Intra/Extra muros : au-delà de la spécificité du lieu

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Descripción

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CIHA 2004 6e Session. Intra/extra muros : au-delà de la spécificité du lieu, ou le site dans le réseau des espaces publics.

« Dans les Babels illusoires du langage, l’artiste peut avancer dans le but spécifique de se perdre. » 1 1. De point de vue historique, la problématique du site et de sa spécificité est liée aux tentatives minimalistes et conceptuelles de problématiser le rapport entre l’œuvre artistique et son contexte d’exposition. Cependant, si l’art conceptuel a permis de redéfinir les conditions de production, de diffusion et de réception de l’objet artistique, il n’a pas pourtant pu échapper à sa propre fétichisation en tant que marchandise et à sa récupération par le circuit commercial qu’il a tenté de mettre en cause. Ainsi, malgré sa dématérialisation, la construction esthétique demeura « un objet d’échange dont l’accessibilité publique n’est qu’un leurre culturel ». Le travail critique de Claude Gintz, traducteur des textes de Benjamin Buchloh en France, rend compte de ce phénomène historique comme d’une sorte de fait marquant dans l’évolution du post-minimalisme et de l’art conceptuel. 2 Parallèlement, plusieurs travaux post-conceptuels ont poursuivi une critique du contexte institutionnel de l’art et de la manière dont ce dernier influe sur la production plastique proprement dite (Daniel Buren et Hans Haacke par exemple). Ces travaux engageaient un dialogue avec leur propre lieu d’exposition, visant à questionner la façon dont les structures d’encadrement et de diffusion de l’art conditionnent sa réception, son contenu et son rôle culturel, en le transformant en discours idéologique. Des œuvres relevant du Land Art ont délocalisé l’entreprise esthétique, investissant des lieux non-institutionnels et introduisant un ensemble d’oppositions binaires à travers lesquelles la problématique du lieu (de sa valeur symbolique, phénoménologique, historique) « In the illusory babels of language, an artist might advance specifically to get lost. » Robert Smithson, “A museum of Language in the Vicinity of Art”, in Nancy Holt (éd.), The Writings of Robert Smithson, New York, New York University Press, 1979, p. 67, nous traduisons. Sur l’importance de ce passage dans le travail de Smithson, voir Craig Owens, « Earthwords », October 10, pp. 121-130. 2 Claude Gintz, “From Site Specificity To Site Reflexiveness”, in John Knight, Louise Lawler : Une vue culturelle, Maison de la Culture et de la Communication, Saint-Etienne, 12 novembre 1987-16 janvier 1988, cat. d’exposition, p. 12. 1

2 sembla se détacher de celle du système d’encadrement de la production artistique. 3 Le site est ainsi engagé d’une manière forte, soulignant l’opposition entre le lieu de l’œuvre (le non-site naturel dans lequel elle se réalise) et celui de l’institution (le site culturel dans lequel elle s’expose). Or, justement, la particularité de telles pratiques (notamment l’impossibilité d’une vision globale de l’œuvre, son caractère éphémère et son accessibilité problématique), a nécessité le recours à des moyens de diffusion qui, bien qu’apparemment périphériques au travail proprement dit, ils en font pour autant partie intégrante. L’entreprise artistique est ainsi délocalisée encore une fois, à travers l’information, mais cette fois dans le sens inverse : si l’investissement des sites non-institutionnels marque un mouvement du centre vers la périphérie, l’emploi de moyens comme la photographie et le texte réinsère le travail dans le contexte institutionnel, sous forme d’objets amovibles et transportables, dotés d’une plus value esthétique. La mobilité de l’information ne s’oppose pas seulement à l’enracinement que l’intervention in situ suppose mais dissout aussi l’implication spécifique au site dans la circulation d’images commercialisables et échangeables dans le circuit de l’art. Ici, la photographie et le texte ne sont pas que de simples moyens de diffusion du travail artistique. Plus significativement encore, ils tendent finalement à se substituer à l’œuvre proprement dite, de telle manière qu’il est désormais impossible de distinguer le « danseur de la danse ».4 Par conséquent, dès le début, les pratiques liées à la spécificité du site ont été confrontées à cette dialectique qui n’est pas définie par l’opposition entre site (celui, culturel, de l’institution) et non-site (naturel), mais entre un lieu spécifique (qui ne peut être que culturel, puisque même notre conception de la nature s’est avérée être en grande partie un produit de conventions arbitraires)5 et le réseau des lieux concrets et symboliques qui encadrent la production artistique contemporaine. Rosalind Krauss, “Sculpture in the expanded field”, traduction française “La sculpture dans le champ élargi”, dans L’originalité de l’avant-garde et autres mythes modernistes, Paris, Macula, 1993, pp. 113-127. 4 « Depuis de nombreuses années, on sait bien que de plus en plus de gens ont connaissance de l’œuvre d’un artiste davantage par l’imprimé ou la conversation, que par une mise en présence directe avec l’œuvre ellemême. Pour la peinture ou la sculpture, où la présence visuelle – couleur, proportions, dimensions, localisation – est importante, la photographie ou la description n’est qu’un moyen bâtard. Mais quand l’art concerne des choses qui n’ont rien à voir avec une présence physique, sa valeur (communicative) intrinsèque n’est pas altérée par sa présentation imprimée. L’emploi de catalogues et des livres pour communiquer (et diffuser l’œuvre) est la façon la plus neutre de présenter cette nouvelle forme d’art. Le catalogue peut désormais servir d’information de première main (primary information) pour l’exposition, par opposition à l’information de seconde main (secondary information) à propos de l’art dans les revues, les brochures etc., et dans certains cas, l’ “exposition” peut être le “catalogue”. » Seth Siegelaub, « On exhibitions and the world at large », entretien avec Charles Harrison, in Studio International, décembre 1969, cité dans Benjamin Buchloh, Esssais historiques II. Art contemporain, trad. Claude Gintz, Villeurbanne, Art édition, 1992, pp. 211-212. La métaphore du danseur et de la danse est tirée de Paul de Man, Allegories of Reading, New Haven Yale University Press, 1979. 5 Voir Terry Eagleton, The Idea of Culture, Oxford, Blackwell, 2000. 3

3 D’une manière ou d’une autre, l’implication du lieu de l’exposition dans le processus de fabrication de sens paraît problématique. Parallèlement à l’esthétisation des pratiques conceptuelles et post-conceptuelles, les interventions in situ n’ont su éviter de verser dans le décoratif. Bien qu’initialement critiques ou « interventionnistes » par rapport au lieu, ces stratégies ont été progressivement incorporées dans la grammaire institutionnelle, venant conforter le système d’encadrement de la production artistique, toujours avide de nouveauté et de dépassement, capable d’assimiler même sa propre négation. 6 La réflexivité par rapport au lieu d’exposition en tant qu’espace culturellement circonscrit et investi, a prétendu pouvoir anticiper le processus d’acculturation institutionnelle et ainsi lui résister. Aujourd’hui cependant, comme le note Thomas Hirschhorn « la critique institutionnelle n’intéresse que les spécialistes de l’art contemporain. Ainsi, l’art se coupe de la possibilité de parler à un public non spécialisé. »7 Mais, une fois l’efficacité des pratiques in situ mise en cause, qu’est-ce qui pourrait prendre leur place ? En d’autres termes, comment pourrait-on questionner aujourd’hui la notion de spécificité du lieu et revisiter ses paramètres historiques de base ? On essaiera de répondre à travers l’étude de trois artistes : Thomas Hirschhorn, John Knight et Dominique Gonzalez-Foerster. Malgré la méfiance affichée de Hirschhorn à l’égard de la politique de l’investissement d’un site spécifique – due à l’impossibilité d’évaluer pleinement un lieu culturel particulier pendant la courte durée du projet – le site joue un rôle déterminant dans son travail. Hirschhorn, sans obligatoirement rejeter l’espace de la galerie, a choisi de situer nombre de ses œuvres à l’intérieur des réseaux économiques de certains espaces culturels particuliers. Lascaux III (1997), à Bordeaux, Hirschhorn a utilisé plusieurs sites, comme un Burger King, une maison privée, une place publique, ainsi que des espaces commerciaux. Dans chacun de ces cas, le choix du lieu est significatif dans la mesure où il situe les œuvres aux points nodaux des réseaux d’échanges culturels et économiques. Mais c’est surtout Very Derivated Products (1998)8 qui a marqué la connexion à l’économique en traversant la fenêtre de la librairie du Guggenheim Museum, occupant

Claude Gintz, “From Site Specificity To Site Reflexiveness”, in John Knight, Louise Lawler : Une vue culturelle, Maison de la Culture et de la Communication, Saint-Etienne, 12 novembre 1987-16 janvier 1988, cat. d’exposition, p. 12 7 Entretien inédit avec l’auteur. 8 Intervention dans le cadre de l’exposition Premises : Invested Spaces in Visual Arts & Architecture from France,1960's-1990's", Guggenheim Museum, New York, USA, 1998. 6

4 l’intérieur de la boutique autant que l’espace extérieur du trottoir.9 Hirschhorn redéfinit l’entreprise artistique non pas comme ce qui est diffusé au Guggenheim mais comme ce qui existe entre le sanctuaire de l’art contemporain et son décor urbain réel : l’art ne se situe ni du côté de l’institution prestigieuse, ni de celui d’une réalité prétendument brute et/ou authentique. Il naît à l’interstice des deux, comme besoin d’une imagination et d’une expression qui est spontanée et n’a pas besoin de la consécration institutionnelle. On le voit, ce qui est en cause encore une fois, c’est le rapport entre la production artistique contemporaine et la vie quotidienne, non-artistique : Bauhaus on the Rocks. Ce qui m’intéresse dans le mot « réel », c’est le fait qu’il implique une confrontation avec ce qui n’est pas artistique, avec le public qui ne s’intéresse pas à l’art. Je pense que si l’art ne s’adresse qu’aux gens qui s’y intéressent déjà, il est déjà mort.10 Chez Hirschhorn, le musée et la galerie sont considérés comme autant d’espaces publics, des sites d’échange symbolique et économique faisant partie d’un réseau de forces culturelles et sociales interdépendantes, bien que spécifiques. Ici, il n’y a aucune distinction catégorique entre l’institution et le monde. Le travail de Hirschhorn n’a pas pour but de désigner emphatiquement le lieu où il s’expose. Plutôt, il s’adresse à ce dernier et à sa fonction institutionnelle de la même manière qu’il s’adresse au regard du passant, du curieux, du flâneur, bref, du public non averti. Le site devient une des composantes du travail, par rapport à laquelle il réagit, mais sans les limitations (et les pièges) habituelles d’un travail in situ. Ici, l’artiste refuse de privilégier le musée comme lieu circonscrit et délimité de l’expérience esthétique. 11 Il évite la confrontation particulière que la spécificité du lieu implique, puisque même la dénégation de l’institution 9

Premier descriptif de mon projet pour N.Y. « The Very big watch with its derivated products » Dans le Book Shop [du Guggenheim de Soho] il y aura dans le coin vers Prince-Street/Broadway une construction en bois, plastique, plexiglass, carton etc. Ce sera une vitrine précaire avec une forte lumière (néons), un espace dans un autre espace, qu’on ne pourra pas pénétrer. Il y aura de fenêtres en plexiglass par lesquelles on pourrait regarder à l’intérieur. Dans cet espace il y aura une très grande montre (en carton, papier aluminium, papier doré). Elle sera beaucoup trop grande, car à l’intérieur elle va être tirée vers le plafond [sic], sinon elle reposera entièrement sur une table couverte d’un drap rouge. Ce drap finit en hauteur en quatre draps rouges également qui flottent dans l’espace grâce à quatre ventilateurs. Vers l’extérieur, et c’est pour cela qu’il faut agrandir le musée, elle dépasse la vitrine et continue donc sur le trottoir dans un espace spécialement conçu avec les mêmes matériaux qu’à l’intérieur (Plastique, carton, plexiglass, bois néon). Cette montre est notre temps (par exemple : le temps Chanel : publicité). De cette montre dorée et argentée viennent des ramifications pour finir dans des multiples produits dérivés. Ce sont des textes (G. Bataille), des imprimés de toute sorte, mes sculptures en aluminium etc. Il y aura aussi des vidéos intégrées. Je veux faire une vitrine sans qualité aucune mais pourtant très dense, très chargée, pleine d’énergie, pour comparer ce qui n’est pas comparable. T.H. Texte manuscrit de l’artiste. 10 Entretien inédit avec l’auteur. 11 Nous reprenons ici l’analyse de Claude Gintz dans From Site Specificity To Site Reflexiveness”, in John Knight, Louise Lawler : Une vue culturelle, Maison de la Culture et de la Communication, Saint-Etienne, 12 novembre 1987-16 janvier 1988, cat. d’exposition.

5 finit par confirmer la séparation entre l’art et le quotidien, en pérennisant ainsi la fragmentation de l’espace public. La problématique de la spécificité locale, institutionnelle ou autre, semble donc céder sa place à une logique plus complexe, qu’on ne saurait décrire qu’en termes de réseau. Plus particulièrement, il s’agit de tirer les conséquences et d’élargir la perspective de la notion de réflexivité du lieu, telle qu’elle a été introduite par Claude Gintz à propos de l’œuvre de John Knight.12 Bien qu’il possède toutes les caractéristiques d’une installation in situ, le travail de Knight, comme celui de Hirschhorn, engage le lieu d’une manière plus complexe. A l’automne 1988, Knight a participé à une triple exposition individuelle à Marseille, en compagnie de Buren et Asher. Daniel Buren et Michael Asher, ont été selon Gintz les premiers artistes à avoir été directement confrontés à l’art conceptuel dont ils s’efforcèrent de prendre le contre-pied en « rematérialisant » leurs interventions in situ, tout en renonçant également, comme les artistes conceptuels, à la production d’objets esthétiques. 13 Knight accrocha au mur de la galerie une affiche tirée à un seul exemplaire, encadrée et mise sous verre, présentant une « vue » extérieure de la galerie située dans un quartier à la mode de la ville, avec en surimpression la seule mention Marseille. Bien qu’il fit visuellement référence au lieu de son exposition, ce travail contredisait les normes d’une pratique in situ, en prenant la forme d’un objet amovible et transportable. Ici, il ne s’agit pas seulement de la réintroduction de la représentation dans le contexte des problématiques post-conceptuelles, mais plus significativement encore d’une tentative de dynamisation de l’intervention in situ, à travers des moyens visuels faisant référence au nomadisme touristique autant qu’artistique (le patrimoine artistique n’ajoute-il pas à son attrait touristique, en tant que facteur de première importance pour le développement économique de la région ? Ici, l’esthétique touristique renvoie à une mobilité qui est aussi la mobilité abstraite des valeurs et des capitaux : le tourisme comme le relais entre l’art et l’économie, entre le site et le réseau dans lequel il prend place). Selon Gintz, Knight rematérialise une pratique conceptuelle « pure » qui avait vainement tenté d’abolir sa condition de fétiche, tout en prenant ses distances d’avec une pratique in situ, désormais menacée d’être emportée dans une succession vite oubliée d’événements artistiques sans consistance. Dans cette perspective, il paraît que ce que l’on a

Idem, ibid. pp. 5-16. La notion de « rematérialisation » de l’œuvre d’art fut réintroduite par Benjamin Buchloh à propos de M. Asher : « Michael Asher’s Rematerialization of the Artwork », Van Abbemuseum, Eindhoven, 1980. 12 13

6 appelé la critique institutionnelle, est – comme le suggère Hirschhorn, une pratique en voie d’académisation, c’est-à-dire de complète assimilation par l’institution. Gonzalez-Foerster, dans son installation pour la Documenta 11, exploite à sa propre manière le potentiel de cette tendance récurrente de « délocalisation du site ». Le projet Park- A plan for escape relie entre eux divers éléments fragmentaires et dispersés. Une cabine téléphonique du Brésil, un rosier venant du jardin de Le Corbusier à Chandigarh, aux Indes, et une pierre de lave venant du Mexique forment, avec d’autres éléments, des systèmes de références multiples. Des voyages réels et imaginaires, des détails historiques et des sites culturellement marqués s’entrecroisent dans un effort de cartographie et d’appropriation de l’espace physique et mental contemporain. Le site est ici envisagé sous l’angle d’un réseau de références dans lequel la spécificité du lieu s’inscrit et par rapport auquel elle fonctionne. Il s’agit encore une fois d’une inversion du rapport entre l’œuvre et le site : si d’habitude l’intervention artistique met en évidence la spécificité de tel ou tel site particulier, ici au contraire, plusieurs spécificités partielles sont rassemblées afin de former finalement un non-site pourtant réel (qui s’inscrit à son tour au contexte spatio-culturel particulier de la Documenta). Chez Gonzalez-Foerster, la particularité locale est mise en relation avec le cosmopolitisme de l’art contemporain, à l’impossibilité d’une action localement valide sans la prise en compte du contexte plus général d’un monde de l’art lui aussi progressivement globalisé. Le spécifique devient ici ce qui est délocalisé, le lieu servant de plateforme (le terme utilisé pour désigner les diverses étapes de la Documenta 11), de plaque tournante qui renvoie à d’autres sites : pas d’utopie mais hétérotopie. Hirschhorn, Knight et Gonzalez-Foerster exploitent les possibilités offertes par le site d’une manière qui dépasse largement la notion de spécificité de lieu. Les espaces engagés ne sont pas seulement équivalents mais constituent des sites d’intersection de l’œuvre avec l’horizon plus large de l’économie culturelle que ces artistes évoquent à travers les matériaux, les sujets et les emplacements qu’ils choisissent. 2. Déjà chez Kant, le jugement esthétique, dans la mesure où il relève de la critique de la faculté de juger, se donne comme l’intermédiaire entre la raison pure et la raison pratique, comme un pont qui permet la communication de deux mondes fondamentalement hétérogènes. Ainsi, il y a chez Kant une analogie significative entre le jugement esthétique et son objet, l’œuvre d’art, dans la mesure où cette dernière fonctionne elle aussi comme

7 medium de communication, interface de rencontre du privé et du public.14 A partir du moment où l’art sert comme d’intermédiaire, il se place d’emblée dans le domaine de la communication. Jacques Derrida, cherchant à saisir le contenu véhiculé (mieux : communiqué) par le signifiant « communication », distingue entre l’emploi sémio-linguistique du terme et le sens qu’il prend dans le monde naturel ; dans le premier cas, la communication est conçue en termes de medium transitif de signification, comme moyen de transport de sens ; dans le second, le terme renvoie plutôt au passage, au pont qui peut relier deux lieux physiquement et culturellement séparés.15 Comme le note Derrida, il ne faudrait pas considérer la communication au sens « naturel » comme primaire ou originelle, et sa signification linguistique comme une extension métaphorique de cette dernière. 16 La valeur de déplacement, de transport, est constitutive du concept de métaphore à travers lequel on essaie de rendre compte du déplacement sémantique qui advient entre les deux significations de la communication. En d’autres termes, la communication en tant que transfert de contenu ne saurait être expliqué à travers la métaphore : elle est métaphore. Dans sa contribution au catalogue de la Documenta 5 (1972), Robert Smithson mettait en question l’ensemble de l’infrastructure institutionnelle et commerciale du monde de l’art, en suggérant que « les musées, comme les prisons et les asiles, ont des locaux et des cellules, en d’autres termes, des chambres neutres appelées galeries. L’œuvre d’art, une fois placée dans la galerie perd sa puissance et devient un objet transportable ou une surface désengagée du reste du monde ». L’attitude de Hirschhorn, Knight et Gonzalez-Foerster diffère de celle de Smithson en ceci que tous les trois refusent de privilégier l’intérieur comme l’extérieur ; leur entreprise se place à l’interstice, au lieu (transitoire, métaphorique) d’entrecroisement de plusieurs « espèces d’espaces ». La délocalisation est ici la figure spatiale de la métaphore, de ce déplacement qui implique une conception « parergonale » de l’activité artistique, dans la mesure où elle ne se situe jamais exactement là où elle semble être, mais toujours « à-côté » : comme le parergon, au sens dérridéen et, par extension, kantien du terme) 17 il est périphérique et excessif (voir par exemple Monument à Bataille de Hirschhorn où la notion d’excès est Nous reprenons ici l’analyse de Craig Owens, dans « Detachment : from the parergon », in Beyond Recognition : Representation, Power and Culture, Berkeley, University of California Press, pp. 34-35. 15 Jacques Derrida, « Signature, événement, contexte », in Marges de la philosophie, Paris, Minuit, 1972. La différence dans le deuxième cas est que le passage peut relier mais aussi séparer deux rives opposées. 16 Cette précédence de la communication naturelle sur son sens culturel s’inscrit dans la thèse de Rousseau (reprise et analysée par Derrida dans De la Grammatologie) sur la supplémentarité de l’écriture par rapport à la langue. 17 Voir Craig Owens, « Detachment : from the parergon », in Beyond Recognition : Representation, Power and Culture, Berkeley, University of California Press, pp. 31-39. 14

8 directement engagée à travers la Part Maudite),18 il vient parasiter l’institution. Mais aussi, tout comme le parergon, il est un pont, un passage, il assure la communication entre deux espaces publics différents, qu’il parvient à lier à travers l’emploi de formes populaires d’appropriation de la Haute Culture et de ses dérivés. Le site est abordé comme un pont et, mis en perspective culturelle, se positionne à l’intersection et assure la communication d’autres lieux possibles. Comme le note Hirschhorn « le plus important, c’est de créer des liens entre les choses qu’on ne peut pas lier ».

Vangelis Athanassopoulos

18

Projet pour la Documenta 11, Kassel, 2002.

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