PRESSE ET LOCOMOTIVE. AUGUSTO CASTRUCCI FONDATEUR D’ “IN MARCIA!” (1908-1926)

June 20, 2017 | Autor: Giorgio Sacchetti | Categoría: Labour history, Anarchist Studies, Railway and Transportation History, Newspapers
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Descripción

1 Première conférence de l’ELNH, Turin, 14-16 décembre 2015. Atelier : Les écritures ouvrières en Europe (XIX-XXe siècle) Une contribution à l’histoire culturelle des mondes du travail

PRESSE ET LOCOMOTIVE AUGUSTO CASTRUCCI FONDATEUR D’ “IN MARCIA!” (1908-1926) par Giorgio Sacchetti

La presse syndicale du XXe siècle se caractérise en comparaison du passé par un nouveau type de leadership dans la gestion éditoriale. Les intellectuels cèdent la place aux avant-gardes autodidactes des associations professionnelles. C’est la naissance, en Europe, d’une sorte de journalisme totalement méconnu : destiné non seulement aux travailleurs et visant à leur libération social et économique, mais « fait » et élaboré par eux-mêmes ou, du moins, par leur élite consciente et préparée. Ce sont les sources de la nouvelle subjectivité des travailleurs. C’est le cas d’« In Marcia ! », organe de presse des machinistes et des chauffeurs italiens, imprimé à Pise de 1908 à 1926. Le périodique (mensuel) se singularise comme le porte-parole d’une catégorie de pionniers, se distinguant par une culture professionnelle originale et une fierté d’appartenance très prononcée. Mais il s’identifie aussi avec son fondateur et principal rédacteur : le conducteur anarchiste Augusto Castrucci (1872-1952). 

Révision du texte français par Didier Roy.

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L’examen attentif des articles qu’il a écrits, mais aussi de ceux qu'il a choisi pour la publication (et donc écrit par d’autres), qu’ils soient de contenu technique, syndical ou social et politique (politico-social), même ceux de la section secondaire du journal, met en lumière ses horizons mentaux et son profil anthropologique culturel. Durant la longue période qui inclut la Première Guerre mondiale et la montée du fascisme, les deux grandes directives dans lesquelles les écrits insistent le plus sont, d’une part, la prise de conscience qu’est l’exercice d’une profession hautement professionnalisée et, d’autre part, les revendications catégorielles (la sécurité principalement), et la dénonciation courageuse de conditions de travail difficiles. Cette fierté, basée sur les conceptions de solidarité de classe, devient la perception collective d’une mission, et rappelle les liens anciens avec la culture artisanale. Cette identité, catalyseur et facteur d’unification, correspond à des rôles précis à jouer : aristocratie ouvrière, « maîtres du monstre d’acier », voyageurs agit-prop du socialisme, instrument du processus – en cours – de « nationalisation des masses », mais aussi témoins d’un progrès vu chez les possédants, progrès toujours impitoyable envers les classes inférieures. La bataille pour la dignité professionnelle est exprimée également avec la revendication de la présence d’un représentant du personnel, nommé par le Syndicat, dans les commissions d’examen pour le passage de chauffeur à conducteur : contre les promotions des « jaunes » qui créent des situations de danger grave pour la sécurité.

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Il y a dix lois éthiques que les conducteurs doivent respecter : soutenir la revue « In Marcia ! » et s’organiser au sein du SFI (Sindacato Ferrovieri Italiani) ; lire l’« Avanti ! », « Guerra di Classe » et rejoindre l’USI (Unione Sindacale Italiana) ; adhérer à l’Association d’entraide

des

conducteurs

de

locomotives ;

participer

aux

manifestations de solidarité avec la classe ouvrière ; isoler les briseurs de grève qui ont renoncé à la dignité et à l’honneur ; fraterniser avec les travailleurs les plus humbles ; revendiquer ses droits et continuer à faire son devoir ; rester sobre et faire un usage modéré de l’alcool ; garder la foi dans le principe que l’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ; célébrer la journée du Premier Mai et commémorer la conquête des huit heures de travail. Il est également intéressant de souligner le débat qu’aborde le journal des machinistes : vous pouvez accepter, ou non, l’attribution individuelle de la locomotive aux « meilleurs » ? Cette mesure simple avait été adoptée, comme dans les chemins de fer britanniques, car elle affaiblissait la résistance sociale et la cohésion des catégories. Elle intensifiait, plutôt, les orientations élitistes et corporatistes, mais pardessus tout, elle aliénait inextricablement les conducteurs à « leurs » machines, dont ils devaient prendre soin. L’opinion dominante, cependant, est de refuser, tout-court, ce type d’innovations. Dans le journal il y a de dures attaques et une mise au pilori des briseurs de grève « conducteurs improvisées » comme de soi-disant « hercules du travail ».

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Solidarité contre égoïsme, fierté professionnelle contre esprit grégaire. Les machinistes, sur la base de ces principes, vont essayer de contrer les mesures incitatives fixés par la direction dans le but de créer des divisions. Il arrive dans les dépôts, que pour s’opposer au palmarès individuel (sur la graisse économisée et la récupération de minutes), on pratique un choix alternatif, autogérée et solidaire : un « compte collectif » qui implique la participation à un fonds commun. Donc, pas de compétition égoïste mais on décide plutôt d’aider ceux qui sont laissés derrière : une tâche vraiment ardue, puisque les incitations et les avantages individuels représentent généralement des salaires plus attractifs et importants. Ces mécanismes de récompenses individuelles semblent conçues dans le but d’encourager des comportements malhonnêtes. « …Le prix en raison de minutes récupérés est une forme abjecte d’exploitation ; c’est la course à la mort… ». Nous devons prendre en considération que le travail du machiniste a lieu debout, dans un cockpit à moitié ouvert, avec souvent des vêtements inadéquats et exposés aux intempéries, à la poussière de charbon et à la fumée ainsi qu’aux risques d’asphyxie dans les tunnels. Pendant les longs trajets, les besoins corporels sont faits à l’extérieur de la locomotive à l’occasion des petits arrêts.

Sur le plan technique on dénonce l’inefficacité des grands dépôts pour le travail quotidien de réparation et de maintenance. Les magasins de fourniture sont perpétuellement en manque du

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nécessaire. La réparation de frein, en raison de la surcharge de travail pour les ouvriers et de l’incompétence de certain cheftechnicien, reste un événement très incertain. Donc, personne ne contrôle plus les pistons, les soupapes de commande et les valves triples. En outre, des effectifs ont été supprimés, avec l’intention de faire effectuer le travail de nettoyage et d’entretien par les conducteurs. Lesquels, naturellement, ne sont pas d’accord. Il arrive qu’on donne l’ordre au personnel de partir avec la locomotive en désordre, provoquant la perte de la plaque tubulaire, la combustion des tiges de piston, etc. Cela provoque des arrêts forcés en pleine ligne, après la percée du cylindre. D’autres dommages sont également causés par le retard ou l’absence de lavage qui provoque l’ébullition de la chaudière avec des conséquences négatives. Le remède serait d’augmenter la main-d’œuvre et de faire des journées moins épuisantes. Les machinistes demandent, en vain, l’attribution de deux paires d’agents pour chaque locomotive. Pour eux, les lieux de socialisation sont les gares, les dépôts et les dortoirs ; ces derniers sont sales et impressionnants ce qui fait écrire à Castrucci : « ...Nous avons hérité l’opprobre et la honte des dortoirs... tanières malodorantes néfastes pour se reposer après une épuisante 

Ils manquent de clavettes, d’écrous, de boulons, de tubes pour l’éclairage, de plaques de verre pour la signalisation. Il manque souvent de corde d’amiante, forçant ainsi les travailleurs à utiliser comme garnitures des détritus, composée de résidus de cuivre, de fer et d’immondices.

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journée de travail, journée qui dure parfois quatorze à quinze heures... ». « Les chevaux sont mieux gardé dans les écuries royales que les travailleurs des chemins de fer dans leurs dortoirs »

Sources et bibliographie       

«In Marcia!», Pisa, 1908-1926; Castrucci, Battaglie e vittorie dei Ferrovieri Italiani (cenni storici dal 1877 al 1944), Milano, La Prora, 1945; E. Ordigoni (a cura di), Pisa 1908-Firenze 1988. 80 anni di storia dei macchinisti attraverso la rivista In marcia, Firenze, Edizioni Ancora In marcia, 1988; R. Bernardi, F. Damiani, G. Dinucci, A. Giuntini, G. Sacchetti, Il sindacato ferrovieri italiani dalle origini al fascismo (1907-1925), a cura di M. Antonioli e G. Checcozzo, Milano, Unicopli, 1994; G. Sacchetti, C. Ferrari, M.C. Cabassi, Ricordo di uomini e lotte del 900, Firenze, Edizioni Ancora in Marcia, 2000; M. Antonioli, Castrucci Augusto, in Dizionario Biografico degli Anarchici Italiani, diretto da M. Antonioli, G. Berti, S. Fedele, P. Iuso, BFS, Pisa, 2003, vol. 1, pp. 346-349; G. Sacchetti, Macchinista ferroviere. Il giornalismo sindacale di categoria in Italia durante la guerra europea (1914-1918), «Quaderni della Fondazione Luigi Salvatorelli» 8, Roma, ARACNE, 2008.

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