Étude architecturale et archéologique des citernes de l’oppidum d’Ullastret (Catalogne) Ferran Codina, Jens Heinrichs, Laura Lara, Maria Molinas, Gabriel de Prado, Frerich Schön,

July 13, 2017 | Autor: Ferran Codina | Categoría: Iron Age Iberian Peninsula (Archaeology), Protohistoric Iberian Peninsula
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Descripción

Étude architecturale et archéologique des citernes de l’oppidum d’Ullastret (Catalogne) Ferran Codina, Jens Heinrichs, Laura Lara, Maria Molinas, Gabriel de Prado, Frerich Schön

L

a ville ibérique d’Ullastret, capitale de la tribu des Indiketes, constitue le site le plus vaste et le plus important de la partie nord-est de la péninsule Ibérique préromaine. Composée de deux agglomérations voisines, distantes de 400 m, l’occupation débute au Premier âge du Fer, tandis que l’abandon se situe au lendemain de la révolte indigène contre la domination romaine, qui entraîne l’intervention du consul Caton en 197 a.C. La localisation d’Ullastret près de la voie de communication qui relie l’Ibérie et la Gaule et près du littoral a favorisé les contacts avec d’autres communautés (fig. 1), en particulier avec les marchands méditerranéens qui ont fréquenté cette région dès le début de l’âge du Fer. La fondation vers 580 a.C. de l’établissement grec d’Emporion, au nord et à une quinzaine de km de distance d’Ullastret, explique l’ampleur des influences méditerranéennes qui pénètrent en milieu indigène, aussi bien en matière d’architecture défensive et sacrée que d’urbanisme et de production céramique, ou encore dans le domaine des équipements liés au stockage et à l’approvisionnement en eau. La construction de structures souterraines utilisées comme des réservoirs d’eau de pluie est déjà attestée à l’âge du Bronze dans la partie nord-est de la péninsule Ibérique 1. Les structures les plus anciennes ont été aménagées en utilisant des techniques de construction relativement simples, qui évoluent jusqu’à l’apparition, au iiie s. a.C., de citernes à plan régulier et dotées de revêtements hydrauliques, répondant à des modèles nettement méditerranéens. Trois citernes présentant ces caractéristiques ont été découvertes à Ullastret, fouillées dans les années 1960. Si elles sont bien connues, ayant fait l’objet de plusieurs publications, les travaux interdisciplinaires récents de restauration, de documentation et d’analyse des mortiers ont apporté des données nouvelles qui permettent de renouveler et d’approfondir l’étude, tant en ce qui concerne l’analyse des matériaux que des techniques de construction.

||Fig. 1. Carte de localisation de l’oppidum de Puig de Sant Andreu à Ullastret dans l’extrême nord-est de la péninsule Ibérique (cartographie. H. Bohbot, UMR 5140 Archéologie des Sociétés Méditerranéennes, 2011).

1. Oliach 2012.

– Les Gaulois au fil de l’eau - Vol. 2, p. 957-968

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F. Codina, J. Heinrichs, L. Lara, M. Molinas, G. de Prado, F. Schön

Précédents

et localisation

Les premiers réservoirs attestés à Ullastret correspondent à des fosses irrégulières creusées dans le substrat, interprétées comme des réservoirs d’eau pour le bétail. Deux constructions de ce type sont aujourd’hui connues, datées traditionnellement vers la fin du vie ou le début du ve s. a.C., sans que cette chronologie soit pour autant avérée. En effet, ces structures pourraient bien être plus anciennes, en rapport avec l’occupation du Premier âge du Fer 2.

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Dans une phase plus tardive, à partir du iiie s. a.C., débute la construction de citernes plus élaborées. Sur l’oppidum de Puig de Sant Andreu d’Ullastret, quatre structures de ce type sont connues (fig. 2). La citerne 1 a été bâtie au sommet de la colline, près des temples mis au jour dans ce secteur, ce qui suggère qu’elle était utilisée dans le cadre de pratiques rituelles. Les citernes 2 et 3 se localisent au sud-ouest de l’oppidum, tandis que la citerne 4 prend place dans la partie occidentale, utilisée probablement dans le cadre d’une activité artisanale. Cette dernière est la seule qui n’a pas été fouillée, c’est pourquoi elle sera peu traitée dans cet article.

||Fig. 2. Plan de l’oppidum de Puig de Sant Andreu à Ullastret et localisation des trois citernes.

2. Prado 2008, 191.

Des citernes de l’oppidum d’Ullastret

Morphologie

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et typologie

Les citernes 1 et 2 ont une forme elliptique, avec les côtés longs droits et parallèles et les extrémités en abside. En revanche, la citerne 3 présente une structure initiale à plan rectangulaire, où les côtés longs sont également droits et parallèles et où les extrémités ont une apparence absidiale due au rajout du matériel de recouvrement, sans pour autant obtenir la régularité des autres citernes (fig. 3). Tandis que la section des citernes 1 et 2 est quadrangulaire, avec des parois verticales droites et un fond plat, celle de la citerne 3, notamment dans la partie méridionale, est en forme de bouteille, avec un fonds plat en pente légère vers le nord.

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L’étude volumétrique a défini une capacité de 77 m3 pour la citerne 1, de 11 m3 pour la citerne 2 et de 23 m3 pour la citerne 3. Dans le cas de la citerne 2, sa capacité est en-dessous de la moyenne établie pour les citernes de l’établissement grec d’Emporion (23,25 m3) ainsi que pour les citernes du Second âge du Fer découvertes dans la zone qui va de l’Èbre à l’Hérault (31 m3) 3. La citerne 3, en revanche, répond aux paramètres habituels, tandis que la citerne 1 les dépasse de loin.

||Fig. 3. Plan et coupes des citernes d’Ullastret. a. Citerne 1 ; b. Citerne 2 ; c. Citerne 3. 3. Burés 1998 ; Oliach 2012.

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Caractéristiques

constructives

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En ce qui concerne les techniques de construction, la citerne 2 (fig. 4a), creusée dans le substrat, a été recouverte de blocs de grès en provenance de la carrière de Clots de Sant Julià (Canapost), située à une quinzaine de km au sud du site d’Ullastret. Les blocs ont été disposés en assises régulières et on observe l’alternance ponctuelle de grands blocs carrés ou rectangulaires qui occupent l’espace de deux rangées. Quant à la citerne 3, elle présente une technique constructive mixte (fig. 4b), avec une partie inférieure creusée dans le substrat et une partie supérieure bâtie en utilisant des blocs de nature variée. En effet, si les blocs de la partie basse, irréguliers, ont été taillés dans la pierre locale de la colline, ceux de la partie haute, bien équarris, sont de grès en provenance de la carrière de Clots de Sant Julià, citée précédemment. La citerne 1, placée dans le sous-sol du bâtiment du musée actuel, est mal connue, mais les quelques informations disponibles suggèrent un schéma de construction semblable à celui de la citerne 3. Bien que le système de couverture ne soit pas conservé, on peut envisager l’existence d’un toit plat obtenu à partir de la disposition de grandes dalles de pierre. Ce système est en partie perceptible dans la citerne 2, où subsiste une grande dalle dans l’extrémité sud-ouest, mesurant 2,60 m de longueur et 1,70 m de largeur. Au nord de cette dalle se dessine une ouverture à peu près carrée et dotée d’un bord, utilisée pour encaisser la base d’une margelle. Cette ouverture mesure 52 cm à l’extérieur et 36 cm à l’intérieur.

||Fig. 4. Vues aériennes des citernes d’Ullastret. a. Citerne 2 ; b. Citerne 3.

||Fig. 5. Margelle découverte à l’intérieur de la citerne 1.

Des citernes de l’oppidum d’Ullastret

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En association avec le recouvrement et dans le but de faciliter l’extraction d’eau des citernes, il faut citer la découverte de trois margelles et d’un support. La margelle la mieux conservée, mise au jour à l’intérieur de la citerne 1, est de forme quadrangulaire, taillée dans une pierre calcaire (fig. 5). Elle mesure 40 cm de côté à la base, 49,50 cm de hauteur et 27 cm de diamètre intérieur pour le trou d’ouverture. Sur la partie supérieure interne sont visibles les empreintes laissées par la corde, conséquence du frottement avec le point d’appui lors de l’extraction d’eau en utilisant un seau ou un autre type de récipient. Quant aux autres margelles découvertes, le contexte archéologique n’est pas connu. Elles sont conservées dans un état fragmentaire, mais il faut noter qu’elles répondent à une typologie unitaire. En ce qui concerne le support de margelle, il fut mis au jour à l’intérieur de la citerne 3 et il s’agit d’un élément de transition pour soutenir la margelle. De structure quadrangulaire, il mesure 49 cm de côté et présente un trou central circulaire de 32 cm de diamètre interne et de 10 cm d’épaisseur.

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Imperméabilité

et revêtements

Le système d’imperméabilisation a pu être examiné en détail dans les citernes 2 et 3 grâce aux travaux de restauration réalisés et à l’analyse de quatre échantillons à partir de la microscopie normale, de la microscopie électronique avec diffractométrie de rayons X et de la thermogravimétrie (analyses réalisées par l’Institut für Prävention im Bauwesen, Hochsule Karlsruhe). Ces analyses ont permis de connaître la composition (fig. 6a) et la porosité des mortiers (fig. 6b et 6c). Ainsi, il a été possible de noter que le revêtement des parois et du fond d’une même citerne comprend différents types de mortier. Bien que, de manière générale, il s’agisse d’un opus signinum qui mélange de la chaux, des fragments céramiques et des cendres, les échantillons prélevés diffèrent en raison du liant utilisé. Dans certains cas, on observe l’inclusion de matériaux siliceux mêlés avec de la chaux hydraulique (pavement de la citerne 3), tandis que dans d’autres cas le liant correspond à de la chaux vive (pavement de la citerne 2 et revêtement des parois des citernes 3 et 4) 4. Les mortiers des pavements des citernes 2 et 3 d’Ullastret sont très proches d’un point de vue technologique de ceux utilisés dans les citernes les mieux connues de l’établissement grec d’Emporion. Cette parenté suggère que la construction, qui requiert des connaissances techniques spécifiques, a été assurée par des spécialistes qui travaillaient probablement sur commande. La couche superficielle du mortier constitue l’élémentclef pour garantir l’étanchéité et la conservation à long terme de l’eau. Le recouvrement des parois des citernes 2 et 3 présente une couche très dense, épaisse de quelques millimètres. La porosité est moindre par rapport aux couches internes (fig. 6b), avec des valeurs comparables à celles des revêtements modernes garantissant la conservation de l’eau potable.

4. Schön & Heinrichs 2013.

||Fig. 6. a. Composition minéralogique des échantillons Z4_W1_S1a et Z3_B2_S1 ; b. Niveaux de porosimétrie de la couche superficielle et de la couche de mortier du revêtement de la citerne 3 ; c. Résultats de la porosimétrie au mercure des différents échantillons.

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Le nettoyage et la consolidation des mortiers de la citerne 3 ont permis de connaître le procédé d’application du revêtement. Des empreintes de doigts sont visibles (fig. 7), sous la forme de trous uniformes et peu prononcés, en liaison avec l’application des différentes couches de mortier, sauf pour la dernière, qui utilise la technique du glissé. Ces irrégularités favorisaient une meilleure adhésion des différents niveaux de mortier.

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Approvisionnement

et stockage

L’eau stockée dans les citernes était obtenue à partir d’un système de captation fondé sur la collecte et la canalisation de l’eau de pluie en provenance des toitures et / ou des rues. Pourtant, force est de souligner la méconnaissance des élévations des bâtiments, tout comme l’état lacunaire de la documentation archéologique disponible issue des fouilles anciennes. Le seul élément aujourd’hui connu est une tuile en plomb qui mesure Fig. 7. Empreintes de doigts, dans le but d’adhérer les couches de 64,40 cm de longueur conservée, 18 cm de largeur mortier, repérées pendant les travaux de restauration de la citerne 3. maximale et de 0,30 à 0,50 cm d’épaisseur. Cette tuile, découverte en 1974 lors de la restauration des structures environnant la citerne 2, est sans doute à rattacher à une canalisation qui assurait la conduite de l’eau à l’intérieur de la citerne à travers d’un orifice d’entrée placé dans l’extrême sud-est. Ce trou, qui est resté caché suite aux travaux anciens de restauration, a été redécouvert lors des travaux récents de nettoyage, qui ont permis de procéder à son étude. Il est nettement visible dans la partie interne, situé à 2,95 m de hauteur par rapport au sol de la citerne. Quant à la tuile en plomb, elle constitue un unicum dans l’espace ibérique du nord-est pour la période préromaine, l’utilisation du plomb dans les conduites d’eau devenant uniquement fréquente à l’époque romaine. En association avec cette canalisation, il faut envisager la présence d’un dispositif destiné à filtrer l’eau des impuretés avant son stockage dans la citerne, bien qu’aucun élément n’ait été découvert. Enfin, cette citerne 2 présente également un orifice dans l’extrême sud-ouest, permettant l’évacuation de l’excédent d’eau lors du dépassement de sa capacité maximale à 2,49 m.

||

Chronologie Aucune donnée archéologique directe ne permet de dater la construction des citernes, bien que la citerne 1 soit vraisemblablement rattachée au temple C, qui date du iiie s. a.C. 5. La typologie et les parallèles connus d’Emporion suggèrent également cette chronologie. En effet, l’étude de Lurdes Burés 6 sur les citernes d’Empúries a montré que celles de plan elliptique, bâties en utilisant des blocs de grès et disposant d’une couverture plate, seraient les plus anciennes de l’établissement grec, datées du iiie s. a.C. En revanche, l’étude du mobilier en provenance des niveaux d’amortissement permet de dater correctement le moment d’abandon. Ainsi, les citernes 2 et 3 cessent de fonctionner au même moment, au tout début du iie s. a.C., en parallèle à l’abandon de l’oppidum de Puig de Sant Andreu. Cette phase signale donc un dépeuplement généralisé, entraînant l’inutilisation des équipements de base. Le mobilier de la citerne 1, très hétérogène, paraît signaler un amortissement plus tardif, du début du ier siècle p.C., ce qui serait à mettre en rapport avec la fréquentation des sanctuaires après l’abandon de l’oppidum 7.

5. Casas et al. 2005, 994-996. 6. Burés 1998, 170. 7. Casas et al. 2005, 996.

Des citernes de l’oppidum d’Ullastret

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Considérations

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finales

Force est de constater que, au niveau formel, aucune citerne n’est identique, car chacune a ses particularités. La citerne 1, de plan elliptique et de section rectangulaire, ne présente pas de placage de blocs de grès, mais est dotée d’une couverture plate. La citerne 2, également de plan elliptique et de section rectangulaire, est doublée en revanche de blocs de grès et d’un revêtement hydraulique, la couverture étant aussi plate. Ces deux citernes, notamment la citerne 2, découlent d’un modèle de filiation punique bien attesté dans le nord de l’Afrique et dans l’espace méditerranéen sous influence punique, mais également à Emporion 8 et dans des sites indigènes de son proche arrière-pays, ainsi Ullastret et Castell de Palamós 9, ou encore du sud de la Gaule, comme c’est le cas à Ensérune 10. Enfin, la citerne 3, de plan rectangulaire, est revêtue d’un mortier aérien de chaux qui confère aux extrémités une forme pseudo-absidiale. La partie supérieure a été bâtie moyennant des assises de blocs de grès et la toiture semble être également plate, tandis que la section est rectangulaire au nord et en forme de bouteille au sud. Cette citerne 3 matérialise un système hybride des différents modèles répandus en Méditerranée, soit les citernes en forme de bouteille et à couverture plate du monde grec et les citernes caractéristiques de la sphère punique. Quant à l’adoption, pendant le iiie s. a.C., des citernes comme système de stockage d’eau à grande échelle, le phénomène est perçu en même temps à Emporion, à Ullastret et à Castell de Palamós, trois sites de l’extrême nord-est de la péninsule Ibérique. À Ullastret, les différences formelles décelées dans les citernes signalent une construction probablement progressive, qui ne semble pas répondre à un plan concerté d’urbanisme, mais plutôt à des besoins spécifiques. Pourtant, les parallélismes chronologiques et techniques, aussi bien dans la typologie que dans les techniques de construction, notamment dans l’utilisation de mortiers de revêtement, sont à souligner dans les trois sites, ce qui suggère que l’introduction de ce type de citernes dans la région de l’Empordà s’est réalisée via un seul agent, en contact avec le monde méditerranéen, y compris la sphère punique. Dans les trois sites, on peut noter également le rapport existant entre capacité de stockage et emplacement des citernes au sein de l’établissement. En effet, dans tous les cas les citernes de grande capacité sont associées à des espaces cultuels, tandis que celles de moyenne capacité semblent liées à des espaces domestiques et/ou à des rues. Si cette organisation a une certaine logique à Emporion, où les citernes 1 et 2 sont intégrées dans un sanctuaire dont le caractère salutaire explique le besoin d’eau pour les guérisons et les pratiques rituelles associées, la construction de la citerne 1 d’Ullastret, associée au temple C, est d’interprétation plus délicate, en raison notamment de la méconnaissance des cultes développés. Toutefois, le rapport de cette citerne avec le temple C est incontestable, pouvant être même liée à l’ensemble des bâtiments cultuels de cette aire sacrée 11. Le type de citerne couverte attesté à Ullastret matérialise une solution optimale pour le stockage, car l’eau reste à température fraîche constante en même temps qu’elle est protégée des impuretés. Pour autant, les auteurs grecs anciens témoignent d’une nette préférence pour l’eau en mouvement devant l’eau stagnante, même s’ils cautionnent l’utilisation de citernes en cas de nécessité 12. En ce sens, le nombre et la capacité relativement restreinte des citernes connues à Ullastret par rapport aux besoins quotidiens de la population semble indiquer, en effet, que l’eau stockée pouvait être réservée pour des périodes de pénurie et/ou pour des usages très précis, ainsi les pratiques rituelles.

8. 9. 10. 11. 12.

Burés 1998, 170-171. Martín 1977. Blétry-Sébé 1986, 12 ; 28. Costa 2011, 38-39 ; Prado 2008, 198. Hellmann 1994, 274.

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Annexe :

intervention de conservation et restauration des citernes

Méthodologie générale de l’intervention

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Lorsque fut envisagé une intervention globale de conservation et de restauration des citernes 2 et 3 d’Ullastret, les vestiges étaient dans un état avancé de dégradation. Il s’agissait donc de freiner le processus d’altération et de garantir la sauvegarde des structures conservées. Dans ses grandes lignes, les travaux de conservation et de restauration ont débuté avec l’étude approfondie des pathologies et des facteurs d’altération et la reconnaissance des agents dégradants. Cette information, en parallèle à l’analyse des matériaux et des techniques de construction, a apporté des données suffisantes pour définir le protocole de base pour une intervention centrée sur des actions de conservation, c’est-à-dire le nettoyage et consolidation des éléments désagrégés et/ou décollés. En outre, l’intervention de conservation sur des éléments patrimoniaux a été réalisée selon les critères marqués par le code déontologique du métier 13, qui garantissent le respect maximal des propriétés historiques, physiques, esthétiques et scientifiques d’origine, établissant que les traitements doivent être minimaux, c’est-à-dire ceux strictement indispensables pour la conservation du bien patrimonial, dans le but de garantir la réversibilité maximale des actions et des traitements effectués ainsi que la compatibilité de matériaux et la stabilité physique et chimique entre les matériaux de restauration et ceux d’origine, de même que la lisibilité et l’identification de l’intervention sont des éléments incontournables.

Traitement de conservation des citernes L’analyse des pathologies a permis de déterminer que l’une des raisons principales de la dégradation est l’exposition continue aux intempéries (fortes pluies, neige, vent, périodes d’insolation et de gel, accumulation d’eau et excès d’humidité, etc.), difficiles à contrôler dans des sites à l’air libre. D’autres mécanismes dégradants s’expliquent par la nature géologique propre de la pierre en provenance de la carrière de Clots de Sant Julià et par des actions anthropiques peu favorables (utilisation continue d’herbicides, opérations de maintenance utilisant du ciment, etc.), ainsi que par la présence de toutes sortes d’animaux. Ces agents dégradants ont déclenché des altérations, dont l’une des plus notables est la présence généralisée de colonisation biologique (de la prolifération de plantes supérieures à la présence de lichens, algues et mousses), souvent perceptible sous forme d’une couche homogène qui modifie les revêtements et les surfaces pierreuses d’un point de vue chromatique. L’action dégradante des racines est également à signaler, car elle provoque des dommages mécaniques tels que désintégration, fissures ou séparation des revêtements du support pierreux. Cette séparation de la structure en pierre provoque que ces espaces soient propices à une nouvelle accumulation de terre, avec un taux élevé d’humidité, ce qui favorise la prolifération constante de végétation et, par conséquent, la dégradation continue du secteur. De même, l’action dégradante de l’eau est responsable de ruissellement et d’érosion ; elle est aussi à l’origine de dégâts physiques dus aux cycles de gel et de dégel 14. De surcroît, ces conditions favorisent la présence de toutes sortes d’animaux 15, responsables de dommages graves, dont le contrôle est très difficile (fig. 8). D’autres altérations physiques nettement perceptibles dans les matériaux sont associées à l’érosion de la pierre, notamment dans le couronnement d’origine des citernes, partiellement ou entièrement perdu. La désagrégation sableuse des blocs de grès de la citerne 2 est notable, comme le délitage de la roche de la citerne 3 (sous forme d’exfoliation). Le manque de couronnement uniforme a laissé sans protection les parois verticales des citernes, dégradées par le ruissellement de l’eau de pluie. Les revêtements présentaient également de nombreuses altérations physiques telles que fissures, fentes, trous et cavités. La désintégration des revêtements des deux citernes était notoire 16 et nombre de zones étaient affectées par des gonflements et des poches où le revêtement se détachait progressivement des blocs de pierre. Le stade le plus

13. Critères internationaux marqués par l’ICCROM. 14. Les périodes de gel et de dégel, de forte humidité/sécheresse, de chaleur/froid, etc., provoquent des tensions mécaniques internes qui dégénèrent souvent dans des processus de désintégration, difficiles à contrôler dans des espaces à l’air libre. 15. Arthropodes (fourmis et araignées), annélidés (différentes sortes de vers), oniscides (cloportes ou vers de boule), grenouilles, lapins et serpents; animaux qui ont provoqué des graves dommages (cavités, nids, érosions, etc.) aussi bien sur les revêtements que sur les pierres. 16. La désintégration comprise comme un phénomène de décomposition des grains ou des particules qui forment le matériau, c’est-àdire que le manque d’unité provoque des affaiblissements structurels.

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Des citernes de l’oppidum d’Ullastret

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||Fig. 8. a. Vue de détail de la présence généralisée

d’oniscides ; b. Vue de détail de la prolifération de colonies biologiques.

avancé correspond à la perte du revêtement, ce qui aboutit à l’existence d’espaces vides. En général, une grande partie du revêtement d’opus signinum s’est dégradée, aussi bien les couches de préparation que la couche finale ou d’enduit (fig. 9). D’autres pathologies détectées découlent des interventions anciennes. Les profils des revêtements conservés avaient été fixés au parement avec un solin de ciment, dans l’objectif de garantir la solidité, d’éviter la filtration d’eau ou l’accès des animaux, etc. Le diagnostic actuel sur l’état de conservation permet de conclure que, bien que l’objectif de l’intervention soit pertinent, le matériel utilisé était inapproprié, entraînant toute une série d’altérations. Les ciments ont apporté des sels 17, contribuant à la désagrégation des différents matériaux constructifs (en raison de leur cristallisation) et à une séparation des revêtements due à l’incompatibilité de matériaux ainsi qu’à l’accumulation dans les espaces intermédiaires de végétation et de nids d’animaux, parmi d’autres pathologies. Les citernes conservent les pavements d’origine, dont l’état de conservation est globalement bon. Toutefois, ils sont très sales et présentent des parties manquantes et des déformations en raison de l’accumulation d’eau de pluie, de la croissance de plantes supérieures, ainsi que lichens, algues et mousses, et de la présence d’animaux.

17. Il a été possible d’observer des efflorescences, résultat du transfert des sels contenus dans l’eau à l’intérieur de la structure poreuse des mortiers ou de la pierre, lesquels migrent à la superficie par évaporation. Les revêtements, partiellement conservés, étaient donc affectés par les variations d’humidité et la cristallisation des sels.

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||Fig. 9. Vues de l’état de conservation de la citerne 2 avant les travaux de restauration. La perte du revêtement d’opus signinum est perceptible dans plusieurs zones.

Les travaux de conservation et de restauration ont consisté à utiliser des procédés de nettoyage à sec, à partir de moyens manuels, dans le but d’éliminer la saleté accumulée, les dépôts superficiels, la végétation et les animaux ainsi que les matériaux insérés lors des campagnes précédentes de restauration (ciments). Le nettoyage mécanique a été alterné avec un nettoyage chimique, moyennant l’application d’un produit biocide, dont l’objectif était d’éliminer les agents biologiques adhérés aux surfaces et d’éviter leur prolifération à court terme. La fixation des revêtements d’origine conservés a été réalisée moyennant des injections de mortier 18. Les éléments décollés et déplacés ont été remis à sa place et les revêtements des deux citernes ont été scellés avec des solins de protection en mortier. Les petits trous et les fissures ont été bouchés et les cavités de plus grande dimension au milieu des blocs ou du substrat de grès ont été également scellées. De même, du mortier de jointoiement a été appliqué entre les blocs de la citerne 2, de façon à sceller les secteurs ouverts et à éviter les filtrations d’eau, les dépôts de saleté et les nids d’animaux 19. Ces travaux ont permis de lier et de tasser les différents matériaux constructifs des citernes, en même temps que de sceller

18. Les mortiers utilisés sont ceux traditionnels de chaux, incluant des agrégats de granulométrie, couleur et propriétés diverses en fonction des besoins dans chacune des applications requises. 19. Cette action a été considérée comme incontournable en vue de la conservation de la citerne, bien que le système de construction d’origine utilise l’argile comme liant des pierres. Le mortier a été appliqué très en retrait par rapport à la ligne de pierres conservée, de façon à respecter la vision générale de l’ensemble et à garder son apparence d’origine.

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les espaces ouverts pour éviter aussi bien l’accumulation de saleté, de végétation et d’animaux que l’infiltration d’eau de pluie (fig. 10).

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Enfin, la consolidation des éléments décollés et/ ou érodés a été précédée chaque fois d’une évaluation de la méthodologie et du matériel les plus appropriés 20. Ces actions ont pour objectif d’améliorer la résistance des matériaux de construction d’origine. L’intervention a permis d’approfondir la connaissance du système de construction des citernes. Sous la dalle qui couvre l’extrémité sud-ouest de la citerne 2 et de part et d’autre du trou de débordement sont visibles quelques blocs de grès dans un état de détérioration avancé. Cet espace a été fortement investi par les travaux de restauration et de maintenance anciens. Des blocs qui ne sont pas d’origine, mélangés avec de la terre, ont été mis au jour: ils comblent les trous et/ou reconstituent une partie du mur de la citerne en utilisant du ciment. Le nettoyage récent a permis de découvrir l’existence d’un autre trou près du trou de débordement, qui reste uniquement visible du côté interne, car il a été impossible d’éliminer les ciments collés lors des interventions précédentes de restauration au risque de déstabiliser le soutènement de la grande dalle. Le nettoyage de la citerne 3 a permis de vérifier et d’analyser les traces de doigts, sous forme d’empreintes uniformes peu prononcées, présentes dans les différentes couches de mortier, sauf dans la dernière (réalisée en utilisant la technique de l’enduit), et qui attestent les procédés de construction en vue d’une meilleure adhésion des différentes couches de mortier.

||Fig. 10. Vues de détail des travaux de restauration. a. Consolidation des revêtements moyennant des injections ; b. Réintégration des petites pertes.

20. Des essais ont été réalisés avec un consolidant à base de silicate d’éthyle pour les blocs de grès du couronnement des deux citernes, ainsi que d’autres en utilisant de l’eau de chaux appliquée dans les zones où sont conservées les différentes couches de préparation de l’enduit. Ces derniers essais ont fourni des meilleurs résultats, ce qui explique le choix d’utiliser l’eau de chaux pour renforcer l’ensemble de blocs de grès, aussi bien du couronnement que des parois des citernes, de même que pour le revêtement de la citerne 2.

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Références bibliographiques Augusta-Boularot, S. (2004) : “Maîtrise de l’eau et installations hyrdauliques en Gaule du sud (ive-iie siècle av. J.-C.)”, in : Augusta-Boularot & Lafon, éd. 2004, 177-225. Augusta-Boularot, S. et X. Lafon, éd. (2004) : Des ibères aux Vénètes. Phenomènes proto-urbains et urbains de l’Espagne à l’Italie du Nord (ive-iie s. av. J.-C.), Actes du colloque international de Rome, 10-12 juin 1999, Coll. EfR 328, Rome.

Éléments sous droit d’auteur - © Ausonius Éditions mai 2015

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