La possession predicative en langues uto-azteques / synthese (FR)

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Descripción

La possession prédicative en langues uto-aztèques.
Fany Muchembled

Thèse de doctorat en co-tutelle INALCO (SEDyL) / UNISON (Mexique)





Chapitre I. Le problème : questionnements, réflexions, méthodologie

Le thème de la possession en linguistique est l'un de deux qui
transcendent aussi bien les différents domaines de la discipline (syntaxe,
morphologie, sémantique), que ses limites mêmes, puisque cette notion est
impliquée dans des processus cognitifs, socio- et ethnoculturels. Il s'agit
en effet, en premier lieu, d'un concept qui s'exprime, dans les langues du
mondes, à travers plusieurs types de construction (possession attributive
et possession prédicative, différents types de possession prédicative,
etc.). C'est de plus une notion qui est en étroite relation avec les
systèmes culturel de propriété, d'appartenance, de parenté ; en même temps
que son caractère abstrait, et la multitude de ses signifiés (propriété,
relations de parenté, avec les parties du corps, les sensations ou les
sentiments, entre autres) le rendent dépendant de processus sémantico-
cognitifs. Pour les besoins d'un résumé, on peut définir dans les grandes
lignes la Possession comme la relation qui existe entre un élément
Possesseur (PSR – qui peut être assimilé à l'Agent de la relation) et un
élément Possédé (PSD – le Patient, si l'on veut, de la relation). Enfin, la
possession prédicative, qui fait le sujet de ce projet de thèse, est
l'expression de cette notion au niveau de la phrase, c'est-à-dire grâce à
une construction qui repose sur une structure propositionnelle et qui
comprend un prédicat et au moins un argument.

L'objectif de la présente thèse est de décrire et comparer ces
structures au sein de la famille uto-aztèque (UA), une famille de langues
amérindienne (voir point 2). La description synchronique reposera sur la
typologie fonctionnelle mise au point par Stassen (2009), tandis que
l'analyse diachronique de ces structures sera basée principalement sur la
typologie cognitive de Heine (1997) ainsi que sur la méthodologie de la
linguistique comparative.

La méthodologie de travail de cette thèse est basée à la fois sur les
procédés utilisés par les auteurs décrits dans le cadre théorique (Stassen
2009, Heine 1997, voir point 3) et sur les méthodes de reconstruction
phonétique et syntaxique en linguistique comparative (méthode comparative
et reconstruction interne ; Campbell 2004). Un rapide examen terminologique
des principaux concepts permettra d'avoir une vue d'ensemble.

Le premier terme d'importance pour nous est celui de SCHEMA /
MODELE dont il convient de préciser la charge théorique: ils désignent en
effet, selon les termes de Heine (1997), les différents structures et
concepts particuliers qui sont à l'origine de l'expression de la possession
au niveau de la prédication (voir point 3). C'est uniquement dans ce sens
que nous l'utiliserons dans la présente thèse.

Le second terme est dérivé de la théorie de la Construction Grammar
(CxG), et utilisé par Gildea (2011) dans un contexte de reconstruction
syntaxique : une CONSTRUCTION désigne, sur le modèle du signe saussurien
l'association symbolique entre une forme grammaticale, plus ou moins longue
et complexe, et un signifié. En ce sens, quand nous parlerons de
constructions de possession prédicative, nous ferons référence à la forme
de la proposition (nombre d'arguments, propriétés du prédicat, ordre des
éléments, marques de cas) associée à l'expression d'une ou plusieurs
notions possessives.





Chapitre II. La famille uto-aztèque (UA).

Selon Campbell (1997 : 133), la famille uto-aztèque est l'une des
familles linguistiques les plus importantes du continent américain, grâce à
plus d'un million et demi de locuteurs de plus de trente langues, mais
également de par son extension géographique (voir carte). C'est également
l'une des plus anciennes, datée de 5000 ans.

La classification de la trentaine de langues UA (voir Campbell 1997,
Miller 1984, Dakin 2004) a fait, et fait encore, l'objet de plusieurs
controverses : la principale concerne l'existence ou non d'une branche
« Sonorense », soit en tant que branche indépendante (Nord / Sonorense /
Sud), soit comme faisant partie de la branche Sud (Nord / Sud : Sonorense).
Campbell (voir figure 1) préfère une classification en deux branches
principales (Nord / Sud). Nous utilisons pour la présentation de nos
données la proposition de Shaul (figure 1), qui regroupe les branches non
controversées par zone géographique. Cette présentation, proche des autres
classifications, a ceci d'intéressant qu'elle possède une certaine
neutralité quand aux controverses d'agroupement des différentes branches.

Figure.1 Classification géografico-généalogique de la famille UA

(Shaul 2012: 28-29)

"Gran Cuenca "-Númicas "
"Arizona N "- Hopi "
"California S "- Tübatülabal "
" "- Táquicas "
"Sonora "- Tepimanas "
"Chihuahua "- Tarahumaranas "
"Durango "- Opatanas "
"Sinaloa "- Cahitas "
" "- Tubar "
"Mesoamérica "- Corachol "
" "- Aztecas "


Les langues UA sont des langues de type agglutinant (synthétique),
avec une tendance certaine à la suffixation. L'ordre des constituants est
de type OV, à tendance SOV, avec quelques exceptions et parfois une grande
variation libre à l'intérieur d'une même langue. Ce sont des langues à
alignement Nominatif-Accusatif, marqué grâce au système pronominal et
parfois par une marque sur les nominaux. Enfin, le marquage morphologique
est plus variable à l'intérieur de cette famille : en ce qui concerne le SN
Possessif, il existe une certaine tendance à la double marcation, avec le
PSR en forme acusative ou génitive et le PSD possiblement marqué avec un
suffixe de possession ou un préfixe qui copie le PSR.

Il est utile de rappeler rapidement que la Conquête de l'actuel
territoire mexicain par la Couronne d'Espagne s'est faite principalement
durant le XVIème siècle, et que les natifs y ont été dominés en grande
partie grâce aux missions d'évangélisation des ordres jésuites,
franciscains et dominicains, qui ont produit jusqu'au XIXème siècle une
certaine quantité de documents coloniaux. D'un autre côté, l'exploration et
la colonisation du territoire américain par les anglais n'a réellement
commencé qu'au XVIIème siècle, et s'est caractérisé par une domination
plutôt commerciale ; la plupart des documents linguistiques anciens datent
du XIXème siècle et prennent la forme de listes de vocabulaire comparé. On
peut cependant affirmer sans conteste que, d'un côté comme de l'autre de
l'actuelle frontière, l'histoire de la colonisation de l'Amérique du Nord
est parsemée de trahisons, guerres, rebellions et répressions, et de sang
versé. De plus, cette frontière n'a pas toujours eu son tracé actuel :
jusqu'au traité de Guadalupe Hidalgo en 1847 qui marqua la fin de la guerre
entre le Mexique et les Etats-Unis, les langues uto-aztèques du Nord (voir
figure 1) se trouvaient sur le territoire mexicain : elles ont donc été en
contact d'abord avec la langue espagnole, puis avec l'anglais.



Carte 1. La famille UA (Campbell, 1997: 358)





Carte 2. Aires culturelles en Amérique du Nord au momento du contact
(Waldman 2009: 42)









Chapitre III. Possession et évolution linguistique

Linguistique diachronique

Pour pouvoir analyser la diachronie de des constructions de possession
prédicative en UA, c'est-à-dire les processus évolutifs qui ont conduit des
constructions originelles (les schémas) aux constructions actuelles, il est
nécessaire de définir quelques termes issus de la linguistique
diachronique. Une première distinction est à faire entre MECANISMES et
CAUSES DU CHANGEMENT LINGUISTIQUE. Les premiers désignent les processus
réguliers, dans les langues du monde, par lesquels les structures
grammaticales évoluent. Trois principaux y sont à l'œuvre (Peyraube 2002) :


(i) la REANALYSE est un changement fonctionnel du signifié ou de la
structure informationnelle, sans modification de surface (Langacker 1987 ;
Gildea 2011) ;

(ii) l'ANALOGIE ou EXTENSION « rend observables les changements
inobservables de la réanalyse » (Hopper et Traugott 2004): l'analogie entre
deux constructions permet l'extension d'un élément depuis l'une vers
l'autre, de manière similaire à un phénomène de régularisation (Gildea
2011);

(iii) l'EMPRUNT est un mécanisme externe de changement linguistique,
similaire au phénomène d'extension, entre deux langues distincte : il
s'agit de la reproduction, dans une langue, d'éléments (phonétiques,
morphologiques, syntaxiques, sémantiques) d'une autre langue avec laquelle
elle est en contact (Gildea 2011 ; McMahon 1994).

D'autres mécanismes de changement, plus complexes et spécifiques, ont
été décrits. La GRAMMATICALISATION correspond à perte de l'autonomie d'un
signe linguistique (Lehmann 2005) ; elle est basée sur les mécanismes de
réanalyse et d'extension, mais est définie par son unidirectionnalité,
c'est-à-dire que les structures évoluent vers toujours plus de
grammaticalité. Son pendant théorique est la LEXICALISATION, c'est-à-dire
la création d'un item lexical, implique la perte de la structure interne
d'une expression, et n'est pas incompatible avec des processus de
grammaticalisation (Lehmann 2005).

Quant aux CAUSES DU CHANGEMENT LINGUISTIQUE, elles font référence aux
motivations du changement grammatical : si les principales causes sont
d'ordre sémantico-pragmatique (métaphorisation et métonimisation), il faut
rappeler que le changement linguistique reste un processus complexe et
multifactoriel, où, tout autant que la sémantique et la pragmatique, sont à
l'œuvre l'environnement social et culturel, le bagage et les limitations
cognitives et biologiques, ou les facteurs matériels et historiques. Une
cause externe du changement linguistique est représentée par le CONTACT
culturel et linguistique, dont la durée, l'intensité, son caractère
égalitaire ou dominant, ont pour résultat divers degrés et formes de
bilinguisme, observables à travers le mécanisme d'emprunt (Campbell 2004 ;
Shaul 2012).

Enfin, la perspective comparative, à l'intérieur d'une même famille
linguistique, demande l'utilisation des termes utilisés par la linguistique
diachronique, laquelle a pour but la reconstruction, phonétique puis
morphologique et syntaxique, de langues ancestrales (Campbell 2004),
appelées PROTO-LANGUE ou LANGUE MERE, c'est-à-dire l'ancêtre commun à
toutes les langues de la même famille, elles-mêmes appelées LANGUES SŒURS.
Pour déterminer que des langues sont sœurs, il faut (i) rassembler des
SERIES (sets) de MOTS (ou de constructions) APPARENTES (COGNATES) ; (ii)
déterminer les CORRESPONDANCES, c'est-à-dire les sons (puis les morphèmes
ou les éléments d'une construction) qui se correspondent régulièrement dans
les langues comparées ; (iii) postuler, à partir des correspondances, des
régularités et irrégularités, la structure, le mot ou la construction dans
la langue mère (marqués par *), dont les REFLEXES sont les structures qui
en sont dérivées dans les langues actuelles. Ces trois étapes forment la
METHODE COMPARATIVE, qui cherche à reconstruire la langue mère ; un procédé
complémentaire est la RECONSTRUCTION INTERNE, lequel postule un état
antérieur d'une langue, appelé PRE-langue. Plusieurs critères peuvent aider
à ces reconstructions : la fréquence translinguistique d'un changement, le
principe de « la majorité l'emporte », ainsi que celui de l'économie (moins
d'étapes de changement augmente la plausibilité), la cohérence d'un système
phonétique ou grammatical, la cohérence avec des universaux typologiques
établis.



Typologies de possession prédicative

Stassen (2009) propose une typologie fonctionnelle, synchronique, des
expressions prédicatives de la possession aliénable : il distingue quatre
constructions principales, selon la fonction grammaticale du Possesseur et
du Possédé :




Tableau 1. Typologie fonctionnelle de possession prédicative (Stassen,
2009).

Type Prédicat Possesseur Possédé

1. Locatif Intransitif Oblique/adverbial Sujet

2. Comitatif Intransitif Sujet
Oblique/adverbial

3. Topique Intransitif Topique/thème Sujet

4. Avoir Transitif Sujet/Agent Objet/Patient




Les trois premières constructions ont en commun un prédicat
intransitif, généralement de type statif, locatif ou existentiel. Précisons
que les constructions de type Locatif et Comitatif n'impliquent pas
nécessairement la présence d'une morphologie locative ou comitative, sinon
qu'elles comprennent toutes les structures où, respectivement, le
Possesseur, ou le Possédé, est codifié syntaxiquement comme un complément
oblique ou adverbial (génitif, datif…). Ces appellations résultent
simplement de l'importante fréquence translinguistique avec laquelle
apparaissent les morphologies locative et comitative dans ces cas précis.

De plus, Stassen signale d'autres constructions, qu'il analyse comme
étant des grammaticalisations des types principaux.

Premièrement, les constructions intransitives peuvent montrer un
processus d'adjectivation du SN Possédé suivie de sa prédicativisation : le
SN Possédé est réanalysé comme prédicat adjectival de la construction et
traité comme tel, tandis que le SN Possesseur est élevé au statut de sujet
(un mécanisme comparable a la tournure française il est outillé, équivalent
à il a des outils). Selon les langues, le prédicat adjectival peut
nécessiter une copule (prédicat non verbal, type copulatif), ou non
(prédicat verbal, type flexionnel). Dans ce dernier cas, la marque oblique
originelle est réanalysée comme affixe dérivatif, qui crée des verbes de
possession à partir de substantifs. Ce processus d'adjectivation se donne
principalement à partir du type Comitatif, puisqu'il rassemble les
critères syntaxiques idoines pour une telle réanalyse: le Possesseur est
déjà sujet et le Possédé est marqué par un cas oblique. Cependant,
l'adjectivation à partir des types locatifs et topiques n'est pas exclue,
même si elle suppose davantage d'étapes (thématisation du possesseur et
réanalyse comme sujet, adjectivation).

Un deuxième processus de grammaticalisation peut affecter les types
intransitifs : la transitivisation du prédicat (Have-Drift) qui a comme
résultat un verbe transitif de type « avoir », avec le SN Possesseur sujet
et le SN Possédé objet ou complément. C'est apparemment l'étape
« terminale » de l'évolution grammaticale de la prédication possessive :
selon Stassen (2009), aucune réanalyse a partir d'un verbe de type
« avoir » n'a été avérée dans les langues du monde. Ce processus de
transitivisation est beaucoup plus fréquent à partir de la construction
comitative, mais il peut s'appliquer également aux constructions topiques
et locatives ; plusieurs routes de grammaticalisation sont décrites par
Stassen (figure 2).

Figure 2. Routes évolutives de transitivisation (Have-Drift) (Stassen 2009)

1. Comitatif > Avoir

1a. Fusion du prédicat statif/existentiel avec la marque oblique du
Possédé

1b. Verbalisation de la marque oblique

1c. Fusion d'un classificateur avec la marque oblique du Possédé

1d. Fusion d'un nom sémantiquement « vide » (dummy noun) avec la
marque oblique du Possédé

2. Topique > Avoir

2a. Conversion « être/avoir » et transfert des propriétés de Sujet au
possesseur

2b. Transitivisation marquée et transfert des propriétés de Sujet au
Possesseur

3. Locatif > Avoir

Passage par une étape hybride « Locatif/Thématique » : transfert des
propriétés de Sujet au SN Possesseur via la fonction Topique.



Heine (1997a : 89), pour sa part, considère la possession comme une
notion abstraite, laquelle doit s'exprimer grâce à des constructions plus
concrètes, telles que la location ou l'existence. Il présente alors une
typologie cognitive des modèles sources de la possession prédicative (Event
Schemas), basée sur la fonction grammaticale des éléments Possesseur et
Possédé, et sur le type de prédicat :

Tableau 2. Schémas sources de la possession prédicative et leur formulation
(Heine 1997)

Schéma Possesseur (X) Possédé (Y) Prédicat Formule

1. Action Sujet Objet transitif X takes
Y

2. Localisation Comp.Locatif Sujet Intr. (statif/loc) Y
is located at X

3. Compagnon Sujet Comp.Com. Intr. (statif/exist) X
is with Y

4. Génitif Modif. Génitif Sujet Intr. (statif/exist) X's Y
exists

5. But Comp. Datif Sujet Intr.
(statif/exist) Y exists for/to X

6. Topique Thème/sujet Sujet Intr. (statif/exist) As for
X, Y exists



Il convient de signaler ici la similitude entre les deux typologies :
quatre schémas ou constructions s'y répètent (Locatif, Comitatif, Topique,
Action/Avoir). Il faut cependant les distinguer l'une de l'autre à partir
de l'objectif de chaque auteur : si Stassen (tableau 1) propose des modèles
syntaxiques et synchroniques de possession prédicative (la forme actuelle
des expressions de possession prédicative), Heine (tableau 2) cherche des
modèles sémantico-cognitifs et diachroniques, c'est-à-dire les possibles
sources formelles et conceptuelles des actuelles constructions de
possession prédicative.

Ainsi, ces structures, en synchronie, ne correspondent pas toujours
exactement aux formules du tableau 2: les constructions intransitives
pourront avoir subi, en même temps qu'une évolution sémantique (de
localisation, par exemple, à possession), des restructurations morpho-
syntactiques qu'il est important de prendre en compte au moment de
l'analyse.

La principale modification structurelle qui peut affecter les
expressions de possession prédicative touche le Syntagme Nominal (SN) du
Possesseur (Heine 1997): celui-ci étant l'élément le plus proéminent
pragmatiquement parlant (Humain, Défini), il a tendance, dans les
constructions originelles où il n'est pas codifié comme Sujet (Location,
Génitif, But, Topique) a être thématisé, et éventuellement réanalysé comme
sujet d'un prédicat lui-même réinterprété comme transitif. Enfin, un
important et fréquent processus lié à la grammaticalisation de
constructions vers un signifié possessif est celui de dé-
catégorialisation : la signification et la fonction de la morphologie
originelle se perd.

Enfin, le schéma d'Action ne peut subir qu'une réanalyse sémantique,
puisque la construction originelle, transitive, avec un signifié concret
d'action, se grammaticalise vers une construction également transitive,
mais avec un signifié cette fois plus abstrait, de possession. Heine
(1997 : 48-49) distingue trois étapes à cette grammaticalisation :

(i) L'interprétation est uniquement active (pas de grammaticalisation,
schéma source)

(ii) L'interprétation est ambigüe, entre un signifié d'Action et de
Possession (polysémie)

(iii) L'interprétation est uniquement possessive (grammaticalisation
complète)



Chapitre IV. Constructions dérivées de possession prédicatives en UA: Type
Comitatif et Schéma Génitif.

Les constructions décrites dans ce chapitre sont des affixes
(principalement des suffixes) qui créent des verbes intransitifs de
possession à partir du nominal du PSD. Elles correspondent, dans les termes
de Stassen (2009), à la possession comitative prédicativisée, de type
flexif, puisque la construction ne requière pas la présence d'une copule.

Ces affixes ont une distribution géographique étendue et se trouvent
dans presque toute la famille YA – seules les branches taquiques de
Californie et corachol de Nayarit et Durango ne montrent pas ce type de
construction.

Plusieurs formes de suffixes sont récurrentes :

-ka/ga/wa se trouve réparti dans quasiment toutes les branches de la
famille. En langues numiques il est fréquemment associé au suffixe
nominalisateur -tï – dans certaines langues cette combinaison -ka-tï est
désormais grammaticalisée pour signifier 'avoir' ou 'celui/celle qui a'.
Dans les autres langues il fonctionne seul, et a parfois été réanalysé
comme marqueur de perfectif. Ce suffixe fait preuve d'un certain
syncrétisme en YA : dans plusieurs langues il apparaît comme verbalisateur
existentiel ('Il y a'), ou comme marqueur de possession dans les SN
Possessifs (suffixé au PSD, avec une tendance à marquer l'aliénabilité).

-e/i/a(h) se trouve dans les langues du centre du Mexique. Dans
certaines langues il peut apparaître en combinaison avec le suffixe de
possession -wa pour indiquer l'aliénabilité : le PSD se trouve alors
suffixé avec la forme -wa-e. Dans d'autres langues il interagit avec le
suffixe verbalisateur possessif -ka qui prend alors la forme -(e)k. Il peut
également dériver des verbes existentiels.

-pa/ba représente une innovation des langues numiques centrales qui
possèdent par ailleurs le suffixe -ka; la distinction opérée entre les deux
suffixes oscille entre Aliénable/Inaliénable et Permanent/Temporaire.

-ta se trouve dans deux langues de branches distinctes, non contigües
géographiquement ; on ne peut affirmer que les formes soient apparentés
historiquement.

D'autres formes apparaissent ci et là : -ni, -ti, et le préfixe tu-.

La prééminence des deux premiers suffixes, et leur interaction
mutuelle, incite à les analyser comme faisant partie d'une même
construction originelle ; leur distribution dans la famille YA indique que
la reconstruction peut se faire au niveau de la proto-langue (Proto-Uto-
Aztèque, PUA). L'implication de ces suffixes dans l'expression de la
prédication existentielle et dans la marcation possessive conduit
naturellement à proposer le Schéma Génitif (X'Y exists) comme source de ces
suffixes. Les constructions originelles postulées, qui prennent en compte
les caractéristiques typologiques de la famille UA et du PUA, paraissent
expliquer l'origine de plusieurs autres phénomènes associés à la possession
attributive, comme la création des suffixes 'Absolu' et 'Inaliénable'




CHAPITRE V. Constructions transitives de possession en UA : type Avoir
authentique et Schéma d'Action

Les verbes de possession présentés dans ce chapitre sont
authentiquement transitifs, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas le résultat
d'un changement grammatical mais d'une réanalyse sémantique. Pour les
différencier des autres verbes possessifs dérivés d'une construction
intransitive, nous les appelons 'authentiques', dans le sens où ils ont
toujours été transitifs ; leur signification a évolué, depuis un quelconque
sens actif ('prendre', 'porter', 'tenir' sont par exemple des sources
fréquentes de verbes 'avoir').

Ces verbes sont très peu nombreux dans les langues numiques, mais sont
beaucoup plus présents dans les autres branches. On retrouve plusieurs
formes apparentées :

Via/hipure/pi(y)a se trouvent dans trois branches des langues du Mexique
(tepimanes, cahites, aztèques). Ces verbes signifiaient originellement
'garder'. L'existence de registres coloniaux de ces langues nous permet
d'affirmer que ces verbes étaient encore polysémiques à cette époque ; leur
développement en tant que verbes de possession s'est considérablement
accéléré depuis, puisqu'ils peuvent désormais exprimer des notions
possessives périphériques telles que la possession abstraite, ou la
possession inaliénable. Ce sont de plus les seuls à s'être complètement
grammaticalises et a avoir perdu leur sens actif originel.

Yaw se trouve dans plusieurs langues taquiques. Son signifié originel
(et encore en vigueur à l'heure actuelle) est celui de 'porter, prendre' –
il est hautement polysémique, ce qui limite l'étendue de ses signifiés
possessifs.

Ora/ola se trouve en langues tarahumars ; il signifie actuellement
'faire, avoir' et représente une source sémantique rare pour un verbe
possessif.

D'autres verbes possessifs en UA sont originellement actifs ; leurs
sources sémantiques varient, de VOIR/TROUVER à GARDER/PROTÉGER, en passant
par METTRE ou PRENDRE SOIN DE.



CHAPITRE VI. Constructions transitives de possession en UA : type Avoir
dérivé et Schéma Génitif

Les verbes de ce type sont à l'heure actuelle transitifs, mais une
perspective diachronique permet de découvrir qu'ils dérivent d'une
construction originellement intransitive; ils sont en UA le résultat de la
lexicalisation de diverses combinaisons :

CLASSIF-POS > Avoir. Le verbe est le résultat de la lexicalisation de
la combinaison d'un classificateur possessif avec une marque de possession.
On retrouve le suffixe –wa de possession aliénable mentionné au chapitre
IV ; la distinction opérée par les classificateurs est de l'ordre de
l'animacité du PSD. On trouve cette source uniquement en langues tepimanes.

CLASSIF-VBZ > Avoir. Sur la même base que la précédente route, c'est
cette fois le verbalisateur possessif (décrit au chapitre IV) –ka/ga ou
–e/i/a(h) qui dérive logiquement des verbes de possession qui expriment les
distinctions PSD Animé/ PSD Inanimé. C'est la route évolutive la plus
fréquente en UA pour ces verbes ; on la trouve en langues numiques et
taquiques au nord, en langues cahites, opatanes, et tarahumars.

CLASSIF > Avoir. Les langues coracholes utilisent simplement les
classificateurs possessifs en fonction prédicative, sans besoin de
dérivation verbalisatrice.

D'autres routes de lexicalisation apparaissent de façon plus
ponctuelle dans la famille UA : POS-COP, COP-POS, NOM.INDEF-VBZ (le nom
indéfini étant un substantif avec peu de charge sémantique, 'dummy noun'
dans les termes de Stassen 2009 ; il signifie 'quelque chose, chose').

Nous retrouvons donc dans ces structures les mêmes éléments que dans
les constructions du chapitre IV ; c'est un argument de plus pour la
reconstruction du Schéma Génitif. L'importance des classificateurs nous
permet même de proposer l'existence d'un système de classification
possessive en PUA, avec les distinctions Aliénable/Inaliénable exprimée par
des suffixes, et Anime/Inanimé exprimée par des classificateurs.



Bibliographie

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Langacker, Ronald, 1987. Foundations of Cognitive Grammar, vol. 1,
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McMahon, April M.S., 1994. Understanding Language Change. Cambridge,
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Peyraube, Alain, 2002. "L'évolution des structures gramaticales". In:
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Stassen, Leon, 2009. Predicative Possession. New York: Oxford University
Press.

Waldman, Carl, 2009. Atlas of the North American Indian, 3rd Ed. NY: Facts
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