(2008) FRUZETTI Lina et ÁKOS Östör, Pinturas cantadas, Lisboa, Museu Nacional de Etnologia, 109 p.

June 15, 2017 | Autor: Fabienne Wateau | Categoría: Anthropology, Sustainable Development, Women Artists, India
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Descripción

FRUZETTI Lina, ÖSTÖR Ákos, 2007, Pinturas Cantadas. Arte e performance das mulheres de Naya, Catalogue d’exposition, Lisboa, Museu Nacional de Etnologia, 109 p. Depuis que les femmes se sont mises à la peinture et se sont regroupées en association, The Naya Patua Mahila Unnayan Samiti (Association d’entraide pour les femmes Patua du village de Naya), les motifs des dessins comme les paroles des chansons sont éminemment plus politiques et orientées qu’autrefois. L’art de chanter des histoires peintes sur de grandes feuilles de papiers remonte en effet à des temps très anciens. Appelées pata en bengali, les peintures narratives ou « peintures chantées », réalisées jusqu’alors par les hommes, sont attestées dès le Ve siècle en Asie du Sud. Elles relataient essentiellement les épopées mythiques et les histoires sacrées intemporelles. Colportées de village en village, leurs artistes recevaient en échange de leur prestation artistique, du riz, des légumes ou quelques pièces de monnaie. « Les thèmes mythologiques continuent d’être chantés [...] mais nous les femmes, nous aimons bien les thèmes sociaux ». C’est ce qu’expliquent les femmes artistes du village de Naya, situé dans la région de Bengale en Inde, près de Calcutta, et aux œuvres regroupées dans ce nouveau catalogue d’exposition du musée national d’ethnologie de Lisbonne. Dans un contexte désormais ouvert à la radio et la télévision, bien des éléments de l’art traditionnel pata ont changé, comme les échelles de représentation, les thèmes peints et chantés, le mode de diffusion, et les artistes eux-mêmes. « Car on ne peut plus compter sur les hommes pour ramener de l’argent. Il nous faut aussi chanter et peindre ». Regroupées en association, organisant des réunions, les femmes ont aussi créé une coopérative qui les aide à chercher de nouveaux marchés et à vendre leurs travaux sur les foires d’artisanat ou auprès des familles des classes moyennes de Calcutta. De plus en plus, ces artistes sont aussi invitées par l’Etat pour accompagner les campagnes d’alphabétisation des adultes et pour jouer un rôle de sensibilisation décisif dans l’apprentissage de l’hygiène au cœur des villages. Elles vantent par leurs peintures les vertus d’une eau systématiquement bouillie et d’une maison bien lavée, mais elles se prononcent aussi et artistiquement sur le contrôle de la natalité, la victimisation des femmes, l’infanticide des filles, le devoir de les éduquer : « les femmes travaillent, font les travaux des champs, travaillent dans l’agriculture, à la cuisine, font les enfants... alors pourquoi sont-elles opprimées ? ». Elles sensibilisent aussi au risque du sida, expliquant sur leurs panneaux très colorés le port du préservatif, l’horreur de la maladie, le fléau de l’épidémie. On voit poindre avec la réappropriation par les femmes de cet art traditionnel une réorganisation possible des pouvoirs et des savoirs au sein de la société indienne. Les femmes en sont d’ailleurs conscientes : « les femmes qui n’avaient pas de voix active vont la gagner progressivement. Ça ne se fera pas d’un coup, mais ça viendra ». Pour autant, les hommes continuent aussi de peindre et de chanter, sans conflit de genre ou de société – pour l’instant, pour le moins. En consacrant son exposition et son catalogue aux peintures récentes de onze des seize femmes de l’association, le musée met directement en avant cet enjeu politique. La vente de peintures chantées, spécialement commandées aux femmes Naya pour le public portugais, contribue aussi à divulguer cet art et à aider les communautés villageoises. Dans le même temps, le musée met en scène des œuvres de grande qualité graphique et esthétique, aux couleurs chatoyantes et aux combinaisons artistiques de grande créativité. Les patas présentés s’élèvent au nombre de trente-huit. Ils sont composés de plusieurs feuilles de papiers assemblées bout à bout, qui forment de longues bandes colorées dont certaines d’entre elles atteignent presque quatre mètres de longueur. Ces papiers sont eux-mêmes collés sur des tissus, souvent d’anciens saris, pour leur donner une plus grande résistance au transport et à la manipulation. L’histoire est ainsi confectionnée. Puis, le tout est enroulé et déroulé

doucement au fil des strophes entonnées. L’histoire se raconte en chantant, l’artiste montrant du doigt le dessin qu’il a dessiné et qu’il commente désormais. Si par chance vous pouvez encore voir l’exposition à Lisbonne, ne ratez pas le film qui débute par le dessin d’un avion qui choque des tours. Là, c’est un homme qui nous conte sa peinture, les ambulances, les gens renversés. En chantant, déroulant le pata coloré, il raconte le drame du 11 septembre : « Ouçam, ó por favor, ouçam com atenção. A administração Bush apercebeu-se do que tinha acontecido. E soltou um gritou de batalha. Eles telefonaram ao Osama Bin Laden e avisamno. Mas Bin Laden estava preparado, e então a guerra começou. Abandonando o Afeganistão, Bin Laden fugiu para parte incerta... » Le drame du 11 septembre a fortement inspiré nos artistes. Dans le catalogue, pas moins de quatre peintres différentes ont représenté cet événement. De l’un de ces pata, le premier motif a été choisi pour devenir une des affiches de l’exposition ; il est aussi l’illustration choisie ici pour la couverture de ce volume de Lusotopie. Son auteure en est l’artiste peintre et chanteuse Mayna Chitrakar, originaire du village de Naya et membre de l’association. On ne peut manquer de souligner l’intérêt et la richesse de la recherche de fond menée auprès de ces artistes indiennes, réalisée par les anthropologues Lina FRUZETTI et Ákos ÖSTÖR, et dont le film projeté dans la salle d’exposition, notamment, est d’un apport à la fois scientifique et sensible d’une rare qualité1. Le catalogue compile les histoires de vie de quinze de ces femmes peintres rencontrées sur le terrain, entendues dans leur langue, le bengali, et comprises dans la finesse et la subtilité d’une relation étroite établie au fil de longues années d’investigation. C’est la première fois que la parole est ainsi donnée à ces femmes. Une autre particularité de ce catalogue et de cette recherche est la retranscription, aux côtés des patas colorés auxquels ils se réfèrent, des textes des chansons qui immanquablement accompagnent les images. Le catalogue fort en couleur a été édité en portugais et en anglais. Fabienne Wateau

1

Intitulé Singing Pictures. The Women Painters of Naya, le film – dont les citations ci-dessus sont extraites - a pleinement fait partie de l’architecture de l’exposition. Le film est aussi disponible sur internet à l’adresse suivante http ://learningobjects.wesleyan.edu/naya/.

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