« César Hespel de Guermanez (1726-1805), le « premier bienfaiteur » de Jean-Baptiste Wicar », Maria-Teresa Caracciolo, Gennaro Toscano (dir.), Jean-Baptiste Wicar et son temps 1762-1834, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2007, p. 157-181

September 24, 2017 | Autor: Célia Fleury | Categoría: French Revolution, XVIII century, Neoclassicism, Ville De Lille
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Descripción

César Hespel de Guermanez (1726-1805), le « premier bienfaiteur» de Jean-Baptiste Wicar Célia

FLEURY

Dans sa biographie du peintre, publiée en 1895 l, l 'historien Louis Quarré-Reybourbon décrit le contexte de la rencontre l:aristocrate lillois César Hespel de Guermanez et le jeune Baptiste Wicar en élaborant un parallèle avec la jeunesse d'un peintre italien de la Renaissance:

lillois entre Jeangrand

« (. ..) [Wicar] contempla les peintures avec une admiration qui captiva tout son être. Entraîné par le sentiment qui avait fait dire au Corrège, encore jeune pâtre: "Anch' io sono pittore, et moi aussi je suis peintre", il saisit la craie et trace sur le parquet les lignes principales de J'un des tableaux. (... ) Le menuisier [Wicar père] s'apprêtait, dit-on, à donner à son fils une sévère correction. Mais M. Hespel étonné des dispositions naturelles pour le dessin que révélait l'esquisse tracée par l'enfant, (... ), déclara qu'il fallait développer les heureuses qualités dont le jeune Jean-Baptiste était doué (... ). » L'histoire du jeune fils d'un modeste ébéniste découvert par son futur bienfaiteur évoque le 'topos du «petit berger-enfant prodige» relaté par Giorgio Vasari dans ses Vite, pour illustrer la découverte du génie 2. Si Giotto commence sa carrière grâce à sa rencontre fortuite avec Cimabue, Domenico Beccafumi prend le patronyme de son mécène, Lorenzo Beccafumi, qui l'aurait encouragé à ses débuts: «Un jour, Lorenzo... vit tracer [Domenico], à l'aide d'un bâton appointé, des dessins sur le sable au bord d'une petite rivière, à l'endroit où il gardait ses bêtes. 11 demanda le garçonnet à son père dans l'intention de le prendre comme domestique et, en même temps, de le faire instruire. » Dans un récit de ce type, plusieurs notions esthétiques classiques sont évoquées: la découverte du génie - don de la Nature - grâce à l'imitation (mimèsis), le rôle du bienfaiteur ou du futur mécène dans l'aide à la création, la qualité de l'esprit de l'enfant, l'innocence de son geste, le passage de l'enfance à l'âge adulte, l'ascension sociale fulgurante d'un adolescent issu d'un milieu modeste, l'autorité du père naturel et du ère symbolique ... Ce topos a probablement été réactualisé par les bio,Taphesde Wicar dans un contexte littéraire où une nouvelle perception

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(1726-1805)

pères (naturel et symbolique) tout en utilisant un vocabulaire de même nature. Pierre Legrand, en 1843, est le premier à faire allusion à une inspiration quasi divine reprise plus tard par Louis QuarréReybourbon, «Lui aussi il était peintre! » et parle des « dispositions de l'enfant» ainsi que de la «protection éclairée des magistrats de la cité» Il. La même année, J .-c. Dufay écrit que « ]' esquisse imparfaite, mais hardie, échappée de la main du jeune Wicar» était «l'indice d'une rare aptitude pour le dessin» ; il précise: « Charmé, [Hespel] s'approcha de l'enfant, le questionna avec bonté sur ses goûts, ses habitudes et ses espérances; il demeura frappé de la netteté de ses réponses, aussi bien que de sa physionomie intéressante» 12.

En 1869, Hippolyte

Verly, n'hésite

pas à dramatiser

la scène:

«À cette vue, le père grommela un juron (... ), lorsque M. d'Hespel, frappé de la hardiesse et de la ressemblance de l'esquisse échappée à cette main inculte, intéressé par la physionomie intelligente de l'enfant et aussi par la finesse de ses réponses, s'interposa en offrant au père de faire admettre le jeune homme aux Écoles de dessin de la ville de Lille» 13.

Ce que « racontent» les biographies imprimées de Jean-Baptiste Wicar sur ses relations avec la famille d'Hespel Les biographes de Wicar semblent décrire une relation assez suivie entre l'artiste et des membres de la famille d'Hespel à partir d'un petit nombre de faits: au cours de l'été 1772, César Hespel de Guem1anez « découvre» Wicar, correspond avec lui en 1781 et en 1786, tandis que quarante-huit ans plus tard, en 1820, les « Hespel d 'Hocron » lui rendent visite à Rome. Leur grand-père, Clément-Séraphin (1716-1784 ou 1788) était le cousin germain de César (annexe 1)7. Quels types de relations ont-ils pu entretenir avec l'artiste? À propos d'une lettre de Wicar à César Hespel datée du 3 octobre 17868, J.-c. Dufay glorifie le rôle qu'a pu jouer l'aristocrate lillois:

Pourtant, dès 1939, F. Beaucamp doute de la valeur historique de l'anecdote racontée par tous ses prédécesseurs en la qualifiant de« tradition assez suspecte» et d'histoire « un peu trop romancée» ; il précise d'ailleurs que« Betti 9 reste muet sur les faits qui se seraient passés au château d'Haubourdin» et en déduit que « son ami Wicar ne les lui ajamais rapportés» 10. Il semblerait qu'à l'occasion de la réparation du parquet du salon du château d'Haubourdin durant l'été 1772, JeanBaptiste Wicar qui, âgé de 10 ans, accompagnait son père ébéniste, ait été encouragé par César Hespel de Guennanez qui l'a fait ens.uite entrer

DE GUERMANEZ

à l'école de dessin de Lille. Les biographes insistent chacun à leur manière sur cette « découverte du génie» et la confrontation des deux

de l'enfance et de l'éducation émergeait sous l'influence des ouvrages de Jean-Jacques Rousseau et des romans initiatiques du XIXe siècle. Après avoir étudié le parcours de plusieurs membres de familles nobles lilloises du XVIIIe siècle et leur rapport à J'art 3, il me semblait significatif de replacer cette anecdote dans un contexte historique précis. Grâce aux sources d'archives accessibles aujourd'hui, l'étude des liens entre Jean-Baptiste Wicar et plusieurs membres de la famille à la biographie écrite d'Hespel, apporte des éléments complémentaires par Fernand Beaucamp 4. De plus, à la lumière de travaux récents sur le collectionnisme et les arts à Lille à la fin de l'Ancien Régime 5, il devenait possible de resituer César Hespel de Guermanez dans un contexte artistique mieux défini et d'essayer de comprendre quel type de rapport il entretenait avec l'art et les artistes. Si un aristocrate aide un jeune artiste, est-il nécessairement son mécène? Ce noble lillois n'est-il pas plutôt, comme le qualifie Louis Quarré-Reybourbon, le « premier bienfaiteur de Wicar », avec toute la connotation charitable que l'utilisation de ce qualificatif sous-entend 6 ?

« Ce document prouve aussi qu'à nulle autre personne qu'à M. le comte d'Hespel de Guennanez n'est dû l'honneur d'avoir deviné un si beau talent ».

HESPEL

J.-c. Dufay est le seul qui insiste sur la confrontation entre le père naturel qui souhaite conserver son fils comme aide apprenti, précieux pour son atelier, et le père symbolique qui lui démontre les avantages d'une carrière artistique: « Le père objecta que son fils ( ... ), lui était déjà de quelque utilité. Le

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seigneur lui fit comprendre que le dessin linéaire était une nécessité absolue pour devenir maître habile dans sa profession. ( ... ) Et comme le père de Wicar ( ... ), n'arguait plus que de sa triste position qui l'empêchait, disait-il, de faire les premiers frais pour envoyer son fils à l'école de dessin, le seigneur lui remit à l'instant quelques patars pour faire face à l'achat des crayons et du papier (... ) ». Les biographes décrivent la réaction de Wicar devant les œuvres exposées dans le salon du château de César Hespel à Haubourdin. à la vue des tableaux qui Selon Pierre Legrand, « Frappé d'admiration ornaient le riche salon du propriétaire, Wicar ( ... ) se mit à copier les personnages

qui animaient

les tableaux ... » ; J.-c. Dufay écrit

« en entrant dans cette opulente maison, le jeune apprenti avait été ébloui de son luxe, les tableaux du salon avaient surtout attiré son attention particulière ; au lieu d'aider son père, il se mit à crayonner sur le parquet même quelques figures qui n'étaient pas dépourvues

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FLEURY CÉSAR

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d'une certaine ressemblance avec les traits et la pose des personnages appendus aux murs» ; et enfin, Hippolyte

Verly apporte

d'autres

détails:

« [Wicar] s'était avancé à travers les salons, attiré par une magnificence qu'il n'avait jamais entrevue ( ... ). Les tableaux appendus aux panneaux frappèrent SUliout son attention ( ... ) comme M. d'Hespel traversait sa galerie en compagnie de l'artisan, il trouva le jeune JeanBaptiste profondément occupé à reproduire (... ) le dessin d'une grande toile qui l'avait particulièrement charmé ». Quelles œuvres ont-elles pu inspirer Wicar ? Si Nicole Rogier qualifie tous les commissaires aux mis d'« amateurs» ou de «collectionneurs », en généralisant ainsi ces qualificatifs à César 14, aucun inventaire ne permet d'en avoir une idée précise: le château d'Haubourdin n'est pas saisi comme bien national durant la Révolution 15 et le partage après décès de César Hespel en 1806 n'apporte aucun éclaircissement sur sa sensibilité artistique 16. Si ses comptes personnels conservés de 1783 à 1790 montrent qu'il n'a rien dépensé pour l'achat d'objets d'art, ils attestent toutefois du paiement d'un salaire à Wicar père pour coller le papier [peint] du vestibule au château d'Haubourdin en juin 1783, soit plus de 10 ans après la rencontre 17 : l'atelier de l'ébéniste est en effet situé à proximité de l'hôtel particulier d'Hespel18 et d'autres résidences aristocratiques, dans un quartier très à la mode dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, qualifié parfois de « Saint-Germain» lillois 19. De fait, il est fort probable que Wicar n'ait vu dans le salon du château qu'une galerie de pOliraits de famille: en particulier, peut-être celui du grand-père de César, Pierre-Clément (1660-1743), attribué à Largillierre, ou plus vraisemblablement celui de l'épouse de César, Marie-Charlotte Fmict (fig. 1) et d'autres,
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