Historien à temps partiel

September 12, 2017 | Autor: Jean-clément Martin | Categoría: History, French History, Social Research Methods and Methodology
Share Embed


Descripción

Jean-Clément Martin

Historien à temps partiel In: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°15, juillet-septembre 1987. pp. 95-101.

Abstract The future of history. The article provides an extensive selection of reactions to Daniel Roche's article, « Today's historians. Comments for a debate », published in issue No. 12 (Octo-ber-December 1986) : university and high school researchers' and teachers' experiences, discussions about archives and the work of historians and suggestions for the future are gathered here. Among the contributors : F. Bédarida, R. Rémond and J. Le Goff. The comments suggest that the future of history in France, while not gloomy deserves serious discussion.

Citer ce document / Cite this document : Martin Jean-Clément. Historien à temps partiel. In: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°15, juillet-septembre 1987. pp. 95-101. doi : 10.3406/xxs.1987.1888 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/xxs_0294-1759_1987_num_15_1_1888

ENJEUX HISTORIEN A TEMPS PARTIEL

loirs, question au Parlement, audition par la commission Carraz, participations aux colloques sur la Recherche, propositions Serpent de mer qui apparaît dans les simples - tellement raisonnables ! - d'amé périodes d'inquiétude, ou structure anthro nagement de carrière, je fus impliqué dans pologique de l'imaginaire de la communauté un processus bien connu de tous ceux qui scientifique ? Le mystère reste entier. Touj viennent défendre des groupes minoritaires ours est-il que « l'historien solitaire loin et minorés2. Le résultat fut mince : un de ses centres de recherches » erre à nouveau décret permettant aux chefs d'établissement dans les plaines historiques. Reconnaissons de ne pas imposer deux heures supplé tout de suite les mérites de l'article docu mentaires aux professeurs de lycée et de menté et mesuré de Daniel Roche. Celuicollège qui préparent une thèse et autorisant ci pose la totalité du problème, n'oublie des assouplissements d'emploi du temps. aucune dimension, humaine, institution Mais dans le même temps l'étiquette d'« en nelle, scientifique de la question, ne se seignant-chercheur » (à laquelle nous vou lance dans aucune prédiction et ne formule lions prétendre) a été attribuée pas le moindre souhait, ni le moindre exclusivement aux enseignants en place dans reproche. L'analyse est exacte, claire, his les universités ! En outre, des concours de torienne. Tout compte fait, il pourrait recrutement furent ouverts pour les ensei servir de base à un exercice nouveau dans gnants du supérieur non titulaires, éliminant les concours de recrutement, les candidats d'emblée ceux qui, par nécessité d'assurer ayant à en faire un résumé puis à répondre les lendemains, par manque de relations, à la question : « Quelle impression ressen par volonté de mener un travail de recherche tez-vous en appartenant à la génération préliminaire, avaient passé les concours sacrifiée ? ». d'enseignement et n'avaient pas accepté la C'est un peu à cet exercice que je précarité d'emplois mal définis. Double voudrais me livrer. Sans hargne particulière ; injustice dont les effets pervers ne seront après tout je ne suis pas parmi ceux qui jamais assez dénoncés. Merci donc à Daniel sont le plus à plaindre. Sans vouloir régler Roche de réouvrir ce débat. des comptes non plus ; j'ai, depuis plusieurs années déjà, évalué ma position dans la To be or not to be communauté historienne et j'ai accepté d'en En bonne logique, il convient de définir faire partie. Je voudrais seulement passer le sujet. Qu'est-ce qu'un historien et surtout de l'autre côté du miroir pour décrire ce lorsqu'il est à temps partiel ? Daniel Roche que veut dire cette situation pour des historiens de mon acabit, ces « historiens adopte à ce sujet une attitude qui pour être généreuse me paraît cependant utoà temps partiel », que je connais pour en faire partie, pour avoir été aussi de ceux pique, voire dangereuse. Est-on historien lorsqu'on enseigne l'histoire dans les col qui, il y a six ans maintenant après un et les lycées ? Il faut rappeler que article de François Lebrun, s'étaient pré lèges occupés de notre sort et avaient tenté tout professeur d'histoire du secondaire est d'attirer l'attention des pouvoirs politiques aussi un professeur de géographie. Je ne conçois guère que chacun d'entre nous et scientifiques i . puisse se dire à la fois « historien » et Publications d'articles, d'un livre blanc, rendez-vous officiels et rencontres de 2. Jean-Clément Martin, « Enseignants-chercheurs, résul tats d'une enquête, projet soumis à discussion », Historiens 1. François Lebrun, « France, ton Université fout le et géographes, 287, décembre 1981, p. 279-282. Egalement, camp », Historiens et géographes, 272, 1980 ; voir l'article « Enseigner et faire de la recherche », Cahiers pédagogiques, de Jean-François Soulet, wid., 273, 1980. 205, juin 1982, p. 32-34. 95

ENJEUX « géographe » dans ces conditions. Sur le fond, le succès à l'un des concours de recrutement de l'enseignement n'attribue pas la qualité d'historien. Je me rappelle trop la véritable remontrance que je m'étais attiré alors que, tout jeune agrégé, j'avais eu la naïveté de répondre à un président de société savante que « bien sûr » j'étais historien, « parce que » j'étais professeur d'histoire. Je ferai grâce de ses commenta ires,percutants et malheureusement per tinents.. Reste que Daniel Roche affirme, et je lui en suis particulièrement reconnaissant, que l'on peut être historien reconnu sans disposer d'une situation universitaire, sans avoir un pouvoir institutionnel, sans jouir d'une garantie administrative. Il y a eu l'historien du dimanche, il y aura donc les historiens à temps partiel. Vivent les petits boulots ! Ge point de vue rompt radica lement avec le dédain ou la condescendance - oh, la gentillesse ! - manifestés parfois envers ces professeurs du secondaire consi dérés comme égarés dans des colloques. Si donc cette attitude tient compte de la réalité du temps et reconnaît qu'il n'y a pas de liens logiques entre la situation administrative personnelle et la qualité d'his torien, le problème est posé des modalités d'attribution de la qualité d'historien(ne). Théoriquement, l'historien se définit par une pratique et par une appartenance, les deux étant essentielles. La pratique comporte des règles et des usages appa remment connus et clairs. L'historien étudie le passé, en recourant aux sources archivistiques auxquelles il applique une lecture critique. Il confronte ses hypothèses aux résultats déjà acquis de l'historiographie et soumet ses conclusions à des autorités scientifiques qui l'admettent, ou non, dans leur communauté. Dans la réalité, rien n'est si simple. L'ouverture du passé au temps présent rend caduques des définitions trop simples et oblige à insister sur la qualité des méthodes qui distinguent un historien, d'un 96

naliste, d'un sociologue... A l'inverse, le recours à l'étude du passé tel qu'il est pratiqué par d'autres corporations intellec tuelles (sociologues, ethnologues, philo sophes, musicologues...) supprime ce qui peut être considéré comme une spécificité. Enfin et surtout, le paysage est complè tement brouillé par la situation effective de l'historien dans la société. L'historien, c'est d'abord celui qui d'une façon ou d'une autre publie à propos du passé. In. fine la pierre d'achoppement se trouve là : l'his torien, c'est d'abord celui qui, scientif iquement, publie des études sur le passé, proche ou lointain. Compte alors l'attribution du label d'his torien. Qui doit le porter ? Qui doit l'attribuer ? L'évidence inexprimable (?) pousse à dire que nombre d'enseignants (du secondaire, comme du supérieur) sont de bons enseignants, mais sans pouvoir prétendre à ce label. Alors quels critères retenir : le nombre de signes imprimés, l'inscription en troisième cycle, les publi cations dans de grandes maisons d'édition, dans des revues nationales ? Au-delà de l'auto-proclamation « je suis un historien », qui reste fréquente, l'appartenance à la communauté historienne se fait selon des règles d'initiation qui relèvent du jeu de piste ou de la franc-maçonnerie. Chacun participe en quelque sorte à un jeu de rôles (une histoire dont vous êtes le héros) sans connaître les règles, ni les enjeux... Auprès de qui faut-il s'inscrire en thèse ? Faut-il ou non participer à ce colloque ? Comment faire pour publier dans telle revue ? Faut-il, d'une façon ou d'une autre, faire allégeance à un puissant (ou à deux, ou à trois...) ? Devenir historien c'est d'abord s'engager dans le labyrinthe où le Minotaure attend des proies consentantes. A temps partiel ou non, l'historien, c'est celui (ou celle) qui fait partie d'un sérail. Problèmes : comment y arriver, ensuite comment y rester ? Cette constatation n'est banale qu'en apparence ; elle définit clairement l'origi-

ENJEUX nalité de l'historien à temps partiel. Après tout, chacun a le droit d'écrire et de publier des livres d'histoire, et même de réussir à en vivre ! Il est facile d'aligner des noms célèbres d'historiens reconnus par la vox populi qui n'ont pas fait allégeance au sérail. Dans cette corporation tout à fait estimable, plus nombreux encore sont les auteurs qui mènent de front une carrière professionnelle et une carrière littéraire disjointes, en sachant qu'ils n'auront jamais la possibilité de vivre de leur plume. L'historien à temps partiel est exactement à l'opposé de ces écrivains. Il ne guigne pas les lauriers publics avant d'avoir été intronisé par les gardiens du temple. Il refuse de vivre de sa plume autrement que dans les emplois réservés et limités de la carrière. Il ne se reconnaît historien que par le label qu'il attend de sa communauté espérée. Tout est sacrifié à Clio, muse universitaire. Clio de 9 à 11 D'où la vie privée de l'historien à temps partiel : ses amours tumultueuses, tardives et standardisées avec Clio. Les plus belles heures de la journée étant consacrées à des tâches diverses, restent le travail de nuit de 9 à 11 —, les dimanches et les jours de grève (inexistants depuis quelques années), les vacances, pour pouvoir vivre sa double vie avec la muse de l'histoire. Sans doute, nombre d'universitaires, de chercheurs institutionnels feront savoir que leur sort n'est guère différent, qu'ils doivent assurer des cours, administrer la recherche, s'épuiser en réunions. Reste que ces tâches secondaires, si encombrantes qu'elles soient, leur permettent de nouer des contacts, de lire des livres importants, de participer à des colloques, d'être intégrés à des équipes de recherche, de bénéficier d'informations ; soit autant d'obligations qui incombent aussi à l'historien à temps partiel, qui ne peut pas se contenter de lire des archives et d'écrire ses articles solitairement, sous peine de ne pas mériter le label d'historien et 97

de rester un de ses innombrables copistes tels que chaque époque en a connus. Les exigences de Clio sont souveraines et, en saine logique, démesurées. Il convient d'abord de choisir un sujet de recherche. Après négociations avec un patron de thèse - le pire étant peut-être l'absence de négociations, prémisse d'un avenir indicible -, il faut mettre en concordance les heures creuses de l'emploi du temps avec les heures d'ouverture des archives, compte tenu de la rotation des conseils de classe, du temps passé en voiture ou en train, de la rapidité des employés des archives, du nombre de fanatiques de la généalogie qui saturent les salles d'archives après 10 heures du matin et 14 heures de l'après-midi. Une fois ces travaux d'approche résolus, ce qui peut entraîner aussitôt une modif ication du sujet de thèse - travailler non pas sur des masses d'archives indéplaçables, mais sur l'historiographie que l'on peut lire chez soi -, il faut faire entrer Clio dans sa propre famille ! Il convient de sensibiliser femme (ou mari) et enfants à la vocation historienne, atténuer la jalousie devant les dépenses de temps et d'énergie. Car il faut s'adapter aux exigences du budget familial, qui tolèrent plus ou moins les voyages à Paris (aux Archives nationales ; la Biblio thèque nationale est de fait inaccessible), les photocopies et les achats des indispen sables« dernières parutions ». L'historien à temps partiel doit s'atteler à la stratégie des jeux : de deux dossiers d'archives d'importance inégale, lequel faut-il dépouill er en sachant que l'on va en tirer la matière d'un chapitre de 20 pages ? Un bon historien à temps partiel n'effeuille Clio que d'exactement ce qu'il lui faut. La passion de l'histoire ne s'arrête pas à ces agacements. Clio n'aime que les curieux et les prosélytes. L'abonnement à un certain nombre de revues est le moindre tribut. La visite régulière aux librairies et aux bibliothèques constitue la deuxième obligation. L'astuce est de se rendre indis pensable à une revue qui vous abreuve de

ENJEUX livres à rendre compte, ou de jouer les utilités dans un centre de recherche qui vous laisse emprunter à très long terme des ouvrages trop onéreux. Mais ces joutes doivent être suivies de véritables rencontres. Colloques, tables rondes, équipes de recherche, l'éventail des possibilités est grand, impératif, dispendieux et épuisant. Il faut être présent, souriant, brillant, en oubliant le prix du voyage et de l'hôtel, le forfait imposé par l'organisateur du colloque, le congé sans solde que le recteur vous a accordé, les cours à rattraper que le proviseur ou le principal a comptabilisés, enfin les copies qui sont corrigées dans le train. Je ne dirai rien de cette ultime parade nuptiale que sont les concours de recru tements, au CNRS ou ailleurs, promesse jamais tenue, mariage blanc, dont les effets ont été décrits par Daniel Roche, et dont à mon avis les seules conséquences sérieuses sont de subventionner la SNCF. Reste alors à passer à l'acte. Engranger des renseignements n'est pas faire de l'his toire, il faut publier. A quel prix ? Il n'est plus possible de donner des notes manusc rites à quelque éditeur que ce soit. La machine à écrire s'impose, électronique de préférence. La nécessité de la correction, des découpages imposés - sainement - par des lectures amicales ou des comités de rédaction officiels, rendent illusoire l'écri ture à temps compté. Il faut sauter le pas du traitement de texte, investir (en temps et en argent) dans l'informatique, être capable d'écrire d'un seul jet et de faire des corrections automatiques. Enfin, il faut prévoir que le temps nécessaire aux cor rections d'imprimerie se conjugue avec de nouvelles exigences rédactionnelles, et que tout cela coûte en frais de poste, de déplacement, de photocopies, de reliure, sans être jamais assuré de rentabiliser ce véritable investissement. Dans ces condit ions, la séance de la soutenance de thèse n'est (si l'on peut dire) qu'une formalité ! Mais une fois l'initiation achevée, la reconnaissance accordée, l'historien à temps 98

partiel doit enfin s'attendre à ce que Clio accorde ses faveurs à des plus jeunes, des plus rapides, des mieux nés, qui ont su la séduire par d'autres modes, par des éclats médiatiques, par l'étalage de leur juvénile puissance. Etre historien, c'est aussi écrire l'histoire de sa vie. Règles de survie II faut bien vivre en effet. Les exemples de grands aînés consacrés à un âge cano nique rassurent de temps en temps. Les petits bonheurs d'une publication, d'une rencontre chaleureuse, d'une citation infrapaginale rassérènent et encouragent. Mais nombreux sont les jours sans courrier, les nuits sans inspiration. Une hygiène de vie est nécessaire. Première règle, le sujet de recherche doit s'accorder avec l'état prévisionnel de la recherche collective. Inutile de suivre une mode déjà trop lancée. Seuls les chercheurs à temps plein peuvent donner dans les temps favorables un texte intéressant. Les autres n'arriveront que plusieurs années après le reflux de la vague, lorsque livres et articles auront définitivement saturé l'in térêt d'un sujet. Il faut viser loin, se lancer dans l'aventure et espérer avoir fait le bon choix. Dans cette optique, il est nécessaire aussi d'être polyvalent. De tout chercheur est attendu paradoxalement la déspécialisation. Il est dangereux de faire sa maîtrise sur les faillites à Guérande entre 1750 et 1790, sa thèse de troisième cycle sur les faillites en Loire- Atlantique au 18e siècle et sa thèse d'Etat sur les commerçants de Loire-Atlant ique aux 18e et 19e siècles. Les aptitudes à la recherche sont suspectées chez tous ceux qui avouent, naïvement, leur prédi lection pour un thème, un sujet, une période. Mieux encore, il faut appartenir à une équipe de recherche. Il faut accepter les détours imposés par une communauté orga nisée autour d'une démarche collective. En

ENJEUX soi l'exigence est recevable, elle permet de largement incompatible avec l'enseignement tel qu'il est compris et vécu. L'historien se frotter à des interrogations ouvertes, elle ouvre des horizons ; concrètement, il faut à temps partiel, avant d'avoir eu sa photo estimer le coût marginal de cet engagement. dans le journal local, est souvent l'objet La rentabilité du travail supplémentaire ainsi de suspicion dans son établissement, comme imposé doit se trouver dans l'accroissement ces vieilles filles toujours suspectes de n'avoir pas pu se marier. Aurait-il dou significatif des relations obtenues, dans la valeur sociale des publications obtenues, blement échoué ? Dans son enseignement, dans l'avancée globale du travail personnel. parce qu'il le fuit en cherchant ! Dans la Le nec plus ultra est de parvenir à une recherche puisqu'il n'enseigne pas en (petite) direction de recherche. L'attribu faculté ! tion, même provisoire, d'un label d'historien Il convient donc pour avoir la paix dans attire l'attention des conservateurs de musée, son établissement d'animer un club, de des notabilités régionales. L'astuce est d'ar faire une ou deux heures supplémentaires, river à concilier ses propres intérêts avec de participer à l'amicale des profs., de les commandes passées par des services remplir scrupuleusement son cahier de administratifs. Le temps « perdu » se récu textes, et j'en passe. Mais surtout, il faut père en vacations, en informations, en veiller au grain. La carrière est bouchée, rencontres, en prestige, soit dans toutes il faut envisager les filières, les filons, les ces petites choses qui font en définitive fromages. Accepter dans un espoir hypot que la vie vaut d'être vécue, hors des hétique de faire des « travaux dirigés » à archives et des livres. l'université voisine, pour 123 F de l'heure L'excès dans toutes ces voies doit être devant 200 étudiants ; participer aux expé mesuré. L'historien à temps partiel ne doit riences pédagogiques pour garantir une pas s'engager à fond dans ces activités promotion nécessaire à la vie quotidienne ; marginales. Il peut être le pivot d'une s'intéresser aux nouvelles technologies pour société savante locale, il ne doit pas être garder le contact avec le monde ; entrer ni le président ni, pire, le trésorier. Il ne dans les réseaux de formation continue doit pas confondre sa mission historique pour s'aérer un peu et se faire reconnaître ; « d'intérêt national » et les petits tracas envisager de faire une carrière administrative d'une investigation destinée aux étudiants pour essayer de sortir du ronronnement du troisième âge. L'oublier et mentionner imposé et tenter d'infléchir, aussi peu que trop naïvement ce genre d'activité sur un ce soit, le monde aux couleurs de ses idées. curriculum vitae pourrait coûter l'estime. Il s'agit bien d'une survie, mais qu'im L'historien à temps partiel doit enfin porte, il ne faut pas rêver sur les sentiers savoir s'engager d'une façon aussi prudente prétenduement fleuris destinés aux happy et déterminée dans sa vie professionnelle. few intégrant l'université ou la recherche. Je ne connais pas aujourd'hui de collègues La République a toujours été plus belle qui pourraient s'être engagés dans la sous l'Empire. Il convient de s'adapter à recherche parce qu'ils avaient « des sixièmes sa situation et de l'adapter à soi en sachant et des loisirs », pour reprendre une formule seulement que la recherche à temps partiel célèbre, témoin de « l'âge d'or ». Enseigner, est une préoccupation à temps plein, un c'est souvent être empêché de faire de vrai mode de vie. l'histoire. Il est inutile ici de revenir sur le catalogue, parfois complaisant dans le Et l'histoire dans tout cela ? misérabilisme, de la condition enseignante, sauf sur un point toujours vrai, c'est que L'aurait-on oublié ? L'objectif recherché sur le fond la recherche universitaire reste est une production intellectuelle, permettant 99

ENJEUX la participation à l'évolution des connais sances, ayant un impact sur la fabrication de notre société. Il me paraît dangereux de vouloir mener une réflexion sur la situation des historiens sans parler de leur rapport avec l'écriture de l'histoire. Et si l'histoire de nos vies correspondait à la vie de l'histoire ? Car c'est la vie posthume qui est proposée à l'historien à temps partiel : faire un livre, un beau, qui prenne date. Papillon de l'histoire, l'historien à temps partiel sort de sa chrysalide le temps d'un compte rendu dans L'Histoire, ou dans Vingtième siècle, d'un débat à « Apos trophes ». Apparition fugitive sur la scène où s'agitent les caciques et les patrons, mais après tout, comment doit s'écrire l'histoire ? Quelle place chacun de nous peut-il espérer tenir dans la vie intellec tuelle? L'histoire n'occupe qu'une place réduite dans les préoccupations sociales et politiques de notre pays. Qu'on le regrette ou non, force est de le constater, et de ne pas espérer des lendemains qui chantent. Il n'est pas essentiel à la conscience nationale de savoir le nombre de faillites qu'il y eut à Niort en 1834. Provocation sans doute, mais estime-t-on assez la portée sociale de nos travaux ? Le calcul me semble nécess aire. Chacun a le droit imprescriptible et absolu, dans une société libérale, de s'en gager dans la vie qu'il lui plaît. Il ne lui revient pas pour autant le droit d'exiger que cette société lui assure le vivre et le couvert pour l'orientation qu'il a adoptée. Il convient de rompre avec cette croyance larvée, qui court dans les discours sur les historiens à temps partiel, qu'ils méritent tous de la patrie. Qu'il faille augmenter le nombre des postes, donner des avantages aux historiens à temps partiel qui ont une thèse..., certes, mais de toutes façons, il faudra fixer des barèmes, établir des listes de postes, limiter les choix. Il n'est pas sain de donner des coups d'accordéon à un recrutement. Il est tout aussi dangereux de laisser croire que l'on prendra tous ceux

qui se présenteront. La difficulté réside dans la confusion entretenue entre vie intellectuelle et mesures administratives. Les dernières conditionnent sans doute la pre mière ; mais encore dans quelles limites, sous quelles conditions ? De toute évidence, il ne faut pas confondre mesures administ ratives et équité sociale, d'une part, avec recherche intellectuelle et appétence indi viduelle d'autre part. Il ne s'agit pas de faire acte d'humilité, ni de nécessité vertu. Mais les rencontres nouées il y a quelques années, mon actuel travail professionnel m'ont enseigné la nécessité de raisonner en fonction du cadre institutionnel. C'est pour cela qu'il ne convient pas de parler de statut pour tous les chercheurs à temps partiel (car il n'y a pas bien sûr que les historiens qui se trouvent dans cette situation) l, qu'il faut poser des échéances aux travaux universit airesentrepris par tous les chercheurs, qu'il faut prévoir des commissions de contrôle des compétences acquises, des commissions d'attribution de titres et d'avantages. Aussi pénible que cela puisse paraître, c'est par le passage sous les fourches caudines de l'administration que pourra se résoudre cette question de cher cheurs isolés, dans la mesure où toutes ces personnes entendent se situer dans l'obé dience universitaire. Dans cette voie, des solutions peuvent apparaître, qui ménageraient la vie fragile des universités, la carrière individuelle des chercheurs, les contraintes budgétaires, les avancées intellectuelles de la nation. Une conciliation serait l'attribution d'aménage ments de carrière aux historiens à temps partiel, en posant clairement les exigences scientifiques et collectives qui entraîneraient ces aménagements. Il conviendrait plus sûrement encore d'assouplir les règles qui régissent les carrières : permettre des déta1 . Voir les publications du Collectif des enseignants pour le droit à la recherche et à l'étude (CEDRE) 1, rue des Fossés Saint-Jacques, Paris 5e, même si l'on peut ne pas partager l'ensemble de la problématique.

100

ENJEUX chements sans risque de perte de postes, reconnaître et organiser des carrières à cheval sur des établissements du secondaire et du supérieur, en incluant des vacations dans les emplois du temps, revaloriser au passage les taux horaires des vacations, utiliser les compétences acquises dans la formation continue interne, intégrer dans les emplois du temps les travaux accomplis pour des missions culturelles, scientifiques... Il ne s'agit surtout pas de fixer, une fois de plus, des statuts, mais de rendre possible des missions, de faciliter des passages, de provoquer des échanges. Au lieu de deux (ou trois, quatre...) corps figés, il doit être possible d'instaurer des situations transi toires, de permettre des emplois dont la complexité apparente permettrait de réin troduire une souplesse qui bénéficierait en définitive à tous les partenaires, à un moment où c'est l'ensemble de la machine enseignante qui se grippe pour une dizaine d'années ! Il ne s'agit pas d'instaurer une foire « néo-libérale » des chercheurs. La loi de la jungle sévit déjà aujourd'hui, elle sévira encore plus demain lorsqu'il faudra recruter en masse. Si une volonté politique est mise en oeuvre, il est possible d'instituer une gestion ouverte, sur des critères précis, avec des espérances ouvertes, même si elles sont limitées et hiérarchisées. L'historien à temps partiel pourrait ainsi être définit ivement reconnu comme tel sans avoir à prolonger son rythme de vie intenable jusqu'à disparition. Et si cette prise en compte de l'histoire à temps partiel sous contrat obligeait à une réflexion sur le sens même de l'écriture historique ? Un historien, fût-il à temps partiel, ne doit pas être un quart d'historien, sous peine de n'être rien. Pour être un historien reconnu, il convient de poser des questions qui répondent à des interrogations collectives, qui débouchent sur des syn thèses, qui s'incarnent dans des publications destinées au plus large public ; dit autre ment, un historien à temps partiel doit 101

être d'abord un intellectuel à temps plein et non pas, surtout, un tâcheron de l'éru dition. Cela ne vise pas les dérives de la recherche, les avancées de fourmi - qui sont nécessaires et pour lesquelles les cher cheurs à temps partiel sont peut-être plus favorisés que les autres — ; mais il convient de ne jamais oublier que l'activité de recherche, si on l'inscrit bien dans ce cadre universitaire, soumis à des sanctions, nécess iteune vue au-delà de son territoire, oblige à une réflexion authentique, débouche sur une vulgarisation. C'est dans cette mesure, sous ces réserves, que je souscris à l'article de Daniel Roche. Oui, la situation de l'histoire est inquiétante, parce que le corps des historiens de profession, qui s'alimentait régulièrement au vivier des historiens à temps partiel, risque de dépérir faute de renouvellement. Mais à la condition que ce discours ne se transforme pas en revendication chiffrée, en exigences « immédiates », sans tenir compte de l'obligation qui est faite à tous, historiens à temps plein ou à temps partiel, de répondre d'abord aux interrogations sociales et de ne pas croire que c'est parce qu'ils se font plaisir sur un sujet qu'ils ont acquis des droits. Puisse l'expérience quelque peu amère des historiens à temps partiel, écartelés entre vie intellectuelle et contraintes administratives, servir à l'e nsemble de la collectivité universitaire pour élaborer les conditions administratives d'une vie intellectuelle de haut niveau. Jean-Clément Martin

L'ASPHYXIE Anciens étudiants, à peine jeunes pro fesseurs, nous voudrions porter témoignage pour la « jeune génération ». L'histoire est doublement malade. Elle est atteinte, tout

Lihat lebih banyak...

Comentarios

Copyright © 2017 DATOSPDF Inc.