Jean-Charles Moretti, Myriam Fincker, « Un autel de Dionysos à Délos », BCH 132, 2008 (2010), p. 115-152

June 8, 2017 | Autor: Jean-Charles Moretti | Categoría: Ancient Greek Religion, Greek Architecture, Dionysus, Hellenistic Delos, Greek sanctuaries, Delos
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Descripción

BCH 132

2008 1 Études

É C O L E FR A N Ç A I S E D ' AT H È N E S B U L L E T I N

D E

C O R R E S P O N DA N C E

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B U L L E T I N DE CORRESPONDANCE HELLÉNIQUE

BCH 132 2008

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B U L L E T I N DE CORRESPONDANCE HELLÉNIQUE

1 Études

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B U L L E T I N DE CORRESPONDANCE HELLÉNIQUE

132.1 2008 Comité de rédaction : Dominique MULLIEZ, directeur Catherine AUBERT, adjointe aux publications COMITÉ DE LECTURE Le comité de lecture de l’École française d’Athènes est composé de trois membres de droit et de sept membres désignés par le conseil scientifique sur proposition du directeur. Sa composition actuelle est la suivante (conseil scientifique de l’École française d’Athènes du 27 novembre 2007) :

Membres de droit

- le directeur de l’École française d’Athènes : Dominique MULLIEZ - le directeur des études : Arthur MULLER - le responsable des études sur la Grèce et les Balkans aux époques moderne et contemporaine : Maria COUROUCLI

Membres désignés

Sont membres désignés des personnalités scientifiques françaises ou étrangères (mais francophones), reconnues et de dimension internationale. Le choix en est fait de manière à assurer la meilleure représentation possible des champs disciplinaires concernés. Leur mandat coïncide avec la durée d’un contrat quadriennal.

Olivier DESLONDES, Professeur des Universités, université Lyon 2-Lumière Emanuele GRECO, Directeur de l’École italienne d’Athènes Jean GUILAINE, Professeur au Collège de France Miltiade B. HATZOPOULOS, Directeur de recherche, Directeur du Centre de recherche sur l’Antiquité gréco-romaine (Fondation nationale de la recherche [EIE] - Athènes) - Catherine MORGAN, Directrice de l’École britannique d’Athènes - Jean-Pierre SODINI, Professeur émérite de l’université Paris 1 - Panthéon-Sorbonne - Georges TOLIAS, Directeur de recherche en histoire contemporaine, Institut de recherche néohellénique (Fondation nationale de la recherche [EIE] - Athènes)

-

Le comité de lecture fait appel en tant que de besoin à des experts extérieurs.

Révision des textes : EFA, Béatrice Detournay Traductions en grec : Pavlos Karvonis Traductions en anglais : Michael Wedde Réalisation en PAO : EFA, Guillaume Fuchs Impression et reliure : n.v. PEETERS s.a. © École française d’Athènes, 2010 6, rue Didotou GR - 10680 Athènes www.efa.gr Dépositaire : De Boccard Édition-Diffusion 11, rue de Médicis F - 75006 Paris www. deboccard.com

ISBN 978-2-86958-227-9 ISSN 0007-4217 Reproduction et traduction, même partielles, interdites sans l’autorisation de l’éditeur pour tous pays, y compris les États-Unis.

AVIS AUX LECTEURS Partageant une longue tradition, l’École française d’Athènes et la British School at Athens diffusent auprès de la communauté scientifique le résultat de l’activité archéologique conduite en Grèce et dans certaines régions du monde hellénique. Depuis 1920, l’École française d’Athènes consacre une partie du Bulletin de Correspondance hellénique à la chronique des travaux archéologiques réalisés en Grèce, à Chypre et, selon un rythme bisannuel, dans le Bosphore Cimmérien. De son côté, la British School at Athens compile un bilan annuel similaire, Archaeology in Greece, publié en association avec la Society for the Promotion of Hellenic Studies comme partie constitutive des Archaeological Reports depuis 1955. Chacune des deux institutions avait un double défi à relever : faire face à une documentation croissante, d’une part ; utiliser des outils plus performants pour mieux faire circuler l’information scientifique et en permettre une meilleure utilisation, d’autre part. - L’École britannique a accepté sans hésitation le projet d’un programme commun que lui a proposé l’École française d’Athènes et les deux institutions ont décidé d’unir leurs efforts, pour proposer depuis la fin de l’année 2009 une Chronique des fouilles en ligne consultable sur http://chronique.efa.gr. Outre les articles relatifs à des opérations de terrain ou relevant de l’archéométrie, le second fascicule du BCH ne comprendra donc plus désormais que les « Rapports sur les travaux de l’École française d’Athènes » proposés par les responsables de missions ou de programmes.

AVIS AUX AUTEURS Depuis la parution du BCH 130 (2006), les tirages à part sont fournis aux auteurs sous format électronique et sont uniquement destinés à une utilisation privée. L’École française d’Athènes conserve le copyright sur les articles, qui ne peuvent donc être mis en accès libre sur quelque base de données ou par quelque portail que ce soit. - L’ensemble de la livraison sera disponible sur le portail Persée trois ans après sa parution (www.persee.fr).

SOMMAIRE DE LA LIVRAISON Topographie et architecture Emmanuelle BENCHIMOL, Brigitte SAGNIER Un trésor archaïque du sanctuaire d’Apollon à Délos (Trésor 5) : étude architecturale

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Jean-Charles MORETTI, Myriam FINCKER Un autel de Dionysos à Délos

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Pavlos KARVONIS Les installations commerciales dans la ville de Délos à l’époque hellénistique

1-113

115-152

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153-219

Jean-François BOMMELAER Delphica 1, À nouveau les comptes de Delphes et la reconstitution du temple d’Apollon au IV e siècle av. J.-C.

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221-255

Amélie PERRIER La moisson et les pigeons. Note sur l’assise sommitale du pilier de Prusias à Delphes

257-270

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Épigraphie Mathilde DOUTHE, Nicolas KYRIAKIDIS Les archontes du nom de Kléophanès à Delphes : note de chronologie et d’épigraphie Manel GARCÍA SÁNCHEZ Les femmes et les amphores : épigraphie amphorique rhodienne et histoire de la femme dans le monde hellénistique

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271-282

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283-310

Pierre AUPERT, Pavlos FLOURENTZOS Un exceptionnel document à base cadastrale de l’Amathonte hellénistique. (Inscriptions d’Amathonte VII)

311-346

Pierre AUPERT Hélios, Adonis et magie : les trésors d’une citerne d’Amathonte. (Inscriptions d’Amathonte VIII)

347-387

Patrice HAMON Études d’épigraphie thasienne (I). Décret pour un historien thasien (fin du IIe s. ou début du Ier s. av. J.-C.)

389-401

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Nikolaos PETROCHEILOS Graffiti du Gymnase d’Andros

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Richard BOUCHON L’ère auguste : ébauche d’une histoire politique de la Thessalie sous Auguste Simone FOLLET, Dina PEPPAS DELMOUSOU Inscriptions du Musée épigraphique d’Athènes

403-426

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427-471

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473-553

Céramique Sabine FOURRIER Le dépôt archaïque du rempart Nord d’Amathonte. VI. Vases du « style d’Amathonte »

555-585

Anastasia YANGAKI Céramique glaçurée provenant de Nauplie et d’Argos (XIIe-XIIIe siècles) : observations préliminaires

587-616

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Paléopathologie Philippe CHARLIER, Christian LE ROY Les suppliciées de Fourni. Réexamen médico-légal et paléopathologie

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617-637

ÉTUDES

UN AUTEL DE DIONYSOS À DÉLOS

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Un autel de Dionysos à Délos Jean-Charles MORETTI* et Myriam FINCKER**

RÉSUMÉ

Le monument qui, à Délos, a été rendu célèbre par la restauration sur ses deux flancs de deux bases portant des phallus a été diversement interprété. Niche pour les uns, autel ou chapelle de Dionysos pour autres, il a été désigné comme un « Présentoir de monuments chorégiques » dans l'édition du Guide de Délos de Ph. Bruneau et J. Ducat parue en 2005. L'analyse de ses vestiges conduit à y reconnaître un autel, consacré à Dionysos, dans les premières décennies de l'Indépendance, voire, plus précisément, dans les environs de 280 av. J.-C. Dérivé du type de l'autel à antes, il a été associé à diverses statues consacrées au dieu. L'identification permet de mieux cerner l'histoire du lieu de culte consacré à Dionysos au Nord-Est du sanctuaire d'Apollon.

ΠEPIΛHΨH

΄Ενας βωμός του Διονύσου στη Δήλοu Το μνημείο της Δήλου, που έγινε διάσημο από την αναστύλωση δύο βάσεων που φέρνουν φαλλούς στις δύο πλευρές του, προκάλεσε διάφορες ερμηνείες. Κόγχη σύμφωνα με κάποιους, βωμός ή ναΐσκος του Διονύσου, σύμφωνα με άλλους, χαρακτηρίστηκε ως « Προθήκη χορηγικών μνημείων » στην έκδοση του Οδηγού της Δήλου των Ph. Bruneau και J. Ducat, που δημοσιεύτηκε το 2005. Η ανάλυση των ερειπίων οδηγεί στην ταύτισή του με βωμό, αφιερωμένο στο Διόνυσο, κατά τις πρώτες δεκαετίες της Ανεξαρτησίας, ή, για να είμαστε πιο ακριβείς, γύρω στο 280 π.Χ. Προερχόμενος από τον τύπο βωμού με παραστάδες, συσχετίστηκε με διάφορα αγάλματα αφιερωμένα στο θεό. Η ταύτιση επιτρέπει να κατανοήσουμε καλύτερα την ιστορία του τόπου λατρείας του Διονύσου στα Βορειοανατολικά του ιερού του Απόλλωνα.

SUMMARY

An altar of Dionysos at Delos The monument which, at Delos, has obtain notoriety through the restoration on its two sides of two bases supporting phalluses has been variously interpreted. Niche for some, altar or chapel of Dionysos for others, it is designated as a "Podest for choregic monuments" in the Ph. Bruneau and J. Ducat edition of the Guide de Délos which appeared in 2005. An analysis of the remains leads to recognizing an altar, dedicated to Dionysos in the first decennies of Independence, or, more precisely, around 280 BC. Derived from the altar type with antae, it has been associated with various statues consecrated to the god. The identification permits a better grasp of the history of the cult-site dedicated to Dionysos to the north-east of the sanctuary of Apollon.

* Chercheur de l'Institut de recherche sur l'architecture antique du CNRS, université de Lyon, MOM. ** Architecte de l'Institut de recherche sur l'architecture antique du CNRS, université de Pau et des pays de l'Adour, IRSAM.

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Abréviations bibliographiques : BRUNEAU, CDH = Ph. BRUNEAU, Recherches sur les cultes de Délos à l'époque hellénistique et à l'époque impériale, BEFAR 217 (1970). EAD II compléments = R. VALLOIS, G. POULSEN, Nouvelles recherches sur le Salle hypostyle (1914). EAD V = F. COURBY, Le Portique d'Antigone ou du Nord-Est (1912). EAD XVIII = W. DEONNA, Le mobilier délien (1938). EAD XX = F. ROBERT, Trois sanctuaires sur le rivage occidental (1952). EAD XXII = E. WILL, Le Dôdékathéon (1955). EAD XL = Ph. BRUNEAU, Ph. FRAISSE, Le Monument à abside et la question de l'Autel de cornes (2002). EAD XLII = Ph. FRAISSE, J.-Ch. MORETTI, Le théâtre (2007). ÉTIENNE, Colloque Lyon 1988 = R. ÉTIENNE, « Espaces sacrificiels et autels déliens », dans R. ÉTIENNE, M.-Th. LE DINAHET (éds), L'espace sacrificiel dans les civilisations méditerranéennes de l'Antiquité, Actes du colloque de Lyon, 4-7 juin 1988 (1991), p. 75-84. —, Hommage Roux = R. ÉTIENNE, « Autels à Délos : deux points de topographie », dans R. ÉTIENNE, M.-Th. COUILLOUD (éds), Architecture et poésie dans le monde grec, hommage à G. Roux (1989), p. 39-50. GD = Ph. BRUNEAU, J. DUCAT, Guide de Délos4, SitMon 1 (2005). MARCADÉ, MD = J. MARCADÉ, Au musée de Délos, BEFAR 215 (1969). MORETTI, 8E(MSRYZW ME= J.-Ch. MORETTI, «8E(MSRYZW MEXL(LZPSYLTSQTLZSMEK[ZRIOEMXEEREQRLWXMOEZ QRLQIMZEX[RRMO[ZR », à paraître dans Y. LOLOS, Y. VARALIS, Chr. ZAPHEIROPOULOS (éds),3OSZWQSQME WOLRLZXSUIZEQEWXLREVGEMSZXLXE

OHNESORG, IA = A. OHNESORG, Ionische Altäre. Formen und Varianten einer Architekturgattung aus Insel- und Ostionien (2005). ROUSSEL, DCA = P. ROUSSEL, Délos colonie athénienne, BEFAR 111 (1916), réimpr. augm. de compléments bibliographiques et de concordances épigraphiques par Ph. BRUNEAU, M.-Th. COUILLOUD-LE DINAHET, R. ÉTIENNE (1987). SD = A. HERMARY, Ph. JOCKEY, Fr. QUEYREL, sous la direction de J. MARCADÉ, Sculptures déliennes (1996). VALLOIS, AHHD I = R. VALLOIS, L'architecture hellénique et hellénistique à Délos, I. Les monuments (1944). VIAL, DCA = Cl. VIAL, Délos indépendante, BCH Suppl. X (1984). Les photographies et les dessins qui illustrent l'article ont été réalisés par les auteurs avec la participation de L. Fadin (topographe de l'EFA), V. Mathé (doctorante IRAA - université de Lyon) et V. Picard (dessinatrice à l'IRAA - Pau), qui a aussi participé à la mise au net de l'illustration. Font exception les photographies des sculptures A 3189, 4122 et 4123 de la fig. 17 qui sont dues à Ph. Collet (photographe de l'EFA). Tous ces documents sont conservés à la photothèque et à la planothèque de l'EFA. Nous remercions N. Bresch, M. Brunet et B. Holtzmann pour leurs conseils. BCH 132 (2008)

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À la fin de l'époque hellénistique, le sanctuaire d'Apollon à Délos était limité vers l'Est par un mur de péribole rectiligne associé à son extrémité septentrionale à de petits propylées (fig. 1). Au-delà de cet accès, vers le Nord, en retrait par rapport à la direction du péribole, un mur auquel sont adossées trois exèdres (GD 27) et le flanc oriental du Portique d'Antigone constituaient la limite du sanctuaire (fig. 2). L'ensemble est longé par une rue appelé par les modernes « Rue du péribole » ou « Rue de l'Est ». Elle fut fouillée avec une partie des constructions qui la bordent entre 1904 et 19071. À son extrémité méridionale

Fig. 1. — Plan de la partie centrale de la ville de Délos au 1/5000.

1.

L. BIZARD, « Fouilles de Délos exécutées aux frais de M. le duc de Loubat (1904-1907). Le côté oriental du téménos d'Apollon. I. Description des ruines », BCH 31 (1907), p. 471-503. BCH 132 (2008)

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Fig. 2. — Plan de situation de l'autel au 1/400 (extrait de l'Atlas de Délos).

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se trouve la Maison de Kerdôn (GD 83) et à son extrémité septentrionale un établissement de bains (Maison F), devant lequel se dresse un édifice d'une forme peu banale, GD 81 (fig. 3 et 4). La restauration sur ses flancs de deux piédestaux portant de grands phallus en marbre lui attire de nombreux visiteurs, mais sa destination reste incertaine. Niche pour les uns, autel ou chapelle de Dionysos pour autres, il a été désigné comme un « Présentoir de monuments chorégiques » dans la quatrième édition du Guide de Délos de Ph. BRUNEAU et J. DUCAT parue en 20052. L'invitation faite à l'un de nous (J.-C. M.) de venir parler à l'université de Volos en février 2007 des Dionysies déliennes nous a conduits à reprendre l'étude du monument pour en préciser la configuration et la destination. L'hypothèse selon laquelle il s'agirait d'un autel consacré à Dionysos paraît la plus probable. Nous l'avions avancée dans notre communication sans détailler les arguments qui la fondent ni développer les conséquences d'une telle identification3. C'est à quoi est consacré le présent article.

Fig. 3. — L'autel vu du Sud-Ouest avec, au premier plan, le monument de Karystios. 2.

3.

L. BIZARD, G. LEROUX, BCH 31 (1907), p. 498-502, identifient la construction comme une niche, qui était le siège d'un culte dionysiaque et la date entre la fin du IIe et le début du Ier s. ; Ch. PICARD, CRAI 1944, p. 136-141 et « Statues et ex-voto du “stibadeion” dionysiaque de Délos », BCH 68-69 (19441945), p. 240-270, y voit un stibadeion dionysiaque ; ROUSSEL, DCA, p. 235-236, la considère comme une niche qui était un « petit hiéron dionysiaque » ; N. M. KONDOLÉON, « (LPMEOSZR]LZJMWQE» AD 14 (1931-1932) [1935], p. 84-89 et 3HLKSZXLZ(LZPSY(1950), p. 61 l'interprète comme un possible autel de Dionysos ; VALLOIS, AHHD I, p. 75-76 la présente comme une « loge dionysiaque » construite à la fin du IIe s. ; G. M. SIFAKIS, Studies in the History of Hellenistic Drama (1967), p. 7-8, suit l'interprétation de Ch. Picard ; MARCADÉ, MD, p. 188, n. 4 conteste la critique faite par R. Vallois de l'hypothèse de N. M. Kondoléon ; BRUNEAU, CDH, p. 296-304, fournit une description détaillée du monument en y distinguant deux états : une plate-forme pour monuments chorégiques, contemporaine de l'ex-voto de Karystios, aurait été transformée à l'époque athénienne en chapelle dionysiaque avec la construction des murs Nord, Est et Sud ; GD 81. MORETTI,8E(MSRYZW ME. BCH 132 (2008)

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Fig. 4. — L'autel vu du Nord-Ouest.

I. L'ARCHITECTURE DE L'AUTEL La construction se présente comme une plate-forme, d'environ 7,50 m Nord-Sud sur 3,20 m Est-Ouest, portant une large paroi en pi (fig. 5 à 7). Devant sa façade se développent deux marches d'extensions différentes. La première, devant laquelle court un caniveau, est en granit ; l'autre est en marbre, à l'exception de son extrémité méridionale qui est en granit et en gneiss. Dans le prolongement de la façade, deux excroissances portent les deux bases des phallus. Un court muret est adossé à la partie postérieure du flanc méridional et une construction en gamma relie l'excroissance septentrionale à la paroi du fond. Tous ces éléments ne sont pas liés entre eux. La première marche, l'extrémité méridionale de la seconde et les deux murets placés sur les flancs de la plate-forme ne sont pas associés au reste (fig. 8 A). Ils ont été ajoutés à une construction dont nous décrivons ci-dessous les vestiges, en commençant par les fondations, avant d'en proposer une restitution. 1. LES VESTIGES ET LA RESTITUTION DE L’ÉTAT INITIAL Les vestiges du corps central Un blocage de moellons de gneiss, de granit et de marbre porte, en retrait, une assise de blocs de granit gris formant podium. Elle a une hauteur moyenne de 22 cm sous la marche de marbre ; de 44 cm en façade de la plate-forme et des excroissances ; et de 32 cm à la face

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Fig. 5. — Axonométrie de l'autel, du Sud-Ouest, au 1/75.

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Fig. 6. — Élévation de la façade de l'autel au 1/50.

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Fig. 7. — Plan de l'autel au 1/50.

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Fig. 8. — A. Plan simplifié de l'autel au 1/75. Les cotes sont indiquées en centimètre. Les éléments n'appartenant pas au premier état sont représentés en grisé et les lignes incisées en pointillé. B. Plan simplifié de l'autel avec superposition d'une trame de carrés de 2 pieds de côté. 1' = 31 cm. BCH 132 (2008)

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postérieure du monument, où des empilements de plaquettes de gneiss alternent avec les granits. En façade, le degré en saillie qui formait initialement la première marche est composé de deux longues pièces du marbre extrait de la carrière située en bord de mer au Sud-Est du Cynthe. Il est décalé vers le Sud de 21,5 cm par rapport à l'axe Est-Ouest de la plate-forme. Le marbre qui est au Nord repose directement sur la fondation de granit. L'autre, qui est un peu moins haut, porte sur des plaquettes de gneiss. Leurs lits supérieurs, qui sont au même niveau, se trouvent de 60 à 64 cm au-dessus du lit de pose de l'assise de granit. Ils ont été usés par les pas, à l'exception d'une zone piquetée en bordure de l'arête postérieure qui devait être couverte par une autre marche. Sur le bloc qui est au Sud, une surface rectangulaire a été aplanie pour fixer dans un second temps un élément scellé à sa base par deux goujons prenant place dans deux mortaises à canal de coulée. Une assise de plaques de gneiss occupe toute la façade de la plate-forme dans le prolongement de la marche de marbre. De petites plaquettes placées sur l'assise de granit ont permis d'en aligner le lit supérieur sur son giron. Dans sa partie médiane, l'assise a une profondeur moyenne de 60 cm. Elle est un peu plus forte aux deux extrémités, où sont placées deux grandes plaques. Celle qui est au Nord (prof. : 1,15 m) est flanquée vers le Nord par une plaque étroite qui se prolonge sur l'excroissance septentrionale et vers le Sud par une plaque plus courte, qui est brisée4. Celle qui est au Sud (prof. : 0,96 m) est associée à trois autres gneiss plus petits qui la bordent sur toute sa profondeur. Le débord vers le Sud par rapport au nu de l'élévation est important (21 cm) et s'estompe vers l'Est. Il porte sur l'assise de granit du podium, ce qui n'est pas le cas au Nord où le gneiss est en porte-à-faux. Trois entailles rectilignes marquent, au lit supérieur des plaques de gneiss, l'emplacement de l'assise qu'elles portaient (fig 7, 8 A et 9). Aux extrémités de la façade, en retrait de 10 à 14 cm par rapport à l'arête antérieure, soit de 57 à 64 cm par rapport au nez de la marche de marbre, deux lignes gravées courent entre le prolongement des flancs de la marche de marbre et les parois latérales de la construction. Les parois latérales faisaient donc retour sur des longueurs inégales, pour flanquer le degré prolongeant la marche de marbre conservée5. Une autre ligne, très courte, est située à 41 cm en retrait de la première, du côté Sud. Elle marque l'emplacement de la face postérieure de l'assise formant ce second degré. Aux flancs et à l'arrière de la plate-forme s'élève une paroi épaisse de 0,75 m et haute d'1 m environ. Son parement externe est principalement fait de grands blocs de granit et de gneiss finement parés et assemblés au mortier de terre. Le parement est particuliè-

4.

5.

Cette plaque brisée n'apparaît pas sur le relevé de 1904 publié dans le BCH 31 (1907), pl. XIV, mais elle semble en place sur le cliché reproduit fig. 16, en regard de la p. 498. On peut se demander si elle est à sa place originelle. Sa parfaite convenance à l'espace qu'elle occupe dans l'assise et l'entaille qu'elle porte nous font penser qu'elle y est ou qu'elle y a été replacée à juste titre. Ainsi que l'avait déjà noté L. BIZARD, BCH 31 (1907), p. 498. BCH 132 (2008)

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Fig. 9. — Les plaques gneiss de la façade de l'autel à leur extrémité Sud, de l'Est. Les flèches indiquent l'emplacement des entailles.

rement soigné sur les flancs (fig. 3 et 10). La face interne de la paroi est faite de blocs plus petits, de gneiss principalement (fig. 11). Elle n'est pas parée, sauf au flanc Sud, qui est le produit d'une restauration moderne. Son ordonnance est caractéristique des contre-parements destinés à soutenir un remplissage. Les têtes des branches latérales ne sont pas conservées. Au Nord, la construction est en retrait de 18 cm par rapport à l'entaille qui parcourt la plaque de gneiss angulaire. La profondeur convient pour la restitution d'un orthostate de marbre. De chaque côté on remarque à la base du contre-parement un moellon faisant retour vers l'intérieur du monument, vestige des retours flanquant la seconde marche. Toute la surface comprise entre les trois branches de la paroi et les plaques de gneiss de la façade a été bétonnée. L'excroissance méridionale et le monument de Karystios (fig. 3, 5 à 7 et 10) Les deux excroissances qui prolongent la façade ne sont pas exactement symétriques. Celle qui se trouve du côté méridional comporte au niveau du podium un carreau de granit sur sa face occidentale et un autre sur sa face orientale. Vers le Sud, trois assises de gneiss forment la tête, alors que l'on attendrait une autre pièce de granit, telle qu'il s'en trouve, nous le verrons, du côté Nord. Or, le blocage de fondation sous l'assise de granit se

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Fig. 10. — Élévation du flanc Sud de l'autel au 1/50.

Fig. 11. — La face interne de la paroi Est de l'autel, du Nord. BCH 132 (2008)

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poursuit sur une quarantaine de centimètres au-delà de la tête actuelle : dans un premier temps, l'excroissance avait donc sans doute une longueur plus importante et un bloc de granit en tête. L'excroissance du podium amputée et complétée avec des gneiss a au lit supérieur une surface de 78 cm Est-Ouest sur 94 cm Nord-Sud, en débord du nu de la paroi latérale. Elle porte la base et le piédestal de marbre du monument chorégique de Karystios6. La base a été trouvée en place7. Elle s'adapte parfaitement aux dimensions de son podium et son flanc septentrional est plaqué contre la grande plaque de gneiss qui est à l'angle SudOuest de la plate-forme. Le piédestal a été découvert renversé près de la fondation. La base (0,73 m Nord-Sud x 0,715 m Est-Ouest ; ht. : 0,185 m) est creusée au lit d'attente d'une grande mortaise dans laquelle s'encastre le tenon du lit de pose du piédestal (0,54 m Nord-Sud x 0,406 m Est-Ouest au lit de pose ; ht. : 1,285 m). Celui-ci est orné de trois bas-reliefs représentant Dionysos et une Ménade accompagnés de Pan au flanc Nord, Dionysos et une Ménade accompagnés d'un Silène au flanc Sud, et, en façade, un oiseau à tête de phallus, image de la statue qui était portée en procession sur un char lors des Dionysies. Sous cette représentation se trouve la dédicace IG XI 4, 1148 par laquelle Karystios commémorait les victoires qu'il avait remportées en assumant la chorégie dans les trois disciplines financées lors des Dionysies par des chorèges : le chœur d'enfants, le chœur tragique et le chœur comique. Ces trois victoires avaient été acquises durant trois années différentes. Le style de l'écriture et celui des reliefs ont conduit à dater le monument des environs de 300 av. J.-C. La face postérieure de la base comme celle du piédestal sont grossièrement taillées à la pointe. Au lit d'attente du piédestal est creusée une cuvette ovale destinée à recevoir une statue de marbre (dimensions en plan : 30 x 31 cm ; prof. : 7,5 cm). Elle ne correspond pas au tenon du phallus qui a été trouvé près des Exèdres Nord-Est et placé sur le piédestal8 (dimensions du tenon : ± 20 x 31 cm ; ht. : 9 cm). La base de Karystios n'appartient donc pas au premier état du monument9. Elle a été placée en reprise sur son excroissance méridionale dans une position qui n'avait pas été

6.

7. 8. 9.

Sur ce monument, voir L. BIZARD, P. ROUSSEL, BCH 31 (1907), p. 430-431, no 22 ; L. BIZARD, BCH 31 (1907), p. 499-502 ; L. BIZARD, G. LEROUX BCH 31 (1907), p. 504-511 ; P. ROUSSEL, IG XI 4, 1148 ; R. VALLOIS, BCH 46 (1922), p. 99-100 ; EAD XVIII, p. 347-348 ; G. M. SIFAKIS, Studies in the History of Hellenistic Drama (1967), p 8 et 37 ; MARCADÉ, MD, p. 187-189 ; BRUNEAU, CDH, p. 298-299 ; SD, p. 180-181 ; EAD XLII, p. 223-224 ; MORETTI, 8E(MSRYZW ME. Le carnet de fouille de L. Bizard conservé aux archives de l'EFA (Délos 2C - Dél. 23) le précise p. 51. Voir aussi L. BIZARD, BCH 31 (1907), p. 499. MORETTI, 8E(MSRYZW ME. L'hypothèse d'un déplacement de la base de Karystios fut faite dès la première publication : L. BIZARD, BCH 31 (1907), p. 502.

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conçue pour elle et qui ne lui était pas entièrement favorable. Le relief placé du côté Nord du piédestal était totalement caché par le flanc Sud du corps central de l'édifice. La base ne portait pas le phallus qui lui a été restitué, ni probablement une autre statue de ce type. La cuvette d'encastrement au lit d'attente de la base laisse attendre une statuette de marbre à plinthe représentant un homme ou un dieu. L'excroissance septentrionale (fig. 4 à 7) L'excroissance septentrionale est composée au niveau du podium de trois carreaux de granit, deux pièces Nord-Sud et une pièce de tête. La surface au lit d'attente est plus longue et moins profonde que celle qui porte le monument de Karystios. Elle mesure, par rapport au nu de la paroi latérale, 1,05 m Nord-Sud sur 0,67 m Est-Ouest. Elle est couverte d'une pièce de granit rose (0,92 m Nord-Sud x 0,62 m Est-Ouest ; ht. : ± 0,20 m) qui a été trouvée en place, mais qui ne semble pas, tout comme le monument de Karystios, avoir été située là dès le premier état du monument. Pour mettre en place le bloc de granit, il a en effet fallu échancrer la plaque de gneiss de l'angle Nord-Ouest de la plate-forme. Sur le granit a été remonté un monument composite en marbre dont les éléments ont été découverts dans cette zone, mais dont la restitution à l'excroissance septentrionale est sans doute erronée10. Une base (0,70 m Nord-Sud x 0,50 m Est-Ouest ; ht. : 0,20 m) grossièrement piquetée sur ses flancs, ainsi qu'il convient pour les éléments placés en terre, reçoit dans la cuvette de scellement qui est creusée à son lit d'attente, la partie basse d'un piédestal qui s'y adapte parfaitement. Haut de 1,213 m, il est évasé à sa base et à son sommet (fig. 17 : piédestal anépigraphe). La face postérieure est plane, grossièrement piquetée. La face antérieure ne porte aucune inscription. Au lit d'attente a été fixé un phallus qui ne paraît pas s'y adapter. On reste donc dans l'ignorance de la nature et de la forme de ce que portait l'excroissance septentrionale11. La restitution de l'état initial (fig. 12 et 13) L'absence de parement à la face interne de l'épaisse paroi en pi portée par la plate-forme et l'absence de fondation (ou du moins de fondation visible) au pied de ce contre-parement interdisent de reconnaître dans l'ouvrage un muret et donc de s'orienter vers la restitution d'un autel à enclos, qui aurait pu trouver un bon parallèle dans l'autel associé au temple d'Artémis à Sardes avec ses retours dissymétriques en façade et ses consécrations plaquées

10.

11.

Sur ce monument, qui a été remonté peu avant 1922, voir R. VALLOIS, BCH 46 (1922), p. 100 ; EAD XVIII, p. 348 ; BRUNEAU, CDH, p. 299 ; MORETTI, 8E(MSRYZW ME. Le piédestal apparaît au Nord de GD 81, au pied du Mur de Triarius, sur un cliché pris pendant la fouille et publié dans le BCH 31 (1907), fig. 7 en regard de la p. 481. Voir aussi le cliché de 1906 publié dans Albert Gabriel, un architecte français à Délos au temps de la Grande fouille 1908-1911 (2008), p. 19. P. Roussel a proposé de restituer à cette excroissance le tout petit fragment portant l'épigramme IG XI 4, 1294, qui a été trouvé dans le monument : ROUSSEL, DCA, p. 235 ; MARCADÉ, MD, p 188. BCH 132 (2008)

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devant la façade et le long du flanc Nord12. Il faut aussi écarter les restitutions qui feraient de la paroi conservée la base d'un mur porteur, ce qui condamne l'hypothèse d'un monument couvert à colonnade en façade, tel qu'il en existe dans l'architecture chorégique13. L'identification de la paroi en pi comme un ouvrage de soutènement conduit à restituer un remplissage dans sa partie centrale et une paroi en façade pour le contenir. Cette façade devait être en marbre, ce qui explique qu'elle ait été entièrement démontée et qu'elle n'ait pas été structurellement associée aux parois de gneiss et de granit. La structure de l'assise de plaques de gneiss de la façade et les entailles qui la parcourent rendent vraisemblable la restitution de deux courts retours dissymétriques flanquant un degré, complétant la marche en place. Sur les fondations, il y a la place pour une deuxième marche, servant de prothysis. Elle avait un giron un peu plus profond que celui de la marche conservée et portait, en queue, une paroi d'orthostates placée en retrait entre les deux retours. Le plan du monument ainsi restitué est celui d'un autel « à antes » ou, plus exactement, « à retours », avec une bordure tout autour de la table sauf dans la zone où se développaient les deux marches de l'escalier. L'orientation du monument vers l'Est14 n'a rien que d'attendu : c'est l'orientation de presque tous les autels de Délos, à commencer par l'Autel de cornes15. Seuls deux des autels de Délos - et ils sont tous deux archaïques font assurément ou très probablement exception : l'autel de GD 68, qui, comme le temple auquel il est associé, est tourné vers le Nord ; et celui de l'Artémision qui, d'après la structure de ses fondations, semble lui aussi avoir regardé vers le Nord 16. Les autres exemples parfois évoqués sont plus douteux. L'autel de Zeus Polieus et Athéna Polias (GD 23 E) a été diversement orienté : vers le Sud dans la dernière restitution publiée ou vers l'Est, ce qui paraît mieux convenir à ses fondations17. L'autel du Sanctuaire du

12. 13.

14. 15. 16.

17.

Voir sur cet autel la mise au point de M. ΣAHIN, Die Entwicklung der griechischen Monumentalaltäre (1972), p. 60-61. M. KORRES, AD 35 (1980) [1988], B' 1, Chron., p. 14-18 ; H. R. GOETTE, « Mausoleum oder choregisches Weihgeschenk? », dans M. FANO SANTI (éd.), Studi di archeologie in onore di Gustavo Traversari (2004), p. 463-476. C'est à un édifice de ce type que nous (J.-C. M.) songions quand nous avions proposé pour le Guide de Délos l'appellation de « Présentoir de monuments chorégiques ». Nous entendons par orientation la direction vers laquelle était tourné le sacrifiant. Cf. Vitruve, IV 9, 1 : arae spectent ad orientem (voir aussi IV 5, 1). Voir OHNESORG, IA, p. 77 et 220. La restitution vers le Nord adoptée par R. ÉTIENNE, Ph. FRAISSE, BCH 113 (1989), p. 451-466, a été critiquée par OHNESORG, IA, p. 74-78. Si tout n'est pas sûr dans la restitution de R. Étienne et Ph. Fraisse (selon l'avis de R. ÉTIENNE, AA 2007, p. 2, « il faudrait une nouvelle étude des blocs » pour trancher entre les deux restitutions proposées), la structure de la fondation rend du moins très probable l'orientation vers le Nord. GD, dépliant II, comme OHNESORG, IA, p. 62-66 et 220, restitue une orientation vers l'Est, qui est celle de tous les autres autels de ce secteur. R. ÉTIENNE, J.-P. BRAUN, AA 2007, p. 17 adopte une orientation vers le Sud.

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Fig. 12. — Axonométrie combinant l'état actuel (au Sud) et la restitution (au Nord) de l'autel au 1/75.

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Fig. 13. — Restitution axonométrique des trois états de l'autel, du Sud-Ouest. BCH 132 (2008)

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bastion est réputé regarder vers le temple auquel il est associé, c'est-à-dire vers l'Ouest18, mais il pourrait tout aussi bien, d'après ses vestiges, avoir regardé vers l'Est. La restitution sur la Place du théâtre d'un autel qui aurait été orienté vers l'Ouest, tournant le dos au théâtre, mériterait d'être confirmée par une nouvelle étude 19. L'association de la construction qui nous occupe à la dédicace de Karystios conduit à y reconnaître un autel consacré à Dionysos. Cet autel présente trois singularités. La première réside dans ses matériaux de construction. Il a été édifié, au moins pour la partie conservée, avec des matériaux locaux et ses parois latérales et postérieure étaient en gneiss et en granit. La plupart des autels de Délos avaient une crépis et un corps faits de marbre, le plus souvent importé, que l'on songe aux autels érigés à l'Ouest du Prytanée, à celui d'Artémis, à l'autel anonyme de GD 68, à celui d'Aphrodite, à celui d'Héra ou à celui des Dioscures20. Ce choix de matériaux locaux s'explique sans doute à la fois par la modestie du financement et par la personnalité du commanditaire, dans lequel on reconnaîtra la cité de Délos, comme dans tous les autres monuments où le marbre de la carrière exploitée au Sud-Est du Cynthe a été employé21. Un seul autel monumental délien est comparable par la modestie de ses matériaux à celui de Dionysos : l'autel semi-circulaire à antes associé à un édifice à salles de banquet qui se trouve à l'Est de l'Agora des Italiens et au Nord du Sanctuaire du bastion (fig. 14). Le parement de la table est construit en granit et en gneiss avec quelques rares moellons de marbre. Une tête d'ante est plaquée en marbre, l'autre en granit. L'ensemble était couvert de stuc. La deuxième singularité de l'autel réside dans les excroissances qui prolongent le podium en façade. L'association plus ou moins étroite à des autels de monuments votifs est fréquente et les Grecs ont aussi bien combiné des consécrations récentes à des autels anciens que d'anciennes consécrations à de nouveaux autels. À Délos même, les deux pratiques sont attestées, la première par les deux colonnes légèrement dissymétriques qui furent érigées dans la première moitié de l'Indépendance devant les antes de l'Autel de cornes, dont l'état le plus ancien remonte au moins à la première moitié du Ve siècle22, et 18. 19.

20. 21. 22.

OHNESORG, IA, p. 92-93. Cette orientation de l'autel est adoptée par R. ÉTIENNE, J.-P. BRAUN, BCH 119 (1995), p. 63-87. Mais convient-il d'accepter la restitution des blocs de marbre de l'autel à antes trouvés dans la Citerne du théâtre à la fondation GD 116 d ? C'est ce dont on est en droit de douter au vu de la médiocre adéquation de l'élévation restituée à la fondation (voir BCH 119 [1995], p. 85). Le monument attendu sur cette fondation devait ouvrir vers l'Est, formant la limite occidentale de la partie de la Place du théâtre qui s'étendait au Sud du bâtiment de scène et qui était limitée par le sanctuaire de Dionysos, Hermès et Pan (GD 116 c), par le petit temple d'Apollon (GD 116 b) et par le mur de la parodos méridionale. L'étude est à reprendre avec celle de l'ensemble des édifices de la bordure méridionale de la place. Une liste des autels de Délos a été dressée par ÉTIENNE, Colloque Lyon 1988, p. 80-84. J.-Ch. MORETTI, RA 1998, p. 258. Elles ont été publiées avec l'Autel de cornes dans l'EAD XL, p. 42-44. BCH 132 (2008)

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Fig. 14. — Autel à antes à l'Est de l'Agora des Italiens et au Nord du Sanctuaire du bastion. Vue du Sud en surplomb.

la seconde par le kouros qui, dans le Quartier Nord, fut placé près de l'autel de marbre bleu du milieu ou de la seconde moitié du IIIe siècle23. Il est en revanche exceptionnel que des bases soient structurellement liées à un autel. Aucune des deux bases qui ont été restaurées sur les excroissances de l'autel de Dionysos n'appartient à son premier état. Plusieurs hypothèses - et elles ne s'excluent pas l'une l'autre - peuvent être avancées pour la restitution des objets qui trouvaient place sur les excroissances dans le premier état. 1. La première est celle de statues précédemment consacrées à Dionysos, du type de celle qui fut offerte par Karystios et qui fut placée dans un second temps sur l'excroissance méridionale. La construction de l'autel, qui a peut-être eu un prédécesseur, aurait été l'occasion d'une réorganisation des offrandes et deux d'entre elles auraient été choisies pour flanquer la nouvelle construction. Les transferts d'offrandes mentionnés dans les comptes des gestionnaires du Sanctuaire sont fréquents. L'un d'eux, daté de 250, se réfère probablement à des consécrations faites à Dionysos. Il concerne le déplacement de phallus, payé 23.

G. FOUGÈRES, BCH 11 (1887), p. 247 ; VALLOIS, AHHD I, p. 69.

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2 drachmes et 5 oboles à un certain Léôphakos : 0I[JEZO[MXSYJEPPSY QIXEUIZRXMGG%%%%% (IG XI 2, 287, A, l. 119). 2. Autre hypothèse : l'une des excroissances aurait porté une statue représentant Dionysos lui-même, statue qui est attestée par deux inscriptions. La plus ancienne est un compte de 272 ou 271, dans lequel les hiéropes enregistrent le paiement de deux drachmes à une personne « qui s'est occupée du revêtement de la rue qui conduit au Dionysos » pour le passage du char de la phallophorie des Dionysies (IG XI 2, 219, A, l. 20 : žXLRS.HSRWXV[ZŸWERXMXLRINTM(MSZRYWSRGG . L'autre est un décret, pris en 202, pour que soit assurée la propreté du lieu qui est devant le Dionysos (S.XSZTSS.TžVSŸX[ Mž(MSŸRYZW[M) et celle du sanctuaire de Létô24. La langue des inscriptions déliennes n'interdirait pas de penser que le terme (MSZRYWS désigne le sanctuaire du dieu, mais l'hypothèse ne peut être retenue pour le décret de 202, d'une part parce qu'il aurait été étonnant que l'on ne se souciât point dans ce texte de la propreté du sanctuaire de Dionysos, d'autre part parce que le sanctuaire de Létô, dont le règlement tend à prévenir la souillure par des ordures25, y est appeléXSXIZQIRSXSXLD0LXSYD(MSZRYWS désigne dans ce texte, et probablement aussi dans le compte IG XI 2, 219, une statue bien visible du dieu, « quelque pierre ou quelque billot de bois évoquant plus ou moins la forme d'un phallos et tenu dès la haute Antiquité pour une idole de Dionysos 26». 3. Troisième hypothèse : l'une ou les deux excroissances auraient porté des perirrhantèria, comme on en a restitué à Délos devant les antes de l'autel du Dioscourion27. 4. Dernière hypothèse : les excroissances auraient servi de bases à des stèles portant des règlements du culte de Dionysos. Le bloc de granit dans lequel est scellé le décret de 202 a une surface de 95 cm Nord-Sud sur 55 cm Est-Ouest qui s'apparente à celle de l'excroissance septentrionale. La dernière singularité de l'autel réside dans la disposition de sa façade avec des marches qui n'occupaient pas toute la longueur de l'édifice, qui étaient légèrement désaxées vers le Sud et dont la seconde était flanquée de retours dissymétriques. Une telle étrangeté pourrait s'expliquer soit par la présence d'un élément qui, du côté Nord, aurait 24. 25.

26. 27.

BRUNEAU, CDH, p. 305. Voir ci-dessous p. 139. On peut se demander si des ordures n'étaient pas jetées dans le Lac, qui appartenait sans doute au sanctuaire de Létô. Le décret constituerait alors la première attestation du comblement de la partie méridionale de la nappe d'eau, qui fut achevé et systématisé à la fin du IIe s. pour la construction de l'Agora des Italiens. Citation de J. Marcadé à propos du modèle supposé des phallus offerts en ex-voto à Dionysos : MD, p. 188. Sur les inscriptions mentionnant le Dionysos, voir EAD XLII, p. 219-220. EAD XX, p. 20. BCH 132 (2008)

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été placé dans l'angle rentrant formé par le retour et par l'escalier, soit par celle de deux éléments dissymétriques installés sur les retours. Les hypothèses que nous avons formulées à propos des excroissances s'appliqueraient alors aussi à la nature des éléments portés par les retours de la paroi de l'autel. Malgré la dissymétrie des excroissances, de l'emmarchement et des retours de la paroi périphérique, le plan de l'autel paraît avoir été réalisé sur la base d'un tracé géométrique simple utilisant pour unité de mesure un pied de ca 31 cm (fig. 8 B). La longueur NordSud de la plate-forme (7,46 à 7,50 m) est équivalente au double de la profondeur cumulée de la plate-forme et de la marche de marbre (3,67 à 3,74 m). La longueur projetée aurait donc été de 24', soit 7,44 m et la profondeur de 12', soit 3,72 m. La dimension de 2', soit 62 cm, apparaît à la fois en plan, dans la distance entre le nez de la marche de marbre et la face des retours, et en élévation, dans la différence de niveau entre le lit de pose de l'assise de podium et le giron de la première marche en marbre. La restitution que nous proposons tient compte de l'unité de mesure mise en évidence : la hauteur de la table est de 3' au-dessus de la seconde marche et celle de la bordure au-dessus de la table de 1'. 2. LES MODIFICATIONS APPORTÉES À L’ÉTAT INITIAL Plusieurs constructions sont venues s'adosser et compléter l'autel initial (fig. 8 A). Comme nous en ignorons la chronologie relative, nous les présentons ensemble. - En façade, un court degré de trois blocs de granit (L : 2,04 m) posant sur des fondations, a été ajouté devant le premier degré de marbre. Il atteste un abaissement du niveau du sol devant l'autel28. Son giron est à 40 cm sous celui du degré de marbre et sa hauteur est de 20 cm. Le dispositif a le même axe Est-Ouest que l'ensemble de l'autel. Sur cet axe, au pied du degré de marbre, est creusée une mortaise carrée de 14 cm de côté, qui semble d'origine. Son fond présente un degré. Il est plus haut dans sa partie occidentale que dans sa partie orientale. Ce type de mortaise est connu pour la fixation de piliers hermaïques. Dans son carnet de fouille L. Bizard a noté la découverte dans l'autel d'« un hermès drapé avec la plus grande partie de la gaine. Haut : 0m 2629 ». Le numéro d'inventaire enregistré dans le carnet est le 548, mais la description correspond à l'hermès qui porte la double numérotation 547 et A 5855 au musée de Délos30 (fig. 17). Cette Mantelherme, quoi qu'il en soit, est beaucoup trop petite pour s'adapter à la mortaise de l'escalier de l'autel. On songera plutôt à y restituer soit l'un de ces hermès dionysiaques, dont plusieurs

28. 29. 30.

Ce type d'installation d'une marche supplémentaire incomplète pour compenser l'abaissement du niveau du sol se trouve aussi à Délos devant les Propylées du sanctuaire d'Apollon. L. BIZARD, Carnet de fouille Délos 1904, p. 25. Publié par MARCADÉ, MD, pl. XV, qui attribue le numéro A 547 à un bras d'enfant (p. 88).

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exemplaires ont été trouvés dans l'île31, soit un pilier représentant Hermès lui-même, car l'association d'Hermès à Dionysos est attestée à Délos. Elle l'est directement à l'époque athénienne où Dionysos, Hermès et Pan étaient honorés dans le sanctuaire GD 116 c, en bordure de la Place du théâtre, et où plusieurs inscriptions mentionnent un sacerdoce commun aux trois dieux32. L'association à l'époque de l'Indépendance n'est pas aussi assurée et elle n'était peut-être pas aussi étroite, mais il est probable que les nombreux hermès du prytanée, connus tant par des vestiges de sculptures que par des inventaires de l'édifice 33, ont été érigés par les archontes déliens, chargés de l'organisation des Dionysies34. Un pilier hermaïque associé à Délos à l'autel de Dionysos et à la dédicace chorégique de Karystios ne serait pas sans rappeler l'hermès consacré à Athènes devant le Portique royal, vers 400, par l'archonte-roi Onèsippos. Sa dédicace mentionne les noms des vainqueurs aux Lénaia que le magistrat avait eu la charge d'organiser35. - Sur la marche de marbre a été scellée une pièce de même matière, probablement, et de plan rectangulaire au lit d'attente (59 cm Est-Ouest x 22 cm Nord-Sud) : une base, sans doute, pour une statuette. La distance entre son flanc méridional et le flanc Sud de l'autel équivaut à celle qui sépare du côté Nord la tête de la marche du flanc de l'autel. - La marche en marbre a été prolongée avec des blocs de marbre et, surtout, de gneiss et de granit, jusqu'à l'angle Sud-Ouest de la plate-forme. Un tel prolongement n'est pas attesté vers le Nord, ce qui confirmerait l'hypothèse de la présence d'un élément flanquant la marche vers le Nord. - Contre le flanc Sud de l'autel a été construit un petit muret, épais de 0,44 m. Sa tête orientale est alignée sur la face postérieure de la construction. Actuellement, on le perd à 1,74 m de la face antérieure, mais un relevé de 1904 montre que lorsqu'il fut découvert, il rejoignait l'excroissance méridionale36. - Contre le flanc Nord de l'édifice, il demeure les vestiges d'un muret en gamma (ép. : 0,50 m) qui prolonge la face postérieure et fait retour vers l'Ouest pour buter contre l'ex-

31. 32.

33. 34. 35.

36.

MARCADÉ, MD, p. 207-209. BRUNEAU, CDH, p. 324. Un pilier hermaïque, dont ni la base ni la tête ne sont conservés, a été découvert dans l'orchestra du théâtre : EAD XLII, p. 85-86. La restitution d'un hermès devant l'autel de Dionysos invite à se demander s'il pourrait être restitué au dromos du sanctuaire de Dionysos, Hermès et Pan, dans lequel est placée, en position axiale, une dalle de marbre percée d'une mortaise carrée de 15 cm de côté. MARCADÉ, MD, p. 146-152 avec référence aux inventaires p. 146, n. 2. VIAL, DCA, p. 207-208. T. LESLIE SHEAR Jr., Hesperia 40 (1971), p. 256-257 (I 7168). Voir récemment H. R. GOETTE, dans P. WILSON (éd.), The Greek Theatre and Festivals (2007), p. 124-125. À Délos, des Lénaia sont attestés après 167, mais aucun document ne mentionne de concours associé à la fête : BRUNEAU, CDH, p. 324 ; EAD XLII, p. 226. BCH 31 (1907), pl. XIV ; EAD V, p. 9, fig. 12 (H. Convert). BCH 132 (2008)

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croissance septentrionale (fig. 15). Il définit avec l'autel un espace de 0,56 x 1,91 m. C'est probablement lors de sa construction que furent abattus les débords latéraux des plaques de gneiss de la plate-forme. Les deux faces du petit mur sont couvertes d'un stuc blanc dont on a repéré des vestiges sur toutes les faces visibles de l'autel à partir du niveau de son assise de podium en granit inclusivement. Seuls les trois blocs de la marche de granit font exception. Ce stuc a protégé la construction et lui a donné l'aspect du marbre blanc en un temps où le sol extérieur était sous le niveau du lit supérieur de la fondation. Si l'on comprend aisément la finalité des marches, celle des murets latéraux reste indécise. Peut-être recevaient-ils des offrandes.

Fig. 15. — Le muret en gamma plaqué au flanc Nord de l'autel. Vue en surplomb du Nord.

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II. L'AUTEL IDENTIFIÉ EST-IL MENTIONNÉ DANS LES INSCRIPTIONS DE DÉLOS ? Ph. Bruneau a rassemblé les mentions assurées ou probables d'un F[QSXSY‡(MSRYZWSY dans les inscriptions déliennes37. Elles sont au nombre de cinq. - En 281, les hiéropes paient un transport de pierres à l'autel de Dionysos38. - En 202, est voté le décret, déjà mentionné, relatif à la propreté du lieu qui est devant le Dionysos et à celle du sanctuaire de Létô39. La stèle qui le porte devait être érigée à côté de l'autel de Dionysos (TžEVŸEXSRF[QSRXSY‡(MSRYZWSY). Elle a été retrouvée en 1926, scellée dans une base de granit, à 30 m au Nord de l'édifice que nous identifions comme un autel de Dionysos (fig. 2). - En 179, les hiéropes paient le travail d'une frise figurée et d'une contre-frise dont des blocs sont placés près de l'autel de Dio[nysos] et qui lui sont peut-être destinées40. - En 178, les hiéropes enregistrent des versements pour une construction dont le nom a disparu, mais qui est consacrée à Dionysos41. - En 174, des travaux ont pour destination l'autel de Dionysos42. L'autel que nous venons de restituer peut être identifié avec l'autel mentionné en 281 et en 202. Son mode de construction convient à un édifice du début de l'Indépendance43 et il se pourrait donc que le compte de 281 ne fournisse pas seulement un terminus ante quem pour sa construction, mais date l'édification même du monument. L'identification avec l'autel mentionné dans le décret de 202 est aussi très probable. Elle serait tout à fait

37. 38. 39. 40.

CDH, p. 304-305. Voir aussi J.-Ch. MORETTI, BCH 121 (1997), p. 668. IG XI 2, 159, l. 44 : INTMXSQF[QSRXSYD(MSRYZWSYPMZUSYINRIZKOEžWMŸ. Le texte a été transcrit par BRUNEAU, CDH, p. 305. ID 442, B, l. 231-233 :ž8[DMHIMDRMXSYDHIMDRSINVKSPEFLZWERXMINŸVKEZWEWUEMX[DMF[Q[DMXSYD(MSžRYZWSYX[DRŸ | TEVEOIMQIZR[RPMZU[RXSYIMNXSRIMNHSJSZVSROEMXSYWXEXSžYOEXEWYKKVEJLRXLRTEVE©3VUSOPLD ©%VMWXSUEZPSY ? I?HSQIRTV[ZXLRHSZW MRŸOIPIYZSRXSENVGMXIZOXSRSžŸGGGGOEMXLRHIYXIZVERHSZW MR OIPIYZSRXSENVGMXIZOXSRSžOEMŸXSPSMTSRI?HSQIRžOIPIYZSRXSENVGMXIZŸ|OXSRS GGGG%%%%.

41.

J.-Ch. MORETTI, BCH 121 (1997), p. 667-671 s'est prononcé contre l'association de la frise et de la contre-frise à l'autel. Contra R. ÉTIENNE, BCH 121 (1997), p. 671 suivi avec prudence par M. SÈVE, Bull. épigr. 1999, 64. ID 443, Bb, l. 156-157 : ž8[DMHIMDRMŸ8)1)2–%-|žXSYD(MŸSRYZWSYI?HSQIRTV[ZXLRHSZW MROIžPIŸYZSRXS žENŸVGMXIZ$GG%%%%HIYžXIZVERHSZW MROIPIYZSRXSENVGMXIZXSPSMTSRWYRXIPINŸWERXMI?HS|žQIR OIPIYZSRXSENVGMXIZŸGG%%%04

42. 43.

ID 440, A, l. 87-88 : IV–žŸ| SRIMNXSQF[QSRXSYD(MSRYZWSY BRUNEAU, CDH, p. 301-303 ; MORETTI, 8E(MSRYZW ME. Pour la datation de la première phase, voir ci-dessous p. 146. BCH 132 (2008)

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assurée si la stèle se trouvait juste à côté du monument. Elle en est du moins assez proche, alignée sur sa façade, et aucune autre construction trouvée à sa périphérie n'a les caractéristiques d'un autel. Certains ont cependant proposé de reconnaître l'autel mentionné dans le décret dans deux autres vestiges. L'un est une fondation de granit (GD 70) longue d'environ 14,30 m et large de plus de 5,90 m, qui a été partiellement recouverte par le Sanctuaire du bastion (GD 72)44. Elle est à 34 m au Nord de la stèle. On ignore sa destination. Qu'elle ait été recouverte par un sanctuaire laisse penser, soit qu'elle n'avait pas de destination religieuse, soit qu'elle était consacrée à la même déesse que le Sanctuaire du bastion. L'autre construction qui a été évoquée est l'autel GD 68, qui est éloigné de 88 m du décret45. Une telle distance paraît condamner l'identification. L'identification du monument GD 81 avec l'autel de Dionysos mentionné dans les années 170 est aussi possible. Elle n'est pas certaine. Les réfections dont nous avons relevé des vestiges ne sont pas datées et aucune ne peut être rapprochée de l'un des comptes de ces années-là. Si l'on admet qu'en 179 des blocs de frise et de contre-frise étaient destinés à l'autel, il faudrait supposer que l'autel construit au début de l'Indépendance possédait déjà une frise qui aurait alors été partiellement au moins refaite. L'épaisseur de la paroi périphérique de l'autel n'interdirait pas de penser que la bordure de la table était ornée d'une frise, mais c'est impossible à prouver et même assez peu probable pour trois raisons : un tel dispositif est rarement attesté ; aucune frise n'a été trouvée dans ce secteur ; et une frise serait inattendue en couronnement d'une paroi de gneiss et de granit. S'agissait-il d'un autre autel ? C'est l'avis de J.-P. Braun et R. Étienne qui identifient l'autel de Dionysos du compte de 179 avec l'autel à antes de la Place du théâtre qu'ils restituent sur la fondation GD 116 d46. La date de la construction conviendrait, mais là non plus on n'a pas retrouvé de frise ni de contre-frise de bordure de la table. On peut toujours supposer qu'elles ont disparu. C'est ce qu'ont fait J.-P. Braun et R. Étienne, selon qui le couronnement des orthostates de l'autel de la Place du théâtre porte les traces d'« un étage orné d'une frise » alors qu'« aucun autel de Délos n'en comporte ni ne peut en comporter, sauf l'autel du théâtre47 ». L'étude des vestiges de cet autel ne fournit pourtant pas d'informations aussi précises. Les quatre blocs du couronnement de la table et des antes portent trace d'une bordure, mais rien ne laisse supposer qu'elle était figurée et on peut affirmer

44. 45. 46.

47.

Identification avancée par VALLOIS, AHHD I, p. 75-76 ; critiquée par BRUNEAU, CDH, p. 307-308 ; reprise par ÉTIENNE, Hommage Roux, p. 49-50 et OHNESORG, IA, p. 92-93. Identification avancée par ÉTIENNE, Colloque Lyon 1988, p. 81 et 83. ÉTIENNE, Hommage Roux, p. 47-50 ; id., Colloque Lyon 1988 ; R. ÉTIENNE, J.-P. BRAUN, BCH 119 (1995), p. 63-87. R. Vallois considérait comme probable le rapprochement entre le compte de 179 et l'autel de l'esplanade du théâtre « bien que les scellements n'aient qu'en partie les caractères de cette époque » (AHHD I, p. 101, n. 3). R. ÉTIENNE, J.-P. BRAUN (supra n. 46), p. 83-84. Cf. aussi ÉTIENNE, Hommage Roux, p. 48. De cette frise aucun fragment n'a été reconnu.

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avec les auteurs de l'étude qu'elle était à un seul cours48. Tout cela n'est pas favorable à la restitution d'une frise et d'une contre-frise à GD 116 d. Il est possible, en somme, que toutes les inscriptions mentionnant un autel de Dionysos fassent référence à l'autel dont les vestiges ont été reconnus au Nord-Est du Sanctuaire d'Apollon, ou, du moins, à l'une de ses phases.

III. L'AUTEL DE DIONYSOS : TYPOLOGIE ET HISTOIRE UN GRAND AUTEL À RETOURS L'autel, par-delà les singularités que nous avons signalées ci-dessus, se caractérise par l'importance de ses dimensions et par son type : un autel rectangulaire dont les bordures faisaient de courts retours sur toute la hauteur de la façade (fig. 13, premier état). Avec une surface de ca 7,50 x 3,20 m, il se rangeait parmi les plus grands autels de Délos, entre l'Autel de cornes du sanctuaire d'Apollon (L. en façade du Kératôn : 10,95 ; prof. totale : 12,65 m), celui de la Place du théâtre, si l'on en admet la restitution, (dimensions restituées au degré portant la table : 8,16 x 5,14 m) et celui du Dioscourion (dimensions au degré portant la table : 5,94 x 3,32 m). Il était d'une longueur inférieure, mais d'une profondeur comparable à celui du sanctuaire de Dionysos Éleuthéreus à Athènes (dimensions de la fondation : 11,50 x 3,30 m). Parmi les autels monumentaux, l'autel à antes est, avec l'autel parallélépipédique surmonté ou non d'une bordure sur deux ou trois côtés, le type le plus fréquent à Délos49 (fig. 16). Il n'est pas étonnant que les Déliens aient retenu pour l'autel qu'ils consacrèrent à Dionysos ce type cycladique. Au début de l'Indépendance, il existait déjà dans l'île plusieurs autels à antes. Les plus anciens, qui sont aussi les plus nombreux, remontent à la seconde moitié du VIe et au début du Ve siècle. On compte parmi eux l'autel de l'Artémision,

48.

49.

Voici ce qu'ils notaient dans le BCH 119 (1995), p. 78 à propos des blocs C 1 à C 5 de l'assise de couronnement de la table de l'autel : « Le traitement des lits d'attente, où le travail à la gradine est encore frais, laisserait entendre que le couronnement était entièrement recouvert par un bloc de marbre (nous parlons d'un seul bloc, car aucune trace ne vient prouver qu'il y en ait eu plusieurs sur C 4 et 5 qui sont les plus profonds). » On corrigera « gradine » en « ciseau grain d'orge ». Pour un inventaire des types d'autels à Délos, voir ÉTIENNE, Colloque Lyon 1988, p. 78-79. Pour les autels à antes voir R. ÉTIENNE, « Les autels à antes de Délos », 4VEOXMOEZ XSY'--(MIURSYZ7YRIHVMZSY /PEWMOLZ%VGEMSPSKMZE%ULZRE7ITXIQFVMZSY 1988, D (1988), p. 57-60 et OHNESORG, IA, en particulier p. 196-198. Les restitutions présentées sur la figure 16 reprennent celles qui ont été publiées dans les études citées dans les notes de notre article. Nous avons cependant apporté quelques modifications aux restitution de l'autel d'Artémis et de celui de la Place du théâtre élaborées par J.-P. Braun, R. Étienne, Ph. Fraisse et A. Ohnesorg. La restitution de l'autel semi-circulaire est originale. BCH 132 (2008)

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BCH 132 au (2008) Fig. 16. — Les autels à antes de Délos classées par ordre chronologique : plans et coupes restitués 1/100.

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qui a été diversement daté et restitué50, l'autel B du Dioscourion51 et trois des autels érigés à l'Ouest et au Sud du Prytanée : GD 23 A, B et E52. Un second groupe, constitué de l'un des autels du Dôdékathéon 53, de l'autel de Poséidon Nauclarios 54 et de l'autel de Dionysos, se situe entre la fin du IVe siècle et le milieu du IIIe siècle, c'est-à-dire pendant les premières décennies de l'Indépendance, dont l'architecture se caractérise par plusieurs traits cycladiques, voire proprement déliens. L'autel de la Place du théâtre, construit au début du IIe siècle (?), constituerait le monument le plus tardif de la série des autels à antes. L'autel semi-circulaire à antes qui se trouve au Nord du Sanctuaire du bastion (fig. 14) est certainement d'époque hellénistique, mais il n'est pas précisément daté. Dans sa forme, exceptionnelle, il convient peut-être de reconnaître un écho du Kératôn. Les antes de certains de ces autels (autel B du Dioskourion, GD 23 B et GD 23 E) avaient sûrement ou probablement des têtes dont les flancs intérieurs marquaient une légère saillie par rapport à la bordure de la table. Aucun ne présentait cependant de retours comme dans l'autel de Dionysos. Ces retours ont pu servir de bases à des statues comme il s'en trouvait sur l'une au moins des antes de l'autel de la Place du théâtre55. Le couronnement de tête conservé, celui de gauche, a à son lit d'attente une mortaise de 17,8 sur 22,1 cm de dimension en plan et de 0,5 à 3,6 cm de profondeur qui devait recevoir une statuette56. Cet autel est le seul à Délos dont les vestiges attestent un tel dispositif, mais on en connaît d'autres dans les Cyclades, dont les antes servaient de bases à des statues. À Paros, une tête d'ante d'un autel de la fin du VIe siècle est creusée d'une grande mortaise carrée (prof. : 14,5 cm) et d'une cuvette d'encastrement (24 x 14,5 cm ; prof. : 3,5 cm) pour une statuette en marbre57. À Ténos, l'autel monumental du sanctuaire de Poséidon et d'Amphitrite portait des groupes sculptés sur les antes qui flanquaient l'escalier du socle58.

50. 51. 52. 53. 54. 55.

56. 57. 58.

R. ÉTIENNE, Ph. FRAISSE, BCH 113 (1989), p. 451-46 ; OHNESORG, IA, p. 74-78 ; R. ÉTIENNE, AA 2007, p. 2. EAD XX, p. 16-19 ; OHNESORG, IA, p. 99-101. R. ÉTIENNE, dans N. Chr. STAMBOLIDIS (éd.), *[Z/YOPEHMOSZR1RLQLZ2>EJIMVSTSYZPSY (1999), p. 232-253 ; R. ÉTIENNE, J.-P. BRAUN, AA 2007, p. 4-28. GD 51 A ou D selon E. WILL, EAD XXII, p. 158-159 ; GD 51 E selon OHNESORG, IA, p. 86-88. EAD II compléments, p. 28-33 ; OHNESORG, IA, p. 78-79. Ph. Bruneau et Ph. Fraisse n'ont pas retenu l'hypothèse selon laquelle les statues offertes par Antiochos Épiphane « autour de l'autel de Délos », TIVMZXSRINR(LZP[F[QSZR (Polybe, XXVI 1, 11 cité par Athénée, V 194 a) auraient été placées sur le mur périphérique du Kératôn : EAD XL, p. 42 et 75. R. ÉTIENNE, J.-P. BRAUN, BCH 119 (1995), p. 78-79. OHNESORG, IA, p. 24-28. R. ÉTIENNE, J.-P. BRAUN, Ténos I, BEFAR 263 (1986), p. 121. Voir aussi la restitution contestable défendue par N. STAMPOLIDIS, dans R. ÉTIENNE, M.-Th. LE DINAHET (éds), L'espace sacrificiel dans les civilisations méditerranéennes de l'Antiquité, Actes du colloque de Lyon, 4-7 juin 1988 (1991), p. 295-296.

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L'HISTOIRE DE L’AUTEL ET DU LIEU DE CULTE DE DIONYSOS Le culte de Dionysos dans les Cyclades est peu attesté avant le début de l'époque hellénistique et la diffusion dans le monde grec oriental de Dionysies accompagnées de concours musicaux. Il l'est à Kéos59, à Naxos60 et à Amorgos, à Minoa61 et à Arkésinè62. Sans doute aussi à Paros, où quelques passages très lacunaires de l'inscription de Mnèsiépès ont conduit à supposer qu'Archiloque avait joué un rôle dans l'introduction du dieu63. À Délos, on a vainement cherché des traces d'un culte de Dionysos antérieur à l'époque hellénistique64 et si l'autel que nous avons identifié a peut-être eu un prédécesseur 65, celui-ci pourrait ne pas avoir été antérieur au début de l'époque de l'Indépendance. Pour l'heure, il paraît raisonnable d'admettre que ce ne furent ni les Naxiens ou les Pariens à l'époque archaïque, ni les Athéniens à l'époque classique, qui introduisirent dans l'île le culte du dieu qu'ils honoraient, mais les Déliens indépendants. Ils adaptèrent à leur petite cité le modèle des Dionysies athéniennes d'époque classique, associant une phallophorie à des concours de chœurs et de drames partiellement organisés dans le cadre de chorégies qui, à Athènes, furent abolies à la fin du IVe siècle66. La fête avait lieu en Galaxiôn, équivalent dans le calendrier délien du mois athénien d'Élaphèboliôn durant lequel étaient célébrées les Dionysies urbaines. Son organisation nécessitait l'aménagement d'au moins un lieu de culte, d'une voie processionnelle et d'un théâtre. Les premières attestations de dépenses pour la construction du théâtre, pour la procession et pour l'organisation du concours datent toutes de la dernière décennie du IVe siècle. L'aménagement d'un lieu de

59.

60. 61. 62. 63.

64.

65. 66.

Une dédicace faite par un certain Anthippos à Dionysos, vers 500, a été retrouvée dans le temple d'Aghia Irini. Le dieu pourrait cependant y avoir été honoré beaucoup plus anciennement : M. E. CASKEY, « Ayia Irini : Temple Studies », dans L. G. MENDONI, A. J. MAZARAKIS AINIAN (éds), Kea-Kythnos : History and Archaeology. Proceedings of an International Symposium Kea-Kythnos, 22-25 June 1994 (1998), p. 123-138. M. B. SAVO, Culti, Sacerdozi e Feste delle Cicladi dall'età araica all'età romana I (2004), p. 147-161. Dionysos semble avoir été honoré au sommet de l'acropole dès le VIe s. : L. MARANGOU,©%QSVKSZ-x, 1MR[ZE (2002), p. 254-259. IG XII 7, 78 : dédicace d'un autel à Dionysos (Ve s. ?). E1 III, commenté par D. CLAY, Archilochos Heros (2004), p. 16-23. Voir aussi E. LANZILLOTTA, Paro dall'età arcaica all'età ellenistica (1987), p. 184-185 et D. BERRANGER, Recherches sur l'histoire et la prosopographie de Paros à l'époque archaïque (1992), p. 192-194. Le seul vestige parfois mentionné qui aurait attesté un culte de Dionysos à Délos avant l'époque hellénistique est un supposé phallus archaïque en lave trouvé dans les fondations de l'autel : L. BIZARD, BCH 31 (1907), p. 502 ; EAD XVIII, p. 348 ; H. GALLET DE SANTERRE, Délos primitive et archaïque, BEFAR 192 (1958) p. 266 ; MARCADÉ, MD, p. 188. Nous regrettons de n'avoir pu mener une fouille dans l'autel pour savoir si un tel prédécesseur existe et pour préciser la chronologie de l'édifice. Lors d'un colloque intitulé « L'argent dans les concours du monde grec », qui s'est tenu à Paris les 5 et 6 décembre 2008, E. Csapo a argumenté l'hypothèse que la chorégie aurait été abolie après la restauration de la démocratie en 307. Les actes seront prochainement édités par Br. Le Guen. BCH 132 (2008)

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culte de Dionysos dans les mêmes années est attendu. À Délos, on en connaît deux, que reliait la phallophorie au premier jour des Dionysies, l'un dans la plaine et l'autre au Sud du théâtre (fig. 1 : nos 1 et 4). Il est vraisemblable que leurs emplacements furent consacrés, ou du moins réservés, dès le début de l'Indépendance. Le sanctuaire situé au Sud du théâtre comprend, à l'intérieur d'un péribole, un temple à dromos dallé et un portique. Le style de la construction a conduit à dater de l'époque de l'Indépendance67 ce sanctuaire dans lequel furent trouvées deux dédicaces d'époque athénienne à Dionysos, Hermès et Pan68. R. Vallois supposait qu'il s'agissait à l'origine d'un Paneion. L'orientation du temple et de son dromos vers le centre de l'orchestra du théâtre laisse plutôt supposer que Dionysos y fut honoré, seul ou avec d'autres divinités, dès la fondation69. Le mode de construction et le plan de l'autel que nous venons de restituer, ainsi que certaines informations tirées des inscriptions, invitent à le dater des premières décennies de l'Indépendance, voire, plus précisément, des environs de 280. Le niveau de sol auquel est associé son premier état, ca + 3,90 m, situe sa construction avant celle du Portique d'Antigone dans le troisième quart du IIIe siècle. Le portique, long de 120 m, s'est développé entre la Graphè, tout près de laquelle fut implanté son flanc occidental, et l'autel. Son flanc oriental en est éloigné de 5 m, distance sans doute jugée suffisante pour les cérémonies du culte de Dionysos. Le portique a adopté le niveau de sol de la Graphè. Le niveau du premier degré de crépis des deux monuments est le même : + 3,25 m, soit près d'un mètre de moins que la première marche de marbre de l'autel. Lors de la construction du portique, le niveau de circulation dans la Rue de l'Est entre le flanc oriental du portique et l'autel dut être abaissé et c'est probablement alors que fut installée une marche supplémentaire devant l'autel, la petite marche de granit qui est accolée aux fondations de la première marche de marbre (fig. 13, deuxième état et fig. 18). Les différentes constructions adossées à l'autel sont postérieures à ces travaux tout comme le stuc blanc épais qui fut appliqué sur toutes les faces visibles, couvrant le sommet des fondations du monument que l'abaissement du niveau du sol périphérique avait mis au jour. Le changement du niveau de sol nécessita aussi de déplacer les statues offertes à Dionysos dont les bases avaient été déchaussées. On ne connaît pas de construction antérieure à l'époque de l'Indépendance dans la zone de la plaine où est installé l'autel. Rien n'a été daté d'époque classique dans le terrain qui s'étend à l'Est de la Kréné Minoé. Le culte de Dionysos aurait donc été implanté dans une zone précédemment inoccupée. Le lieu de culte, dont on ignore les limites, faisait

67. 68. 69.

« entre 250 et 166 » selon VALLOIS, AHHD I, p. 105. ID 1907 et 2400. Voir BRUNEAU, CDH, p. 309-310. EAD XLII, p. 222 et 241.

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pendant au sanctuaire d'Artémis, de part et d'autre de l'Apollonion, et jouxtait celui de Létô. L'emplacement de la stèle portant le règlement concernant la propreté du « lieu devant le Dionysos » et du « téménos de Létô », laisse penser qu'à la fin du IIIe siècle il avait au moins une trentaine de mètres d'extension vers le Nord à partir de l'autel. Il s'y trouvait une statue représentant le dieu, mais on hésite à en parler comme d'un sanctuaire puisque aucun texte ne le désigne comme un hiéron ou un téménos. À Délos, Dionysos était présent, mais, du moins dans la plaine, il ne se laissait pas enfermer dans un temple, ni même dans un péribole. Il avait un autel et une statue associée à un lieu dégagé auquel on accédait par une rue, la « Rue conduisant au Dionysos » des anciens Déliens70, qui s'identifie à la Rue de l'Est ou Rue du péribole des archéologues modernes (GD 82). La situation ne devait pas être bien différente à Delphes, où l'on a cherché en vain les vestiges architecturaux du Dionysion classique et hellénistique, dont l'existence est attestée par plusieurs dédicaces71. Seule certitude : il se trouvait, comme à Délos, à l'Est du sanctuaire d'Apollon72. À Délos, tout se passe comme s'il avait déjà existé plusieurs consécrations faites à Dionysos, quand l'autel actuellement visible fut construit. Ce serait pour en ordonner certaines et les mettre en valeur qu'aurait été conçu un monument original dont le plan est une variation sur le type de l'autel à antes, auquel ont été ajoutées plusieurs surfaces portantes, retours et excroissances légèrement dissymétriques, qui laissent supposer un cahier des charges complexe, avec de multiples contraintes. Des dédicaces érigées sur l'autel ou à sa périphérie, celle de Karystios est la plus ancienne qui ait été identifiée et elle fut à un certain moment placée sur l'excroissance méridionale de l'autel. D'autres statues que leur thématique rapproche du monde dionysiaque ont été découvertes dans ce secteur73 (fig 17). - Un groupe de deux statues en marbre blanc d'acteurs costumés en Papposilène (A 4122 et 4123) qui ne sont pas antérieures au IIe siècle a été trouvé derrière l'autel, entre sa paroi postérieure et le mur de façade de la Maison F74. Ils sont respectivement hauts de 1,16 et 1,35 m. Les faces postérieures sont assez sommairement travaillées. Elles présentent des mortaises pour de grandes agrafes verticales (une sur A 4122 et trois sur A 4123) qui ont servi à restaurer les statues dans l'Antiquité.

70.

71. 72.

73. 74.

Sur la dénomination des rues dans les cités grecques, voir D. HENNIG, « Strassen und Stadtviertel in der griechischen Polis », Chiron 30 (2000), p. 585-615 et en particulier p. 588-591 ; pour les rues d'Athènes, voir L. FICUCIELLO, Le Strade di Atene (2008), p. 21-47 et 56-62. Voir la mise au point d'A. JACQUEMIN, Offrandes monumentales à Delphes, BEFAR 304 (1999), p. 29. Ainsi que le notait récemment A. JACQUEMIN, dans Fr.-H. MASSA-PAIRAULT, G. SAURON (éds), Images et modernité hellénistique, Collection de l'École française de Rome 390 (2007), p. 110 : « l'est à Delphes est le domaine de Dionysos ». MORETTI, 8E(MSRYZW ME. Ph. JOCKEY, SD, p. 132-135 avec la bibliographie antérieure. BCH 132 (2008)

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Fig. 17. — Bases et statues découvertes à l'entour de l'autel de Dionysos. La plupart des éléments photographiés sont reproduits au 1/20. Ceux qui sont dotés d'un astérisque le sont au 1/10.

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Le mode de fixation, qui est exceptionnel, est bien conservé sur A 4122. Chacun des deux pieds est solidaire d'une petite plinthe qui était scellée dans la cuvette d'une base en forme de plaque. Seule la partie antérieure de la plaque est conservée. Elle est longue de 45,7 cm et haute de 7,3 cm. Sa profondeur totale a été restituée à 31,7 cm par les restaurateurs modernes de la statue. - Une statue en marbre blanc d'un Dionysos assis (A 4121) sur un trône, que l'on date de la fin de l'époque hellénistique75. Avec sa tête, qui n'est pas conservée, la statue devait avoir une hauteur proche des 90 cm. Découverte au Sud de l'autel, derrière la base de Karystios76, elle était peut-être érigée sur la bordure méridionale de la table. Les dimensions de sa plinthe (L : 42 cm ; prof. restituée : ca 55 cm) ne l'interdiraient pas. - Un relief en pôros représentant Dionysos et une panthère (A 3189) trouvé devant la boutique 29 de la Rue de l'Est77. - Cinq ou six phallus de marbre. L'origine des deux phallus qui ont été restaurés sur les piédestaux flanquant l'autel est assez précisément connue. Celui qui a été restauré sur la base de Karystios est celui que L. Bizard, dans son carnet de fouille de 1904, p. 53, décrit comme « le grand phallus du musée de Mykonos », qui fut découvert par G. Fougères en 1886 près des Exèdres Nord-Est78. Celui du monument anonyme pourrait être A 768, que nous n'avons pas retrouvé au musée. Il a été découvert à « l'intérieur du mur au sud des bases d'Héphaistion79 », c'està-dire soit au Sud de la plus septentrionale des Exèdres Nord-Est, soit au Sud des trois exèdres. Trois autres fragments de phallus en marbre blanc sont conservés dans les réserves du musée de Délos : l'un (A 1430 = A 6147) a été trouvé derrière l'autel, un autre près de la base de Karystios (A 2312 = A 6152) et le troisième près des Exèdres du Nord-Est (A 2486 = A 6151)80. Du phallus A 1430 (ht. cons. : 26 cm), il demeure la moitié inférieure avec un tenon à la base pour fixer la sculpture dans une cuvette d'encastrement. De A 2312 (ht. cons. : 10 cm) et A 2486 (ht. cons. : 12 cm), il ne reste que le haut de la verge et le départ du gland. Certains ont pu être présentés sur l'extension de la première marche de marbre ou sur le muret plaqué contre le flanc Sud de l'autel. - Un phallus de lave (?) trouvé dans les fondations du monument81.

75. 76. 77. 78. 79. 80. 81.

Ph. JOCKEY, SD, p. 104-105 avec la bibliographie antérieure. L. BIZARD, Carnet de fouille Délos 1904, p. 75, signale la découverte du bras droit de la statue à côté de la troisième colonne de la rue à compter de l'autel. Ph. JOCKEY, SD, p. 182-183 avec la bibliographie antérieure. L. BIZARD, BCH 31 (1907), p. 500. L. BIZARD, Carnet de fouille Délos 1904, p. 35. L. BIZARD, BCH 31 (1907), p. 500 ; EAD XVIII, p. 348 ; MORETTI, 8E(MSRYZW ME. Voir les références données supra, n. 64. BCH 132 (2008)

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Fig. 18. — Coupe restituée sur l'autel, la Rue de l'Est avec ses niveaux de sol restitués et le mur Est du Portique d'Antigone, vers le Nord, au 1/100.

À ces statues, se rattache par sa thématique un fragment de bol à relief où est représenté un phallus à pattes de bouc. Il a été découvert derrière l'autel82. Il est douteux, en revanche, que le petit hermès A 5855 découvert dans l'autel ait appartenu à cet ensemble. La restitution à un monument chorégique ou commémoratif des deux Papposilènes est très probable. Les autres statues peuvent être sans rapport avec des chorégies. Elles devaient être disposées sur des bases plus ou moins étroitement associées à l'autel et à la statue de Dionysos sur un terrain dont la surface diminua et dont le niveau varia au cours du temps, nécessitant divers déplacements des offrandes. La construction du Portique d'Antigone provoqua sans doute des aménagements et des déménagements. Le déplacement de phallus en 250, que nous avons déjà évoqué (IG XI 2, 287, A, l. 119), pourrait avoir été concomitant du début du chantier. Le décret de

82.

Reproduit BCH 31 (1907), p. 501. Nous ne l'avons pas retrouvé dans la publication des bols à reliefs par A. LAUMONIER, EAD XXXI, qui étudie p. 419-420 d'autres fragments de bols à reliefs dionysiaques ou phalliques de diverses provenances.

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Fig. 19. — Reconstitution de l'autel et de la rue vue du Nord.

202 sur la propreté du sanctuaire de Létô et du lieu devant le Dionysos est peut-être l'un des signes de la réorganisation du secteur situé au Nord-Est du sanctuaire après la construction du portique. Le niveau de la Rue de l'Est, abaissé dans la seconde moitié du IIIe siècle, fut par la suite rehaussé (fig. 13, troisième état et fig. 18). L'égout qui la parcourt du Sud au Nord a une couverture dont le niveau supérieur devant l'autel avoisine les + 4 m. À l'époque de son utilisation (vers 100 ?), le sol de la rue avait donc plus ou moins retrouvé son niveau du début de l'époque hellénistique. La marche de granit ajoutée à l'autel disparut alors sous le remblai de la voie, mais il fallut construire trois marches à l'entrée Nord-Est du sanctuaire d'Apollon pour franchir la différence de niveau entre le sol du hiéron et celui de la rue. Dans cet état, la stèle du décret de 202 était intégrée dans la tête d'un mur et une bonne partie du terrain qui la séparait de l'autel était occupée par des constructions qui ne semblent pas avoir eu de destination religieuse. Seule restait disponible une surface d'un peu moins de 50 m2 au Nord de l'autel, de part et d'autre de l'angle Nord-Ouest de l'éta-

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blissement de bains et du massif à escalier qui lui est adossé et qui portait peut-être son réservoir d'eau. Plusieurs offrandes faites à Dionysos devaient avoir été rassemblées dans cette zone, où apparaît sur un cliché pris au moment de la fouille le piédestal anépigraphe qui fut remonté avec un phallus au Nord de l'autel. Le lieu de culte de Dionysos pâtit, comme d'autres aménagements publics et religieux de ce secteur, du développement de la ville et du sanctuaire d'Apollon. Le téménos de Létô fut largement amputé et le Lac à demi comblé pour la construction de l'Agora des Italiens. L'abaton GD 71 se trouva pris dans un angle de l'édifice de la communauté italienne ; la façade de la Kréné Minoé, derrière le mur de fond du Portique d'Antigone ; et l'autel de Dionysos, coincé entre la « Rue conduisant au Dionysos » et la façade d'un établissement de bains, presque sans surface de dégagement. Autel sans temple auquel étaient associées, placées sur lui ou érigées à sa proche périphérie, l'image du dieu et les offrandes qui lui étaient faites, il demeurait l'un des plus grands autels de Délos, mais il était devenu une sorte d'autel de rue, comparable, par sa situation, à l'autel à antes du Passage des théôres à Thasos ou aux autels domestiques déliens érigés devant les maisons pour les Compitalia83 (fig. 19). La répartition du terrain entre les hommes et les dieux n'était pas dans la Délos athénienne ce qu'elle avait été au début de l'Indépendance et Dionysos eut plus que d'autres à pâtir de la pression urbaine de la fin de l'époque hellénistique. La surface du terrain qui lui avait été dévolu fut limitée au minimum nécessaire pour recevoir son autel et ses offrandes.

83.

Voir leur inventaire et leur analyse par Cl. HASENOHR, BCH 127 (2003), p. 167-249.

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