Annales de chirurgie 129 (2004) 100–102 www.elsevier.com/locate/annchi
Fait clinique
Métastase pelvienne intramusculaire d’un carcinome différencié de la thyroïde Pelvic muscular metastasis of well differentiated thyroid carcinoma P.C.J. Chaffanjon a,*, N. Sturm b, J.-P. Caravel c, O. Chabre d, P.-Y. Brichon a a
Service de chirurgie générale, endocrinienne et thoracique, centre hospitalier universitaire de Grenoble, BP 217, 38043 Grenoble cedex 9, France b Laboratoire de pathologie cellulaire, centre hospitalier et universitaire de Grenoble, BP 217, 38043 Grenoble cedex 9, France c Service de médecine nucléaire, centre hospitalier et universitaire de Grenoble, BP 217, 38043 Grenoble cedex 9, France d Département d’endocrinologie et nutrition, centre hospitalier et universitaire de Grenoble, BP 217, 38043 Grenoble cedex 9, France Reçu le 10 septembre 2003 ; accepté le 19 novembre 2003
Résumé Les auteurs rapportent un cas de métastase intramusculaire pelvienne d’un carcinome thyroïdien bien différencié, non médullaire. Les métastases musculaires sont rares dans ce contexte. De plus, le siège pelvien de la lésion rend les images scintigraphiques difficiles à interpréter. Les faux-positifs sont nombreux et le diagnostic topographique doit être suffisamment précis pour envisager un traitement chirurgical et choisir sa voie d’abord. Les auteurs proposent donc une stratégie diagnostique adaptée à ce site avec l’utilisation d’une tomodensitométrie et d’une scintigraphie couplée iode et technétium en incidences multiples. © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Authors report on a case of one intramuscular metastasis from a non-medullary differentiated thyroid carcinoma. Muscular metastasis are rare in this pathology. Moreover, body-scanning scintigraphic interpretation is difficult for the pelvic area. False-positive are numerous and a very precise topographical diagnosis is required to choose the best surgical approach. Authors propose a specific management of different imaging methods for such a metastatic site. They associate a CT scan and a multiplanar iodine and technetium scintigraphy. © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Carcinome thyroïdien ; Métastase musculaire ; Scintigraphie à l’iode marque ; Kyste ovarien Keywords: Thyroid carcinoma; Muscular metastasis; Iodine scan; Ovarian cyst
1. Introduction Nous rapportons un cas de métastase intramusculaire pelvienne d’un carcinome bien différencié de la thyroïde car les métastases musculaires extracervicales sont exceptionnelles dans l’évolution d’un carcinome thyroïdien différencié. De plus, notre observation démontre que les métastases pelviennes de carcinome thyroïdien différencié posent de réelles difficultés diagnostiques en raison des faux-positifs scinti* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (P.C.J. Chaffanjon). © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.anchir.2003.12.005
graphiques de certaines tumeurs ovariennes. Forts de cette expérience et dans ces cas cliniques particuliers, nous proposons une tomodensitométrie pelvienne et une scintigraphie couplée iode/technétium en incidences multiples.
2. Cas clinique Une femme de 42 ans a subi une lobectomie thyroïdienne droite pour un nodule isolé en 1983. L’examen pathologique définitif concluait à un carcinome folliculaire de 3 cm de diamètre ce qui a conduit alors à un traitement thyroxinique
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freinateur sans totalisation chirurgicale. Le taux de thyréostimuline (TSH) a été régulièrement surveillé et est resté indosable pendant les huit premières années. Dans le même temps, le taux de thyroglobuline (Tg) sous freination est resté inférieur à 5 µg/L (normales 2–70). En 1991, le taux de Tg atteignit 75 µg/L avec un taux de (TSH) à 0,09 mU/L (normales 0,2–5). La patiente reçut une dose d’iode 131 (100 mCi) en mars 1991, une seconde en octobre 1991 (120 mCi) et une troisième en novembre 1995 (60 mCi). Lors de ces traitements, les body-scannings ne montraient que des fixations cervicales probablement thyroïdiennes gauches. En 1998, le taux de Tg atteignit 9538 µg/L avec un taux de TSH à 39 mU/L alors que la patiente était asymptomatique. Le body-scanning à l’iode 123 ne montrait plus de fixation cervicale mais une intense fixation médiastinale antérosupérieure gauche. La patiente subit alors un curage médiastinal par sternotomie sans qu’il soit possible de réintervenir sur la région cervicale trop fibrosée. L’examen pathologique retrouvait 25 ganglions lymphatiques non métastatiques et une métastase de 20 mm de diamètre dépendant du muscle sternothyroïdien gauche et du thymus. Il fut impossible de définir s’il s’agissait d’une métastase thymique envahissant le muscle ou l’inverse. Une scintigraphie postopératoire montrait une fixation résiduelle sur le site opératoire et une nouvelle dose de 60 mCi fut administrée. En septembre 2000, le taux de Tg était à 9877 µg/L pour un taux de TSH à 68 mU/L. Le body-scanning montrait deux foyers de fixation : un foyer médiastinal supéro-antérieur gauche moins intense que lors du précédent examen et un nouveau foyer, pelvien gauche, plus intense. La tomodensitométrie (TDM) cervicomédiastinale montrait une discrète infiltration rétromanubriale sur le site opératoire précédent avec en regard une lyse osseuse. La TDM pelvienne montrait une tumeur solide et vasculaire latéro-utérine gauche de 25 × 30 × 40 mm qui évoquait une tumeur ovarienne. Une mini-laparotomie sus-pubienne fut réalisée et a effectivement montré une tumeur ovarienne gauche traitée par ovariectomie (octobre 2000). L’examen pathologique conclut à un fibrothécome bénin de 30 mm de diamètre sans présence de tissu thyroïdien. Six mois plus tard, un nouveau body-scanning retrouvait les fixations médiastinale et pelvienne inchangées ! La patiente nous a alors été confiée pour un nouveau bilan. Une TDM hélicoïdale pelvienne montrait une image dense et bien limitée, comparable à celle du précédent examen, sur le bord gauche du col utérin. Des reconstructions frontales permettaient de placer cette masse dans l’épaisseur du plancher pelvien donc plus caudalement que la zone « ovarienne » précédemment opérée (Fig. 1). Une nouvelle scintigraphie à l’iode 123 a été réalisée, couplée à une scintigraphie osseuse au technétium 99 m. Des incidences latérales complétaient les classiques incidences antérieure et postérieure (Fig. 2). Ce bilan caractérisait donc la masse fixante comme une tumeur incluse dans le muscle releveur de l’anus gauche. La patiente a subi une laparotomie sus-pubienne itérative qui a permis de réséquer en bloc cette tumeur très vasculaire en emportant un peu de tissu musculaire environnant (juin
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Fig. 1. TDM pelvienne post-opératoire après ovariectomie gauche : persistance d’une tumeur latéro-utérine (flêche blanche).
Fig. 2. Fixation pelvienne (flèche noire) en scintigraphie couplée iode– technétium avec incidences postérieure en position debout et latérale gauche en position assise.
2001). L’examen pathologique a confirmé qu’il s’agissait d’une métastase musculaire d’un carcinome folliculaire thyroïdien. La résection était complète. Un an plus tard, le taux de Tg était à 35,5 µg/L avec un taux de TSH à 0,022 mU/L. Le body-scanning à l’iode 123 montrait une unique fixation médiastinale supérieure gauche peu intense. La patiente était asymptomatique.
3. Discussion Cette tumeur thyroïdienne originale est caractérisée par un tropisme musculaire, évident sur la lésion pelvienne, plus discutable sur la lésion médiastinale qui peut être considérée comme une métastase thymique ou musculaire. Un tel tropisme est exceptionnel puisqu’il n’est rapporté que dans trois observations de la littérature [1–3]. Les métastases à distance des carcinomes thyroïdiens différenciés non médullaires sont présentes chez 10 à 15 % des patients : 7 % en cas de carcinome papillaire, 19 % en cas de carcinome folliculaire et 34 % en cas de carcinome à cellules de Hürthle [4]. Les sites les plus fréquents sont le parenchyme pulmonaire et le tissu osseux. D’autres sites (encéphale, foie, péritoine, myocarde, péricarde, plèvres, surrénales, peau, reins, hypophyse et iris) sont rapportés, survenant dans 10 % des cas et généralement en association avec des métastases osseuses ou pulmonaires. Dans le cas rapporté ici, les deux métastases étaient bien différenciées, iodofixantes et sécrétantes. Dans le suivi actuel de la patiente, elles semblent avoir être isolées. L’emplacement pelvien de la seconde métastase pose le problème de l’interprétation de la scintigraphie à l’iode. Des
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faux-positifs sont rapportés en cas de kyste dermoïde ovarien [5]. Les foyers de fixation pelviens nécessitent une imagerie spécifique avant toute décision thérapeutique. Nous proposons donc d’ajouter aux incidences frontale et dorsale, des incidences latérales et éventuellement de coupler cette scintigraphie à une scintigraphie osseuse au technétium. Cette dernière précise la position du foyer fixant par rapport aux os du bassin. Il faut compléter cet examen par une TDM avec reconstruction multiplanaire pour préciser la position de la fixation, ses rapports, les diagnostics différentiels et éventuellement la voie d’abord chirurgicale. En accord avec la littérature, un traitement chirurgical semble préférable dans un cas comme celui-ci, compte tenu de la taille de la tumeur afin d’éviter le recours à de fortes doses d’iode 131 [4].
Références [1]
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