Compte Rendu de M.S. Catoggio, \"Los Desaparecidos de la Iglesia. El clero contestatario frente a la dictadura.\" Buenos Aires, Siglo XXI, 2016. In Problèmes d\'Amérique latine, n. 102, 2016/3

May 24, 2017 | Autor: Mirko Giancola | Categoría: Latin American Studies, Religion and Politics, Argentina, Church History, Dictatorships
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Descripción

Los Desaparecidos de la Iglesia. El clero contestatario frente a la dictadura Maria Soledad Catoggio Buenos Aires, Siglo XXI Editores, 2016, 288 p.

Sorti à la veille du quarantième anniversaire du coup d’état de 1976, Los Desaparecidos de la Iglesia, de Maria Soledad Catoggio - chercheuse du Centro de Estudios Laborales(CEIL– CONICET) et professeur d’Histoire sociale à l’Université de Buenos Aires -

apparait dans un

moment tout à fait particulier pour la société argentine. Le nouveau président Mauricio Macri, élu en 2015, a déclaré à plusieurs reprises de vouloir recomposer les divisions existantes au sein de la société argentine, abandonnant ce qu’il considère l’utilisation politique de la mémoire de la part de ses prédécesseurs. Ces déclarations n’ont pas manqué de susciter des protestations de la part de ceux qui attendaient encore des réponses pour les nombreuses questions laissées en suspense après la fin du régime militaire, notamment pour ce qui concerne la question des disparus.1 En effet, les causes judiciaires pour les crimes commis pendant la dictature avaient été rouvertes seulement en 2005 - après une pause de vingt ans - suite à l’engagement du président Nestor Kirchner dans la recherche de la vérité sur cette période. Un engagement qui ne se limitait pas au territoire de la jurisprudence, comprenant la mise en place de fondations, archives et musées dédiés à reconstruire l’histoire de la dictature militaire. Cette attitude, adoptée aussi par la femme du président, Christina Kirchner, devenu président à son tour en 2007, finit pour faire de la récupération de la mémoire historique sur cette époque une véritable pratique politique, surtout pour une nouvelle génération de citoyens née après la dictature. Cela dit, l’Eglise catholique n’a pas bénéficié, dans un premier moment, de l’attention réservée à l’analyse du rôle d’autres acteurs sociaux pendant la période de la dictature militaire. Limité jusqu’à la fin des années 1990 à l’espace du témoignage et de l’histoire religieuse, cette thématique à connu un certain réveil à partir de la décennie suivante en argentine aussi bien qu’à l’étranger, attirant aussi l’attention d’une large partie de l’opinion publique mondiale lors de l’élection au seuil pontifical de l’argentin Mario Bergoglio, en 2013.2

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http://www.pagina12.com.ar/diario/elpais/1-295379-2016-03-25.html Voir, à titre d’exemple: Fortunato Mallimaci, « Sosténcatólico al terrorismo de Estado de la últimadictaduracívico militar religiosa en Argentina », dans Aldo Ruben Ameigeiras, Cruces, intersecciones, conflictos. Relacionespolíticoreligiosas en Latinoamérica, Buenos Aires, CLACSO, 2012; Loris Zanatta, « Il prezzo della “nazione o cattolica”. La Santa Sede e il colpo di Stato argentino del 24 marzo 1976 », Ricerche di Storia politica 4, n 2 (2001): 165‑ 188; Martin Obregon, Entre la cruz y la espada. La iglesia catolica durante los primeros anos del « Proceso », Buenos Aires, Universidad Bernal, 2005; María Soledad Catoggio, « Argentine Catholicism During the Last Military o Dictatorship: Unresolved Tensions and Tragic Outcomes », Journal of Latin American Cultural Studies 22, n 2 (2013): 139‑ 154.. 2

Protagoniste d’une recherche décennale est l’ensemble des curés, religieux, séminaristes et évêques victimes de la répression militaire pendant l’auto-nommé Proceso de Reorganizacion Nacional. Un total de 113 cas, résumés dans un schéma mis à la fin du livre. Il s’agit d’un groupe hétérogène qui, comme souligne l’auteur, montre la convergence des chemins différents vers des espaces sociaux partagés, tels que les séminaires diocésains, certains ordres religieux, les milieux pauvres ruraux ou les bidonvilles urbaines. C’est dans ces espaces que, vers la fin des années 1950, a pris forme ce qui dans le livre est identifié comme « catholicisme contestataire », caractérisé par la critique d’une partie du clergé argentin de l’image que l’Eglise catholique avait jusqu’alors proposé d’elle-même ; l’image d’une Eglise en triomphe, transcendant la réalité sociale dans laquelle elle était située. Les premiers chapitres de Los Desaparecidos de la Iglesia sont dédiées justement à l’émergence de cette tendance à l’intérieur de l’Eglise argentine, aidée par l’effervescence sociale qui caractérisa les années suivantes la Révolution cubaine et le Concile Vatican II aussi bien que par la persistance d’une attitude militante bien enracinée dans le catholicisme argentin. Le premier chapitre montre, en fait, comment à partir des années 1930 une typologie particulière de catholicisme s’impose dans le monde catholique argentin. Typologie que Fortunato Mallimaci, en reprenant les études de Emile Poulat, a décrit avec le nom de « catholicisme intégral », en indiquant avec cette définition sa volonté de sortir de la sacristie pour exercer son influence sur le plan politique et social.3 Ensuite, en tournant l’attention aux années de la dictature, Catoggio montre comment la superposition des plusieurs divisions au sein de l’Eglise et de la société argentine, amenèrent au surgissement d’une tension entre la volonté institutionnelle de rétablissement de la discipline à l’intérieur de l’Eglise et la répression politique qui en ces années commence à toucher le milieu ecclésiastique. Dans ce cadre, Catoggio analyse l’évolution des Forces armées qui à l’époque parvinrent à se considérer comme les gardiens de l’orthodoxie catholique, dans un processus qui ne manqua pas de susciter la protestation d’une partie des évêques, préoccupés pour l’ingérence excessive des militaires dans les questions ecclésiastiques.4 Néanmoins, ce qui plus importe aux finalités de la recherche conduite par Catoggio, c’est qu’en excluant des limites de l’orthodoxie le clergé identifié comme subversif – s’appuyant aussi sur les mesures disciplinaires prises par la hiérarchie catholique à leurs égard - les militaires opéraient une désacralisation de ce groupe, ce que ouvrait la voie à l’emploi de la répression. Dans les chapitres suivants, Catoggio cherche donc à

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Fortunato Mallimaci, Catholicisme et état militaire en Argentine 1930-1946, Lille-thèses (Lille: A.N.R.T, 1989). Di Stefano et Zanatta, Historia de la iglesia argentina desde la Conquista hastafines del siglo XX.

reconstruire la rationalité à la base de l’action répressive envers ce groupe, aussi bien que des mécanismes de défense mobilisés par les victimes. L’hypothèse de l’auteur est que les militaires aussi bien que leurs victimes, ne suivirent pas une stratégie fixe, celle-ci changeant en fonction des facteurs hétérogènes liés au profil des victimes aussi bien qu’au contexte spécifique dans lequel se situait l’action répressive. En réalité, le seul facteur d’homogénéité, parmi les membres du groupe analysé par Catoggio, semble être le recours à la catégorie du martyre, pour donner un sens à sa condition.

Le dernier chapitre est consacré justement à la force symbolique de cette figure de la tradition catholique et à l’importance de sa récupération dans le contexte du retour au régime démocratique, au début des années 1980. Par ailleurs, Catoggio a mis en évidence comment cette sacralisation des victimes s’accompagna de la reconversion des trajectoires des survivants dans d’autres espaces sociaux, tandis que les jeunes générations se situaient dans un rapport de filiation avec les victimes, ce qui leur permet de donner une projection utopique à leurs initiatives. Il surgit ainsi une nouvelle catégorie que Catoggio, en reprenant les catégories de Bourdieu,5 indique comme celle des « Héritiers », dont les membres récupèrent la vocation « ascétique-altruiste » des victimes pour promouvoir une lecture spécifique du passé récent aussi bien que pour légitimer sa position critique face à l’ordre démocratique qui s’impose suite à la chute de la dictature.

Los Desaparecidos de la Iglesia est un livre fort utile et innovateur, sur plusieurs plans. Tout d’abord, grâce à l’analyse approfondie d’un corpus hétérogène de sources, Catoggio parvient à composer une liste des victimes ecclésiastiques de la répression pendant le dernier régime militaire argentin qui, à l’état actuel, est le plus précis et détaillé existant.6 Deuxièmement, l’analyse croisée entre les profils des victimes et les méthodologies répressives leur infligées, permet à l’auteur d’avancer des hypothèses assez solides autour des critères de rationalité à la base de l’action répressive du régime aussi bien que des stratégies de défenses des victimes. Cela faisant, Catoggio dépasse les limites tracées par ce qui apparait comme une attitude contradictoire des acteurs sociaux, pour en chercher la logique dans les conditions historiques, dans la pratique et dans la 5

P. Bourdieu, M. de Saint Martin, « La Sainte Famille. L’épiscopat français dans le champ du pouvoir », Actes de la recherche en sciences sociales, n. 1, vol. 44, novembre 1982, pp. 2-53. 6 Dans le rapport de la Comision Nacional sobre la Desaparicion de Personas la catégorie des « victimas religiosas » comptait seulement 26 noms. Dans les mêmes années, un document interne du Movimiento Ecumenico por los Derechos Humanos (MEDH) parvienne à la chiffre de 62 victimes provenant du clergé catholique. A cette chiffre Emilio Mignone ajouta 11 séminaristes, 4 religieux et 2 évêques, pour un total de 79 victimes. Cfr. Comision Nacional sobre la Desaparicion de Personas, Informe sobre desaparecidos en Argentina, Buenos Aires, Eudeba, 1984; A. Lopez Crespo, “2-Ambito Religioso”, in Documento interno del Movimiento Ecumenico por los Derechos Humanos, Buenos Aires, Mimeo, 1984; E. F. Mignone, Iglesia y dictadura: el papel de la Iglesia a la luz de su relaciones con el régimen militar, Buenos Aires, Pensamiento Nacional, 1986.

mentalité d’individus confrontés à une atmosphère sociale variable, qui à chaque moment signe les limites temporaires du possible et du souhaitable. Dans le cas de la dictature militaire argentine, où les possibilités d’expressions étaient fortement réduites par la censure et la répression, l’adoption de cette approche signifie le dépassement des déclarations officielles, pour suivre la murmure circulant à l’intérieur d’espaces sociaux où les acteurs étaient obligés à réélaborer en permanence leur stratégie d’action. Immergé dans un contexte social et politique où la narration du passé récent fait l’objet d’une lutte politique encore ouverte, Los Desaparecidos de la Iglesia a sans doute le mérite de vouloir dépasser les lectures dichotomiques fondées sur l’opposition entre une Eglise alliée des militaires et une autre victime et martyr. En refusant cette perspective, qui a longtemps caractérisé une bonne partie des travaux sur ce thème,7 l’auteur se demande plutôt comment fut possible la coexistence de victimes et bourreaux au sein de la même institution, étant donné que les membres des deux groupes venaient d’une même matrice de croyance, sur laquelle se fondait l’engagement politique d’un côté aussi bien que de l’autre de la barricade. En cherchant une réponse à cette question, Catoggio propose une lecture nouvelle non seulement du rôle de l’Eglise catholique dans le contexte du régime militaire, mais aussi sur les divisions profondes qui à l’époque traversaient la société argentine, tout en posant en évidence les conséquences de ces dynamiques sur l’ordre démocratique suivant la chute du régime en 1982.

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C’est la perspective adopté, parmi d’autres, par Emilio Fermin Mignone, dans son travail pionnière sur les relations entre l’Eglise catholique et le régime militaire argentin. Cfr. E. F. Mignone, Iglesia y dictadura, cit.

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