André ESCOFFIER (1886 - 1949), poète du Laos

July 25, 2017 | Autor: Strobino Jean-Michel | Categoría: Southeast Asian Studies, Laos (Lao PDR), Contemporary Poetry, Littérature Française, French Indochina
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Descripción

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POÉSIE ANDRÉ ESCOFFIER, UN AUTRE POÈTE (TROP PEU CONNU) DU LAOS par Jean-Michel STROBINO

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Photo : Henri Martinie

’ai fait récemment l’acquisition d’un bel exemplaire (dédicacé par sa fille) du célèbre recueil de poèmes d’André ESCOFFIER intitulé Dans le Laos au chant des khènes (Hanoi, Imprimerie d’Extrême-Orient, 1942). Ce fut pour moi un tel plaisir de relire ces petites merveilles d’une grande sensibilité poétique que j’ai souhaité en savoir plus sur leur auteur. En consultant les archives de PHILAO, je n’ai trouvé aucun article le concernant. Par contre j’ai constaté que notre revue avait déjà rendu hommage à plusieurs reprises à un autre grand écrivain du Laos, Jean AJALBERT, l’auteur de Sao Van Di et de Raffin Su-su, deux romans qui dépeignent avec beaucoup de talent et de justesse les mœurs et l’esprit laotiens (voir n° 75 et hors-série n°2 de 2009). Aussi j’ai pensé qu’il était juste qu’à son tour ce chantre du Laos et de sa douceur de vivre soit honoré dans PHILAO à travers cette notice biographique que je suis heureux de faire partager à nos lecteurs, même si elle demeure succincte faute de données disponibles. André ESCOFFIER est né le 20 mai 1886 à Vinsobres, une commune de la Drôme située à 15 km au nord de Vaison-la-Romaine. Il est issu d'une vieille famille locale et son père, ami de Frédéric Mistral, était déjà une personnalité politique et littéraire notablement reconnue dans la région. Elève du collège de Nyons puis du lycée d’Avignon, il part étudier le droit à Paris. Faisant preuve comme son père d’un goût prononcé pour les lettres, il anime durant ses études la revue littéraire La terre latine avec d’autres étudiants méridionaux. Après avoir obtenu son diplôme d’avocat, il s’inscrit au barreau de Paris. Tout en exerçant sa profession, il

ne se détourne pas de son penchant pour l’écriture et collabore au journal La renaissance contemporaine. En 1911 il publie un premier recueil de poèmes intitulé Au jardin du rêve et du souvenir (Paris, Bernard Grasset Editeur, 1911). Il effectue son service militaire à Lyon avant d’être mobilisé pour la guerre de 14-18 qu’il termine avec la Croix de Guerre (figure 1). De retour à la vie civile, il se présente aux élections générales législatives du 16 novembre 1919 où il figure en deuxième position sur la liste radicale constituée par le congrès républicain de Valence. Il est élu député de la Drôme et s’inscrit au groupe radical et radicalsocialiste. A l’Assemblée il se fait le défenseur des intérêts moraux et Fig. 1 matériels de ses camarades de combat, notamment pour réclamer l’octroi d’un statut aux mutilés de guerre. Il intervient aussi au sujet des indemnités versées à certains agents des P.T.T. ou des retraites du personnel de l’Imprimerie nationale. Ce mandat national ne l’éloigne pas de ses racines méridionales, ni de la politique locale. Il siège au Conseil général de la Drôme après avoir été élu conseiller général du canton de Saint-Paul-TroisChâteaux en 1920, à l’occasion d’une élection partielle, puis réélu en 1921 dans ce même canton. En 1924, il devient maire de Vinsobres, sa commune natale. En mai de la même année il est largement réélu député de la Drôme, sur la liste du bloc des gauches. Durant cette période, ses mandats électifs et ses nombreuses activités politiques l’emploient à temps 23

plein car il est aussi secrétaire puis vice-président du parti radical et membre des commissions des affaires étrangères et de l’enseignement à la Chambre. Toutes ces responsabilités n’entament pas sa passion pour l’écriture puisqu’il continue à collaborer activement à différents quotidiens dont L’ère nouvelle, Paris-Soir ainsi qu’à plusieurs journaux républicains du sud-est. En avril 1928, à la suite du rétablissement du scrutin d’arrondissement, il est de nouveau candidat aux élections législatives dans la circonscription de Montélimar-Nyons mais il ne sera pas réélu. Cet échec va le marquer à un tel point qu’il abandonne progressivement ses mandats municipaux et cantonaux, malgré sa réélection facile en tant que maire de Vinsobres en 1929.

Le khène (figure 2) Il a suffi, dans le Laos, d’un chant de khène Qui vint vers moi, plaintif et doux, Coupés dans la forêt prochaine Il a suffi de dix bambous, De dix doigts dansant sur dix trous Et d’une haleine, Pour que je sente, tout à coup, Mon cœur se fondre en la douceur laotienne, Et depuis ma joie et ma peine Tour à tour, je les rythme et berce au chant des khènes.

Dès lors il ne sollicitera plus les suffrages des électeurs et délaisse la carrière politique. Il reprend à Paris l’exercice de sa profession d’avocat, tout en continuant la production de poèmes et d’œuvres littéraires. En 1937, il est nommé trésorier-payeur du Laos, puis du Cambodge en 1942. Si l’on ne connait pas exactement ce qui a motivé ce changement de cap dans son parcours professionnel, il est évident que l’expérience indochinoise et plus particulièrement son séjour au Laos l’a profondément marqué. C’est en 1942 qu’il publie son second recueil de poèmes, Dans le Laos au chant des khènes, véritable déclaration d’amour pour le Laos, ses habitants et sa douceur de vivre. Les poèmes qui y figurent sont regroupés en cinq parties qui suivent à peu près le cheminement tant matériel que spirituel d’André ESCOFFIER tout au long de son séjour en Indochine : L’invitation au voyage, La belle aventure, A travers l’Indochine, Aux bruits du monde et Au chant des khènes. Cette dernière partie, de loin la plus conséquente puisqu’elle compte 41 poèmes sur les 57 que comporte l’ouvrage au total, est toute entière consacrée au Laos. Chaque poème est un petit bijou littéraire, véritable instantané décrivant avec minutie et justesse une scène de la vie quotidienne laotienne, si intemporelle, paisible et attachante.

 Pour le Laos (…) Je veux, pour le Laos faisant le même geste, Essayer de le mettre à l’honneur par mon chant, Et pour avoir subi les coups d’un sort funeste, Le rendre aux cœurs français plus cher et plus touchant. 24

Sérénité Apaisant et doux, le Laos immense De sérénité me comble et m’emplit, Je lui garde au cœur la reconnaissance De m’avoir donné le calme et l’oubli (…) Je préfère à tout une chanson douce Qu’on devine, au loin, plutôt qu’on n’entend,

Fig. 2

A l’Européenne au sein qui se tend, Minaude, sourit, s’enfle et se trémousse, La simple Phou-sao marchant sur la mousse Ses petits pieds nus sous le sin flottant ; Au bruit du jet d’eau, la paix de l’étang, A l’automobile, une course en pousse, (figure 3) Au plus rare fruit, l’humble pamplemousse, Et dans ce pays d’un ciel éclatant, Au soleil de feu dont l’or éclabousse, La sérénité, dans la forêt rousse, De son éternel et tiède printemps.

Un monde de nuance et de diversité, En qui tout l’arc-en-ciel fait chanter sa fanfare Et la nature entière éclater sa beauté.



Clair de lune Paix - Douceur - Délice ! L’eau n’a pas un pli, Sa surface est lisse, Son miroir poli. La lune qui luit Y fond son calice… La pirogue y glisse Sans heurt et sans bruit. Tout n’est que silence, Calme et nonchalance Sous les astres d’or ; Nul frisson de feuille… La terre s’endort, Le ciel se recueille.



Fig. 3

Le Mékong (figure 4) Le Mékong est le sang du Laos, c’est l’artère Qui draine vers le Sud où sont les Océans, Le bois de ses forêts, l’or de ses monts géants Et le limon orange et rouge de sa terre. (…) Car cet immense fleuve indomptable et sauvage, Né des torrents fougueux, grossi par l’ouragan Est un dieu généreux, qui s’en va prodiguant Les bienfaits de son onde aux maisons du rivage, Et tout être adorant ce fleuve sans pareil Qui fait l’orgueil d’un sol et le bonheur d’un monde, Sans jamais la tarir, boit la vie à cette onde Dont la fuite éternelle étincelle au soleil.



Sieste (…) A même le plancher ou sur la natte étroite L’on s’effondre, les bras et les jambes en croix, Le corps est lourd et chaud, la chair est lasse et moite Et l’on songe aux pays où les hommes ont froid. O retraite, oasis, entracte, ombre, mystère, Sieste, ivresse et fraîcheur des midis d’Orient, Quand le ventilateur, géant coléoptère, Vous couvre de son vol immobile et bruyant ! Peu à peu la pensée erre, vacille et tombe, Agonise et s’éteint derrière les yeux clos, Vers un sommeil semblable à celui de la tombe L’on glisse par les bras fluides du repos. Adieu tourment, remords, soucis, chagrin intime, Tout l’être anéanti roule insensiblement Au fond d’un gouffre noir, plus profond que l’abîme, Au creux d’un Nirvâna plus doux que le Néant.





Fig. 4

Les forêts (…) O Forêts du Laos, nobles et pittoresques, Qui donnez, pour l’orner et l’embellir encor, Au spectacle du jour le décor de vos fresques Que l’on dirait brossé sur l’azur et sur l’or, Vous êtes un ensemble harmonieux et rare,

La maison laotienne (figure 5) (…) Dans l’unique mais large salle, Une phou-sao qui me sourit, Moderne et modeste vestale, Entretient le feu sur la dalle Où fume son panier de riz. Une main sur le sol en planche Et ses deux pieds nus repliés, 25

Elle attise avec une branche Les cendres chaudes du foyer.

Longtemps je garderai de ce pays magique L’empreinte et le reflet, le visage et la voix, Et vision tenace, ardente et nostalgique, O filles du Laos, en quels lieux que je sois,

Penché sur son corps qui m’attire Et caressant ses bras nerveux, En laotien, je lui soupire Des mots d’amour dans les cheveux : « O phou-sao, viens que je t’embrasse, Mon âme vibre et mon sang bout, J’aime ta langueur et ta grâce Et la finesse de ta race Souple et svelte, comme un bambou ».

Comme aux arbres s’enroule et grimpe la liane, Comme au souffle des vents claquent les gonfanons, Au vent des souvenirs, Somsy, Khamla, Tiane, Je sentirai monter et sonner vos doux noms ; Et frémissant d’amour, de vertige et de fièvre, Alors, j’évoquerai vos groupes gracieux Dont les chants ont un goût de baiser sur les lèvres Et dont les gestes sont la musique des yeux.

Mais, avant que je ne m’installe, En arrière pointant le doigt, Elle me montre dans la salle Qu’elle n’est pas seule, en l’endroit.



Les filles de Luang-Prabang (…) Pour savoir séduire il n’en est pas, certes, En tout l’Orient qui soient plus expertes, Et pour allumer, dans le soir tombant, Les cœurs les plus froids à leurs yeux qui brillent, Il n’est que les filles De Luang-Prabang. (…)

Des corps sommeillent sur des nattes, Un bouddha trône dans un coin, Des vases emplis d’aromates Fleurent l’encens et le benjoin,



Chanson à boire (…) Le territoire Du bonheur et de la Gaîté, Boy, verse à boire, C’est le Laos, en vérité. Car la maison simple et rustique Abrite et rassemble à la fois Tout un petit clan dynastique, Qui n’a qu’un foyer et qu’un toit. La belle, de sa bouche, exquise, M’adresse un sourire confus Pour atténuer ma surprise Ou pour déguiser son refus, Et, levant les mains en excuse, Ouvrant les doigts en éventail, Elle dit un seul mot, dont use Si bien tout le Laos : « Bodaï ».



Aux jolies filles du Laos (…) L’Asie a confirmé cette règle éternelle, Plus que nulle autre part, le Laos, à son tour, M’a montré qu’il était, par son culte fidèle, Le temple de la Femme et l’autel de l’Amour. 26

Fig. 5

Boy, verse à boire, On dit que les peuples heureux N’ont pas d’histoire, Le Laos doit être l’un d’eux. Le Purgatoire, Ce sont tous les autres pays, Boy, verse à boire, Le Laos est le Paradis. Aussi verse, boy, verse à boire, Que je m’imbibe jusqu’à l’os, En levant mon verre à la gloire Des Laotiens et du Laos.



Ma récompense Ma récompense ! elle est d’avoir dans ce pays Senti battre, au rythme du mien, des cœurs amis, Elle est surtout d’avoir, et quelle récompense, Grandi dans le Laos le culte de la France, Pour ne m’être jamais lassé de proclamer Qu’un peuple se conquiert à force de l’aimer, (…)

Au plus beau des pays Ainsi, de mes frissons nouveaux, c’est Toi la cause, O Laos enchanteur qui sus me retenir, Toi qui m’es doux, plus que la plus douce des choses, Si bien que mon passé n’est plus qu’un souvenir ! J’ai quitté, sans savoir ton charme, mon village, Un beau pays, pourtant, au ciel splendide et pur, Je ne regrette rien de mon si long voyage Qui m’a conduit vers Toi, par des chemins d’azur. Car si j’étais, fidèle au sol de ma jeunesse, Resté sourd à l’appel des lointains horizons, Je n’aurais pas sur mon visage ta caresse, Je n’aurais pas mes yeux emplis de tes rayons. (…) Je n’aurais pas connu ton peuple pacifique, Ton peuple hospitalier, bienveillant et courtois, Toujours prêt à l’amour, aux jeux, à la musique, Toujours la fleur, le khène ou l’arbalète aux doigts, Ton peuple calme et bon, sans haine et sans défense, Dont l’âme se révèle à moi comme une sœur, Et pour qui, si souvent, la riposte à l’offense Est l’oubli, le pardon, le rire ou la douceur, (…)



Retour Lorsque je reviendrai dans mon petit village, Hélas ! J’y trouverai l’aigre bise qui mord, Plus que l’hiver du ciel le triste hiver de l’âge, Et l’appel plus précis et pressant de la Mort ;

Fig. 6,7 & 8

Mais je ne craindrai pas sa voix ni son visage, Je resterai sous sa menace, calme et fort, Et s’il me faut partir pour le sombre voyage J’irai, de la lumière en moi, comme un trésor. Car, riche de ma course errante et vagabonde A travers tes splendeurs, ô Laos merveilleux, J’aurai tant rapporté de l’autre bout du monde De chaleur de ton sol, de clarté de tes cieux, Tant reflété de flamme éclatante et profonde, Tant miré d’astres d’or dans mon cœur et mes yeux, Que mon cercueil fera comme une tache blonde Près des cercueils noircis où dorment mes aïeux.



L’édition originale est enrichie de 13 illustrations en noir et blanc du dessinateur laotien Thit-Phou représentant divers moments et lieux qui rythment la journée au Laos : le marché, la pagode, la rizière, les fêtes, la maison, le bain, le fleuve, la forêt,… (figures2 et 6 à 8) A la suite du coup de force nippon du 9 mars 1945 visant à libérer l’Indochine du joug français, André ESCOFFIER est interné par les Japonais et ne sera rapatrié qu’en août 1946. Il meurt à Paris le 20 novembre 1949, à l’âge de 63 ans.

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