Francesca Gazzano, Giusto Traina, \"Plutarque, Historien militaire ?\", Ktèma 39 (2014), 347-370

August 21, 2017 | Autor: Giusto Traina | Categoría: Military History, Roman History, Plutarch, Ancient Greek History, Ancient Military History
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Descripción

Le monde d’Arrien de Nicomédie Antony Hostein, Sophie Lalanne Antony Hostein Dan Dana et Madalina Dana Ewen L. Bowie Sophie Lalanne Elias Koulakiotis Jesper Majbom Madsen

Avant-propos.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . À chacun son Arrien ? Observations sur la carrière et la trajectoire d’Arrien dans l’Orient romain d’époque antonine. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Arrien avant Arrien : une jeunesse entre Bithynie, Grèce et Rome.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Greek culture in Arrian’s Bithynia.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Arrien philosophe stoïcien.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Arrien et la mémoire historique et religieuse de Nicomédie.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Flavios Arrianos of Nicomedia: Ambitious Roman and a patriotic Greek. . . . . . . . . . . . . . .

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Les Arsacides héritiers des Séleucides ? Charlotte Lerouge-Cohen Laurianne Martinez-Sève Charlotte Lerouge-Cohen Georges Rougemont Federicomaria Muccioli Philippe Clancier Jean-Baptiste Yon

Introduction.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Remarques sur la transmission aux Parthes des pratiques de gouvernement séleucides : modalités et chronologie.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les Amis des Arsacides : pistes de réflexion.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Remarques sur la lettre d’Artaban II à la cité de Phraata de Suse.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’ ἐπιστάτης et le στρατηγὸς καὶ ἐπιστάτης τῆς πόλεως. Problèmes ouverts d’administration du pouvoir entre Séleucides et Parthes.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La longue mise en place de la domination parthe en Babylonie au iie siècle.. . . . . . . . . . . . . L’onomastique de Doura à l’époque parthe.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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Le vocabulaire de la violence Edmond LÉVY Sophie Gotteland Edmond LÉVY André BOUVET Kevin Leloux Marcello Valente Giovanni Parmeggiani

Le vocabulaire de la violence chez Thucydide.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Βία et ὕβρις : quelques remarques sur le vocabulaire de la violence politique chez Isocrate.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bία chez Platon.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Platon, Lois 722 C : note sur le texte.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Varia

L’alliance lydo-spartiate.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Aspetti cronologici della pace del 375/4.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L’assedio di Perinto (341/0 a.C.) nella percezione dei politici e degli storici contemporanei e la conclusione delle Storie di Eforo.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Michel Humm Espaces comitiaux et contraintes augurales à Rome pendant la période républicaine.. . . . Francesca Gazzano et Giusto Traina Plutarque, historien militaire ?.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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KTèMA CIVILISATIONS DE L’ORIENT, DE LA GRèCE ET DE ROME ANTIQUES

Revue annuelle

Fondateurs : Edmond FRézOULS † Edmond LéVy Comité Directeur : Dominique BEyER, Bruno BLECKMANN, Jean‑François BOMMELAER, Frédéric COLIN, Mireille CORBIER, Gérard FREyBURGER, Jean GASCOU, Jean‑Georges HEINTz, Michel HUMBERT, Anne JACQUEMIN, Stavros Lazaris, Dominique LENFANT, Edmond LéVy, Jean‑Claude MARGUERON, Henriette PAVIS d’ESCURAC, Laurent PERNOT, Thierry PETIT, Gérard SIEBERT Rédaction : Edmond LéVy

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ISSN 0221-5896 ISBN 978-2-86820-580-3

Plutarque, historien militaire ?1 Résumé–. Dans ses Vies parallèles, Plutarque montre une sensibilité marquée pour le fait militaire qui est souvent négligée par la plupart des spécialistes de cet auteur. Par conséquent, il recourt souvent à des descriptions, parfois assez longues et détaillées, de grandes batailles terrestres ou navales. Certains faits d’armes sont présentés comme des moments décisifs, non seulement pour le sort des protagonistes, mais aussi pour les conséquences historiques de ces combats, et plus généralement pour l’histoire des Grecs et des Romains. Dans cette étude préliminaire, nous allons vérifier les stratégies narratives de Plutarque, en examinant ses choix de perspective. Abstract–. The Parallel Lives show a marked sensitivity for military matters, which is often neglected by most Plutarch scholars. He especially provides long and thorough descriptions of ground and naval battles. Some of these military engagements are presented as real “decisive battles”, not only for their effect on the destiny of the actors, but also for their historical impact and, more generally, for Greek and Roman history. In this introductory paper we check the narrative strategies of Plutarch, taking into account his choices of perspective.

« Paoli lui expliquait, chemin faisant, les positions, les lieux de résistance ou de triomphe de la guerre de la liberté. Il lui détaillait cette guerre glorieuse ; et sur les observations de son jeune compagnon, le caractère qu’il lui avait laissé apercevoir, il lui dit : Ô Napoléon ! tu n’as rien de moderne ! tu appartiens tout à fait à Plutarque. » Las Cases, Mémorial de Saint Hélène.

I. Considérations préliminaires

En principe, la qualification d’« historien militaire » ne semble guère s’adapter au profil intellectuel de Plutarque. Certes, en dépit des contraintes du genre biographique, Plutarque avait une « vocation d’historien », comme l’a indiqué Santo Mazzarino dans des pages lumineuses2. En revanche, le côté militaire est moins évident3. Le Plutarque qui est familier aux classicistes est par (1)  Une version préliminaire de cet article a été présentée au XIVe Congrès International de la FIEC (Bordeaux, 25 au 25 août 2014) : à cette occasion, les collègues Breno Battistin Sebastiani, Paul Demont, Suzanne Saïd et Georgios Vassiliades nous ont trasmis leurs observations précieuses. Nous remercions chaleureusement Lia Raffaella Cresci, David Konstan, Federicomaria Muccioli, Roberto Nicolai et Michel-Yves Perrin, qui nous ont lus avec attention et compétence. Enfin, nous souhaitons remercier le Professeur Edmond Lévy, qui nous a honorés par sa proposition d’accueillir notre texte dans Ktèma. (2)  Mazzarino 1966, p. 136 sq. Voir aussi le petit livre de Theander 1951. (3)  La définition d’« historien militaire » est évidemment conventionnelle, car l’histoire militaire ne fut jamais un genre ou un sous-genre littéraire indépendant : en revanche, certains historiens – dont Thucydide est le modèle- accordèrent une

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dessus tout un « philosophe » et un « moraliste », qui développe des thèmes de nature éthique et philosophique, mais ne montre pas un véritable intérêt pour le fait militaire4. Et effectivement, dans le corpus des Œuvres morales, Plutarque n’aborde pas, sinon de manière superficielle, les problèmes de la légitimité juridique, de la gestion « correcte » ou bien des implications politiques d’une guerre ou d’une campagne militaire. Et même dans les opuscules consacrés à Sparte et au modèle spartiate, ou dans les traités caractérisés par des thématiques militaires, comme le De Alexandri magni fortuna et virtute et le De fortuna Romanorum, il se limite à des allusions sans traiter la question plus systématiquement5. Les interprétations modernes des Vies parallèles semblent également proposer l’image d’un auteur étranger aux militaria, surtout si l’on prête foi à la déclaration qui ouvre la Vie d’Alexandre :

En effet, nous n’écrivons pas des Histoires mais des Vies, et ce n’est pas toujours par les actions les plus illustres que l’on peut mettre en lumière une vertu ou un vice ; souvent un petit fait, un mot, une bagatelle, révèlent mieux un caractère que les combats meurtriers, les affrontements les plus importants et les sièges des cités6.

Dans ce passage, Plutarque revendique son rôle de biographe. D’ailleurs, au début de la Vie de Nicias, il précise qu’« en matière d’histoire il ne s’agit pas pour [lui] d’accumuler des documents inutiles, mais de présenter ce qui sert à la compréhension d’un caractère et d’un comportement »7. Ces déclarations ont contribué à forger l’image d’un Plutarque contraint de décrire des faits d’armes, mais pas vraiment intéressé par l’histoire bataille. Par exemple, selon Lukas De Blois, les aspects historico-militaires dans les Vies romaines constituent un simple background pour mettre en scène l’êthos du protagoniste8 ; et pour Françoise Frazier, « les récits de bataille relèvent d’un genre “codifié” dans l’élaboration des éloges »9. Plus récemment, Thomas Schmidt a suggéré que dans ses évaluations des grandes batailles des Guerres médiques, Plutarque veut « faire vibrer la corde patriotique de ses lecteurs »10. Mais cette lecture est peut-être réductive : de façon bien plus pertinente, Federicomaria Muccioli a montré que l’intérêt de Plutarque pour les événements « qui font date » relève d’un jeu bien plus complexe d’échos entre le passé grec et le présent « gréco-

grande importance au fait militaire et à la compétence dans la description des batailles. La critique ancienne (par exemple Polybe, XII, 17-28 ; Lucien, Quomodo historia conscribenda sit, passim) dirigée contre les historiens qui ne suivaient pas ce modèle a fini par influencer l’évaluation des Modernes : voir, par exemple, Tuplin 2011, qui montre comment Ctésias, qu’on a tendance à catégoriser comme historien de cour, présente en réalité plusieurs militaria, car « his work was sufficiently like ordinary Greek historiography to deal with military confrontation » (p. 449) : voir, notamment, l’analyse de ce qui reste de son récit sur la bataille de Counaxa (p. 467 sq.), qui d’ailleurs a été utilisé par Plutarque dans sa Vie d’Artaxerxès. D’ailleurs, comme l’observe Pascal Payen, « l’historiographie grecque fait de la guerre un problème ; non le sujet d’une chronique des événements du passé rassemblés autour du fait militaire » (Payen 2012, p. 2027). Voir aussi Corvisier 2013. (4)  Sur le moralisme de Plutarque voir notamment Pelling 1995 ; Duff 2007. La même tradition qui a créé la césure entre les Vies et les Œuvres morales (voir Frazier 2005, p. 88 et surtout Geiger 2008) n’est pas sans influer sur l’image courante du Plutarque « moraliste ». (5)  Dans l’écrit de jeunesse connu comme le De gloria Atheniensium (345c-351b), Plutarque s’attache à démontrer la supériorité des hommes d’action (militaires et politiques) sur les intellectuels (historiens, artistes) qui ont décrit leurs hauts faits. Les éditeurs plus récents concordent sur le caractère rhétorique de cet opuscule : vd. Thiolier 1985 ; Frazier 1990 ; Gallo-Mocci 1992. (6)  Alexandre, 1, 2 : οὔτε γὰρ ἱστορίας γράφομεν, ἀλλὰ βίους, οὔτε ταῖς ἐπιφανεστάταις πράξεσι πάντως ἔνεστι δήλωσις ἀρετῆς ἢ κακίας, ἀλλὰ πρᾶγμα βραχὺ πολλάκις καὶ ῥῆμα καὶ παιδιά τις ἔμφασιν ἤθους ἐποίησε μᾶλλον ἢ μάχαι μυριόνεκροι καὶ παρατάξεις αἱ μέγισται καὶ πολιορκίαι πόλεων. Sauf précision contraire, nous utilisons la traduction d’Anne-Marie Ozanam (Hartog 2001). Sur ce passage, voir Desideri 1995a, et surtout Muccioli 2012a, p. 54, qui a souligné comment cet énoncé ne doit pas s’appliquer à toutes les Vies Parallèles, mais à la seule Vie d’Alexandre. (7)  Nicias, I, 5 : […] τὰ διαφεύγοντα τοὺς πολλούς […] πεπείραμαι συναγαγεῖν, οὐ τὴν ἄχρηστον ἀθροίζων ἱστορίαν, ἀλλὰ τὴν πρὸς κατανόησιν ἤθους καὶ τρόπου παραδιδούς. Voir Mazzarino 1966, p. 138. (8)  Voir notamment De Blois 1992, p. 4583 et 4587. (9)  Frazier 1996, p. 225. (10)  Schmidt 2009, p. 116.

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romain » de Plutarque11. Tout cela peut expliquer, par exemple, pourquoi, malgré l’intérêt accordé à Plutarque par les historiens « militaires », le tout récent Companion to Plutarch n’a pas consacré un chapitre aux militaria12. Et pourtant, avec leur succession presque ininterrompue d’affrontements et de batailles rangées, les Vies conservées donnent une impression bien différente13. Nous avons calculé que les biographies des Grecs contiennent plus de 120 descriptions plus ou moins longues de combats, celles des Romains 100 environ. Même dans la biographie d’un « non-militaire » comme Démosthène, il est question de la bataille de Chéronée14. D’ailleurs, dans certains cas, le témoignage de Plutarque s’avère même essentiel pour la reconstruction historique offrant des indications et des détails absents dans le reste de la tradition15. Bien que la perspective biographique soit centrée sur des héros individuels, les épisodes de guerre narrés dans les Vies ne sont pas moins sanglants que les épisodes narrés par les historiographes16. D’ailleurs, au début de la Vie de Nicias, Plutarque précise que l’étude du caractère de ses personnages ne doit pas faire passer sous silence les πράξεις rapportées par les historiens17. En revanche, le choix du genre biographique empêchait le recours à des excès de pédanterie, car il fallait mettre en valeur surtout les initiatives militaires des grands hommes et de leurs contre-exemples négatifs18. Cela est assez compréhensible, car la plupart des protagonistes des Bioi sont des chefs politiques et militaires, et, dans des cas comme le couple Alexandre-César, des seigneurs de la guerre hors norme. Et si tous les héros des Vies parallèles ne sont pas seulement des militaires, dans la plupart des cas, ils ont accompli des faits de guerre, commandé des armées, gagné ou perdu des batailles, conquis des villes. Dans plusieurs Vies, Plutarque constitue de véritables rubriques de faits militaires19 ; et au moment de la synkrisis, il lui arrive souvent d’insister sur les campagnes militaires des protagonistes20. La critique moderne a longuement étudié les raisons qui ont amené Plutarque à choisir ses personnages sur la base de leurs qualités ou défauts21 ; et même s’il ne se range pas du côté d’un (11)  Muccioli 2012a, p. 133-144. (12)  Beck 2014. Les deux volumes sur The statesman in Plutarch’s works (De Blois et al. 2005) concernent en partie les thématiques de notre étude, mais n’analysent pas spécifiquement les problèmes de la guerre, à l’exception de Verdegem 2005 (Alcibiade). (13)  Voir d’ailleurs Payen 2001, p. 2027 : « La plupart des héros des Vies sont des rois, des stratèges et des magistrats dont l’activité principale et les compétences s’expriment dans le registre de la guerre ». (14)  Démosthène, II, XIX-XXI. Sur l’importance de cette bataille dans l’œuvre de Plutarque, voir Payen 2012, p. 259-261. (15)  Plutarque est le seul auteur à signaler le vent qui se leva le jour de la bataille de Salamine (Thémistocle, XIV, 3 : voir Bouvier 2003, et maintenant Muccioli 2013, p. 280 n. 112) et la seule source sur les innovations techniques apportées par Cimon aux trières athéniennes (Cimon, XII, 2 : voir l’étude de Zaccarini 2013). Voir aussi Beltrametti 2013 pour deux autres épisodes, dont un concerne également Thémistocle à Salamine. (16)  Voir, par exemple, Périclès-Fabius Maximus, XVIII, 3 ; Eumène, VII, 7-13. Et même si, en général, Plutarque n’est pas complaisant « envers les réalités les plus sordides de la guerre » (Payen 2001, p. 2028), Candau Morón 2011 a récemment montré l’influence des descriptions d’auteurs comme Douris de Samos ou Phylarque, dont l’historiographie « tragique » ne correspond pourtant pas à la formation littéraire et philosophique de Plutarque. Un aspect important est représenté par les images littéraires portant sur la guerre : voir les exemples rassemblés par Fuhrmann 1964, p. 254-257. (17)  Nicias, I, 5. (18)  Voir notamment Timoléon, Préf., I, 5. =  Paul Emile, I, 5. On remarquera qu’à la différence du recueil de vies grecques de Cornelius Nepos (un auteur que Plutarque avait lu) les héros de Plutarque ne sont pas uniquement des généraux : Geiger 1981, p. 174 ; Id. 1988. (19)  Voir, par ex., Caton l’Ancien, XV, 1 (20)  Voir Cimon-Lucullus, III, 1-5 ; Lysandre-Sylla, IV, 1-9. Sur la « closural dissonance » entre les synkriseis et les Vies, voir Duff 1999, p. 263-286. (21)  Nous ne pouvons pas présenter toute l’importante bibliographie sur ces questions ; on renvoie aux chapitres et à la bibliographie du tout récent Companion (Beck 2014) : Geiger 2014 ; Van der Stockt 2014 ; Nikolaidis 2014 ; Schettino 2014.

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Thucydide ou d’un Polybe, son intérêt pour la guerre et les chefs de guerre est indéniable. Le biographe ne se limite pas à résumer, synthétiser ou couper ses sources, mais réélabore son matériel en rajoutant des variantes tirées d’autres sources ou bien des considérations personnelles22. Plutarque reconnaît l’importance de la guerre dans l’histoire de l’humanité, et de certaines batailles qu’il considère comme décisives dans le cours de l’histoire23, mais il s’attache également à observer de près la face of battle24, analysant dans les détails le rôle et le comportement des troupes, et surtout les conséquences du caractère et de la personnalité des chefs, avant, durant et après la bataille. C’est dans cette perspective que nous souhaitons présenter ici quelques éléments de réflexion, en nous appuyant sur des sondages et des « case studies » ponctuels. II. Le commandant exemplaire25

Pour son traitement des militaria dans les Vies parallèles, Plutarque semble appliquer les tendances générales qui sont à la base de toute sa méthode de narration26. Cela confirme encore une fois son talent extraordinaire pour adapter et nuancer son matériel historiographique, à partir des nombreuses descriptions de batailles et de sièges. On remarquera notamment son habileté à décrire en filigrane le rapport entre l’êthos du protagoniste de la biographie et la typologie des événements militaires où il est impliqué. Notamment, la stratégie narrative de Plutarque s’affine quand il s’agit de comparer les actions de deux commandants, grecs ou romains, qui ont participé à des événements communs. Dans ces cas, la différence de leur êthos marque la diversité de leur comportement militaire. Un exemple « grec » de ce contraste est celui d’Aratos et Cléomène. Décrivant la personnalité d’Aratos, Plutarque souligne souvent un détail assez étonnant pour un stratège et commandant de la Ligue Achéenne : en cas de bataille rangée, Aratos souffrait de trouble panique et par conséquent n’était pas capable de gérer la situation27. En revanche, il était « particulièrement habile pour cacher ses intentions et pour s’emparer secrètement des cités et des tyrans »28. C’est sans doute pour cette raison que Plutarque s’attache, parfois très minutieusement, aux engagements où Aratos peut mettre en valeur son talent, comme les embuscades nocturnes et les assauts surprise29 ; en revanche, les batailles rangées sont décrites bien plus succinctement30. La sélection des faits militaires est donc un élément supplémentaire d’une stratégie narrative visant à construire l’êthos d’Aratos. Plutarque fait de même pour Cléomène, mais de manière spéculaire : dans sa biographie, il se concentre sur (22)  Nous ne traiterons pas ici l’aspect également important des arguments rhétoriques des chefs militaires dans les Vies. Dans les Praecepta gerendae rei publicae, 803b, Plutarque critique et condamne les discours sur le champ de bataille rapportés par Ephore, Théopompe et Anaxymène : voir Parmeggiani 2012. (23)  Voir ci-dessous, p. 361 sq. (24)  Voir Keegan 1996. (25)  Le thème du commandant exemplaire était déjà présent chez Xénophon, dans l’Agésilas et, plus « librement », dans la Cyropédie, où d’ailleurs se trouvent d’autres parallèles intéressants avec Plutarque : voir Demont 2003, et plus récemment Nicolai 2014. (26)  Voir Geiger 2008. (27)  Aratos, X, 2 ; XXVIII, 2 et 4 ; XXIX, 7-8 ; XXXVI, 5. Voir Cléomène, V, 9. (28)  Aratos, X, 2 : …πολέμῳ καὶ ἀγῶνι χρήσασθαι φανερῶς ἀθαρσὴς καὶ δύσελπις, κλέψαι δὲ πράγματα καὶ συσκευάσασθαι κρύφα πόλεις καὶ τυράννους ἐπηβολώτατος. (29)  Aratos, V-IX, 3 (attaque nocturne contre le tyran de Sicyone Nicoclès) ; XVIII-XXII (embuscade nocturne, conquête de l’Acrocorinthe) ; XXV, 1-5 (tentative –ratée – de tuer le tyran d’Argos) ; XXXI, 3-5 (attaque surprise à Pellène, tandis que les Lacédemoniens pillent la ville et font ripaille) ; XXXIII, 2-6 (tentatives de libérer Athènes des Macédoniens en attaquant le Pirée) ; XXXVI, 2-3 (conquête de Mantinée par une embuscade). (30)  Aratos, XVI, 1 ; XXVIII-XXIX ; XXXIV, 2 ; XXXVI, 1 et 4-5 ; XXXVII ; XXXVIII ; XLVII, 4.

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les batailles rangées, afin de mettre en valeur l’habileté stratégique du roi et cautionner sa réforme de l’armée hoplitique31. Par contre, il mentionne très rapidement les opérations de guérilla où le roi s’illustra également32. Plutarque, qui chérit la tradition spartiate33, peut ainsi mieux exalter ce fidèle interprète des idéaux lacédémoniens, qui fit revivre, à la suite d’Agis IV, le kosmos de Lycurgue. En quelque sorte, il oriente son lecteur de manière subliminale, pour lui faire accepter et partager son propre jugement « exemplaire » sur ses personnages34. Du côté « romain », le même contraste se retrouve entre Fabius Maximus et Marcellus. Le premier, nommé dictateur après la mort de Flaminius au lac Trasimène, est présenté dans sa biographie comme un homme sage et pieux qui s’attire des critiques à cause de sa stratégie de la cunctatio, une stratégie qui fut pourtant bien comprise par Hannibal : c’est d’ailleurs la tradition des Fabii transmise par Polybe et Tite-Live35. Le défaut de Fabius est son manque d’autorité, qui ne lui permet pas de justifier sa stratégie36. Au contraire, selon Marcellus, Fabius fait languir la guerre, à l’instar de « ces médecins timorés qui manquent d’audace dans l’emploi des remèdes et prennent pour le recul de la maladie le déclin des forces du malade »37. On a ici affaire à une sorte de synkrisis interne qui met en parallèle deux Romains 38 : d’autres considérations importantes devaient être énoncées dans la première partie de la Vie de Scipion perdue39. C’est justement la recherche de l’exemplum qui marque la véritable unité du projet biographique de Plutarque, et qui lui permet de souligner, au delà de l’écart chronologique et culturel entre Grecs et Romains, ainsi que de la quantité et de la nature des sources qu’il utilise, les traits communs dans le comportement militaire de ses personnages, de l’époque mythique jusqu’à la fin de la République40. Comme on vient de le souligner, et comme on va le voir avec quelques exemples, Plutarque est loin d’appliquer au pied de la lettre la prémisse « programmatique » de la Vie d’Alexandre41 : on retient plutôt l’impression que l’espace narratif et le pathos descriptif qu’il réserve aux μάχαι μυριόνεκροι, μέγισται παρατάξεις et aux πολιορκίαι πόλεων sont directement proportionnels à l’image du protagoniste qu’il souhaite transmettre à ses lecteurs dans chaque biographie. Certes, il n’oublie pas l’évolution historique de la manière de « faire la guerre » des Grecs et des Romains. Néanmoins, l’unité de son projet est confirmée également dans ses descriptions de hauts faits militaires. (31)  Cleomène IV, 6-10 ; VI, 3-6 ; XIV, 4-5 et surtout XXVIII-XXIX (bataille de Sellasie, 222 av. J.-C.) ; par exemple, XVIII, 4 : ὀλίγου δὲ χρόνου διελθόντος, ἁψάμενοι μόνον τῶν πατρίων ἐθῶν καὶ καταστάντες εἰς ἴχνος ἐκείνης τῆς ἀγωγῆς, ὥσπερ παρόντι καὶ συμπολιτευομένῳ τῷ Λυκούργῳ πολλὴν ἐπίδειξιν ἀνδρείας ἐποιοῦντο καὶ πειθαρχίας, τὴν τῆς Ἑλλάδος ἀναλαμβάνοντες ἡγεμονίαν τῇ Λακεδαίμονι καὶ ἀνακτώμενοι τὴν Πελοπόννησον. (32)  Voir, par exemple, Cleomène XIV, 1 ; XVII, 6-8 ; XXI, 5-6 ; XXIII, 2-6. (33)  Cleomène, XI, 3-4 ; XII-XIII ; voir XVIII. Sur la prédilection de Plutarque pour le modèle spartiate, voir ci-dessous, p. 355-358. (34)  Sur le projet de Plutarque comme une sorte d’historiographie de l’exemplum voir Muccioli 2012a. Voir également Duff 2011, p. 68 : « In the Lives, then, Plutarch tends not to ‘tell’ the readers the moral lessons they should learn from any given incident or Life. Still less does he tell them how to apply such lessons in their own circumstances ». (35)  Fabius Maximus, IV, 4 : μετὰ δὲ ταῦτα καλλίστην ἀρχόμενος ἐκ θεῶν ἀρχήν, καὶ διδάσκων τὸν δῆμον ὡς ὀλιγωρίᾳ καὶ περιφρονήσει τοῦ στρατηγοῦ πρὸς τὸ δαιμόνιον, οὐ μοχθηρίᾳ τῶν ἀγωνισαμένων σφαλέντα, προὔτρεπε μὴ δεδιέναι τοὺς ἐχθρούς, ἀλλὰ τοὺς θεοὺς ἐξευμενίζεσθαι καὶ τιμᾶν, οὐ δεισιδαιμονίαν ἐνεργαζόμενος, ἀλλὰ θαρρύνων εὐσεβείᾳ τὴν ἀρετὴν καὶ ταῖς παρὰ τῶν θεῶν ἐλπίσι τὸν ἀπὸ τῶν πολεμίων φόβον ἀφαιρῶν καὶ παραμυθούμενος. (36)  Périclès-Fabius Maximus, III, 4. (37)  Marcellus, XXIV, 2 : …καὶ τὸν Φάβιον ἀεὶ τῆς ἀσφαλείας ἐχόμενον οὐ καλῶς ἔχειν ἰᾶσθαι τὸ νόσημα τῆς πατρίδος περιμένοντα τῇ Ῥώμῃ μαραινομένῃ συναποσβῆναι τὸν πόλεμον, ὥσπερ ἰατρῶν τοὺς ἀτόλμους καὶ δειλοὺς πρὸς τὰ βοηθήματα, τῆς νόσου παρακμὴν τὴν τῆς δυνάμεως ἐξανάλωσιν ἡγουμένους. (38)  Voir notamment Beck 2002. (39)  Sur le problème voir Herbert 1957. (40)  Les vies de Galba et d’Othon appartiennent à une phase différente du projet : De Blois 2014. (41)  D’ailleurs, même dans le cas d’autres déclarations programmatiques dans les Vies (par ex. Timoléon, Préf., I, 5. = Paul Emile, I, 5 ; Cimon, II, 4-5 ; Périclès, I, 2-4), il ne faut pas s’attendre à ce qu’elles soient appliquées de manière uniforme et constante : voir Duff 1999, p. 13-51 ; Id. 2014.

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francesca gazzano – giusto traina III. La formation philosophique du commandant

Plutarque se concentre sur les commandants, laissant presque toujours dans l’ombre les masses militaires ou le simple soldat42. Le cas romain le plus évident se trouve dans la Vie de Coriolan, où le changement de camp d’un seul homme change le cours de l’histoire43, ou dans le Vie de Pyrrhos, quand le Romain Caius Fabricius commente l’issue de la bataille d’Héraclée expliquant que « ce ne sont pas les Épirotes qui ont vaincu les Romains, c’est Pyrrhos qui a vaincu Laevinus »44. Quand il s’intéresse aux soldats de plus près, et concentre son propos sur leurs attitudes et même sur leurs pensées, c’est parce que le comportement de la troupe est lié étroitement à la capacité ou à l’incapacité de la gérer, come dans le cas de Nicias45. Le défaut commun aux deux protagonistes du couple Pélopidas-Marcellus est de ne pas distinguer le rôle du soldat du rôle du commandant : c’est d’ailleurs pour cette raison que Plutarque les a mis en parallèle46. Voici le jugement du biographe : lorsqu’il est d’une importance capitale pour l’ensemble des opérations que le général s’expose au danger, il doit alors payer de son bras et de sa personne sans s’épargner […] mais quand son succès ne peut amener qu’un avantage minime, alors que sa perte entraîne la ruine totale, nul ne demande au général de jouer au soldat et de s’exposer47.

C’est dans le même esprit qu’il parle du navarque spartiate Callicratidas. Le successeur de Lysandre affirmait que « le sort de Sparte ne dépend pas d’un seul homme », mais Plutarque observe qu’au contraire, « en tant que combattant, que ce soit sur terre ou sur mer, Callicratidas ne comptait que pour un ; mais en sa qualité de général, il concentrait la force de tous en sa personne, si bien qu’il valait bien plus qu’un seul homme, puisque tant de morts devaient accompagner la sienne »48. Le commandant performant est donc le commandant qui présente des qualités guerrières extraordinaires ; il pourra à l’occasion éprouver pour la guerre « une passion exceptionnelle », à (42)  Sur ce « réductionnisme » voir Pelling 1986, p. 221 sq. (43)  Coriolan, XXIX, 1 : ἐπεὶ δὲ καὶ Βοΐλλας, πόλιν οὐ πλείους σταδίους ἑκατὸν ἀπέχουσαν τῆς Ῥώμης, ἑλὼν χρημάτων πολλῶν ἐκράτησε καὶ πάντας ὀλίγου δεῖν τοὺς ἐν ἡλικίᾳ διέφθειρε, τῶν δὲ Οὐολούσκων οὐδ᾽ οἱ μένειν ἐν ταῖς πόλεσι ταχθέντες ἐκαρτέρουν, ἀλλ᾽ ἐφέροντο σὺν τοῖς ὅπλοις πρὸς τὸν Μάρκιον, ἕνα στρατηγὸν καὶ μόνον ἄρχοντα ἑαυτῶν γινώσκειν ἐκεῖνον εἶναι λέγοντες, ἦν ὄνομα κατὰ πᾶσαν αὐτοῦ τὴν Ἰταλίαν μέγα καὶ δόξα θαυμαστὴ τῆς ἀρετῆς, ἑνὸς σώματος μεταθέσει τοσοῦτον ἀπεργασαμένης τὸ παράλογον ἐν τοῖς πράγμασι. Voir Tite-Live, II, 39, 2 : « ce fut la preuve évidente que ses généraux et non ses troupes faisaient la principale force de Rome ». (44)  Pyrrhos, XVIII, 1 : Ῥωμαῖοι δὲ Λαιβῖνον μὲν οὐκ ἀπήλλαξαν τῆς ἀρχῆς˙ καίτοι λέγεται Γάιον Φαβρίκιον εἰπεῖν, ὡς οὐκ Ἠπειρῶται Ῥωμαίους, ἀλλὰ Πύρρος νενικήκοι Λαιβῖνον […]. (45)  Voir, par exemple, Nicias, XXV, 3 ; XXVI, 3, et le jugement sévère en Nicias-Crassus, III, 1 : πόλει μέντοι χρώμενον ἀρετῆς αἰσθανομένῃ καὶ κρείττονα ὄντα τῇ δυνάμει χώραν οὐ δοτέον τοῖς πονηροῖς οὐδ᾽ ἀρχὴν μὴ ἄρχ οὖσιν οὐδὲ πίστιν ἀπιστουμένοις, ὅπερ ἐποίησεν ὁ Νικίας… Voir aussi Alcibiade, XXI, 6 ; Agésilas, XVIII, 3 ; Dion, XXIII, 3-4 ; Démétrios, XLIV, 3-6 ; Antoine, XXXIX, 1 ; XLVIII, 1. Même un commandant victorieux doit maîtriser les défauts des soudards, s’il veut éviter de perdre immédiatement son prestige. C’est le cas de Lucullus qui « ignora ou ne sut calmer les mécontentements et les plaintes de son armée, ce qui lui valut de si violentes haines » (Cimon-Lucullus, II, 5 ; voir Tröster 2008a et b). Voir aussi la métaphore platonicienne (Phèdre, 253c sq.) de Galba, VI, 4, où Verginius et Vindex, engagés dans la bataille de Besançon, ressemblent à des « cochers incapables de tenir les rênes » : voir Ash 1997, p. 193. (46)  Voir Pélopidas, II, 11 : ἠφείδησαν ἑαυτῶν σὺν οὐδενὶ λογισμῷ προέμενοι τὸν βίον ὁπηνίκα μάλιστα τοιούτων καιρὸς ἦν ἀνδρῶν σῳζομένων καὶ ἀρχόντων. L’image du général-soldat est évidemment un cliché, mais correspond aussi au comportement de divers stratèges sur le champ de bataille : voir Wheeler 1991. (47)  Pélopidas, II, 7-8 : ὅπου μὲν γὰρ εἷς τὰ ὅλα μεγάλην φέρει ῥοπὴν ὁ τοῦ στρατηγοῦ κίνδυνος, ἐνταῦθα καὶ χειρὶ καὶ σώματι χρηστέον ἀφειδῶς, χαίρειν φράσαντα τοῖς λέγουσιν ὡς χρὴ τὸν ἀγαθὸν στρατηγὸν μάλιστα μὲν ὑπὸ γήρως, εἰ δὲ μή, γέροντα θνῄσκειν˙ ὅπου δὲ μικρὸν τὸ περιγινόμενον ἐκ τοῦ κατορθώματος, τὸ δὲ πᾶν συναπόλλυται σφαλέντος, οὐδεὶς ἀπαιτεῖ στρατιώτου πρᾶξιν κινδύνῳ πραττομένην στρατηγόν. (48)  Pélopidas, II, 2-3 : ῞Οθεν ὁ Καλλικρατίδας, καίπερ ὢν τἆλλα μέγας, οὐκ εὖ πρὸς τὸν μάντιν εἶπε· δεομένου γὰρ αὐτοῦ φυλάττεσθαι θάνατον, ὡς τῶν ἱερῶν προδηλούντων, ἔφη μὴ παρ᾽ ἕνα εἶναι τὰν Σπάρταν. Μαχόμενος γὰρ εἷς ἦν καὶ πλέων καὶ στρατευόμενος ὁ Καλλικρατίδας, στρατηγῶν δὲ τὴν ἁπάντων εἶχε συλλαβὼν ἐν αὑτῷ δύναμιν, ὥστε οὐκ ἦν εἷς ᾧ τοσαῦτα συναπώλλυτο. Voir aussi le portrait élogieux de Callicratidas dans Lysandre, V, 7-VII, 1 : voir Duff 1999, p. 170‑176 et surtout Bernini 1988.

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l’instar de Coriolan49, ou bien, pour les Grecs, Eumène et Pyrrhos, le plus grand général selon Hannibal50. Mais c’est surtout Philopœmen qui « éprouvait, semble-t-il, pour les expéditions militaires une passion hors du commun ; il avait embrassé la guerre parce qu’elle offrait à la valeur la carrière la plus riche ; il éprouvait un mépris général pour tous ceux qui s’en désintéressaient, qu’il considérait comme des êtres inutiles »51. Pour construire ses héros grecs, Plutarque utilise un double filtre interprétatif. D’abord, pour faire un bon commandant, les dons naturels comme l’ambition (philotimia)52, l’amour pour la compétition (philonikia)53, le courage viril (andreia), l’amour pour la patrie etc. ne suffisent pas54. Et les vertus morales qui sont propres au bon politique, comme l’honnêteté, l’incorruptibilité, le mépris du luxe, sont propres également au bon militaire55 : par conséquent, la présence ou l’absence d’un modèle éducatif « philosophique » est également essentielle dans le processus de formation de ce dernier56. Pour mieux correspondre à l’idéal de Plutarque, le commandant grec doit être pourvu d’une éducation véritablement philosophique57, et rares sont les exceptions à cette règle, surtout pour les chefs grecs qui ont vécu après la première moitié du ve siècle, quand la philosophie se lia intimement à la politique : il suffira d’évoquer le rapport entre Anaxagore et Périclès58, Socrate et Alcibiade59, Platon et Dion, et encore Platon, Xénocrate et Phocion, Aristote et Alexandre, Sphairos de Boristhène et Cléomène III60. On évoquera aussi le rapport entre Spintharos de Tarente et Epaminondas61. La biographie de ce dernier, en couple avec Scipion (l’Africain ou Emilien ?) selon le Catalogue de Lamprias, est perdue. Cependant Plutarque se réfère constamment à Epaminondas, qui était sans doute le héros qu’il chérissait et célébrait le plus62. Pour Plutarque, la philosophie (49)  Coriolan, II, 1. Voir Duff 1999, p. 210. (50)  Pyrrhos, VII, 4 ; VIII, 5 : Ἀννίβας δὲ συμπάντων ἀπέφηνε τῶν στρατηγῶν πρῶτον μὲν ἐμπειρίᾳ καὶ δεινότητι Πύρρον, Σκηπίωνα δὲ δεύτερον, ἑαυτὸν δὲ τρίτον, ὡς ἐν τοῖς περὶ Σκηπίωνος γέγραπται ; Eumène-Sertorius, II, 1 et 5. (51)  Philopoemen, IV, 10 : ἔοικε γὰρ οὗτος ὁ ἀνὴρ περαιτέρω τῆς ἀνάγκης ἐμφιλοκαλῆσαι τοῖς στρατιωτικοῖς, καὶ τὸν πόλεμον ὡς ποικιλωτάτην ὑπόθεσιν τῆς ἀρετῆς ἀσπάσασθαι καὶ ὅλως καταφρονεῖν τῶν ἀπολειπομένων ὡς ἀπράκτων. Un exemple intéressant est le passage de Timoléon XXXVI, 4, évoqué rapidement par Fuhrmann (1964, p. 199) : οὕτως παρὰ τὴν Ἐπαμεινώνδου στρατηγίαν καὶ τὴν Ἀγησιλάου, πολυπόνους γενομένας καὶ δυσάγωνας, ἡ Τιμολέοντος ἀντεξεταζομένη, καὶ μετὰ τοῦ καλοῦ πολὺ τὸ ῥᾴδιον ἔχουσα φαίνεται τοῖς εὖ καὶ δικαίως λογιζομένοις οὐ τύχης ἔργον, ἀλλ᾽ἀρετῆς εὐτυχούσης. (52)  Voir par exemple De virtute morali 451b-452d ; Thésée, VI, 8-9 ; Thémistocle, III, 4-5 ; Coriolan, IV, 1-2. Voir Frazier 1996 ; Roskam et al. 2011. (53)  Agésilas, V ; Lysandre, II, 3-4 ; Pélopidas, XIX, 4-5. Voir Stadter 2011. (54)  Voir surtout l’analyse du vocabulaire des vertus des héros des Vies dans Frazier 1996, p. 197-271. (55)  Voir par exemple Aristide, VI, 1-2 ; XXIV, 4 : ἐκείνῳ γὰρ εἰπόντος ποτὲ τοῦ Θεμιστοκλέους ἀρετὴν ἡγεῖσθαι μεγίστην στρατηγοῦ τὸ γινώσκειν καὶ προαισθάνεσθαι τὰ βουλεύματα τῶν πολεμίων, ‘τοῦτο μέν,’ εἰπεῖν, ‘ἀναγκαῖόν ἐστιν, ὦ Θεμιστόκλεις, καλὸν δὲ καὶ στρατηγικὸν ἀληθῶς ἡ περὶ τὰς χεῖρας ἐγκράτεια.’ ; Périclès, VIII, 8 : καί ποτε τοῦ Σοφοκλέους, ὅτε συστρατηγῶν ἐξέπλευσε μετ᾽ αὐτοῦ, παῖδα καλὸν ἐπαινέσαντος, ‘οὐ μόνον,’ ἔφη, ‘τὰς χεῖρας, ὦ Σοφόκλεις, δεῖ καθαρὰς ἔχειν τὸν στρατηγόν, ἀλλὰ καὶ τὰς ὄψεις.’ Voir aussi Philopoemen, III, 1 ; Lysandre, II, 6 ; III, 4. (56)  Voir Duff 2008 ; Muccioli 2012a. (57)  Un possible modèle pourrait être Xénophon, qui affirmait dans l’Anabase (II, 6, 16-18) que Proxène n’était pas capable de commander, même s’il avait été éduqué par Gorgias. (58)  Périclès, IV, 4 ; V, 1 ; VI, 1. (59)  Alcibiade, I, 2 ; IV ; VI ; VII. Comme dans le cas du Romain Brutus, le cas d’Alcibiade est particulier, car malgré son éducation philosophique, il ne peut pas être considéré comme un personnage entièrement positif, même sur le plan militaire. Comme déjà Platon, Plutarque aussi croit que l’excès d’engagement d’Alcibiade, objet d’adulation de la part de la démocratie radicale athénienne, a rendu vains les résultats de la leçon morale de Socrate. Voir Verdegem 2010 ; sur le portrait complexe d’Alcibiade dans la tradition littéraire voir, entre autres, Gribble 1999. (60)  Dion, I, 2 ; IV, 3-V ; X-XI ; XIII ; XVI-XXI. Phocion, IV, 2-3 ; Alexandre, VII, 2-VIII ; Cleomène, II, 2-3 (et 6, avec les considérations de Plutarque sur les limites du stoïcisme). (61)  De garrulitate, 39b, De genio Socratis 592f-593a, et De liberis educandis 8b, sur le rapport entre Epaminondas et Platon. Voir Caiazza 1995. (62)  Agésilas, XXVII, 6 ; XXVIII (avec référence à la Vie d’Epaminondas en XXVIII, 4) ; XXXI ; XXXII, 4 ; XXXV, 1-2 ; Aratos, XIX, 3 ; Philopœmen III, 1 ; XIV, 1 ; Pélopidas-Marcellus II, 2. Voir Shrimpton 1971 ; Tuplin 1984 et, plus

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présente une utilité pratique pour la formation militaire du chef, car elle favorise la praotês63, confére l’autorité (axiôma)64, renforce la capacité d’endurance65, éloigne de la superstition etc.66 En revanche, les limites et les faiblesses d’un commandant proviennent de l’absence d’une formation philosophique, comme dans le cas de Nicias, qui se laissa effrayer par une éclipse lunaire : c’est sa superstition qui cause la déroute athénienne en Sicile67. De même Timoléon, qui fait commettre un juste fratricide pour protéger la cité, est profondement affligé par ce meurtre : pour Plutarque, son découragement relève de l’absence d’une éducation philosophique, qui assure « la fermeté et la force nécessaire à nos entreprises »68. De manière analogue, c’est le manque d’éducation philosophique qui détermine le trouble panique dont souffre Aratos69. Inutile de le dire, on ne trouve pas la moindre trace de philosophes ou de philosophie dans les biographies des Grecs moins « exemplaires » comme Démétrios, Lysandre, et également Nicias70. récemment, Muccioli 2012a, p. 177-179. (63)  Périclès, XXXIV, 1 ; XXXIX, 1 et 4 ; Péricles-Fabius Maximus, III, 4. Voir Martin 1960 ; Stadter 1989, p xxx sq. Plutarque juge positivement le roi perse Artaxerxès pour sa praotês : voir Orsi 1996, p.  xxvii-xxviii. Parmi les Romains, c’est Fabius Maximus qui est le plus doué de praotês : Fabius Maximus, I, 4 ; IX, 1 ; XX, 4 : mais à cette époque, l’éducation philosophique ne faisait pas nécessairement partie de l’outillage intellectuel d’un commandant romain. Le terme praotês est très difficile à rendre dans une langue moderne : en français, on utilise souvent « douceur » (voir de Romilly 1957), en anglais « self-restraint » (voir Stadter 1989, p. xxx sq. Une solution intéressante est celle de Harris 2002, p. 81, qui propose « even temper ». (64)  Périclès, IV, 4 ; V, 1 ; XXXVII, 1 : τῆς δὲ πόλεως πειρωμένης τῶν ἄλλων στρατηγῶν εἰς τὸν πόλεμον καὶ ῥητόρων, ὡς δ᾽ οὐδεὶς βάρος ἔχων ἰσόρροπον οὐδ᾽ ἀξίωμα πρὸς τοσαύτην ἐχέγγυον ἡγεμονίαν ἐφαίνετο˙. (65)  Phocion, IV, 2-4 : […] οὐδ᾽ ἂν οὕτως ἐλευθερίου βίου καὶ σώφρονος παιδείας μετέσχεν ὥστε τῆς Πλάτωνος ἔτι μειράκιον ὤν, ὕστερον δὲ τῆς Ξενοκράτους διατριβῆς ἐν Ἀκαδημείᾳ μετασχεῖν, καὶ τῶν ἀρίστων ἐξ ἀρχῆς ἐπιτηδευμάτων ζηλωτὴς γενέσθαι. Φωκίωνα γὰρ οὔτε γελάσαντά τις οὔτε κλαύσαντα ῥᾳδίως Ἀθηναίων εἶδεν, […] οὐδ᾽ ἐκτὸς ἔχοντα τὴν χεῖρα τῆς περιβολῆς, ὅτε τύχοι περιβεβλημένος. Ἐπεὶ κατά γε τὴν χώραν καὶ τὰς στρατείας ἀνυπόδητος ἀεὶ καὶ γυμνὸς ἐβάδιζεν, εἰ μὴ ψῦχος ὑπερβάλλον εἴη καὶ δυσκαρτέρητον, ὥστε καὶ παίζοντας ἤδη τοὺς στρατευομένους σύμβολον μεγάλου ποιεῖσθαι χειμῶνος ἐνδεδυμένον Φωκίωνα. (66)  Périclès, VI, 1 ; Nicias, XXIII, 6 ; Dion, II, 5 (sur Dion et Brutus, loués comme « des hommes équilibrés, des philosophes ») ; XXIV, 1 : μετὰ δὲ τὰς σπονδὰς καὶ τὰς νενομισμένας κατευχὰς ἐξέλιπεν ἡ σελήνη. καὶ τοῖς μὲν περὶ τὸν Δίωνα θαυμαστὸν οὐδὲν ἦν λογιζομένοις τὰς ἐκλειπτικὰς περιόδους καὶ τὴν γινομένην τοῦ σκιάσματος ἀπάντησιν πρὸς τὴν σελήνην καὶ τῆς γῆς τὴν ἀντίφραξιν πρὸς τὸν ἥλιον. (67)  Nicias, XXIII, 1 et 9 : ὡς δ᾽ ἦν ἕτοιμα ταῦτα πάντα καὶ τῶν πολεμίων οὐδεὶς παρεφύλαττεν, ἅτε δὴ μὴ προσδοκώντων, ἐξέλιπεν ἡ σελήνη τῆς νυκτός, μέγα δέος τῷ Νικίᾳ καὶ τῶν ἄλλων τοῖς ὑπὸ ἀπειρίας ἢ δεισιδαιμονίας ἐκπεπληγμένοις τὰ τοιαῦτα. […] ἄλλως τε καὶ τῶν περὶ ἥλιον καὶ σελήνην ἐπὶ τρεῖς ἡμέρας ἐποιοῦντο φυλακήν, ὡς Αὐτοκλείδης διέγραψεν ἐν τοῖς ἐξηγητικοῖς˙ ὁ δὲ Νικίας ἄλλην ἔπεισε σελήνης ἀναμένειν περίοδον, ὥσπερ οὐκ εὐθὺς θεασάμενος αὐτὴν ἀποκαθαρθεῖσαν, ὅτε τὸν σκιερὸν τόπον καὶ ὑπὸ τῆς γῆς ἀντιφραττόμενον παρῆλθε. Dans ce passage, Plutarque explique les théories philosophiques sur les éclipses, en particulier celle de Platon. Plutarque formule souvent des considérations rationalistes sur la relation entre les événements militaires et les événements naturels que les superstitieux prennent pour des présages : voir notamment Marius, XXI, 8 (après la bataille d’Aquae Sextiae) : « On dit aussi, ce qui est fort vraisemblable, que les grandes batailles provoquent des pluies exceptionnelles : un démon vient-il ainsi sanctifier la terre, en l’inondant d’eaux pures qui viennent du ciel ? Ou bien les cadavres en décomposition produisent-ils une exhalaison humide et lourde qui condense l’air, élément sujet à s’altérer et à se modifier sous l’influence, le plus souvent, d’une cause infime ? ». Un autre exemple de cette méthode rationaliste sont les digressions sur les défaites qui déterminent la fixation des jours néfastes : Camille, XIX, 3-11 (et Questions romaines, 25 : voir Traina 2010). C’est la bataille de l’Allia, pas très bien décrite. Sur l’intérêt de Plutarque pour la cosmologie et les éclipses voir Flacelière 1951 ; Torraca 1992. (68)  Timoléon, VI, 1-2 : οὕτως αἱ κρίσεις, ἂν μὴ βεβαιότητα καὶ ῥώμην ἐκ λόγου καὶ φιλοσοφίας προσλάβωσιν ἐπὶ τὰς πράξεις, σείονται καὶ παραφέρονται ῥᾳδίως ὑπὸ τῶν τυχόντων ἐπαίνων καὶ ψόγων ἐκκρουόμεναι τῶν οἰκείων λογισμῶν. Δεῖ γὰρ οὐ μόνον, ὡς ἔοικε, τὴν πρᾶξιν καλὴν εἶναι καὶ δικαίαν, ἀλλὰ καὶ τὴν δόξαν, ἀφ᾽ ἧς πράττεται, μόνιμον καὶ ἀμετάπτωτον, ἵνα πράττωμεν δοκιμάσαντες, […]. (69)  Aratos, X, 5 : τὴν δὲ τοιαύτην ἀνωμαλίαν ἔνδεια λόγου φιλοσόφου περὶ τὰς εὐφυΐας ἀπεργάζεται, τὴν ἀρετὴν, ὥσπερ καρπὸν αὐτοφυῆ καὶ ἀγεώργητον, ἐκφερούσας δίχα τῆς ἐπιστήμης. ταῦτα μὲν οὖν ἐξεταζέσθω τοῖς παραδείγμασιν. (70)  Plutarque considère Démétrios et Antoine comme des modèles négatifs (Démétrios, I, 5-8) ; et si, généralement, il condamne Lysandre dans le bios (II, 4 et 6 ; V, 6 ; VII, 5-VIII, 5 ; XIII, 7-9 ; XVII, 2 sq. ; XVIII, 4 ; XIX, 1-2 ; XXIII, 7), dans la synkrisis, il le juge avec des accents plus favorables que ceux qu’il utilise pour Sylla. Sur les Vies caractérisées par

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IV. Le modèle spartiate

En deuxième lieu, le modèle de Sparte est le point de repère de Plutarque non seulement pour l’êthos, mais aussi pour la stratégie et la tactique : c’est aux profils qui correspondent le plus au « mirage spartiate » que le biographe accorde sa prédilection71. Cette attitude remonte d’ailleurs à l’époque classique : mais chez le « platonicien » Plutarque72, et probablement chez ses contemporains aussi, le filtre du kosmos spartiate est un élément fondamental pour la construction du commandant idéal73. Le système introduit par Lycurgue, décrit par Plutarque avec enthousiasme, représente aussi une sorte de philosophie de la guerre où le combattant acquiert toutes les vertus74 : le soldat apprend à obéir, le général apprend l’art du commandement75. Notamment le chapitre XXII de la Vie de Lycurgue – la seule vie, avec celle, parallèle, de Numa, qui ne rapporte pas des descriptions des combats – condense parfaitement le « Spartan way of War » : les Spartiates, que Lycurgue avait rendus « artisans de guerre et serviteurs d’Arès »76, étaient « les seuls hommes au monde auxquels la guerre permettait de se reposer des exercices qui y préparaient », et également les seuls à qui l’exercice exclusif de la guerre assurait « une liberté pleine et définitive »77. Les protagonistes spartiates des Vies (Agésilas, Lysandre, Agide et Cléomène) sont jugés selon leur degré d’adhésion au modèle idéal ; le roi Agésilas, qui n’était pas destiné au trône, dut subir l’agôgê, apprenant ainsi l’art de l’obéissance avant d’apprendre l’art du commandement, ce qui n’est pas sans signification dans l’évaluation générale de ce personnage complexe. Par contre, Lysandre, le navarque vainqueur d’Aigos Potamos, κύριος τῆς Ἑλλάδος selon Plutarque78, ou le « ungekrönte König des Hellas » dans la définition d’Eduard Meyer79, est présenté négativement car il se range du côté des Spartiates infidèles au modèle de Lycurgue : il fut le premier destructeur du kosmos, non seulement avec l’introduction de la richesse à Sparte, mais aussi par aussi parce qu’il préconisait le recours à un « nouveau » modèle de commandant, contre le cliché de l’hoplite spartiate qui devait vaincre ou mourir loyalement. En revanche, Lysandre, comme un prince à la Machiavel avant la lettre, affirmait « quand la peau du lion n’est pas assez longue, il faut y coudre celle du renard »80, cautionnant ainsi l’utilisation de stratégies fondées sur le δόλος, étrangères à l’image idéalisée du une tradition « noire » voir Piccirilli 1989 ; sur l’évaluation négative de Nicias voir ci-dessous, p. 358 et 364 sq., et surtout Piccirilli 1993, p. XIII sq. ; Candau 2004-2005. (71)  Voir Ollier 1943, II 187 sq. ; Aalders 1982, p. 37 sq ; Aalders – De Blois 1992 ; Cozzoli 1978, et maintenant surtout Muccioli 2012a, p. 118-126. (72)  Voir les articles rassemblés par Pérez Jiménez et al. 1999 ; Opsomer 2005, et la synthèse de Dillon 2014. Voir aussi Lévy 2005, sur l’idée de Sparte chez Platon. (73)  Sur le contexte « romain » de l’utilisation de Lycurgue, voir les pages un peu rapides de Desideri 2002. (74)  Pour Wilamowitz 1926, il s’agit d’un véritable bios de Sparte. (75)  Voir Lycurgue, XXX, 3-5 : ὅθεν ἔγωγε θαυμάζω τῶν λεγόντων ὡς ἄρχεσθαι μὲν ᾔδεσαν, ἄρχειν δὲ οὐκ ἠπίσταντο Λακεδαιμόνιοι, καὶ τὸν Θεοπόμπου τοῦ βασιλέως ἐπαινούντων λόγον, ὅς εἰπόντος τινὸς σώζεσθαι τὴν Σπάρτην διὰ τοὺς βασιλεῖς ἀρχικοὺς γεγονότας, ‘μᾶλλον,’ εἶπε, ‘διὰ τοὺς πολίτας πειθαρχικοὺς ὄντας :’ οὐ γὰρ ἀκούειν ὑπομένουσι τῶν προστατεῖν μὴ δυναμένων, ἀλλ᾽ ἡ πειθαρχία μάθημα μέν ἐστιν τοῦ ἄρχοντος (ἐμποιεῖ γάρ ὁ καλῶς ἄγων τὸ καλῶς ἕπεσθαι˙ καὶ καθάπερ ἱππικῆς τέχνης ἀποτέλεσμα πρᾷον ἵππον καὶ πειθήνιον παρασχεῖν, οὕτω βασιλικῆς ἐπιστήμης ἔργον ἀνθρώποις εὐπείθειαν εργάσασθαι), Λακεδαιμόνιοι δ᾽ οὐκ εὐπείθειαν, ἀλλ᾽ ἐπιθυμίαν ἐνειργάζοντο τοῖς ἄλλοις τοῦ ἄρχεσθαι καὶ ὑπακούειν αὐτοῖς. ᾔτουν γάρ οὐ ναῦς οὐδὲ χρήματα παρ᾽ αὐτῶν οὐδ᾽ ὁπλίτας πέμποντες, ἀλλὰ ἕνα Σπαρτιάτην ἡγεμόνα˙ (76)  πολέμου χειροτέχνας καὶ θεράποντας Ἄρεως ὄντας (Lycurgue-Numa, II, 6). (77)  Lycurgue, XXII, 3 ; Lycurgue-Numa, II, 7 (ἵν᾽ ἐλεύθεροι παντελῶς καὶ καθάπαξ ὦσιν). (78)  Lysandre, XVI, 1 ; XXI, 2. (79)  Meyer 1965, p. 32. (80)  Lysandre, VII, 6 : ‘ὅπου γὰρ ἡ λεοντῆ μὴ ἐφικνεῖται, προσραπτέον ἐκεῖ τὴν ἀλωπεκῆν’. Voir Brizzi 2008, p. 9 sq ; ce mot de Lysandre a été souvent cité dans la littérature politique et morale moderne, à partir de Machiavel : voir aussi le Traité de la Sagesse de Pierre Charron (1601 ; Canfora 2001, p. 89-91), et l’Apologie pour Machiavelle de Louis Machon (1643). Sur le rapport entre Plutarque et Machiavel voir Desideri 1995b, et maintenant, sur le personnage de Thémistocle, Muccioli 2012a, p. 18, 147.

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Spartiate81. Mais Plutarque préfère exalter l’image de l’hoplite spartiate, qui, à son époque, était devenue un cliché ; et c’est pour cette raison qu’il ne lésine pas sur ses éloges pour les actions militaires des rois Agis IV et Cléomène, qui restaurent le système de Lycurgue et donnent à Sparte un nouvel influx d’arété militaire, mais aussi pour celles des Athéniens comme Aristide et Cimon, commandants qui ne cachaient pas leur prédilection pour le modèle spartiate82. Dans ces deux derniers cas, c’est justement l’adoption des caractéristiques essentielles de la « philosophie de la guerre » lacédémonienne qui pallie l’absence d’une véritable éducation philosophique. Plutarque montre sa prédilection pour la formation militaire lacédémonienne dans ses observations sur le rapport entre Spartiates et Thébains, souvent engagés dans des affrontements, notamment à l’époque de l’hégémonie spartiate83. Du fait de ces combats, les Thébains finissent par apprendre l’art militaire de l’ennemi84. On évoquera également l’influence thébaine sur le jeune Philippe de Macédoine, à l’époque de son séjour à Thèbes85. Dans son évocation du commandant idéal romain, Plutarque se montre plus prudent. D’abord, avec les Romains, même avec les personnages les plus anciens, Plutarque frise l’actualité et doit tenir compte de l’historiographie sénatoriale, qui opposait l’autorité du Prince au prestige du commandant86. A l’époque de Trajan, le rôle du général était un sujet sensible : les carrières n’étant pas séparées, il n’y avait pas de viri militares à proprement parler87. En même temps, l’Empire ayant atteint des proportions importantes, il fallait évidemment prévoir des hommes adéquats. Les commandants romains qui ont vécu avant le IIe siècle av. J.-C., n’ont pas reçu une véritable formation philosophique, mais la vocation militaire de Rome pallie ce manque88. Au début de la (81)  Lysandre, VII, 5 : τοῖς δὲ τὸν ἁπλοῦν καὶ γενναῖον ἀγαπῶσι τῶν ἡγεμόνων τρόπον, ὁ Λύσανδρος τῷ Καλλικρατίδᾳ παραβαλλόμενος ἐδόκει πανοῦργος εἶναι καὶ σοφιστής, ἀπάταις τὰ πολλὰ διαποικίλλων τοῦ πολέμου καὶ τὸ δίκαιον ἐπὶ τῷ λυσιτελοῦντι μεγαλύνων, εἰ δὲ μή, τῷ συμφέροντι χρώμενος ὡς καλῷ, καὶ τὸ ἀληθὲς οὐ φύσει τοῦ ψεύδους κρεῖττον ἡγούμενος, ἀλλ᾽ ἑκατέρου τῇ χρείᾳ τὴν τιμὴν ὁρίζων. (82)  Aristide, II, 1. Ce n’est pas un hasard le fait que Plutarque insiste sur le rôle d’Aristide comme commandant d’infanterie dans toutes les Guerres médiques, y compris à Salamine où il guida les hoplites athéniens contre les fantassins perses sur l’île de Psyttalie (Aristide, VIII-IX). Le rôle d’Aristide est également exalté (contre Hérodote, IX, 1-89) dans la longue description de la bataille de Platée (Aristide, XI-XIX). Quant à Cimon, Plutarque présente son philolaconisme de manière encore plus évidente (Cimon, IV, 4 ; X, 7 ; XIV, 3, et surtout XV-XVII). (83)  Un cas différent est celui de Thémistocle, vainqueur de Salamine et icône de la naissante puissance maritime athénienne. A la différence de Thucydide, qui voit Thémistocle comme un homme favorisé par la pronoia, Plutarque présente un portrait plus nuancé, qui met en valeur l’ambiguïté et la complexité du personnage : voir Pelling 2007 et surtout Muccioli 2012a, p. 144-156 ; Id. 2013, p. 253-255 nt. 59 ; Moggi 2013. (84)  Agésilas, XXVI, 3 : …τρωθέντος αὐτοῦ ποτε τὸν Ἀνταλκίδαν εἰπεῖν : ‘ἦ καλὰ τὰ διδασκάλια παρὰ Θηβαίων ἀπολαμβάνεις, μὴ βουλομένους μηδὲ ἐπισταμένους μάχεσθαι διδάξας.’. Un peu plus loin (XXVI, 5) Plutarque mentionne une rhetra de Lycurgue qui défendait aux Spartiates de se battre trop souvent contre le même ennemi, pour éviter qu’ils n’apprennent leurs techniques. Voir aussi Apophthegmata Laconica, 217e. (85)  Pélopidas, XXVI, 7 : « ce qui fait croire à certains qu’il avait fait d’Epaminondas son modèle ; on se fonde sans doute sur l’énergie avec laquelle il mena ses guerres et ses commandements » (ἐκ δὲ τούτου καὶ ζηλωτὴς γεγονέναι ἔδοξεν Ἐπαμεινώνδου, τὸ περὶ τοὺς πολέμους καὶ τὰς στρατηγίας δραστήριον ἴσως κατανοήσας). Voir Hammond 1997. (86)  D’ailleurs, il observe que seuls trois généraux, dans l’histoire de Rome, avaient obtenu l’honneur des dépouilles opimes. Il s’agit notamment de Romulus, de Cornelius Cossus en 437 av. J.-C., et de Marcellus en 222 av. J.-C. (Romulus, XVII, 7 ; Marcellus, IX, 9). (87)  Campbell 1975. (88)  Le roi Numa, connu pour ses rapports avec Pythagore, est justement l’un des rares protagonistes des Vies totalement étranger à la réalité militaire. Sur le rapport entre Numa et Pythagore voir Numa, I, 3-4 ; VIII, 5-18 et 20 ; XXII, 5 ; Paul-Emile, II, 2. Voir aussi Questions romaines, 84, et Preston 2001, p. 102 sq. (sur la valeur de cette contribution, voir Schmitz 2002). Mais son règne représente une exception presque mythique, car c’est la seule période où Rome n’a jamais été en guerre. Sur l’attitude « pacifique » du roi, voir Numa, V, 3 : « …il fallut beaucoup de discours et de prières pour convaincre et faire changer d’avis un homme qui avait vécu dans le calme et la paix, pour l’amener à prendre le commandement d’une cité qui, d’une certaine manière, était née et avait grandi dans la guerre ». Numa V, 8 : « Peut-être n’en voulez-vous pas, mais pour les soutenir, la cité a besoin d’un roi plein d’ardeur, dans la force de l’âge. Le peuple a une grande habitude de la guerre

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Vie de Coriolan, Plutarque explique qu’en ce temps-là « Rome exaltait surtout la partie de la vertu qui concerne la guerre et l’armée, comme le prouve le fait que les Romains désignent la vertu par le mot qui signifie vaillance virile »89. Même les Ligures, caractérisés comme « une nation belliqueuse et farouche », doivent leur expérience de la guerre à leur voisinage avec les Romains90. Et même au IIe siècle, on rencontre un personnage comme Caton l’Ancien, qui fit de l’antihellénisme une véritable devise. Dans la synkrisis avec Aristide, Plutarque le brocarde comme un personnage vantard et ambitieux, dont les faits militaires « n’apportèrent rien à un empire déjà très grand » : en revanche, les campagnes d’Aristide « amenèrent les victoires les plus belles, les plus éclatantes et les plus considérables : celles de Marathon, de Salamine et de Platées »91. Mais Caton est une figure assez exceptionnelle par rapport aux commandants romains dont l’êthos est marqué par la rencontre avec les Grecs. Au IIIe siècle, ils ne sont plus des Barbares : en deux contextes différents, Plutarque rapporte le mot attribué à Pyrrhos lorsqu’il aperçut l’armée romaine rangée en ordre de bataille et souligna qu’il ne s’agissait pas d’une armée barbare92. Si Coriolan, est dépeint comme un homme favorisé par la Fortune, Scipion doit sa victoire contre Carthage à sa sagesse, sa vaillance et sa détermination93. C’est en vertu de sa πραότης et de sa prévoyance que Fabius Maximus adopte la stratégie de la cunctatio ; « d’autre part, si le devoir d’un bon général est de bien exploiter la situation présente, mais aussi de faire des conjectures exactes sur l’avenir… »94. Le défaut de Fabius n’est pas sa stratégie mais son manque d’autorité.

et, en raison de ses succès, une grande fougue. Tout le monde voit bien qu’il désire grandir et dominer d’autres nations. Je serais donc bien ridicule, dans mon désir d’honorer les dieux, d’enseigner le culte de la justice, la haine de la violence et de la guerre, à une cité qui a plus besoin d’un chef d’armée que d’un roi ». Numa, XX, 7 : « on ne mentionne aucune guerre, aucun soulèvement, aucune révolution politique sous le règne de Numa ». Cf. également Numa, XX, 1-3, sur le temple de Janus fermé sous le consulat de M. Atilius et T. Mallius (235 av. J.-C., voir De fortuna Romanorum 322 b-c) et par Auguste « quand ce dernier eut écrasé Antoine » [en 29 av. J.-C.]. « Mais sous le règne de Numa, on ne le vit pas ouvert un seul jour ; il resta constamment fermé pendant quarante-trois ans, tant la guerre avait disparu complètement et partout ». Voir également Tite-Live I, 19.3 (passage écrit avant la deuxième fermeture en 25 av. J.-C. : Canfora 1993, p.  176). Et dans la synkrisis avec Lycurgue, Plutarque déploie des efforts pour ne pas tomber dans la contradiction : « Et quoi ? Dira-t-on. Les guerres n’ont-elles pas permis à Rome de s’accroître pour son plus grand bien ? Cette question exigerait une longue réponse, afin de convaincre des gens qui croient que le bien, c’est l’argent, le luxe et le pouvoir, plutôt que la sécurité, la douceur et la liberté intérieure, accompagnées de la justice » (Lycurgue-Numa, IV, 13) (89)  Coriolan, I, 6 : ὅλως μὲν οὖν ἐν τοῖς τότε χρόνοις ἡ Ῥώμη μάλιστα τῆς ἀρετῆς τὸ περὶ τὰς πολεμικὰς καὶ στρατιωτικὰς ἐκύδαινε πράξεις, καὶ μαρτυρεῖ τὸ τὴν ἀρετὴν ὑπ᾽ αὐτῶν ἑνὶ τῷ τῆς ἀνδρείας ὀνόματι προσαγορεύεσθαι, καὶ τοῦτο τοῦ γένους ὄνομα κοινὸν ὑπάρχειν ᾧ τὴν ἀνδρείαν ἰδίᾳ καλοῦσιν. (90)  Paul-Emile, VI, 1 : ὁ δὲ Αἰμίλιος ὕπατος ἀποδειχθεὶς ἐστράτευσεν ἐπὶ τοὺς παραλπίους Λίγυας, οὓς ἔνιοι καί Λιγυστίνους ὀνομάζουσι, μάχιμον καί θυμοειδὲς ἔθνος, ἐμπείρως δὲ πολεμεῖν διδασκόμενον ὑπὸ Ῥωμαίων διὰ τὴν γειτνίασιν. (91)  Aristide-Caton l’Ancien, V, 1 : στρατηγίαι δὲ αἱ μὲν Κάτωνος οὐδὲν ὡς μεγάλοις πράγμασι μέγα προσέθηκαν, ἐν δὲ ταῖς Ἀριστείδου τὰ κάλλιστα καὶ λαμπρότατα καὶ πρῶτα τῶν Ἑλληνικῶν ἔργων ἐστίν, ὁ Μαραθών, ἡ Σαλαμίς, αἱ Πλαταιαί. Voir également l’opposition avec Scipion : Caton l’Ancien, III, 6. Aristide est considéré comme le meilleur leader grec des guerres médiques, non seulement en tant que politique « parfait » sur le plan éthique, mais aussi en tant que militaire, car selon Plutarque, il fut le protagoniste de toutes les batailles majeures : Marathon, Salamine et surtout Platée, qui occupe une grande partie de sa Vie. Voir Marincola 2012. (92)  Pyrrhos, XVI, 7 ; Flamininus, V, 6. Voir Mossman 2005. L’opposition de la légion et de la phalange est soulignée dans Paul-Emile, XX, et surtout dans Flamininus, VII, 5 : « les Romains à la pensée de vaincre les Macédoniens, dont la réputation de vaillance et de force était si grande auprès d’eux, à cause d’Alexandre, et les Macédoniens parce qu’ils considéraient les Romains comme supérieurs aux Perses, espérant, s’ils l’emportaient sur eux, montrer que Philippe était plus brillant qu’Alexandre ». (93)  Fabius Maximus, II, 4. « …c’est en effet, pour un général, une faute aussi grave de subir un désastre qu’il n’a pas prévu que de renoncer à une opportunité parce qu’il ne croit pas au succès. Le même manque d’expérience entraîne, dans un cas une audace déplacée, dans l’autre le disparition de toute hardiesse ». (94)  Périclès-Fabius Maximus, II, 3 : εἰ δὲ δεῖ μὴ μόνον χρῆσθαι τοῖς παροῦσιν, ἀλλὰ καὶ τεκμαίρεσθαι περὶ τοῦ μέλλοντος ὀρθῶς τὸν ἀγαθὸν στρατηγόν… ; III, 4. Voir également ci-dessus, p. 354. Le thème de la prévoyance (pronoia),

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En revanche, la vertu de « philosophie » ne fait pas de Brutus un bon commandant, car il manque de prudence et ne sait pas résister aux revers95. Une autre vertu du commandant est de ne pas tomber dans la démagogie et de suivre le mos maiorum96. Antoine, quant à lui, est critiqué pour avoir abandonné à Actium ses soldats loyaux97 : reprenant la tradition augustéenne, Plutarque montre implicitement que ce comportement déshonorant est la conséquence de la passion d’Antoine pour Cléopâtre, car en 43 av. J.-C., lors de la retraite après la bataille de Modène, il avait été « un exemple admirable pour ses soldats », partageant leur vie à la dure98 : comme l’a observé Christopher Pelling, la résistance au surmenage était considérée comme une vertu fondamentale pour un commandant, à l’instar de la figure de Corbulon exaltée par Tacite99. Dans la synkrisis avec Nicias, Plutarque insiste sur la caractérisation de Crassus comme un piètre commandant, ce qui a été souvent pris au premier degré par les historiens modernes. En revanche, il ne le critique pas pour son ambition, car « ceux qui font l’éloge de l’expédition d’Alexandre et blâment celle de Crassus, jugent, bien à tort, le début par la fin »100. C’était une considération judicieuse car la composition de la Vie de Crassus remonte à l’époque de la campagne orientale où Trajan, reprenant le projet de César, voulait effacer à jamais la honte de Carrhes. Un autre commandant imparfait est Cassius qui « avait la réputation d’être habile à la guerre, mais de s’emporter fréquemment, de commander surtout par la crainte et d’être trop enclin à la raillerie et aux sarcasmes avec son entourage »101. V. L’exaltation de la bataille rangée

Dans la construction de son propre « mirage spartiate », Plutarque évoque à plusieurs reprises la tradition hoplitique qui exalte le combat ἐκ παρατάξεως, c’est-à dire la bataille rangée en champ ouvert102. Certes, il ne néglige pas les descriptions détaillées d’autres genres de combat103 ; bien que typique de Thucydide, n’a pas suscité l’intérêt de Plutarque : sur l’usage modéré de pronoia dans les Vies, voir Frazier 1996, p. 209. (95)  Dion-Brutus, III, 2. Après la mort de Cassius il est privé du stratège qui aurait pu « contrebalancer ses décisions », et comme il n’arrive plus à tenir ses soldats, avant Philippes il est obligé de leur promettre qu’ils pourront en récompense saccager Thessalonique et Sparte (Brutus, XLVI, 4). (96)  Paul-Emile, III, 6. (97)  Démétrios-Antoine, VI, 1-2 : ἐξέπεσον δὲ τῶν πραγμάτων ἀμφότεροι μὲν δἰ αὑτούς, οὐ μὴν ὁμοίως, ἀλλ᾽ ὁ μὲν ἐγκαταλειφθείς, ἀπέστησαν γὰρ αὐτοῦ Μακεδόνες, ὁ δὲ ἐγκαταλιπών, ἔφυγε γὰρ τοὺς ὑπὲρ αὐτοῦ κινδυνεύοντας˙ ὥστε τοῦ μὲν ἔγκλημα εἶναι τὸ δυσμενεῖς οὕτω πρὸς αὑτὸν ἀπεργάσασθαι τοὺς μαχομένους, τοῦ δὲ τὸ παρεσκευασμένην εὔνοιαν τοιαύτην καὶ πίστιν ἐγκαταλιπεῖν. (98)  Antoine, XVII, 5-6 : ὁ δ᾽ οὖν Ἀντώνιος τότε θαυμαστὸν ἦν παράδειγμα τοῖς στρατιώταις, ἀπὸ τρυφῆς τοσαύτης καὶ πολυτελείας ὕδωρ τε πίνων διεφθαρμένον εὐκόλως καὶ καρποὺς ἀγρίους καὶ ῥίζας προσφερόμενος. ἐβρώθη δὲ καὶ φλοιός, ὡς λέγεται, καὶ ζῴων ἀγεύστων πρότερον ἥψαντο τὰς Ἄλπεις ὑπερβάλλοντες. (99)  Pelling 1988, p. 164. Une allusion à la camaraderie se retrouve dans le Panégyrique (XV, 4) de Pline le Jeune : « Dès maintenant, un soldat, pour peu qu’il soit ancien, n’a pas de plus beau titre que d’avoir fait la guerre avec toi. Combien s’en trouve-t-il, en effet, dont tu as été le compagnon d’armes avant d’être leur empereur ». (100)  Nicias-Crassus, III, 7 ; IV, 4 : « οἱ δὲ τὴν μὲν τῆς Ἀλεξάνδρου στρατείας ὁρμὴν ἐπαινοῦντες, τὴν δὲ Κράσσου ψέγοντες, οὐκ εὖ τὰ πρῶτα κρίνουσιν ἀπὸ τῶν τελευταίων ». (101)  Brutus, XXIX, 2 : ἦν δὲ δόξα Κάσσιον μὲν εἶναι δεινὸν ἐν τοῖς πολεμικοῖς, ὀργῇ δὲ τραχὺν καὶ φόβῳ μᾶλλον ἄρχοντα, πρὸς δὲ τοὺς συνήθεις ὑγρότερον τῷ γελοίῳ καὶ φιλοσκώπτην. (102)  En Pélopidas, XV, 7-8, Plutarque liquide par ces mots les succès des Thébains contre Sparte avant 375 : ἀλλ᾽ οὗτοι μὲν οἱ ἀγῶνες ὥσπερ τοὺς κρατοῦντας εἰς φρόνημα καί θάρσος προῆγον, οὕτως τῶν ἡσσωμένων οὐ παντάπασιν ἐδουλοῦντο τὴν γνώμην˙ οὐ γὰρ ἐκ παρατάξεως ἦσαν οὐδὲ μάχας ἐμφανῆ κατάστασιν ἐχούσης καί νόμιμον, ἐκδρομὰς δὲ προσκαίρους τιθέμενοι, καί φυγὰς ἢ διώξεις ἐπιχειροῦντες αὐτοῖς καί συμπλεκόμενοι κατώρθουν. (103)  On remarquera les batailles navales, surtout les plus « décisives » (Salamine, le Grand-port de Syracuse, Aigos Potamos) Thémistocle, XIII-XVI, 1 (Salamine) ; Nicias, XXV (Syracuse) ; Lysandre, XI (Aigos Potamos) ; les sièges :

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parfois il lui arrive de mettre en scène des duels individuels héroïques, comme celui de Cyrus le Jeune et Artaxerxès à Counaxa, ou bien ceux de Pyrrhos d’une part et d’autre part le Macédonien Pantauchos et le Spartiate Eualcos104. Mais c’est surtout la bataille rangée qui attire le plus l’attention du biographe, dans ses descriptions de combats entre Grecs, entre Grecs et Romains, ou bien entre les Grecs ou les Romains et les barbares. Dans ce dernier cas, il met en valeur la supériorité de la phalange et de la légion sur les armées orientales, avec une perspective grecque traditionnelle, qui est évidemment idéologique, et qu’un moderne comme Victor Davis Hanson reprend pour la construction d’un « modèle occidental de la guerre »105. D’ailleurs, Plutarque est pleinement conscient que la limite la plus évidente des Grecs est le particularisme local : les cités n’arrêtaient pas de se faire la guerre entre elles. Certes, la rivalité « agonistique » avait marqué la naissance de l’idéal hoplitique (le combattant est comparé souvent à l’athlète106) : et cependant, dans les Vies, Plutarque regrette constamment toutes ces guerres « fratricides » qui détournèrent les forces des Grecs de la lutte contre les Barbares107. La position de Plutarque est bien énoncée dans la Vie de Flamininus, où les Grecs exaltent le commandant romain, un « étranger » qui, leur donnant la liberté, a su mieux faire que tant de stratèges grecs, certes habiles dans les combats, mais dépourvus d’une perspective politique globale : si l’on excepte l’exploit de Marathon, la bataille navale de Salamine, Platées, les Thermopyles et les succès de Cimon sur l’Eurymédon et près de Chypre, toutes les autres batailles qu’a livrées la Grèce l’ont été contre elle-même et ont entrainé son esclavage108.

Dans tous les cas, un fort sentiment idéologique caractérise les contextes militaires des Vies où l’ennemi vient d’Orient109. Cela permet à Plutarque d’exalter en même temps la tradition grecque classique et l’engagement de Trajan, qui préparait son expédition contre les Parthes110. Plutarque consacre de longs passages à la description des batailles hoplitiques. Quel que soit le résultat du combat, il souligne constamment le « courage discipliné », la cohésion, la capacité de résistance et l’ardeur des généraux et des combattants111 ; on appréciera notamment son image de la phalange spartiate à Platées. Après une longue immobilité, au signal du commandant Pausanias « la phalange prit aussitôt l’aspect d’un animal plein de fougue, qui s’apprête à montrer sa vaillance et se hérisse » ; c’est alors que l’ennemi comprend qu’ils se seraient battus jusqu’à la dernière goutte Périclès, XXVI-XXVIII (Samos) ; Alexandre, XXIV-XXV (Tyr et Gaza) ; Démetrios, XX-XXI (Rhodes) ; Eumène, XI (Nora) ; Marcellus, XV-XIX (Syracuse) ; les épisodes de guérilla urbaine : Dion, XLI-XLIV (Syracuse) ; Cléomène XXI (Argos) ; Pyrrhos, XXXII‑XXXIV (Argos, mort de Pyrrhos) ; Aratos, XVIII-XXII (embuscade à Corinthe). (104)  Artaxerxès, X-XI, 3 ; Pyrrhos, VII, 3-5 ; XXX, 5-6. (105)  Hanson 2001. Pour une critique récente de ses positions voir González García - Barja de Quiroga 2012 ; Payen 2012, p. 109 sq. (106)  Voir, e.g., Aristide-Caton l’Ancien, II, 4 ; Cimon, XIII, 3 ; Lucullus, XXX, 2 ; Cimon-Lucullus, II, 1 ; III, 3 ; Périclès, IV, 1 ; Eumène, XVI, 7 ; Philopoemen, XVIII, 3. (107)  Voir, par exemple, Agésilas, XVI, 4 ; Alexandre, XVI ; Aratos, XXXVIII, 5 ; Aristide, XVI, 3 ; Artaxerxès, XX, 1-2 ; Cimon, VIII, 1 ; XIX, 3-4 ; Cléomène, XVI, 3-8 ; Démétrios, VIII, 2 ; Flamininus, XI, 5-7 ; Lysandre, VI, 4 et 8 ; Périclès, XXVIII, 6 ; Thémistocle, VI, 2-3 ; VIII, 1 ; Timoléon, XXIX, 6. Ce topos est évidemment plus ancien, comme on le voit clairement, par exemple, dans le Panégyrique d’Isocrate. (108)  Flamininus, XI, 6 : ἀλλ᾽ εἰ τὸ Μαραθώνιόν τις ἔργον ἀφέλοι καὶ τὴν ἐν Σαλαμῖνι ναυμαχίαν καὶ Πλαταιὰς καὶ Θερμοπύλας καὶ τὰ πρὸς Εὐρυμέδοντι καὶ τὰ περὶ Κύπρον Κίμωνος ἔργα, πάσας τὰς μάχας ἡ Ἑλλὰς ἐπὶ δουλείᾳ μεμάχηται πρὸς αὑτήν… (109)  Muccioli 2012a, p. 133 : « Una memoria comunque fatta propria anche dalla classe dirigente romana, soprattutto quando si incominciarono a sovrapporre più o meno scientemente i Parti ai Persiani. La rivitalizzazione delle guerre persiane, attraverso cerimonie commemorative ed evocative, fu fenomeno ben noto, in grado di cementare, dal punto di vista culturale e in parte anche ideologico, Greci e Romani ». (110)  Sur les questions chronologiques voir Jones 1966, et les critiques de Geiger 1981, p. 169. (111)  Voir par exemple Nicias, XXI, 7-10 (Épipoles) ; Agésilas, XVIII (Coronée) ; Pélopidas, XVII, 3-6 (Tégyres) ; Philopœmen, VI, et Cléomenes, XXVIII (Sellasie).

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de sang112. La prédilection de Plutarque pour la bataille rangée de style hoplitique n’apparaît pas uniquement dans les Vies grecques, mais se retrouve également dans les combats des héros romains, à l’exception des personnages caractérisés pour leur praotês, comme Fabius Maximus, qui n’a jamais gagné sur le champ de bataille113. On peut éviter la bataille rangée à cause des contraintes tactiques114. Mais on voit très bien la prédilection de Plutarque pour la bataille rangée qu’il considère comme la forme la plus noble et honorable de combat115. Parmi les Romains, c’est surtout César qui « par ses exploits l’emporte sur tous ces généraux », et non seulement pour ses qualités, mais « par la quantité des batailles livrées et des adversaires tués »116. Quand pourtant les « Occidentaux » perdent en bataille rangée contre les Orientaux, Plutarque adopte une stratégie narrative particulière, en attribuant la défaite à l’incapacité du commandant : c’est le cas de Crassus, dont la sottise était « plus forte que l’heureuse fortune des Romains »117. Cela permet de décharger les Romains d’une défaite qui avait ouvert un conflit pratiquement ininterrompu avec une nation barbare qui opprimait les cités hellénisées de Mésopotamie, comme Séleucie et Babylone, « cités toujours mal disposées à l’égard des Parthes »118. A propos des victoires romaines en bataille rangée, Plutarque ajoute parfois des détails qui relèvent d’une véritable comptabilité du combat. On peut rappeler le « bulletin de victoire » de Paul‑Emile119, ou celui du jeune Crassus120. Le bilan de Sylla est encore plus extraordinaire, et Plutarque explique qu’« il n’est pas facile d’en faire le compte », surtout en le comparant aux deux seules victoires de Lysandre121. Une comparaison semblable se retrouve dans la synkrisis entre Agésilas et Pompée : dans ce cas aussi, c’est le Romain qui l’emporte, car nul auteur, « même Xénophon, ne saurait mettre en parallèle avec cela les victoires d’Agésilas »122. Le même type de bilan était utilisée pour les triomphes romains : pour celui de Pompée en 61, Plutarque évoque des γράμματα (tituli en latin) où l’on pouvait lire les listes des peuples soumis et des trésors, mais (112)  Aristide, XVIII, 2 : « καὶ δοθέντος εἰς ἅπαντας τοῦ παραγγέλματος καθίστασθαι πρὸς τοὺς πολεμίους, ἥ τε φάλαγξ ὄψιν ἔσχεν αἰφνιδίως ἑνὸς ζῴου θυμοειδοῦς πρὸς ἀλκὴν τρεπομένου καὶ φρίξαντος, τοῖς τε βαρβάροις τότε παρέστη λογισμός, ὡς πρὸς ἄνδρας ὁ ἀγὼν ἔσοιτο μαχουμένους ἄχρι θανάτου ». (113)  Fabius Maximus, XIV, 1 ; Périclès-Fabius Maximus, II, 1 : « en bataille rangée, Fabius ne remporta, semble-t-il, aucune victoire, sauf celle qui lui valut son premier triomphe, tandis que Périclès érigea neuf trophées pour avoir battu l’ennemi sur terre et sur mer ». Sur le concept de bataille décisive, voir Harari 2007 ; Danet 2011. (114)  « La première tâche d’un bon général, c’est, lorsqu’il est le plus fort, d’obliger les ennemis à combattre, et lorsque ses troupes sont inférieures, de ne pas s’y laisser contraindre lui-même » (Agésilas-Pompée, IV, 1) : c’est le cas de Marcellus devant les provocations d’Hannibal. Marcellus, XXX, 4. (115)  D’ailleurs, il cite deux fois la proposition de Caton le Jeune, avalisée par le Sénat au début de la guerre civile entre Pompée et César : ἐπεὶ δὲ βουλῆς γενομένης καὶ γνώμην Κάτωνος εἰπόντος ἐψηφίσαντο μηδένα Ῥωμαίων ἄνευ παρατάξεως ἀναιρεῖν – qu’on ne tuerait aucun Romain sauf en bataille rangée (Pompée, LXV, 1 ; Caton le Jeune, LIII, 6). (116)  César, XV, 4-5 : … αἱ Καίσαρος ὑπερβάλλουσι πράξεις τὸν μὲν χαλεπότητι τόπων ἐν οἷς ἐπολέμησε, τὸν δὲ μεγέθει χώρας ἣν προσεκτήσατο, τὸν δὲ πλήθει καὶ βίᾳ πολεμίων οὓς ἐνίκησε, τὸν δὲ ἀτοπίαις καὶ ἀπιστίαις ἠθῶν ἃ καθωμίλησε, τὸν δ᾽ ἐπιεικείᾳ καὶ πρᾳότητι πρὸς τοὺς ἁλισκομένους, τὸν δὲ δώροις καὶ χάρισι πρὸς τοὺς συστρατευομένους, πάντας δὲ τῷ πλείστας μεμαχῆσθαι μάχας καὶ πλείστους ἀνῃρηκέναι τῶν ἀντιταχθέντων. (117)  Nicias-Crassus, V, 2 : Κράσσος δὲ διὰ πλῆθος ἁμαρτημάτων οὐδὲν τῇ τύχῃ χρηστὸν ἀποδείξασθαι παρῆκεν, ὥστε θαυμάζειν αὐτοῦ τὴν ἀβελτερίαν οὐ τῆς Πάρθων δυνάμεως ἡττηθεῖσαν, ἀλλὰ τῆς Ῥωμαίων εὐτυχίας περιγενομένην. (118)  Crassus, XVII, 8. Plutarque a toujours des adeptes : dans son livre sur Carnage et culture, Hanson semble s’inspirer de Plutarque dans sa tentative de considérer la défaite « occidentale » de Carrhes comme une exception (Hanson 2002, p. 27 ; voir les critiques de Traina 2011, p. 144 sq.) (119)  Paul-Emile, VI, 3 : deux victoires en bataille rangée, trente mille ennemis tués et deux cent cinquante cités soumises. (120)  Pompée, XXXI, 1 : dans une bataille rangée contre Spartacus, Crassus arrive à tuer douze mille trois cents ennemis. (121)  Lysandre-Sylla, IV, 1 et 6 : πολέμων δὲ ἀγῶσι καὶ στρατηγικαῖς πράξεσι καὶ πλήθει τροπαίων καὶ μεγέθει κινδύνων ἀσύγκριτος ὁ Σύλλας […] Σύλλας μὲν οὖν ὅσας ἐκ παρατάξεως ἐνίκησε νίκας καὶ κατέβαλε μυριάδας πολεμίων οὐδὲ ἀριθμῆσαι ῥᾴδιόν ἐστιν. (122)  Agésilas-Pompée, III, 1.

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aussi le nombre de ses exploits123. Un bilan encore plus surprenant est celui de l’activité militaire de César124. Ce type de bilan est souvent évoqué, encore une fois en contradiction apparente avec la célèbre déclaration qui ouvre la Vie d’Alexandre125. VI. Le concept de bataille décisive

Comme on l’a remarqué en commençant, les Vies parallèles présentent une grande quantité de récits de batailles terrestres et navales, ainsi que de toutes sortes de combats et d’engagements. On ajoutera que dans certains cas, Plutarque est la seule source détaillée pour une bataille très importante, comme Ipsos en 301 av. J.-C. ou Carrhes en 53 av. J.-C.126 D’autres combats pour lesquels il n’y a pas de version alternative sont la bataille de Tégyres entre Béotiens et Spartiates en 375 av. J.-C., que Plutarque considère comme importante car elle « annonce » Leuctres127, et celle d’Aquae Sextiae contre les Teutons-Ambrons en 102 av. J.-C.128 Certes, comme la critique moderne l’a fait souvent remarquer, Plutarque ne comprend pas toujours le mécanisme d’une bataille, ce qui apparaît clairement quand on dispose des sources qu’il utilise ou bien de sources parallèles. Toutefois, étant donné le caractère des Vies parallèles, il serait réducteur de juger Plutarque uniquement sur la base de sa valeur historique : quant à la Quellenforschung, on a déjà remarqué ses limites. D’ailleurs, notre auteur exprime souvent son jugement personnel : et s’il dépend évidemment de ses sources, dans certains cas il n’hésite pas à s’en écarter. Par exemple, il considère Marathon comme une des batailles fondamentales de l’histoire grecque, mais, à la différence des autres victoires comme Salamine, Platées, et l’Eurymédon aussi, il ne présente aucune description de la bataille129. De manière analogue, dans la Vie d’Agésilas, il ne mentionne que très rapidement la bataille navale de Cnide de 394 av. J.-C., qui marqua la fin de l’hégémonie spartiate sur terre et sur mer. L’Athénien Conon, vainqueur de la bataille, ne fait pas l’objet d’une attention particulière, ni dans ce bios ni ailleurs. Cela peut s’expliquer d’une part parce que Plutarque, pour l’histoire du

(123)  On pouvait lire notamment « qu’il avait pris au moins mille places fortes, près de neuf cents cités, huit cents navires pirates, et qu’il avait fondé trente-neuf cités » (Pompée, XLV, 2-3). Voir Östenberg 2009. (124)  César, XV, 5 : « il prit de vive force plus de huit cents cités, soumit trois cents nations, affronta en plusieurs batailles rangées trois millions d’ennemis, fit un million de morts et autant de prisonniers ». Ce bilan est répété, avec quelques variantes, dans la Vie de Pompée, afin de faire ressortir le sentiment des Pompéiens à la veille de Pharsale, sous-estimant leur adversaire au point qu’« on aurait dit qu’ils étaient campés en face de l’Arménien Tigrane ou du roi des Nabatéens, et non contre le grand César et contre l’armée avec laquelle il avait pris de vive force un millier de cités, soumis plus de trois cents peuples, combattu à d’innombrables reprises les Germains et les Gaulois sans jamais être vaincu, fait un million de prisonniers et tué un autre million de Barbares en les mettant en déroute à la suite de batailles rangées » (Pompée, LXVII, 10). (125)  Voir ci-dessus, p. 348. (126)  Le jugement personnel peut être parfois dicté par des raisons autobiographiques, comme dans le cas du combat de Chéronée de l’an 86 av. J.-C. (Sylla, XVII-XXI), évoqué à cause de la cité natale de Plutarque : Payen 2012, p. 259. (127)  Pélopidas, XVI, 1 : Ὁ δὲ περὶ Τεγύρας τρόπον τινὰ τοῦ Λευκτρικοῦ προαγὼν γενόμενος μέγαν ἦρε δόξῃ τὸν Πελοπίδαν, οὔτε πρὸς κατόρθωμα τοῖς συστρατήγοις ἀμφισβήτησιν οὔτε τῆς ἥττης πρόφασιν τοῖς πολεμίοις ἀπολιπών. Voir Pélopidas, XVII ; XIX, 4 ; Pélopidas-Marcellus, I, 6 ; Agésilas, XXVII, 4. (128)  Marius, XVII-XXI. (129)  Thémistocle, XIII-XVI, 1 (Salamine) ; Aristide, XI-XIX (Platées) ; Cimon, XIII, 3 (Eurymédon, voir ci-dessus, p. 359 sq.). Sur Marathon voir Aristide, V, 1-8 ; Aristide-Caton l’Ancien, V, 1 ; Thésée, VI, 9 ; Thémistocle, III ; Flamininus, XI, 6 sq. ; aussi dans les Œuvres Morales, par exemple Praecepta gerendae reipublicae, 814a-c ; De sera numinis vindicta, 567e-568a ; Quaestiones convivales, I, 628d-e ; Non posse suaviter vivi secundum Epicurum, 1097c, 1098a ; voir Jung 2006 ; Muccioli 2012a, p. 131 sq. ; Gómez 2013. Selon Schmidt 2009, p. 110, « la victoire de Marathon est relativement peu traitée, à part une courte description dans la Vie d’Aristide (chap. 5), mais cela est dû au fait que Plutarque n’a pas écrit la biographie de Miltiade, le vainqueur de Marathon » : à notre avis, c’est une interprétation un peu rapide.

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IVe  siècle, s’intéresse surtout au rapport entre l’hégémonie spartiate et l’hégémonie béotienne130, mais aussi parce qu’il ne pardonne pas à Conon sa collaboration avec le Perse barbare131. Et pourtant, une longue tradition historiographique accorde un rôle décisif à cette bataille132. En revanche, l’analyse du rôle des batailles dans l’économie narrative des Vies peut s’avérer très importante pour définir la stratégie de composition et la « vocation historienne » de Plutarque133. A ce propos, dans l’introduction à son précieux commentaire de la Vie d’Antoine, Pelling a remarqué que Plutarque, qui pourtant consacre une longue description à la bataille d’Actium134, ne la considère pas comme « a turning point in world history, but as a catastrophe of a man and a woman »135. Par souci de mettre en valeur les aspects « tragiques » de la vie d’Antoine (et de Cléopâtre), le biographe semble donc ne pas accorder à Actium le rôle d’une bataille décisive ; en fait, dans les Vies, une bataille peut aussi représenter des moments fatidiques dans la biographie d’un personnage136. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’il n’était pas en mesure d’évaluer la portée historique d’un événement militaire historiquement significatif. Au contraire, le point de vue militaire revêt une importance primordiale pour le choix des couples de biographies, comme on le voit notamment dans les synkriseis. Et de toute façon, Plutarque semble avoir élaboré son propre concept de bataille décisive, évidement pas au sens moderne de l’expression, ce qui serait anachronique137. D’ailleurs, l’utilisation du verbe κρίνω en relation avec une μάχη n’a pas toujours la signification de « bataille décisive » comme le voudraient certains traducteurs modernes, mais peut se limiter à indiquer l’issue du combat : dans ce cas, Plutarque recourt plus souvent au verbe διαγωνίζω138. Pourtant, dans certains cas, il semble effectivement formuler son jugement dans ce sens. Par exemple, dans la Vie de Thémistocle, il souligne que les combats navals contre les Perses au cap Artemision, en 480 av. J.-C., « ne furent pas décisifs pour l’issue du conflit ». En même temps, ils revêtirent un rôle essentiel pour la conscience des Grecs qui apprirent que le nombre et l’ostentation arrogante des Barbares n’étaient pas si redoutables pour des hommes qui « savaient en venir aux mains et osaient combattre » jusqu’à la victoire finale : pour définir le résultat de la bataille, Plutarque utilise justement διαγωνίζω139. Un autre exemple est la victoire navale de Lysandre à Notion : Plutarque est conscient que cette bataille fut peu importante en soi (οὐ μεγάλην

(130)  Dans les Vies, Conon n’est qu’un personnage marginal, comme d’ailleurs d’autres leaders athéniens de cette époque, tels Chabrias et Iphicrate. Voir Muccioli 2012a, p. 165-171. (131)  Notamment dans les Œuvres morales : voir par exemple Apophthegmata Laconica, 213a-b ; Non posse suaviter vivi secundum Epicurum, 1100b. (132)  Par exemple, pour Théopompe, Cnide est la date charnière marquant la fin de ses Helléniques (FGrHist 115 T 14) : sur l’importance de la bataille de Cnide dans l’historiographie du IVe siècle voir Muccioli 2012a, p. 166 sq. (133)  Federicomaria Muccioli accorde à Plutarque un intérêt pour l’autopsia des champs de bataille : Muccioli 2012a, p. 78 sq. En général, voir Schettino 2014. (134)  Antoine, LXIV-LXVIII. (135)  Pelling 1988, p. 1. (136)  Duff 1999, p. 199, à propos du couple Lysandre-Sylla. (137)  Avec sir John Keegan, nous considérons comme décisive une bataille « qui se termine par la victoire indiscutable d’un camp sur l’autre. Mais aussi dont les conséquences hors du champ de bataille peuvent être importantes » (Keegan 1993, p. 312). On évitera les définitions idéologiques comme celle de Victor Davis Hanson : « la bataille décisive est un désir occidental d’un choc d’infanterie unique et grandiose mettant aux prises des hommes libres » (Hanson 2007, p. 34). (138)  Par exemple à Philippes : Brutus, XLVII, 4 ; 8. (139)  Thémistocle, VIII, 1 : αἱ δὲ γενόμεναι τότε πρὸς τὰς τῶν βαρβάρων ναῦς περὶ τὰ στενὰ μάχαι κρίσιν μὲν εἰς τὰ ὅλα μεγάλην οὐκ ἐποίησαν, τῇ δὲ πείρᾳ μέγιστα τοὺς Ἕλληνας ὤνησαν, ὑπὸ τῶν ἔργων παρὰ τοὺς κινδύνους διδαχθέντας, ὡς οὔτε πλήθη νεῶν οὔτε κόσμοι καὶ λαμπρότητες ἐπισήμων οὔτε κραυγαὶ κομπώδεις ἢ βάρβαροι παιᾶνες ἔχουσι τι δεινὸν ἀνδράσιν ἐπισταμένοις εἰς χεῖρας ἰέναι καὶ μάχεσθαι τολμῶσιν, ἀλλὰ δεῖ τῶν τοιούτων καταφρονοῦντας ἐπ᾽ αὐτὰ τὰ σώματα φέρεσθαι καὶ πρὸς ἐκεῖνα διαγωνίζεσθαι συμπλακέντας.

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τῇ πράξει), mais fut mémorable pour son effet sur l’histoire des Grecs, car elle causa la destitution d’Alcibiade140. VII. Quelques batailles décisives

Quelques passages semblent faire allusion au caractère décisif d’une bataille dans un contexte plus général. Marcellus rêve de livrer une bataille décisive contre Hannibal141. Dans au moins trois cas, Plutarque indique expressément qu’il a choisi le couple en raison du comportement militaire des protagonistes : il s’agit des grands conquérants Alexandre et César, des conquérants « manqués » Cimon et Lucullus, et des responsables d’une déroute Nicias et Crassus. Dans les trois cas, il s’agit de responsabilités concernant des expéditions ou batailles d’importance décisive. En comparaison avec Arrien, la Vie d’Alexandre présente moins d’intérêt pour les aspects tactiques et stratégiques142. Toutefois, Plutarque ajoute des détails utiles non seulement pour l’évaluation de l’êthos d’Alexandre, mais aussi pour orienter le jugement du lecteur. Par exemple, dans le traitement de la bataille du Granique, il concentre son attention sur l’impulsivité imprudente d’Alexandre143, indiquant surtout le rôle des mercenaires grecs de Darius, ces « hommes désespérés et habiles au combat », qui après la déroute du Grand Roi firent plus de victimes et de blessés dans le camp macédonien que les soldats perses144. On remarquera qu’à la différence d’Arrien et d’autres sources Plutarque fait un choix différent dans son récit des «  batailles décisives » contre Darius III : il examine assez superficiellement la bataille d’Issos pour se concentrer sur celle de Gaugamèles145. Afin de la présenter comme « la bataille décisive de la carrière d’Alexandre », Plutarque développe une description qui revèle bien, comme l’a observé Nicholas Hammond, son goût pour le «  graphic writing »146. En revanche, la véritable bataille décisive de César est celle de Pharsale, ce qui est souligné à trois reprises : dans la Vie de Pompée, quand les Pompéiens, enorgueillis par le succès remporté dans des escarmouches près de la côte Adriatique « avaient hâte de livrer une bataille décisive »147. Du côté de César, un devin lui annonce la victoire dans une bataille décisive148. La même évaluation de Pharsale est répétée dans la Vie d’Antoine149 ; et d’ailleurs, l’organisation de cette bataille rangée fait l’objet de considérations esthétiques : au signal de César, le mouvement des troupes est « aussi bien réglé et aussi doux qu’un chœur de tragédie »150.

(140)  Lysandre, V, 4 (ταύτην μὲν οὖν τὴν μάχην, καίπερ οὐ μεγάλην τῇ πράξει γενομένην, ἡ τύχη δι᾽ Ἀλκιβιάδην ὀνομαστὴν ἐποίησεν) et, pour le point de vue d’Alcibiade, voir Alcibiade, XXXV, 5-8. (141)  Marcellus, XXVIII, 4 : Οὐδεὶς γὰρ ἔρωτα τοσοῦτον ἠράσθη πράγματος οὐδενός, ὅσον οὗτος ὁ ἀνὴρ τοῦ μάχῃ κριθῆναι πρὸς Ἀννίβαν. (142)  Voir l’analyse détaillée de Hammond 1993, avec toute la question des sources. (143)  Alexandre, XVI, 4 (imprudence) ; 14 (impulsivité). On remarquera la description de l’armure d’Alexandre en XVI, 7. Arrien décrit la bataille du Granique en Anabase, I, 13-16. (144)  Alexandre, XVI, 14 : …καὶ τοὺς πλείστους τῶν ἀποθανόντων καὶ τραυματισθέντων ἐκεῖ συνέβη κινδυνεῦσαι καὶ πεσεῖν, πρός ἀνθρώπους ἀπεγνωκότας καὶ μαχίμους συμπλεκομένους. (145)  Alexandre, XVI, 14 (Issos) ; XXXI, 6-XXXIII, 11 (Gaugamèles). (146)  Hammond 1993, p. 42. (147)  Pompée, LXVI, 1 : ἐπὶ τούτῳ μέγα φρονήσαντες οἱ Πομπηΐου διὰ μάχης ἔσπευδον κριθῆναι. (148)  César, XLIII, 3 : ὁ μάντις ἔφραζε τριῶν ἡμερῶν μάχῃ κριθήσεσθαι πρὸς τοὺς πολεμίους. (149)  Antoine, VIII, 3 : …καὶ τὰ ὅλα κρίνασαν ἐν Φαρσάλῳ μάχην μάχεσθαι… L’expression τὰ ὅλα équivaut au latin summa res : Pelling 1988, p. 134. (150)  Pompée, LXVIII, 7 : οἱ δὲ στρατιῶται θεασάμενοι μετὰ βοῆς καὶ χαρᾶς τὰς σκηνὰς ἀφέντες ἐφέροντο πρὸς τὰ ὅπλα. καὶ τῶν ταξιαρχῶν ἀγόντων εἰς ἣν ἔδει τάξιν, ἕκαστος, ὥσπερ χορός, ἄνευ θορύβου μεμελετημένως εἰς τάξιν καὶ πρᾴως καθίστατο.

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Plutarque évalue de façon originale les batailles de Cimon, se démarquant de la tradition rhétorique qui avait idéalisé la bataille de l’Eurymédon comme l’un des plus grands succès grecs de l’époque classique151. Sans aucun doute, Plutarque considère la double victoire à l’Eurymédon comme un fait militaire important ; cependant, afin d’établir un parallèle avec Lucullus, il nie son caractère décisif152. Pour Lucullus, le moment décisif de la Vie de Lucullus est marqué par la bataille de Tigranocerte en 69 av. J.-C., décrite dans un seul paragraphe après une revue des préliminaires153. Plutarque utilise des sources très hostiles à Tigrane, qui exagèrent le rapport entre les pertes arméniennes (cent mille hommes) et romaines (cent blessés et cinq morts)154. Plutarque essaie d’expliquer pourquoi, après l’expédition en Mygdonie, la tychê n’assiste plus Lucullus : « certes, il déployait la valeur et la grandeur d’âme d’un bon général, mais ses actions ne rencontraient plus ni gloire ni faveur »155. Regardons maintenant le couple des héros négatifs vaincus, Nicias et Crassus. Le portrait de Nicias est clairement marqué par sa « défaite décisive » en Sicile156. Plutarque utilise ouvertement Thucydide comme source principale, mais ne partage pas le même jugement positif sur le stratège athénien : bien au contraire157. C’est surtout dans la phase finale de cette campagne que les descriptions frisent le pathétique et mettent bien en évidence les défauts stratégiques de Nicias : la lâcheté, l’indécision et surtout l’attitude superstitieuse, cause principale du désastre final. Pour Thucydide, l’expédition de Sicile était la plus grave erreur stratégique des Athéniens dans la guerre du Péloponnèse, et non seulement parce qu’on transgressait ainsi le précepte de Périclès, selon lequel il ne fallait pas agrandir l’archè durant le conflit, mais aussi parce qu’on avait rappelé Alcibiade, le promoteur et l’âme de cette entreprise, avec des conséquences bien connues158. Mais Thucydide reconnaissait également qu’Athènes, bien qu’usée par le conflit, avait pu résister encore une dizaine d’années, durant lesquelles, au moins avant le débarquement en Ionie de Lysandre, elle avait connu des moments de gloire159. En revanche, dans la Vie de Nicias, l’échec de Syracuse constitue pratiquement la sentence de mort de l’archè athénienne160 : dans cette perspective, élaborée sans doute sur la base de sources sicéliotes comme Philiste et Timée161, on peut mieux

(151)  Praecepta gerendae reipublicae, 814 a-c. Voir Gascó 1990 ; Muccioli 2012a, p. 131 sq. (152)  Cimon, XII-XIII ; Cimon-Lucullus, III, 2. D’ailleurs cette bataille ne conclut pas la guerre, qui se poursuivit avec l’expédition pour reprendre Chypre, où Cimon trouva la mort lors du siège de Cithion (Cimon-Lucullus, II-III, victoire non définitive). (153)  Lucullus, XXVI-XXVIII. (154)  Plutarque minimise la valeur des troupes de Tigrane en citant un fragment du traité Sur les dieux d’Antiochos d’Ascalon, qui avait déclaré « que le soleil ne vit jamais de bataille semblable » (XXVIII, 7), et un fragment de l’œuvre historique de Strabon, très critique envers les Arméniens, qui les définit comme des « esclaves » (ἀνδράποδα). (155)  Lucullus, XXXIII, 1. Lucullus perd la faveur populaire d’abord à cause de jalousies internes, ensuite à cause de Pompée. Même son triomphe enfin accordé, malgré son faste, ne semble pas avoir conquis le peuple romain (Lucullus, XXXVII, 3). Voir Tröster 2008a et 2008b. (156)  Nicias, XIV-XXX. Plutarque se limite à quelques indications sur le rôle de Nicias durant la guerre d’Archidamos (Nicias, VI, 4 e 7) ; en revanche, il met en valeur l’épisode de la cession du commandement durant la campagne contre Pylos et Sphactérie (Nicias, VII). Pour le biographe, cet acte est plus grave que l’abandon du bouclier au combat (Nicias, VIII, 1 : καὶ τοῦτο τῷ Νικίᾳ μεγάλην ἤνεγκεν ἀδοξίαν. οὐ γὰρ ἀσπίδος ῥῖψις, ἀλλ᾽ αἴσχιόν τι καὶ χεῖρον ἐδόκει τὸ δειλίᾳ τὴν στρατηγίαν ἀποβαλεῖν ἑκουσίως, καὶ προέσθαι τῷ ἐχθρῷ τηλικούτου κατορθώματος ἀφορμάς, αὑτὸν ἀποχειροτονήσαντα τῆς ἀρχῆς). (157)  Voir Nicias, I, 1 e 5 : voir les observations intelligentes de Pelling (1980) 1992. Pour une analyse de la critique de Nicias, voir Nikolaidis 1988 ; Titchener 1991 ; Piccirilli 1993, p. ix-xxix. (158)  Thucydide, II, 65, 11 : Westlake 1958. (159)  Thucydide, II, 65, 12. (160)  Pour des raisons évidentes, cette perspective est inversée dans le bios d’Alcibiade. Ce dernier, durant la guerre ionienne, aurait rétabli l’équilibre de la guerre navale : Alcibiade, XVII sq., et surtout Lysandre, III, 1. (161)  Voir Candau 2004-2005.

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comprendre la sévérité de Plutarque à l’égard de Nicias et sa position isolée et indépendante par rapport à Thucydide et aux autres sources dont nous disposons aujourd’hui162. Une bonne partie du bios de Nicias est consacrée à la désastreuse expédition de Sicile ; de la même manière, la section sur la campagne orientale de 54/53 av. J.-C. occupe la moitié de la Vie de Crassus. Cette description est un véritable morceau de bravoure où Plutarque élabore, et complète avec d’autres informations, sa source principale, un récit romain de la bataille de Carrhes, qu’on a voulu attribuer à plusieurs auteurs163. L’expédition de Carrhes représente le texte le plus détaillé du dossier de la « légende noire » de Crassus : dans l’optique moralisante de Plutarque, la défaite et la mort de Crassus sont conçues comme une punition et également comme une « métaphore de la fragilité du pouvoir » ; pour cette raison, toute la biographie de Crassus est interprétée « à travers le filtre du désastre de Carrhes »164. En conclusion, s’il est vrai qu’un « petit fait, un mot, une bagatelle » sont plus utiles que tant de μάχαι μυριόνεκροι pour révéler l’êthos d’un « héros »165, on a pourtant l’impression que pour la plupart des protagonistes des Vies, les batailles représentent une sorte de banc d’essai fondamental. Pour l’essentiel, Plutarque utilise la bataille comme un point d’observation privilégié pour interpréter et évaluer le protagoniste d’une biographie. Et surtout, les observations de Plutarque sur l’importance ou les conséquences d’une bataille montrent que son jugement n’est pas exclusivement d’ordre moral, mais aussi historique et stratégique. En définitive, en ce qui concerne le domaine militaire, Plutarque fait évidemment des choix liés au genre biographique. En même temps, sa sélection des sources et des événements, son attention pour les rapports entre le commandant et son armée, et son intérêt pour les détails de la stratégie et la tactique illustrent son inclination pour l’« histoire bataille » : un aspect qui, à notre avis, mérite d’être étudié de manière plus approfondie. Francesca Gazzano166, Università degli Studi di Genova Giusto Traina167 Université Paris-Sorbonne – UMR 8167, Orient et Méditerranée.

(162)  On peut comparer notamment Nicias, XVIII – Thucydide, VI, 101-102 ; Nicias, XX, 6 sq. – Thucydide, VII, 39-41 ; Nicias, XXI, 7-11 - Thucydide VII, 43-44 ; Nicias, XXV, 2-5 – Thucydide VII, 70-72 ; Nicias XXVI-XXVII – Thucydide VII, 75-77 : voir de Romilly 1988 ; Pelling (1980) 1992 ; Piccirilli 1990. (163)  Crassus, XVII-XXXI. La bataille de Carrhes est décrite aux paragraphes XXIV-XXXI. Voir Traina 2011, p. 113‑114. Parmi les auteurs idéntifiés comme source de Plutarque, on a évoqué Gaius Cassius Longinus, le futur césaricide ; mais en réalité, nous ne pouvons pas exclure l’utilisation de Tite-Live. Sur la présence de Tite-Live chez Plutarque voir Schettino 2014, p. 422. (164)  Schettino 2014, p.  425. Néanmoins, Plutarque construit un récit de bataille fort détaillé, créant un véritable paysage à la fois visuel et sonore où les images du massacre des Romains, (comme celle de la tête du fils de Crassus hissée sur une pique, qui finira par plonger le commandant dans un état second), sont scandées par la sonorité barbare des tambours à sonnette, dont l’opposition avec les trompettes romaines rappelle l’opposition entre Crassus et Suréna : Traina 2011, p. 82 sq., Muccioli 2012b, et Traina, sous presse. Voir également Schettino 2003. (165)  On remarquera encore une fois que Xénophon représente ici un précédent remarquable. Dans les Helléniques (par ex. VII, 2,1 ; 2,16 ; 5,12), le critère « éthique » du petit fait exemplaire revient souvent : voir notamment Nicolai 2006, p. 702-703. (166)  Auteur des paragraphes 2, 3, 4. (167)  Auteur des paragraphes 5, 6, 7. Le paragraphe 1 est rédigé collectivement.

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