu, il est assez fascinant de constater que les choix de traduction sont extrêmement éclectiques et tendent à couvrir tout le spectre, idéologique et disciplinaire, de la production orientaliste. Tout se passe comme si, du point de vue arabe, tout ce qui se publie en europe et aux États-unis sur l’histoire et les sociétés arabes était digne d’intérêt, que ce soit pour son contenu informatif ou pour ce que cette production étrangère dit du regard sur ce nous/autre porté par l’auteur (et, au-delà, le milieu intellectuel et la société dont il est issu). on traduit aussi bien les textes fondamentaux et les ouvrages de référence (par exemple l’Encyclopédie de l’islam4, la Description de l’Égypte, la Geschichte der Arabischen Litteratur de Karl Brockelmann, la Geschichte des Arabischen Schrifttums de Fuat Sezgin…) que des ouvrages de vulgarisation destinés au grand public occidental, et dont la valeur informative semble a priori limitée pour le lecteur arabe (par exemple maxime Rodinson, Les Arabes [1979]5) ou des manuels universitaires (par exemple dominique Sourdel, L’islam médiéval [1979]6, ou nikita elisseef, L’Orient 3. cette enquête s’appuie notamment sur les sources bibliographiques suivantes : – al-Thabt al-biblyûgrâfî li-l-kutub al-mutarjama ilâ al-lugha al-‘arabiyya min awâ’il al-matbû‘ât wa-hattâ nihâyat ‘âm 1995 [Bibliographie des livres traduits en arabe [en Égypte] depuis les débuts de l’imprimerie jusqu’en 1995], Le caire, dâr al-kutub wa-l-wathâ’iq al-qawmiyya, 2002 : 13 659 notices, – al-Kutub al-mutarjama ilâ al-‘arabiyya fî l-mamlaka al-‘arabiyya al-sa‘ûdiyya [Les livres traduits en arabe dans le Royaume d’arabie Saoudite], Riyâd, idârat al-takshîf wa-l-biblyûgrâfiyya al-wataniyya, 2008 : 2 218 notices. consultable en ligne : http://www.kfnl.gov.sa/idarat/pplo/Translatwd/Pubmain.htm – la bibliographie des traductions arabes d’ouvrages orientalistes du fonds de la bibliothèque de la Fondation du Roi abd al-aziz al Saoud pour les sciences humaines et les études islamiques : 467 notices. Bibliographie non publiée, qui m’a été transmise par mohamed Sghir Janjar, directeur-adjoint de la Fondation – qu’il en soit chaleureusement remercié, – le site de vente en ligne de livres neel wa-Furat (www.neelwafurat.com) qui se veut – comme son nom l’indique ! – le pendant arabe d’amazon. 4. une première traduction fut réalisée dans les années 1930 en Égypte, par un collectif d’intellectuels autour d’ibrâhîm Zakî Khûrshîd et muhammad mahdî ‘allâm : traduction de haute tenue, qui créait un véritable débat entre l’état du savoir orientaliste de l’époque et le point de vue musulman tel que représenté par ce collectif de traducteurs égyptiens. Récemment, la deuxième édition de l’encyclopédie de l’islam a donné lieu à une autre traduction (Mûjaz dâ’irat al-ma‘ârif al-islâmiyya, Sharjah, markaz al-Shâriqa li-l-ibdâ‘ al-fikrî, 33 vol., 1998), mais il s’agit cette fois d’une version résumée et édulcorée de l’EI, de manière à la rendre conforme à l’orthodoxie musulmane. 5. maksîm Rûdinsûn, al-‘Arab, tr. Khalîl ahmad Khalîl, Beyrouth, dâr al-Haqîqa, 1980. 6. dûmînîk Sûrdîl, al-Islâm fî l-qurûn al-wustâ, tr. ‘alî maqlad, Beyrouth, dâr al-Tanwîr, 1983, réédité en 2007.

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musulman au Moyen-Âge [1977]7). on traduit aussi bien des auteurs perçus comme sympathisants, censés donner une représentation proche de la représentation autochtone, à laquelle ils apportent une caution particulière puisqu’elle vient de l’extérieur (« un témoignage de la partie adverse », shahâdat shâhid min ahli-him, selon l’expression consacrée en arabe), que ceux perçus comme hostiles (en vertu de la nécessité de « connaître l’ennemi ») : ainsi, quand un éditeur de la mouvance des Frères musulmans égyptiens publie, sous un titre très différent, une traduction arabe d’olivier carré, Mystique et politique, Une lecture révolutionnaire du Coran par Sayyid Qutb (1984)8. Les auteurs perçus comme sympathisants sont en premier lieu les personnalités occidentales converties à l’islam, et les essais apologétiques où elles racontent et justifient leur conversion sont, si l’on peut dire, du pain béni pour les éditeurs arabes. dans les années 1980 et 1990, un des auteurs français les plus traduits et les plus lus en arabe était Roger Garaudy. déjà traduit en arabe, en tant qu’intellectuel marxiste critique, dès la fin des années 1960, sa conversion à l’islam fut d’autant plus remarquée qu’elle intervenait, au début des années 1980, dans un contexte de « retour à l’islam » de divers intellectuels de gauche arabes. en outre, son antisionisme radical (L’Affaire Israël : le sionisme politique [1983]9), qui devait dégénérer ensuite en négationnisme (Les mythes fondateurs de la politique israélienne [1996]10) lui ont attiré d’autres lecteurs. Plus de quarante titres de Garaudy en arabe (y compris plusieurs doubles traductions et quelques anciens titres de sa période marxiste) sont encore disponibles aujourd’hui sur le site neel wa-Furat. À l’autre extrême du spectre idéologique, si l’on peut dire, mais dans la même génération (tous deux sont largement nonagénaires aujourd’hui), il est remarquable qu’on trouve actuellement sur le même site de vente de livres en ligne une douzaine de traductions arabes de Bernard Lewis. Son dernier opus le plus connu, What Went Wrong ? (2002), a été traduit deux fois, la première en Égypte11, la seconde en Syrie12, et les deux traductions sont précédées d’une préface où l’on explique au lecteur arabe pourquoi les thèses de Lewis sont fausses et dangereuses et où l’on justifie la traduction par la nécessité de connaître l’ennemi pour pouvoir contrer ses idées. ce qui peut paraître curieux – c’est dans leur aire de diffusion originelle que 7. nîkîtâ Îlîsîf, al-Sharq al-islâmî fî l-‘asr al-wasît, tr. mansûr abû l-Hasan, Beyrouth, dâr alKitâb al-hadîth, 1986. 8. Ûlîfyîh Kârîh, Fî zilâl al-Qur’ân : ru’ya istishraqiyya firansiyya [À l’ombre du coran : un point de vue orientaliste français], trad. muhammad Ridâ ‘ajjâj, Le caire, al-Zahra’, 1993. 9. Rûjîh Gârûdî, Malaff Isrâ’îl, dirâsa li-l-suhyûniyya al-siyâsiyya, tr. mustafâ Kâmil Fûda, Le caire, dâr al-Shurûq, 1984 . 10. Rûjîh Gârûdî, al-Asâtîr al-mu’assisa li-l-siyâsa al-isrâ’îliyya, tr. muhammad Hâshim, Le caire, dâr al-Shurûq, 2002 (5e éd.). une traduction syrienne, portant le même titre, est également disponible (tr. Hâfiz al-Jamâlî et Sayyâh al-Jahîm, damas, dâr ‘atiyya, 1996). À noter que conformément à l’usage, le G de Garaudy se transcrit en Égypte avec un jîm, et au Levant avec un ghayn. 11. Barnârd Lûwîs, Ayn al-khata’ ?, tr. muhammad ‘inânî, préface de Ra’ûf ‘abbâs, Le caire, dâr Sutûr, 2003. 12. Barnârd Lûwîs, Ayna yakmun al-khata’ ?, tr. ‘imâd Shîha, damas, dâr al-Ra’y, 2006.

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ce combat a un sens, bien plus que dans l’espace arabe. dans la version syrienne, la préface est du traducteur, dont il faut noter qu’il s’agit de ‘imâd Shîha, militant communiste syrien et qui était au moment de sa libération un des plus vieux prisonniers politiques de la planète (il est resté détenu 29 ans, de 1975 à 2004). La traduction égyptienne est de muhammad ‘inânî, professeur de lettres anglaises à l’université du caire et traducteur de Shakespeare, et la préface (dite « étude ») est du regretté Ra’ûf ‘abbâs (décédé en 2008), également professeur à l’université du caire et l’un des historiens de l’Égypte ottomane et moderne les plus respectés. Le long essai (plus de 25 pages) de R. ‘abbâs est une présentation très polémique de la carrière de B. Lewis d’abord, suivie d’une démolition en règle de What Went Wrong ?, à tel point que le lecteur, arrivé au terme de cette préface très particulière, ne peut pas ne pas s’interroger sur l’utilité de cette entreprise de traduction. Lorsqu’on interroge ces bibliographies à partir de la langue d’origine des ouvrages traduits, on constate là aussi que, pris dans son ensemble, le mouvement de traduction arabe a été très éclectique : on a beaucoup traduit les auteurs de langue française et anglaise certes, mais aussi l’orientalisme allemand, espagnol (notamment tout ce qui concerne al-andalus) et, quoique dans une moindre mesure, russe et italien. en revanche, on peut remarquer l’absence quasi complète d’auteurs israéliens. de ce point de vue, les traductions arabes de l’orientalisme reproduisent assez fidèlement les tendances du mouvement de traduction arabe. on peut en dire autant du lieu de publication des traductions : dominent largement Le caire et Beyrouth, suivis de damas, puis, loin derrière, Bagdad, Riyad, Tunis ou casablanca.

Quelques coups de sonde compte tenu des enjeux doctrinaux et théologiques qu’elle implique, la traduction de la production orientaliste relative aux études coraniques et à la vie du prophète muhammad est particulièrement sensible. aussi n’est-il pas étonnant que, dans ces domaines, les traductions arabes soient relativement rares. Plutôt que celles des orientalistes, on a traduit en arabe des biographies plus littéraires, et certainement bienveillantes à l’égard du Prophète : Mahomet and his Successors (1850)13 de l’écrivain américain Washington irving (1783-1859), la Vie de Mahomet (1929)14 d’emile dermenghem (1892-1971), The Messenger : The Life of Muhammad (1944) de Ronald V. c. Bodley (1892-1970)15, un officier du renseignement britan13. Wâshintûn irfîng, Hayât Muhammad, Le caire, dâr al-ma ‘ârif, 1960 (rééd. 1966). 14. imîl dirminghîm, Hayât Muhammad, tr. ‘adil Zu‘aytar, Le caire, dâr ihyâ’ al-kutub al‘arabiyya, 1945, puis rééd. (s.d.). 15. R. F. Bûdlî, al-Rasûl : Hayât Muhammad, tr. muhammad muhammad Farag et ‘abd alHamîd Gûda al-Sahhâr, Le caire, maktabat misr, 1950 (rééd. 1989).

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nique qui vécut en arabie dans les années 1920. dès lors que toute transgression de la représentation couramment admise dans l’islam est a priori exclue, ces traductions nourrissent une sorte de désir de retrouver dans le miroir de l’étranger une représentation de soi gratifiante. Traduire en arabe les biographies orientalistes académiques, nécessairement plus éloignées de la vulgate musulmane, est une entreprise plus périlleuse. Parmi les rares traductions de ce type, celle des deux volumes de montgomery Watt, Muhammad at Mecca (1953) et Muhammad at Medina (1956)16, qui ont la réputation d’être plutôt bienveillants à l’égard de muhammad. d’autres biographies orientalistes sont intraduisibles en arabe parce que trop transgressives par rapport à la vulgate musulmane. ainsi du Mahomet (1968) de maxime Rodinson, dont je n’ai jamais trouvé de version arabe même si la rumeur affirmait qu’une traduction circulait clandestinement dans les années 1970 (en tant que marxiste, juif et antisioniste, Rodinson était particulièrement en phase avec l’intelligentsia arabe des années 1960-70, et tous ses autres livres ont été traduits en arabe). on imagine d’autant moins une telle traduction aujourd’hui quand on sait que même les versions française ou anglaise de ce livre peuvent être censurées ici ou là : on se rappelle comment, en 1998, l’université américaine du caire dut le retirer de la liste des lectures conseillées par un de ses enseignants (et en même temps le rendre inaccessible aux étudiants qui voudraient le consulter en bibliothèque)17. en revanche, dans le domaine de l’islamologie et en particulier des études coraniques, et qui pose des problèmes comparables, ces dernières années ont vu paraître un certain nombre de traductions de travaux orientalistes qui défendent des thèses très éloignées de la tradition musulmane. il s’agit parfois d’ouvrages anciens qui accèdent finalement à la traduction arabe, comme la synthèse de Rudi Paret Muhammad und der Koran (1957)18 ou surtout la monumentale Geschichte des Qorans de Theodor nöldeke revue et complétée par son élève Friedrich Schwally (1909 pour la version revue)19. dans le même ordre d’idée, notons la parution récente (2004) en traduction arabe du premier volume de La passion d’al-Hallaj (1975) de Louis massignon20. mais il s’agit aussi et surtout de la recherche orientaliste la plus récente : ainsi des traductions en cours de la somme de Josef van ess Theologie und Gesellschaft im 2. und 3. Jahrhundert Hidschra (1991-97)21, ou de 16. Wilyam muntghûmrî Wât, Muhammad fî Makka, tr. Sha‘bân Barakât, Beyrouth, al-maktaba al-‘asriyya, s.d., et Muhammad fî l-Madîna, tr. Sha‘bân Barakât, Beyrouth, al-maktaba al-‘asriyya, 1985. 17. Sur cette affaire, lire par exemple : « auc throws out Rodinson’s book », Al-Ahram Weekly, 21-27 mai 1998, accessible en ligne : http://weekly.ahram.org.eg/1998/378/eg7.htm. 18. Rûdî Bârît, Muhammad wa-l-Qur’ân, tr. Radwân al-Sayyid, Berlin, Sharq Gharb li-l-nashr, 2009. 19. Tyûdûr nûldakah, Frîdrîch Shfâlî, Târîkh al-Qur’ân, tr. Georges Tamer, Beyrouth, Konrad adenauer Stiftung, 2004 (2e éd. Beyrouth/cologne, manshûrât al-Jamal, 2008). 20. Luwîs mâsînyûn, Alâm al-Hallâj, shahîd al-tasawwuf al-islâmî, tr. al-Husayn Hallâj, Beyrouth, qadmus, 2004. 21. Yûsuf Fân Îs, ‘Ilm al-kalâm wa-l-mujtama‘ fî l-qarnayn al-thânî wa-l-thâlith al-hijrî, tr. Sâlima Sâlih, Beyrouth/cologne, manshûrât al-Jamal, 2008.

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celle d’alfred-Louis de Prémare, Les fondations de l’islam (2002) 22. Significativement, nombre des traductions citées ci-dessus ont été publiées par des éditeurs arabes travaillant à partir de l’europe : Saqi Books à Londres, Kamel Verlag à cologne (quoique cette maison, créée par Khâlid al-ma‘âlî, un intellectuel irakien réfugié en allemagne, ait maintenant des bureaux à Beyrouth), Sharq/Gharb à Berlin. Leur circulation dans le monde arabe reste très aléatoire et les risques de censure ici ou là sont permanents. Remarquablement également, certaines de ces traductions sont le fait de spécialistes reconnus, comme Georges Tamer (professeur à ohio State university) et Radwan el Sayyid (professeur à l’université libanaise), tous deux formés en allemagne. À côté de ces entreprises à dominante académique – même si, bien entendu, elles participent nécessairement des luttes symboliques propres au champ religieux arabe –, d’autres semblent plus directement être destinées à être instrumentalisées dans ces luttes. ainsi de celles publiées ou soutenues par la « Ligue des rationalistes arabes » (Râbitat al-‘aqlâniyyîn al-‘arab), un collectif créé en 2007 avec le soutien d’un mécène libyen23, ou de celles de nabîl Fayyâd, un intellectuel syrien qui s’est spécialisé, si l’on peut dire, dans la traduction de textes de la tendance la plus polémique des études coraniques : arthur Jeffery (1892-1959), The Qur’an as Scripture (1952)24, Patricia crone et michael cook, Hagarism, The Making of the Islamic World (1978)25, et une traduction partielle de la thèse de Heinrich Speyer (18981935) sur les récits bibliques dans le coran (1931)26. on peut s’interroger sur la réception de ce type de traductions : comment circulent-elles ? quels sont leurs lecteurs ? donnent-elles lieu à des débats et polémiques ? Rien n’est moins sûr, d’après ce que l’on peut en juger lorsqu’on tente d’évaluer leur présence sur l’internet arabe. Par comparaison, un mohamed arkoun apparaît comme la star incontestée de l’islamologie contemporaine en traduction arabe, avec 26 titres arabes disponibles (pratiquement toute sa bibliographie) sur le site de vente en ligne neel wa-Furat, dont plusieurs en sont à leur 3e ou 4e édition : popularité qui semble contredire la mauvaise réputation faite à ses traductions arabes, prétendument illisibles. une étude plus fine de ces traductions et de leur réception montrerait probablement qu’il y a en fait, en arabe comme en français, plusieurs mohamed arkoun : d’un côté, l’islamologue exigeant, d’une lecture souvent ardue en effet, en français comme en arabe ; de l’autre, le moraliste et 22. alfrîd Luwîs dî Brîmâr, Ta’sîs al-islâm bayn al-kitâba wa-l-târîkh, tr. ‘isâ muhâsibî, Londres, dâr al-Sâqî, 2009. 23. Voir le site internet du collectif : http://www.alawan.org/. 24. arthur Jafarî, al-Qur’ân ka-kitâb muqaddas, tr. nabîl Fayyâd, Beyrouth, dâr Jûniya, 1996. 25. Bâtrîshyâ Krûnah, mâykal Kûk, al-Hâjariyyûn, tr. nabîl Fayyâd, Beyrouth, dâr al-muhja albaydâ’, 1996. 26. Haynrish Shbâyar, al-Qasas al-dînî, tr. nabîl Fayyâd et mîshâyil mûtrâysh, Beyrouth, dâr ikzâkt, 1996. d’après la page qui lui est consacrée dans la version arabe de Wikipedia, n. Fayyad aurait également traduit le Muhammad de michael cook (1983), mais je n’ai pu trouver de références bibliographiques de cette traduction.

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l’intellectuel engagé dans la cité, auteur d’essais beaucoup plus abordables dans l’original, et probablement tout aussi aisément lisibles en traduction arabe. Poursuivons l’enquête du côté de ces traductions les plus visibles dans les rayons des librairies arabes : on est frappé par la quantité d’ouvrages traduits du français et de l’anglais qui portent sur le conflit israélo-arabe, les guerres du Golfe, les mouvements islamistes, etc., qu’il s’agisse d’essais de journalistes ou d’ouvrages de spécialistes reconnus. dans ces domaines, la nécessité de la traduction tient largement à l’opacité entretenue par les régimes arabes issus des indépendances : archives inaccessibles, médias nationaux contrôlés, rivalités entre différents États, tout concourt à faire de l’histoire immédiate un domaine où les auteurs arabes luttent à armes inégales avec leurs pairs étrangers – sauf exception comme muhammad Hasanayn Haykal, qui du fait de son itinéraire singulier (proximité de nasser puis mise à l’écart par Sadate et moubarak) jouit d’une autorité toute particulière. en Égypte, le dernier prix de traduction attribué par le ministère de la culture en 2010 a récompensé Bashîr al-Sibâ‘î, pour sa traduction des quelques 2 000 pages de la somme d’Henry Laurens La question de Palestine27, mais B. alSibâ‘î a traduit aussi de nombreuses autres productions de l’orientalisme russe (Zalman Levin, Bagrat Seyranian), anglo-saxon (Timothy mitchell, Zachary Lockman) et français (plusieurs autres ouvrages de Henry Laurens, l’Histoire de l’empire ottoman dirigée par Robert mantran, etc.). La place importante des traductions d’enquêtes et d’essais de spécialistes ou de journalistes européens ou américains dans la bibliographie de l’histoire arabe immédiate est en quelque sorte l’équivalent, dans le domaine éditorial, de ce qu’est le programme arabe de la BBc auprès de l’auditoire arabe depuis les années 1970. Logiquement, la traduction se portera de préférence vers les auteurs et les ouvrages les plus critiques des politiques et des points de vue occidentaux, et surtout de la politique américaine et israélienne. des grands reporters étrangers spécialistes du monde arabe comme le Britannique Robert Fisk sont plus connus du public arabe que de leur lectorat originel. Pour peu qu’ils se soient forgés une réputation d’impartialité, ou de sympathie pour les causes arabes, comme Fisk, ils jouissent d’un prestige considérable. dans le cas de Fisk, non seulement ses livres sont traduits en arabe, mais son nom a même été utilisé récemment par l’auteur égyptien d’une biographie de Saddam Hussein qui, pour donner de la crédibilité à son livre, l’a publié comme étant une traduction d’un original inexistant de Fisk28! ce dernier exemple nous rappelle que l’édition arabe, en dépit de nets progrès dans les dernières décennies, demeure peu professionnalisée : conditions de production artisanales, absence ou insuffisance de travail éditorial, ignorance ou irrespect des droits moraux et matériels de l’auteur et du traducteur, etc. À cet égard, le domaine des traductions orientalistes est soumis aux mêmes pratiques qui ont cours 27. Hanrî Lûrans, Mas’alat Filastîn, tr. Bashîr al-Sibâ‘î, Le caire, al-markaz al-qawmî li-ltarjama, 6 vol., 2006-2009. 28. Robert Fisk, « The curious case of the forged biography », The Independent, 1/02/2008.

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dans le domaine du livre traduit en arabe, lequel ne fait à son tour que refléter ce qui se passe dans l’édition arabe en général. non respect du droit d’auteur : les traductions « pirates », sans autorisation de l’auteur ou de l’éditeur originaux, sont en recul mais restent monnaie courante, d’où la fréquence des doubles et parfois triples traductions, et les interventions sur le texte, d’autant plus massives que le sujet est sensible. J’évoquerai ici un exemple, pris presque au hasard parmi des dizaines d’autres : celui de la traduction de abdelwahab Bouhdiba, La sexualité en islam. dans la première édition de cette traduction (faite, à noter, non pas à partir de l’original mais de sa traduction anglaise), des passages entiers étaient supprimés ou édulcorés, notamment des citations faites par l’auteur de traités arabes anciens d’érotologie29. quinze ans plus tard, la traductrice la republiait chez l’éditeur arabe installé à Londres Riyâd al-Rayyis, dans une version « revue et augmentée », précédée d’une préface où elle reprend à son compte les thèses de l’auteur, loue son audace et invite le lecteur arabe à ne s’en point formaliser30. ceci, ainsi que la réputation de Riyâd al-Rayyis, maison qui a fait son succès, en partie au moins, sur ce type d’ouvrages, tant anciens que modernes, pourrait laisser croire que cette nouvelle version rétablirait l’intégralité à la fois du texte de Bouhdiba et de ceux des auteurs anciens qu’il cite ; or il n’en est rien31. comme le remarque Joseph massad, Bouhdiba, bien que critique de la vision orientaliste de l’islam, donne une représentation somme toute très orientaliste de la sexualité arabe, « dans laquelle le coran et les sources théologiques les plus anciennes doivent être analysés pour expliquer les sociétés arabes et musulmanes modernes et contemporaines32 ». mais dans sa traduction arabe, ce n’est pas tant cette représentation orientaliste qui est censurée et édulcorée qu’un ensemble de représentations traditionnelles autochtones de la sexualité, sous l’effet d’une évolution « puritaine » des mœurs dans les sociétés arabes modernes qui, comme le montre Joseph massad, est elle-même, en partie au moins, le résultat de l’influence du puritanisme chrétien sur les élites arabes dans le contexte colonial. 29. ‘abd al-Wahhâb Bûhudayba, al-Islâm wa-l-jins [L’islam et le sexe], trad. Hâla al-‘Ûrî, Le caire, madbûlî, 1986. 30. ‘abd al-Wahhâb Bûhudayba, al-Islâm wa-l-jins [L’islam et le sexe], trad. Hâla al-‘Ûrî, Londres, Riyâd al-Rayyis, 2001, p. 9-14 notamment. une autre traduction de ce livre était parue à Tunis un an plus tôt (al-Jinsâniyya fî l-islâm [La sexualité dans l’islam], trad. muhammad ‘alî maqlad revue par l’auteur, Tunis, cérès, 2000), qui met en garde explicitement le lecteur contre la traduction de H. al-‘Ûrî, dont seule la première édition était alors disponible (d’où l’on peut supposer que cette première traduction avait été publiée sans l’accord de l’éditeur original). malheureusement, étant donné la faible diffusion des publications tunisiennes hors de leur pays d’origine, c’est l’édition Riyâd al-Rayyis qui continue de circuler dans le monde arabe. 31. deux exemples pris dans le chapitre 11 (« L’érotologie ») de l’original. quand Bouhdiba écrit, à propos de l’idéal de la beauté féminine arabe : « deux traits cependant sont toujours restés permanents : une croupe arrondie et bien tendue et un sexe volumineux mais bien conforme et bien apparent » (Bouhdiba, op. cit., p. 173), Hâla al-‘Ûrî traduit : « La croupe lourde est demeurée le trait stable dominant le canon de la beauté » (Bûhudayba, op. cit., p. 211). Plus loin (p. 180), quand Bouhdiba cite in extenso les noms donnés en arabe aux sexes masculin et féminin, d’après le Jardin parfumé du cheikh nefzâwi, sa traductrice se contente de citer les premiers de la liste (ibid., p. 219). 32. Joseph a. massad, Desiring Arabs, chicago, university of chicago Press, 2007, p. 147.

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En guise de conclusion ce dernier exemple ainsi que celui, un peu plus haut, de mohamed arkoun donnent l’occasion de s’attarder un peu sur ce qui est, avec l’assimilation des méthodologies des sciences sociales, l’évolution majeure de la production orientaliste depuis les années 1960 et surtout 1970 : l’arrivée massive, dans les champs académiques français et anglo-saxon, des auteurs d’origine arabe. L’attraction exercée par les centres dominants du champ académique international, la crise des universités et de la recherche en sciences humaines et sociales dans le monde arabe, mais aussi les logiques de concurrence et de reconnaissance propres au monde de la recherche scientifique : tous ces facteurs concourent à ce que le savoir sur les sociétés arabes tende de plus en plus à être produit par des chercheurs issus des sociétés arabes, mais qui ne produisent pas en arabe, notamment parce qu’ils poursuivent leur carrière en europe ou en amérique du nord. du point de vue de la connaissance pure, c’est une évolution évidemment positive : comme l’a montré Thomas Brisson à propos de l’exemple français, l’apport de ces chercheurs issus des sociétés arabes a été fondamental dans le renouvellement des études arabes33, et c’est encore plus vrai dans le champ académique anglo-saxon. mais c’est une évolution évidemment très problématique pour les sociétés arabes dans la mesure où la question de l’assimilation de ce savoir par ces sociétés et dans leur langue n’est pas résolue. Bien qu’il y ait de plus en plus de traductions arabes (contrairement à l’idée reçue), et parmi celles-ci, donc, de plus en plus de traductions de textes relatifs aux sociétés arabes, on a l’impression que l’écart qualitatif et quantitatif entre le savoir disponible en langues étrangères et ce qui est disponible en langue arabe continue de se creuser, et que finalement les logiques postcoloniales produisent de nouvelles formes, moins violentes mais tout aussi néfastes que les logiques coloniales, de dépossession de la connaissance et de l’image de soi de ces sociétés.

Bibliographie Pour les traductions arabes d’ouvrages en langues européennes, on n’a fait suivre entre crochets une traduction du titre arabe que dans les cas où celui-ci différait de manière sensible du titre de l’original.

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33. Thomas Brisson, Les intellectuels arabes en France, Paris, La dispute, 2008.

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