Compte rendus. Los tentáculos de la Hidra. Contrabando y militarización del orden público en España (1784-1800)

June 23, 2017 | Autor: M. Melón Jiménez | Categoría: Siglo XVIII, Contrabando, Hacienda Pública, Bandolerismo, Militarización del orden público, Ejército
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Descripción

Los tentáculos de la Hidra. Contrabando y militarización del orden público en España (1784-1800), Miguel Ángel MELÓN JIMÉNEZ Madrid-Cáceres, Silex-Universidad, 2009. Par Gregorio Salinero, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne http://nuevomundo.revues.org/67912 Miguel Angel Melón Jiménez, professeur d’histoire moderne à Cáceres est l’auteur de quatre livres personnels, sur l’Ancien Régime en Estrémadure, sur le capital financier, sur la frontière et la contrebande avec le Portugal et enfin sur la contrebande en Espagne et la militarisation de la société du XVIIIe siècle. À cela s’ajoutent six autres ouvrages collectifs et une action très dynamique de collaboration internationale avec les universités italiennes et celles de l’Amérique du sud. Selon Hésiode l’Hydre est un monstre à sept têtes, né de Tifón et d’Equidna et généralement décrit en forme de serpent. Quand une tête lui était coupée elle repoussait, sauf à appliquer des flammes sur la plaie ouverte. Dans l’un de ses travaux Hercule met le feu à la région proche d’Argos où niche l’Hydre afin de rendre le secteur habitable. Nul doute que les commissaires du roi se prenaient pour Hercule, toutefois, les régions de contrebande étaient précisément des secteurs actifs et peuplés. Dès le premier abord, ce livre en impose par son volume de 454 pages, mais davantage encore par sa richesse documentaire qui se concrétise sous la forme de 23 tableaux abondants et de 11 cartes originales. À cela s’ajoute un annexe documentaire fourni, une copieuse bibliographie et un glossaire de près de 10 pages. Dans celui-ci, on apprend l’argot de la fraude : abrigadores (couvreur) ceux qui ont une activité officielle servant de couverture aux délits, souvent commanditaires ; aviador (préparateur) celui qui prépare les itinéraires et subvient aux besoins sur le chemin ; baratería ( de barato, pas cher) les installations et stock côté portugais où se font les achats, lieux de tromperies multiples ; suivent ceclavinero, cerveranos, algezareños ; mais aussi panderetera, gente del oro, muga, ministros de ovejas blancas… un bonheur pour les collectionneurs de mots rares. Sept chapitres successifs répondent à une organisation chronologique et thématique : l’organisation de la fiscalité dans la péninsule ; en deux chapitres, la lutte contre la contrebande entre 1784 et 1787 ; l’action du commissaire Juan de Ortiz en Andalousie et en Estrémadure entre 1784 et 1789 ; la politique de réformes et de padrones des années 1787 à 1791 ; la lutte contre la contrebande en Navarre, en Andalousie et en Estrémadure durant la période 1789-1800 ; enfin, les itinéraires individuels de nombre de contrebandiers en guise de radiographie de la société espagnole. On l’aura compris le livre constitue une réflexion approfondie sur trois points essentiels : la vie des frontières de l’Espagne ; la perception de la contrebande et des réponses militaires plus que politiques qui sont apportées à sa menace ; une réflexion qui s’accompagne de la mise en scène des procédés de la contrebande et des contrebandiers dans la société espagnole du temps. Par commodité, ici nous regrouperons plusieurs de ces chapitres Faut-il le rappeler, le temps des révolutions ici est le temps de la chasse à la fraude par les régimes de deux princes éclairés, Charles III puis Charles IV, après1788. Il est frappant de constater qu’en juillet 1789, le marquis de Palacio est au cœur de la répression de l’exportation des pièces d’argent vers la France depuis la Navarre, et le commissaire Andalous en pleine phase de répression de la contrebande du sud de la péninsule. En apparence, la péninsule semble se situer à des années lumières de la Révolution ; en revanche, on peut se demander si la vie de contrebande n’a pas tenu lieu de soupape aux frustrations de la société péninsulaire de la fin du XVIIIe siècle ? Tout d’abord, la vie des frontières et la fraude. Dès le règne de Charles III les services de la Secretaría del Despacho Universal de Hacienda, de Guerra y Justicia, se préoccupent du phénomène de la contrebande. Volonté existe de surveiller le système des douanes, de surveiller autant que possible son administration et de poursuivre le plus possible les contrebandiers. D’où une documentation abondante conservée pour l’essentiel aux archives de Simancas.

Par une série de traités signés tout au long du XVIIIe et du début du XIXe siècle, la frontière avec le Portugal (La raya de Portugal) est fixée avec peu d’enclaves, la ville d’Olivenza demeure côté espagnol suite au traité de Badajoz de 1801. En 1786 une information du marquis de Robledo éclaire les mécanismes de contrebande dans ce secteur : côté portugais, des stocks (baraterías) de tabac Brésil dans les secteurs d’Elva ou Olivenza ; tout le nécessaire pour des centaines de chevaux, des compagnies de contrebandiers ; et des lieux où pouvaient être contractés des prêts pour les achats voire des assurances… Le Brésil en partait, les marchandises venues de Gibraltar pouvaient y arriver. Selon les autorités, la raya constituait une ligne à défendre et à protéger ; selon les habitants, un lieu de vie, un espace marginal et un domaine de refuge et de coopération entre frontaliers. L’occupation napoléonienne rapprochera les Espagnols et les Portugais. Les esclaves noirs fuirent de part et d’autre de la frontière. En 1755, une insurrection de contrebandiers à Ceclavín (2 000 ha) occupe les villages environnants avec plusieurs centaines d’hommes puis se réfugient au Portugal où ils se constituent en colonie espagnole. En 1786 les enfants des contrebandiers exilés, désireux de rentrer, demandent pardon au colonel Ortiz qui le leur refuse. En 1706, un conseiller envoyé par Badajoz demande aux militaires qu’ils aillent faire la guerre ailleurs ! Le secteur de Jabugo est typique de ces domaines. Il s’y tient une foire clandestine et perpétuelle au tabac, au coton et à la mousseline, dans la sierra de Aracena. Sans cesse sous surveillance, près de 200 de ses 270 feux commercent avec le Portugal. Des marchands y viennent de toute l’Espagne, unissant ainsi le trafic castillan avec celui de Gibraltar et celui du Portugal. Les alcades et les juges locaux corrompus sont impliqués dans les affaires aux côtés des grandes familles du secteur : un cauchemar d’administrateur des douanes. La Navarre et le cordon del Ebro sont deux autres secteurs sensibles. Jusqu’aux années 1862-1868, le statu quo du traité des Pyrénnées de 1659 avec la France concernant la frontière s’y maintient. On sait que cet archétype de la frontière naturelle est plus qu’artificielle, parsemée d’enclaves et d’État intermédiaires au statut particulier. Ainsi, la Navarre jouit de privilèges douaniers, elle peut commercer librement sans droits ; du coup, les douanes sont à ses portes, pour l’entrée des produits en Castille. Elles constituent le cordon de l’Ebre. La Navarre bénéficie de l’importation libre de droits pour les produits de consommation courante, elle possède des foires franches et jouit de nombre de réductions de l’impôt indirect, l’alcabala. Ces exemptions sont applicables aux étrangers résidant qui deviennent citoyens des villes navarraises, vecinos. Un vice-roi est installé en Navarre, le vicomte de Palazuela. À plusieurs reprises, il passe des accords de lutte contre la contrebande avec le gouverneur de Bayonne. En 1784, avec 300 soldats ils attrapent 8 femmes et 5 gitans… enfermés promptement à Pamplona. Les conflits avec la France aidant, les routes terrestres au travers du pays, vers Madrid et Bayonne, deviennent essentielles. Bien souvent, les commissaires s’installent à Cervera, un point stratégique. La région inquiète les autorités douanières, en tant que principal secteur de fuites de l’argent et lieu privilégié de compromission du clergé navarrais avec tous les trafics. Au sud, les Campos de Gibraltar et l’Andalousie constituent un secteur frontalier supplémentaire. Los Campos ne sont rien d’autre que le rocher cédé à l’Angleterre par le traité d’Utrecht en 1713, une ligne ridicule de 0, 5 km de frontière terrestre, mais une vaste frontière maritime. Tout comme depuis d’autres ports péninsulaires, les navires espagnols pouvaient exporter du vin et des grains au départ de Gibraltar ; le tabac anglais et américain pouvait faire l’objet d’un commerce ; mais celui du tabac Brésil, lui, était interdit. En 1794 pourtant, plus de 80 bateaux battant pavillons anglais, génois, ragusain, portugais, débarquent le tabac, les toiles, le coton et la cannelle de Ceylan depuis Gibraltar sur les côtes espagnoles, soient plus de 10 millions de pesos l’an de marchandises. Ces produits remontent ensuite vers la région montagneuse de Cueva Altas, Estepa et, de là, gagnent le reste de l’Espagne et le Portugal par le sud de l’Estrémadure et la région de Jabugo. Ainsi se forme le triangle de toutes les fraudes, entre Séville, Cordoue et Malaga. Les douanes intérieures sont supprimées en 1717 et déplacées vers les périphéries frontalières. À l’exception de la laine et de la soie, la circulation des marchandises est ainsi libérée. La hiérarchie administrative des douanes tend donc à se superposer aux frontières de la Superintendencia General de Hacienda, jusqu’aux caisses provinciales qui concentrent les revenus des perceptions douanières, lieu de passage et de déclaration obligés. Les droits sur le tabac sont ceux qui rapportent le plus, tabac Brésil venu du Portugal et tabac de Virginie venu d’Angleterre. Entre 1779 et 1791 cependant, ces revenus baissent dans 25 provinces douanières et n’augmentent que dans 8 autres d’entre elles. La fraude massive

est patente. Pourtant, une administration de plus de 4 000 agents sert les douanes du tabac contre moins d’un millier d’entre eux pour la douane générale. Le commerce libre avec les Indes demeure sous le contrôle attribué à 9 ports (instructions de 1765-1778) et permet une multiplication par 4 de la valeur de ces échanges jusqu’à la fin des années 1790. Cadix continue de concentrer l’essentiel du trafic transatlantique mais perd son exclusif. L’époque fut propice à une militarisation de la société espagnole. En effet, à la suite de l’Instrucción real contre la contrebande de juillet 1784, une douzaine de commissions sont instituées par les titulaires successifs du Despacho de Hacienda, de Guerra y de Justicia. L’acte du 29 juillet 1784 représente la première compilation des instructions de lutte contre la contrebande. Près d’une vingtaine d’ordonnances et autres textes de tout poil seront publiés jusqu’en 1801, date de la rédaction de la Colleccion de todas las instruciones generales… para la aprehension de ladrones, contrabandistas, desoertores, vagos… du secrétaire Mariano Dominguez Caballero. Beaucoup de textes donc, qui font présager de l’inefficacité de la voie paperassière. Celui de 1784, rédigé par le secrétaire du Despacho Miguel de Múzquiz, multiplie les constats négatifs et les mesures à prendre. La délinquance a augmenté à cause de l’emploi des armées dans la guerre contre l’Angleterre. Les autorités locales n’ont pas procédé partout avec la même diligence. Des mesures exceptionnelles doivent être prises par l’armée dont les chefs commissionnés pourront choisir leurs hommes pour lutter contre la contrebande, le vol et la fainéantise. Le code de justice militaire s’appliquera aux délinquants : peine de mort pour les agressions armées et les récidives ; bastonnade, amendes et exil, pour les attaques à l’arme blanche et autres délits. L’armée reçoit autorité pour surveiller les chemins. La prime à la capture des contrebandiers du tabac s’élève à 60 et 100 réaux. Les mesures sont si radicales que la province de Vizcaye, réunie à Bilbao, proteste solennellement contre cette attaque aux coutumes du pays. Un pas en avant est donc rapidement franchi vers la militarisation. Les autorités militaires et les commissaires gouvernaient les provinces, ils avaient autorité sur les fonctionnaires civils, les tribunaux locaux leurs étaient subordonnés et ils pouvaient présider les Chancelleries (tribunaux provinciaux). Un peu partout fleurirent des milices urbaines de lutte contre la contrebande et de protection des frontières : en Galice, la Compañias de Micia Honrada, dissoutes en 1820 ; en Aragon, une nouvelle Compañia Suelta de Fusileros qui surveille les chemins ; le long de la côte de Grenade, la Compañias de Infantería Fija est réorganisée… Dans les mois qui suivirent la promulgation du texte, une intense activité répressive se manifesta : en vielle Castille 67 contrebandiers et 164 vagabonds furent arrêtés ; en Aragon la troupe mobilisée regroupa plus de 300 soldats en 1789 ; en Catalogne, le compte d’Asalto déploya des centaines d’hommes dans le pays. Il en alla de même ailleurs. En 1786, une enquête dirigée par l’inspecteur Juan José de Vertizo tenta un premier bilan pour les provinces de Castille, des Asturie et d’Estrémadure, il compta près de 600 hommes de troupe engagés dans la seule poursuite des contrebandiers et une forte couverture de la moitié nord-ouest de la péninsule. Sur la côte de Majorque on installa 35 tours de guet servies par plus de 500 hommes, gardiens, patrouilleurs en tous genres et 6 navires de garde côtes. En 1785, les troupes du commissaire Juan Ortiz, pour l’Andalousie et l’Estrémadure, s’élevaient à plus de 300 hommes d’infanterie et autant de cavaliers de la reine et de dragons. L’Andalousie était tenue à partir des grandes villes. Il installa une forte troupe à Lucena à proximité des principaux centres de contrebande. Durant l’année 1785, les troupes d’Ortiz firent pression sur les villages pour qu’ils concluent avec le commissaire et l’armée des accords de fidélité et de défense contre les contrebandes, las obligaciones. La municipalité de Rute se plaignit ainsi au roi : « ils ont encerclé la place et la maison du conseil en tenant tout le village et en fulminant contre nous des menaces de peine de mort comme si nous étions un pays conquis, rebelle à Votre Majesté ; ils ont convoqué tous les habitants et nous avons signé tout ce qu’ils exigeaient ; et nous aurions souscrit jusqu’à la condamnation de notre propre existence… Le commissaire est parti avec le document sans même nous en laisser une copie ». De telles méthodes, et la corruption de nombre de militaires, ne présageaient rien de bon. Mais des dizaines de villages souscrirent ainsi à ces obligaciones qui forgèrent une image fausse de l’adhésion des populations.

Le second volet de ces décisions consista en deux textes visant à un traitement plus nuancé de la fraude : l’Instrucción Reservada de 1787 et l’Indulto (pardon) de 1791. Les 395 articles du premier visent à réduire le trafic de tabac, notamment le Brésil, en proposant des négociations avec les Portugais pour acheter et vendre le tabac moins cher. Les autorités menèrent aussi campagne contre la fraude en s’attachant à comprendre et à réduire ses causes. Il fallait contenir la contrebande en luttant contre la fainéantise, le manque d’industrie et en prônant la modération ; en contrôlant mieux la circulation de l’armement et les équipes de charretiers et autres muletiers. Les évêques furent sollicités pour sensibiliser les populations à la gravité de la faute spirituelle que constituait la contrebande. Quant à lui, l’édit de pardon, daté de janvier 1791, invita les contrebandiers à se livrer dans le délai d’un mois en remettant leurs marchandises et leurs armes. Ils devaient signer un engagement et une caution, s’engager à maintenir une résidence fixe en échange de leur absolution. Ces pardons furent réitérés en 1793-18081814, avec peu de succès semble-t-il. Il est vrai que les arrestations atteignaient des sommets et que toutes les prisons du royaume débordaient de malfrats, hommes et femmes, contrebandiers aguerries ! Les commissaires des années 1789 à 1800 maintiendront une très forte pressions sur la contrebande sans l’éradiquer : commission Domingo Mariano Traggia sur le Cordon del Ebro (1789-1797) ; campagne de Pedro de Buck en Andalousie et en Estrémadure 91-94 ; seconde commission Juan de Ortiz entre 1794 et 1800. Au final, les captures se multiplièrent encore. Lors de la campagne de Buck en Andalousie, entre 1791 et 1792, plus d’une centaine d’opérations furent réalisées qui aboutirent à l’arrestation de 247 hommes et de 9 femmes. De très nombreuses précisions sont données par l’ouvrage sur les lieux et les produits concernés par ces très vastes opérations. En 1793, dans le secteur navarrais de Cervera, 70 arrestations de contrebandiers, dont 8 femmes, furent réalisées. En 1794 on compta 861 condamnés expédiés pour la plupart aux armées engagées contre la France et vers la marine d’Afrique. En 1795, on comptabilisa près de 3 000 condamnations ; puis plus de 4 000 en 1796 ; et enfin, près de 5 000 en 1797. Les prisons était pleines, les peines de service militaire se multipliaient, les assignations à résidence aussi, ainsi que condamnations à des travaux d’utilité publique et conséquemment le recours en pardon des prévenus. Le livre dépeint magistralement la contrebande et les contrebandiers. Ils occupent une place déterminante dans certains secteurs tels que la Sierra de Aracena, les Sierra de Grazalema, l’intérieur de l’Andaousie, les frontières des Asturies, de Navarre ou de Catalogne. Villages, fermes, puits, auberges, forêts, routes secondaires, chemins de traverses et espaces en friches sont les refuges des contrebandiers constitués en équipes. L’activité prospère car elle implique aussi bien les pauvres porteurs (mochileros) que les autorités ecclésiastiques, les juges et les marchands qui ont leurs affaires légales pour couverture (encubridores). L’établissement de passeports intérieurs dans les années 1790 ne modifie pas durablement ce phénomène. L’exemple de l’affaire navarraise de juillet 1789 est très symptomatique de cette situation. À cette date, le gouverneur de Cervera (frontière navarraise) expédie aux autorités centrales le compte rendu d’un trafic d’argent. Dans la localité de Corella, chez le marchands Iriarte se trame une campagne pour transporter clandestinement 300 000 réaux d’argent à dos d’homme vers la France. Cinq contrebandiers y participent dont le dénommé Marcos Antonio Remón qui avouera ensuite avoir organisé l’affaire. Ils doivent se fondre dans la population à leur arrivée de Cervera à Pamplona. La marchandise est cachée dans la maison de Monsieur Laserre, un résident français marchand d’Oloron qui a une maison à Pamplona. L’argent arrive de Madrid ou d’Aragon et il a pour destination finale Bayonne à compte d’un banquier juif du nom de Jacob López Hilario. Les métaux sont acheminés le long des vallées pyrénéennes, par Saint Jean Pied de Port ou d’autres itinéraires. Des lettres correspondant aux valeurs transportées sont ensuite tirées à Madrid par les agents du banquier. Le commissaire en poste à Cervera, le marquis de Palacio, imagine un stratagème et se fait passer pour un contrebandier connu de la région afin d’obtenir plus de détails du banquier. Contre toute attente, la chose fonctionne puisque ce dernier écrit une série de lettre au faux contrebandier qui fourmille de précisions. Diverses firmes de commerce travaillaient en complicité avec lui, les Goyeneche frères, les Artieda, les Egozqui et les Laserre de part et d’autre de la frontière. Cette incroyable correspondance précise que les bénéfices seront compris entre 6%

et 7%, et fournit les identités de diverses couvertures et autres bénéficiaires du système. Tout à leurs affaires, ces hommes ne semblaient guère sensibles à la situation révolutionnaire à Paris. Au-delà des mythes attachés au monde de la contrebande, les autorités forgeaient leurs propres catégories. Ainsi, le commissaire Ortiz assimile les contrebandiers à des voleurs et les range selon quatre profils : 1- les mal casados (mal mariés), passés devant le curé pour échapper au service militaire, mais vites séparés de leur nouvelles femmes et qui menaient une vie de pauvres ères ; 2- les recoveros, les revendeurs qui se livraient à nombre de petits trafics tels que celui des poules et autres volailles. 3- les turbieros, ou cavallier errants pourvus d’une monture et de quelques armes, prompts à former des troupes et à encadre nombre de contrebandiers ; 4- les contrebandiers à proprement parler, qui organisaient les expéditions et transportaient les marchandises, parfois honoré du titre de don et qui négociaient des prêts tout en assurant la couverture des opérations. Chaque commissaire semble avoir eu son propre point de vue pour établir une taxinomie des contrebandiers. Il est vrai que la carrière de ceux-ci pouvait s’avérer des plus rocambolesques. Voici Pedro de Ubeda, capturé en mai 1783 en Andalousie. Il avait déserté le régiment de Ciudad Real. Lors de son procès, huit chefs d’accusation furent retenus contre lui. Dans le village de Manzanares La Real, il avait traitreusement tué un célibataire dénommé Juan de Buenamañana. Il avait pratiqué la contrebande de tabac et de mousseline lors de nombreux voyages au Portugal via la région de Trujillo. Il avait participé à plusieurs échauffourées avec échanges de coups de feu contre les milices de plusieurs villages et libéré un déserteur des armées des commissaires. Un conseil de guerre fut tenu contre lui en octobre 1784 à San Lorenzo La Real. Il fut condamné à la peine de mort, à la confiscation de ses biens personnels et à la restitution de ceux qu’il détenait en fraude. Malgré plusieurs recours en appel, les juges demeurèrent inflexibles jusqu’à ce que la mère de l’insoumis implore le conseil et obtienne, avec le soutien des compagnons d’arme du contrebandier, que sa peine soit commuée en peine de galère, faisant valoir qu’il avait plusieurs enfants engagés dans les armées du roi. La société des contrebandiers constituait une société ordinaire et trouvait de nombreuses complicités dans les communautés villageoises. Elle réunissait un nombre important de femmes, telles que les pandereteras de Navarre, qui a en croire le commissaire Palacio étaient une cinquantaine au moins dans le secteur de Cervera. Et l’image du contrebandier était immanquablement associée à la tenue du brigand de grand chemin : un manteau pour se protéger des intempéries et cacher son escopette à canon long, une cartouchière bien garnie, un chapeau à large bords contre le soleil et la pluie, quelques pistolets à la ceinture et un solide cheval. Ainsi, au temps de la Révolution française, la péninsule Ibérique connaissait une forte militarisation de la société. L’État central avait les plus grandes difficultés à faire valoir le principe de l’impôt direct et à prélever les taxes en vigueur. La contrebande s’était généralisée cependant que les marchés étaient électrisés par l’offre massive de produits américains et africains, importés par les portugais et les anglais. Ces produits constituaient le gros des valeurs de la contrebande. Cette activité impliquait diversement l’ensemble de la hiérarchie sociale péninsulaire qui se retrouvait comme transposée dans la société des contrebandiers. Un tel système constitua sans doute l’une des soupapes de sécurité contre l’insurrection générale.

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