El valor de las cifras: la producción y los usos de las estadísticas demográficas y de salud en Colombia 1886-1947
Descripción
École des Hautes Études en Sciences Sociales
Centre Alexandre-Koyré Sciences, techniques, savoirs : histoire et société Discipline : Doctorat en histoire et civilisations
VICTORIA E. ESTRADA ORREGO
LA VALEUR DES CHIFFRES: LA PRODUCTION ET LES USAGES DES STATISTIQUES DÉMOGRAPHIQUES ET DE SANTÉ PUBLIQUE EN
COLOMBIE 1886-1947
Thèse dirigée par: M. Gérard Jorland Date de soutenance : le 15 décembre 2015
Jury
Luc Berlivet, École des hautes études en sciences sociales François Delaporte, Université de Picardie Gérard Jorland, École des hautes études en sciences sociales Annick Opinel, Institute Pasteur Hernán Otero, Universidad Nacional del Centro de la Provincia de Buenos Aires Patrick Zylberman. École des hautes études en santé publique
À Jorge
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Every state, happy or unhappy, was statistical in its own way
Ian Hacking, The taming of change
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REMERCIEMENTS Que soient ici remerciés tous ceux qui m’ont accompagné dans la réalisation de ce travail, par leur soutien, leurs encouragements, leurs critiques et leur patience. En tout premier lieu, à Jorge, mon compagnon pour son soutien amoureux, pour la patience dont il a su faire preuve, et sans qui cette traversée intellectuelle n’aurait pas commencé. Ensuite, je tiens également à adresser mes plus vifs remerciements à mes amis et collègues Victor García et Oscar Gallo qui ont partagé avec moi de la documentation d’archive précieuse et avec lesquels j’ai eu des discussions qui ont beaucoup enrichi ce travail. À mes amis Jenny Urbina, Valentina Dieck, Liliana García, Simone Beaupel, Juan Sebastián Escobar, Ana Correa, Carolina Lenis et Laura Salazar, qui dans différents coins du monde et à leur façon, n’ont pas cessé de m’encourager pendant ces années. Toute ma gratitude aux employés des différentes archives et bibliothèques où j’ai eu l’opportunité de travailler. J’exprime une attention toute particulière à Monica S. Blank du Rockefeller Archive Center dont l’amabilité et la générosité ont été très touchantes. J’exprime aussi ma reconnaissance à l’EHESS et au Centre Alexandre Koyré par le financement partiel des travaux de terrains et des missions qui m’ont permis de présenter des résultats préliminaires de cette recherche aux colloques internationaux. Je témoigne enfin ma gratitude à Gérard Jorland, mon directeur de thèse, pour ses conseils, indications et relectures. À chacun qui au détour de rencontres avait contribué à la construction de cette réflexion sans le savoir. À tous, merci
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RÉSUMÉ Au-delà de simplement combler une lacune de l’historiographie, cette thèse vise à comprendre la manière dont s’est construit un savoir quantitatif sur la population et la santé publique en Colombie. Nous revenons dans un premier temps sur les origines des bureaux de statistiques nationales. Cela nous permet d’étudier les modes de production ainsi que les usages des chiffres démographiques et de santé pendant la première moitié du XXe siècle. Pour une époque où les statistiques commencent à être institutionnalisées officiellement, nous analysons le processus par lequel la population est devenue à la fois l’objet de la connaissance et des politiques étatiques dans l’histoire du pays. Ce qui constitue un tournant dans les méthodes de recensement et de quantification des phénomènes vitaux en Colombie. Dans un second temps, nous abordons la production et l’usage des statistiques pendant la première moitié du XXe siècle, à partir de deux études de cas : la lutte contre la mortalité infantile et la surveillance des épidémies. Ces exemples illustrent comment les chiffres deviennent à la fois un outil de validation du savoir médical et de mesure de l’état de santé de la population. En parallèle, cela nous permet de mieux comprendre la transition qui s’opère dans le discours des médecins, mais aussi d’apercevoir un rapprochement précoce d’une partie de la médecine colombienne à un modèle de santé publique nord-américain axé sur la quantification et la prévention des maladies. Dans un troisième temps, nous étudions les modes de production et d’usage des statistiques dans la pratique des campagnes nationales de santé contre l’ankylostomiase et la tuberculose des années 1920 à 1940, et tâchons de mettre en perspective les enjeux sociaux et politiques qui en résultent. La Fondation Rockefeller, partenaire de la campagne contre l’ankylostomiase, joue un rôle particulier dans le processus de développement de la statistique médicale en Colombie. La formation des experts en vital statistics et en santé publique orchestrée par cette fondation conduit à la circulation du modèle hygiéniste américain dans le pays. Dans le même temps, la littérature médicale colombienne fait volontairement preuve d’une utilisation abusive des chiffres de la tuberculose de manière à attirer l’attention des pouvoirs publics et pouvoir financer des campagnes de santé pour lutter contre cette maladie, telle que la vaccination par BCG. Mots clés : histoire de Colombie XIXe et XXe siècles; statistique médicale; statistique démographique; hygiène; campagnes de santé.
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ABSTRACT Beyond merely filling a gap in the historiography, this thesis aims at understanding how the quantitative knowledge about public health and human population were generated in Colombia. In the first part, the origins of the national statistics offices is examined. This leads to a study of the ways of production as well as of the uses of demographic and public health data during the first part of the 20th century. During this time, statistics figures were institutionalized and officialized. The process of transformation of the population from being an object of study to becoming a main part of state policies throughout the country history is analyzed. This event constitutes a change in the methods of censoring and quantification of the vital statistics in Colombia. In the second part, the formulation and use of statistics during the first half of the 20th century is analyzed on two case studies: the campaign against child mortality and the control of epidemics. These examples illustrate how the statistics figures were converted into tools of validation for medical purposes and as tools for the Colombian state to evaluate the health of the population. In the third part, the conception and use of statistics for implementing national programs of health against ankylostomiasis and tuberculosis during 1920-1940 years are studied. A perspective is then offered about the social and political implications. The Rockefeller foundation sponsored the ankylostomiasis prevention program and played a specific role in the development of the medical statistics in Colombia. The training of experts in vital statistics and public health planned by this foundation brought about the application of the North America hygienist model in Colombia. At the same time, medical literature in Colombia indulged in the overuse of tuberculosis statistical figures to gain the attention of public power to obtain funding for campaigns as the BCG vaccination. Keywords: Colombian history XIX and XX centuries, medical statistics, demographical statistics, hygiene, health campaigns
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RESUMEN Más que intentar llenar un vacío historiográfico, esta tesis busca comprender la manera cómo se ha construido un saber cuantitativo sobre la población y la salud pública en Colombia. Primero, se examinan los orígenes de las oficinas de estadística nacionales. Esto permite estudiar tanto los modos de producción como los usos de las cifras demográficas y de salud durante la primera mitad del siglo XX. Para una época en que las estadísticas comienzan a ser institucionalizadas de modo oficial, se analiza el proceso por el cual la población se convirtió a la vez en objeto de conocimiento y en foco de políticas estatales en la historia del país. Lo que constituyó un giro en los métodos de censar y cuantificar los fenómenos vitales en Colombia. En la segunda parte se abordan la producción y el uso de las estadísticas durante la primera mitad del siglo XX, a partir de dos estudios de caso: la lucha contra la mortalidad infantil y la vigilancia de las epidemias. Esos ejemplos ilustran cómo las cifras se convierten en herramientas de validación del saber médico y en útiles de medida del estado de salud de la población. En la tercera parte se estudian los modos de producción y de uso de las estadísticas en la práctica de las campañas nacionales de salud contra la anquilostomiasis y la tuberculosis, durante el periodo 1920-1940. Se ponen en perspectiva las implicaciones sociales y políticas que resultan de ello. La Fundación Rockefeller, patrocinadora de la campaña contra la anquilostomiasis, juega un papel particular en el proceso de desarrollo de la estadística médica en Colombia. La formación de los expertos en vital statistics y en salud pública orquestada por esta fundación conduce a la circulación del modelo higienista norteamericano en Colombia. Al mismo tiempo, la literatura médica colombiana da prueba de una utilización abusiva de las cifras de la tuberculosis para atraer la atención de los poderes públicos y lograr financiamiento para las campañas antituberculosas, tal como la de la vacunación con BCG. Palabras clave: historia de Colombia siglos XIX y XX; estadística médica; estadística demográfica; higiene; campañas de salud.
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Table des matières Remerciements .............................................................................................................................vi Resumé ........................................................................................................................................ viii Abstract .........................................................................................................................................ix Resumen.........................................................................................................................................x Table des matières ....................................................................................................................... xii Liste des tableaux ........................................................................................................................ xvi Liste d’illustrations ...................................................................................................................... xix Liste d’abréviatures ...................................................................................................................... xx
INTRODUCTION ........................................................................................................ 1
PREMIÈRE PARTIE Chapitre 1 La statistique colombienne de la seconde moitié du XIXe siècle.............. 18 1.1 Le Bureau Central de Statistiques et les premiers chiffres de la mortalité et d’hygiène...... 27 1.1.1 Le Boletín trimestral de la Estadística Nacional de Colombia .................................... 28 1.1.2 Une réorganisation de la statistique nationale .......................................................... 40 1.2 Les statistiques de santé et la pratique de la médecine ....................................................... 45 1.2.1 Le mouvement des malades et les hôpitaux militaires dans la seconde moitié du XIXème siècle....................................................................................................................... 46 I L’observation clinique et le statut du « vrai médecin » ................................................ 47 II La santé des troupes .................................................................................................... 51 III L’inspection de casernes et la santé des bataillons .................................................... 57 1.2.2 Les statistiques des maladies dominantes à l’Hospital San Juan de Dios de Bogota . 62 I Le conseil central d’hygiène et la mise en œuvre des mesures de contrôle ................ 67 II La valeur des statistique à l’HSJD ................................................................................. 69 1.2.3 Les statistiques de la lèpre et l’exagération des chiffres ........................................... 71 Conclusions ................................................................................................................................. 78
Chapitre 2 Les causes de décès. Une nomenclature pour la quantification ............... 81 2.1 L’administration de la ville et les chiffres démographiques ................................................. 81 2.1.1 Les médecins municipaux et les certificats de décès ................................................. 87 xii
2.1.2 Les certificats des décès et la Direction de l’hygiène et la santé de Bogota .............. 89 2.2 L’adoption de la nomenclature de Bertillon en Colombie .................................................... 93 2.2.1 La Revista médica de Bogotá et les statistiques de mortalité.................................... 99 2.2.2 Circulaire 103 de 1905 sur la statistique de mortalité ............................................. 102 2.2.3 La Colombie et les révisions internationales de la nomenclature des causes de décès. ........................................................................................................................................... 105 2.2.4 La réorganisation sanitaire de 1914 ......................................................................... 106 La réglementation de l’exercice de la médecine........................................................... 109 2.2.5 L’annuaire statistique de 1915 et les statistiques des causes de décès .................. 110 Un taux de nuptialité faible ........................................................................................... 138 2.2.6 La législation sur les statistiques sanitaires et des décès......................................... 140 Conclusions ............................................................................................................................... 147
Chapitre 3 Les recensements de la population et les statistiques de santé ............. 149 3.1 Les recensements du XIXe siècle ......................................................................................... 150 3.2 Les chiffres de la nation colombienne : les recensements de 1905 et 1912 ...................... 155 3.3 Un voisin sud-américain : Le cas argentin ........................................................................... 164 3.4 Le recensement de 1918. Des chiffres modernes ? ............................................................ 166 Les conflits entre le pouvoir central et les pouvoirs locaux .......................................... 171 3.5 Des chiffres non approuvés : le recensement de 1928 ....................................................... 174 3.6 Le recensement de 1938 ..................................................................................................... 179 Conclusion ................................................................................................................................. 183
DEUXIÈME PARTIE Chapitre 4 La mortalité infantile ........................................................................... 190 4.1 L’hygiène nationale et son entrée dans le mouvement hygiénique international ............. 190 La mortalité : le meilleur thermomètre pour mesurer l’insalubrité d’une ville ............ 196 4.2 Le premier Congrès national de médecine en Colombie .................................................... 200 4.3 Les mères doivent contribuer à la transformation de la patrie .......................................... 205 4.4 Les écueils d'une nation sans statistique ............................................................................ 209 4.5 Le problème de la mortalité infantile à Medellín ............................................................... 216 Une campagne contre la mortalité infantile ................................................................. 220
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4.6 Le statut des médecins et de la médecine universitaire et les chiffres de mortalité infantile ................................................................................................................................................... 226 4.7 La puériculture et les chiffres de mortalité infantile........................................................... 230 4.8 La protection de l’enfance .................................................................................................. 236 Conclusions ............................................................................................................................... 244
Chapitre 5 Les épidémies et leurs chiffres ............................................................. 246 5.1 L’hygiène militaire et les épidémies .................................................................................... 247 5.2 L’épidémie de dysenterie à Bogota en 1915 ....................................................................... 253 5.3 Une épidémie de variole à Bogota ...................................................................................... 248 La lutte contre la variole : l’hôpital Los Alisos et le Parc de vaccination........................... 261 5.4 La variole et la vaccination à Bogota ................................................................................... 264 5.5 « Les triomphes de la santé publique » et les épidémies ................................................... 269 Les rumeurs d’une épidémie et la production des indicateurs de santé .......................... 273 Conclusion ................................................................................................................................. 278
TROSIÈME PARTIE Chapitre 6 La Fondation Rockefeller et la mesure des phénomènes sanitaires en Colombie.............................................................................................................. 280 6.1 La campagne contre l’ankylostomiase en Colombie ........................................................... 284 6.1.1 D’autres statistiques de la campagne ...................................................................... 298 6.1.2 Les premiers boursiers colombiens de la Fondation Rockefeller............................. 305 6.2 Les statistiques vitales internationales et nationales ......................................................... 310 6.3 Un boursier colombien de la Fondation Rockefeller pour la statistique vitale................... 314 6.3.1 Les écoles de soins infirmiers en Colombie et la Fondation Rockefeller ................. 319 6.3.2 Roberto Concha et la diffusion du modèle hygiéniste nord-américain ................... 327 6.3.3 Concha et le Cours supérieur d’hygiène .................................................................. 341 6.4 La FR et la section d’épidémiologie de la DNHAP ............................................................... 342 6.5 Les boursiers latino-américains en statistique de la Fondation Rockefeller....................... 352 Conclusion ................................................................................................................................. 363
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Chapitre 7 La rhétorique des chiffres. La tuberculose et les statistiques ................ 365 7.1 La campagne antituberculeuse en Colombie ...................................................................... 365 Les controverses entre la province et la capitale : la campagne contre la tuberculose à Medellín et Antioquia........................................................................................................ 376 7.2 Une nation de phtisiques : la rhétorique du chiffre ............................................................ 388 7.3 Ce que les chiffres officiels sur la mortalité par tuberculose disent ................................... 392 Le taux de mortalité par tuberculose : les chiffres colombiens et argentins.................... 400 7.4 La tuberculose et la sécurité sociale ................................................................................... 404 Conclusion ................................................................................................................................. 408
CONCLUSIONS GÉNÉRALES ................................................................................... 410 SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE ................................................................................. 414 I Documents d’archive............................................................................................................... 414 II Sources historiques imprimées, recueils documentaires ...................................................... 415 III Bibliographie secondaire, articles de revue, pages web ....................................................... 433
ANNEXES .............................................................................................................. 443
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LISTE DES TABLEAUX Tableau 1. Statistiques de difformités physiques parmi les couples mariés dans quatre départements de Colombie pour le mois de janvier 1892 ......................................................... 32 Tableau 2. Statistiques de lieu de décès dans quatre départements de Colombie pour le mois de janvier 1892 ............................................................................................................................ 33 Tableau 3. Statistiques des causes de décès dans quatre départements de Colombie pour le mois de janvier 1892 ................................................................................................................... 35 Tableau 4. Statistiques des causes de décès dans quatre départements de Colombie pour le mois de janvier 1892 ................................................................................................................... 36 Tableau 5. Statistiques des causes de décès des maladies contagieuses dans quatre départements de Colombie pour le mois de janvier 1892 ......................................................... 38 Tableau 6. Statistiques de l’Hôpital militaire de l’Etat autonome d’Antioquia pour le mois d’octobre 1863 ............................................................................................................................ 49 Tableau 7. Mouvement de patients à l’hôpital militaire de Cúcuta pour les mois d’avril et mai 1887............................................................................................................................................. 52 Tableau 8. Statistiques de maladies prédominantes à l’Hôpital Militaire de Tunja de janvier à juin 1896...................................................................................................................................... 59 Tableau 9. Statistiques de maladies dominantes à l’Hospital San Juan de Dios de Bogotá pour le mois de novembre 1888 ............................................................................................................. 63 Tableau 10. Statistiques de maladies typhoïdes à l’Hospital San Juan de Dios de Bogotá, d’août 1888 à janvier 1890 ..................................................................................................................... 64 Tableau 11. Statistiques de mortalité à Bogota pour le mois de janvier 1902 ......................... 100 Tableau 12. Mouvement de la population dans les principaux pays du monde en comparaison avec celui de la Colombie .......................................................................................................... 114 Tableau 13. Taux pour 10 000 habitants de quelques causes des décès dans le principaux pays du monde en comparaison avec celles de la Colombie ............................................................ 115 Tableau 14. Recensements de population de Bogota par quartier pour les années 1843, 1881 et 1884 ...................................................................................................................................... 191 Tableau 15. Moyens de décès annuel et du taux de mortalité pour 1 000 habitants à Bogota pendant la période 1885 - 1889 ................................................................................................ 192 Tableau 16. Mortalité différentielle dans les quartiers de Bogota en 1889 ............................. 194 Tableau 17. Des statistiques de naissances et de décès à Bogota pendant la période 1886 1889........................................................................................................................................... 198 Tableau 18. Des statistiques des causes de décès à Bogota en juin 1893 ................................ 205 Tableau 19. Des statistiques des décès à Bogota de 1902 à 1906 ............................................ 207 Tableau 20. Taux de mortalité infantile des différents pays en 1901....................................... 207 xvi
Tableau 21. Nombre des décès des voies digestives à Bogota de 1902 à 1906 Conclusion..... 208 Tableau 22. Comparaison des taux de croissance démographique des différents pays .......... 211 Tableau 23. Comparaison des taux de natalité pour 1 000 habitants des différents pays ....... 212 Tableau 24. Comparaison des taux de mortalité pour 1 000 habitants des différents pays .... 213 Tableau 25. Comparaison des taux de mortalité infantile en pourcentage des différents pays ................................................................................................................................................... 214 Tableau 26. Taux de mortalité générale pour 1 000 habitants en 1912 ................................... 217 Tableau 27. Pourcentage de mortalité des enfants de moins d’un an en 1912 ....................... 218 Tableau 28. Nombre de décès infantiles à Medellín selon les causes de 1915 à 1917 ............ 220 Tableau 29. Pourcentages de mortalité des enfants de moins d’un an en 1912...................... 225 Tableau 30. Taux de mortalité générale pour 1 000 habitants à Medellín de 1920 à 1927 ..... 231 Tableau 31. Taux de mortalité générale pour 1 000 habitants en 1919 ................................... 231 Tableau 32. Pourcentages de mortalité infantile en 1923 ........................................................ 232 Tableau 33. Pourcentages des causes principales de mortalité infantile à Medellín de 1920 à 1927........................................................................................................................................... 233 Tableau 34. Mortalité infantile en Colombie par départements en 1928 ................................ 236 Tableau 35. Dépenses annuelles du gouvernement colombien en Gouttes de lait et protection de l’enfance de 1924 à 1933 ..................................................................................................... 237 Tableau 36. Quelques chiffres officiels de démographie materne-infantile en Colombie ....... 242 Tableau 37. Statistiques des cas de fièvre typhoïde à l’Hôpital militaire de Bogotá de 1910 à 1912........................................................................................................................................... 249 Tableau 38. Statistiques de dysenterie épidémique à l’Hôpital militaire de Bogota d’avril à octobre 1915 Conclusion .......................................................................................................... 254 Tableau 39. Statistiques de dysenterie épidémique à l’Hôpital militaire de Bogota par cantonnement d’avril à octobre 1915 ...................................................................................... 255 Tableau 40. Statistiques dysenterie à l’Hospital San Juan de Dios de Bogota de février à octobre 1915........................................................................................................................................... 256 Tableau 41. Statistiques des décès à Bogota d’avril à octobre 1915 ........................................ 257 Tableau 42. Statistiques des cas de variole à l’hôpital Los Alisos de Bogotá d’août 1910 à septembre 1912 ........................................................................................................................ 260 Tableau 43. Nombre des doses de vaccin antivariolique produites en Colombie de 1916 à 1923 ................................................................................................................................................... 264 Tableau 44. Statistiques de variole à l’hôpital Los Alisos, 1918 – 1924 .................................... 265 Tableau 45. Activités de la campagne contre la rougeole à Bogota du 14 juin au 10 septembre 1933........................................................................................................................................... 271 Tableau 46. Mortalité et morbidité dans la campagne contre la rougeole à Bogota en 1933 . 272 Tableau 47. Mortalité et taux de mortalité par fièvre typhoïde à Bogota de 1918 à 1935 ...... 277 Tableau 48. Indice d’ankylostomiase dans les provinces de Cundinamarca Conclusion .......... 287 Tableau 49. Indice d’ankylostomiase par professions dans les provinces de Cundinamarca en 1919........................................................................................................................................... 289 Tableau 50. Statistiques de la campagne contre l’ankylostomiase de 1920 à 1922................. 293 xvii
Tableau 51. Thèses de médecine sur l’ankylostomiase publiées en Colombie de 1919 à 1935 ................................................................................................................................................... 299 Tableau 52. Distribution du corps médical dans le territoire colombien en 1937 ................... 331 Tableau 53. Densité médicale dans le territoire colombien en 1937 ....................................... 332 Tableau 54. Boursiers latino-américains en statistique de la Fondation Rockefeller de 1917 à 1950........................................................................................................................................... 360 Tableau 55. Statistiques des décès par tuberculose et fièvre typhoïde enregistrés en Colombie de 1915 à 1949 .......................................................................................................................... 394 Tableau 56. Dépenses annuelles du gouvernement colombien en hygiène et assistance publiques de 1924 à 1933 ......................................................................................................... 399
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LISTE D’ILLUSTRATIONS Illustration 1. Livre nécrologique, Marie de Bogota mai 1900.................................................... 85 Illustration 2. Recensement de la population 1918 .................................................................. 170 Illustration 3. Instruments pour la stérilisation du lait par la méthode de Soxhlet .................. 216 Illustration 4. Schème de l’organisation des services du Département national d’hygiène, 1932 ................................................................................................................................................... 239 Illustration 5. Centre de protection de l’enfance, Cúcuta 1932................................................ 241 Graphique 6. Taux de mortalité par fièvre typhoïde pour 100 000 habitants, Bogota 1901 – 1930........................................................................................................................................... 273 Graphique 7. Taux de mortalité spécifique (TMS) par fièvre typhoïde à Bogota de 1918 à 1935 ................................................................................................................................................... 278 Illustration 8. Laboratoire d’enseignement La Mesa (Cundinamarca) campagne contre l’ankylostomiase, 1920.............................................................................................................. 284 Illustration 9. Distribution de l’ankylostomiase dans le département de Cundinamarca selon l’enquête de la Rockefeller Foundation (1920)......................................................................... 285 Illustration 10. Un rassemblement des personnes dans le laboratoire de la campagne, municipalité de La mesa (Cundinamarca), 1920 ....................................................................... 291 Illustration 11. Un employé de la campagne contre l’ankylostomiase lors d’une conférence à des patients (Colombie) ............................................................................................................ 292 Illustration 12. Distribution géographique des activités de la campagne contre l’ankylostomiase en Colombie (1925). Localisation des dispensaires sur le terrain ............................................. 296 Graphique 13. Pourcentage d’infection par ankylostomiase selon les âges des personnes examinés dans 10 laboratoires en Cundinamarca (1920-1923) ............................................... 302 Graphique 14. Activités de la campagne antiparasitaire en Colombie de 1933 à 1937 ........... 336 Illustration 15. Cabinet d’examen des tuberculeux à l’Hôpital San Vicente de Paul, Medellín 372 Illustration 16. Campagne de vaccination contre la tuberculose (BCG). Les personnes font la queue à l’entrée du dispensaire de Medellin ........................................................................... 376 Illustration 17. Hôpital La María, situé sur une colline à l'ouest de Medellín, département d’Antioquia ................................................................................................................................ 379 Graphique 18. Taux de mortalité par tuberculose et fièvre typhoïde pour 100 000 habitants en Colombie de 1915 à 1949.......................................................................................................... 396 Graphique 19. Taux de mortalité par tuberculose et fièvre typhoïde pour 100 000 habitants en Colombie de 1915 à 1949.......................................................................................................... 401 Graphique 20. Proportion de la mortalité par tuberculose et par fièvre typhoïde sur l’ensemble des décès en Colombie de 1915 à 1949 .................................................................................... 402 Graphique 21. Taux de mortalité brute pour 1 000 habitants en Colombie de 1915 à 1949 ... 408 xix
LISTE D’ABRÉVIATURES AMM Académie de Médecine de Medellín ANM : Académie Nationale de Médecine APHA : American Public Health Association BCS : Bureau Central de Statistique BDS : Bureau Départemental De Statistique BMH : Bureau Municipal de l'Hygiène BMHB : Bureau Municipal d’Hygiène de Bogota BNB : Bureau National de Biostatistique CCH : Conseil Central d'Hygiène CCRN : Conseil Central du Recensement National CECS : Centre d’études et Coordination Statistiques CEEV-PASB : Comité d'épidémiologie et de statistique vitale du Pan American Sanitary Bureau CHSN : Comité d'hygiène de la Société des Nations CMAM : Conseil Municipal Antituberculeux de Medellín CMH : Conseils Municipaux d’Hygiène CMR : Commission Municipale du Recensement CSM : Commissions Sanitaires Municipales CSS : Conseil Supérieur de Santé DA : Département d’ankylostomiase DDH : Directions Départementaux de l’Hygiène DDS : Directions Départementaux de Statistiques DepNH : Département National d’Hygiène DepNHAP : Département National de l’Hygiène et de l’Assistance publique. DepNSP : Département National de Santé Public DGS : Direction Générale de Statistique DHS : Direction de l’Hygiène et de la Santé DHSB : Direction de l’Hygiène et la de Santé de Bogotá DNH : Direction Nationale de l’Hygiène DNHAP : Direction Nationale de l’Hygiène et de l’Assistance Publique DNS : Direction Nationale de Statistique DNSal : Département National de Salubrité DR : Direction du Recensement DRE : Division du Renseignement épidémiologique DS-NYSHD : Division de statistique du New York State Health Deparment DTB : Direction Technique de Biostatistique ENI : École Nationale d’Infirmières FR : Fondation Rockefeller xx
HSJD : Hospital San Juan de Dios HSPH : Harvard School of Public Health IHD : International Health Division JHSH : Johns Hopkins School of Hygiene JHSH-PH : Johns Hopkins School of Hygiene and Public Health MIT : Massachusetts Institute of Technology MTHPS : Ministère du Travail, de l’Hygiène et de la Prévision sociale SCISP : Service coopératif Interaméricain de Santé Publique
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INTRODUCTION Les travaux sur la relation entre la quantification statistique et la médecine se sont multipliés depuis quelques décennies. Sans prétention d’exhaustivité, on peut citer de l’historiographie de la médecine et la santé publique les études de W. Coleman (1982, chapitres 5 et 6), A. La Berge, (1992, chap.1 et 2), Ocaña et Bernabeu (1997), E. Higgs (2000), A. Rusnock (2002), I. Borowy (2003), B. Curtis (2004), L. Schweber (2006) et Jorland (2010, chap. 4-6). Concernant des périodes et des pays différents, et dans le contexte de la professionnalisation et de l’institutionnalisation de l’hygiène et de la santé publique, ces études examinent : les différents usages des statistiques démographiques et de santé dans les discours des médecins et des bureaucrates ; les processus d’établissement, d’organisation et d’évolution des institutions chargées des statistiques démographiques et médicales ; les problèmes de standardisation internationale des statistiques de mortalité et les différents styles d’interprétation du savoir statistique France et Angleterre1. Propres à l'histoire et de la sociologie de la statistique, nous ne pouvons pas laisser de côté les travaux de T. Porter (1986, 1995), I. Hacking (1990), A. Desrosières, (1993, chap. 5), qui analysent la façon dont sont apparu certains outils statistiques et de leur insertion dans les discours scientifiques2.
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William Coleman, Death is a social disease: public health and political economy in early industrial France (Madison, Wis: University of Wisconsin Press, 1982); Ann Elizabeth La Berge, Mission and method: the early nineteenth-century French public health movement (Cambridge ; New York: Cambridge University Press, 1992); Esteban Rodríguez-Ocaña et Josep Bernabeu-Mestre, « Physicians and statisticians: two ways of creating demographic health statistics in Spain, 1841–1936 », Continuity o and change 12, n 2 (1997): 247‑64; Edward Higgs, « Medical Statistics, Patronage and the State: The Development of the MRC Statistical Unit, 1911-1948 », Medical History 44 (2000): 323‑40; Andrea Rusnock, Vital accounts : quantifying health and population in eighteenth-century England and France (Cambridge ; New York: Cambridge University Press, 2002); Iris Borowy, « Counting death and disease: o classification of death and disease in the interwar years, 1919–1939 », Continuity and Change 18, n 3 (2003): 457‑81; Bruce Curtis, « Sanitary medicine and the social body: the case of national civil registration and statistics in Canada, 1855-75 », Canadian bulletin of medical history 21 (2004): 73‑102; Libby Schweber, Disciplining Statistics: Demography and Vital Statistics in France and England, 1830– 1885 (Durham: Duke University Press, 2006); Gérard Jorland, Une société à soigner: hygiène et salubrité publiques en France au XIXe siècle (Paris: Gallimard, 2010). 2 Theodore Porter, The Rise of Statistical Thinking 1820-1900 (Princeton: Princeton University Press, 1986); Trust in Numbers: The Pursuit of Objectivity in Science and Public Life (Princeton: Princeton University Press, 1995); Ian Hacking, The Taming of Chance (Cambridge: Cambridge University Press, 1990); Alain Desrosières, La politique des grands nombres: histoire de la raison statistique (Paris: Editions La Découverte, 1993).
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Il faut compter aussi les ouvrages collectifs : L'ère du chiffre: systèmes statistiques et traditions nationales (2000), The road to medical statistics (2002) et Body counts: medical quantification in historical and sociological perspective (2005). Le premier ouvrage groupe des travaux sur le développement de quelques systèmes statistiques officiels, nationaux aussi bien qu’internationaux, et des études de cas sur la mise en place de connaissances et de pratiques liées à la statistique. Le deuxième ouvrage explore le développement de la relation entre les nombres et la médecine. Il comprend des études qui s’intéressent à l’usage de méthodes quantitatives et mathématiques, entre le XVIIe siècle et le XXe siècle, dans la configuration du registre civil et en médecine, y compris les essais médicaux. Le troisième ouvrage s’intéresse à l’histoire de statistique médicale comme forme d’objectivité et rassemble des travaux sur la quantification en médecine depuis le XVIIIe siècle jusqu’à nos jours3. En Amérique latine, les études concernant l’histoire des statistiques officielles, en particulier les censitaires, ont commencé à se multiplier. Les cas les plus étudiés sont ceux du Brésil et de l’Argentine. Le sujet a aussi attiré l’attention de quelques historiens chiliens et mexicains. L’ensemble est déjà divers, car les approches couvrent l’histoire des statistiques officielles, l’histoire des institutions spécialisées, des travaux de sociologie historique de la statistique publique, en passant par des recherches sur les catégories de population et de race dans le contexte des statistiques publiques, jusqu’à des études sur les statistiques censitaires et leurs portées dans la construction d’une idée de nation et des identités nationales4. Afin de 3
Jean-Pierre Beaud et Jean-Guy Prévost, éd., L’ère du chiffre: systèmes statistiques et traditions nationales / The age of numbers: statistical systems and national traditions (Sainte-Foy: Presses de l’Université du Québec, 2000); Eileen Magnello et Anne Hardy, éd., The road to medical statistics (Amsterdam ; New York, NY: Rodopi, 2002); érard Jorland, Annick pinel, et eorge Weis , éd., Body counts: medical quantification in historical and sociological perspective / la quantification medicale, perspectives historiques et sociologiques (Montréal: McGill-Queen’s University Press, 2005). 4 Nelson de Castro Senra, História das estatísticas brasileiras (1822-2002), 4 vol. (Rio de Janeiro: IBGE , Centro de Documentação e Disseminação de Informações, 2009); Alexandre de Paiva Rio Camargo, « Números para o progresso: um panorama da atividade estatística na Primeira República », in Bulhões de Carvalho: um médico cuidando da estadística brasileira, par Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística (Rio de Janeiro: IBGE. (Memória Institucional, 11), 2007), http://www.ibge.gov.br/home/presidencia/noticias/pdf/bulhoes.pdf; Hernán González Bollo, La fábrica de las cifras oficiales del Estado argentino (1869-1947) (Buenos Aires: Universidad Nacional de Quilmes, 2014); Hernán Otero, Estadística y nación: una historia conceptual del pensamiento censal de la Argentina moderna, 1869-1914 (Buenos Aires: Prometeo Libros Editorial, 2006); República de Chile, Retratos de nuestra identidad: los censos de población en Chile y su evolución histórica hacia el bicentario, 1. ed (Santiago: Instituto Nacional de Estadísticas - INE, 2009); Yuri Carvajal Bañados et Tuillang Yuing Alfaro, « Gramáticas de vida: el censo de 1907 y la población como uso de gobierno », o História, Ciências, Saúde-Manguinhos 20, n 4 (2013): 1473‑89; « Las estadísticas públicas en El Monitor o republicano: administrar con números », Estatística e Sociedade, n 2 (2012): 112‑27; Francisco Casanova del Angel, « Ensayo histórico del desarrollo de la estadística en México », El portulano de la o ciencia II, n 13 (2005): 451‑98; Instituto Nacional de estadística y geografía (México), 125 años de la Dirección general de estadística 1882-2007 (México: INEG, 2009), http://unstats.un.org/unsd/wsd/docs/Mexico_wsd_125_anos_DGE.pdf.
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promouvoir le dialogue entre pays américains concernant l’étude des statistiques dans une perspective historique, deux rencontres académiques ont été réalisées en 2009 et 2010. Si l’absence de chercheurs colombiens a été notable, ces rencontres ont compté avec la participation des chercheurs canadiens, brésiliens, argentins et mexicains et ont abouti à la publication de deux ouvrages collectifs qui contiennent des travaux sur les outils méthodologiques pour écrire l’histoire des statistiques, des études sur les institutions et sur les acteurs de la statistique5. Au de-là de l’histoire des recensements, l’historiographie latino-américaine a montré un intérêt nouveau pour les études sur la production et l’usage des statistiques démographiques et de santé publique6. Pour l’Argentine, Di Liscia a analysé l’utilisation des registres de morbidité et de mortalité dans les territoires nationaux lors de l’instauration de projets hygiénistes et des politiques de santé publique. Les territoires nationaux étaient les zones annexées au pays dans les dernières décennies du XIXe siècle, après les campagnes militaires contre les indigènes. Dans ces ones l’administration était exercée directement par le gouvernement national et l’organisation de la statistique démographique. La mise en œuvre de campagnes nationales d’hygiène dans ces territoires s’est vue confrontée à des grandes régions de faible et disperse population. Bien que le Département national d’hygiène ait mis l’accent sur la production des registres statistiques périodiques comme une source centrale de l’action sanitaire, Di Liscia a montré que l’absence des statistiques démographiques et de santé dans ces territoires n’a pas empêché l’institutionnalisation, quoique tardive, de politiques d’hygiène publique. Au cours des années 1910, la création des premières institutions d’assistance publique dans les territoires nationaux, réunissant différents aspects des soins médicaux et de la surveillance sanitaire, tenta de remplacer les rapports réalisés par les médecins-voyageurs et le registre irrégulier des fonctionnaires de l’administration territoriale du registre civil. À cause des conditions géographiques spéciales de ces territoires et des problèmes budgétaires du département national d’hygiène, la portée de ces institutions d’assistance aura été très limitée, aussi bien que sa capacité de produire des statistiques de santé. Dans son étude, Di Liscia met en évidence l’adoption officielle pour ces territoires 5
Nelson de Castro Senra et Alexandre de Paiva Rio Camargo, éd., Estatísticas nas Américas: por uma agenda de estudos históricos comparados (Rio de Janeiro: IBGE , Centro de Documentação e Disseminação de Informações, 2010), http://biblioteca.ibge.gov.br/visualizacao/livros/liv44323.pdf; Cesar Vaz de Carvalho Junior et al., éd., Em associação das Américas, as estatísticas públicas como objeto de estudo, Série Estudos e pesquisas 90 (Salvador - Bahia: SEI, 2011). 6 Dans le cadre des commémorations du bicentenaire de l’indépendance de Mexique fut publié un ouvrage sur les statistiques de santé nationales. Voir : Claudia Agostoni et Carlos Andrés Ríos Molina, Las estadísticas de salud en México: ideas, actores e instituciones, 1810-2010 (México, D.F: UNAM, Instituto de Investigaciones Históricas : Secretaría de Salud, Dirección eneral de Información en Salud, 2010).
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nationaux, pendant les décennies 1930 et 1940, des réformes sanitaires concernant la création des centres de protection maternelle infantiles et la préparation d’un inventaire des professionnels et des institutions de santé, en particulier, celles dédiées à la prophylaxie des maladies vénériennes. Ces réformes ont été mises en œuvre sans que, pour autant, on puisse mettre évidence un rapport entre elles et une connaissance préalable des conditions locales. Selon cette historienne, dans les faits, ces activités se sont insérées dans un agenda national, où la question de la dégénérescence de la population était à l’ordre du jour et l’affaiblissement du taux de fécondité inquiétait les autorités nationales7. Dans le cadre de ces craintes du gouvernement argentin d’une possible dénatalité du pays compte tenu des taux élevés de mortalité infantile, cette même historienne a aussi examiné les programmes d’assistance sociale implémentés à l’époque pour lutter contre « la dégénérescence de la population, le paupérisme et la dépopulation ». Di Liscia explore la manière dont les fonctionnaires et les programmes des services de maternité ont promu, dans les secteurs populaires, la pratique du mariage afin de réduire la mortalité infantile. Par le biais des statistiques, ces médecins ont établi que la morbidité et la mortalité infantiles étaient plus élevées chez les enfants nés en dehors du mariage, ou illégitimes, que chez les enfants légitimes. Devant le nombre très élevé de femmes célibataires qui étaient suivies dans les services de maternité — réalité qui minait l’idéal normatif de la famille de l’époque — les fonctionnaires de santé voyaient émerger le fantôme de la dénatalité du pays. La création des services de maternité dans le pays avait aidé à réduire la mortinatalité. Mais la situation de la mortalité infantile n’était toujours pas satisfaisante. Di Liscia démontre qu’au-delà de l’assistance médicale et matérielle décernée aux mères, les services de maternité argentins de la période 1935-1948 ont fait appel à la valorisation du mariage et de la descendance légitime comme stratégie pour combattre la mortalité infantile au niveau national. La volonté de transformer l'état matrimonial des mères célibataires était évidente dans certaines pratiques des services sociaux. Une impulsion qui allait au-delà des intérêts médicaux, mais qui était certainement liée à ceux-ci. Par exemple, les mères célibataires pouvaient recevoir de bénéfices financiers ou matériels si elles changeaient de statut civil. Les fonctionnaires de ces services sociaux, dans lesquels travaillait aussi le personnel de l’église, assistaient les mères dans les démarches administratives comme l’obtention du certificat prénuptial, la légalisation des unions matrimoniales et la légitimation des enfants nés hors mariage. Selon Di Liscia, l’efficacité de ces pratiques sur la réduction de la mortalité infantile, et dans un sens plus large
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Maria Silvia Di Liscia, « Cifras y problemas: Las estadísticas y la salud en los Territorios Nacionales o (1880-1940) », Salud colectiva 5, n 2 (2009): 259‑78.
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celle de la promotion du mariage, n’ont pas fait l’objet d’aucune évaluation par les autorités de santé8. L’historienne Claudia Daniel a étudié les liens entre le développement de la profession médicale et les pratiques statistiques en Argentine. Selon elle, depuis la création, en 1880, de la Direction nationale de statistique, les médecins ont eu un rôle considérable sur la rationalité statistique dans le pays. Depuis leurs postes institutionnels, ces médecins-hygiénistes ont guidé l’établissement des routines de quantification dans les bureaux officiels et ils ont introduit des études et des outils statistiques dans le cadre d’une « politique scientifique » en faveur de la société. À Buenos Aires, l’agenda d’intervention en santé publique était légitimé par des outils quantitatifs. Les statistiques vitales étaient une mesure des progrès que la ville faisait en matière d’hygiène. Néanmoins, au début du XXe siècle, la participation des médecins à l’institutionnalisation de la pratique statistique nationale s’est fort affaiblie. D’après Daniel, à l’origine de cette transformation se trouve, d’un côté, le désintérêt manifesté par les médecins pour la formation d’un personnel spécialisé dans l'application des outils quantitatifs. De l’autre, les difficultés qu’ils ont eues pour construire un consensus solide autour de la méthode numérique. D’ailleurs, en 1911, la Direction nationale d’hygiène créa la Section de démographie et de géographie médicale (SDGM), un organisme dont le but initial était « la production des statistiques exactes des maladies infectieuses-contagieuses » pour améliorer la condition des populations les plus touchées. Depuis sa création et jusqu’à 1940, cette section a été sous la direction d’une femme, Adela Zauchinger, qui était diplômée en médecine de l’Universidad de Buenos Aires en 1910. La SDGM fut chargée principalement des statistiques de natalité, de nuptialité et de mortalité du pays. La santé des enfants a été au centre des débats démographiques et d’hygiène publique de l’Argentine, et parmi les quantifications prioritaires de la SDGM on trouve le taux de la mortalité infantile et le calcul des naissances illégitimes. Néanmoins, comme le montre bien Daniel, à cause des limitations de type opérationnel, organisationnel et financier, cette institution n’a pas réussi à avoir une place importante dans la structure étatique de la statistique argentine. Plus précisément, à l’intérieur du pays, l’organisation limitée des bureaux de statistiques et des registres civils affectait la centralisation des données ; il y avait aussi une certaine réticence de la part des bureaux à retransmettre et centraliser l’information à la SD M. Le faible budget alloué par le Congrès de la République à cette section empêchait son fonctionnement correct et la publication des données. En outre, le fait que la section était dirigée par une femme dans un contexte presque exclusivement masculin a sûrement augmenté, selon Daniel, les réticences des fonctionnaires 8
Maria Silvia Di Liscia, « Hijos sanos y legítimos: sobre matrimonio y asistencia social en Argentina (1935-1948) », História, Ciências, Saúde-Manguinhos 9 (2002): 209‑32.
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subordonnés et favorisé la marginalisation de la section dans l’organisation étatique de la statistique nationale9 La participation des médecins aux services nationaux de statistique est un sujet qui a été aussi exploré par des historiens du Brésil et du Mexique. Au Brésil, pendant la période 1889-1930, le système statistique officiel a été marqué par l’action des médicosdemografistas ou demográfos-sanitaristes (Sanitarian-Demographers). Formés en médecine, diplômés dans la plupart des cas avec des thèses de doctorat en épidémiologie ou en santé publique, ils ont occupé postes d'importance dans les institutions d'hygiène. À la fin du XIXe siècle et à l'aube du XXe siècle, ils dirigèrent l'organisation des institutions de statistique et apportèrent une dimension théorique importante à la production et à l'analyse des données officielles, promouvant aussi son utilisation dans la prévention des maladies et dans la réalisation de certaines réformes urbaines10. Le cas du médecin brésilien Bulhões Carvalho (1886-1940) est assez emblématique. Sa fonction publique commença en 1892 au poste de commissaire du service d’hygiène publique, où il a servi aussi comme adjoint de démographe. En 1903, il est nommé médecin-démographe dans la section de démographie sanitaire de la Direction générale de santé publique, institution qui, à l’époque, était dirigée par swaldo Cru . Pendant sa fonction, il prépara des données statistiques et graphiques sur l'incidence des maladies endémiques dans la ville, en particulier celles d'une mortalité élevée comme la fièvre jaune, la variole et la peste bubonique. Des chiffres qui ont été à la base des réformes hygiéniques proposés pour la ville de Rio de Janeiro par O. Cruz. En 1907, Bulhões Carvalho devint chef de la Direction générale de statistique du pays, fonction qui avait toujours été exercée par des ingénieurs ou des avocats. En 1909, à cause de changements politiques, il abandonna le poste. En 1915, il reprit sa fonction de directeur et consolida la DNS pour réaliser le recensement national de 1920. En
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Claudia Daniel, « Contar para curar: estadísticas y comunidad médica en Argentina, 1880-1940 », o História, Ciências, Saúde-Manguinhos 19, n 1 (2012): 89‑114. 10 Marco Aurelio Marins Santos, « Demógrafos-sanitaristas: vida e morte pelas estatísticas », in História das estatísticas brasileiras. Estatísticas legalizadas: (c. 1899- c. 1936) vol II, éd. par Nelson de Castro Senra (Rio de Janeiro: IBGE, 2006), 225‑75, http://pesquisa.bvsalud.org/portal/resource/pt/lil-488437; Alexandre de Paiva Rio Camargo, « Demografia sanitária e a emergência de um estilo de raciocínio estatístico na Primeira República » (XVIII. Encontro Nacional de Estudos Populacionais. Transformações na população brasileira: complexidades, incertezas e perspectivas, Águas de Lindóia, SP: Associaçã Brasileira de Estudos Populacionais, 2012), http://www.abep.nepo.unicamp.br/xviii/anais/files/ST33%5B393%5DABEP2012.pdf.
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1925 et 1927, il assista comme délégué du Brésil aux réunions de l’International Statistique Institute ISS. En 1931, il quitta le poste de directeur à la DNS pour prendre sa retraite11. Pendant la seconde moitié du XIXe siècle, et au sein de la Sociedad Mexicana de Geografía y Estadística SMGE, créée depuis 1833, se forma un groupe de spécialistes en statistique. Ils ont entrepris des études quantitatives à différentes échelles territoriales, dans lesquelles ils ont aussi réfléchi sur les défis que leurs conditions économiques et politiques leur imposaient. La SMGE, dont les buts initiaux étaient la préparation d’une carte territoriale et l’établissement de la statistique nationale, avait une revue dans laquelle furent reproduites des études réalisées par des médecins et consacrées à des statistiques démographiques, de santé et à des géographies médicales12.Les médecins ont aussi participé à l’administration des services nationaux de statistiques mexicains. Il est remarquable que la Direction nationale de statistique (DGS) du Mexique ait été sous la tutelle du médecin Antonio Peñafiel pendant 28 ans (1883-1910). En 1890, et avec l’aide du Conseil supérieur de santé, cet organisme accomplit le premier recensement municipal de la ville de Mexico. Sous la direction de Peñafiel ont été réalisés les trois premiers recensements nationaux de la population (1895, 1900 et 1910). D’ailleurs, en 1893, la D S a établi l’usage de la nomenclature de Bertillon pour les causes des décès et les normes pour suivre les statistiques vitales ont été fixées pour tout le pays13. Sous la direction de Peñafiel fut publié le premier annuaire statistique du pays (1894), dans lequel on trouve, entre autres, le mouvement de la population, les décès par typhus et variole, et la mortalité dans la municipalité de Mexico14 11
Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística, éd., Bulhões de Carvalho: um médico cuidando da estadística brasileira (Rio de Janeiro: IBGE - Memória Institucional, 11-, 2007), http://www.ibge.gov.br/home/presidencia/noticias/pdf/bulhoes.pdf. 12 L’étude du médecin José María Reyes sur la mortalité au Mexique et l’essai de statistique démographique sur la mortalité dans l’État de Morelos, du médecin Vicente Reyes, publiés dans cette revue, ont été reproduits dans le livre : Agostoni et Ríos Molina, Las estadísticas de salud en México. 13 Instituto Nacional de estadística y geografía (México), 125 años de la Dirección general de estadística 1882-2007, 25‑37. 14 D’ailleurs, une étude de la chercheuse Laura Cházaro montre que pendant le XIXe siècle les médecins mexicains ont aussi eu une participation importante dans les compagnies d’assurance pour l’élaboration des calculs de probabilités de l’espérance de vie. Selon Chá aro, au Mexique, le champ statistique a émergé dans le croisement du champ scientifique, du marché – par le développement des assurances vie – et de l’État, ce dernier très évident dans les liens existants entre les médecins et l’élite dirigeante. Laura Cházaro, « La vida y su valor a discusión: juicios médicos y cálculos de probabilidades entre médicos mexicanos del siglo XIX », in Estatísticas nas Américas: por uma agenda de estudos históricos comparados, éd. par Nelson de Castro Senra et Alexandre de Paiva Rio Camargo (Rio de Janeiro: IBGE , Centro de Documentação e Disseminação de Informações, 2010), 313‑29, http://biblioteca.ibge.gov.br/visuali acao/livros/liv44323.pdf; Pour l’annuaire voir : Instituto Nacional de Estadística, Geografía e Informática, « Catálogo de documentos históricos de la estadística en México (Siglos XVI-XIX) », www.inegi.gob.mx, 2005, 264‑265, www.inegi.gob.mx/prod_serv/contenidos/espanol/bvinegi/productos/integracion/especiales/cdhem/C DHEM_Intra1.pdf.
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Comme nous allons le montrer, à la différence des cas argentin, brésilien et mexicain, en Colombie le rôle des médecins hygiénistes dans l’administration des services nationaux de statistiques a été plutôt médiocre et très tardif. Concrètement, la participation de médecins professionnels dans la direction des services de démographie nationale de Colombie n’arriva qu’à la fin des années 1920, sans qu’elle ait perduré15. Cette situation, associée à la composition très instable du service national de statistique — service qui a eu du mal à mettre en œuvre de façon régulière et fiable des recensements de la population —, à un budget toujours déficitaire et à un nombre dérisoire des fonctionnaires publics, va affecter l’établissement des routines de quantification et la production des indicateurs nationaux démographiques et de la santé. Encore à la fin des années 1940, l’absence de tables de mortalité (ou de survie) pour la population colombienne a permis (ou obligé) les compagnies d’assurance à réaliser leurs calculs de tarification par l’usage des tables étrangères. Tables qui selon des experts de l’époque étaient favorables aux assurances, car elles appartenaient à des pays tropicaux plus insalubres que la Colombie et dont l’espérance de vie était inférieure16. En Colombie, les premières contributions dans le domaine de l’histoire de la statistique officielle ont été présentées sous la forme d’une histoire évènementielle. De manière générale, celles-ci montrent chronologiquement l’évolution institutionnelle de la statistique nationale. Il faut noter tout d’abord Lecciones de estadística de Jorge Rodríguez (1928), ouvrage condensant les leçons de statistique que Rodriguez donnait aux étudiants de la Faculté de droit et de sciences politiques à l’Universidad de Antioquia, et aux étudiants d’ingénierie à la Escuela de Minas de Medellín. Ce texte technique qui inclut quelques remarques historiques, et ses subséquentes rééditions (1935, 1940, 1946), deviendra un livre d’étude classique de statistique pendant la première moitié du XXe siècle dans le pays17. On
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En fait, sur un catalogue de fonctionnaires dédiées aux statistiques en Colombie, préparé en 1940 par un employé de la Contraloría, on note que la plupart des 37 personnes répertoriées ont eu une formation en économie, ingénierie ou droit. Roberto Concha, à qui nous avons dédié une section de cette thèse, est le seul médecin de la liste. Inter-American Statistical Institute., éd., Statistical activities of the American nations, 1940; a compendium of the statistical services and activities in 22 nations of the western hemisphere, together with information concerning statistical personnel in these nations (Washington, D.C: Inter American statistical institute, 1941), 703‑708. 16 À partir des données du recensement de 1928 et de celles des décès de 1929 à 1941, Jorge Rodríguez e calcula, pour sa 4 édition de Lecciones de estadística (1946) une table de mortalité pour le pays. Selon celle-ci, la vie moyenne d’un habitant de 20 ans était 44 ans, néanmoins il devait payer les primes e d’assurance comme s’il aura vivre seulement 35 ans. Jorge Rodríguez, Lecciones de estadística, 4 éd. (Medellín: Imp. oficial, 1946), 29. 17 Dans la section consacrée à la statistique en Colombie, Rodríguez retranscrit une synthèse historique préparée quelques années auparavant par Carlos Cock, dans laquelle il fait mention des évènements les plus importants relatifs aux quantifications de la population et à la statistique officielle depuis 1770 jusqu’à 1910. Cette section contient aussi une liste des lois, décrets et ordenanzas, sur l’organisation de
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retient aussi le texte des membres de l’Académie d’histoire colombienne Enrique D’Costae et Gerado Arrubla (1935), préparé à l’initiative de la Contraloría, synthèse des statistiques de la période de la Conquête, de l’époque coloniale et de l’époque républicaine, y compris la publication, en 1876, de l’ouvrage Estadistica de Colombia18. Une autre contribution est le livre La estadística nacional, su organización, sus problemas (1938), rédige par Carlos Lleras Restrepo, directeur de la Contraloría de 1936 à 1938. Cet ouvrage fut conçu avec l’idée de faire partie d’une collection d’études administratives, à destination des professeurs, hommes politiques et fonctionnaires, présentant de l’information sur les principes et les buts de l’organisation des différentes sections de la Contraloría. Le projet de la collection n’a pas eu de suite et le livre de Lleras Restrepo a été le seul publié. Il expose l’organisation administrative du système de statistique nationale en Colombie après la réforme de 1935, en montrant la portée de cette nouvelle réforme et les difficultés auxquelles devaient faire face les bureaux de statistique du pays. Il inclut par une annexe des principales dispositions légales sur la statistique nationale et les recensements de population19. En 1941, l’Allemand Paul Hermberg20, conseiller technique de statistique de la Contraloría de 1936 à 1939, a rédigé un article sur les activités statistiques en Colombie21. La préparation et la circulation de l’article de Hermberg s’inscrivent dans un contexte différent
la statistique nationale et régionale, et sur la préparation des recensements de population. Jorge Rodríguez, Lecciones de estadística (Medellín: Imp. oficial, 1928), 343‑352. 18 Enrique tero D’Costa et erardo Arrubla, « Reseña sobre la historia de la estadística en Colombia », o Boletín de historia y antigüedades 22, n 249‑50 (1935): 254‑60. 19 Pendant sa vie Carlos Lleras Restrepo a occupé différentes fonctions administratives en Colombie et à l’extérieur. Après son passage pour la Contraloría, il devint ministre du Trésor pendant les périodes présidentielles des libéraux Eduardo Santos Montejo (1938-1942) et d’Alfonso Lópe Pumarejo (19421945). En 1945, il a été élu vice-président du Conseil économique et social (ECOSOC) des Nations Unies à Londres. En 1966, il se présenta comme candidat libéral aux élections présidentielles et gagna le scrutin. Carlos Lleras Restrepo, La estadística nacional: su organización, sus problemas (Bogotá: Imprenta Nacional, 1938); Otto Morales Benítez et Rafael Merchán Álvarez, éd., Carlos Lleras Restrepo. Obras selectas, vol. V. Memorias (Escuela Superior de Administración Pública -ESAP, 2007), 166‑186. 20 Paul Hermberg (1888-1969) a suivi des études en économie et statistique à Kiel, où il obtient son doctorat. Pendant les années 1920, il a été professeur en statistique économique et sociale, d’abord à l’Université de Leip ig et ensuite à l’Université d’Iéna. À cause de la montée du na isme, en 1933 il demanda sa retraite. En 1936, il émigra en Colombie, où il travailla pour le gouvernement local. En 1940, il est allé vivre aux États-Unis pour travailler comme économiste dans la Division of Research and Statistics, Federal Reserv Bank à Washington, D.C. En 1956, il retourna à la République fédérale, où il travailla de professeur à l'Université libre de Berlin. Klemens Wittebur, Die deutsche Soziologie im Exil, 1933-1945: eine biographische Kartographie (LIT Verlag Münster, 1991), 62. 21 L’article fut publié dans la même année à l’étranger et en Colombie. Inter-American Statistical Institute, Statistical activities of the American nations, 1940: a compendium of the statistical services and activities in 22 nations of the western hemisphere, together with information concerning statistical personnel in these nations (Washington, D.C: Inter-American Statistical Institute, 1941), 198‑248; Paul o Hermberg, « Las actividades estadísticas de Colombia », Anales de economía y estadísticas IV, n 8 (1941): 21‑40.
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des autres contributions citées auparavant, car elles sont encadrées dans le processus d’internationalisation et de standardisation des statistiques des Amériques. En 1940, un groupe de membres de l’International Institute of Statistics (IIS) proposa la création temporaire de l’Inter-Americain Statistical Institute (Institute Inter Américain de Statistique, IIAS) pour maintenir les activités conduites par l’IIS dans la région, que le déclenchement de la Seconde
uerre mondiale avait interrompue. Le projet de création de l’IIAS pariait sur le
développement et l’amélioration de l'information statistique des Amériques. Il aspirait à rendre fort les organismes statistiques nationaux pour qu'ils puissent répondre à des questions nécessaires à des fins internationales. Par exemple, la préparation d’un recensement hémisphérique de la population simultané, dans chaque nation, en employant certaines normes fixées par l'IIAS pour garantir la couverture et la fiabilité des données et les rendre comparables22. Après la création de l’IIAS, l’une de ses premières activités fut la préparation d’un compendium de l’état de l’activité statistique des nations membres. L’ouvrage, publié en 1941, contient un article pour chacune des 22 nations membres, dont un sur la Colombie rédigé par Hermberg. Dans chaque article il y a un exposé de l'organisation de la statistique officielle et de l'historique de son développement dans le pays respectif, y compris un aperçu des recensements ayant eu lieu, des principaux services officiels sans caractère statistique qui s'occupent de rassembler des données statistiques, et des principales publications officielles statistiques paraissant périodiquement. Ils y traitent également l'enseignement de la statistique, les bibliothèques de statistique, les sociétés de statistique et les principaux services statistiques semi-officiels et non-officiels ainsi que leurs publications périodiques23. Dans son texte sur la Colombie, Hermberg suivit le plan proposé par l’IIAS : données de l’hygiène et de l’assistance sociale, statistiques du fisc, de l’administration publique, de la justice et du commerce extérieur. Sur ce dernier sujet, l’information de l’article est plus vaste et détaillée. Quant à la situation du pays, Hermberg nota qu’à l’époque les facultés de droit, science politique et commerce de six universités proposaient des cours réguliers de statistique. Parmi les professeurs en charge, quatre ont été formés en ingénierie, un avait suivi des études à l’étranger, et le dernier avait une formation empirique. Selon Hermberg, la plupart des 1 000 22
United States. Congress et Inter-American Statistical Institute, Inter-American Statistical Institute. Hearings before the Committee on Foreign Affairs, House of Representatives, Seventy-Ninth Congress, First Session, on H. R. 688 (Washington, D.C: U.S. Govt. Print. ff., 1945); L’ingénieur Juan de Dios Higuita, directeur national de statistique a représenté la Colombie dans l’IIAS. Luis Vidales, « Notas o editoriales. Instituto Interamericano de Estadística », Anales de economía y estadísticas IV, n 9 (1941): 1 ‑2. 23 Les non-membres étaient le Guatemala, Haïti, le Honduras, le Nicaragua, le Paraguay et l'Uruguay. Inter-American Statistical Institute, Statistical activities of the American nations, 1940.
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fonctionnaires de statistique existants dans le pays en 1940 ne comptaient pas une formation universitaire en statistique24. L’appel à des experts étrangers va être un recours utilisé dans certains cas. Comme nous l’analyserons dans la thèse, l’absence de personnel qualifié, associé à une bureaucratie faible mais très politisée vont être des obstacles importants à la consolidation des services officiels de statistique et à la production des indicateurs démographiques et de la santé en Colombie. Il faut signaler deux autres contributions classiques de l’histoire de la statistique en Colombie : Desarrollo histórico de la estadística nacional en Colombia (1954) de Alberto Charry Lara et Historia de la estadística en Colombia (1978) de Luis Vidales. Ces deux ouvrages ont été rédigés par d’anciens fonctionnaires de la statistique25. Le livre de Charry Lara est une relation chronologique des événements et des lois les plus importantes concernant l’activité statistique du pays depuis l'époque précoloniale jusqu’aux années 195026. Celui de Vidales, moins événementiel et un peu plus analytique par sa description des problèmes de l’organisation de la statistique nationale, reprend les activités officielles de la période comprise entre la statistique coloniale et ses recensements tributaires et les activités du Departamento Administrativo Nacional de Estadistica (Département administratif national de statistique, DANS) des années 197027. L’historiographie colombienne récente (que ce soit celle réalisée par les historiens ou celle des professionnels de la statistique) n’a accordé presque aucune attention à l’histoire de l’appareil statistique national — ceci entendu comme l'ensemble des institutions, des outils, des connaissances et des agents spécialisés qui composent le dispositif technique-
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Hermberg, « Las actividades estadísticas de Colombia », 21. Charry Lara (1904-1967), journaliste libéral avec une formation en droit, débuta en 1947 comme fonctionnaire des services nationaux de statistique. En 1959, il devint directeur national de statistique, poste où ’il s’exerça jusqu’à sa mort en octobre 1967. « Alberto Charry Lara », El Tiempo, 6 octobre o 1967, Casa editorial El Tiempo édition; « Doctor Alberto Charry Lara », Boletín mensual de estadística, n 198 (1967): 1; Luis Vidales (1904-1990) est remémoré comme poète d’avant-garde. Il a suivi des études en économie et en sociologie à Bogota et à Paris; participa à la création du parti communiste colombien en 1930. Il fonda plusieurs revues littéraires où il publia une partie de ses textes. Il fut Consul général de la Colombie à Gênes et professeur universitaire en Colombie. Son parcours comme fonctionnaire de statistique a été moins exploré. n a constaté qu’en 1950, il participa au deuxième Congrès interaméricain de statistique, tenu à Bogota. Il a travaillé pendant plusieurs années au Departamento Administrativo Nacional de Estadística DANE. Il semble qu’il était fonctionnaire de cet organisme lorsqu’il a pris sa retraite, peut-être en 1977 ou 1978. Isaías Peña Gutiérrez, « Luis Vidales », El Tiempo, lecturas dominicales, 13 août 1978, Casa editorial El Tiempo édition; « Detenido el poeta Luis Vidales », El Tiempo, 5 avril 1979, Casa editorial El Tiempo édition. 26 Alberto Charry Lara, Desarrollo histórico de la estadística nacional en Colombia (Bogotá: Departamento administrativo de planeación, 1954). 27 Luis Vidales, Historia de la estadística en Colombia, 1. ed (Bogotá: Banco de la República, 1978). 25
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bureaucratique de comptabilité sociale et d'enregistrement systématisé des données28. On notera cependant les travaux de Mayor Mora et Fabián Prieto. En 2002, Alberto Mayor Mora publia une étude sur le rôle de l’Escuela Nacional de Minas (École Nationale de Mines, ENM) — un des principaux centres de formation des ingénieurs en Colombie — dans la professionnalisation de la statistique dans le pays pendant la période 1900-1940. Il montre que le métier de statisticien a été exercé à temps partiel par des ingénieurs et que la formation en statistique à l’ENM, proche de la tradition de la sociologie positiviste française, mettait l’accent sur la statistique appliquée délaissant la statistique théorique et mathématique. C’est à la fin des années 1920 que l‘historien Mayor Mora repère des tentatives pour fonder les statistiques appliquées sur les mathématiques comme un élément essentiel pour déterminer des causes, établir des lois, et prédire des faits physiques et sociaux. Néanmoins, Mayor Mora avertit que dans l’enseignement de la statistique à l’ENM et aux facultés de droit — où le cours de statistique était aussi obligatoire — ces tentatives n’ont pas perduré. Ainsi, l’aspect pratique gagna du terrain et les travaux de théorie de probabilités n’ont pas été discutés29. En 2005, Fabián Prieto publia une étude sur l’histoire du recensement de la population colombienne en 1912. Il analyse comment la préparation et la réalisation de ce recensement ont été guidées, non seulement par la nécessité de disposer des chiffres exacts et uniformes pour l’ensemble du pays, mais aussi par le fait que ces chiffres soeint aussi des indicateurs de la capacité de l’État à compter ses habitants. En outre, Prieto démontre que, si le décompte de 1912 a considéré la quantification des femmes et des indigènes, il était certain que la population cible du gouvernement a été celle des citoyens, c’est-à-dire des hommes adultes (21 ans ou plus) susceptibles de voter aux élections. En ignorant les travaux de Hermberg et de Mayor Mora, et peut-être avec une vision trop optimiste, Prieto suggère dans ses conclusions qu’à la suite de la réalisation du recensement de 1912, la réorganisation des statistiques officielles et la mise en œuvre des normes imposant l’enseignement de la statistique dans certaines facultés, vont se traduire par « le développement d’une statistique plus scientifique dans l’administration étatique, renforcée par l’expansion quantitative de la bureaucratie »30. Il s’agit-là d’un optimisme illusoire, car on décèlera dans cette thèse le contraire : les constantes difficultés du gouvernement colombien pour produire des statistiques démographiques et de
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Cette définition est reprise de : Claudia Daniel, « El estado argentino y sus estadísticas. El derrotero de un largo proceso de institucionalización (1864- 1968) », Illapa Revista Latinoamericana de Ciencias o Sociales 2, n 5 (2009): 151‑73. 29 Alberto Mayor Mora, « La Escuela nacional de minas de Medellín y los orígenes de la estadística en o Colombia, 1900-1940 », Revista Colombiana de estadística 25, n 2 (2002): 73‑96. 30 Fabián Prieto, « Una anatomía de la población colombiana: la técnica estadística en Colombia y el o levantamiento del censo de población de 1912 », Memoria y sociedad 9, n 19 (2005): 55‑67.
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santé de caractère scientifique et fiable, propres aux impératifs d’un État moderne. Les réformes et la législation nationales vont suivre des lignes directrices signalées par l’internationalisation et la standardisation des statistiques, mais leur application, non toujours aisée à retracer, va être loin des attentes administratives et étatiques. Du point de vue des études d’histoire des sciences, en particulier celles concernant l’histoire de la médecine et de la santé publique en Colombie, le problème de la production et de l’usage des chiffres est un sujet inexploré, abordé de manière seulement transversale dans quelques travaux. Le livre sur les 100 ans de l’ rganisation Panaméricaine de la Santé en Colombie donne des pistes sur l’appel de médecins dans les années 1920 sur la nécessité d’établir dans le pays des statistiques démographiques et de santé comme la base de l’administration de l’hygiène publique. La surveillance dans les ports des maladies infectieusescontagieuses et leur quantification était une des exigences des accords internationaux d’hygiène auxquelles devaient faire face les autorités de santé locale. Cet ouvrage donne aussi des pistes sur la création, dans les années 1940, du Bureau national de biostatistique31. Les problèmes des chiffres ont été repris dans le contexte de l’histoire de la lèpre et de la professionnalisation de la pratique médicale, dans lequel les chercheurs ont signalé l’usage des estimations exagérées du nombre des lépreux en Colombie. Les chiffres ont été tellement effrayants que la Colombie a été considérée à la fin du XIXe siècle comme le pays comptant le plus de lépreux dans le monde32. En outre, dans ses travaux sur l’histoire de l’Hospital San Juan de Dios de Bogota (1635-1895), Estela Restrepo a retracé la mise en place, en 1874, de la nosologie du Royal College of Physicians de Londres pour la réalisation des diagnostics à l’hôpital et pour la préparation des statistiques de morbidité subséquentes. Sans approfondir le sujet, elle mentionne que l’usage de cette nosologie s’est prolongé jusqu’aux années 1900, restant à la base des statistiques de mortalité de la capitale du pays. Il n’existe aucun travail sur le problème de la quantification de la mortalité à l’échelle du territoire national33. 31
Mario Hernández Álvarez et al., « La Organización Panamericana de la Salud y el estado colombiano. Cien años de historia 1902-2002 », OPS/OMS Colombia, 2002, www.col.opsoms.org/centenario/libro/OPSestado100_print.htm. 32 Par sa singularité, et pour repérer des éléments de compréhension pour nos propos, nous allons présenter une synthèse de l’affaire de la lèpre dans un passage de la thèse. Cf : Abel Fernando Martínez et Samuel Alfonso Guatibonza, « Cómo Colombia logró ser la primera potencia leprosa del mundo. 18691916 », Colombia médica 36 (2005): 244‑53; Diana Obregón, « The state, physicians and leprosy in modern Colombia », in Disease in the history of modern Latin America: from malaria to AIDS, Diego Armus (Duke University Press, 2003), 130‑57; Batallas contra la lepra: estado, medicina y ciencia en Colombia (Medellín: Universidad Eafit, 2002); « Building National Medicine: Leprosy and Power in o Colombia, 1870-1910 », Social History of Medicine 15, n 1 (2002): 89‑108. 33 Estela Restrepo Zea, El Hospital San Juan de Dios, 1635-1895: una historia de la enfermedad, pobreza y muerte en Bogotá (Bogotá: Universidad Nacional de Colombia, Sede Bogotá, Facultad de Ciencias Humanas, Departamento de Historia, Centro de Estudios Sociales-CES, 2011); « Nosología metódica del
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Au-delà de simplement combler une lacune de l’historiographie, cette thèse vise à comprendre la façon dont s’est configuré un savoir quantitatif sur la population et la santé publique en Colombie. Nous reviendrons dans un premier temps sur les origines des bureaux de statistiques nationales et les modes de production et d’usage des chiffres démographiques et de santé pendant la seconde moitié du XXe siècle. Nous chercherons à voir comment a été institutionnalisée la statistique officielle, en tentant d’aborder le processus par lequel la population est devenue à la fois l’objet de la connaissance et des politiques étatiques dans l’histoire du pays. Dans un second temps, nous aborderons, à partir de deux études de cas — la lutte contre la mortalité infantile et la surveillance des épidémies — la production et l’usage des statistiques pendant la première moitié du XXIe siècle. Nous chercherons à comprendre comment les chiffres sont devenus un outil de validation, tout à la fois, du savoir médical et de l’état de santé de la population. En parallèle, cela nous permet de mieux comprendre la transition qui s’opère dans le discours des médecins, mais aussi d’apercevoir un rapprochement précoce d’une partie de la médecine colombienne à un modèle de santé publique nord-américain axé sur la quantification et la prévention des maladies. Dans un troisième temps, nous verrons les modes de production et d’usage des statistiques dans la pratique des campagnes nationales de santé contre l’ankylostomiase et la tuberculose des années 1920 à 1940, montrant les enjeux sociaux et politiques de celles-ci. Nous nous efforcerons ainsi d’analyser le rôle de la Fondation Rockefeller, partenaire de la campagne contre l’ankylostomiase, dans le processus de développement de la statistique médicale en Colombie, en considérant la formation des experts en vital statistics et en santé publique, et donc la subséquente circulation du modèle hygiéniste américain dans le pays. Nous aborderons l’abus des chiffres de la tuberculose dans la littérature médicale colombienne et son usage dans la gestion politique de la santé publique. Enfin, nous montrerons comment les médecins ont mis la maladie sur la scène publique pour mobiliser le gouvernement national et promouvoir la vaccination par BCG. La temporalité centrale de notre étude s’encadre entre deux événements : la Charte constitutionnelle de 1886 et la création de la Direction tecnica de bioestadística en 1947. D’un côté, la constitution de 1886 marque la transition d’une confédération d’États autonomes en guerre entre eux, vers un État-nation qui centralisa depuis Bogotá l’administration politique du pays et créa la Junta Central de Higiene, premier organisme étatique chargé des problèmes de santé publique. D'un autre côté, la mise en place de la Direction technique de biostatistique au sein du ministère de l’Hygiène, dont la création était récente, marqua un nouvel effort de la Real Colegio de Médicos de Londres en el Hospital de Caridad de Bogotá (1873-1900) », in Poder y saber en la historia de la salud en Colombia (Medellín: Lealon, 2006), 227‑39.
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Colombie pour produire et organiser ses données relatives à la santé publique. Néanmoins, cette période ne peut pas être assumée comme un joug rigide, car dans le but de mieux saisir les processus et les transformations, nous aurons besoin de nous déplacer dans les temps et même d’aller plus en arrière dans certains passages. Pour une approche historique du problème de la quantification de la population et de la santé en Colombie, nous nous sommes appuyés surtout sur les archives officielles de Colombie (nationales et régionales) et sur la documentation concernant la Colombie du Rockefeller Archive Center (RAC). Dans l’Archivo de Bogotá (AB) reposent « les livres nécrologiques » de la ville, des registres très précieux des actes de décès. Une des contraintes auxquelles doit faire face un historien est la conservation des sources documentaires. Dans notre cas, ces contraintes n’ont pas cessé de se multiplier. Nous n’avons pas pu réussir à trouver de sources des bureaux municipaux et départementaux de statistique dans l’AB, l’Archivo General de la Nación (A N), l’Archivo historico de Antioquia (AHA) et l’Archivo historico de Medellín (AHM). Quant à ce dernier, la situation a été particulièrement décevante, car le bureau de statistique municipal de Medellín fut considéré, dès sa création en 1914 et pendant plusieurs décennies, le bureau modèle pour le reste du pays. Les archives les plus anciennes de la Contraloría, organisme qui existe encore et était chargé de la statistique nationale dès 1923 à 1952, ont aussi disparu. La plupart des séries documentaires de l’archive du Département administratif national de statistique (DANS), institution chargée des statistiques nationales depuis 1953 jusqu’à présent, sont postérieures aux années 1980. Nous avons noté la série Creación de municipios (1941-1950), qui contient l’information des recensements des agglomérations qui cherchaient à modifier leur statut administratif, et la série Nomina (1922-2000) qui contient des renseignements et des fiches de paiement des employées. Nous n’avons pas fait figurer cette information car elle présente un intérêt mineur pour nos propos. Tout ceci nous a empêché de reconstruire précisément le fonctionnement des bureaux de statistique et nous a conduit à consulter principalement des sources imprimées de l’époque, c’est-à-dire des journaux (El Diario Oficial, La Gaceta departamental de Antioquia, El Tiempo), des recensements, des annuaires, et des publications en série spécialisées en statistique (Boletín de la Contraloría, Anales de economía y estadística, Boletín mensual de estadística). Pour aborder l’organisation et le fonctionnement des institutions d’hygiène, l’A N renferme des documents intéressants. Nous avons consulté les fonds Ministerio de Salud 1919-1969, Dirección de higiene 1939-1951 et Archivo Anexo II. Dans ce dernier, les séries Ministerio de Instrucción pública (sous-séries Salud pública informes (1902-1923) et Nombramiento funcionarios) et Ministerio de Gobierno. La participation de la Colombie à la 15
Société des Nations aiguisa notre curiosité et nous a poussé à consulter les séries Sociedad de Naciones (1920-1922) et Legación Colombiana en Washington (1935-1951) du fond Ministerio de relaciones exteriores en quête de renseignements sur la participation de la Colombie dans le bureau d’hygiène de la Société des Nations et dans les formations en statistique vitale proposées par cet organisme. Malheureusement, le dépouillement de ces séries n’a rien donné. Dans le RAC, le fond International Health Board/Division et ses séries 311 H Colombia, General Correspondence et Reports routine nous ont permis de mieux cerner la campagne contre l’ankylostomiase en Colombie. Quant aux boursiers de la Fondation Rockefeller, leurs dossiers constituent des pièces importantes pour avoir une vision plus précise de leur processus de formation et pour obtenir des renseignements sur le parcours des candidats au retour dans leur pays. n n’a eu accès qu’au Fellowships cards, néanmoins ces fiches se sont avérées très informatives. Les corpus documentaires de l’Hémérothèque nationale, la Bibliothèque nationale de Colombie, la bibliothèque Luis Angel Arango, la bibliothèque de l’Institut national de santé, l’Académie nationale de médecine et ceux des salles patrimoniales de la bibliothèque de l'Universidad de Antioquia et de l’Universidad Eafit furent essentiels pour retrouver les thèses de médecine et les publications en série de l’époque. Les revues professionnelles (Revista de higiene, Registro municipal de higiene, Repertorio de medicina y cirugía, Heraldo médico, etc.) et les bulletins des sociétés de médecine (Revista médica de Bogotá, Anales de la Academia de Medicina de Medellín) ont constitué des filons d’information précieux. Elles nous ont permis de saisir des éléments intéressants concernant la profession médicale en général, la circulation dans son sein des outils statistiques, ainsi que l’appropriation de ces outils par la communauté médicale colombienne.
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PREMIÈRE PARTIE
Chapitre 1 La statistique colombienne de la seconde moitié du XIXe siècle La Guerra de los Supremos (1839-1842) a opposé certains chefs régionaux autoproclamés « Supremos » au gouvernement central, qui avait une politique conservatrice en matière fiscale, et préservait les impôts et les monopoles traditionnels, principalement celui du tabac. Le conflit est né dans la ville de Pasto, après l’entrée en vigueur, en 1839, d’une norme imposant la suppression des quatre couvents de petite taille (moins de huit religieux). Avec l’appui des habitants, un prêtre de la ville s’opposa à cet arrêté. Une ébauche d’insurrection fût contrôlée, mais des chefs régionaux en ont profité pour faire des revendications politiques et économiques. Ils demandaient l’autonomie des régions et la création d’États. La guerre s’est répandue dans d’autres régions et après plusieurs batailles, les autonomistes ont perdu et, en février 1842, le président Pedro Alcántara Herrán, appartenant au groupe ministerial, qui plus tard deviendra le parti conservateur, signa une amnistie en finissant la guerre dans tout le territoire national34. Malgré la Guerra de los Supremos, entre 1824 et 1850, il y a eu quelques lois et décrets pour constituer une statistique administrative, qui s’intéressa surtout aux recensements de la population, de la propriété foncière et des électeurs potentiels aux scrutins35. Ces lois disposaient que le nombre des sénateurs et députés de province devait être calculé sur la base du recensement36. Le scénario politique colombien s’est organisé autour des deux partis politiques (un conservateur et l’autre libéral). Leur configuration commence en 1849 par la création des deux journaux de caractère opposé. Dans les pages de La Civilización, le journal conservateur se défendait la propriété, les privilèges acquis et la morale chrétienne. Les conservateurs se prononçaient pour la consolidation d’un État fort, capable de garantir l’ordre et l’unité, et préconisaient un pouvoir exécutif central. Dans les pages d’El Aviso, le journal libéral, étaient 34
Antonio Vélez Ocampo, Cartago, Pereira, Manizales: cruce de caminos históricos (Pereira: Editorial Papiro, 2005). 35 Carlos Lleras Restrepo, La estadística nacional: su organización, sus problemas (Bogotá: Imprenta Nacional, 1938), 411. 36 Luis Vidales, Historia de la estadística en Colombia, 1. ed (Bogotá: Banco de la República, 1978), 58.
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défendues les idées de rationalité et de liberté. Les libéraux envisageaient un État respectueux de la liberté et de la diversité et un pouvoir exécutif central très restreint et sans pouvoirs extraordinaires. Comme l’a bien montré Marie-Laure Basilien-Gainche, les confrontations idéologiques entre ces partis se sont exprimées non seulement dans les tribunes des journaux, mais surtout dans les champs de bataille et les textes constitutionnels37. En 1857, Mariano Ospina Rodríguez, avec le soutien de l'Église catholique, fut le premier président élu par suffrage universel masculin. Le pays avait une organisation confédérale, la Confederación Granadine, où Ospina et son parti voulaient un État centraliste. Parmi les réformes, ce président a impulsé un système électoral qui aux yeux de Tomás Cipriano de Mosquera, gouverneur de l'État de Cauca, allaient contre les principes du fédéralisme. Pour s’opposer à cette situation, Mosquera commence à réclamer la souveraineté de son état et en avril 1860, prend les armes et gagne le soutien d'autres autorités fédérales. Ainsi, en juin 1860 fut prononcé l'état de guerre. Après des confrontations sanglantes, en juin 1861, Mosquera a pris la ville de Bogotá, déclaré la chute de la confédération et proclamé une dictature militaire. En février 1863, les partis se sont réunis dans la « Convention de Rionegro » pour rédiger une nouvelle constitution politique et pour définir une nouvelle organisation de la nation, Estados Unidos de Colombia.38 Celle-ci établit un système fédéral et libéralisa les politiques au plan social et économique. Avec elle fut proclamée la liberté d'expression, de travail, d’entreprise, de commerce, de presse, de circulation dans le territoire — d'entrer et de sortir —, la liberté d'enseignement, de culte, d'association, de possession d’armes et des munitions, et d’en faire le commerce. Il fut déterminé aussi la confiscation des biens de mainmorte et l'expulsion des Jésuites. Les états furent considérés comme indépendants, mais devaient respecter certaines décisions de l’état central. Ils participèrent à l’élection du président de l’Union et ont choisi Mosquera, réputé pour ses positions anticléricales. L’autonomie des états a permis l’adoption de constitutions aux allures conservatrices ou libérales selon les intérêts des autorités de chaque État, favorisant les affrontements entre les États autonomes et entre ceux-ci et l’État central, sans compter les conflits internes de ce dernier. En plus, les changements continus de président de l’Union n’ont pas permis la
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Marie-Laure Basilien-Gainche, « La constitucionalidad de contienda: la promoción jurídica de la guerra o civil en la Colombia del siglo XIX », Historia Crítica, n 35 (2008): 130‑132. 38 La nouvelle organisation administrative était basée sur un système fédéral qui réunissait neuf états autonomes (Panama, Antioquia, Magdalena, Bolivar, Santander, Boyacá, Cundinamarca, Tolima et Cauca), avec un président de l’union dont la période était de deux ans.
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consolidation d’un pouvoir central capable de restaurer la paix et d’empêcher les conflits armés39. L’État central des Estados Unidos de Colombia était organisé en huit sections : de l'intérieur, de la justice, des affaires étrangères, des travaux publics, du trésor, de la dette nationale, des finances et de l'armée et de la marine. En plus, il y avait quatre secrétariats d’État pour l’administration du pouvoir exécutif. La section de l’intérieur regroupait le sénat, la chambre des représentants, le secrétariat de l’intérieur et des relations étrangères (Secretaría de lo interior i relaciones esteriores), l’instruction publique et les publications officielles. Celle de guerre et de la marine centralisait : le secrétariat de la guerre et de la marine (Secretaría de guerra i marina), la gendarmerie, l’infanterie, l’école militaire et les hôpitaux militaires. La section du trésor comprenait : le secrétariat du trésor et du crédit national (Secretaría del tesoro i crédito nacional), le bureau des comptes et la trésorerie générale. Celle des finances regroupait : le secrétariat des finances et du développement (Secretaría de hacienda i fomento), les douanes, la poste, les revenus et l’agence de biens désamortis40. Selon la charte constitutionnelle, l’État central avait sous sa compétence, mais non de façon exclusive, l’élaboration de la statistique et des cartes géographiques des territoires et des populations de l’Union41. En mai 1863, il a été établi au secrétariat de l’Intérieur et des relations étrangères une section consacrée à la statistique, au recensement et aux relations étrangères. De ce fait, à partir de 1864, les informations statistiques ont été associées au commerce extérieur, à la navigation maritime et à d’autres aspects des finances nationales comme les douanes, les salines, les biens nationaux, l'entrée des marchandises, etc. Ces statistiques étaient collectées par différentes dépendances de l’État et ensuite envoyées au secrétariat des finances et du développement. En 1875 fut créé le premier bureau spécial de statistique pour les États-Unis de Colombie, composé de 6 fonctionnaires, dont le directeur fut Anibal Galindo42. Quant à la population, le Code civil disposait l’institutionnalisation du registre civil des mariages, des naissances, des décès, les déclarations de reconnaissance des enfants naturels
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Basilien-Gainche, « The Constitutionality of Conflict »; Christopher Abel, Política, iglesia y partidos en Colombia, 1886-1953, 1a ed (Bogotá: FAES, Universidad Nacional de Colombia, 1987). 40 L’agence de biens désamortis était chargée de mettre aux enchères publiques des terres et des biens improductifs détenus par les « mainmortes ». Cf.: Loi 23 (le 11 mai) sur les secrétariats de l’Etat et le budget de l’année de 1864 à 1865. Estados Unidos de Colombia, Constitución i leyes de los Estados Unidos de Colombia, espedidas en los años de 1863 a 1875, vol. I (Bogotá: Impr. de M. Rivas, 1875), 43 ‑44, 101‑103. 41 Justo Arosemena, Constitución de los Estados Unidos de Colombia con antecedentes y comentarios (Havre: Imprenta A. Lemale Ainé, 1870), 11. 42 Vidales, Historia de la estadística en Colombia, 62‑65.
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et les adoptions. Les responsables du suivi de ces registres étaient les notaires publics de chaque État43. Pour les naissances, il fallait enregistrer l’enfant accompagné de deux témoins et indiquer la date, le genre du nouveau-né, les noms des parents et grands-parents si connus. Pour les décès, les registres considéraient le nom et le prénom du défunt, la date et l’heure du décès et si la mort fut naturelle ou violente, ainsi que l’âge, l’adresse et l’état civil du mort, et les noms et prénoms des parents. D’après la loi, il était préférable que les témoins fussent les parents ou les voisins du mort44. Dans cette même année, et sous la direction de Galindo, fut publié le premier annuaire statistique national où figuraient des statistiques du commerce extérieur et du cabotage, ainsi que d'autres aspects de la richesse nationale45. L’annuaire comprenait quatre sections ou groupes d’intérêt : « les généraux, les moraux, les économiques et les fiscaux ». Contenant les informations suivantes : Intérêts généraux : territoire, population et organisation politique ; Intérêts moraux : instruction publique, statistique judiciaire et assistance publique ; Intérêts économiques : cadastre, industrie de l'élevage, industrie agricole, industrie de manufacture, industrie minière, dette hypothécaire, commerce extérieur, commerce du cabotage et mouvement de navires ; intérêts fiscaux : revenu et dépense nationale, dette nationale et revenus et dépenses des États fédéraux. Pour les fonctionnaires de l’époque, la formation de la statistique permettait de faire la lumière sur la structure du gouvernement, les ressources et la richesse de la nation46. La publication d’un annuaire avec ses recueils de chiffres issues de l’ensemble du pays, donnent l’image d’un espace unifié. Néanmoins, cet ensemble de territoires hétérogènes, rassemblés autrefois par des autorités coloniales, ne formait pas 43
Quelques recherches sur l’histoire des scribans et des notaires ont été réalisées en Uruguay et au Mexique. Néanmoins, l’historiographie colombienne ne s’est pas encore intéressée au sujet. À différence de la France, en Colombie, les notaires sont des fonctionnaires publiques. On sait que la figure du notaire est apparue en 1852, parmi les réformes ordonnées par le régime libéral radical de l'époque. n peut supposer que son apparition est liée au désir de remplacer l’ancienne figure coloniale du scriban, mais ici on ne peut rien avancer sur la nature de cette nouveauté. En tout cas, il est facile à noter qu’encore en 1873 la législation du fisc était celle de la période coloniale. La transformation de la structure de l’État et des activités des fonctionnaires selon le nouveau régime républicain n’avait pas encore pénétré en profondeur. Saúl D. Cestau, Historia del notariado uruguayo desde la época colonial hasta la sanción de la Ley (No. 1421) (s.d.: Asociación de Escribanos del Uruguay, 1976); Mario A. Téllez G., « Apuntes para una historia de los escribanos y notarios en el o Estado de México del siglo XIX », Revista Mexicana de Historia del Derecho, n 23 (2011): 159‑80; Claudia Vásquez Vargas, Estructura de la administración municipal: Medellín siglos XIX y XX (Medellín: Secretaría de Educación y Cultura, 1997). 44 Cf. Section 20 « Preuves de l’état civil » articles 346-357. Colombia, Código civil colombiano expedido por el Congreso de 1873 y adoptado por la Ley 57 de 1887. Con un suplemento de las leyes que lo adicionan y reforman, desde 1887 hasta 1892, inclusive (Bogotá: Imprenta Nacional, 1895), 47‑48, http://www.archive.org/details/cdigocivilcolom00cologoog. 45 Vidales, Historia de la estadística en Colombia, 65. 46 Anibal Galindo, Anuario estadístico de los Estados Unidos de Colombia (Bogotá: Imprenta de Medardo Rivas, 1875), I‑II.
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encore une communauté consciente de son unité et désireuse de partager un destin commun, c'est-à-dire une nation47. Le premier bureau spécial de statistique national établi en 1875 sera fermé en 1877 à cause du déficit fiscal et du déclenchement d’une nouvelle guerre civile. Lui succéderont d’autres sections de statistique au gré des réorganisations administratives également peu durables à cause des carences de fonds et de nouvelles guerres civiles (1885, 1895 et 1899)48. En 1883, au milieu d’une de relative paix, fut publié l’Anuario estadístico de los Estados Unidos de Colombia, contenant des informations sur le commerce extérieur de 1876 à 1881 et des statistiques des animaux d’élevage. Le texte fut publié par la Secretaría de Fomento de l’Union (secrétaire du développement de l’Union) sous la direction d’Antonio María de Arra óla, « chef de la section de statistique ». Il est difficile de trouver de pistes supplémentaires sur le fonctionnement de cette section. On sait que le directeur était Arrazola car son nom est indiqué sur la publication, mais nous n’avons pas pu repérer d’information pour comprendre quand et comment il a été choisi dans ce poste, quelles étaient ses fonctions ou quelle a été la durée de son mandat49. La guerre civile de 1885, gagnée par les forces du gouvernement, comme d’ailleurs les guerres civiles suivantes de 1895 et 1899, a donné lieu à une grande réforme constitutionnelle à caractère centralisateur. Cette Constitution (1886) promulgua l’existence d’un pouvoir exécutif central avec un Congrès et une législation commune, les États étant réduits à des départements, et une armée nationale. Les élections ont été établies comme « censitaires », fixant que les électeurs devraient avoir des propriétés ou savoir lire et écrire. Par ailleurs, avec la Constitution de 1886 la religion catholique a été établie comme religion d’État, de sorte que le pouvoir public s’est engagé à la protéger et à la défendre comme « un élément essentiel de l'ordre social »50. C’est ainsi que le 31 décembre 1887 le gouvernement colombien signe un Concordat avec le Saint-Siège, par lequel l'Église a récupéré les privilèges qui lui ont été arrachés par la Convention de Rionegro, et les relations Eglise-Etat ont été rétablies. Contre la liberté de culte de Mosquera, l’Église regagne sa liberté d’exercice, l’autorité spirituelle et sa juridiction ecclésiastique (droit canonique) vis-à-vis du pouvoir public. En outre, l’Église retient une raison
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Jean-Pierre Minaudier, Histoire de la Colombie de la conquête à nos jours (Editions L’Harmattan, 1997), 131. 48 Vidales, Historia de la estadística en Colombia, 58‑65. 49 Secretaría de Fomento de la Unión, Sección 4a., Estadística general. Colombia et Secretaría de Fomento de la Union, Anuario estadístico de los Estados Unidos de olom ia (Bogotá: Imprenta de Torres Amaya e Hijo, 1883). 50 Abel, Política, iglesia y partidos en Colombia, 1886-1953.
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juridique et la liberté d’avoir des propriétés mobilières et immobilières. Par ce biais elle a obtenu des exonérations spéciales d’impôts pour ses biens et ses institutions (couvents, séminaires, maisons d’évêques). Le Concordat met entre les mains de l’Institution ecclésiastique le contrôle de l'éducation publique — universités, collèges, écoles — et à travers ce contrôle, le renforcement de la diffusion de la doctrine catholique dans le pays51. En plus, avec l’article 22 de la loi 57, les attestations délivrées par les prêtres en ce qui concerne la naissance, le mariage, ou le décès de personnes baptisées, mariées, ou mortes au sein de l'Église catholique, furent admises comme preuves principales de l'état civil52. La société catholique de l’époque privilégiait l’usage des registres paroissiaux face aux documents faits par un notaire ou une autorité civile. Quelques années après, avec la loi 34 de 1892, le Congrès de Colombie approuva une addition au Concordat. Cette loi s’occupait du for ecclésiastique53, des cimetières et des registres civils. Dans ce sens, elle concernait des aspects fondamentaux de la collecte des données pour les statistiques officielles. Quant aux cimetières, elle indiquait que leur administration et leur réglementation devaient être du ressort de l'autorité ecclésiastique de façon indépendante de l’autorité civile. Les cimetières appartenant aux particuliers restaient en dehors de cette loi. Quant au registre civil, la loi établissait que les curés des paroisses et d’autres ecclésiastiques étaient chargés de tenir les livres de registre ecclésiastique des naissances, mariages et décès. Tous les six mois, le curé de chaque paroisse devait rapporter à l'autorité civile ces événements54. Afin de faciliter l’obtention des données et pour que celles-ci fussent uniformes, le Gouvernement national devait envoyer à chaque curé de paroisse les modèles à suivre55. Le nouveau gouvernement conservateur de cette période (1886-1904) - appelé la Regeneración - a créé pour la première fois en Colombie, par la loi 30 de 1886, une structure étatique chargée des problèmes de santé de la population, la Junta Central de Higiene (Conseil Central d'Hygiène CCH) lequel devait s’occuper des «aspects liés à l’hygiène »56. Selon la loi 30, les conseils départementaux d'hygiène colombiens seraient rattachés au Ministerio de 51
S. J Fernán E. González, « El concordato de 1887. Los antecedentes, las negociaciones y el contenido del Tratado con la Santa Sede », Revista Credencial Historia, 1993. 52 Article 22 de la loi 57 de 1887 (15 avril 1887) 53 « For ecclésiastique » : figure juridique conférant une certaine immunité à l’investiture religieuse ; les bénéficiaires n’étaient pas passibles de poursuites par des causes civiles et criminelles. 54 República de Colombia et Gobierno nacional, « Ley 34 de 1892 (21 de octubre) aprobatoria de una Convención adicional al Concordato del 31 de diciembre de 1887 », Diario oficial, 1892. 55 Nous n’avons pas pu constater dans la documentation si en effet, il y a eu un modèle. 56 República de Colombia et Gobierno nacional, « Ley 30 de 1886 (20 de octubre) que crea las Juntas de Higiene en la capital de la República y en las de los departamentos o ciudades principales », Repertorio oficial, 10 janvier 1887.
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Fomento (ministère du Développement) et le Conseil Central serait composé de membres nommés par le président de la République et proposés par la Société de Médecine et Sciences Naturelles de Bogotá. Dans la pratique, seul le Conseil Central de Bogotá a fonctionné, les autres conseils ne se sont jamais réunis57. Le règlement du CCH stipulait la création de quatre commissions. La première serait dédiée aux activités de police médicale et pharmaceutique, et aux problèmes de qualité des aliments, des condiments, des boissons et la consommation de drogues et des eaux minérales. La deuxième commission serait chargée de l'assainissement des villes et des lieux d’habitation, de la salubrité des écoles, commerces, hôpitaux, maisons de soins infirmiers, bâtiments publics, etc., et des travaux sur l'hygiène générale. Elle devait aussi être vigilante sur les conditions sanitaires des populations agricoles et des moyens à employer pour les améliorer. La troisième serait dédiée aux professions dangereuses ou insalubres, à la santé industrielle, aux épizooties, à la conservation et la propagation du vaccin contre la variole et à l’organisation des soins médicaux pour les patients indigents. La quatrième commission serait chargée d’étudier les mesures qui devraient être prises pour prévenir et combattre les endémies, les épidémies et les maladies contagieuses (quarantaine, léproseries, etc.), les questions de santé publique liées aux nourrissons, aux enfants abandonnés et le service des nourrices. Elle devait aussi étudier la mortalité et ses causes, le mouvement de la population, la topographie médicale et la statistique médicale58. Mais la mise en œuvre des activités de compilations des données sur le mouvement de la population et la statistique médicale n’a pas été aussi importante qu’il le fallait et que le requérait le représentant colombien, le médecin Pio Rengifo, à la Conférence internationale de Washington (1881). Rengifo déclara que la Colombie avait la « nécessité urgente », d’établir une organisation sanitaire centralisée pour recueillir les données statistiques relatives à la santé des populations et publier des registres officiels périodiques sur les maladies régnantes, la mortalité et la santé publique59. Les premières activités du CCH furent l’établissement de la surveillance sanitaire des ports de la république et des quarantaines dans les ports menacés des maladies pestilentielles, c'est-à-dire la peste bubonique, le choléra asiatique et la fièvre jeune. Cette exigence
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Emilio Quevedo V. et al., « Ciencias médicas, estado y salud en Colombia: 1886-1957 », in Historia social de la ciencia en Colombia, 1. ed, vol. 8 (Bogotá: Instituto Colombiano para el Desarrollo de la Ciencia y la Tecnología Francisco José de Caldas, 1993), 161‑289. 58 Junta Central de Higiene, « Junta Central de Higiene. Reglamento », Revista médica de Bogotá 116 (1887): 769‑73. 59 Jorge Márque Valderrama, Ciudad, miasmas y microbios: la irrupción de la ciencia pasteriana en Antioquia (Medellín: Editorial Universidad de Antioquia, 2005), 13‑14.
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internationale était obligatoire pour la participation de la Colombie aux échanges commerciaux60. Néanmoins, cette époque de grandes réformes n’a pas donné lieu à la constitution effective d’une statistique sanitaire. La section de statistique nationale et le CCH n’ont pas noué des liens et des intérêts communs, même malgré le fait que les deux organismes étaient rattachés au ministère du Développement. La statistique continua à être un sujet de commerce et de trésor et non un sujet lié à la population. D’autre part, une nouvelle réforme dans l’organisation de la statistique officielle fut mise en œuvre. La loi 29 de 1888 établit la centralisation des statistiques, de sorte que les employés des différents départements administratifs dédiés à cette activité pourraient même être transférés au ministère du Développement, auquel le bureau de statistique était attaché. Le nouveau directeur serait la personne chargée de rédiger le règlement du fonctionnement du bureau et de délimiter les activités à réaliser par la statistique officielle61. Ainsi, il a été mis en place l’Oficina de Estadística, avec trois fonctionnaires, dont le chef désigné fut Pedro Salzedo Ramón62, un ancien député à l'assemblée législative de l’État autonome de Bolivar63. En dépit de cette loi, le projet de centralisation ne semble pas avoir abouti. Un regard sur l’organisation du ministère du Développement peut expliquer en partie la divergence entre la section de statistique et le CCH et la défaillance de la centralisation des statistiques. Le ministère avait sous sa tutelle les chemins de fer et les routes, l’octroi de brevets des machines ou d’inventions, la direction des travaux publics, l’hygiène, l'éclairage des rues et la propreté de Bogotá, la navigation fluviale et maritime, l’agriculture et le développement des industries, la statistique et finalement le déploiement et la régulation des missions avec le Sainte siège64. Il était composé de quatre sections : la première dédiée à l’ingénierie et aux entreprises générales, la deuxième consacrée aux travaux publics, la troisième plus hétérogène, destinée l’agriculture, mines, à la navigation, à l’hygiène, à 60
« L’assainissement des ports était vital pour le développement de l'économie d'exportation du café qui a été établie et a consolidé entre 1870 et 1910. Pour les élites colombiennes, l'économie agroexportatrice était à son tour le domaine vers le progrès et la civilisation ». Diana Obregón, Batallas contra la lepra: estado, medicina y ciencia en Colombia (Medellín: Universidad Eafit, 2002), 163. 61 República de Colombia et Consejo Nacional Legislativo, « Ley 29 de 1888 (22 de febrero) que concede una autorización al Gobierno », Diario oficial, 27 février 1888, sect. Poder Legislativo. 62 República de Colombia et Ministerio de Fomento, « Decreto número 236 de 1888, por el cual se establece la Oficina de Estadística », Diario oficial, 8 mars 1888, sect. Ministerio de Fomento. 63 Sergio Paolo Solano, « Estadísticas históricas de las provincias que integraban el actual Departamento de Bolívar (Colombia), siglo XIX. », 42, consulté le 11 décembre 2013, http://www.academia.edu/325329/Estadisticas_historicas_de_las_provincias_que_integraban_el_act ual_Departamento_de_Bolivar_Colombia_siglo_XIX. 64 República de Colombia, Decreto número 476 de 1889 (27 de mayo), orgánico del Ministerio de Fomento (Bogotá: Imprenta de Vapor de Zalamea Hermanos, 1889), 3‑5.
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l’éclairage public et à la surveillance de la capitale du pays, tout cela sous la responsabilité du chef de la section et deux employés, et la quatrième dédiée au service comptable du ministère et à la statistique nationale, avec quatre employés65. Les fonctions étaient larges, et la situation était marquée, comme partout ailleurs dans l’administration publique, par le déficit budgétaire et le manque de personnel. En 1890, une réorganisation des sections du ministère a eu lieu, attribuant au service de statistique sa propre section avec six fonctionnaires assignés. Encore une fois, les prétentions dépassaient les moyens. Les tâches allaient de la statistique de la population, à la statistique commerciale, industrielle, maritime, des ressources naturelles exploitables, des voies de communications, de la religion, en passant par les statistiques de l’instruction publique, du cadastre, de la dette hypothécaire, des banques, des institutions de bienfaisance, de la criminalité et des services pénitentiaires66. Dans l’année 1892, se publia l’ouvrage Estadística mercantil de la República de Colombia, correspondiente al año de 1891. Sa préparation et publication ont été conduites par Anthony John Schlesinger (1835-1897), qui a servi comme officiel major de la section de statistique et était le responsable de la statistique du commerce du pays. Schlesinger, de père allemand et mère anglaise, est né à Londres et arriva en Colombie à l’âge de 22 ans comme représentant d’une compagnie d’assurance transatlantique de Berlin. La carrière de cet étranger dans le service public colombien nous échappe, mais on sait qu’il fut cofondateur de la Compañia Colombiana de Seguros (Compagnie colombienne d’assurance)67. Surement, l’absence de personnel local formé pour le poste est parmi les causes de la participation de quelques étrangères dans le service de statistique nationale. Toutefois, il est fort probable aussi que des liens d'amitié et de favoritisme ayant eu mobilisés pour parvenir à la désignation d’un allemand dans la direction du service en 1893. Dans un pays dans lequel être étranger conférait un certain prestige social, il n’était pas rare qu’ils profitassent de sa condition d’expatriés pour se faire affecter dans un poste. D’ailleurs, pendant la décennie 1910, son fils Alberto Schlesinger fut aussi désigné comme chef de la statistique nationale.
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Ibid., 19‑46. República de Colombia et Ministerio de Fomento, « Ley 110 de 1890 (28 de diciembre), adicional a la 29 de 1888 sobre estadística », Diario oficial, 10 janvier 1891. 67 Sans avoir renoncé à ces liens avec l’empire britannique, Il fut aussi secrétaire de la légation allemande à Bogotá. Iván Restrepo Jaramillo, « Genealogías de Antioquia y Colombia », GeneaNet, consulté le 13 juin 2013, http://gw.geneanet.org/ivanrepo?lang=es&p=antony+john&n=schlesinger+denny. 66
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1.1 Le Bureau Central de Statistiques et les premiers chiffres de la mortalité et d’hygiène La loi 107 du 31 décembre 1892 établit l’Oficina central de estadística (Bureau Central de Statistique BCS) dans la capitale de Colombie. Ce bureau, rattaché au ministère du Développement, avait la faculté coercitive d’exiger sous peine d’amende aux autorités et aux particuliers des renseignements sur plusieurs aspects de la vie en communauté. Parmi eux, le recensement et le mouvement de la population, l’industrie agricole et celle de l’élevage, les ressources minières et d’autres sources naturelles de richesse, l’industrie manufacturière, le commerce intérieur, les communications et les transports, les propriétés foncières et le cadastre, les banques et la maison de la monnaie, les cultes religieux, l’instruction publique, la philanthropie et la bienfaisance, la criminalité et les finances68. Le citoyen d’origine allemande, Sophus Höeg Warming fut désigné comme Directeur général de statistique. Warming est venu en Colombie en 1891, à l’époque le Président du pays, Carlos Holguín Mallarino ayant décidé d’ouvrir une école militaire pour la formation des officiels, dont le projet était la création d’une armée centrale, afin d’avoir le monopole de la force. Une idée à laquelle s’étaient toujours opposés les fédéralistes, mais qui, dans le contexte de la Regeneración, était l’une des aspirations du gouvernement. De ce fait, deux étrangers furent recrutés pour travailler à l’école militaire. Le Colonel américain Henry Rowan Lemly qui, quelques années auparavant, avait été professeur à l’École de génie civil et militaire de Bogotá, fut désigné comme directeur, et Sophus Höeg Warming comme instructeur d’artillerie. L’école militaire des cadets commença ses activités en mars 1891 avec 50 étudiants, mais les résultats médiocres dans l'emploi des cadets et les difficultés économiques du gouvernement ont entraîné sa fermeture fin 1892. Lemly continuera à travailler pour les forces militaires colombiennes, d’abord, comme inspecteur général des armés et ensuite comme conseiller du gouvernement pour l’achat des armes et des munitions. Warming, qui travaillait déjà dans le service de statistique, va s’y consacrer69. Warming a défendu l'idée d'établir un bureau central de haute qualité avec la mise à niveau des statistiques nationales en reprenant certains éléments du modèle statistique d'État de Prusse70. Là-bas, l’unification des statistiques d’Etat dans un bureau central a été le résultat 68
República de Colombia et Ministerio de Fomento, « Reglamento número 1 para el establecimiento de la Estadística nacional y para el servicio de las Oficinas de este Ramo, creadas por la Ley 107 de 1892 », Boletín trimestral de la estadística nacional de Colombia 3 (1893): 4‑5. 69 Adolfo León Atehortúa et Humberto Vélez Ramírez, Estado y fuerzas armadas en Colombia: 18861953 (Cali: Pontificia Universidad Javeriana, 1994), pp. 36–38; Mayra Fernanda Rey Esteban, ‘La Educación militar en Colombia entre 1886 y 1907’, Historia crítica, 2008, 150–175 (p. 159). 70 Fabián Prieto, « Una anatomía de la población colombiana: la técnica estadística en Colombia y el o levantamiento del censo de población de 1912 », Memoria y sociedad 9, n 19 (2005): 59.
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des efforts d’Ernest Engel qui, depuis 1860 et jusqu’à sa démission en 1882, était en faveur des organisations plus o moins hiérarchisées et centralisées dans l’enregistrement de données à fin d’éviter l’enregistrement des données qui échappaient à tout contrôle technique ou à toute coordination centrale71. A différence de son modèle prussien, dont le bureau central était rattaché au ministère de l’Intérieur, qui est celui de la gestion politique directe, celui de la Colombie dépendra du ministère des Finances. Le but principal du BCS colombien était de « compiler toutes les données indispensables pour faire connaître avec la plus grande exactitude la population, la richesse, la civilisation et le pouvoir de la République ». Selon la loi 107, le bureau central aurait 6 fonctionnaires : un directeur-chef, un inspecteur en chef, un officiel en chef, trois officiels et un gardien. Les deux premiers étaient responsables de l’administration du bureau et de la distribution des activités à suivre. L’officiel majeur coordonnait et aidait les démarches statistiques du ministère des Finances, afin d’organiser et de publier les statistiques nationales du commerce (importations et exportations). Chaque ministère devait suivre les statistiques de leurs activités et designer une personne parmi ses employés pour réaliser cette tâche. Dans chaque capitale de département, il devait y avoir un service chargé de collecter les données et de les remettre au bureau central, qui devait publier tous les trois mois un bulletin d’information72. Au niveau pratique, les maires ont été désignés comme l’autorité publique de base responsable des données de la population. Ils devaient remplir les formulaires envoyés par le BCS et ensuite les retourner. Le mauvais réseau de chemin du pays et les difficultés pour l’impression de formulaires rendaient l’arrivée des formulaires aux autorités compétentes plutôt aléatoire. Souvent, les informations arrivaient au BCS sous un format libre, avec des données différentes de celles qui avaient été demandées73. 1.1.1 Le Boletín trimestral de la Estadística Nacional de Colombia Malgré les vicissitudes, en 1893, ont été publiés quatre numéros du bulletin de statistique nationale (Boletín trimestral de la Estadística Nacional de Colombia). Dans le numéro quatre, un article dédié aux statistiques de morts violentes dans le pays en 1891 indique qu’elles ont été préparées par Anthony Schlesinger. Cela permet de confirmer que Warming et Schlesinger ont travaillé ensemble dans la préparation de ces Bulletins. En tout
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Alain Desrosières, La politique des grands nombres: histoire de la raison statistique (Paris: Editions La Découverte, 1993), 219‑224. 72 República de Colombia et Ministerio de Fomento, « Reglamento número 1. » 73 Sophus Höeg Warming, « Informe del inspector », Boletín trimestral de la estadística nacional de o Colombia, n 1 (1892): X ‑ XX.
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cas, les dépouillements des importations dans le premier bulletin suggèrent que la statistique commerciale était encore au centre des intérêts du Bureau74. Il n’y a pas de programme organisé et homogène pour la publication des statistiques dans ces bulletins. Les contenus généraux et les sections des numéros sont très variés. Le premier numéro contient un rapport des activités du bureau, les statistiques par départements des élections de 1891 et les relevés des estimations des principaux produits importés de France, des États-Unis, de Grande-Bretagne et d'Allemagne. Le deuxième inclut des statistiques du registre civil (mariages et décès en janvier 1892), des banques et du trafic des bateaux par le canal qui lie Carthagène et la rivière Magdalena (1891). Dans le troisième, il y a des informations sur le registre civil et quelques données statistiques sur l’exploitation des mines colombiennes correspondant à l’année 1891. Dans les sections du quatrième numéro sont insérés des tableaux des morts violentes de 1891, les statistiques générales de décès de 1890 et les mariages du premier semestre de 1892. Dans le cinquième et seul bulletin publié en 1894, on trouve : les naissances du premier semestre de 1893, une liste des départements, provinces et districts du pays, ainsi que quelques données sur les plus importantes cultures d’exportation.
n relève une remarque asse fréquente dans les différents numéros de la
publication sur les grandes difficultés du BCS à parvenir à collecter les données, ainsi que des plaintes constantes sur les formulaires mal remplis, qui plus est avec des informations évidemment fausses dans le seul but, selon le jugement du directeur de statistique, d’échapper aux sanctions économiques prévues pour les fonctionnaires négligents75. Il nous faut décrire le deuxième numéro de 1893 du Boletín trimestral de la Estadística Nacional de Colombia. Le seul des bulletins (et peut-être l’unique rapport publié au XIXe siècle en Colombie contenant des données de plusieurs départements) dans lequel furent consignées des statistiques sur les causes de décès et quelques renseignements sanitaires et médicaux. Il était organisé en trois sections : registre civil, banques et canal de Carthagène. Dans la section sur le Registre civil furent répertoriés les mariages et les décès. Pour chaque catégorie de registre, il y a des tableaux statistiques. À l’époque, la Colombie était divisée en neuf
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Les statistiques des causes de décès violents correspondent à 164 districts et considèrent les muertes casuales (noyés, brûlés, écrasés par des objets, décédés par des armes à feu, par des accidents de mines, par des accidents de machines), les homicides (infanticides et d'autres) et les suicides (strangulation, par immersion, par arme à feu, par des instruments tranchants, avec un poison). Warming estima, pour l’ensemble du pays, les taux de décès selon ces causes et compara ces chiffres aux taux de Norvège, Guatemala, Italie, Belgique, Australie et l'Uruguay. Cf.: Sophus Höeg Warming, « Muertes violentas en el año de 1891, en la república », Boletín trimestral de la estadística nacional o de Colombia, n 4 (1893): 5. 75 Cf: Boletín trimestral de la Estadística Nacional de Colombia 1-5
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départements76 et 886 districts. Ce bulletin rapportait les données du mois de janvier 1892 provenant seulement de quatre départements. Des 373 districts appartenant à ces quatre départements, le bulletin présentait les données de ceux qui les avaient rapportées, 209 au total. Même si les informations étaient fragmentaires, les rapporteurs du Bulletin poursuivaient leurs observations afin qu’elles puissent montrer « la direction qu’auraient les comparaisons si le matériel était complet »77. Les indications cherchaient à montrer la façon dont le matériel statistique pouvait être analysé. Puisque les données étaient maigres, elles ne permettaient pas de « déduire des règles sur les mœurs de la population » comme, selon les auteurs du Bulletin, il serait pertinent dans des études statistiques78. Dans la section du registre civil, les données sur les mariages furent exposées par sexe et par classe d’âge79, par couleur de peau (« blanche » et « de couleur »), par appartenance religieuse des mariés (« catholiques » et « dissidents »), par état civil (« célibataire » et « veuf »), par le temps du veuvage et par occupation des nouveaux mariés. On trouve aussi des statistiques des mariages recensant les difformités physiques des mariés, le degré d’alphabétisation, les possibles liens de consanguinité entre conjoints, et le nombre d’enfants légitimés par mariage80. Il est à noter que l’élaboration des registres quantitatifs contenant ce type de catégories (« dissidents » pour le non-catholique) et d’information (degré de consanguinité) permet d’entrevoir, de façon implicite, dans l’administration des statistiques nationales des inquiétudes concernant la religion catholique. Quant aux difformités physiques, il s’agissait d’établir l’existence de « conséquences fatales » pour la population en termes de degré d’incapacité de travail ou de transmissibilité héréditaire des maladies aux générations suivantes. Le bulletin présentait des estimations selon lesquelles 1 % des femmes et 3,5 % des hommes mariés pendant le mois de janvier 1892, dans les quatre départements, avaient des difformités physiques. Selon l’analyse du directeur de statistique, et même si le pourcentage fût élevé, quelques difformités (plutôt infirmités telles l’absence d’un ou plusieurs doigts d’une main) n’étaient pas considérées comme fatales car elles n’empêchaient pas totalement l’activité productive, priorité d’une nation qui cherchait la prospérité. Par contre, les maux tels le rachitisme, la goutte et le carate (une sorte de tréponématose), considérés non seulement comme héréditaires mais aussi comme 76
Distrito Federal, Antioquia, Bolívar, Boyacá, Cauca, Cundinamarca, Magdalena, Panamá, Santander, Tolima. 77 o Sophus Höeg Warming, « Registro civil », Boletín trimestral de la estadística nacional de Colombia, n 2 (1893): 3. 78 Ibid., 7. 79 Les classements par âge furent : moins 15 ; 15-20 ; 20-25 ; 25-30 ; 30-35 ; 35-40 ; 40-45 ; 45-50 ; 50-60 et plus de 60. Warming, “Registro civil,” 4. 80 Warming, « Registro civil », 3‑16.
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contagieux, avaient une proportion de 6 individus affectés sur 153, ce qui était grave et effrayant pour l’avenir »81. A l’instar des différents pays européens pour le cas des syphilitiques82, Warming a suggéré au pouvoir législatif l’interdiction des mariages entre personnes ayant certaines infirmités83. Nous transcrivons ici le tableau des statistiques des difformités physiques (Tableau 1). Celui-ci utilise un groupe de catégories hétéroclites et a recours au parler local pour désigner les infirmités, ce qui constitue autant d’indices d’une élaboration improvisée ou en tout cas non conseillée par des médecins ni selon un système médical. Dans la section du registre civil, après les statistiques de mariages, sont exposées celles des décès : 435 pour Antioquia, 615 pour Santander, 351 pour Cundinamarca et 192 pour Tolima. Face à la difficulté d’analyser ces chiffres, le directeur de la statistique, Warming, incriminait l’inexistence des recensements des principales villes du pays. Cette carence empêchait selon lui toute comparaison et même toute possibilité d’établir la proportion de décès par départements, puisque les chiffres bruts « ne disaient rien »84.
81
Ibid., 13. Quelques décennies plus tard, le septième Congrès médical d'Amérique latine réuni à Mexico en 1930, où la Colombie a participé, a approuvé les conclusions adoptées par les congrès précédents (Londres et Genève). Ce même Congrès a recommandé l'éducation sexuelle, l'introduction du certificat de santé prénuptial, la déclaration obligatoire des maladies vénériennes et la création de cliniques pour le diagnostic et le traitement de la syphilis dans les maternités. Par plusieurs efforts la Colombie a tenté de répondre à ces recommandations, mais le certificat prénuptial n'est jamais devenu obligatoire. Diana bregón, “Médicos, prostitución y enfermedades venéreas en Colombia (1886-1951),” História, Ciências, Saúde -Manguinhos 9 suplemento (2002): 161-86. 83 Warming, « Registro civil », 13. 84 Ibid., 39. 82
31
TOTAL ANNOTATIONS
Tolima
Cundinamarca
Santander
DIFFORMITÉ
Antioquia
Tableau 1. Statistiques de difformités physiques parmi les couples mariés dans quatre départements de Colombie pour le mois de janvier 1892.
Note : noms en espagnol utilisés dans le tableau original Mochos Sin dedos Cojos Bizcos Tuertos Tusos Pecosos Con cicatrices en la cara Inflamación de la cara Hinchazón de la cara Albinos Artríticos Con cirro Raquíticos Gotosos Caratosos
Manchot 2 1 2 6* Sans doigts 1 1 2 Boiteux 4 1 1 6 Strabisme (louche) 1 2 3 Borgne 1 1 2 Chauves 1 1 Avec de grains de beauté 1 1 Cicatrices au visage 1 1 Inflammation du visage 1 1 Gonflement du visage 1 1 Albinos 1 1 Arthritiques 1 1 ǂ Avec cirro 1 1 Rachitique 1 1 Contagieux et Goutteux 1 1 héréditaires Carate (Tréponématose) 4 4 Total 10 7 6 10* 33* ǂ NOTE DE TRADUCTION : le cirro (D’escirre) est une tumeur dure, sans douleur constante et de nature 85 particulière, qui se forme dans différentes parties du corps . *Valeurs tels qu’ils apparaissent dans le tableau original SOURCE: «Registro civil», Boletín trimestral de la estadística nacional de Colombia 2 (1893).
Les informations publiées contiennent aussi un tableau avec les données du lieu de décès et la nationalité du décédé. Bien que fragmentaires, les résultats sur le lieu de décès sont très illustratifs de la réalité nationale de l’époque : la plupart des gens mouraient hors de l’hôpital (Tableau 2). Selon Warming, ce fait était lié au déficit du nombre d‘hôpitaux et à la peur généralisée des personnes « peu éduquées » d’aller à l’hôpital en cas de maladie, car ils les jugeaient encore comme lieux pour aller mourir et non comme lieux de guérison86.
85
Real Academia Espa ola, Diccionario de la lengua española, 22a ed., Versión 1.0, Ed. en CD-ROM (Madrid: Espasa, 2003). 86 Les statistiques de décès du mois de janvier 1892 furent aussi publiées, par rapport au sexe et à l’âge des morts, à l’occupation des parents des morts mineurs de 15 ans, à l’état civil des morts, aux enfants survivants, à leur couleur de peau, à leur culte religieux et à leur occupation. Warming, « Registro civil », 42‑52.
32
Tableau 2. Statistiques de lieu de décès dans quatre départements de Colombie pour le mois de janvier 1892
TOTAL Annotations Hôpital
Village
DÉPARTEMENT
Campagne
Lieu de décès
Antioquia
290 144 1
435
Santander
273 258 21
552
Cundinamarca
202 149 0
351
Tolima
133 46
179
0
66 cas sans information 13 cas sans information
Total...... 898 597 22 1517 79 cas sans information SOURCE: «Registro civil», Boletín trimestral de la estadística nacional de Colombia 2 (1893)
Concernant les informations sur les causes de décès (Tableau 3), on note que l’institution ne tient pas des critères de classification clairs. Il est difficile de repérer un cadre contenant toutes les catégories utilisées. On pourrait supposer une espèce de méthode empirique de classification, selon laquelle celle-ci se faisait au fur et à mesure que les données apparaissaient, sans obéir à aucun système nosologique, mais aux noms communs des maladies. Probablement, quelques diagnostics furent le résultat d’une évaluation médicale. Mais étant donné la liste des maladies consignées dans ce tableau, il est possible de supposer que plusieurs d’entre elles furent rapportées par des personnes avec peu ou sans aucune formation médicale, peut-être les proches du défunt ou même le curé de la paroisse. Les causes étaient très hétéroclites. Nous trouvons quelques causes de décès établies sur l’anatomie et associées aux organes (« poumons », « intestins », « cœur », « attaque du cerveau », « attaque à la vessie »). D’autres désignent les maladies infectieuses telles la rougeole, la syphilis, l’éléphancie (la lèpre).
n découvre également des catégories assez
variées et plutôt liées aux symptômes tels que « vomi », « extraction des molaires », « douleur des dents », « inflammation » (Tableau 3).
33
Tableau 3. Statistiques des causes de décès dans quatre départements de Colombie pour le mois de janvier 1892
Hémorragie
Cancer
Inflammation
Gangrène
Tumeur
Rougeole
Ankilostomiases
Angine
Vieillesse
Vomi
Attaque à la vessie
Hemorroides
Irritation
Extraction des meules
Hernie
Lumbago
Tympanite
Paralysie
Complication de maladies
Doleur de meule
Folie
Alferecia*
Eléphancie
Données manquantes pour le nombre de cas suivants
Syphilis
5
7
5
1
1
6
1
2
3
3
1
1
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0 323
112
Santander
618
35 17
19 14
2
4
4 21
0 21
3
0 14
0
2
1
0
0
0
0 26
0
1
2
1
0
0
4
0
0
0
0
1
0
0
2
1
7
2 198
420
Cundinamarca
351
38
9
9 11
0
0
0 19
0
7
4
0 12
0
0
0
0
0
0
0 10
0
2
6
1
0
0
0
1
1
1
1
1
1
1
0
0
0
0 138
213
Tolima Total des 4 Départements
192
10
6
7
1
1
0
0
1 11
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
2
0
0
0
0
1
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
51
141
1596 165 49 108 46
4
4
4 72
1 50 19 10 41
3
2
6
7
5
1
1 42
1
7 11
5
1
1
5
1
1
1
1
2
1
1
2
1
7
2 710
886
7
Total
Catarrhe
0
Gonflement
Hydropisie
3
Goutte
0 11 12 10 15
Les vers
0 25
L'anémie
0
Attaque du cerveau
1
L'estomac
Le foie
75 20
Maladies des femmes
Le cœur
82 17
Poitrine
435
Mort violente
Antioquia
DÉPARTEMENT
Fièvres
Poumons
Total des décès en Janvier
CAUSES DE MORTALITÉ EN JANVIER 1892
NOTE ORIGINALE — Parmi les morts violentes, il y a 6 hommes d'Antioquia, dont la cause de mort est « décédée ». Le résultat pour les 4 départements selon le tableau cidessus est le suivant. Dans les tableaux reçus : d’Antioquia il y a des données pour 74 pour 100 des cas, mais elles manquent pour 26 pour 100. Santander 32 pour 100 68 pour 100 Cundinamarca 39 pour 100 61 pour 100 Tolima 27 pour 100 73 pour 100 Dans les modèles des tableaux reçus des 4 départements, il y a des données pour les 44 pour 100 des cas et elles manquent pour les 56 pour 100. 87 NOTE DE TRADUCTION— Alferecía : maladie caractérisée par des convulsions et perte de la connaissance, fréquente dans l’enfance, et identifiée quelquefois avec l’épilepsie . SOURCE: «Registro civil», Boletín trimestral de la estadística nacional de Colombia 2 (1893) p. 53
87
Real Academia Espa ola, Diccionario de la lengua española.
35
Tableau 4. Statistiques des causes de décès dans quatre départements de Colombie pour le mois de janvier 1892 CAUSES DE MORTALITÉ EN JANVIER 1892
Pneumonie Pleurésie Pneumonie (2) bstruction de l’artère pulmonaire Doleur du coté TOTAL Chutes Violence Morsure de serpent Mort subite Haché Hasard Suicide Blessés Noyés TOTAL
0
0
75
4 10 10 1 0
0 0 0 25 15 1
Santander
25
9
0
1
35
0
0
5 1 0 0 0
0
0
6
17
0
2 17 1 0
Cundinamarca
30
6
2
0
38
4
4
1 0 0 0 0
0
3
0
9
0
9
1
0
0
10
3
3
0 1 0 0 0
0
0
0
7
4
132 30
2
1 165 18 36 21 9 2 2 3
8
3
6 108
Fièvre Tolima Total pour les 4 Départaments
Dysenterie Colique Dyspepsie Gonflement stomacal Ictère Dentition TOTAL
Dengue
8
Diarrhée
Fantoche
9 29 15 7 2 2 3
Colerín
Grippe
82
TOTAL
Toux Attaque à la poitrine Asphyxie Consomption Constipation
0
Bronchites
0
Phtisie
68 14
TOTAL
Fièvres intermittents
Antioquia
DÉPARTEMENT
MALADIES DES FEMMES
MORTS VIOLENTES
Accouchement Flux Décès Matrice TOTAL
MALADIES DES POUMONS
MALADIES DE L`ESTOMAC
Froid
MALADIES DE LA POITRINE
Typhus et fièvre typhoïde
FIÈVRES
0 0 4 20 7
8 1 1 0 0 0 0 0 17
8 1 8 0 17
0 1 0 21
0 0 13 0 1 14 0
9 0 4 1 1 1 1 0 17
0 0 0 0
0
0 10 4 1
1 0 3 19
0 0
9 1 1 11 2
0 0 3 1 0 0 0 3
9
3 0 0 0
3
0
0 0 0
1 0
0 0 0
5 0 1 0 0 0 0 0
6
1 0 1 1
3
2 0 1
8 12 41 6 2
7
1 0
1 1 3 72 16 1 22 1 6 46 9 22 1 9 2 1 1 1 3 49 12 1 9 1 23
NOTE ORIGINALE — Bien que de nombreuses maladies ont chacun des noms différents, comme le rhume, fantoche, la dengue, j'ai les ai gardé parce que, peut-être, elles ont de significations variées dans les divers départements. Parmi les maladies pulmonaires, on a considéré la « douleur du côté » car elle vient souvent de la faiblesse des poumons. Parmi celles de l'estomac figure la dentition, car elle affecte l'estomac des enfants. Ici, rien d'autre ne devrait être ajouté parce que les chiffres sont clairs et les données limitées, il reste à observer le rôle des maladies transmissibles et héréditaires. NOTE DE TRADUCTION : Fantoche sans traduction; Colerín- dysenterie bacillaire ; Neumonía- pneumonie, Pulmonía- pneumonie(2) SOURCE: «Registro civil», Boletín trimestral de la estadística nacional de Colombia 2 (1893) p. 58
36
En analysant ces résultats, Warming souligna aux médecins la nécessité impérative de noter la cause dans le certificat de décès et il exhorta les maires des districts à recueillir ces données et à les transmettre dans un formulaire. Il n’avait alors nul doute qu’à mesure « qu’il était possible de connaître les maladies épidémiques ou les maladies les plus fréquentes dans chaque endroit, il restait une seule étape, soit les éviter, soit y remédier »88. D’après Warming, l’analyse des données des causes de décès d’une année entière pourrait suggérer des rapports entre le climat et les maladies, et peut-être déterminer si un département était plus favorable à certaines maladies qu’un autre. Bien que ce ne fût pas le cas, il tenta quand même d’avancer quelques conclusions. Par exemple, selon le climat du département d’Antioquia semblait favorable pour les affections de la poitrine et défavorable pour les maladies de l’estomac. Dans d’autres cas, les résultats étaient plutôt confus et Warming suggérait qu’il était fort probable que cela fût résultat du hasard, à cause justement de la quantité insuffisante des données. Si la question des maladies dominantes a été au cœur de son intérêt, les données ne lui ont pas permis d’aller loin89. Pour mieux saisir les maladies comprises dans les catégories « fièvres », « mort violente », « maladies des femmes » « maladies de l’estomac », « maladies des poumons », Warming prépara un autre tableau statistique (Tableau 4). Il informa les lecteurs qu’il avait laissé plusieurs noms pour une même maladie, car ils avaient été employés dans les différents départements. Un indice de plus des difficultés du regroupement des informations et de l’inexistence d’une nomenclature des causes de décès pour l’élaboration de ces statistiques. Warming présenta aussi les résultats sur les maladies contagieuses de façon séparée (Tableau 5). Il nota que dans le pays les fièvres, la dysenterie et la rougeole étaient en tête de liste et en déduisit que pour les départements de Cundinamarca et Santander la moitié des causes de décès fut provoquée par les maladies contagieuses. Selon ses données, ce dernier département a eu 3,4 % de décès par éléphancie (lèpre). Bien que cela semblait insignifiant, il suffisait de faire les « calculs » pour apprécier réellement la situation. Selon les inférences du directeur de la statistique, les données correspondaient à un mois pour une population qu’il estimait à 400 000 habitants. Si la Colombie avait 4 000 000 d’habitants et l’on calculait sept cas d’éléphancie par mois pour 400 000 habitants, cela équivalait à une mortalité annuelle de 850 personnes par éléphancie dans tout le territoire90. Effectivement, ce chiffre était très inquiétant, car, par exemple à l’époque, on enregistrait de cinquante à soixante malades de
88
Warming, « Registro civil », 54. Ibid., 55. 90 Ibid., 58. 89
37
lèpre en France91. Comme nous le verrons plus loin, en Colombie les estimations exagérées du nombre de personnes atteintes de lèpre vont être récurrentes. De même, la peur face aux lépreux généralisée dans le pays, aura des implications considérables sur l’administration de la santé publique.
Syphilis
Pneumonie
Pleurésie
Pneumonie (2)
Rougeole
Consomption
Angine
Gripe
Fantoches
Dengue
TOTAL
% de donnés reçues
9
68 14 10
0
7 15
1
0
6
2
2
8
0
0
0 142
44
198
5
25
9 17
2
0
0
0 13 26
0
1
0
0
6
7 111
56
Cundinamarca
138
1
30
6 10
0
0
0
0
9 10
0
2
0
3
0
0
71
51
51
3
9
1
0
0
1
0
0
0
2
0
0
0
0
18
35
TOTAL 710 18 132 30 39 2 7 16 1 22 42 2 7 8 3 6 7 342 SOURCE: «Registro civil», Boletín trimestral de la estadística nacional de Colombia 2 (1893) p. 59.
48
Tolima
2
0
Éléphancie
Dysenterie
323
Santander
Cancer
Phtisie
Antioquia
DÉPARTEMENT
Fièvres
Total des décès pour lequels il y a des données
Typhus et fièvre typhoïde
Tableau 5. Statistiques des causes de décès des maladies contagieuses dans quatre départements de Colombie pour le mois de janvier 1892
Pour clore le sujet des décès, Warming discute les statistiques sur les causes de décès par les maladies héréditaires (l’anémie, la phtisie, la syphilis, le cancer, la paralysie, la folie, l’éléphancie) et sur les décédés vaccinés et ceux qui avaient reçu une assistance médicale au cours de leur maladie. Selon lui, les chiffres des maladies héréditaires renforçaient son inquiétude par rapport aux mariages entre personnes attaquées par des maladies susceptibles d’affecter les générations suivantes. Quant à la vaccination, il indiqua qu’un quart des personnes décédées avaient été vaccinées, le département d’Antioquia présentant le plus grand pourcentage de vaccinés, 32%, tandis qu’à Santander, le département qui avait enregistré le plus grand nombre de décès, le pourcentage était 17. Warning ne donna aucune explication des différences dans les pourcentages de vaccinations départementales. Pour lui, il était fort probable que, dans les années à venir, on pourrait disposer de vaccins ou d’autres mesures de prévention des maladies contagieuses. Il se montrait confiant dans les progrès de la médecine et par ce biais dans la diminution de la mortalité92.
91 92
Teodoro Castrillón, De la lèpre en Colombie (Paris: Société d’éditions scientifiques, 1898), 18. Warming, « Registro civil », 60.
38
Sur l’assistance médicale, il signala qu’il y avait des informations pour 896 décès (56 %), mais parmi eux, seulement 211 en avaient bénéficié, soit 23 %93. On ne sait pas exactement à quoi correspond la notion « d’assistance médicale », ni qui se chargeait de l’administrer. Toutefois, cette estimation laisse soupçonner le précaire accès aux soins de la population colombienne à la fin du XIXe siècle. Encore une fois, Warming signale une différence notable entre les départements : en Antioquia le 48 % des décès ont eu une assistance médicale, tandis qu’en Santander, Cundinamarca et Tolima les chiffres furent 12, 9, et 11 % respectivement. Selon son argument, et en supposant qu’il y avait la même proportion de médecins par habitant dans les quatre départements, les différences montraient soit « le développement » de la population d’Antioquia, soit une plus haute quantité de chemins et des meilleures conditions facilitant l’accès à l’assistance médicale94. La qualité de l'enregistrement de tous ces chiffres, autrement dit la nature et la fiabilité des renseignements apportés, qui a donné lieu à toutes ces statistiques, est très discutable. Mais sa valeur n'est pas là. Ce qui intéresse est, d’une part, les observations et la grille d’analyse proposée par la première autorité nationale de statistique de l’époque, ses choix de regroupement des données, ses inquiétudes sur les maladies héréditaires et les maladies contagieuses et ses explications quant aux différences dans les pourcentages des décès entre les départements. D’autre part, c’est le fait que ces données correspondent aux premiers efforts du gouvernement colombien pour établir une statistique officielle des causes de décès. Beaucoup de chemin restera cependant à parcourir avant qu’une statistique moderne des causes de décès ne prenne une envergure nationale. Les obstacles étaient nombreux. En 1895, aucun numéro du Bulletin ne fut publié et aux problèmes de budget vint s’ajouter une nouvelle confrontation armée. Depuis la dissolution des États-Unis de Colombie, la polarisation politique du pays ne faisait qu’augmenter. La constitution de 1886 a empêché un important secteur de la classe dirigeante de participer à la direction de l’État, et celle-ci fut utilisée par les conservateurs et les indépendants comme un mécanisme pour détenir le pouvoir de façon indéfinie. Les libéraux plus modérés croyaient que les disputes internes du parti conservateur leur permettraient un certain accès au pouvoir, mais les libéraux belliqueux ont initié une révolte contre le gouvernement central en janvier 1895. En mars, la rébellion était contrôlée. Le manque d’organisation et l’absence de figures représentatives du parti libéral ont facilité la tâche du 93
Ibid., 60‑61. La prémisse d’une même proportion de médecins par habitant pour les quatre départements est fausse. Bogota — la capitale du pays et du département de Cundinamarca — et Medellín — capitale d’Antioquia — concentraient une partie importante des médecins du pays. Il est plus probable que les différences soient dues à des inconsistances dans la façon de suivre les registres. 94 Ibid.
39
pouvoir central, qui disposait d’armes, d’un meilleur financement et de facilités de recrutement. Néanmoins, pour une partie des libéraux le seul chemin possible pour reconquérir le pouvoir était la guerre civile. Ainsi, en 1899, le pays est entré dans l'une des guerres les plus dévastatrices de son histoire95. 1.1.2 Une réorganisation de la statistique nationale En 1896, le Congrès colombien promulgua la loi 151 (du 3 décembre) pour réorganiser la statistique nationale. Ainsi la loi 107 de 1893 fut suspendue, et l’organisation d’un bureau central dans la capitale du pays et des services pour chaque département n'a jamais été suivie d’effet. La nouvelle loi gardait le bureau central et ordonnait la création, dans chaque département, d’une Junta de estadística (Conseil de statistique) présidé par le Secrétaire du gouvernement et dans chaque municipalité s’organiseraient des commissions permanentes de statistique sous la direction du maire. Les matières d’intérêt étaient le territoire, la population, la production et l’industrie, l’administration des services publics, les travaux publics, les recettes et les dépenses96. La loi 151 remplaça donc les services de statistiques départementaux par des conseils, mais, elle sera aussi inopérante et de nouveau la responsabilité va retomber sur les maires97. D’ailleurs, tout le domaine des statistiques nationales, y compris le BCS, devint une responsabilité du Ministerio de Gobierno (ministère de l’Intérieur)98. La personne choisie pour diriger le BCS fut Henrique Arboleda Cortés (1850-1922)99, militaire réputé qui se lança dans le programme d’harmonisation des statistiques du pays. Pour son premier projet, proposé en novembre 1897, il a préparé un document, Memorandum para 95
Jorge Orlando Melo, « La república conservadora », in Colombia Hoy (Bogotá: Presidencia de la República, 1996), http://www.banrepcultural.org/blaavirtual/historia/colhoy/indice.htm. 96 República de Colombia et Oficina de estadística nacional, Circular, memorandum y modelos para los empleados y para la formación de la estadística general de la república (Bogotá: Imp. oficial, 1905), 3. 97 Alberto Charry Lara, Desarrollo histórico de la estadística nacional en Colombia (Bogotá: Departamento administrativo de planeación, 1954), 42. 98 Le ministère était organisé en 7 sections. La première chargée des fonctionnaires du pouvoir législatif et exécutif, du régime politique municipal et départemental, de la police nationale, des établissements de punition, et de l’imprimerie nationale et ses publications. La deuxième de l’administration du service de la poste et du télégraphe. La troisième des finances des fonctionnaires du pouvoir judiciaire et ministère public. La quatrième à tout ce qui était lié à la justice, la législation et le culte. La cinquième à la statistique nationale. La sixième à l’administration et l’organisation des léproseries, y compris sa législation, les statistiques de malades et de revenus. La septième à la presse nationale, sa statistique et la d’établissements typographiques. República de Colombia et Ministerio de Gobierno, Reglamento interno del Ministerio de Gobierno (Bogotá: Imprenta Nacional, 1906), 18‑20. 99 Il avait participé à l’insurrection contre le gouvernement libéral de 1876. En 1885, il prit part dans la campagne pour pacifier la côte atlantique colombienne. De retour à Bogota, il dirigea des divisions militaires. En 1895, il coordonna la persécution contre les guérillas révolutionnaires de Cundinamarca. Joaquín Ospina, « Arboleda Cortés Enrique », Diccionario biográfico y bibliográfico de Colombia (Bogotá: Editorial de cromos, 1927).
40
la estadística departamental, contenant la liste et la description des sujets à compiler par les fonctionnaires de la statistique municipale et départementale. Le Memorandum serait envoyé aux gouverneurs avec plusieurs copies d’un « livre » dont la structure était celle d'un annuaire municipal tout fait. Donc, ils devaient envoyer trois copies à chaque municipalité et les maires étaient chargés de lire les instructions et remplir les blancs. Le maire garderait une copie pour sa municipalité, enverrait la deuxième à la section départementale de statistique, et la troisième serait conservée au BCS. L’idée du livre fut conçue afin de ne pas envoyer des formulaires séparés, qui arrivaient de manière discontinue et étaient très faciles à perdre comme l’avait constaté l’administration précédente. Puisque la statistique municipale était à la base de la départementale, Arboleda Cortés insistait sur le devoir patriotique des maires de remplir le livre type annuaire municipale de la façon la plus attentive possible. Les gouverneurs à leur tour devaient faire la même chose pour la statistique départementale100. Le plan du soi-disant annuaire municipal était très vaste. Il comprenait des données historiques, une description climatique et géographique avec la liste des animaux et des plantes de la région, détaillant les limites de la municipalité, une esquisse avec l’échelle, une liste des arrêts et des ordonnances, la cédula de vecindad (l’attestation de domicile), le recensement de la population, ou par défaut, son estimation et « son mouvement » (naissances, décès, mariages, croissances, etc.), la liste des employés publics avec leurs salaires, une section sur la bienfaisance, une autre sur la nosologie, des informations sur l’instruction publique, l’administration de justice, le budget municipal, les travaux publics, la navigation et le commerce, et finalement une dernière sur les maladies des plantes cultivées et celles des animaux d’élevage101. Sur la bienfaisance et la santé, il fallait enregistrer le mouvement des patients dans les asiles, les hôpitaux, les hospices, les maisons d’aliénés, les léproseries, les lieux de réclusion, les refuges des jeunes et de faire beaucoup attention aux lépreux et à l’alcoolisme. Quant à la nosologie, Arboleda Cortés déclare avoir suivi la classification des maladies retrouvée dans les statistiques de l’Uruguay et l’Argentine, deux pays avec des bureaux de statistiques établis depuis quelques décennies. Ainsi, il la retranscrivait avec le désir d’avoir la même classification pour tous les départements, et ensuite de connaitre les maladies dominantes dans le pays, et celles auxquelles les étudiants de médecine pourraient dédier leurs recherches de fin d’études. Selon le modèle suivi, il fallait consigner aussi le nombre des personnes vaccinées et revaccinées, l’emploi de la vaccination antirabique, le nombre d’analyses bactériologiques, 100
República de Colombia et Ministerio de Gobierno, Memorandum para la estadística departamental (Bogotá: Imprenta Nacional, 1898), 6‑10. 101 República de Colombia et Ministerio de Gobierno, Memorandum para la estadística departamental.
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l’emploi et les résultats de la sérothérapie, les cas de guérison notables et les chirurgies remarquables102. Des questions manifestement transposées des annuaires étrangers et dont la plupart dépassaient la réalité des pratiques médicales en Colombie. Par exemple, le premier laboratoire bactériologique de Medellín n’est créé qu’en 1896, par l’initiative privée du médecin Juan B. Montoya y Flóre , et il sera le seul à fonctionner dans la ville jusqu’à l'année 1917. Par ailleurs, l’installation du premier laboratoire dans la capitale du pays pour la production du vaccin contre la variole, connu sou le nom de Parc de vaccination a eu lieu en décembre 1897, et son budget a été très réduit103. L’absence de liens entre le BCS et les autorités d’hygiène et de santé est incontestable. Cependant, et comme nous le décrivons dans une autre section de la thèse, en 1899, Arboleda Cortés demanda l’avis du CCH et de l’Académie de médecine à propos de la mise en œuvre dans le pays des registres des décès selon la nomenclature internationale. Nous verrons la façon comme se sont noués les premiers dialogues entre ces institutions. Au-delà du Memorandum, malheureusement nous n’avons pu retrouver dans les archives consultées aucun exemplaire du soi-disant annuaire conçu par Arboleda Cortés. Mais, compte tenu du déficit de fonctionnaires dans l’ensemble du pays, le fonctionnement irrégulier ou exigu des services de statistique, et le déclenchement de la guerre de 1899, il est difficile de croire qu’un projet d’une telle envergure ait été réalisé. En fait, cette guerre va beaucoup altérer le fonctionnement de toute l’administration publique. Par sa durée, cette guerre fut nommée la Guerra de los mil días (Guerre des mille jours), et ses principales ones d’influence furent les départements de Santander, Tolima, Panama et la côte Atlantique. Par son extension et son évolution, elle a affecté toutes les structures et domaines de la société colombienne. Le conflit a éclaté à cause des intentions explicites du parti libéral de s'opposer à l'hégémonie conservatrice et officielle de la Régénération et aux réformes centralistes établies à partir de la constitution politique de 1886. Au début, le parti libéral a essayé d’influer sur les réformes par les moyens législatifs et électoraux, mais bientôt les partisans les plus radicaux ont recouru à la force. Ainsi, en octobre 102
La classification, proche de celle de Bertillon regroupe les maladies de la façon suivante : A. Maladies générales, B. Maladies particularisés dont, I maladies épidémiques, générales, infectieuses, dystrophiques, dyscrasies, mal déterminés ; II maladies du système nerveux ; III maladies de l’appareil respiratoire ; IV maladies de l’appareil circulatoire ; V maladies de l’appareil digestif et annexes ; VI maladies de l’appareil génito-urinaire ; VII maladies de l’appareil locomoteur ; VIII maladies puerpérales ; IX vieillesse ; X morts violents ou accidentelles, XI maladies de yeux et de l’oreille ; XII éléphantiasis, tétanos, lèpre et cancer ; XIII maladies générales Ibid., 24‑29. 103 Victoria Estrada Orrego et Jorge Márquez Valderrama, « Etiología parasitaria y obstáculos o epistemológicos: el caso de la malaria en Colombia », História, Ciências, Saúde-Manguinhos 14, n 1 (2007): 112‑113.
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1899, ils ont attaqué de manière très inattendue la ville de Bucaramanga, ce qui a constitué une déclaration de guerre au régime du président conservateur Manuel Antonio Sanclemente104. Sur une population totale d’environ 4 000 000 habitants, les historiens estiment à 80 000 le nombre des morts par la guerre (chiffre comprenant les décès au combat, ceux par des maladies épidémiques et ceux par des coups de feu ou assassinés). Malgré l’extrême violence des combats, le libéralisme n’a pas pu renverser le gouvernement conservateur. De sa part, le parti officiel n’a pas pu reconstituer l’ordre social dans le pays, même s’il a réussi une extermination de presque toutes les guérillas dispersées105. La majorité de la population du pays vivait dans les campagnes et le recrutement forcé fut une pratique courante, sans considération d’âge par aucun des deux partis. En conséquence, les champs de bataille furent peuplés de soldats aussi bien que d’enfants, de malades, de handicapés et même de déments. Après les combats, la disposition des cadavres était problématique, car pour la plupart ils furent laissés sur le terrain où ils étaient attaqués par des charognards, enterrés dans des fosses communes ou jetés dans des précipices, dans des ruisseaux ou des rivières. Les soldats malades furent abandonnés à eux-mêmes et les blessés furent soignés par de simples voisins. En outre, les conditions insalubres des campements et la famine ont favorisé l’émergence des épidémies. Les services de soins d’urgences furent prodigués aux blessés par des ambulances ou par des organismes de secours, une sorte de camps itinérants qui, malgré la pénurie, prétendaient avoir l’infrastructure d’un hôpital. Les conditions de la plupart des hôpitaux nationaux, utilisés par les partisans du gouvernement, étaient aussi mauvaises, ils étaient mal équipés, manquaient de médicaments et même de médecins106. À la fin de 1902, au milieu de l'épuisement général du pays et sans perspective de succès, les libéraux ont décidé de mettre un terme à la guerre par la signature d’une série de traités avec le gouvernement, dont les principaux ont été celui signé à bord de l’embarcation USS Wisconsin par le général Benjamín Herrera, et celui de Neerlandia, signé par le général Rafael Uribe Uribe. En partie, à cause de cette guerre, le département de Panamá s’est
104
Malcolm Deas, « Reflexiones sobre la guerra de los Mil Días », Revista Credencial Historia 121 (2000). Aída Martíne , La guerra de los Mil Días: testimonios de sus protagonistas, 1. ed, La línea del horizonte (Bogotá: Planeta, 1999), 211. 106 Maladies comme la dysenterie, le paludisme, la pneumonie, la variole et les fièvres (jaune, typhoïde, pernicieuse) furent très récurrentes. Catalina Castrillón Gallego, « Heridas, fiebres y otras dolencias en la Guerra de los Mil Días, 1899-1902 », in Poder y saber en la historia de la salud en Colombia (Medellín: Lealon, 2006), 73‑98. 105
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rapidement détaché de la Colombie107. Le conflit fut réputé par la brutalité de ses batailles et par la dégradation économique de l’État colombien. Avant la guerre, l’économie nationale fut frappée par la baisse du prix international du café — principal produit d’exportation du pays. Pendant le conflit, cette situation fut aggravée par le déficit de main-d’œuvre et par la perturbation du transport des marchandises. Cette crise affecta, à court et à moyen terme, le budget national et ceux des départements108. La participation active d’Arboleda Cortés dans cette guerre et sa coopération dans l’organisation d'un coup d'Etat réactionnaire — suite à la non acceptation, en juin 1900, de la défaite de la fraction conservatrice nationaliste — l’amène à s’exiler pendant un certain temps en l'Espagne109. A son retour au pays, il reprit son poste au BCS et consacra des efforts importants à la préparation et publication de trois ouvrages. L’un sur la délimitation géographique du territoire colombien, y compris la division territoriale, administrative et électorale, un autre sur les recensements de population et la statistique nationale, et un troisième sur la compilation des mémorandums et des modèles de formulaires pour les fonctionnaires de la statistique nationale110. En 1906, une nouvelle réforme tenta de fusionner les divisions de statistique qui existaient dans différentes sections de l’administration publique. Le ministère des Finances et du Trésor reprit le contrôle des statistiques nationales et le BCS devint la Dirección general de estadistica (Direction générale de statistique DGS). Les résultats des travaux statistiques réalisés par le BCS en 1905 furent publiés en 1907, sous la direction de Vicente Parra R., successeur d’Arboleda Cortés. L’ouvrage consacra la plupart de ses pages à la statistique du commerce extérieur. Les difficultés à rassembler des données fiables sur les naissances et la mortalité nationaux ont restreint les chiffres aux données concernant seulement trois départements (Antioquia, Galán et Cundinamarca) et la capitale du pays. Selon le directeur de la statistique, le principal obstacle pour la synthèse de données démographiques fut la négligence récurrente des curés de paroisses dans la préparation des registres et dans l’envoi des chiffres aux maires et aux gouverneurs111 En fait, pendant les années suivantes, 107
Deas, « Reflexiones sobre la guerra de los Mil Días. » Thomas Fischer, « Desarrollo hacia afuera y “Revoluciones” en Colombia, 1850-1910 », in Memoria de un país en guerra (Bogotá: Planeta, 2001), 38. 109 Ospina, « Arboleda Cortés Enrique. » 110 Henrique Arboleda Cortés, Límites generales de Colombia (Bogotá: Imprenta Nacional, 1905); Estadística general de la República de Colombia (Bogotá: Imprenta Nacional, 1905); República de Colombia et Oficina de estadística nacional, Circular, memorandum y modelos para los empleados. 111 Les tableaux registrèrent par provinces ou municipalités le nombre de : naissances (par sexe et légitimité), décès (par sexe), mariages et le différentiel entre les naissances et les décès. Pour la capitale du pays, un tableau supplémentaire condense les chiffres de la mortalité selon une liste de causes de décès organisé par ordre alphabétique (ANNEXE 2). República de Colombia et Dirección 108
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l’incapacité administrative de produire et de rassembler les statistiques commerciales du pays va se traduire par l’apparition des données fragmentaires dans les rapports du Ministre des finances112.
1.2 Les statistiques de santé et la pratique de la médecine Étant donnée l'instabilité politique et institutionnelle de la première moitié du XIXe siècle, l’enseignement de la médecine en Colombie fut très discontinu dans le temps et très dispersé dans l’espace. En 1837, trei e chaires de médecine étaient ouvertes dans le pays et pour la plupart dans des collèges de provinces pauvres en ressources matérielles et académiques. Ces cours ne fournissaient pas un entraînement médical adéquat113. Ceux qui souhaitaient étudier la médecine avaient deux options : travailler sous la tutelle privée d'un médecin à la trajectoire remarquable ou, au cas où l’on disposait des ressources financières, partir étudier en Europe. Les étudiants expatriés préféraient la France et spécialement Paris114. L'enseignement de la médecine a été troublé par la loi du 15 mai 1850115, promulguée dans le cadre de réformes d'un libéralisme à outrance sous le gouvernement de José Hilario López (1849-1853). Cette loi a presque supprimé le peu d'universités existantes (Bogota, Carthagène et Popayan) et a donné une liberté totale à l’enseignement116. Comparable à l'abolition des règlements médicaux en France entre 1792-1794117, cette réforme faisait partie d'une forte opposition libérale à tout type de monopole, soit économique, soit social ou politique118. Toutefois, pour remplir le vide créé par cette loi, en 1864, un groupe de médecins, certains d’entre eux diplômés en France, a créé une école privée de médecine à Bogota et a
general de estadística, Estadística anual de la república de Colombia (Bogotá: Impr. Eléctrica, 1907), 59 ‑68. 112 o Paul Hermberg, « Las actividades estadísticas de Colombia », Anales de economía y estadísticas IV, n 8 (1941): 30. 113 Diana Obregón, « Lepra, exageración y autoridad médica », Asclepio L‑ 2 (1998): 127. 114 Néstor Miranda Canal, « La medicina en Colombia. De la influencia francesa a la norteamericana. », 2005, http://www.banrepcultural.org/blaavirtual/revistas/credencial/mayo1992/mayo1.htm. 115 « Est libre, dans la République, l'enseignement dans toutes les branches des sciences, des lettres et des arts. Le diplômé ou le titre scientifique ne sera pas nécessaire pour exercer des professions scientifiques ; mais il pourrait être obtenu par les personnes qui le veulent » Colombia. Ley del 15 de mayo de 1850. 116 Néstor Miranda Canal, “La medicina en Colombia..” 117 Matthew Ramsey, Professional and popular medicine in France, 1770-1830: The social world of e medical practice, 2 éd. (Cambridge: Cambridge University Press, 2002). Cité par bregón, “Lepra, exageración y autoridad médica,” 118 Obregón, « Lepra, exageración y autoridad médica », 127.
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fondé la revue Gaceta Médica de Colombia119. Sous le régime libéral radical (1863-1880) fut promue l’éducation publique et les études académiques de médecine ont atteint une certaine stabilité. Le gouvernement national a fondé, en 1867, l’Universidad Nacional de los Estados Unidos de Colombia. L’école privée de Bogota fut incorporée à cette institution comme l’Escuela de Medicina y Ciencias Naturales. Son premier responsable fut Antonio Vargas Reyes, médecin diplômé à Paris, et son premier plan d'études médicales — qui devait servir de modèle pour les autres universités de Colombie — portait de fortes traces de la clinique française120. En fait, l’École de médecine de Medellín, dont les activités commencèrent en 1872, a suivi le modèle éducatif français avec une forte prédominance de l’enseignement anatomoclinique. Dans cette même École, l’étiopathologie, qui expliquait l’origine de certaines maladies par l’action de microbes ou d’agents externes, fut introduite pendant la décennie 1890121. D’autres recherches ont montré que, l’Escuela de Medicina y Ciencias Naturales avec la Sociedad de Medicina y Ciencias Naturales de Bogotá, créée en 1873, la Academia de Medicina de Medellín122 (1887), la Revista Médica de Bogotá (1873-1922) et les Anales de la Academia de Medicina de Medellín (1887-1913), formèrent un ensemble de base de la professionnalisation de la médecine en Colombie123. Ce processus d’institutionnalisation de la médecine colombienne a renforcé celui de la consolidation de la communauté médicale locale et celui de son insertion dans le champ médical international. Comme nous allons le montrer au long de cette thèse, ces trois processus ont été indispensables pour la production de statistiques de santé au niveau national. 1.2.1 Le mouvement des malades et les hôpitaux militaires dans la seconde moitié du XIXème siècle La question de la production des statistiques médicales pendant la seconde moitié du XIXe siècle en Colombie se pose aussi pour les chiffres des hôpitaux. Effectivement, ceux-ci 119
« Dans la revue furent publiés des travaux dans la perspective connue comme “pathologie nationale” ; ils ont été discutés de problèmes de santé publique et d´intérêt syndical et des sujets relatifs aux fondements philosophiques et épistémologiques du savoir et la pratique médicale. Des travaux des médecins européens furent reproduits, spécialement ceux des médecins français ». Miranda Canal, « La medicina en Colombia. De la influencia francesa a la norteamericana. » 120 Ibid. 121 Le discours physiopathologique français fut introduit dans cette école par le médecin et naturaliste Andrés Posada Arango. Adolfo León González Rodríguez, La modernización de la Facultad de medicina de la Universidad de Antioquia: 1930-1970 (Medellín: Universidad de Antioquia, 2008), 102‑103. 122 Corporation scientifique de caractère officiel qu’avait à sa charge le développement de la médecine nationale et fonctionnait comme corps consultatif d´hygiène départementale en Antioquia. Pendant quelques années, la publication de son périodique Anales de la Academia de Medicina de Medellín fut subventionnée par le gouvernement. 123 Obregón, Batallas contra la lepra; Márquez Valderrama, Ciudad, miasmas y microbios, 1‑15.
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sont le résultat de formes d’activités et d’enregistrements dont les buts et les moyens sont différents de ceux du mouvement de la population ou des recensements, qui présupposent une organisation nationale. Les statistiques des hôpitaux se trouvent sous un registre différent, en principe, elles visent des fins de gestion. Cependant, dans un contexte culturel où les énoncés numériques n’étaient pas courants, elles sont avantageuses pour notre analyse, car d’une part, elles vont nous permettre de mettre en évidence la façon dont les médecins ou les fonctionnaires publics s’en sont servi. De l’autre, elles nous approchent des conditions des services de santé nationaux dans un pays où se sont déclenchées souvent des confrontations belliqueuses. Dans notre dépouillement des archives, nous avons eu du mal à trouver des séries documentaires concernant des registres mortuaires ou sanitaires des hôpitaux de la seconde moitié du XIXe siècle124. Néanmoins, dans différents journaux colombiens furent publiées quelques statistiques du mouvement de patients. Ces statistiques, bien que rares et sans continuité, constituent l’une des marques de la volonté officielle de documenter, à travers la quantification des patients entrants et sortants, les travaux faits à l’intérieur des hôpitaux militaires de différentes régions du pays. Toutefois elles sont loin de témoigner d’une préoccupation gouvernementale par rapport à la santé de la population. Dans cette section du chapitre, nous nous occuperons que des statistiques des hôpitaux militaires les plus anciennes. Dans une autre section, nous analyserons celles des hôpitaux publics, dont le registre d’analyse est les maladies dominantes. I L’observation clinique et le statut du « vrai médecin » L’administration des hôpitaux militaires était sous la responsabilité des autorités gouvernementales et leur fonctionnement était une partie importante des enjeux de la guerre. C’est probablement la raison de la publication de ces statistiques dans des journaux officiels départementaux et nationaux. C’est pour cela aussi que leurs traces sont parvenues jusqu’à nous. Un tableau statistique de l’hôpital militaire pour le mois d’octobre 1863 a été publié dans la Gaceta Oficial de Antioquia, le journal officiel de l’État d’Antioquia. Ce registre statistique, bien que simple, fut le point de départ de la défense, faite par le médecin Andrés Posada Arango, du statut des médecins détenant un titre universitaire. Cette défense est apparue dans le contexte de la libéralisation des professions établie par la loi de mai de 1850 et renforcée par la Constitution de 1863. Le tableau apparaît accompagné de quelques 124
L’ HSJD es une exception à cette situation. Cf :Estela Restrepo Zea, El Hospital San Juan de Dios, 16351895: una historia de la enfermedad, pobreza y muerte en Bogotá (Bogotá: Universidad Nacional de Colombia, Sede Bogotá, Facultad de Ciencias Humanas, Departamento de Historia, Centro de Estudios Sociales-CES, 2011), 443‑460.
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commentaires, mais avec les rares données dont nous disposons, nous ne pouvons rien dire sur la création de cet hôpital, non plus sur son administration ou son fonctionnement et sa pratique des registres d’entrées et de sorties de patients125. La Colombie venait de traverser la guerre civile de 1860-1862 ayant opposé les conservateurs, qui étaient au pouvoir, aux libéraux. La victoire a été remportée par ces derniers, qui rédigeront une nouvelle constitution à caractère fédéraliste et libérale (Constitución de Rionegro, de 1863). Les Estados Unidos de Colombia était constituée par neuf états autonomes. La statistique dont il s’agit ici appartient à l’hôpital militaire de l’État autonome d’Antioquia, probablement situé à Medellín. Le médecin qui l’a élaborée et signée, Andrés Posada Arango, avait à l’époque 24 ans, détenait son diplôme de docteur depuis 1859 et avait parcouru le territoire de la jeune nation comme médecin militaire pendant la guerre de 1860-1862. Puisque les données comprennent un seul mois, on ne peut pas suggérer que ce type de statistiques fût monnaie courante dans le service médical. À l’époque, l’accès aux soins et donc la possibilité de construire des statistiques médicales dans les hôpitaux militaires restaient exceptionnels. Lors des campagnes en dehors la caserne, les militaires gravement malades, dans les cas où les responsables du bataillon n’arrivaient pas à leur apporter les rations et les médicaments nécessaires, pouvaient être passibles de rester sous la responsabilité des habitants civils. La générosité et la philanthropie de ces personnes furent pour beaucoup des soldats l’ultime remède pour échapper au désespoir, à la famine et à la mort126. Le tableau de Posada Arango enregistre les maladies par ordre alphabétique et quantifie les patients selon la durée d’hospitalisation et l’achèvement du traitement sous les catégories : « pendant tout le mois », « guéris », et « morts ». Les maladies les plus fréquentes furent : les ulcères (21), la syphilis (7), la blennorragie (5) et l’anémie (5). Il attire l’attention sur le fait que le travail du médecin à l’hôpital se montre davantage efficace. Des 70 patients suivis, 39 furent guéris et il n’y a eu aucun mort (Tableau 6).
125
Andrés Posada Arango, «Hospital militar. Cuadro estadístico del mes de octubre de 1863», Gaceta oficial de Antioquia (Medellín, Noviembre 10, 1863), sec. Secretaria de gobierno. 126 Jorge Álvarez, « Hospital militar de Santa Ana », Diario oficial. Estados Unidos de Colombia, 1864, sect. Secretaria de Guerra i marina.
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Guéris
Anémie
5
5
Angine amygdales
1
1
Bubon
1
Blennorragie
5
3
Bronchite aiguë
1
1
Diarrhée
1
1
Dysenterie
2
Stomatite ulcéreuse
2
1
Fièvre intermittente
1
1
Fièvre inflammatoire
2
1
Phlegmon
1
Fièvre typhoïde
1
Gastrite
2
1
Hémorroïdes
1
1
Hydrocèle
1
Blessures
2
Hyper-splénotrophie
1
Pneumonie
4
4
Pleurésie
2
1
Rhumatisme aigu
1
1
Rougeole
2
2
Gale
1
Syphilis
7
4
Varioloïde Ulcères
2 21
2 8
MALADIES
Morts
Pendant tout le mois
Tableau 6. Statistiques de l’Hôpital militaire de l’Etat autonome d’Antioquia pour le mois d’octobre 1863
1
TOTAL du mois Avec prescription
70
Guéris
39
Aucun Morts SOURCE: Andrés Posada Arango, ‘Hospital militar. Cuadro estadístico del mes de octubre de 1863’, Gaceta oficial de Antioquia (Medellín, 10 Noviembre 1863), sección Secretaria de gobierno, p. 198.
Les commentaires du médecin sur cette statistique se sont restreints aux deux cas cliniques de patients attaqués par la dysenterie. Selon son expérience professionnelle de cinq mois à cet hôpital, Posada Arango signalait cette maladie, parmi les affections aigües, comme la plus dangereuse, surtout en raison de sa diversité de formes cliniques. Pour la combattre, il
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fallait avoir recours à différentes méthodes thérapeutiques: la méthode antiphlogistique127, l’opium ou l’utilisation de laxatifs. Le médecin «devait rester tout le temps au chevet du malade », car il devait être très attentif au déroulement de la maladie. La guérison du patient était impossible autrement128. L’observation clinique était au centre du processus thérapeutique. L’âge, le tempérament du patient, les causes diverses de la maladie, le climat, la constitution atmosphérique, les habitudes et d’autres circonstances imposaient des modifications de soins. Pour Posada Arango, une méthode curative unique était insuffisante. Il objectait au « système naïf » de prescription des médecins empiriques129 pour lesquels il y aurait un remède pour chaque maladie. Seulement guidés par « les principes de la médecine rationnelle, il est possible, sinon de guérir tout le monde, du moins de diminuer la mortalité »130. Il revendique l’autorité du savoir conféré par l’observation clinique, et oppose la médecine rationnelle pratiquée par les médecins à la médecine empirique exercée par une personne quelconque. Le droit d’exercer la médecine, le vrai médecin le détient de son diplôme.Dans le cas de ce jeune médecin officiel, ce diplôme a été acquis après avoir travaillé pendant plusieurs années comme assistant des médecins réputés de Medellín et ensuite d’avoir voyagé à Bogotá pour préparer et présenter, au sein du Colegio del Rosario, les examens131. Tous ces efforts justifient son mépris des empiriques. Pour parvenir à faire résonner sa plaidoirie, il profita de l’espace d’un journal officiel. Sa manière de contester la loi autorisant le libre exercice de la médecine fut de présenter et de commenter les données quantitatives de l’hôpital militaire où il travaillait. Représentée par le nombre significatif de patients guéris et une mortalité nulle, sa stratégie légitima son statut de médecin diplômé et la fonction de médecin militaire. La guerre civile de 1885 annula la Constitution de 1863, inspirée par le radicalisme libéral, et elle donna lieu à une grande réforme politique et administrative qui s’accomplit avec la promulgation d’une nouvelle charte constitutionnelle. La Constitution centraliste de 1886 réglementa de façon assez large la pratique de la médecine. Il était stipulé que les personnes
127
Traitement antiphlogistique : Il consiste dans l'emploi des saignées, générales ou locales, des boissons aqueuses, amylacées, mucilagineuses ou acidulés, selon les circonstances, des bains tièdes, des applications émollientes et de l'abstinence plus on moins complète des aliments. Emile Littré et Ch. Robin, Dictionnaire de médecine, de chirurgie, de pharmacie, de l’art vétérinaire et des sciences qui s’y rapportent, 13e édition (Paris: J.-B. Baillière, 1873), http://gallica.bnf.frhttp://www.biusante.parisdescartes.fr/histmed/medica/cote?37020d. 128 Posada Arango, « Hospital militar. Cuadro estadístico del mes de octubre de 1863. » 129 Catégorie fréquemment utilisée pour désigner les médecins sans diplôme. 130 Posada Arango, « Hospital militar. Cuadro estadístico del mes de octubre de 1863. » 131 Luz Posada de Greiff, Andrés Posada Arango: su vida y su obra (Bogotá: Fondo FEN, 1995).
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dédiées à la médecine et ses professions auxiliaires devaient présenter aux autorités des certificats de compétence. Néanmoins, dans les décennies qui suivirent la mise en vigueur de la constitution de 1886, la régularisation de la pratique de la médecine — dont Posada Arango plaidera la cause — sera encore un sujet de débat et sera de difficile application à cause du faible nombre de médecins diplômés dans le pays. II La santé des troupes Dans une documentation de 1887, nous avons repéré un autre registre du mouvement de patients dans un hôpital militaire colombien. En contraste avec celui de 1863, celui-ci n’est pas suivi de commentaires et il a été signé par un fonctionnaire du bataillon et non par un médecin. Il s’agit d’un tableau publié dans le Journal officiel de la nation Diario Oficial, section ministère de la Guerre, qui présente les cas de 80 militaires ayant eu des traitements thérapeutiques à l’hôpital militaire de San José Cúcuta132. Le tableau fut préparé par Reinaldo Forero U., adjoint principal du Commandant du Bataillon de tireurs 9, situé à Cucuta. Chaque fiche de malade contient l’information suivante : nom complet du patient, lieu de naissance, état civil, âge, rang dans l’armée, bataillon, ainsi que la compagnie, le diagnostic, la date d’entrée, la date de sortie, si guéri, si mort et s’il fut inoculé contre la variole. À la fin, Forero note qu’un médecin, Julio Uricoechea, recevait et diagnostiquait les malades. Forero n’a pas agrégé les chiffres. Il fait une copie conforme des registres du Bataillon et envoie le rapport au ministère de la uerre. Ce type d’information était demandé afin de vérifier les activités des médecins affectés aux hôpitaux militaires et de superviser les conditions de santé des troupes (Tableau 7). Quand on agrège les données du tableau, on note que l’effectif était pour la plupart célibataire (74/80), recruté assez jeune — même à 14 ou 15 ans — et que les maladies les plus fréquentes étaient les fièvres (30), la rougeole (15) et les maladies vénériennes (13).
132
A cette époque, la ville de Cucutá appartenait au Département de Santander. Reinaldo Forero, « Cuadro que manifiesta el movimiento del Hospital Militar de Cúcuta en el curso del mes de mayo del presente año », Diario oficial, 2 juillet 1887, sect. Ministerio de Guerra.
51
Tableau 7. Mouvement de patients à l’hôpital militaire de Cúcuta pour les mois d’avril et mai 1887
52
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NOTE ORIGINALE : Il est à noter que le docteur Julio Uricoechea, médecin de l’armée colombienne, a accompli sa mission avec succès, il arrive à l'heure et voit soigneusement les malades du Bataillon tireurs n°9. San José de Cucutá, le 31 mai 1887. Copie conforme des livres de "La Mayoria" Pour le Commandant -Assistant supérieur Reinaldo Forero U. NOTE : id =identique SOURCE : Reinaldo Forero, «Cuadro que manifiesta el movimiento del Hospital Militar de Cúcuta en el curso del mes de mayo del presente año», Diario oficial (Bogotá, Julio 2, 1887), sec. Ministerio de Guerra
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Il est remarquable que l’effectif du bataillon de San José de Cúcuta ait été vacciné en totalité compte tenu des grandes vicissitudes des bureaux de vaccination dans le pays. Depuis l’arrivée, en 1803, de la Real Expedición filantrópica de la vacuna (Réelle expédition philanthropique du vaccin) — dont les buts étaient la propagation dans les possessions espagnoles d’outre-mer du vaccin de la variole, l’instruction des médecins locaux dans son emploi et son application et l’établissement des Conseils de Vaccination pour élaborer des registres et conserver le virus actif — le vaccin fut conservé et propagé par différents médecins jusqu’à 1840. Cette année-là fut créé un bureau de vaccination à Bogota, mais il fut supprimé en 1843 et le « pus bovin » a disparu dans le pays. L’année suivante, le virus fut importé à nouveau de l’étranger, un autre bureau de vaccination fut établi et deux ans après, fut constituée une « Société centrale de propagation du vaccin ». Cependant, la guerre de 1860 et l’absence d’épidémie ont conduit à une deuxième disparition du pus bovin. À cause du déclenchement d’une épidémie de variole en 1881, de nouveaux efforts pour conserver et propager le virus ont été mis en œuvre par les autorités locales. Néanmoins, et encore une fois, à la fin de l’épidémie, le manque de budget a fait disparaitre le bureau133. L’attachement au modèle jennérien de vaccination « bras à bras » et les disputes pour la centralisation de la pratique de la vaccination vont retarder la production du vaccin animal dans le pays134. De toute façon, le fait que le personnel du bataillon a été vacciné suggère un intérêt véritable des autorités pour le contrôle de cette maladie dans les casernes. Les conflits internes de la Colombie ont troublé la consolidation du pouvoir de l’État et l’amélioration des conditions de vie de la population. La plupart des ressources étaient destinées à la guerre et non à la construction d’infrastructures déjà difficiles à installer à cause de la géographie escarpée du pays135. À l’époque, une grande partie du territoire colombien était inexplorée et d’accès difficile, les chemins de pénétration qui faisaient communiquer certains villages entre eux étaient abrupts, de sorte que, dans leurs déplacements, les troupes se trouvaient soumises aux intempéries, traversaient des zones sauvages de forêt tropicale au climat très contrasté. Les soldats étaient ainsi facilement attaqués par la fièvre jaune et le paludisme. D’autres maladies infectieuses et contagieuses étaient très fréquentes dans les 133
o
Pedro María Ibáñez, « Apuntes sobre viruela en Colombia », Revista de higiene 20, n 7 (1939): 18‑ 20; Pour savoir plus sur la Réele expédition philanthropique du vaccin voir : Renán José Silva, Las epidemias de viruela de 1782 y 1802 en el virreinato de Nueva Granada, 2a. ed (Medellín: La carreta editores, 2007), 175‑212. 134 Diana Obregón, « La viruela o la política de las cosas », in Proyecto ensamblando en Colombia, éd. par lga Restrepo Forero (Universidad Nacional de Colombia. Facultad de Ciencias Humanas : Colciencias, 2013), 163. 135 Salomón Kalmanovitz, « Consecuencias económicas de la independencia en Colombia », Revista de o economía institucional 10, n 19 (2008): 208.
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espaces confinés et surpeuplés des casernes. Cette situation explique en partie pourquoi, à une époque où la santé publique n’existait pas pour l’ensemble de la population colombienne, une certaine attention fut portée aux activités réalisées dans les hôpitaux militaires. Comment fonctionnaient ces hôpitaux militaires ? Le décret 955 de 1893 nous donne une idée de ce qu’était le modèle d’administration d’un hôpital militaire à la fin du XIXe siècle en Colombie136. Le décret instituait les postes de syndic-contrôleur et d’adjoint de syndic. Il fixait aussi le nombre des assistants médicaux à hôpital militaire central de Cundinamarca137. L’administration des finances de l’hôpital retombait sur le syndic, le responsable des communications et demandes au ministère de la Guerre. Parmi ses fonctions il y avait : l’achat de la nourriture, des médicaments et d’autres objets nécessaires à l’hôpital ; la collecte de certains paiements pour des hospitalisations d’officiers et de quelques malades enrôlés dans l’armée ; l’administration des fonds en provenance de la section « bienfaisance » du ministère du Trésor national ; la tenue des livres des comptes de l'hôpital ; l’approbation et la distribution des salaires des « employés scientifiques » ; la surveillance de l’observation du règlement de l'institution et son adaptation aux contingences ; la tenue d’un registre quotidien, avec les noms et prénoms, les entrées et les sorties des patients ; la signature des certificats de décès et l’attribution à l'officier de service des moyens de maintenir le contrôle interne de l’hôpital138. Pour l’achat de la nourriture, il fallait souscrire des contrats verbaux ou écrits. Le syndic devait suivre les instructions des Sœurs de la Charité, chargées du régime interne de l’hôpital, il devait aussi justifier les dépenses par des factures. Pour les achats de médicaments, il était nécessaire d’obtenir une autorisation préalable du ministère de la uerre pour signer des contrats. L’achat était du ressort exclusif de la sœur supérieure et du médecin-chef. Les livraisons che le pharmacien ou che le responsable du stockage de l’hôpital étaient toujours suivies et les factures étaient obligatoires139. Le paiement des salaires des médecins adjoints et des assistants médicaux était effectué par le médecin directeur et approuvé préalablement par le syndic. Les relevés des rations et des salaires des Sœurs de la charité et des domestiques étaient nominaux et chaque jour de service des employés était enregistré. Le syndic devait rapporter les comptes le 10 de
136
Le syndic était aussi susceptible de recevoir des ordres ou des fonctions supplémentaires du Ministre de la guerre. República de Colombia et Gobierno nacional, « Decreto número 955 de 1893 (22 de mayo) que crea dos empleados para el Hospital Militar de esta ciudad y fija el número de practicantes del mismo establecimiento », Diario oficial, 25 juillet 1896, sect. Ministerio de Guerra, 607‑608. 137 Ibid. 138 República de Colombia et Gobierno nacional, « Decreto número 955 de 1893 (22 de mayo). » 139 Ibid., 608.
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chaque mois, pour qu’ils soient inspectés par le Conseil fiscal de l’Armée. L’adjoint du syndic avait sous sa responsabilité la préparation des livres des comptes. Les assistants médicaux devaient se relayer en faisant chacun leur tour dans le service, afin de pouvoir disposer quotidiennement de deux d’entre eux, de jour ou de nuit140. Cette organisation de l’hôpital est importante, surtout parce qu’elle représente un modèle tendant à se généraliser dans d’autres institutions de santé ou de bienfaisance de l’époque. La dispersion et le caractère fragmentaire des sources documentaires ne nous ont pas permis de vérifier comment fut mise en œuvre la règlementation consignée dans le décret. En 1896, le personnel de l’Hôpital central militaire du département de Cundinamarca était composé d’un médecin-chef, de deux médecins adjoints, d’un chapelain du presbytère, de quatre assistants médicaux, d’un syndic-contrôleur et d’un adjoint de ce dernier141. Toutefois, les restrictions économiques courantes du gouvernement national et celles imposées par le déclenchement de la guerre civile de 1899 nous font supposer qu’une partie des normes du règlement n’ont pas pu être observées. Deux rapports de médecins, que nous décrirons en suite, nous renseignent sur la réalité nationale des casernes et des hôpitaux militaires au cours des années 1890. Ils constituent aussi de bons témoignages du recours aux chiffres pour renforcer leur légitimité institutionnelle et leur statut social. III L’inspection de casernes et la santé des bataillons La connaissance des conditions de vie et de santé de la troupe est indispensable pour l’organisation d’une armée unifiée comme celle proposée par la constitution centraliste de 1886. La mise en place des inspections des casernes et des hôpitaux militaires affiche la nécessité pour le ministère de la uerre d’exercer un contrôle sur ses effectifs. Les rapports réalisés en 1896 par des inspecteurs et médecins militaires sont des pistes sur la production des statistiques de maladies dans les régiments et de leur usage. Outre la vérification du personnel et les entretiens avec les soldats, les inspections évaluèrent les livres d’administration tenus par les chefs et les adjoints du Bataillon. Des livres dans lesquels les militaires enregistraient : la situation quotidienne de la compagnie, l'entrée et la sortie de matériel et de personnel, l'entrée et la sortie des patients, les ordonnances générales, les communications et la correspondance, les minutes du conseil d'administration, et le budget pour le personnel et pour le matériel. L’inspection envisagea aussi la visite à l’hôpital militaire pour vérifier l’état des militaires malades et hospitalisés et leurs conditions
140
Ibid. República de Colombia et Gobierno nacional, « Decreto número 224 de 1896 (12 de junio) que reorganiza el Hospital Militar Central », Diario oficial, 25 juillet 1896, sect. Ministerio de Guerra, 607.
141
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de logements. Des sujets importants, car l’une de priorités était la disposition de soldats en bonne santé142. Dans la tournée réalisée au bataillon Nuñez Nº10 en Tunja, les inspecteurs ont trouvé que les conditions de logement des malades n’étaient pas convenables pour leur récupération. Le médecin affecté à l’hôpital militaire, Severo Torres informa dans son rapport l’état de l’institution et les résultats des activités concernant ses fonctions. Il était du même avis que les inspecteurs et trouvait les conditions déficitaires. Pour les améliorer, il proposait la construction d’une nouvelle salle pour soigner les patients ; l’achat de mobilier et l’acquisition d’instruments chirurgicaux et de diagnostic et le recrutement de plus de personnel pour chaque salle, afin d’appuyer le travail des Sœurs de la Charité, débordées parfois par le nombre de malades. Il signalait aussi la nécessité de réorganiser les latrines à cause de ses conditions d’insalubrité143. Il y relate que la vaccination de tous les effectifs du bataillon avait été assurée par l’envoi de vaccins par le gouvernement national, qu’au sein de l’hôpital la visite médicale se faisait quotidiennement et que tous les trois jours se tenait la visite médicale dans la caserne, dont l’objectif était de soigner des malades légers. Il expliqua aussi l’ampleur de certaines maladies, par exemple, pendant le mois de janvier une épidémie d’influen a s’était propagée dans la ville et elle attaqua aussi les membres de la caserne. Selon Torres, une fois « ce fléau dissipé », l’état sanitaire de la garnison s’est beaucoup rétabli jusqu’à l’arrivée des effectifs du bataillon Sucre, dont plusieurs étaient attaqués de fièvres intermittentes144. Dans son rapport, Torres justifia son rôle de médecin et il se servit de chiffres pour y insister. Bien que les conditions de l’hôpital ne fussent pas adéquates, les succès des traitements proposés étaient constatables. Certes, les chiffres ne considèrent que les « maladies prédominantes », mais les résultats ont été assez positifs. En sept mois, 336 patients ont été guéris et il n'y a eu que trois décès (Tableau 8).
142
Alejandro Lizarazo, « Informe del Inspector general de la 3a División », Diario oficial, 7 octobre 1896, sect. Ministerio de Guerra, 961‑962. 143 Severo Torres, « [Informe relativo a la marcha del Hospital militar de Tunja] », Diario oficial, 7 octobre 1896, sect. Ministerio de Guerra, 962‑963. 144 Ibid., 963.
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Tableau 8. Statistiques de maladies prédominantes à l’Hôpital Militaire de Tunja de janvier à juin 1896 JANVIER 1º Influenza, avec de manifestation catarrhale ; rhumatismales ; cardio-pulmonaires et vénales Entrées………………………69 Sorties……………………….61 Morts………………………….1 Existence actuelle……….7 FÉVRIER 2º Rhumatisme articulaire aigu, subaigu et chronique Entrées………………………39 Sorties……………………….36 Morts…………………………..0 Existence actuelle………10 MARS 3º Pneumonies avec prédominance de la forme fiviacia (sic) ; broncho-pneumonie Entrées………………………56 Sorties……………………….49 Morts…………………………..0 Existence actuelle…..…17 AVRIL 4º Bronchites, trachéite, laryngite Entrées………………………39 Sorties……………………….36 Morts…………………………..0 Existence actuelle……..10 MAI 5º Fièvres paludiques, dysenterie et hépatites aigües chez les individus de « Batallon Sucre » Entrées………………………49 Sorties……………………….48 Morts…………………….…….0 Existence actuelle……..11 JUIN 6º Ulcères, sur tout du type syphilitique Entrées………………………43 Sorties……………………….33 Morts………………………….1 Existence actuelle…….…9 JUIN 7º Gingivites ulcère-membraneuse, chez les individus de « Batallon Sucre » Entrées………………………57 Sorties……………………….35 Morts………………………….0 Existence actuelle…..…32 8º Manifestations syphilitiques dans la première et la seconde période 9º Fièvre typhoïde et typhus RÉSUMÉE Entrées………………………361 Sorties……………………….324 Morts………………………..….3 Existence actuelle….…..96
NOTE : Nous avons conservé la forme originale sous laquelle Severo Torres publia ses données. SOURCE : Severo Torres, «[Informe relativo a la marcha del Hospital militar de Tunja]», Diario oficial (Bogotá, ctubre 7, 1896), sec. Ministerio de Guerra, 962–963
Quant à l’inspection de la caserne de Sogamoso, le rapport de l’enquête réalisée auprès des patients sur l’assistance reçue montra que les conditions de logement étaient correctes et favorables au rétablissement des malades. Par contre, les inspecteurs estimèrent 59
que les conditions générales de la troupe dans la caserne étaient inappropriées. Les salaires étaient trop bas et les soldats avaient du mal à payer leur nourriture. En plus, une grande partie d’entre eux versaient de l’argent à leurs familles, donc leur situation économique se dégradait beaucoup et les forts taux de désertion étaient la règle145. Un bref compte-rendu du médecin responsable du bataillon de Sogamoso, Abel de J. Rico, nous permet de découvrir les conditions des locaux servant de caserne et les différences entre son avis et celui des inspecteurs. La caserne était installée dans un vieux bâtiment dont une partie s’est effondrée causant de graves blessures à quelques soldats. Comme elle était située dans une rue de niveau inférieur à ceux des rues adjacentes, le terrain restait presque tout le temps humide ; outre l'humidité naturelle de la région, le pavé des chambres où couchaient les soldats malades les exposait à des conditions nuisibles à leur convalescence146. En plus, la caserne ne disposait pas d’une quantité suffisante d’eau pour les latrines de sorte qu’elles étaient des fosses sèches placées dans de petits espaces confinés, « formant une atmosphère dangereuse et favorable aux graves infections ». La vaccination contre la variole, « mesure prophylactique de pratique indispensable dans les bataillons », s’administrait lorsqu’on disposait de virus de bonne qualité147. En dépit de ces circonstances — affirmait le médecin — les très bonnes conditions du climat et des sources et, ajoutées à celles-ci, la médication périodique, amélioraient l’état de santé des patients148. Le docteur Rico explique que le bataillon Sucre avait passé plusieurs mois en Casanare, à l’est du pays, dans la région de l’ rinoquia, dans des conditions prédisposant à « l’infection paludique », telle que l’endroit, le climat, la pénurie des ressources indispensables à l’existence, la saison d’hiver (pluies) et la fatigue de la compagnie. Presque tous, les chefs comme les soldats sont rentrés malades et, pendant quatre mois, 128 furent hospitalisés. Ils étaient attaqués de : paludisme aigu et cachexie, 28 ; ulcères simples et paludisme, 22 ; pneumonies aiguës, 8 ; dysenteries et paludisme chronique, 5 ; dysenterie aiguë, 3 ; Bronchites et paludismes aigus, 23 ; Gastro-entérites et hépatites, 17 ; néphrites, érysipèle, contusions graves et rhumatisme 22. Bilan : 128 malades, 4 décès, 107 guérisons et 17 qui restaient encore à l’hôpital149. Si le bilan était plus ou moins positif, d’après Rico, la plupart des 17 malades qui restaient à l’hôpital ne pourraient jamais reprendre du service, à cause de leurs 145
Lizarazo, « Informe del Inspector general de la 3a División », 961. Abel de J. Rico, « Informe del médico de la guarnición de Sogamoso [II] », Diario oficial, 31 décembre 1896, sect. Ministerio de guerra, 1256. 147 Ibid. 148 Abel de J. Rico, « Informe del médico de la guarnición de Sogamoso », Diario oficial, 10 octobre 1896, sect. Ministerio de Guerra, 974. 149 Ibid., 974‑975. 146
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graves problèmes de santé. Ayant pour but l’estimation du nombre de soldats inaptes au service, dans certains cas, ces statistiques identifiaient le nombre de patients qui restaient après l’hospitalisation comme inaptes. Certes, ces préoccupations n’étaient pas une particularité des hôpitaux militaires colombiens. Par exemple, sur l’annuaire statistique de France de 1878 quelques statistiques sont consacrées à l’état des hôpitaux et hospices du pays, enregistrant par mois et par départements : des malades, des vieillards, des infirmes et incurables. Elles présentent aussi la situation financière des établissements hospitaliers150. À propos de l’armée, l’annuaire français comporte des statistiques sur le recrutement aussi bien que celles sur les effectifs moyens et l’état sanitaire pour l’année 1874. Ces dernières répertorient, par corps militaires, le nombre moyen d’hommes traités (dans les hôpitaux, à l’infirmerie, dans les salles de convalescence, dans les chambres), les journées de traitement, le nombre de décès survenus discriminés par maladie, les accidents et les suicides et leur répartition par grade ; mais aussi le nombre de sorties définitives, le nombre de vaccinations et de revaccinations réussies et le nombre de militaires atteints ou morts de variole151. Comme nous l’avons montré, la Colombie était très loin de parvenir à construire des statistiques pareilles. En fait, le ministère de la Guerre ignorait même le nombre total de ses effectifs. La configuration d’une armée nationale unifiée suivant des procédures et pratiques administratives standardisées va prendre de décennies. Pour notre recherche, nous n’avons pas eu accès à des séries complètes de documents permettant de confronter diverses sources et d’établir avec un certain degré d’exactitude les démarches de production et de circulation des statistiques dans les hôpitaux militaires colombiens pendant la deuxième moitié du XIXe siècle. Celles que nous avons trouvées ont été rédigées séparément, sans partager un plan ni des critères nosologiques, c'est-à-dire sans liens évidents entre elles et sans méthode commune. En plus, elles ont été éditées parfois dans des formats difficilement lisibles. Nonobstant cet état de fait, les rapports des médecins militaires restent de bonnes pistes pour construire un bref portrait de l’administration de la santé. La gestion des casernes répertoriait l’entrée et les sorties de leurs effectifs dans les hôpitaux. L’accès aux soins des militaires comportait, quand les conditions financières et d’approvisionnement de la caserne le permettaient: la vaccination contre la variole, les visites périodiques d’un médecin, la prescription et la distribution des médicaments et l’hospitalisation en cas de maladie grave. 150
France. Statistique générale, Annuaire statistique de la France (Paris: Impr. nationale, 1878), 152‑ 165. 151 Sans les considérer comme de chiffres absolus, ces statistiques registrent, le nombre moyen d’effectifs : 373 329 ; les décès totaux : 3 170 ; les sorties définitives pour cause de maladies 3 759 ; les effectifs revaccinés, 18 129 ; les malades de variole, 136 ; les morts par variole, 8. Ibid., 322‑323.
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Dans le contexte des conditions des services hospitaliers balbutiantes, voire même précaires, et d’une communauté médicale locale naissante, les médecins se sont servis des statistiques hospitalières pour réaffirmer leur statut et démonter la valeur et l’efficacité de leurs services. 1.2.2 Les statistiques des maladies dominantes à l’Hospital San Juan de Dios de Bogota La dénomination « maladies dominantes » correspond à une catégorie visant à établir, non seulement des maladies répandues, mais celles associées à un milieu déterminé (à sa géographie et donc à son climat). Alors, cette notion est propre aux études de topographie et de géographie médicales. Selon Grmek et Sournia, le concept de maladie dominante regroupe les maladies considérées « à la fois très fréquentes et comportant des conséquences graves pour la situation démographique et la qualité de vie d’une population ». D’après ces auteurs, dans le style administratif, l’expression « maladie dominante » est très utile pour justifier des mesures de prévention à différentes échelles territoriales152. Comme nous allons le constater dans cette section de la thèse, les médecins de l’Hospital San Juan de Dios de Bogotá (HSJD) et du CCH utiliseront leurs statistiques dans cette même voie153. À la suite de la mise en fonctionnement en 1886 du CCH, la Revista de Higiene, organe officiel de cette institution, publia des statistiques mensuelles sur les « maladies dominantes » à l’HSJD154. Ces statistiques de l’HSJD enregistraient le nombre des malades entrés, celui des guéris (patients qui ont fini leur traitement), celui des convalescents (des patients sortis de l’hôpital, mais encore sous traitement) et celui des morts. Elles furent publiées en respectant une certaine fréquence et utilisées par les médecins de l'époque comme instrument pour proposer des changements dans l’administration des soins ou dans la distribution des malades à l’intérieur de l’hôpital. Parfois, elles furent aussi utilisées pour observer la marche d'une épidémie ou comme un moyen d’extrapoler des renseignements sur la population de Bogota, dont les conditions réelles d’existence étaient méconnues. Les premières statistiques publiées correspondent aux patients hospitalisés pendant le mois de novembre 1888. En tête de liste se trouvent la syphilis, la dysenterie, et l’alcoolisme,
152
Mirko D. Grmek et Jean-Charles Sournia, « Les maladies dominantes », in Histoire de la pensée médicale en Occident. Du romantisme à la science moderne, vol. 3 (Paris: Éd. du Seuil, 1999), 272. 153 Les statistiques de maladies dominantes, publiées dans les comptes rendus des réunions du CCH, faisaient partie du rapport du syndic de l’hôpital, qui avait la responsabilité de les suivre .Junta Central o de Higiene, « Sesión del día 1 de octubre de 1888. Cuestiones sobre la lepra. », Revista de higiene 9 (1888): 209. 154 Principal hôpital de la capitale du pays fondé dès la période coloniale et administré pendant une longue période de son histoire par l’ordre mendiant catholique San Juan de Dios. Restrepo Zea, El Hospital San Juan de Dios, 1635-1895.
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ce dernier apparaît comme la maladie la plus mortifère (Tableau 9). Ces maladies détiendront cette place pendant les quatre mois suivants155. Tableau 9. Statistiques de maladies dominantes à l’Hospital San Juan de Dios de Bogotá pour le mois de novembre 1888 AFFECTIONS
Entrées Guéris
Syphilis 47 Dysenterie 35 Alcoolisme 34 Fièvre typhoïde 31 Ulcères 25 Rhumatisme 24 Typhus 22 Blennorragie 17 Tuberculose 16 Paludisme 15 Entérite aigue 14 Hépatite 13 Entrées Décès Proportion pour 100
6 17 4 19 5 10 11 9 1 8 4 7
Convalescents* Décès Hospitalisés 9 1 7
1 4 6
1 5 1 3 1
4 1
31 13 17 12 20 13 6 7 8 6 9 6
560 38 6,07
NOTE : *Patients sortis de l’hôpital, mais encore sous traitement. SOURCE : Junta Central de Higiene, « Sesión del día 18 de marzo de 1889 », Revista de higiene 11 (1889): 263.
En mars 1889 la situation changea et parmi les 709 malades suivis, 114 cas de « maladies typhoïdes » ont été signalés. Les membres du conseil craignaient le déclenchement d'une épidémie156. La catégorie « maladies typhoïdes », présentée par le syndic de l’Hôpital, était couramment utilisée pendant le XIXe siècle, et elle comprenait d’après les chiffres : le typhus, la fièvre typhoïde, le typhus exanthématique et la fébricule typhoïde157. L’inquiétude des médecins du CCH sur le nombre de patients atteints de typhoïde était légitime. Selon les chiffres publiés dans la Revista de higiene, et regroupés par nous, effectivement le nombre de patients à Bogotá augmenta de façon significative de mars 1889 à janvier 1890 et les médecins avaient de quoi s’inquiéter. En fait, en mai 1889, des 672 patients
155
Cf.: Revista de higiene numéros 9, 11, 12 18 et 21 (1888-1889) La dysenterie registra 83 cas et la syphilis 38. Le pourcentage de mortalité général à l’hôpital s’éleva à 10. Junta Central de Higiene, « Sesión del día 15 de abril de 1889 », Revista de higiene 11 (1889): 270. 157 Cette catégorie nous la trouvons par exemple dans l’ouvrage Traité des maladies infectieuses du médecin allemand W. Griesinger. Selon lui, puisque le nom typhus comprenait plusieurs formes de maladies présentant une grande ressemblance, donc il fallait mieux les agrouper dans un ensemble plus large dénommé maladies typhoïdes. Cette ensemble comprenait la fièvre pétéchiale ou typhus exanthématique, la fièvre typhoïde, la fièvre récurrente ou à rechutes, et la typhoïde bilieuse. Wilhelm Griesinger, Traité des maladies infectieuses. Maladies des marais; fièvre jaune ; maladies typhoïdes, fièvre pétéchiale ou typhus des armées, fièvre typhoïde, fièvre récurrente ou à rechutes, typhoïde bilieuse, peste; choléra, 2. éd., rev., corr. et annotée par E. Vallin (Paris: Baillière, 1877), Livre III. 156
63
traités à l’HSJD, la typhoïde fut diagnostiquée pour le tiers d’entre eux (34,23%) et cause de plus d’un cinquième (22,86%) des décès à l’hôpital (Tableau 10). Tableau 10. Statistiques de maladies typhoïdes à l’Hospital San Juan de Dios de Bogotá, d’août 1888 à janvier 1890 Nombre des patients de maladies typhoïdes (PMT) Date Août 1888
Total hôpital
entrés décès Hospitalisés entrés Décès 60 4 26 295 28
Proportion de PMT
% 9,49
Entrés 20,34
Décès 14,29
Nov.
57
9
19
560
38
6,07
10,18
23,68
Déc. 1888
34
2
14
536
33
6,15
6,34
6,06
Jan.
36
5
20
580
44
7,58
6,21
11,36
Fév. 1889
62
4
30
589
57
9,67
10,53
7,02
Mars *
114
-
-
709
73 10,29
-
-
Avr. 1889
156
14
78
615
56
9,10
25,37
25,00
Mai
230
16
91
672
70 10,41
34,23
22,86
Déc. 1889
210
14
71
639
52
8,13
32,86
26,92
Jav.
146
7
63
634
33
5,20
23,03
21,21
Mars 1890 69 1 14 713 50 7,02 9,68 2,00 NOTE : *les chiffres sont incomplets, car pour ce mois il n’y a pas de tableau statistique sur les maladies dominantes, seulement quelques phrases du syndic de l’HSJD soulignant ces informations. SOURCE : Rapports du syndic de l’HSJD, Carlos Michelsen Uribe, dans les comptes rendus du CCH publiées dans les numéros 9, 11, 12, 18 et 21 de la Revista de Higiene, 1888-1890. La proportion de malades atteints de maladies typhoïdes par rapport au nombre total de patients de l’hôpital a été calculée par nous.
Le médecin Nicolás Osorio, membre de la commission chargée des épidémies, présenta au CCH un rapport sur la prophylaxie de la fièvre typhoïde où il proposait des mesures pour combattre l´épidémie. La fièvre typhoïde, dont l’agent causal — le bacille d’Eberth — était connu depuis 1880, était une maladie réputée par sa propagation par contagion. Le rapport du médecin Osorio fut approuvé par le Conseil et publié dans la Revista de Higiene. Comme « il était très bien vérifié » que les excréments des malades contenaient « l’agent typhoïde », selon sorio il fallait concentrer l’attention sur leur disposition et sur le nettoyage des vêtements, draps, couvertures, matelas, lettrines et habitations158. Dans les hôpitaux, les médecins devaient visiter les malades de typhoïde seulement à la fin du parcours quotidien. Dans les casernes, les premiers cas devraient être isolés et les chambres désinfectées. Dans les écoles, les élèves attaqués seraient renvoyés chez eux. En général on cherchait à éliminer les foyers d’infection, en nettoyant la voie publique et en
158
Les objets devaient être nettoyages avec une solution d’acide phénique ou de savon. Dans les hôpitaux les couvertures, et les matelas devaient être désinfectés dans un fourneau à vapeur et sous pression. Les habitations devaient être blanchis ou repeintes et fumigées avec l’acide sulfurique. Junta Central de Higiene, « Sesión del día 15 de abril de 1889 », 274‑275.
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promouvant l’utilisation d’eau de bonne qualité. Selon sorio, la fièvre typhoïde rétrograderait partout où ces mesures seraient prises159. En avril, la situation épidémique ne paraissait pas s’améliorer. D’où la grande inquiétude qui régnait au CCH. La propagation de la maladie était lente, mais progressive. Elle était visible par l’augmentation des maladies typhoïdes à l’Hôpital, qui prenait des proportions tout à fait inusitées. Parmi les 615 entrées de l’Hôpital ce mois-ci, 156 correspondaient à ce type d’affections160. Puisque les dispositions d’hygiène proposées par le Conseil n’arrivaient pas à contrer l’épidémie, le syndic de l’hôpital Carlos Michelsen Uribe croyait qu’il y avait une cause favorable liée au climat. À son avis, les conditions du mois de mai — début de la saison sèche — pourraient être propices à l’accroissement du nombre de malades typhoïdes161. Selon Michelsen Uribe, une autre condition favorable à l’accroissement de l’épidémie était «l’infection des rues ». Dans certaines rues, les eaux usées des maisons s’accumulaient en grande quantité et les excréments des habitants étaient jetés sur la voie publique. L’absence de pluies empêchait le nettoyage correct des rues et dans les rares égouts existants dans la ville les immondices s’accumulaient aussi. Alors, la sécheresse et la saleté étaient signalées comme autant des causes de propagation de l'épidémie162. L’augmentation du nombre de malades à l’HSJD continuait et le CCH décida de convoquer des réunions extraordinaires pour évaluer les mesures adoptées et discuter les rapports préparés par les membres : Nicolás Osorio, « Étude des dispositions pour organiser un service médical-civil » ; Gabriel J. Castañeda, « Étude sur les précautions qui doivent être prises dans les écoles et les casernes » ; Gabriel Durán Borda, « Étude sur la distribution des eaux » ; et Carlos Michelsen Uribe, « Étude sur les foyers d'infection » 163. Osorio soulignait l’apparition des nouveaux cas de fièvre typhoïde dans les casernes de la ville. À cause de l’absence de mesures prophylactiques dans les écoles, il craignait la propagation de l'épidémie. Pour la contenir, Il proposa l’organisation d’un service médical-civil domiciliaire, où la ville serait divisée en sections, chacune sous le contrôle d’un médecin responsable.
sorio affirmait que ce service d’assistance à domicile avait déjà été employé
159
Ibid. Distribues ainsi : typhus 76, fièvre typhoïde 53, typhus exanthématique 18, fébricule typhoïde 9. Junta Central de Higiene, « Sesión del día 6 de mayo de 1889 », Revista de higiene 11 (1889): 278. 161 Ibid. 162 Junta Central de Higiene. Revista de higiene 11 (1889) 163 .Junta Central de Higiene, « Sesión extraordinaria del 9 de mayo de 1889 », Revista de higiene 11 (1889): 280. 160
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dans plusieurs villes européennes et que son utilisation avait facilité le travail des services hospitaliers164. Spécifiquement, en quoi consistait ce service ? La ville serait divisée en cinq sections placées sous la responsabilité d’un médecin. Les inspecteurs de police de chaque quartier seraient chargés d’informer le médecin responsable sur les malades pauvres requérant l'assistance et ils devaient aussi aider dans l’accomplissement des mesures indiquées par le médecin. Les actions et les données de chaque section devaient être consignées dans un journal qui pouvait être consulté en permanence par le médecin. Les inspecteurs recevraient des rapports quotidiens du médecin de la section qui, à son tour, les transmettraient au CCH via le maire. Les médecins suivraient les instructions proposées par le Conseil et les patients pauvres pourraient recevoir des médicaments. Pour que toutes ces mesures extraordinaires puissent être mises en œuvre, il fallait demander au Conseil municipal, et en général aux autorités politiques, les ressources financières165. D’ailleurs, dans leurs rapports Castañeda et Durán évoqueront eux-aussi des études sur la fièvre typhoïde à l’étranger. Celui de Casta eda s´occupait des mesures prises par le Conseil d´hygiène de Prague166 et celui de Durán, rappelait une étude de la ville de Vienne — publiée en janvier 1888 dans la Revue d´hygiène et de police sanitaire — démontrant que la cause de la transmission de la fièvre typhoïde était à rechercher dans la qualité de l’eau. Durán détaillait les chiffres de la mortalité générale viennoise par fièvre typhoïde avant et après l’adduction de l’eau de source, et il soulignait une relation cause-effet entre la maladie et ce système 167. Selon M. Mosny, auteur de l’article sur Vienne cité par Durán, pour faire presque disparaître cette maladie d´une grande ville où elle était endémique, il suffisait de distribuer aux habitants de l’eau d’une qualité incontestable et en quantité suffisante168. Durán proposa donc des mesures pour empêcher la contamination de l’eau de la ville par les matières fécales et insistait sur la nécessité imminente, déjà signalée préalablement lors des réunions du Conseil, de surveiller la pureté de l’eau de l’aqueduc municipal169. La mention de ce type d’études et la promptitude de leur diffusion (elle fut publiée en France en janvier 1888 et discutée en Colombie en mai 1889) sont un indice de la connaissance
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Ibid., 284. Ibid., 284‑285. 166 En Prague pendant 1868-69, la fièvre typhoïde généra sept ou huit morts pour 10 000 habitants, mais en 1884 il n´y eu qu´un seul mort pour 10 000 habitants. Ibid., 286. 167 Ibid., 287‑288; M. Mosny, « L’eau potable à Vienne et la fièvre typhoïde », Revue d’hygiène et de police sanitaire 10 (1888): 18‑39. 168 Mosny, « L’eau potable à Vienne et la fièvre typhoïde », 38. 169 Junta Central de Higiene, « Sesión extraordinaria del 9 de mayo de 1889 », 288. 165
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qu’avaient les médecins colombiens des discussions sur l’hygiène. Même si les conditions de pauvreté du pays empêchaient l’adoption systématique des mesures hygiéniques proposées dans les études étrangères, il est clair que certains médecins locaux connaissaient bien la production scientifique internationale. Cela montre que les estimations des mécanismes de transmission des maladies infectieuses, basées sur des statistiques de mortalité, n’étaient pas tout à fait méconnues de la médecine colombienne de cette époque et les médecins des villes les utilisaient pour renforcer leurs arguments en faveur de l’hygiène. I Le conseil central d’hygiène et la mise en œuvre des mesures de contrôle Lors de la réunion extraordinaire suivante du Conseil, dans laquelle étaient aussi présents le Maire de la ville et le Gouverneur du Département, Michelsen Uribe — en l’occurrence syndic de l’HSJD— afficha le besoin d’établir un nouvel hôpital en dehors de la ville pour recevoir les malades atteints de typhoïde et ainsi réduire le nombre de patients à l’hôpital de charité. sorio s’y opposa en arguant des grandes dépenses financières que cela demanderait. Opinion renforcée par le Gouverneur qui indiquait les impossibilités financières des administrations départementale et locale pour combler cette dépense. En conséquence, le Conseil décida de faire une demande économique aux autorités nationales pour le nouvel établissement170. Les propositions des membres du Conseil relatives au service médical-civil et au nouvel hôpital restèrent sans écho. Il faut se rappeler que le Conseil n'avait qu’un caractère consultatif, qu’il n’avait pas de budget, ni les moyens de faire respecter les normes édictées. Il ne s´occupait pas non plus des institutions de santé et d’assistance comme les hôpitaux, les asiles ou les hospices qui étaient administrés par les Conseils de bienfaisance. Donc sa capacité de manœuvre était presque nulle171. Pour diminuer les nouveaux cas de fièvre typhoïde dans la ville, et étant donné que la maladie commençait à attaquer aussi les classes aisées, Osorio demanda au Maire de finir de façon rapide les travaux de voirie puisque la grande détérioration des rues favorisait l´épidémie : L’enlèvement constant du sol en raison de fouilles, pour réparer les égouts et les conduites d’eau, a créé de nouvelles sources qui alimentent l'épidémie, non pas parce que la terre elle-même est la cause directe, mais parce qu’il expose des
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Junta Central de Higiene, « Sesión extraordinaria del 6 de junio de 1889 », Revista de higiene 12 (1889): 326‑327. 171 Emilio Quevedo V. et al., Café y gusanos, mosquitos y petróleo: el tránsito de la higiene hacia la medicina tropical y la salud pública en Colombia 1873-1953. (Bogotá: Universidad Nacional de Colombia. Facultad de Medicina. Instituto de Salud Pública, 2004), 65‑66.
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tuyaux infectés avec des matières fécales stagnantes depuis longtemps, qui conservent sans doute les germes spécifiques des épidémies passées172. L´agglomération de malades de la typhoïde à l’HSJD continuait et face à l’impossibilité de construire un nouvel établissement, l’utilisation de l’hôpital Los Alisos fut proposée pour isoler les malades. Cet hôpital existait depuis 1881 et il était consacré aux patients atteints de variole, maladie reconnue comme endémique à Bogota. Les conditions austères dans lesquelles se trouvait l’institution ont marginalisé ce choix et il n’a pas non plus été mis en pratique173. D’ailleurs, les docteurs Osorio et Castañeda proposèrent la séparation des typhiques à l’HSJD, en deux salles ad hoc et selon le sexe. L’approbation de cette mesure demandait l’approbation du syndic de l’Hôpital et du Recteur de la Faculté de médecine et elle entraina un débat entre les membres du CCH et les responsables de l’HSJD. Le recteur et les professeurs de la Faculté s’y opposaient. Pour eux, l’état de l’hôpital ne permettait pas des conditions hygiéniques indispensables pour l’isolement des malades. La concentration de typhiques produirait des foyers d’infection, et l’existence d’un tel foyer à l’intérieur de l’hôpital mettrait en risque les étudiants de médecine chargés des salles spécialisées. En plus, « l’expérience l’avait démontrée et, avec les statistiques il pourrait être prouvé que la contagion était rare dans les hôpitaux ». D’après le recteur, si le Conseil insistait sur le sujet, les médecins de l’hôpital et de la Faculté voulaient être déchus de toute responsabilité par rapport aux conséquences de cette décision174. La réponse des médecins universitaires a contrarié les membres du CCH. Pour eux, la contagiosité de la fièvre typhoïde était en fait reconnue dans tous les ouvrages classiques, et la pratique de l’isolement des typhiques était monnaie courante dans les hôpitaux européens175. La controverse entre les médecins de l’HSJD et le CCH sur l´isolement de typhiques et la contagion dans l’hôpital a continué lors des réunions suivantes et il semble qu’aucune décision concrète sur le sujet n’ait été prise. Le Conseil étudia les sources de l’insalubrité dans la Ville et a exhorté les autorités et les citoyens en général à leur accorder l’attention nécessaire. Pourtant, comme ses membres le déclaraient, en absence des pouvoirs coercitifs, il
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Nicolás Osorio et Gabriel J. Castañeda, « Epidemia de fiebre tifoidea en Bogotá », Revista de higiene 16 (1889): 478. 173 Junta Central de Higiene, « Sesión del día 16 de julio de 1889 », Revista de higiene 12 (1889): 352‑ 353. 174 Les statistiques en mention n’existaient pas, mais elles furent de toute façon évoquées par les médecins de la Faculté comme un des arguments pour justifier les conclusions tirées de l’observation clinique. Junta Central de Higiene, « Sesión del día 30 de septiembre de 1889 », Revista de higiene 15 (1889): 426. 175 Ibid.
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appartenait aux autorités municipales de prendre les décisions, aux gouvernants d’adopter les mesures d’assainissement et d’émettre les dispositions légales pertinentes, au Maire et à la police d’en assurer l’exécution, et à tous les individus d’apporter un soutien solide pour réaliser les améliorations d’hygiène nécessaires dans la capitale176. L’épidémie a suivi sa marche et en décembre 1889 210 typhiques ont été enregistrés177. Mais en avril 1890, il y en avait seulement 18178. À partir de ce moment, d’autres problèmes comme le nombre des lépreux en Colombie et quelques cas de variole vont prendre la relève dans les réunions du CCH. Comme l’a montré l’historien Emilio Quevedo, cette institution n’a pas réussi de grandes transformations hygiéniques, mais néanmoins une régulation modeste et constante de certains aspects liés à l’hygiène et à la santé publique. En tout cas, le Conseil n’était pas isolé de la vie publique, car leurs membres étaient des professionnels réputés, parfois nommés à d’autres postes officiels, ou des commerçants importants179. II La valeur des statistique à l’HSJD La révision détaillée de la Revista de Higiene montre que les statistiques présentées par le syndic de l’HSJD de Bogotá apparaissaient dans une série continuelle dans les comptes rendus du CCH depuis 1888 jusqu'à 1894, l’année dans laquelle la revue laissa d’être publié pour quelques années. Les tableaux statistiques ont été préparés par le médecin Carlos Michelsen Uribe et le format de présentation est resté invariable (Tableau°10). Laissant de côté l’augmentation de typhiques qu’on a déjà présenté (mars 1889-janvier 1890) et l’apparition d’une épidémie de rougeole (décembre 1890-avril 1891), on note que les maladies le plus fréquentes à l’HSJD furent la dysenterie, la syphilis, la tuberculose, l’alcoolisme, la fièvre typhoïde et « les ulcères ». Les plus mortelles étaient la dysenterie, qui attaquait beaucoup des enfants, et la tuberculose, dont la plupart de patients arrivaient à l’hôpital de charité quand la maladie avait un état très avancé. En fait, le pourcentage moyen mensuel de la mortalité à l’Hôpital était proche du 9, avec des cas dramatiques comme ceux de février et de mars 1891 dans lesquels la mortalité monta à 14 et 13 % respectivement180. La dysenterie et la fièvre typhoïde dont la cause était la contamination de l’eau de l’aqueduc, signalaient les mauvaises
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Osorio et Castañeda, « Epidemia de fiebre tifoidea en Bogotá », 478. Carlos Michelsen U., « Estadística del Hospital San Juan de Dios en diciembre de 1889 », Revista de higiene 18 (1890): 533. 178 Carlos Michelsen U., « Estadística del Hospital San Juan de Dios en el mes de abril de 1890 », Revista de higiene 22 (1890): 18. 179 Quevedo V. et al., Café y gusanos, mosquitos y petróleo, 66. 180 Mois dans lesquels la dysenterie et la rougeole vont registrer un nombre important de décès. Cf: Revista de higiene 1888-1894. 177
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conditions sanitaires de la ville et la triade syphilis, tuberculose et alcoolisme était connue comme le fléau des clases pauvres. La valeur décernée par les membres du Conseil aux statistiques mensuelles de l’HSJD n’a pas toujours été favorable. Dans un compte-rendu du CCH de juin 1893 le médecin Nicolás sorio évoqua la déficience des statistiques. Pour lui, elles n’avaient pas d’« utilité scientifique », car les diagnostics manquaient de précision et de rigueur. Le syndic de l’hôpital, le médecin Carlos Michelsen Uribe, exprima son accord avec cette objection, et indiqua que la cause de ce défaut provenait des assistants médicaux qui ne suivaient pas les dispositions réglementaires et notaient fréquemment comme le diagnostic de la maladie ce qui en réalité n’était qu’un symptôme. En conséquence,
sorio proposa d’exiger aux étudiantes de
médecine, agissant comme assistants médicaux, une précision complète dans l’élaboration du diagnostic ou, le cas échéant, ils devaient signaler sur la documentation du patient leurs doutes avec un symbole d’interrogation. Dans cette réunion, le Conseil approuva l’envoi d’une missive au Recteur de la Faculté de Médecine en l’exhortant à ordonner aux médecins et aux assistants médicaux la réalisation de diagnostics précis en fonction de la nosologie du Royal College of Physicians de Londres, et ainsi donner de la valeur scientifique aux statistiques181. La directrice ordonnant de suivre cette nomenclature à l’HSJD n’était pas nouvelle. Comme l’a montré l’historienne Estela Restrepo, en 1873 et par résolution administrative, les autorités médicales et politiques ont ordonné l’adoption de cette nomenclature, rédigée en 1869. Le personnel de l’hôpital devait la suivre afin d’uniformiser les noms des différentes maladies à partir de critères reconnues. Sous son application, les registres de l’HSJD non seulement énonçaient le nombre d'admissions, de guéris, de sorties et de morts, mais parfois ils avertissaient de la gravité des maladies qui par leur fréquence exigeaient une attention particulière182. À partir de 1874, l'hôpital a commencé à produire des statistiques de morbidité mensuelles selon le classement suivant : 1) maladies générales, parmi elles : la syphilis dans ses divers degrés et les ulcères, le rhumatisme, les scrofules (avec ou sans tuberculose pulmonaire), les fièvres intermittentes, rémittentes, continues et pseudocontinues, l'érysipèle (avec ou sans complications), la chlorose, 2) maladies du système circulatoire, insuffisance cardiaque et varices. 3) maladies du système nerveux et épilepsie. 4) maladies de l'appareil locomoteur. 5) maladies respiratoires, bronchite, pneumonie et asthme. 6) maladies du
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Junta Central de Higiene, « Sesión del día 18 de julio de 1893 », Revista de higiene 44 (1893): 176‑ 177. 182 Estela Restrepo Zea, « Pobreza, enfermedad y muerte en Bogotá. Historia sanitaria de la capital entre 1870 y 1900 » (Bogotá: Alcaldía Mayor de Bogotá/Instituto Distrital de Cultura, 1987).
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système digestif, hépatite, dysenterie, maux de foie, entérite et diarrhée. 7) maladies du système générateur et problèmes de l’utérus. 8) lésions locales, fractures et blessures. 9) système cellulaire. 10) maladies du système urinaire, cystite chronique183. D’après la même historienne, ces statistiques ont eu un rôle important dans la genèse de la reconnaissance des maladies répandues et dans l’établissement des différences entre celles-ci et l’invalidité184. Elles ont été aussi cruciales dans la formation des statistiques de cause de décès de la ville de Bogota, publiés mensuellement à partir de 1890 dans les Registro municipal. Néanmoins, les comptes rendus du CCH prouvent que l’application pratique de cette nomenclature n’a pas été très expéditive. 1.2.3 Les statistiques de la lèpre et l’exagération des chiffres Pour mieux comprendre la situation des statistiques de santé publique en Colombie, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, il faut revisiter l’affaire de la lutte contre la lèpre, une affaire déjà étudiée par maints historiens185. Ce cas est à tel point singulier dans l’histoire des maladies par l’usage rhétorique de chiffres que nous allons présenter ici une synthèse des événements et des analyses des historiens. Les référents de la médecine et de l’hygiène colombiennes de cette période sont surtout leurs homologues européens. C’est pourquoi il vaut mieux présenter un peu quelle était la situation de la lèpre en Europe au début du XXe siècle. En Grande-Bretagne, de 1900 à 1923 les autorités sanitaires ont eu connaissance, par communications officielles, de 24 cas de lèpre. Selon ces autorités, aucun d’entre eux n’avait eu son origine sur le territoire britannique, tous furent importés d’autres pays. En France, en 1900, 98 cas de lèpre furent rapportés, tous localisés dans les Alpes-Maritimes, et en 1913 il y en avait 59. À Marseille, après la guerre, parmi les nouveaux arrivés en ville, près de 300 cas de lèpre furent enregistrés. Tous repérés parmi les contingents étrangers (les milliers de soldats de couleur et les travailleurs coloniaux) par des médecins qui ont estimé à une vingtaine par an le nombre de lépreux sur une population d’à peu près 600 000 habitants. En 1908, en Norvège, reconnue à l’époque comme
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Estela Restrepo Zea, « Nosología metódica del Real Colegio de Médicos de Londres en el Hospital de Caridad de Bogotá (1873-1900) », in Poder y saber en la historia de la salud en Colombia (Medellín: Lealon, 2006), 227‑39. 184 Restrepo Zea, « Pobreza, enfermedad y muerte en Bogotá », 52. 185 Obregón, Batallas contra la lepra; Diana Obregón, « The state, physicians and leprosy in modern Colombia », in Disease in the history of modern Latin America: from malaria to AIDS, Diego Armus (Duke University Press, 2003), 130‑57; Abel Fernando Martínez et Samuel Alfonso Guatibonza, « Cómo Colombia logró ser la primera potencia leprosa del mundo. 1869-1916 », Colombia médica 36 (2005): 244‑53.
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un pays où la lèpre était endémique, 394 cas ont été reportés, mais le chiffre a diminué chaque année jusqu’à 1920 où il y en avait 160186. Dans quelques pays d’Amérique, la situation était toute autre. Quoique les chiffres ne fussent pas insignifiants dans tous les cas, les discours officiels tentaient d’être rassurants. Selon le docteur Ed. Rabello, chef du bureau de prophylaxie de la lèpre au Département national de santé publique du Brésil, le combat contre cette maladie était encore très faible dans son pays, avant 1921, moment où une enquête nationale faite par les médecins inspecteurs montra un résultat total de 7 224 cas187. En 1922, l’Uruguay comptait 197 cas de lèpre disséminés dans tout le pays et les autorités affirmaient que « la maladie ne tendait pas à s’accroître, ni à diminuer »188. Dans la deuxième décennie du XXe siècle, et pour une population de 3 millions d’habitants, le nombre des lépreux dans l’ile de Cuba s’élevait à 1 500, mais les autorités assuraient que le nombre des malades diminuait au fur et à mesure que se développait l’hygiène publique et privée et qu’augmentait le bien-être189. En Colombie, depuis l’époque coloniale jusqu’aux années 1880, les représentations, les pratiques et les gestes concernant la lèpre n’ont pas connu de changements importants. Durant la décennie de 1870 ont été créées trois léproseries placées en trois endroits différents de la géographie nationale, isolés, et éloignés les uns des autres : Agua de Dios (Cundinamarca), Contratación (Santander), et Caño de Loro (Bolivar). Il s'agissait des villages où les lépreux pouvaient habiter avec leurs proches. L’isolement était avant tout géographique, car au début l’isolement n’était pas obligatoire. Il existait moins pour vaincre la maladie et éviter la contagion que pour éloigner les lépreux, des êtres stigmatisés et socialement considérés comme répugnants, qu’il fallait surtout empêcher de se montrer en public190. Les colonies de lépreux subsistaient grâce à la charité chrétienne, mais pour la plus ancienne et la plus importante des trois (Agua de Dios), l’État payait pour chaque lépreux une indemnité quotidienne au titre de l’assistance aux pauvres. Les léproseries étaient gérées par les lépreux eux-mêmes et par des communautés religieuses, soutenues par des associations caritatives et elles étaient non médicalisées191.
186
Emile Marchoux, IIIe Conférence internationale de la lèpre, Stras ourg, 28 au 31 juillet 1923 : Communications et débats (Paris: J.-B. Baillière et fils, 1924), 41‑51.
187
Ibid., 88‑89. Ibid., 89. 189 Ibid., 91. Même si la Colombie a eu une délégation dans cette Conférence de Strasbourg, elle n’a pas présenté des chiffres, comme l’ont fait les autres pays 190 Martínez et Guatibonza, « Cómo Colombia logró ser la primera potencia leprosa del mundo. 18691916 », 246. 191 Bien qu’en 1905 le gouvernement colombien ait pris le contrôle des léproseries et les médecins ont commencé à médicaliser la lèpre, les léproseries n'ont pas devenu des établissements médicaux. 188
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À défaut d’une statistique médicale indiquant le nombre réel ou approximatif des lépreux dans le pays, le sujet était abordé avec des expressions rhétoriques telles que « le nombre considérable des malades », « la maladie a envahi quelques localités »192. Vers les années 1890, la littérature médicale colombienne avertira que l'expansion de la lèpre atteignait de vastes proportions. Selon l’historienne Diana bregón, avec l’augmentation des chiffres de malades et l’amplification des considérations sur la contagiosité de la maladie, les médecins ont exagéré les dimensions du problème afin de médicaliser la maladie et réaffirmer leur autorité culturelle et sociale, éliminant ou réduisant ainsi la légitimité d’autres groupes intéressés par le problème, comme les lépreux eux-mêmes et les organisations de charité. Obregón a décrit ce phénomène comme « la rhétorique de l’exagération193. » Donc, il faut s’arrêter, un moment, sur cette affaire pour comprendre mieux l’enjeu de la production des statistiques de lépreux. En 1888, lors d’une réunion du CCH, le médecin Nicolas sorio proposa une enquête nationale pour établir l’incidence de la lèpre dans le pays et trouver des éléments de réponse au débat sur sa contagiosité et son héritabilité. Dans cette réunion fut préparé le questionnaire qui serait envoyé aux médecins et aux Académies de médecine du pays. Le questionnaire contenait les questions suivantes : 1. Combien d’individus attaqués de lèpre existe-t-il dans le village ? 2. À quelle cause attribuez-vous le développement de la lèpre dans ce lieu ? Parmi les causes, laquelle, jugez-vous, produit la maladie ? 3. Quelle est l'alimentation générale dans le village ? Croyez-vous qu’il y a un aliment agissant comme la cause prédisposant, déterminante ou éventuelle au développement de cette maladie ? 4. Les eaux utilisées dans l'alimentation ont-elles les qualités des eaux potables ? Utilisez-vous des eaux stagnantes dans l'alimentation ? 5. Quelle ou quelles ont été les conditions climatiques considérées comme favorables au développement de la maladie ? 6. Existe-t-il des faits bien prouvés sur le rôle de la contagion dans la propagation de cette maladie ? 7. Quand la lèpre s’est-elle présentée dans ce lieu ? 8. Qui a été le premier malade de la lèpre ? 9. Connaissez-vous des faits vérifiant que la lèpre a été transmise par hérédité ? Dans quel âge de la vie apparaît la maladie ? Avez-vous vu vous-même, ou connaissez-vous quelqu’un de compétent qui aurait vu lui-même des nouveaux nés lépreux ? Quels sont les premiers symptômes observés dans ces cas ? Spécifiez les symptômes un par un. Diana bregón, « La medicali ación de la lepra : una estrategia nacional », Anuario colombiano de historia social y de la cultura 24 (1997): 142‑145. 192 Martínez et Guatibonza, « Cómo Colombia logró ser la primera potencia leprosa del mundo. 18691916 », 246. 193 Obregón, Batallas contra la lepra, 158‑184; Diana Obregón, « Building National Medicine: Leprosy o and Power in Colombia, 1870-1910 », Social History of Medicine 15, n 1 (2002): 89‑108.
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10. Savez-vous si un lépreux étranger a vécu dans ce lieu avant l’existence de la lèpre dans la population locale ? 11. Veuillez nous renseigner sur tout ce que vous connaissez sur les conditions climatiques du lieu. 12. Quelles sont, hors de la lèpre, les maladies régnantes ? 13. Notez les villes avec lesquelles il y a des relations commerciales ?194 En 1890, le médecin Gabriel J. Castañeda, membre de la Société de Médicine de Bogotá, présenta au CCH un rapport sur les résultats de l’enquête. Selon ce médecin, bien que le questionnaire ait été envoyé à toutes les autorités municipales, seulement 122 des 920 municipalités du pays ont envoyé une réponse. En plus de cette difficulté, s’ajoute que dans les villes où il n’y avait pas de médecin, le formulaire fut rempli par des personnes profanes. Cette première enquête établira un nombre de 1 724 lépreux sur le territoire national et les départements de Santander (988) et Cundinamarca (601) comme les plus affectés par la maladie. Aucune donnée ne fut obtenue des départements de Boyacá, Magdalena et Panamá195. Concernant les départements les plus touchés, les résultats n’étaient pas vraiment étonnants, car c’est là que se trouvaient deux des léproseries du pays. Castañeda analysa les 122 rapports obtenus et élabora une synthèse des causes signalées « par l’observation populaire » comme responsables de la lèpre. Dans les rapports de 29 villages, la cause du mal était héréditaire, mais comme le soulignait Castañeda, quelquesuns indiquaient que c’était « l’hérédité par la contagion ». Un exemple de ce type de réponse, nous le trouvons dans le rapport de la ville de Manizales fait par le médecin José Tomás Henao : « la cause [de la lèpre] est l'héritabilité, c'est-à-dire la prédisposition acquise par quelqu’un de ses ancêtres pour contracter par contagion telle ou telle maladie »196. Pour Casta eda, c’était une preuve de ce que la science commençait à démontrer, c'est-à-dire que la maladie avait un agent spécifique, et celui-ci se transmettait à la descendance. Quant à la contagion, selon les rapports de 31 villages, elle était considérée comme la cause directe de la lèpre. Selon Castañeda, cela renforçait « l’observation scientifique », qui indiquait que les germes des maladies « parasitaires » reproduisaient la même maladie chez des individus qui présentaient des conditions favorables à leurs développements197. D'ailleurs, dans les rapports de 20 villages, les aliments furent considérés comme cause prédisposant de la maladie. Parmi les aliments les plus signalés étaient la viande de porc, le poisson, le piment (ají) et les boissons alcooliques. À ces observations, Castañeda trouva des 194
o
Junta Central de Higiene, « Sesión del día 1 de octubre de 1888. Cuestiones sobre la lepra. », 207‑ 208. 195 Gabriel J. Castañeda, « Investigaciones sobre la lepra en la República de Colombia », Revista de higiene 20 (1890): 579‑660. 196 Ibid., 633. 197 Ibid., 645‑646.
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explications, et argua que si dans tous les pays où la lèpre régnait il y avait des aliments considérés comme favorables à la transmission de la maladie, ils ne suffisaient pas pour la déployer. Dans d'autres rapports, le changement rapide de température fut considéré comme cause directe de l'apparition de la maladie, par exemple prendre un bain d’eau froide avec le corps très chaud198. Pour Castañeda, l'altération brusque de la température agissait comme une source générale de toutes les maladies, puisque cela favorisait l'action de la cause spécifique199. Dans les autres rapports, les informateurs ignoraient la cause du mal ou notaient qu´il n’y avait pas de cas de lèpre dans leurs villages. Par ailleurs, dans son étude sur la lèpre publiée en 1888, Gabriel Castañeda, un des premiers partisans des théories pasteuriennes en Colombie, mélangeait les théories de caractère miasmatique avec des idées de type pasteurien dans ses explications de la cause et de la transmission de la maladie. Il affirmait que la lèpre était une maladie dont l'agent causal était « un parasite » particulier, mais que les changements soudains de températures (refroidissements) pouvaient favoriser leur introduction par les pores de la peau et produire l'infection. Quant au débat entre l’hérédité et la contagion pour expliquer la transmission de la maladie, pour lui l’hérédité était un type de contagion200. Cependant à la fin du XIXe siècle en Colombie, il n’y avait pas beaucoup de médecins qui soutenaient la théorie miasmatique, humorale ou héréditaire pour expliquer la transmission de la lèpre. La théorie d´un agent causal spécifique régnait parmi les membres de l'élite médicale colombienne201. Dans son rapport sur l’enquête nationale sur la lèpre, le médecin Casta eda a alors suggéré la création de colonies de lépreux dans des climats chauds et secs qui, selon lui, pouvaient stopper le développement de la maladie. En fait, il proposa l’isolement obligatoire des lépreux, la création d’un impôt destiné à la construction et au financement des léproseries et, finalement, l’inclusion dans les finances nationales des dépenses liées à la lèpre202. Avec la loi 43 de 1890, le confinement des malades devint obligatoire en Colombie203. Un autre médecin, Abraham Aparicio, qui s’intéressait aussi au problème de la lèpre dans le pays, a commenté le rapport de Castañeda. À son avis, la propagation de la maladie était alarmante et il demandait aux autorités d’imposer des mesures hygiéniques urgentes. Comme l’a bien montré bregón, en 1891 Aparicio publia un article dans lequel, sans disposer 198
Ibid., 626. Ibid., 647. 200 Obregón, Batallas contra la lepra, 168. 201 Ibid., 171. 202 Castañeda, « Investigaciones sobre la lepra en la República de Colombia. » 203 Obregón, Batallas contra la lepra, 180. 199
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de nouvelles données, il exagéra les estimations de Castañeda sur le nombre de malades. Selon Aparicio, qui n'indiquait pas les sources de ses nouvelles données quantitatives, le nombre de lépreux était de 20.000204. Subséquemment, le chiffre de lépreux du pays commença à augmenter dans la littérature médicale 205. Ainsi, en 1898, le médecin dermatologue colombien Teodoro Castrillón publia à Paris l’ouvrage De la Lèpre en Colombie, où il affirma qu’à ce moment le pays était malheureusement « le premier foyer de lèpre du monde entier »206. Il questionnait les statistiques de Castañeda, car elles étaient le résultat des renseignements fournis par des « personnes étrangères à la médecine ». Castrillón soulignait que « des recherches ultérieures ont montré que sur une population d’environ trois millions et demi d'habitants *en Colombie+, il y a à peu près 27 600 lépreux »207. De même, le médecin colombien, diplômé de la Faculté de Médecine de Paris, Nicanor Insignares, rapporta en 1898 entre 20 000 et 30 000 cas de lèpre208. Ensuite, la communauté religieuse des frères de la Salle, en sollicitant la compassion des Colombiens et en demandant des donations pour combattre ce fléau, augmentera encore le chiffre jusqu’à 50 000 lépreux. « Très fréquentes et répétées furent les exagérations sur le nombre de lépreux qui transformeront la Colombie, au niveau international, en première puissance lépreuse du monde »209. Cette réputation de la Colombie comme « nation lépreuse » sera bientôt fortement combattue par les autorités nationales. En commençant le XXe siècle, les élites de commerçants et les petits industriels du pays considéraient comme indispensable l’introduction des capitaux étrangers pour le progrès soutenu de l'économie agro-exportatrice colombienne. La crainte dans les villes et les ports étrangers des produits provenant d’un pays de mauvaise réputation sanitaire inquiétait le gouvernement colombien. Il fallait s’attaquer aux statistiques exagérées de la lèpre pour réussir l’insertion de la Colombie dans le marché international210. Ainsi, au cours de la période présidentielle de Rafael Reyes (1904-1909) il y a eu beaucoup d’efforts officiels pour combattre l’expansion de la maladie dans le pays et pour 204
Aparicio n'a pas indiqué la source de leurs statistiques, à l'exception d'une brève note : « Données présentées par le Dr J. David Herrera ». Obregón, Batallas contra la lepra, 181. 205 Obregón, Batallas contra la lepra, 181. 206 Castrillón, De la lèpre en Colombie. 207 Ibid., 16. 208 « Si ces chiffres étaient corrects, il signifierait qu'entre le 0.5 % et le 0.75 % de la population d'environ 4 millions souffrait de lèpre. Ceci serait un taux très haut si nous considérions qu'en Norvège dans 1856, une des années de plus haute prévalence de lèpre, celle-ci était estimée en 0.23 % » Obregón, Batallas contra la lepra, 182 209 Martínez et Guatibonza, « Cómo Colombia logró ser la primera potencia leprosa del mundo. 18691916 », 248. 210 Obregón, Batallas contra la lepra, 211.
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obtenir de véritables statistiques des malades de la lèpre. En 1905, l’administration de colonies de lépreux est passée des communautés religieuses aux mains du gouvernement national, et un bureau indépendant fut créé, l'Oficina central de lazaretos (Bureau central des lazarets), pour s’en occuper. Néanmoins, la médicalisation de la lèpre n'a été que partiellement réalisée par sa démarcation comme une maladie de ségrégation obligatoire. Puisque les léproseries ne sont pas devenues des hôpitaux, les médecins ont été incapables de prescrire des traitements et dans les lazarets la médecine scientifique était en constante concurrence avec des guérisseurs, des herboristes, et des charlatans211. Alarmé par les chiffres le président Reyes a chargé, en 1906, Julio E. Manrique, médecin-chef des léproseries de la Colombie, d’une mission d’observation en Norvège pour y étudier l’organisation des hôpitaux de lépreux. Dans son rapport, Manrique regrettait l’absence des statistiques officielles sur le sujet et dénonçait les dangers de l’exagération des chiffres diffusés dans des journaux et livres étrangers. Après la publication, dans un journal américain (Le Courrier des États-Unis, New York, du 4 aout 1906) d’un chiffre de 60.000 lépreux en Colombie, le président Reyes envoya une communication à ses ambassadeurs et consuls en sollicitant la publication, dans les journaux locaux respectifs, des chiffres corrigés. À sa missive, il ajouta un rapport du docteur Manrique dans lequel il estimait le chiffre aux environs de 4.000 lépreux212. D’après les chercheurs Martine et
uatibon a, la statistique médicale officielle en
Colombie commence avec l’élaboration du premier recensement complet de lépreux dans le pays fait par le médecin Pablo García Medina213. Si certainement cette enquête est un évènement important de l’histoire de la santé publique en Colombie, il faut l’interpréter plutôt comme un cas singulier de production de chiffres liés à la santé que comme le début d’une volonté étatique de production régulière des indicateurs de santé. De quelle manière a été effectué ce recensement de lépreux ? En 1905, par ordre du ministère de l’Intérieur et àl’initiative du médecin Pablo
arcía Medina214, la section des
léproseries envoya aux gouverneurs des départements des formulaires à remplir avec les renseignements apportés par les médecins des localités ou par les maires215. Les livres où 211
Ibid., 184 et suivantes. Martínez et Guatibonza, « Cómo Colombia logró ser la primera potencia leprosa del mundo. 18691916 », 248. 213 Pablo Garcia Medina était à ce moment Médecin adjoint de la Section des Léproseries du Ministère du Gouvernement. 214 Martínez et Guatibonza, « Cómo Colombia logró ser la primera potencia leprosa del mundo. 18691916 », 246. 215 Juan B. Montoya y Flórez, Contribución al estudio de la lepra en Colombia (Medellín: Imp. editorial, 1910), 206. 212
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étaient consignées les statistiques incluaient les données suivantes : le nom, le sexe, la profession, l’état civil, le type de lèpre, les « ascendants et collatéraux lépreux », les « descendants sains ou malades » de chaque patient ; finalement, le nom de la léproserie, et si le malade était isolé216. Ce recensement établit 4 296 malades de lèpre, dont 72 % étaient confinés dans les colonies de lépreux. Ce dernier chiffre démontrait un contrôle partiel de la situation et son usage rhétorique a servi comme indicateur de l’efficacité des médecins. Par ailleurs, pour García Medina, qui allait tenir une position officielle, le nombre de patients devait être encore inférieur, car le diagnostic de la maladie était facilement confondu avec ceux d’autres affections, ce qui alourdissait de façon erronée le bilan total217. On assiste à ce moment à un changement du point de vue officiel sur le problème de la lèpre : il fallait montrer des chiffres réels permettant de corriger les exagérations du passé. Les congrès nationaux et internationaux des décennies suivantes seront les tribunes exploitées par certains médecins hygiénistes pour présenter de nouvelles statistiques et pour essayer de changer la mauvaise réputation sanitaire de Colombie218. Dans ce nouveau climat, le médecin Castrillón fut fortement attaqué par ses collègues et par d’autres personnalités à cause du discrédit international du pays occasionné par les chiffres de lépreux avancés dans son ouvrage publié en Europe en 1898. Encore en 1913, il présenta une conférence au Deuxième Congrès National de Médicine en Colombie pour se défendre de ces accusations219. La lutte pour combattre la stigmatisation de pays lépreux fut longue et comme l’a décrit l’historienne Diana Obregón elle va intéresser de plus en plus de médecins colombiens pendant les deux décennies suivantes220.
Conclusions Tout au long du XIXe siècle, la statistique officielle colombienne a été à la merci des nombreuses guerres civiles et des multiples réorganisations de l’administration publique dans un contexte politique très instable et peu propice à la consolidation des pouvoirs de longue durée. Comme nous l’avons montré, les modifications successives dans l’organisation de l’État et ses problèmes budgétaires vont marquer les structures des institutions de statistiques et 216
Pablo García Medina, « Estadísticas de la lepra en Colombia », in Segundo Congreso médico de Colombia. Reunido en Medellín del 19 al 26 de enero 1913, vol. 1 (Bogotá: Escuela tipográfica Salesiana, 1913), 176. 217 Obregón, Batallas contra la lepra, 213. 218 Ibid., 213‑215. 219 o Teodoro Castrillón, Los leprosos de Colombia. Mi defensa ante el 2 Congreso médico nacional (Medellín: Imprenta del Departamento, 1913). 220 Obregón, Batallas contra la lepra, 216 et chapitres suivants.
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leur échec. La statistique officielle suivra plusieurs réformes et tentatives de centralisation. L’instabilité administrative a été à l’ordre du jour et, de 1888 à 1898, l’organisme chargé de la statistique eut au moins quatre directeurs différents — parmi eux deux étrangers — et passa d’un rattachement au ministère du Développement à celui du ministère de l’Intérieur. L’absence de personnel local formé pour la direction des recherches statistiques est parmi les causes de la participation de quelques étrangers dans le service de statistique nationale (ANNEXE 1). En 1892 fut créé le premier bureau de statistique national, que son directeur S.H. Warming tenta de réorganiser sur le modèle prussien. De la tentative officielle de suivre des registres démographiques nationaux, y compris le mouvement de la population (naissance, mariages, décès) et la morbidité selon les causes de décès, ne se sont conservés que des registres pour le mois de janvier 1892. La nouvelle réforme de 1896 modifia l’organisation de la statistique nationale et créa le BCS. Mais, si depuis sa création et jusqu’à 1905, ce bureau a été sous la direction d’Enrique Arboleda Cortés, le déclenchement de la Guerra de los mil días (1899-1902) et la participation active d’Arboleda Cortés dans le conflit vont affecter profondément les activités du BCS et son programme d’harmonisation des statistiques nationales ne verra pas la lumière. Dans un contexte national où la pratique de la statistique comme activité régulière de l’État fut rare, nous nous sommes interrogés sur la production des statistiques de santé dans les hôpitaux pendant la seconde moitié du XIXe siècle. L’étude de cas de quelques hôpitaux militaires et celui du principal hôpital de charité du pays nous ont révélé quelques modalités de l’usage de chiffres des médecins et des fonctionnaires officiels. Face à une libéralisation totale de la pratique de la médecine, les chiffres démontrant un nombre important de patients guéris et une mortalité insignifiante vont servir à légitimer les connaissances et le statut des médecins diplômés. Les réformes imposées par la constitution de 1886 et la création du CCH n'ont pas changé de façon substantielle l’administration de la santé dans le pays. Les conditions des services hospitaliers étaient précaires et la communauté médicale locale naissante se servit des statistiques hospitalières pour réaffirmer son statut social et démonter la valeur et l’efficacité des services. L’usage de chiffres des mouvements de patients à l’HSJD par les membres du CCH ne se trouve pas dans le même registre que ceux des hôpitaux militaires. Car ils s’intéressèrent, non seulement à l’administration de soins à l’intérieur de l’hôpital, mais surtout à la gestion de l’hygiène dans la ville. n a montré qu’à l’égard de la méconnaissance des conditions réelles d’existence et de santé de la population, les chiffres de maladies dominantes à l’HSJD ont été utilisés par les membres du CCH pour renforcer leurs arguments en faveur de l’hygiène 79
publique et comme un moyen d’extrapoler la situation de la ville et de proposer des mesures préventives contre les maladies contagieuses. Certes, les problèmes budgétaires de l’administration locale et le caractère consultatif du CCH n’ont pas permis la mise en œuvre des mesures hygiéniques, empruntées aux recherches étrangères, et discutées par ces médecins colombiens. À la fin du XIXe siècle, le cas le plus singulier de recours aux chiffres pour légitimer le statut social et culturel des médecins a été l’exagération des statistiques de lépreux, qui va faire passer au niveau international le pays comme la première puissance lépreuse du monde. Une image à laquelle le gouvernement national va s’attaquer avec insistance pendant plusieurs années afin de soutenir la naissante économie agro-exportatrice colombienne et réussir l’insertion du pays dans le marché international.
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Chapitre 2 Les causes de décès. Une nomenclature pour la quantification 2.1 L’administration de la ville et les chiffres démographiques À la fin du XIXe siècle et grâce aux codes de police, nous pouvons constater que certaines questions d’hygiène et de santé publique commencent à attirer l’attention de l’État colombien. Ces codes de police révèlent des tentatives d'ingérence officielle dans les pratiques et les gestes quotidiens de la population, parfois très enracinés comme habitudes des individus, des familles et des communautés, pour essayer de les contrôler, les surveiller et les réguler. Ils montrent aussi le rapport entre l’État et la vie en communauté par le biais des régulations visant l'hygiène et la salubrité. Pendant une grande partie du XIXe siècle, pour les divers régimes républicains, la santé publique était du ressort de l’administration civile de la ville, une affaire de police. Avec la constitution du CCH, en 1886, et à travers les Académies de médecine, le rôle des médecins à cet égard deviendra de plus en plus important à la fin du XIXe siècle, surtout en ce qui concerne l’hygiène urbaine. La théorie miasmatique était en vigueur à ce moment et elle supportait une grande partie des normes et des régulations de la ville, dont celle sur l’emplacement et l’administration des cimetières221. Les revues médicales publiaient des articles réclamant le contrôle hygiénique des cimetières222. Selon le code de police de Cundinamarca de 1886, les cimetières devaient être établis en dehors des villes et aucun cadavre ne pouvait être enterré dans l’enceinte urbaine. En cas d’impossibilité, il fallait les ensevelir dans des endroits isolés des habitations, en suivant des précautions nécessaires afin qu’ils ne soient pas déterrés. Pour empêcher la contamination de l’air par des miasmes résultant de la corruption des corps, les cadavres devaient être enterrés à une profondeur suffisante. De la même façon, les fosses et les tombes devaient être enfermées par des murs assez compacts et hermétiques. Aucun cadavre ne pourrait être inhumé sans présenter préalablement le certificat de décès signé par un médecin ou, dans les lieux où il n’y en avait pas, deux témoins renommés devaient accréditer que le décès n'était 221
Jorge Márque Valderrama, Ciudad, miasmas y microbios: la irrupción de la ciencia pasteriana en Antioquia (Medellín: Editorial Universidad de Antioquia, 2005). 222 Voir par exemple : G. Durán Borda, « Informe sobre las mejoras higiénicas que reclaman los cementerios de Bogotá », Revista médica de Bogotá 109 (1886): 373‑76.
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pas la conséquence d’un délit. Dans les rues de la municipalité, le transport des cadavres à découvert était absolument interdit, sous peine d’amende ou de prison ferme223. Si la mort était provoquée par une maladie contagieuse, le cadavre devait être enterré le plus vite possible dans le cimetière ou dans un endroit dépeuplé proposé par la police, qui serait interdit d’accès aux autres personnes. Dans les cas ordinaires, l’inhumation ne devait pas être pratiquée avant 24 heures suivant le décès. Par cette dernière mesure, les autorités de police tentaient d’éviter les enterrements de personnes victimes d’un « décès apparent » cela dans un moment où, étant donné le manque de médecins universitaires, il n’était pas facile d’obtenir des preuves médicales ou « scientifiques » d’une mort clinique. Avant l’enterrement d’un cadavre, il fallait prévenir le chef de police pour qu’il fasse la reconnaissance nécessaire. En cas de doutes sur la nature du décès, par exemple, si l’on soupçonnait un rapport entre la mort et un crime, il fallait retarder l’inhumation le temps nécessaire pour pratiquer les diligences indiquées dans le code judiciaire. Pour le cas de cadavres de personnes inconnues, l’inhumation devait être pratiquée par les fonctionnaires de police et payée avec les revenus municipaux. Pourtant, si la municipalité ne disposait pas d’argent, la responsabilité matérielle retombait sur les voisins les plus riches de l’endroit où le décès avait eu lieu ou le cadavre avait été trouvé224. Jusqu'à la fin du XIXe siècle, on ne trouve pas de grands changements dans les articles du code de police concernant l’administration des cimetières225. Mais il est peu probable que les autorités municipales aient abouti à mettre en place les dispositifs de surveillance conformes aux normes. Comme preuve, il suffit de considérer les conditions précaires d’hygiène de Bogotá à l’époque et l’aperçu de la capitale de la république permet de se faire une idée sur la situation générale du reste du pays. D’après un médecin de l’époque, les conditions d’hygiène de Bogotá étaient exécrables. « L’atmosphère méphitique [de la ville], qui était une source d’insalubrité dans le temps de calme endémique, devenait un souffle de décès quand les épidémies s’installaient »226.
223
Asamblea Departamental de Cundinamarca, Ordenanzas del departamento de undinamarca : expedidas por la asamblea de 1888 y códigos, de policía y político municipal seguidos de algunas leyes nacionales y decretos del poder ejecutivo (Bogotá: Imprenta de la Luz, 1889), 149‑150.
224
Ibid., 150‑151. Antonio María Osorio, Prontuario de las disposiciones de policía que deben conocer los empleados su alternos de este ramo : extractadas del Reglamento de la Policía Nacional, del ódigo de Policía del departamento, de las Ordenanzas, Decretos y Acuerdos expedidos sobre la materia, 2a. ed. corregida y aumentada (Bogotá: Imprenta Nacional, 1895). 226 José Joaquin Serrano, Higienización de Bogotá (Bogotá: Imprenta de Vapor de Zalamea Hermanos, 1899), 26. 225
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Le système des égouts de la ville était non seulement rudimentaire, mais il se trouvait dans un état désastreux. Les sources d’eau potable étaient insuffisantes. Les inspections sanitaires des écoles primaires, des lycées et d’autres enceintes de vie collective et industrielle ne se pratiquaient presque pas. Les conditions des habitations étaient très rustiques et peu hygiéniques et les maisons où il y avait des malades contagieux, une fois inhabitées, étaient rapidement louées sans désinfection préalable, même les vêtements et les meubles contaminés étaient vendus aux enchères. L’abattoir municipal était un péril constant d’infection. En outre, dans la ville il n’y avait pas de places suffisantes dans le seul hôpital pour les malades contagieux, l’HSJD situé à côté de la place principale, qui était, d’après le médecin José Joaquin Serrano Serrano, plus qu’un foyer d’infection « un vrai laboratoire de ferments mortels »227. Selon les médecins, Bogota disposait d’un bon emplacement géographique et d’un excellent climat, mais l’état insalubre de la ville faisait envisager sa dépopulation. Sur la base de petits calculs, le médecin Serrano a tenté une démonstration de cette réalité. L’augmentation de la mortalité se vérifiait sur des données démographiques telles que la comparaison entre le nombre des décès et le nombre des naissances. À Bogota, d’habitude, le dernier était inférieur au premier. D’après Serrano, entre 1891 et 1898 furent enregistrés à la Mairie 22 302 décès et 19 316 naissances, soit une différence de 3 986 individus en moins. Reprenant la moyenne annuelle pour ces 8 années, il y avait donc 2 787 décès annuels et 2 414 naissances, c'est-à-dire, une différence de 373, soit 18 650 individus en 50 ans228. Il conclut qu’il était certainement « déplorable pour les familles de Bogota qu’elles doivent chercher l'immigration constante pour survivre, et ne pas être en mesure de croître par leurs propres forces internes, comme il sied à toute ville modérément salubre »229. Comme dans le cas des statistiques de lèpre, le discours médical fait usage de chiffres pour susciter la peur et l’inquiétude sur l’état hygiénique du pays. Il est très probable que la mise en œuvre des normes pour le traitement hygiénique des cadavres dans le monde urbain colombien du XIXe siècle ait été difficile, incomplète et précaire. Cependant, pour la ville de Bogota, on trouve depuis 1890 des registres mensuels du mouvement de la population, avec des informations sur le nombre et l’emplacement des
227
Ibid., 8‑9. Serrano calcule un taux de mortalité de 22 pour 1 000 habitants et un taux de naissance de 19. Ibid., 5‑6.
228
229
« *…+ es desconsolador que la familia bogotana tenga que acudir a la inmigración constante para sostenerse, no siendo capaz de crecer por sus propias fuerzas internas, como corresponde a toda ciudad aún medianamente saneada». Ibid., 6.
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tombeaux dans les cimetières230, dans les rapports du Maire publiés au journal officiel, Registro Oficial. D’après celui de janvier 1890 « On a occupé dans le Cimetière 23 grandes niches qui sont celles marquées par les nombres 198—209—22—242—243—247—258— 779—946—950—954—958—962—966—970—974— du cimetière circulaire, 350—510— 601—710—775—1255— et —1346 de l’Ancien ; un mausolée de propriété privée, et 6 petites niches qui sont distinguées par ces nombres: 160—214—232—440—475— et 538. On a aussi enterré dans le secteur du Nouveau Cimetière 72 cadavres et 58 dans celui des pauvres »231. Les détails sur le type de tombeau et sa localisation étaient importants puisqu’ils définissaient le prix à payer pour l’inhumation. Dans les livres dits « nécrologiques », où étaient enregistrés les décès de la ville, on constate, par exemple, qu’en 1900, les pauvres ne payaient pas la taxe, et pour les autres le tarif variait entre 1 peso colombien pour le secteur dit « el área » et 24 pesos colombien pour les grandes niches. Ces livres nécrologiques rapportent, par ordre chronologique, les certificats de décès. À la fin de chaque mois, le Maire de la ville et son Secrétaire certifiant le nombre et l’authenticité de tous ces registres. Dans les démarches d’enregistrement d’un décès, il fallait informer la Mairie et payer la taxe, pour obtenir une licence d’inhumation de l’administration du cimetière. Sans celle-ci, l’enterrement n’était pas légalement réalisable232 (Illustration 1).
230
En fait, il y avait un seul cimetière, mais dans le XIXème siècle chaque secteur avait sa propre dénomination. Oscar Calvo Isaza, El cementerio central, Bogotá: la vida urbana y la muerte (Bogotá: IDCT, Observatorio de Cultura Urbana, 1998). 231 Higinio Cualla, « Movimiento de la población [enero] », Registro municipal, 22 février 1890, sect. Alcaldía de Bogotá. 232 Alcaldía de Bogotá, « Libro necrológico 1900 » (Bogotá, 1900), f.1‑ss, Archivo de Bogotá.
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Illustration 1. Livre nécrologique, Mairie de Bogota mai 1900
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NOTE : Les données qui figurent dans le registre sont : le nom de la personne décédée, si adulte ou enfant, cause du décès si connue, nom de la personne à laquelle lui était accordé le permis d’inhumation, la valeur de l’inhumation. SOURCE : Alcaldía de Bogotá, « Libro necrológico 1900 » (Bogotá, 1900), f.1‑3, Archivo de Bogotá.
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2.1.1 Les médecins municipaux et les certificats de décès En 1891, et par l’acte administratif 28, fut créée pour la première fois en Colombie la fonction de médecin municipal233. Le médecin devait accomplir deux activités principales : 1) élaborer et signer les certificats de décès pour les personnes qui n’avaient pas de médecin de famille et 2) mettre en œuvre des activités liées à ce service, indiqués par le Maire de Bogota234. Comme les sources documentaires sont fragmentaires, il n’est pas facile de retracer le déroulement des activités de ce fonctionnaire. Néanmoins, selon des informations mensuelles publiées entre 1890 et 1900 dans le Registro Municipal, concernant le mouvement de la population de Bogotá, il est possible que, pour une partie importante des décès, la livraison d’un certificat contenant la cause fût une formalité régulière235. Pour la décennie de 1900, nous avons trouvé dans les livres nécrologiques de la ville, qu’une grande partie des registres de décès contenaient : le nom et l’âge du mort, le nom de ses parents, sa profession, le nom du quartier ou de l’institution où le décès fut déclaré (hôpitaux, asile, hospices), la cause du décès, le nom du médecin qui avait certifié la mort et, en dernier point, le permis d’inhumation indiquant l’endroit et le type de tombeau correspondant à la taxe payée236. En 1899, et grâce à un nouvel acte administratif, le poste de médecin municipal de Bogota et ses fonctions se sont vus transformés. Le poste, maintenant dénommée Médico de sanidad (Médecin de salubrité, MS), devait assurer plusieurs tâches : 1) étudier les causes des épidémies présentes dans la ville pouvant affecter la santé publique et indiquer au Maire la façon de les prévenir et les contrôler ; 2) informer le Maire de l’apparition des maladies infectieuses ou épidémiques et proposer les mesures à prendre ; 3) se déplacer aux endroits indiqués par les autorités municipales; 4) effectuer les inspections des fabriques et des commerces susceptibles d’être nocifs pour la santé publique et indiquer les moyens de les corriger ; 5) répertorier dans un livre toutes les visites réalisées, les instructions proposées, les demandes reçues et les recommandations correspondantes ; 6) participer aux sessions du 233
Pour les autres villes du pays, la création de ce poste fut plus tardive. Pour exemple à Medellin elle fut en 1905. Cf.: Carlos De Greiff, « Informe relativo a la creación del cargo de Médico Municipal » os 1905, f 616‑618, Fondo Concejo. Tomo 274 II (1905), Archivo Histórico de Medellín. 234 Concejo municipal de Bogotá, « Acuerdo número 28 de 1891 por el cual se crea un empleo », in Acuerdos expedidos por el Consejo municipal de Bogotá 1891 a 1896 (Bogotá: Imprenta nacional, 1897), 47. 235 Cf: Registro Municipal. Órgano oficial de Gobierno Municipal del Distrito de Bogotá, entre les années 1890 et 1900. 236 Voici deux exemples : «22 mayo 1900. Registro 165. Díaz, Ana María. Se ignoran sus padres- de sesenta años-de Bogotá-murió hoy en el Asilo – de diarrea crónica - según lo certificó el Dr. A. Gómez C. José María Cifuentes obtuvo licencia para el Cementerio de pobres *…+. Registro 168. Sanclemente, Rita. Hija de Manual A Sanclemente y Nasaria Domínguez - de cuarenta y ocho a cincuenta años –de Buga- murió ayer en “La Catedral” de linfosteais (sic) generali ada-según lo certificó el médico Dr. Aparicio Perea. Remigio Hernández obtuvo licencia para bóveda grande. $24». Alcaldía de Bogotá, os « Libro necrológico 1900 », f 16‑17.et Cf: Libros necrológicos 1900-1910. Archivo de Bogotá.
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Conseil de la municipalité lorsqu’il est convoqué et 7) présenter un rapport annuel sur les activités réalisées pendant son service. Le médecin de salubrité recevait une allocation mensuelle de 120 pesos, et il fallait être médecin diplômé pour y postuler237. Comme l’ont signalé Jacques et Michel Dupàquier pour la France, la connaissance du mouvement de la population, et plus particulièrement la compilation des causes de décès, sont apparues comme une nécessité pratique lors des grandes épidémies, notamment dans les villes. Les responsables des administrations municipales devaient en connaître la marche et la portée pour lutter efficacement contre elles238. Dans la transition du XIXe au XXe siècle, l’intérêt des autorités de Bogota pour les problèmes liés à la salubrité publique a commencé à prendre plus d’ampleur. Ainsi, par l’acte administratif n° 9 de 1901 furent imposées de nouvelles normes d’hygiène liées aux maladies contagieuses. Les habitations, les meubles et les vêtements des personnes ayant été victimes de ces maladies devaient se soumettre à une désinfection, « de façon scientifique », dans un délai maximal de trois jours après la disparition des symptômes. Les conditions du processus de désinfection étaient rédigées par le CCH et un médecin devait l’attester. Le cas échéant, le MS devait réaliser la désinfection, passer la facture au locataire ou au propriétaire de l’immeuble et ensuite la certifier. Donc, tout nouveau locataire avait le droit de demander au propriétaire l’attestation de désinfection du logement. À la fin de chaque mois, le MS devait rapporter au Maire de la ville et au CCH toutes les désinfections réalisées239. D’après cet acte administratif, le médecin de salubrité devait aussi vérifier les conditions d’isolement des lépreux de la ville et contrôler l’hygiène de toute nouvelle construction. Ce médecin avait à sa disposition un médecin auxiliaire240. À l’attribution de ces nouvelles fonctions de police sanitaire au MS s’ajouta, en 1903, la création d’une Oficina de sanidad (Bureau de santé BS) composée par un médecin principal, un médecin auxiliaire et un chimiste bactériologue. Ce bureau devait être associé à un laboratoire241. Sur l’établissement et le fonctionnement du Bureau de santé, l’information est 237
Concejo municipal de Bogotá, « Acuerdo número 17 de 1899 por el cual se crea el empleo de médico de sanidad », in Acuerdos expedidos por el Consejo municipal de Bogotá 1897 a 1903 (Bogotá: Imprenta de vapor, 1903), 94‑95. 238 Jacques Vallin et al., Les causes de décès en France de 1925 à 1978: avec une étude des variations géographiques (Paris: INED, 1988), 16. 239 Concejo municipal de Bogotá, « Acuerdo número 9 de 1901 por el cual se ordenan ciertas medidas de salubridad pública », in Acuerdos expedidos por el Consejo municipal de Bogotá 1897 a 1903 (Bogotá: Imprenta de vapor, 1903), 149‑51. 240 Ibid. 241 Concejo municipal de Bogotá, « Acuerdo número 28 de 1903 por el cual se restablece el empleo de Médico de Sanidad y se promueve un concurso para fundar una Oficina de Sanidad con laboratorio ajunto », in Acuerdos expedidos por el Consejo municipal de Bogotá 1897 a 1903 (Bogotá: Imprenta de
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insuffisante.
n sait qu’effectivement il a été créé comme on peut le constater par les
statistiques de mortalité de la ville publiées dans la Revista Médica de Bogotá et signées par Ricardo Amaya Arias, MS pendant la période juin 1903-decembre 1906. Depuis juin 1905, les statistiques de mortalité ont été signées par le même médecin en tant que Jefe de la Sección de beneficencia y salubridad (Chef de la Section de l’assistance publique et la santé)242. À la même époque, un petit changement a été opéré sur les registres des livres nécrologiques. Les certificats d’inhumation de la ville étaient enregistrés par le personnel de la Section de l’assistance publique et de la santé243. 2.1.2 Les certificats des décès et la Direction de l’hygiène et la santé de Bogota La configuration et la réorganisation du BS de Bogota continuèrent, et en 1910 le service avait sous sa tutelle l'assistance publique et l'administration sanitaire. La première était chargée du service médical des institutions (hôpitaux, asiles, hospices, foyers) ; du service des consultations gratuites dans divers quartiers de la ville ; des visites médicales gratuites aux patients pauvres et parfois de leur hospitalisation ; et du service médical permanent, qui comprenait aussi les premiers secours à des personnes accidentées. Pour sa part, le BS avait à sa charge l'administration sanitaire à travers ses quatre sections : l’inspection technique d'hygiène, le service de désinfection, le service de vaccination et le laboratoire municipal244. En 1912 et grâce à l’approbation du Conseil Municipal paraît le premier numéro de la revue Registro Municipal de Higiene, publication dans laquelle, chaque mois, la Dirección de higiene y sanidad de Bogotá (Direction de l’hygiène et de la santé de Bogotá, DHSB) présentait les rapports de ses activités. C'est-à-dire les statistiques des personnes vaccinées ou revaccinées contre la variole, ainsi que la liste des écoles et des collèges où la vaccination a été pratiquée ; les visites à l'hôpital et à l’asile, aux étables, aux hôtels, aux établissements de vente de boissons alcoolisées ; les visites aux collèges et aux écoles ; les visites effectuées par le vétérinaire aux foyers possibles d'infection comme les élevages de porc, les halles de marché, l’abattoir, les écuries ; les registres des mouvements des hôpitaux et le nombre des certificats de désinfection et de salubrité245, de même que le nombre de désinfections
vapor, 1903), 297‑98; « Acuerdo número 33 de 1903 por el cual se reforman los artículos 4° y 5° del acuerdo número 28 de este año », in Acuerdos expedidos por el Consejo municipal de Bogotá 1897 a 1903 (Bogotá: Imprenta de vapor, 1903), 313. 242 Cf: Revista Médica de Bogotá années 1903-1907 numéros 283-324. 243 o Alcaldía de Bogotá, « Libro necrológico 1905-1906 » (Bogotá, 1906 1905), f 1, Archivo de Bogotá. 244 Margarita Pulgarín Reyes, Historia institucional. Secretaría de salud de bogotá 1910-2007 (Bogotá: Imprenta distrital, 2007), 17‑18. 245 Les brevets de salubrité furent établit par décret municipal en 1905 et correspondaient à l’attestation accordées aux immeubles libres des maladies infectieuses ou ayant déjà suivi une désinfection.
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ordonnées. D’ailleurs, dans ces rapports, on trouve le nombre des naissances et des décès par paroisses, avec les statistiques de leurs causes, et quelques articles sur l’hygiène et la santé publiques246. Dans une étude publiée dans le premier numéro de cette revue consacrée aux chiffres de décès de 1900 à 1911 à Bogota, les directeurs de la DHSB, Manuel N. Lobo et Luis Zea Uribe, se montraient inquiets quant l’adéquation des règles d’hygiène de la ville. Ils calculaient un taux de mortalité de 25 pour 1 000 habitants, qu’ils considéraient comme très élevé car « on ne voit pas ces chiffres dans des villes qui sont conformes aux règles d’hygiène ». Selon leurs arguments, dans les villes peuplées des pays des zones tempérées, le taux de mortalité était inférieur à 20 pour 1 000. Dans « le tropique inclément » il y avait déjà des villes qui, à l’aide des connaissances sur l’hygiène publique, arrivaient à de bonnes moyennes de mortalité, comme Buenos Aires (12,5/1 000) et la Havane (16/1 000). Il fallait donc imposer des mesures sanitaires drastiques à Bogota pour réduire le taux de mortalité. « Cette ville, placée sur un plateau à 2 600 mètres d'altitude, avec une moyenne climatérique la plus appropriée pour le développement d'une race supérieure, sera un modèle typique des populations saines, le jour où y seront installées les mesures sanitaires qui, ailleurs, ont donné d’excellents résultats »247. Malgré l’existence des actes administratifs en faveur du contrôle des cimetières et des maladies contagieuses et des efforts de la DHSB pour améliorer les conditions d’hygiène de Bogota, les autorités locales n’arrivaient pas à imposer la plupart des normes. Par exemple, la DHSB prenait soin de noter les cas de décès par des maladies infectieuses enregistrés dans le livre nécrologique, avec le but de forcer les propriétaires des immeubles où ils se produisaient à procéder à la désinfection, conformément aux ordres donnés par ce bureau ou par le CCH. Pourtant, cette mesure n'a pas eu le résultat attendu, car les procédures de désinfection étaient encore trop chères, et les habitants étaient négligents quant à l’application de celles – ci, surtout les plus pauvres. Quelques années auparavant, la DHSB avait demandé au Conseil municipal la création d’un service de désinfection municipale avec une brigade sanitaire pour exécuter la procédure dans les cas où les habitants n’avaient pas d’argent, mais en 1912 le service n’existait pas encore248.
Manuel N. Lobo et Luis Zea Uribe, « Patentes de sanidad », Registro municipal de higiene 2 (1912): 17‑ 18. 246 Manuel N. Lobo et Luis Zea Uribe, « Estadística Sanitaria de Bogotá en el mes de enero de 1912 », Registro municipal de higiene 1 (1912): 2‑10. 247 Manuel N. Lobo et Luis Zea Uribe, « Mortalidad de Bogotá en los últimos once años », Registro municipal de higiene 1 (1912): 15‑16. 248 Manuel N. Lobo et Luis Zea Uribe, « Informe », Registro municipal de higiene 5 (1912): 67.
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La réglementation relative aux certificats de décès était aussi difficile à mettre en place. En 1914, il était courant que les médecins délivrassent des certificats de décès selon les données fournies par les personnes intéressées ; dans d'autres cas, pour éviter les frais à un ami pauvre, le certificat pouvait être délivré incomplet ; ou encore, il arrivait que des médecins homéopathes, « par ignorance », délivrassent de faux certificats. Pour Cenón Solano, le directeur de la DHSB, la fausseté d’un certificat de décès était étroitement liée à l’incompétence du médecin. D’après lui, parmi les homéopathes, il y en avait plusieurs qui n’avaient pas de préparation scientifique suffisante pour établir un diagnostic exact, puisqu’ils méconnaissaient l’anatomie, la pathologie, la physiologie et l’anatomie pathologique, ainsi que les savoirs sur lesquels reposaient les fondements de la médecine249. Dans le débat de la fin du XIXe siècle sur la professionnalisation de l’exercice de la médecine, qui opposait les médecins universitaires, les médecins sans diplôme et les homéopathes, le problème du certificat de décès fut maintes fois repris. Bien que l’homéopathie existât en Colombie comme pratique médicale depuis le milieu du XIXe siècle, elle a toujours été attaquée par les représentants de la médecine allopathique qui la classaient parmi les pratiques du charlatanisme250. Comme l’indiqua le docteur Solano, il y avait aussi des cas où le médecin délivrait le certificat de décès sans même avoir vu le cadavre. Lorsque le malade traité par un tegua (médecin empirique ou charlatan) qui prescrivait tous les remèdes, toutes les spécialités pharmaceutiques, mourait, ses proches demandaient à ce médecin le certificat de décès. Celui-ci refusait de le donner car il n’était pas habilité à le faire. Ainsi, il proposait aux proches du défunt de contacter un médecin X qui, moyennant un prix de 25 pesos, faisait le certificat. Le tegua donnait alors les indications précises pour solliciter le nouveau certificat et soulignait qu’il fallait suivre toutes les consignes pour éviter à tout prix que le cadavre ne finît dans l’amphithéâtre où il serait découpé en morceaux. Les proches terrifiés suivaient toutes ses instructions, notamment celle d’indiquer une adresse erronée pour éluder le coût et les inconvénients de la désinfection, au cas où il s’agissait d’une maladie infectieuse. De sorte qu’à Bogotá se sont présentés des cas dans lesquels la DHSB ordonnait la désinfection d’habitations où il n’y avait pas eu de malades ou de décès251. À cet égard, le directeur de la DHSB proposait de renforcer la réglementation nationale sur les responsabilités des médecins dans les cas de délivrance de faux documents. Comme exemple, il prenait le Code pénal français, lequel établissait pour les médecins fraudeurs entre 249
Solano, « Certificados médicos », 587-90. María del Pilar Guzmán Urrea, « La alopatía y la homeopatía en el siglo XIX: Conflicto entre dos prácticas médicas », Anuario colombiano de historia social y de la cultura 22 (1995): 59‑73.
250
251
Solano, « Certificados médicos », 587‑590. Solano 587-90
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un et trois ans de prison252. Si bien que la loi 83 de 1914 réglementant l’exercice de la profession médicale, d’après Solano n’empêchait pas qu’il y eût beaucoup « d’amateurs de la prescription » qui ne s’interdisaient pas d’exercer la médecine, car la loi n'établissait pas des sanctions conformes à la gravité du délit253. En 1915, la DHSB subit quelques changements, elle devint Bureau d’hygiène et salubrité (BHS), et pour la première fois son directeur acquit des pouvoirs de police. En même
temps, le service continuait à être organisé en deux sections : assistance publique et administration sanitaire. Aux fonctions de la seconde venaient s’ajouter l’inspection de l’exercice des professions médicales et l’établissement de données concernant la démographie, la statistique et la mortalité de la ville254. Dans le cadre de ses responsabilités, le directeur devait signer les licences d’inhumation des cadavres à partir des certificats de décès faits par les médecins255. En raison de la croissante nécessité d’exercer plus de contrôle sur les cimetières et sur la délivrance des certificats de décès, en 1916 les autorités municipales de Bogotá ont approuvé l’acte administratif nº 16256. Celui-ci établissait que les licences pour enterrer les cadavres dans les cimetières et pour les déposer dans les niches seraient fournies par le Directeur d'hygiène et salubrité. Ce dernier n’accorderait pas la licence d’inhumation si le certificat de décès délivré par un médecin diplômé ne certifiait pas que la mort n'était pas le résultat d'un crime. De sorte que le certificat devait exposer clairement la cause du décès, le
252
Article 159. «Toute personne qui, pour se rédimer elle-même ou affranchir une autre d'un service public quelconque, fabriquera, sous le nom d'un médecin, chirurgien ou autre officier de santé, un certificat de maladie ou d'infirmité, sera punie d'un emprisonnement d'une année au moins et de trois ans au plus. » Article 160. «Tout médecin, chirurgien ou autre officier de sante qui, pour favoriser quelqu'un, certifiera faussement des maladies ou infirmités propres à dispenser d'un service public, sera puni d'un emprisonnement d'une année au moins et de trois uns au plus. — S'il y a été mu par dons ou promesses la peine de l'emprisonnement sera d'une année au moins et de quatre ans au plus. — Dans les deux cas, le coupable pourra, en outre, être privé des droits mentionnés en l'article 4i du présent Code pendant cinq ans au moins et dix ans à plus, à compter du jour où il aura subi sa peine. — Dans le deuxième cas, les corrupteurs seront punis des mêmes peines que le médecin, chirurgien ou officier de santé qui aura délivré le faux certificat. » France, Les codes français : contenant le code civil, le code de procédure civile, le code de commerce, le code d’instruction criminelle. (Edition augmentée de la nouvelle loi sur le recrutement de l’armée) (Limoges: E. Ardant, 1880), 579, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5510446v/. 253 Solano, « Certificados médicos », 589. 254 Concejo municipal de Bogotá, « Acuerdo número 7 de 1915 sobre organización del servicio de higiene de la ciudad », in Acuerdos expedidos por el Concejo municipal de Bogotá en los años 1912 a 1915 (Bogotá: Casa Editorial de Arboleda y Valencia, 1916), 336‑41. 255 Ibid., 339. 256 Concejo municipal de Bogotá, « Acuerdo número 16 de 1916 orgánico de los cementerios de la ciudad », in Acuerdos expedidos por el Concejo municipal de Bogotá en los años 1916 a 1918 (Bogotá: Imprenta municipal, 1922), 39‑53.
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lieu, la date et l'heure de la mort, ainsi que l’adresse complète. En outre, pour éviter la contrefaçon, le document devait porter la signature du médecin et son sceau. Pour enterrer les cadavres en provenance d'un hôpital ou d’un asile, le certificat devait être délivré par le médecin ou par le praticien responsable du service clinique dans lequel avait eu lieu le décès 257
. Comme en témoigne l’évolution législative municipale sur les cimetières, les livres
nécrologiques et la configuration d’un BHS, pour le cas de la capitale du pays, le recours aux médecins pour rédiger et signer les certificats de décès a commencé en 1890. Lentement, les autorités locales sont parvenues à mettre en place, dans la routine administrative, la collecte des données sur la cause des décès. Cette activité a conduit par la suite à la préparation de tableaux mensuels des décès selon leurs causes. La statistique colombienne des causes de décès ne prend vraiment corps au niveau national qu’à la fin de la décennie 1910, quand la publication dans les annuaires statistiques de ces données devint une opération de routine. Comme nous allons le constater ensuite, les accords internationaux sur la statistique et l’hygiène souscrits par la Colombie pendant les premières décennies du XXe siècle vont pousser le pays vers une meilleure organisation de ses systèmes de registres démographiques et de salubrité.
2.2 L’adoption de la nomenclature de Bertillon en Colombie Les premiers débats en Colombie sur l’adoption du système de Bertillon apparurent à la fin du XIXe siècle. Mais attardons-nous un moment, sur l’apparition en Europe de cette nomenclature des causes de décès. Pendant le Congrès général de statistique réuni à Bruxelles du 19 au 22 septembre 1853, avec environ cent-cinquante membres appartenant à vingt-six États différents, et coordonné par Quételet, président de la Commission centrale de statistique, ont été discutées et votées certaines dispositions visant à unifier les registres de populations258. Parmi elles se distinguaient celle du registre des décès par âge et par mois et celle des décès par maladie et par mois. Pour ce qui concerne la classification des maladies et des accidents, les divers pays suivaient des systèmes différents et certains délégués du congrès préconisaient la formation d’une nomenclature uniforme des causes de décès applicable à tous les pays. Cette proposition a été vivement discutée par certains rapporteurs compte tenu de la difficulté de mettre tous les médecins d’accord sur les doctrines et les systèmes nosologiques existants. Ce
257
Ibid., 43. Compte rendu des travaux du Congrès Général de Statistique réuni à Bruxelles les 19, 20, 21 et 22 septembre 1853 (Bruxelles: M. Bayez, Imprimeur de la Commission Central de Statistique, 1853).
258
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congrès a servi à souligner au niveau international la grande importance de l’unification de la classification des maladies et celle-ci fera l’objet de plusieurs études ultérieures. Le premier Congrès international de Statistique, tenu à Bruxelles en 1853, chargea William Farr (de Londres) et Marc d'Espine (de Genève) de préparer « une nomenclature uniforme des causes de décès, applicable à tous les ‘pays’ ». Ce fait tient sûrement à la reconnaissance de la nécessité et de l’utilité d’une classification uniforme des causes de décès. En 1855, durant le congrès suivant, tenu à Paris, Farr et d’Espine présentèrent deux listes de maladies basées sur des principes différents. La nomenclature de Farr était divisée en cinq groupes: maladies épidémiques, maladies constitutionnelles (générales), maladies locales (classées selon leur localisation anatomique), maladies du développement et maladies qui sont la conséquence directe d’un traumatisme. Pour sa part, D’Espine classait les maladies selon leur nature (goutteuse, herpétique, hématique, etc.). Lors du congrès de 1855, un compromis fut adopté sous la forme d’une liste de 139 rubriques. En 1864, cette nomenclature fut révisée à Paris selon le modèle de William Farr. Elle a fait l’objet par la suite de plusieurs révisions : en 1874, 1880, 1886. « Bien que cette classification n’ait jamais reçu une approbation universelle, la disposition générale, et notamment le principe proposé par Farr de classer les maladies suivant leur localisation anatomique, ont survécu comme base de la Nomenclature internationale des causes de décès »259. Lors d'une autre réunion à Vienne en 1891, l’Institut international de Statistiques (IIS), successeur du Congrès international de statistique, a nommé un comité présidé par Jacques Bertillon (1851-1922)260, chef des services des statistiques de la Ville de Paris. Sa mission était de préparer une classification des causes de décès. Le rapport de ce comité a été présenté par Bertillon lors de la réunion de l’IIS en 1893, où il a été adopté. Selon les instructions de la réunion de Vienne, Bertillon a élaboré trois listes de rubriques différant par le degré d’agrégation des maladies. La première était composée d’un sommaire de 44 rubriques (sans sous-rubriques), la deuxième contenait 99 rubriques (116 avec les sous-rubriques) et la troisième, la plus détaillée, comportait 161 rubriques et 203 avec les sous-rubriques261. Le système de nomenclature a été préparé sur la base de la classification des causes de mortalité utilisée par la ville de Paris. Cette classification représentait à ce moment une synthèse des classifications anglaise, allemande et italienne, parmi d’autres. Le 259
Organisation Mondiale de la Santé, Manuel de la classification statistique internationale des maladies, traumatismes et causes de décès : fondé sur les recommandations de la onférence pour la septième révision (1955) et adoptée par la neuvième Assemblée mondiale de la Santé en vertu du Règlement de Nomenclature de l’OMS (Gèneve: Organisation Mondiale de la Santé, 1957), XI. 260 Fils du démographe Louis-Adolphe Bertillon, 1821-1883. 261 Vallin et al., Les causes de décès en France de 1925 à 1978, 27.
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cadre général était le même que celui que William Farr avait proposé262, mais d’une façon encore plus systématique. Ainsi il classa toutes les maladies dont le siège était déterminé, « en fonction de chaque appareil : nerveux, circulatoire, respiratoire, digestif, génito-urinaire » et il se contenta d'énumérer les autres, dans un certain ordre certes, mais sans les regrouper sous des titres généraux, peut être peu durables si l’on pense aux nouvelles acquisitions de la science. Selon les précisions de Bertillon, pour l’élaboration de la nomenclature la commission a utilisé aussi les noms courants de maladies tirés des « dictionnaires de médecine usuels » et pour établir les rubriques les plus importantes ils ont eu recours aux nomenclatures existantes263. En conséquence, il proposa les quatorze divisions suivantes : I. Maladies générales II. Maladies du système nerveux et des organes des sens III. Maladies de l'appareil circulatoire IV. Maladies de l'appareil respiratoire V. Maladies de l'appareil digestif VI. Maladies de l'appareil génito-urinaire et de ses annexes VII. Maladies puerpérales VIII. Maladies de la peau et de ses annexes IX. Maladies des organes de locomotion X. Vices de conformation XI. Maladies du premier âge XII. Maladies de la vieillesse XIII. Affections produites par des causes extérieures XIV. Maladies mal définies « La classification des causes de décès de Bertillon », comme on l’appelait au début, a été adoptée par plusieurs pays. En 1897, lors d'une réunion à Philadelphie de l’American Public Health Association (APHA) les délégués ont recommandé que dans les registres d’état civil fût adoptée la nomenclature de Bertillon, et en outre, que la classification fût révisée tous les 10 ans, notamment par les délégués de tous les pays adhérents. Ces pays avaient l’obligation de conformer leurs statistiques au code statistique résultant264. Les premières discussions en Colombie sur l’adoption du système de Bertillon, nous la trouvons dans une lettre envoyée le 24 mai 1899 par le directeur du BCS, Henrique Arboleda Cortés, au recteur de la Facultad de medicina y ciencias naturales de Bogota, Nicolás Osorio. Le fonctionnaire du BCS lui demandait son avis sur le système de Bertillon adopté par l’APHA pour les statistiques de causes de décès. Il sollicitait aussi des conseils sur les moyens de mettre en 262
Michel Dupâquier, « William Farr, démographe », Population 39 (1984): 349‑350. Jacques Bertillon, Sur une nomenclature uniforme des causes de décès (Kristiania: Typographie Th. Steen, 1900), 1‑2.
263
264
Ibid., 2‑3.
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place le système, tout cela, considérant la pénurie existante de médecins dans les municipalités, et les dispositions de l’article 30 du règlement de las Juntas de Sanidad (Conseils de santé)265. Comme l’Association américaine voulait obtenir l’aide des médecins de tous les pays d’Amérique, Arboleda Cortés a proposé au Recteur de présenter un rapport au BCS sur ce sujet. Il lui a indiqué qu’il ne ferait connaître ses travaux sur le système Bertillon si le recteur de la Faculté de médecine ne proposait pas un travail complet à cet égard266. Quelques mois après, dans le journal officiel du pays fut diffusée une circulaire informant que l’APHA avait publié une brochure sur les causes de décès selon le système Bertillon. En 1897, et lors de sa dernière réunion, cette association − composée par les chefs des vital statistics et des medical officers of death du Canada, du Mexique et des États-Unis – avait recommandé l'adoption généralisée de ce système pour les statistiques de mortalité. Selon la circulaire, alors que le système était utilisé en France et « faisait des progrès en Europe et en Amérique du Sud », il devrait être adopté dans le monde entier afin d’obtenir, pendant le siècle prochain, des statistiques de mortalité « sur une base cohérente ». Pour cela, un Comité d’examen international, représentant tous les pays, devait se réunir en 1900 à Paris lors de la réunion de l’ rgane international d’hygiène et de démographie. Les différents comités nationaux qui composaient cet organe enquêtaient sur les points de vue des bureaux d’enregistrement des statistiques de mortalité dans leurs pays respectifs, dans le but de proposer de possibles réformes. La brochure fut distribuée spécialement à cet effet et elle pouvait être envoyée sans frais à toutes les personnes intéressées. L’APHA « demandait l’avis de tous les médecins, les pathologistes, les statisticiens et d’autres personnes intéressées par les statistiques de mortalité ». Le directeur du BCS colombien confirma que le bureau distribuerait aussi les brochures267. Dans notre dépouillement d’archive nous n’avons pas pu constater si la circulaire de l’APHA fut discuté par les membres l’Académie de médecine de Medellín (AMM), l’autre association qui rassemblait les médecins locaux268. D’autre part, en juin 1899 Arboleda Cortés a reçu la réponse de la Facultad de medicina y ciencias naturales sur la pertinence d’adopter le système de Bertillon. À la
265
Les dispositions signalaient que les départements devaient fournir de médecins ou des Conseils de santé à toutes les municipalités. Mais, cette disposition était largement contournée par les autorités. 266 Henrique Arboleda Cortés, « Estadística Nacional [sobre la adopción del sistema de Bertillon] », Diario oficial, 28 juillet 1899. 267 Henrique Arboleda Cortés, « Circular sobre la adopción del sistema de Bertillon », Diario oficial, 18 juillet 1899, 745. 268 Dans une révision des comptes rendus de correspondant à l’année 1899 et publiée dans les Anales de la Academia de Medicina de Medellín, nous n’avons pas trouvé de traces pouvant suggérer que les membres auraient pu discuter l’adoption du système de Bertillon. Cf.: Anales de la Academia de Medicina de Medellín, 1899
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demande du Recteur de la Faculté, le rapport fut élaboré par le professeur Gabriel J. Castañeda qui estima nécessaire l’adoption d’un système de classification des causes de mort utilisé dans la plupart des pays du monde. Afin de normaliser les statistiques internationales, et pouvoir facilement les comparer, ce qui ne sera pas seulement d’un grand intérêt pour les œuvres de ce genre, mais permettra à la science médicale de couvrir un large champ d’étude et d’évaluer les causes d’hygiène qui déciment le plus souvent les populations dans les différentes régions du globe269. Pour étayer son avis, Castañeda présenta un résumé des diverses nomenclatures des causes de décès depuis 1853, lorsque le Premier Congrès international de statistique réunit à Bruxelles chargea les docteurs Marc D’Espine de
enève et William Farr de Londres de la
préparation d’une nomenclature applicable à tous les pays. Selon Castañeda, la plupart des nomenclatures provenaient de celle de Farr, dans laquelle les maladies étaient organisées selon leur siège anatomique et non à partir de leur nature. Castañeda célébrait ce choix, car « le progrès de la science modifiait les opinions des médecins » et l’absence de critères uniformes rendait difficiles les comparaisons entre statistiques de périodes différentes. Or, étant donné que la nomenclature de Bertillon considérait toutes ces circonstances et les maladies y étaient groupées selon les systèmes d’organes, Casta eda a donc recommandé son adoption270. Quant à son application, pour les municipalités où il n’y avait aucun médecin, Castañeda proposa de nommer deux personnes ou plus qui, associées au curé de la paroisse de la municipalité, rempliraient les tableaux et les enverraient au BCS. Bien évidemment, les tableaux ainsi remplis pouvaient contenir des erreurs, mais selon son raisonnement ceci était « un mal irrémédiable » même dans quelques villes européennes et seulement le temps pourrait résoudre ce problème271. Dans un pays où les restrictions à l’accès aux soins et la pénurie de médecins étaient la règle, la qualité des registres de mortalité devenait un point subsidiaire au moment d’adhérer aux propositions des organisations internationales. Dans son rapport au BCS Casta eda proposa d’envoyer à l'Académie nationale de médecine (ANM) une demande de nomination d’une commission permanente et ainsi faire des propositions sur les réformes éventuelles du système Bertillon qu’elle considérait pertinentes. Cette commission serait liée à l’APHA pour la révision internationale de la classification programmée à Paris pour l’année 1900272. 269
Gabriel J. Castañeda, « Estadística Nacional [Informe sobre la conveniencia de adoptar el sistema de Bertillon] », Diario oficial, 28 juillet 1899, 793. 270 Ibid. 271 Ibid., 593. 272 Ibid., 793.
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Que s’est-t-il passé avec la création de cette commission ? Dans un compte rendu de l’ANM du 30 août 1899 est rapportée une pétition envoyée par le directeur du BCS afin que l’Académie puisse créer une commission d’étude permanente du « système de Bertillon ». À l’époque, l’Académie comptait trois commissions permanentes : la commission administrative, composée par les dirigeants de l’Académie et un membre choisi par celle-ci ; la commission du règlement, composée par deux membres et chargée des réformes internes ; et la commission des épidémies et des vaccins, composée de trois membres et en charge des actions en cas d’épidémies. Dû à « l’importance de la demande », la commission du règlement de l’Académie a décidé d’étudier la constitution d’une telle commission qui proposerait les réformes nécessaires et créerait des relations avec les bureaux scientifiques étrangers chargées du même sujet273. Un mois après, dans la session du 20 septembre, l’Académie approuva la création de la commission de statistique274 et désigna comme délégués les médecins Gabriel Castañeda275 et Agustín Uribe. À cause de la guerre des mille jours, le gouvernement a presque suspendu la publication de tous les journaux officiels. Ainsi, pendant l’année 1900 furent publiés seulement trois numéros de la Revista Médica de Bogotá, un en janvier, l’autre en février et le dernier en décembre. La proposition de constitution d’une commission de statistique n’apparaît pas dans ces numéros. Dans le dernier numéro est parue l’annonce du décès de Gabriel J. Castañeda, le 10 septembre 1900, un des commissaires276. En avril 1901 est publié un nouveau numéro de la revue et la publication redevint alors mensuelle. Toutefois, les comptes rendus des réunions de l’Académie ont cessé d’y être publiés. D’ailleurs, l’autre médecin délégué pour constituer la commission de statistique, Agustín Uribe, fut nommé en 1901 Ministre des finances277. En résumé, la commission a été constituée en 1899, mais il n’existe pas d’indices pouvant suggérer qu’elle a eu une activité quelconque.
273
Academia nacional de medicina, « Acta de la sesión del día 30 de agosto de 1899 », Revista médica de Bogotá 245 (1899): 421‑423. 274 Academia nacional de medicina, « Acta de la sesión del día 20 de septiembre de 1899 », Revista médica de Bogotá 245 (1899): 425. 275 Il fut membre fondateur de la Société de Médicine et Science Naturelles, membre de numéro de l’Académie Nationale de Médicine. En 1887, il était membre et secrétaire du Conseil Central d'Hygiène (composé par Aureliano Posada, Nicolás Osorio, Carlos Michelsen). Il a travaillé comme médecin à l’Hospital San Juan de Dios et comme professeur de l’École de médecine de l’Universidad Nacional de Colombia. Il était considéré à l’époque comme une autorité nationale pour les études de lèpre. 276 Carlos Michelsen U., « El señor doctor Gabriel J. Castañeda », Revista médica de Bogotá 251 (1900): 610. 277 Academia nacional de medicina, « Variedades », Revista médica de Bogotá 260 (1901): 285.
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2.2.1 La Revista médica de Bogotá et les statistiques de mortalité En avril 1902, la Revista médica de Bogotá, publication de l’ANM, édita pour la première fois dans une revue de médecine des statistiques mensuelles de mortalité de la capitale du pays. Les deux tableaux publiés présentaient des dénombrements de causes de décès correspondant aux mois de janvier et février 1902. Les données furent organisées par sexe (hommes, femmes, enfants et filles) et selon les quartiers ou les lieux dans lesquels les décédés furent déclarés (les deux hôpitaux — celui de la charité et le militaire —, les asiles, « le panoptique » et les hospices). Nous ignorons l’auteur des tableaux, on suppose qu’ils ont été élaborés par le médecin municipal de Bogota à partir des rapports mensuels du mouvement de population de la Mairie. Les renseignements qu’ils proposèrent ne furent interprétés par aucun médecin, ni discutés dans aucune section de la revue278 (Tableau 10). Quand on considère les commentaires faits à la fin du XIXe siècle par l’ANM et le BCS, favorables à l’adoption en Colombie de la nomenclature de Bertillon, on pourrait espérer que la nouvelle statistique de mortalité de la capitale du pays fût basée sur celle-ci, mais cela n’a pas été le cas. Toutefois, la nouvelle statistique de mortalité n’a pas été aussi hétérogène que les antérieures et elle est très proche de celle proposée par Bertillon. Les causes des décès furent regroupées selon la nature de la maladie et selon le siège anatomique. En première ligne apparaissent les maladies par contagion où sont regroupés le typhus, la fièvre typhoïde, la variole, la grippe, la diphtérie, la fièvre jaune, l’érésipèle, le paludisme et la tuberculose. Ensuite, il y a quelques maladies générales (cancer, « misère physiologique »279, athrepsie, syphilis, alcoolisme, septicémie, urémie). Elles sont suivies par les maladies du cœur et du système circulatoire (insuffisance mitrale, artériosclérose, endocardite, gangrène).
278
« Cuadro de mortalidad de Bogotá en el mes de enero de 1902 », Revista médica de Bogotá 264 (1902): 415; « Cuadro de mortalidad de Bogotá en el mes de febrero de 1902 », Revista médica de Bogotá 264 (1902): 416. 279 Selon le médecin colombien Andrés Posada Arango (1839-1923) la misère physiologique était « l’absence de résistance contre les maladies ». Andrés Posada Arango, « Medellín considerado bajo el punto de vista climatérico », Anales de la Academia de Medicina de Medellín 5,6 y 7 (1905): 197.
99
Grippe
1
Fièvre jaune
1
Érésipèle
2
Paludisme
4
Tuberculose
6 10
Cancer
1
Misère physiologique
4
2 1
Athrepsie Syphilis
1
Alcoolisme
2
Septicémie
2
Urémie
3
Maladies du cœur
2 10
Insuffisance mitrale
3
Artériosclérose Endocardite
1
1
17
2
3
1
5 2
1
1
3
1
12 6
2
2
1
1 1
1
1
1
1
9
6
5
6
26
1
4
2
1
1
4
6
1
1
3
1
4
5
1 2
1
6
8
20
1
2
1
5
4
1
21
3
5
2
2
4
Hémorragie cérébrale
1
1
2
1
Congestion cérébrale
1
1
2
1
7 1
Brûlures TOTALES
2
5
1
1
1
2
2
1
2
2
5
6
1
3
13
7
1
2
3
4
6
1
La merced
Hospices
Panoptique
Asiles
2 1
1
2
3
1
2
2
1
1 2
2
1 1
1
1
1
8
1
1
1 6
2
1
4
3
7
2
2
1
3
1 1 1
2
1
1
1
1 12 1 1
1
1
3
1
8 2
1
1
1
1
2
5
1
1
1
1
2
1
2
Asphyxie
2 1
1 3
Péritonite Strangulation intestinale
Blessures
1
1
1
Hépatite
Naissance prématuré
1
1
1
6
3
2
1
10
1
1
2
1
1
2
1 3
1
1
1
Pneumonie Congestion pulmonaire
Néphrite Enfants nés morts
1
1 1
Paralysie
2
2
2
1
1
4
Méningite
1
1
2
Dysenterie
1
1
1
3
Gastro-entérite
2
2
26
1
2
2
4
1
1
8
2
1
Collapsus pulmonaire
1
1
1
9
2
1
1
2
Entérocolite
1
1
9
1
1 1
4
Entérite
1
1
Bronchopneumonie
Gastrite
1 1
3
Bronchite
Angine
H. militaire
1
3
3
3
1
2
2
Gangrène
1
5
1
1 1
1
3
1
2
1
1 1
2
13
1
1 1
H.de Charité
1
1
1
2
Chapinero
3
2
Diphtérie
2
Egipto
1
1
1 2
Sta bárbara
1
Variole
San pablo
1
San victorino
2
24
Las aguas
9
1
Las cruces
1
Las nieves
2
Filles
6
12 11
Enfants
La catedral
Fièvre typhoïde
TOTALES
Typhus
Femmes
MALADIES
Hommes
Tableau 11. Statistiques de mortalité à Bogota pour le mois de janvier 1902
1
5
1
1
9 83 26
7
2
1
2
1
1
98 89 47 44 278 19 33 21 10 19
7 17 17
3
5
SOURCE : « Cuadro de mortalidad de Bogotá en el mes de enero de 1902 », Revista médica de Bogotá 264 (1902) : 415
100
Le quatrième groupe est composé par les maladies associées au système respiratoire (bronchite, bronchopneumonie, pneumonie, congestion pulmonaire, collapsus pulmonaire, angine). Ensuite, si l’on exclut l’hépatite, il y a celles du système gastro-intestinal (gastrite, gastro-entérite, entérite, entérocolite, dysenterie, péritonite, strangulation intestinale), derrière celles liées au cerveau (hémorragie cérébrale, congestion cérébrale, méningite) et finalement d’autres causes de mort comme la paralysie, la néphrite, les enfants morts nés, la naissance prématurée, les blessures, l’asphyxie et les brûlures. Les statistiques mensuelles de mortalité à Bogota furent successivement publiées chaque mois dans les numéros suivants de la Revista médica de Bogotá280, jusqu’en mars 1903 date à laquelle elles disparaissent temporairement de la revue parce que le poste de médecin municipal fut supprimé. Quand nous regroupons les chiffres, nous constatons que pendant l’année 1902, les maladies les plus mortifères furent : la dysenterie — responsable d’au moins 10 % des décès —, la bronchopneumonie, la pneumonie, l’entérite, la fièvre typhoïde et la tuberculose281. En novembre 1903, les statistiques mensuelles de mortalité réapparaissaient signées par le médecin-chef de santé de Bogota, Ricardo Amaya Arias, qui les présenta, avec une certaine régularité pendant la période comprise de juin 1903 à décembre 1906. Le schéma et la présentation des statistiques mensuelles n'ont pas varié de manière substantielle et ils resteront des chiffres bruts, sans inclure de calculs simples comme le pourcentage de mortalité par maladie ou des résumés condensant les chiffres annuels. D’après ces statistiques, les causes qui ont le plus amoindri la population étaient encore la pneumonie — dont le pourcentage variait de 9 à 17 % —, la bronchopneumonie, l’entérite, la dysenterie, la tuberculose auxquelles s’ajoutaient la gastro-entérite, les mort-nés et les lésions des valvules du cœur282. Bien que ces statistiques n’ont pas eu de portée considérable sur le contrôle de l’hygiène, au moins elles furent le résultat palpable de la mise en place des routines d’enregistrement et de production de chiffres mensuels de la mortalité par un fonctionnaire du BS. En octobre 1905, une épidémie de rougeole se déclencha dans la capitale du pays. Les premiers cas de la maladie furent détectés dans un quartier proche de la gare ferroviaire. En février 1906, la maladie s’était propagée au reste de la ville manifestant sa virulence la plus 280
Toutes ces statistiques et les suivantes furent extraites des « livres nécrologiques » compilés à la Mairie de la Ville. Certains mois les tableaux étaient précédés par un petit rapport des naissances par sexe. 281 De juillet 1902 à mars 1903 les tableaux furent signés par le médecin Roberto Sanmartín. Cf. : Revista médica de Bogotá numéros 276-281. 282 Cf. : Revista médica de Bogotá numéros 283-324
101
forte en mars et avril, pour décroître de façon importante en mai et disparaitre brusquement en juin. Juan David Herrera, médecin diplômé à Paris, membre de l’ANM et professeur d’anatomie à l’Universidad Nacional écrivit, en juin 1906, un article sur l’observation clinique de plusieurs cas de rougeole et les conséquences médicales observées pendant l’épidémie. Quant à la mortalité par cette maladie infectieuse dans la ville, Herrera signala qu’en janvier il y eut 7 décès, en février 27, en mars 162, en avril 99, et en mai 31, pour un total de 326. Son recours aux chiffres est très limité. n constate l’augmentation et la diminution du nombre de décès, sans qu’on puisse les lier au nombre total de décès de la ville, ou à sa population. Par contre, et peut-être parce que c'était de l’ordre de la clinique, il quantifia les pourcentages de différentes complications qui ont conduit à la mort des malades283. L’article de Herrera fut publié avec un tableau asse simple, préparé par le médecin municipal Amaya Arias, considérant les nombres absolus mensuels de morts de janvier à mai. Amaya Arias quantifia aussi les complications cliniques et signala quels furent les quartiers les plus touchés par l’épidémie, sans tenter d’expliquer la cause de cette distribution284. Pour les médecins locaux, les chiffres de mortalité n’ont pour l’instant qu’un caractère descriptif, c’est un instrument subsidiaire de la clinique. 2.2.2 Circulaire 103 de 1905 sur la statistique de mortalité En août 1905, le directeur du BCS, Henrique Arboleda Cortés, envoie une circulaire aux chefs des Départements explicitant les consignes à suivre pour réaliser les registres de mortalité dans l’ensemble de la nation285. Ce texte enjoint pour la première fois en Colombie que le registre des décès utilise la nomenclature de Bertillon. Malgré les instructions et les propositions faites par le BCS, l’absence d’organisation des données apportées par les services de statistiques des départements colombiens concernant les mariages, les naissances et les décès était commune. Le bureau utilisait déjà la nomenclature de Bertillon, et même si le directeur ne savait pas si l’ANM et le CCH suivaient cette classification, il considérait que, pour tenter d’obtenir de façon systématique les causes de décès de tout le pays, il fallait la suivre car elle permettrait d’obtenir une « unité
283
L’article fut publié par parties. Juan David Herrera, « Sarampión. Epidemia de 1905-1906 », Revista médica de Bogotá 315 (1906): 355‑57; Juan David Herrera, « Sarampión. Epidemia de 1905-1906 (continuación) », Revista médica de Bogotá 317 (1906): 37‑45; Juan David Herrera, « Sarampión. Epidemia de 1905-1906 (conclusión) », Revista médica de Bogotá 318 (1906): 76‑83. 284 Ricardo Amaya Arias, « Cuadro que representa la mortalidad de sarampión de enero a mayo 1906 », Revista médica de Bogotá 318 (1906): 83. 285 Henrique Arboleda Cortés, Estadística general de la República de Colombia (Bogotá: Imprenta Nacional, 1905), 21‑25.
102
d’information »286. Il ne faut pas oublier que depuis 1899, et à la suite d’une demande de l’APHA, le Directeur de statistique s’intéressait à l’adoption officielle de cette nomenclature. La circulaire enjoignait aux chefs des Départements de faire en sorte que les Conseils municipaux d’hygiène (CMH) et autres fonctionnaires chargés d’enregistrer les décès le fassent rigoureusement, sous peine d’amendes, selon les classes de la nomenclature de Bertillon. Dans la classe 1, maladies générales y compris les épidémiques (epi-demus : sur un peuple) qui tombent temporairement comme un fléau sur les peuples ; les endémiques (in-demus : dans un peuple) qui deviennent propres des peuples ; les contagieuses (cum-tagere : par toucher) qui se communiquent à d’autres personnes par le contact ; les infectieuses (in-fincere : en teindre) qui teignent, abîment ou corrompent les tissus par l’action miasmatique ou virulente. Il semble que toutes soient bactériennes ou communiquées par un bacille (Baci-llus : bâton), un vers qui a la forme d’un bâton. Dans la classe 2, les maladies du système nerveux et des organes des sens, celles qui affectent les nerfs et surtout le cerveau et le système nerveux central et la moelle épinière, les yeux et les oreilles. Dans la classe 3, les maladies du système circulatoire y compris celles concernant la circulation du sang dans les veines, les artères et le cœur. Dans la classe 4, les maladies respiratoires, celles qui proviennent des poumons et de la gorge comme des organes respiratoires. Dans la classe 5, les maladies du système digestif, tout ce qui relève de l’estomac, le foie, le rate, les intestins et la bouche comme un organe de la digestion. Dans la classe 6, les maladies de l'appareil génito-urinaire et ses annexes, notamment les reins, la vessie et l'utérus, les ovaires, et les organes génitaux. Dans la classe 7, état puerpéral, relatif à la grossesse et à l'accouchement. Dans la classe 8, maladies de la peau et de ses annexes, comprenant celles qui affectent la surface de la peau, mais elles peuvent pénétrer dans les tissus pour devenir des maladies infectieuses et de gangrène. Dans la classe 9, les maladies des organes de locomotion, y comprises celles qui attaquent les os et les articulations. Dans la classe 10, les vices de conformation, qui comprennent ceux qui viennent depuis la naissance et qui affectent l'organisation de l'enfant. Dans la classe 11, maladies de la première enfance, comprenant celles qui sont caractéristiques du premier âge ou celles qui apparaissent comme un héritage depuis la naissance. Dans une classe 12, la vieillesse, celles propres à cet âge et à cause de l’âge. Dans les classes 13, affections produites par des causes extérieures, y compris toutes les morts violentes par des blessures, l’homicide ou le suicide et celles qui viennent des accidents inattendus. Dans la classe 14, maladies mal définies comprenant celles dont la cause est ignorée ou mal diagnostiquée287. Arboleda Cortés reconnaissait son incapacité à établir si toutes ou une partie des maladies étaient incluses dans les classes de façon correcte ou incorrecte. Le système se généralisait dans le monde, donc il fallait le suivre, puisque « l’unité d’action est le premier élément de progrès dans toute science ou tout art ». Certes, l’adoption nationale du système 286 287
Ibid., 22. Ibid.
103
faisait face à de multiples difficultés. Mais d’après Arboleda Cortés, « la vulgarisation de la science est l'œuvre du temps ainsi que de l'éducation intellectuelle », il fallait seulement persister. Dans les grandes villes du pays et dans d’autres municipalités, les médecins réputés comprenaient le technicisme des sciences, tandis que la plupart des villages étaient soumis à l’empirisme des amateurs ou aux remèdes des guérisseurs. En conséquence, il fallait organiser les CMH du pays et vulgariser le système à travers eux et par l’intermédiaire des journaux. Tout cela, bien sûr, sous la tutelle de l’ANM et le CCH288. Si la publicité et l’explication de la nomenclature présentaient certaines difficultés, Arboleda Cortés proposa que les registres fussent transmis par les CMH, là où ils existaient. Pour le reste des villages, et à contre-courant des avertissements initiaux de la Circulaire d’imposer des amendes à ceux qui ne suivraient pas la nomenclature de Bertillon, il fallait au moins noter les noms vulgaires des maladies et le nombre des décès rapporté à chacune d’entre elles. Selon Arboleda Cortés, pour répondre aux dispositions de son bureau, et réussir à tenir compte des maladies qui attaquent le peuple et doivent être contrôlées, il fallait aider les CMH dans la création de sections consacrées à l’assainissement urbain et rural, l'hygiène maritime (stations de quarantaine), la législation, les statistiques, les problèmes vétérinaires et l’établissement de laboratoires. Il fallait aussi les intéresser à la création des normes de constitution des comités spéciaux qui s'occupent des épidémies, des maladies endémiques et des animaux, des maladies contagieuses et infectieuses, des morts violentes, des accidents du travail289. Des revendications difficiles à mettre en place, à cause de la défaillance économique de l’État colombien après la Guerre de mille jours. La circulaire exhortait les gouverneurs des départements à envoyer les données de l'année 1904 au BCS, au moins celles du nombre de mariages, des naissances et des décès. En 1905, il a fallu aussi envoyer à ce bureau un rapport mensuel sur les travaux en cours pour les statistiques de mariage, de naissance et de mortalité, et un autre semi-annuel avec les données complètes et pertinentes conformes à ce qui fut ordonné dans la circulaire290. Si l’administration nationale est à cette époque prête à organiser le relevé systématique des causes de décès, les administrations locales sont encore incapables de fournir des données solides. Chaque mairie était encouragée à tenir un livre pour les actes de décès, mais ce registre demeurait fort rudimentaire et l’information n’aboutissait pas toujours à des statistiques. Ce n’est que vers 1915, et avec une grande difficulté, qu’une partie des 288
Ibid., 23. Ibid., 24. 290 Ibid., 25. 289
104
départements parvinrent à établir une statistique des causes de décès. Ces registres, récapitulés par la DGS, firent l’objet d’une première publication portant sur les résultats de l’année 1915 dans l’Annuaire statistique de 1917291. Depuis, et avec le temps, la qualité et la quantité des informations sur les causes de décès pour le territoire national vont évoluer. 2.2.3 La Colombie et les révisions internationales de la nomenclature des causes de décès. Après la réunion de l’Institut international de statistiques à Vienne en 1891, la première réunion pour réviser la nomenclature des causes de décès aura lieu à Paris en juin 1900. Dans la deuxième réunion de révision, en 1909 et pour assurer la cohérence et la comparabilité des statistiques des causes de décès, les délégués se sont mis d’accord pour recommander à leurs gouvernements respectifs l’adoption d’une nomenclature et de proposer une nouvelle révision au cours de l’année 1919292. Dans la réunion de révision de 1909, il y a eu pour la première fois un délégué pour la Colombie qui signa les articles de l’accord en question. C’était le médecin Juan Evangelista Manrique Convers (1861-1916), ambassadeur en France, nommé par le président de la République de Colombie, le général Rafael Reyes. En examinant un peu son parcours, on perçoit les liens de Reyes avec la médecine française. Il était diplômé de l’Universidad Nacional de Colombia où il avait défendu sa thèse en 1882. Quelques années plus tard, il s’est rendu à Paris où il a renouvelé son diplôme avec une thèse intitulée Étude sur l'opération d’Alexander293. Puis, il est retourné à Bogotá en 1886 où il a pratiqué la médecine. En 1887, il fut l’un des fondateurs de la Sociedad de Medicina y Ciencias Naturales de Bogotá qui est devenu l’ANM en 1890. J. E. Manrique a présidé cette société scientifique en 1906 et 1907. Entre 1901 et 1902, il fut le promoteur, le cofondateur et le directeur de l’Hôpital San José, ainsi que de la Société de chirurgie et du Club médical de Bogota. Il ne faut pas oublier qu’en 1906, comme médecin-chef des léproseries de la Colombie, il a été commissionné par le président de la République pour étudier l’organisation des hôpitaux de lépreux en Norvège et 291
República de Colombia et Dirección general de estadística, Anuario estadístico 1915 (Bogotá: Imprenta Nacional, 1917). 292 Un rapport de la Commission internationale chargée de la révision décennale de la nomenclature nosologique internationale se trouve en : International classification of causes of sickness and death. (Washington : Government printing office, 1910) 293 Juan E. Manrique, Etude sur l’opération d’Alexander (raccourcissement des ligaments ronds) : Précédée de quelques considérations sur les déviations et les déplacements de l’utérus (Paris: Steinheil, 1886) Président : M. Duplay; Juges : MM. Grancher, Debove, Pinard. ; Le raccourcissement des ligaments ronds, l’ pération d’Alexander, cure de la rétroversion et rétroflexion de l’utérus. Cette chirurgie a pour but replacer l’utérus dans sa position normal et de l’y maintenir. Raymond DurandFardel, « L’opération d’Alexander. : Raccourcissement des ligaments ronds pour la cure de la rétroversion et rétroflexion de l’utérus », Gazette médicale de Paris : journal de médecine et des sciences accessoires 2 (1885): 17‑19.
105
qu’il a eu un rôle important dans la lutte contre les chiffres exagérés de lépreux en Colombie. En 1907, il se rend à nouveau à Paris comme ambassadeur de la Colombie en France. En 1909, après la démission du général Reyes, il doit démissionner de son poste d’ambassadeur, mais il reste à Paris où il exerce comme médecin privé294. Même si la Colombie a signé cet accord en 1909, le processus de constitution et de généralisation à l’ensemble du territoire d’une pratique régulière de collecte des données pour élaborer les statistiques des causes de décès a été très lent. D’abord, car c’est lui qui a signé la convention, J. E. Manrique n’est jamais rentré en Colombie, où il aurait pu, avec son pouvoir à l’ANM, promouvoir et mettre en place cette activité par le corps médical local et ainsi, à travers l’Académie, pousser l’État colombien à légiférer plus sur le sujet. Ensuite, car la collection régulière de données implique des pratiques et des transformations préalables telles que la vérification du décès par un médecin, l’expédition du certificat médical de décès, la notification médicale obligatoire des maladies transmissibles (mais aussi des épidémies et des endémies). Cet ensemble de pratiques et ces changements, même s’ils n’étaient pas totalement inconnus des gouvernants et des médecins hygiénistes, exigeaient un appareil d’État consolidé. La réalité était tout autre au début du XXe siècle : l’État colombien sortait très affaibli des guerres civiles constantes du XIXe siècle, mais surtout de la Guerre des Mille jours qui a laissé le pays appauvri et les institutions étatiques languissantes et presque en faillite. Dans cette situation, la structuration d’un système national de statistique était loin d’être accomplie, d’autant plus que l’hygiène individuelle et collective commençait à peine à devenir une préoccupation de santé publique officielle. 2.2.4 La réorganisation sanitaire de 1914 L’apparition en Colombie des législations relatives à l’hygiène et à la santé publique sous la forme d’une réforme sanitaire a obéi surtout au processus d’insertion de la nation dans le commerce international pendant la transition du XIXe au XXe siècle295. La Colombie a adhéré aux Conventions sanitaires internationales de Washington (1905) et de Paris (1912) à travers les lois 17 de 1908 et 109 de 1912. Vu que les contrôles d’hygiène des ports étaient une priorité des conventions internationales, la loi 17 de 1908 créa les postes d’Inspecteur sanitaire et de médecin sanitaire des ports, et elle a ordonné aussi la construction d’une station sanitaire centrale pour l’Atlantique et une autre pour le Pacifique. Ainsi, les Inspecteurs 294
Alfonso Bonilla Naar, Precursores de la cirugía en Colombia (Bogotá: Antares, 1954). Mario Hernández Álvarez et al., « La Organización Panamericana de la Salud y el estado colombiano. Cien años de historia 1902-2002 », OPS/OMS Colombia, 2002, www.col.opsoms.org/centenario/libro/OPSestado100_print.htm.
295
106
de Santé devaient ajuster leurs dispositions sanitaires (quarantaine et arrêt sanitaires, etc.) à celles des Conventions sanitaires internationales et à celles du CCH296. Si la loi 17 a été promulguée en 1908, l’inauguration de la première station sanitaire du pays n’a eu lieu qu’en 1911 sous la Présidence de Carlos E. Restrepo (1910-1914)297. En 1914, la loi 84 a créé la Junta Central de Higiene (Conseil Central d´Hygiène CCH) composée de quatre médecins et un secrétaire. Le CCH existait depuis 1886 et fonctionna jusqu’à 1914 quand il fut éliminé et remplacé par le Consejo Superior de Sanidad (Conseil Supérieur de Santé CSS), institution qui n’a fonctionné que quelques mois et qui fut remplacée à son tour par un nouveau CCH. Une lecture de cette loi permet de connaître de plus près la configuration de l’organisme national chargé de l´hygiène. Dans chacun des 14 départements du pays, la même loi a ordonné la création d’une Direction départementale d´hygiène (DDH)298, composée d’un médecin et d’un greffier. Pour les ports maritimes, un médecin sanitaire devait être nommé. Le CCH et les DDH avaient l’obligation de désigner des Commissions sanitaires ad hoc pour les populations frappées par des épidémies. Et en suivant l’exigence des Conventions sanitaires internationales signées par la Colombie, il devait y avoir deux Inspecteurs sanitaires maritimes : un pour l’océan Pacifique et un autre pour l’océan Atlantique299. Les DDH devaient s’occuper principalement de surveiller la pratique de la médecine et de la pharmacie, la vente de drogues, de poisons, de médicaments spécifiques de formule secrète ; de la qualité de la nourriture, de condiments, de boissons ; de l’approvisionnement d’eau potable et de l’évacuation des eaux usées (aqueducs, tuyaux, égouts) ; de l’assainissement des zones urbaines, dans les espaces publics aussi bien que privés ; l`assainissement des casernes, des écoles, des commerces, des hôpitaux, des prisons et autres locaux collectifs ; des industries dangereuses ou insalubres ; de la prévention et de la lutte contre les épidémies ; des questions liées à la santé des enfants; la mortalité et ses causes ; des mouvements de population et les statistiques démographiques ; la géographie médicale et les épizooties300. On constate que cette organisation de la santé nationale est la même de celle des institutions françaises. À la base, l’explication de cette situation se trouve dans le fait qu’en Colombie depuis la deuxième partie du XIXe siècle, la formation de la médecine était guidée 296
Junta Central de Higiene, « Junta Central de Higiene. Exposición de la Junta al Congreso Nacional de o 1915 », Revista de higiene 7, n 93 (1915): 5‑103. 297 Hernández Álvarez et al., « La Organización Panamericana de la Salud y el estado colombiano. Cien años de historia 1902-2002. » 298 Les directions départementales d’hygiène étaient : Antioquia, Atlántico, Bolívar, Boyacá, Caldas, Cauca, Cundinamarca, Huila, Magdalena, Nariño, Santander, Norte de Santander, Tolima et Valle. 299 Junta Central de Higiene, « Junta Central de Higiene. Exposición 1915 », 5. 300 Ibid., 15‑16.
107
par le modèle de l’école française et du fait que la plupart des médecins qui suivaient des études à l’étranger les faisaient à Paris301. En tout cas, même si la loi 84 de 1914 mentionne parmi tous ces items « la mortalité et ses causes », « les mouvements de population » et « les statistiques démographiques », ces aspects n’apparaissent pas détaillés ni réglementés. Les moyens, les dispositions et les institutions pour développer ces aspects ne sont nulle part signalés. En 1915, un an après la réorganisation de l`administration publique de l’hygiène en Colombie, le récent CCH publia l’acte administratif nº 21 qui réglementait le service des médecins sanitaires des ports. Parmi leurs fonctions, il y avait celle de communiquer immédiatement au CCH l’apparition des maladies infectieuses pouvant déclencher des épidémies. Ils devaient aussi rendre un rapport mensuel à l’inspecteur sanitaire avec l’information suivante : la statistique portuaire (dates d'entrée et de départ de chaque navire, le nom, le drapeau, le tonnage, l'origine et la destination, le nombre de membres d`équipage, de passagers, etc.) ; la statistique des décès dans la ville, classés selon la nomenclature de Bertillon ; la proportion des cas de maladies infectieuses qui ont eu lieu dans la ville ; et la statistique des mouvements de population302. Selon les arguments des médecins hygiénistes de l’époque et les engagements sanitaires du gouvernement colombien, on peut supposer que ces dispositions étaient réellement nécessaires pour la connaissance de l’état sanitaire, pour l’adoption des mesures de prévention, mais surtout pour faciliter le commerce international et la circulation de navires ayant touché des ports colombiens. Cependant elles étaient encore très loin d’être effectives. Les moyens matériels consacrés à l’hygiène publique à l’époque demeuraient très modestes. Il n’est pourtant pas surprenant de constater que, dans les rapports des directeurs départementaux de l’hygiène comme dans ceux des médecins sanitaires des ports, la question relative à la mortalité et ses causes étaient rares et même souvent absentes303. Bien qu’il y ait eu une mention sur la statistique nosographique dans la loi 84 de 1914 qui réorganise l’hygiène, la surveillance sanitaire et l’assistance publique dans le pays, en Colombie la promulgation d’une loi sur la statistique sanitaire et les causes de décès date seulement de 1916 (loi 66), et sa réglementation de 1918 (Acte administratif n° 39 sobre la estadística nosográfica de la República). 301
Néstor Miranda Canal, « La medicina en Colombia. De la influencia francesa a la norteamericana. », 2005, http://www.banrepcultural.org/blaavirtual/revistas/credencial/mayo1992/mayo1.htm; Adolfo León González Rodríguez, La modernización de la Facultad de medicina de la Universidad de Antioquia: 1930-1970 (Medellín: Universidad de Antioquia, 2008). 302 Acuerdo Número 21 de 1915 (Junio 4) por el cual se reglamenta el servicio médico de sanidad en los puertos de la República. Junta Central de Higiene. 303 o Junta Central de Higiene, « Direcciones departamentales de higiene », Revista de higiene 7, n 94 (1915): 120‑68.
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La réglementation de l’exercice de la médecine En 1914, l’exercice de la médecine fut aussi réglementé. Dans son premier article, la loi 83 restreignait cette activité aux personnes possédant un diplôme d’études en Médicine accordé par une Faculté officielle de Colombie. Mais les articles suivants introduisaient un nombre important d’exceptions à la norme. Parmi elles, il y en avait une qui permettait l’exercice de la médecine aux personnes ayant obtenu le diplôme de l'Institut homéopathique de Colombie ; une autre qui octroyait la licence a ceux qui avaient exercé l’homéopathie dans les dernières cinq années ; une troisième pour ceux qui à ce moment étaient titulaires d'un permis pour pratiquer la médecine délivré par l'autorité compétente (gouverneur, maire). Les médecins avec des diplômes de facultés étrangères devaient les légaliser en remplissant certaines formalités : avoir un diplôme avec photographie et cachet du consulat, le présenter au gouvernement départemental et passer un examen de connaissances dans une clinique auprès de quatre médecins universitaires. Les individus n’ayant pas suivi l’examen, mais qui auraient déjà un permis pourraient exercer la médecine seulement dans les localités où il n’y avait pas de médecins diplômés304. Un rapport d’hygiène sur la ville de Barranquilla présenté par la DDH d’Atlántico nous permet de voir les portées de l’application des lois 83 et 84 de 1914. Par sa condition de port, l’état sanitaire de cette ville avait une incidence sur le flux commercial du pays. En effet, en 1916 une commission de chercheurs américains, financée par la Fondation Rockefeller, la visita pour évaluer ses conditions d’hygiène et déterminer la présence de foyers de fièvre jaune. Cette commission déclara le port libre de fièvre jaune et un résultat concret de cette inspection fut l’élimination, à La Havane, des quarantaines pour les navires colombiens. La même année, et selon les chiffres officiels, il y a eu 1 413 décès dans la ville, soit un taux de 28,26 décès pour 1 000 habitants. Les maladies qui enregistraient les taux de mortalité les plus élevés étaient : la diarrhée entérite, la malaria, la tuberculose et la dysenterie 305. Depuis la création de la DDH de l’Atlántico, son chef Oscar Noguera se montrait inquiet par l’état sanitaire déplorable du département. Une réduction de la mortalité permettrait une
304
Cette loi réglementa aussi l’exercice des sages-femmes et des pharmaciens. República de Colombia et Gobierno nacional, « Ley 83 de 1914 (noviembre 19) por el cual se reglamenta el ejercicio de las profesiones médicas », Diario oficial, 23 novembre 1914. 305 o Junta Central de Higiene, « Direcciones departamentales de higiene », Revista de higiene 8, n 103‑5 (1917): 276‑286; La commission était composée de médecins, dont la plupart travaillaient au Service de santé publique des États-Unis et participaient à l’organisation et au développement de l’ rganisation sanitaire internationale et de ses conférences sanitaires. William C. Gorgas, Henry Carter, Theodore Lyster et le Cubain Juan Guiteras. Ils visitèrent plusieurs régions du pays où il y a eu des flambées de fièvre jaune et conclurent qu’il n’y avait pas de foyers épidémiques de la même. Hernández Álvarez et al., « La Organización Panamericana de la Salud y el estado colombiano. Cien años de historia 1902-2002. »
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augmentation considérable du nombre de bras autochtones aptes au travail. D’après Noguera, grâce à cela les étrangers ne craindraient plus de se rendre sur les côtes colombiennes et ils y viendraient pour chercher du travail : « Il faut montrer que l’hygiène ne relève pas seulement du sentimentalisme humanitaire, mais aussi de la nécessité d’améliorer les conditions économiques du pays »306. L’idée qu’il avait une relation entre la réduction de la mortalité et la présence d’étrangers dans le pays, venait de la réputation de la Colombie comme pays tropical insalubre qui n’attirait ni les immigrants, ni les flux commerciaux internationaux. Les inspections sanitaires des ports par des commissions sanitaires internationales étaient donc un enjeu majeur pour les autorités nationales. En 1917, Noguera indiqua les obstacles que rencontrait l’élaboration de statistiques des causes de décès : En ce qui concerne les diagnostics, ils sont le point faible de nos statistiques. Il y a un grand nombre de personnes qui meurent sans assistance médicale, et le diagnostic consiste à dire qu’ils sont morts. Il y a aussi de nombreux certificats de décès signés par des personnes qui ne sont pas médecins, mais auxquelles le gouvernement a donné l'autorisation d'exercer la médecine. Parmi ses diagnostics, il y en a beaucoup de bizarres, et soupçonnés d'être erronés. De plus, entre les diagnostics des médecins diplômés il y a aussi une certaine confusion, parce que beaucoup d’entre eux ne respectent pas la nomenclature de Bertillon. Pour mes statistiques, j'ai vu la nécessité d’ajuster tous ces diagnostics, autant que possible, à notre nomenclature officielle307. La situation de l’exercice de la médecine dans le département de l’Atlántico est un bon exemple de la situation générale du pays. Selon Noguera, dans sa capitale, Barranquilla, il y avait un corps médical « respectable » de nationaux et d’étrangers qui exerçaient la profession, dont les diplômes avaient été enregistrés à la Direction générale d'Instruction publique, conformément à la loi 83 de 1914. Il y avait aussi un grand nombre de « charlatans » qui avaient reçu des autorités politiques des licences d’exercice de la médecine soi-disant pour des endroits où il n’y avait pas de médecin diplômé ; et il y avait finalement un nombre non précisé, mais vraisemblablement grand de personnes pratiquant la médecine sans aucune autorisation. En outre, une grande partie des municipalités ne disposaient ni de médecins diplômés ni même de « charlatans »308. 2.2.5 L’annuaire statistique de 1915 et les statistiques des causes de décès La construction des statistiques comme instrument de connaissance de la maladie et de la mort en Colombie a été une nécessité imposée par une double voie institutionnelle, d’une part par les Conférences sanitaires internationales, auxquelles la Colombie avait signée, 306
Junta Central de Higiene, « Direcciones departamentales de higiene », 121. Junta Central de Higiene, « Direcciones departamentales de higiene 1917 », 276. 308 Ibid., 282. 307
110
et d’une autre par les activités du CCH. L’établissement du CCH en 1914 fut le résultat des nouvelles préoccupations et sensibilités étatiques par rapport à la santé générale, même si les processus de sa structuration comme organisme de contrôle de l’hygiène nationale et celui de la médicalisation de la population colombienne furent très lents. Le gouvernement présidentiel de José Vicente Concha (1914-1918) fut confronté aux conséquences du déclenchement de la Première Guerre mondiale, aux problèmes liés à la cessation du commerce et des crédits étrangers, ainsi qu’à la diminution de la circulation de l’étalon or. La croissance de l’économie agro-exportatrice du pays, avec le café comme principal produit pour le commerce international, fut aussi affectée. Pendant le régime de Concha, il y a eu des suppressions de postes, des diminutions du financement et des subventions pour les travaux publics, la force publique a été réduite, et les soutiens à la bienfaisance et à l'éducation publique ont été touchés. D’ailleurs, le système des recettes fiscales et la section de statistique connurent des modifications et des dispositions furent mises en œuvre pour augmenter la capacité économique du pays309. Il faut se rappeler que le fonctionnement et la capacité d’action des Bureaux départementaux de statistiques (BDS) furent très dissemblables au début du XXe siècle. Le budget aussi bien que la disponibilité de fonctionnaires, les conditions géographiques et des transports, parmi d’autres situations, limitaient les moyens d’intervention des autorités. La situation était similaire pour les DDH et leurs rapports d’hygiène dévoilent aussi d'énormes inégalités entre les régions de la nation310. La loi 63 de 1914 et le décret 690 de 1916 ont conduit à la centralisation de la direction technique et à la concentration des services de statistique dans la DGS. Ils établirent aussi l'obligation pour les départements, intendances et communes de soutenir les BDS et permirent d’exiger des particuliers et des organismes publics des données considérées nécessaires pour le bon fonctionnement du service311. D’après Alberto Schlesinger, Directeur général de la statistique nationale à l’époque, avant la loi 63, à part les statistiques nationales du commerce extérieur, seulement quelques sections du pays produisaient des données pour la statistique, mais d’une façon rudimentaire et sans aucun plan unificateur312.
309
Ignacio Arizmendi Posada, Presidentes de Colombia: 1810-1990 (Bogotá: Planeta Colombiana Editorial SA, 1989). 310 Junta Central de Higiene, « Direcciones departamentales de higiene »; Junta Central de Higiene, « Direcciones departamentales de higiene 1917. » 311 Carlos Lleras Restrepo, La estadística nacional: su organización, sus problemas (Bogotá: Imprenta Nacional, 1938), 7‑8. 312 República de Colombia et Dirección general de estadística, Anuario estadístico 1915, VII.
111
Un résultat concret de ce nouvel essai de centralisation statistique dans le pays fut la publication, en 1917, de l’Anuario Estadístico 1915. Son contenu comprend des statistiques sur : le mouvement de la population, l’éducation publique et privée, la circulation des chemins de fer et des tramways, le trafic fluvial, l’inspection sanitaire des ports313, le secteur bancaire, les services publics, les finances et les courriers postaux et télégraphiques. En plus, cet annuaire registre les mouvements des mines de sel, des cultures, de l'industrie du bétail, de l'abattage, du cadastre, de l'immobilier, des notaires et de l’enregistrement cadastral, la division territoriale judiciaire, la justice, la presse, la météo, la démographie314, la bienfaisance315, la religion et les cultes. Dans cet annuaire de 1915, et après une décennie d’efforts de la part d’Arboleda Cortés, on trouve pour la première fois dans le pays des statistiques des causes de décès selon la nomenclature de Bertillon316. À cause de l’inexistence des statistiques démographiques pour l’ensemble du pays concernant les années antérieures à 1915, Alberto Schlesinger évoquait l’impossibilité pour les fonctionnaires de la D S d’établir des comparaisons dans le temps. Pour pallier cette difficulté et tenter de situer la Colombie dans le panorama international de la démographie, un enjeu qui n’était pas mineur, l’auteur présente dans la préface de l’annuaire des données de différents pays du monde sur le mouvement de la population et des nombres absolus pour les principales causes de décès. Il laissa au lecteur l’interprétation des chiffres, car il ne proposa aucune analyse. Nous ignorons les sources consultées par les fonctionnaires. Leurs auteurs, anonymes en grande partie, ne déclarent pas non plus les modèles utilisés pour organiser et présenter les tableaux317 (Tableau 12 et 13). En tout cas, l’information proposée dans ces tableaux ne peut pas être considérée comme définitive318. Mais elle est révélatrice jusqu'à un certain point de la réalité de la Colombie du début du XXe siècle. L’absence de références bibliographiques nous a poussé à vérifier si les données des pays étrangers utilisées par les fonctionnaires de la DGS pour
313
Il faut préciser que ce volume contient seulement des registres concernant l’inspection des ports de l’Atlantique 314 Cette catégorie considère: mariages (par nationalité, sexe, âge, état civil et instruction), naissances (selon la nationalité des parents) et accouchement (doubles ou triples) et décès (par causes, sexe et départements et par âge, cause et sexe) 315 Cette catégorie comprenne: le mouvement dans les hôpitaux, les patients traités (par âge et état civil) et le mouvement des asiles d’aliénés 316 República de Colombia et Dirección general de estadística, Anuario estadístico 1915, 263‑286. 317
Ibid., VII‑VIII. Taux brut de mariages, de natalité et de mortalité sous le premier tableau, et le nombre absolu de décès para maladie sous le deuxième.
318
112
construire ces tableaux étaient fiables. Les chiffres trouvés, dans les Statesman’s year-book de l’époque, nous amènent à une réponse affirmative319 (ANNEXE 3) Selon les chiffres démographiques de l’annuaire, la Colombie enregistra un taux brut de natalité de 31,9 et un taux brut de mortalité de 20,9, et donc un accroissement de la population. Un bilan pas négligeable, quand on considère que cette croissance s’était beaucoup affaiblie à cause des guerres civiles. Par rapport à ses homologues latino-américains, la Colombie afficha un taux de mortalité inférieur à celui du Chili (26,5), mais assez élevé en comparaison de l’Argentine (16,1) et de l’Uruguay (11,6) (Tableau 12). Avec le Brésil, l’Argentine et l’Uruguay furent les premiers pays latino-américains à créer, pendant les deux dernières décennies du XIXe siècle, des organismes sanitaires étatiques320. Malgré le fait que les statistiques des causes de décès en Colombie en 1915 étaient incomplètes — 46,2 % des données enregistrées étaient dans les catégories de « décès mal définis » ou « causes de décès non spécifiées » — , il est notable que le pays éprouvait des taux de mortalité extrêmement élevés dus à la fièvre typhoïde, la variole, la rougeole et la coqueluche, dépassés pour cette dernière maladie seulement par le Chili. Ces chiffres soulignent les conditions sanitaires et de vie précaires que connaissait la population colombienne et surs lesquelles les médecins hygiénistes attiraient l’attention (Tableau 13).
319
Sir John Scott Keltie et M. Epstein, The Statesman’s year-book; statistical and historical annual of the states of the world for the year 1913 (London: Macmillan, 1913), http://www.archive.org/details/statesmansyearbo1913newy; Sir John Scott Keltie et M. Epstein, The Statesman’s year-book; statistical and historical annual of the states of the world for the year 1919 (London: Macmillan, 1919), http://www.archive.org/details/statesmansyearbo1919londuoft; France. Statistique générale et Institut national de la statistique et des études économiques (France), Annuaire statistique 1914-1915 (Paris: Imprimerie nationale, 1917), http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/. 320 Juan César García, « La medicina estatal en América Latina, 1880-1930 », Revista Latinoamericana de o Salud, n 1 (1980): 70‑110.
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Tableau 12. Mouvement de la population des principaux pays du monde en comparaison avec celui de la Colombie
Pays
Années
Population
Taux MA Taux NA pour pour Mariages 1 000 Naissances 1 000 (MA) habitants (NA) habitants
Colombie*
1915
4 837 448
23 904
Allemagne
1912 66 145 971
523 491
Argentine
1912
7 467 878
Australie
1914
4,9
154 315
31,9
Taux DE pour 1 000 habitants
Décès (DE)
101 277
20,9
7,9 1 869 636
28,3 1 029 749
15,6
51 582
6,9
272 071
36,4
20 480
16,1
4 919 194
43 311
8,3
137 983
28,1
51 720
10,5
Autriche
1912 28 879 295
212 187
7,3
903 407
31,3
592 496
20,5
Belgique
1912
7 571 387
61 278
8,0
171 187
22,6
112 378
14,8
Chili
1915
3 641 477
19 150
5,2
136 597
37,5
96 716
26,5
Danemark
1914
2 890 000
18 792
6,9
73 293
25,6
35 919
12,6
Espagne
1914 20 441 693
132 451
6,5
609 188
29,8
451 098
22,1
États-Unis
1914 98 781 324
…
…
…
…
…
…
France GrandeBretagne
1914
…
169 011
5,1
594 222
18,0
647 549
19,6
1914 46 089 249
353 145
7,6 1 101 836
23,9
661 644
14,4
Hongrie
1912 21 134 866
182 183
8,6
765 891
36,3
491 722
23,3
Italie
1914 35 858 951
252 187
7,0 1 114 091
31,1
643 355
17,9
Norvège
1914
2 440 500
15 750
6,5
61 600
25,2
32 900
13,5
Roumanie
1914
7 699 143
65 325
8,5
327 345
42,5
182 949
23,8
Serbie
1912
3 005 414
13 289
4,4
114 257
38,0
63 358
21,1
Suède
1914
5 659 095
32 845
5,8
129 451
22,9
78 189
13,8
Uruguay 1914 1 315 714 6 073 4,6 38 571 29,3 15 350 11,6 NOTE : *Les taux de la Colombie ont été calculés selon le recensement de 1912. La DGS n’a pas disposé des données de 1912, 1913 et 1914 pour calculer la croissance de la population. SOURCE : República de Colombia et Dirección general de estadística, Anuario estadístico 1915 (Bogotá: Imprenta Nacional, 1917), VII.
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Tableau 13. Taux pour 10 000 habitants de quelques causes des décès dans les principaux pays du monde en comparaison avec celles de la Colombie Décès de moins d'un an pour 1 000 naissances 108 147 71 180 120 254 98 … … 104 186 187 51
La diphtérie La fièvre La La et la Tuberculose Cancer Pays Années Population typhoïde variole Rougeole Scarlatine coqueluche croupe pulmonaire malin Colombie (1) 1915 3 255 007 9,31 2,31 10,17 0,17 6,32 0,12 6,18 3,57 Allemagne 1912 66 145 971 0,33 0,01 1,41 0,88 2,07 2,06 13,00 8,91 Australie 1914 4 919 494 1,23 0,01 0,32 0,06 0,65 1,46 6,13 7,27 Autriche 1912 28 879 295 1,22 0,01 2,38 2,29 3,17 2,06 28,33 8,14 Belgique 1912 7 571 387 0,85 0,08 3,16 1,31 2,54 1,21 9,34 7,10 Chili 1915 3 641 477 3,60 0,59 1,14 0,05 6,95 0,66 24,72 3,73 Danemark 1914 2 890 000 0,08 … 0,34 0,27 0,52 0,34 4,38 5,80 Espagne 1914 20 441 693 3,14 1,14 2,92 0,62 1,05 2,33 4,38 5,57 États-Unis 1914 98 781 324 1,03 0,02 0,45 0,44 0,69 1,19 12,30 5,31 Grande-Bretagne 1914 46 089 249 0,48 0,00 2,52 0,90 2,20 1,56 8,54 10,57 Hongrie 1912 21 134 866 1,92 0,04 2,84 4,83 3,11 3,08 34,87 4,72 Roumanie 1914 7 699 143 1,02 0,01 1,45 4,86 2,70 2,33 4,03 1,28 Uruguay 1914 1 315 714 1,03 … 0,03 0,01 0,05 0,46 11,46 6,98 France* 1913 39 602 258 0,91 0,02 1,22 0,26 0,79 0,63 17,68 8,29 NOTE ORIGINALE : (1) En ce qui concerne les causes de décès, les données comprennent les départements d'Antioquia, Atlántico, Bolívar, Cauca, Cundinamarca, Huila, Magdalena, de Nariño, Norte de Santander, Tolima et l’Intendencia du Meta. Les départements de Boyacá, Caldas, Santander, Valle et l’Intendencia du Chocó n’ont pas envoyé de données selon les causes de décès. Donc, la proportion de décès de moins d'un an a été calculée sur le nombre de naissances dans les sections où ces données ont été relevées, ce qui s'élève à 100 324. Pour la même raison, la population qu'il faut prendre en compte pour évaluer les chiffres concernant les causes du décès, correspondant à la même section, c'est-à-dire 3 255 007. De plus, les données d'Antioquia correspondent seulement au second semestre. *Sous le tableau original, la France n’enregistrait aucune donnée. C’est nous qui l’avons complété. En outre, et pour ne pas disposer de données, les lignes de l’Argentine, de l’Italie, de la Norvège, de la Serbie et de la Suède ont été supprimées. SOURCE : À l’exception du taux de décès de moins d’un an pour 1 000 naissances, qui se trouve au tableau original, tous les autres taux ont été calculés par nos soins à partir de nombres absolus tirés de : República de Colombia et Dirección general de estadística, Anuario estadístico 1915 (Bogotá: Imprenta Nacional, 1917), VIII; France. Statistique générale et Institut national de la statistique et des études économiques (France), Annuaire statistique 1914-1915 (Paris : Imprimerie nationale, 1917), 60.
115
Un taux de nuptialité faible Pour un pays de forte tradition catholique comme la Colombie, nous aurions supposé un taux de nuptialité plus élevé : comment expliquer ce taux de 4,9 ? (Tableau 13 et ANNEXE 3) Il faudrait chercher la réponse à cette question dans la cohabitation des couples (concubinage), une pratique très courante et très enracinée dans la société colombienne. Même l’institutionnalisation du mariage civil pendant la seconde moitié du XIXe siècle, et la force acquise par le clergé catholique dans la première moitié du XXe, avec son modèle de famille monogame et patriarcale « béni par le rite sacré du mariage », n’ont pas réussi à changer cette pratique. Encore en 1949, et après des décennies de Concordat entre l’Église catholique et l’État, le taux de nuptialité pour 1 000 habitants ne dépassait pas 5,03. En 1853, parmi les réformes proposées par les libéraux radicaux qui détenaient le pouvoir, un projet de loi fut approuvé pour établir le mariage civil. De cette façon, ce que l’Église catholique considérait un sacrement religieux indissoluble par les hommes, s’est vu transformé en contrat laïc. Par rapport à la prépondérance traditionnelle des unions informelles et face à l’entrée en vigueur du mariage civil, pendant la seconde moitié du XIXe siècle, l’Église catholique a réagi. Selon ses arguments, ces deux modalités d’union sapaient la base de la famille. Comme l’a souligné l’historien Dalín Miranda, par sa réaction l’Église catholique reconnaissait que dans la société de l’époque il y avait une faible pratique du mariage ecclésiastique et que l’avènement du mariage civil l’affaiblirait encore plus et l’ingérence de l’Église dans la société serait minée. Le scénario politique colombien du XIXe siècle fut marqué par de fréquents chocs entre les deux partis politiques. Ainsi, pendant cette période, plusieurs réformes du droit constitutionnel et civil auront lieu. Le mariage civil a été défendu par les libéraux tandis que le mariage catholique a été soutenu par le clergé et les conservateurs. En matière de droit civil, le pays et les provinces qui le constituaient, en 1853, et les États souverains, en 1863, ont adopté le Code civil chilien. À partir de cette date, dans la société colombienne, seul le mariage civil avait validité devant la loi, et la valeur juridique du mariage ecclésiastique disparut. En 1856, le rite ecclésiastique acquiert à nouveau sa valeur légale, et les conflits provoqués par cette bataille juridique ont été atténués d'une certaine manière. Par la suite, en 1862, année dans laquelle a été entamée la seconde législation libérale, le mariage civil a été rétabli comme le seul reconnu par la loi321.
321
Dalín Miranda Salcedo, « Familia, matrimonio y mujer: el discurso de la iglesia católica en Barranquilla (1863 - 1930) », Historia crítica 23 (2003): 29.
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25 années se sont écoulées avant la suppression systématique de la législation civile proposée par les libéraux radicaux. D'ailleurs, dans le contexte historique de rétablissement des relations entre l’État et l’Église catholique, la loi 57 de 1887, sans invalider le mariage civil, a rendu valide tous les effets civils et politiques des mariages célébrés suivant le rite catholique. Avec des effets rétroactifs, cette loi fut appliquée pour tous les mariages catholiques célébrés avant l’édiction de la loi.322 Cette même loi ratifiait la distinction civile et juridique entre « enfants légitimes » et « enfants illégitimes ». Pour l’Église catholique colombienne, la messe et les écoles furent les principaux scénarios pour lutter contre la pratique courante de la cohabitation en couple sans mariage préalable (« amancebamiento »), source de la « vie en péché » et de la multiplication d’enfants illégitimes. Le statut juridique inférieur de ces derniers fut un autre argument en faveur du mariage catholique. Comme l’a indiqué l’historien Miguel Angel Urrego dans son étude sur la sexualité, le mariage et la famille à Bogota pendant la période 1880-1930, le nombre des mariages dans la capitale du pays fut relativement bas malgré la grande influence gagnée par l’église catholique dans la ville. En 1912, par exemple, il y a eu en moyenne 50 mariages par mois, soit 582 pour l’année. Ce chiffre n’était pas considérable pour une ville dont le recensement avait estimé la population en 121 257 habitants. À partir de 1917, la tendance a augmenté et en 1925 on a atteint une moyenne de 100323. D’après Urrego, le caractère populaire des paroisses montrait une tendance basse pour le nombre mensuel de mariages. Dans les paroisses des quartiers aisés où la bourgeoisie naissante s’installait, le nombre de mariages augmentait puisque la pratique du mariage catholique y avait un rôle important dans la configuration des couples. Mais dans les paroisses des secteurs les plus populaires, la situation était tout à fait différente. Pour ces derniers, la constitution de couples sans mariage préalable et les naissances des enfants « illégitimes » ne se rapportaient pas à la religion dominante et n’étaient pas considérées comme des pêchés. Pour un certain nombre de cas, les couples ont recouru au mariage catholique après plusieurs années de coexistence en union libre avec un ou plusieurs enfants. Selon l’étude d’Urrego, dans les registres de natalité de la ville, seulement à partir de 1915 le nombre d’enfants illégitimes par année est devenu inférieur à 50 %, ce qui montre que dans les mœurs de la population le concubinage et les mères célibataires étaient monnaie courante324.
322
República de Colombia et Gobierno nacional, « Ley 57 de 1887 (abril 15) Sobre adopción de códigos y unificación de la legislación nacional », Diario oficial, 20 avril 1887. 323 Miguel Angel Urrego, « Identidad nacional, identidades culturales y familia. Las familias bogotanas 1880-1930 », Nómadas 1 (1994): 29‑48. 324 Ibid.
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La capitale de la république illustre bien cette situation sui generis. Comme l’a bien souligné Urrego, pendant la période 1880-1930, il y a eu une dualité dans la conformation des couples et la pratique du mariage à Bogota. D’un côté se trouvait le couple de structure patriarcale préconisé par l’Église et guidé par la morale chrétienne. Et de l’autre, ils y avaient les secteurs populaires, pour lesquels les rapports sexuels avant le mariage, la cohabitation des couples et les enfants en dehors du mariage ne constituaient pas un péché. Cette réalité de la capitale du pays donne des pistes pour comprendre le bas taux de nuptialité en Colombie publié dans l’annuaire statistique de 1915. En plus, la religion catholique n’avait pas la même influence sur tout le territoire colombien. Dans certains départements de la côte atlantique et dans ceux à forte population noire, le nombre de fidèles et de temples n’était pas aussi important que dans les régions plus conservatrices de l’intérieur, qui dominaient le panorama politique du pays. Dans ces régions à tradition catholique plus faible, la cohabitation en couple sans mariage préalable était la règle et les autorités catholiques avaient du mal à convaincre les fidèles de se marier325. 2.2.6 La législation sur les statistiques sanitaires et des décès L’annuaire colombien de 1915 contient des statistiques des causes de décès selon la nomenclature de Bertillon, telles que le demandaient les circulaires des bureaux de statistique. Néanmoins, seulement en décembre 1916 le gouvernement colombien promulgua la loi 66, dont l’article 9° indiqua explicitement que : Dans toutes les municipalités de la République il y aura un livre pour enregistrer des statistiques nosographiques avec l’attestation du diagnostic de la maladie qui a causé le décès, classé selon la nomenclature de Bertillon. Afin que ces statistiques soient strictement prises, l’autorisation écrite du Maire ou du Magistrat respectif sera indispensable pour l’inhumation du cadavre. Ils n’accorderont pas une telle autorisation avant d’avoir la certification médicale de la cause du décès.326 Aussitôt que la loi fut appliquée, les exceptions apparurent. En janvier 1917, afin de réunir des données statistiques sur l’ensemble du département, la DDH du Norte de 325
Pour l’année 1915, dans le département d’Antioquia ont été recensés 242 temples catholiques, paroisses et chapelles comprises, et dans le Cundinarmarca, dont la capitale est Bogota, le chiffre ne dépassait pas 160. Tandis que dans le département de l’Atlántico le recensement n’a compté que 8 temples. República de Colombia et Dirección general de estadística, Anuario estadístico 1915, 293; Les différences régionales ont perduré. En 1948, on constate que le taux brut de nuptialité, autrement dit le nombre de mariages pour 1 000 habitants, en Antioquia est 7,37 et en Cundinamarca 6,60. Tandis que le taux est 4,88 dans le département de l’Atlántico et 2,53 à Bolivar. República de Colombia et Dirección nacional de estadística, Anuario general de estadística 1949 (Bogotá: Imprenta Nacional, 1952), 36‑37. 326 República de Colombia et Gobierno nacional, « Ley 66 de 1916 (diciembre 14) Por la cual se organiza la lucha contra la tuberculosis, y se adiciona y reforma la marcada con el número 84 de 1914, sobre higiene pública y privada », Diario oficial, 21 décembre 1916.
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Santander, par l’Acte administratif nº 20, a résolu que les maires des municipalités aient dorénavant la responsabilité de remplir un registre des naissances, des mariages et des décès qui surviendraient chaque mois dans leurs municipalités et districts. Pour ceux des naissances, il fallait indiquer le sexe et la légitimité ou l'illégitimité du nouveau-né. Pour les statistiques de décès il était nécessaire de signaler « clairement la maladie ou l’accident ayant agi en tant que cause de décès, et à cet effet l’on devait interdire la sépulture sans le certificat approprié du médecin traitant ou, le cas échéant, le certificat de deux témoins idoines »327. Le nombre réduit de médecins dans le territoire national obligeait à ce type d’exceptions. En fait, le CCH promulgua en 1918 l’acte administratif nº 39 pour réglementer la statistique nosographique du pays. L’acte administratif était organisé en cinq articles. Le premier ordonna que chaque mois tous les maires et chefs de police devaient envoyer à la DDH respective la statistique des décès de leur juridiction. Là où il y avait des médecins, les décès devaient être classés selon les maladies ou causes de décès. Quant aux enfants, la mortalité et la morbidité devaient être classées en deux groupes: le premier, pour les enfants d'un jour à deux ans, le second, pour ceux de deux à dix ans. Le deuxième article disposa que les responsables des hôpitaux, hospices, maisons de santé, sanatoriums, dispensaires, cabinets publics et les médecins des garnisons et des prisons, devaient envoyer mensuellement à la DDH une statistique générale de l'établissement, en énumérant les maladies suivant la nomenclature de Bertillon. Le troisième article disposa que les Bureaux Municipaux de l'Hygiène (BMH) et les Commissions Sanitaires Municipales (CSM) devaient demander aux médecins exerçant dans leur commune les données concernant les patients atteints de maladies contagieuses, comportant le nom de la maladie, l'âge et le sexe des patients. Selon le quatrième article, tous les trois mois, les informations mensuelles recueillies par les DDH et organisées en tableaux suivant la nomenclature de Bertillon devaient être envoyées au CCH. Le dernier article ordonnait le paiement de cinq pesos colombiens pour toutes les contraventions à cet acte administratif328. Quelques mois après, le gouvernement national établit la loi 32 de 1918 qui réorganisait la DNH. Cette loi a été votée pour réduire les charges du trésor public, et elle fixa, à partir du 1 mars 1919, que les services d’hygiène publique seraient une responsabilité
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Les maires devaient se mettre d’accord avec les curés de la paroisse pour obtenir d'eux toutes les données statistiques nécessaires. Ainsi, à la fin de chaque mois, les maires devaient envoyer à la Direction de l'hygiène de leur département, un tableau avec toutes les données recueillies. Junta Central de Higiene, « Direcciones departamentales de higiene 1917 », 371. 328 Junta Central de Higiene, « Acuerdo número 39 de 1918 sobre la estadística nosográfica de la República », Gaceta departamental de Antioquia, 19 septembre 1918, Imprenta departamental édition, 10425.
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économique des administrations départementales. Pourtant, selon Pablo García Medina, directeur national d’hygiène, les économies réelles obtenues à partir de cette loi ont été très réduites et les difficultés assez importantes, car la majorité des départements diminuèrent les salaires des fonctionnaires et supprimèrent un certain nombre de postes de leurs services sanitaires. Les municipalités ont ensuite décidé de ne pas payer les services des CSM en argumentant que les charges revenaient aussi aux administrations départementales. En conséquence, les activités de ces commissions ont été contraintes ou suspendues et l’organisation de l’administration nationale de santé publique s’est affaiblie329. Deux ans après la promulgation de l’acte administratif n° 39, une nouvelle ordonnance sur la statistique sanitaire a été approuvée par la DNH (Resolución 90 de 1920). Elle obligea toutes les personnes exerçant la médecine sur le territoire national à apporter aux autorités administratives ou sanitaires les données concernant les patients atteints de maladies contagieuses (sans inclure les noms des patients afin de protéger le secret professionnel), les décès assistés médicalement indiquant la cause selon la nomenclature de Bertillon et les données relatives à la mortalité et la morbidité infantiles. Ils devaient aussi signaler les quartiers ou secteurs de la ville présentant la plupart des cas de maladies infectieuses et contagieuses. De la même façon, cette ordonnance disposa que les maires devaient recueillir mensuellement les données fournies par les médecins et par les curés de paroisses (naissances et décès), et les envoyer, tous les trois mois, à la DNH330. Si effectivement l’application de cette nouvelle ordonnance était impérative, les moyens mis à disposition par les autorités pour son accomplissement étaient largement insuffisants. Néanmoins, sur le plan international, son existence et celle d’autres ordonnances permettait aux autorités sanitaires nationales de légitimer dans les conférences sanitaires les efforts que le pays réalisait pour 1) quantifier les maladies infectieuses, en détectant aussi le foyer d’infection dans les villes, 2) suivre une statistique des causes de décès selon la convention internationale, et 3) surveiller la mortalité infantile. En fait, dans la sixième Conférence sanitaire panaméricaine, tenue du 12 au 20 décembre 1920 à Montevideo, le délégué colombien Pablo García Medina présenta un rapport délibérément optimiste. Selon lui, la Colombie avait rempli les obligations imposées par les conférences et les conventions sanitaires internationales. Dans le pays, il n’y avait pas de foyer 329
Cette loi organisée aussi la direction des léproseries. Pablo García Medina, « Informe del Director o nacional de higiene al Ministerio de Instrucción pública », Revista de higiene 9, n 115 (1919): 299‑ 300. 330 Dirección nacional de higiene, « Resolución número 90 de 1920 (septiembre 9) sobre estadística sanitaria en la República », in Compilación de las leyes decretos, acuerdos, y resoluciones vigentes sobre higiene y sanidad en Colombia, vol. I (Bogotá: Imprenta nacional, 1932), 345‑46.
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endémique de fièvre jaune, et si la maladie s’était présentée deux ou trois fois, elle était venue de l'isthme de Panama, avant que cette région n’ait été désinfectée, ou de Guayaquil. Il notait aussi qu’il n’y avait ni choléra asiatique ni peste ; que le typhus se présentait rarement et sans caractère épidémique ; que l'application du vaccin antivariolique était obligatoire et que le pays était libre de méningite cérébro-spinale, de poliomyélite antérieure transmissible et d'encéphalite léthargique, toutes maladies sur lesquelles les conventions imposaient une vigilance. Quant au contrôle de l’expansion de la lèpre, García Médina en profita pour rectifier le chiffre de lépreux de la Colombie et pour décrire le système d’isolement des malades. Derrière l'image optimiste de García Medina se cachait la nécessité urgente de mettre les produits colombiens, en particulier le café, sur le marché international, la nécessité de combattre l’image de la Colombie comme pays des lépreux et de montrer que les maladies pestilentielles n’existaient pas ou étaient contrôlées331. En novembre 1924 se tint la septième conférence sanitaire panaméricaine à laquelle participa aussi la Colombie. Lors de cette conférence, le premier code sanitaire panaméricain fut approuvé. Les objectifs principaux de ce code concernaient l’adoption conjointe de mesures portant sur les maladies transmissibles et l’amélioration de la santé publique : des mesures telles que prévenir la propagation internationale d’infections et de maladies transmissibles, promouvoir la coopération internationale pour prévenir l’introduction et la propagation des maladies, normaliser le recueil de données statistiques sur la morbidité et la mortalité, soutenir l’échange d’informations utiles pour l’amélioration de la santé publique et pour renforcer la lutte contre les maladies332. Seulement deux mois après cette rencontre internationale, la loi 15 de 1925 réorganisa l’administration de santé publique et revint sur le sujet des statistiques démographiques et nosologiques du pays. Cette loi établit que l’organisme responsable de suivre ces statistiques serait la Direction nationale de l’hygiène et de l’assistance publique (DNH-AP) et, à cet effet, elle créa une section de statistique vitale333. Sur le plan opérationnel, la DNH-AP ne disposait pas encore des moyens administratifs et techniques pour assumer un tel rôle et l’entrée en fonction de cette section n’a pas été immédiate. Avec le soutien de la Fondation Rockefeller, le
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Hernández Álvarez et al., « La Organización Panamericana de la Salud y el estado colombiano. Cien años de historia 1902-2002. » 332 Oficina Sanitaria Panamericana, « Código sanitario panamericano », 1924, www.paho.org/spanish/sanitarycode.htm. 333 República de Colombia et Gobierno nacional, « Ley 15 de 1925 (enero 31), sobre higiene social y asistencia pública », Diario oficial, 9 février 1925, 25.
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colombien Roberto Concha suivit une formation en statistique aux États-Unis et en 1927 la section de statistique vitale commença de fonctionner sous sa direction334. La déclaration et les statistiques des maladies contagieuses vont être à l’ordre du jour de la législation nationale. Par le décret 580 de 1928, le gouvernement national insistait sur la déclaration obligatoire des cas de choléra, fièvre jaune, peste, typhus, fièvres typhoïdes et paratyphoïdes, diphtérie, variole, scarlatine, dysenterie bacillaire et amibienne, tuberculose pulmonaire et laryngée, pneumonie infectieuse, méningite cérébro-spinale et épidémique. Selon les autorités, cette déclaration avait pour but la prise de mesures de contrôle en faveur de la population et la formation des statistiques vitales et épidémiologiques de la nation. Ainsi, toutes les personnes exerçant la médecine étaient obligées d’enregistrer, sous des formulaires distribués par la DNH-AP, tous les cas de ces malades. Pour les cas où le malade n’avait pas été suivi par un médecin, la responsabilité de la déclaration incombait au chef de la maison, hôtel, école, prison, fabrique ou autre établissement dans lequel le malade avait été détecté. Ce décret chercha aussi à établir un contrôle des registres par les autorités d’hygiène. Il disposa que les bureaux municipaux et départementaux de statistiques devaient suivre à cet égard les instructions de la DNH-AP, qu’ils n’avaient pas la permission de publier ou retransmettre ses informations, comme le stipulaient les conventions internationales, à la section d’hygiène de la Ligue de Nation ou à des organismes internationaux similaires, sans l’accord préalable de la section de statistique vitale de la DNH-AP335. Même si à partir de 1917, les annuaires statistiques nationaux commencèrent à être publiés avec une certaine régularité, et qu’en 1927, il y avait des statistiques nosographiques disponibles pour les années 1915-1920 et 1923, ces chiffres n’étaient pas toujours considérés comme fiables à l’époque, car la présence médicale universitaire sur le territoire colombien était faible et cela impliquait une médiocre production des certificats de décès. Ainsi, le décret 580 de 1928 incluait une nouvelle disposition sur les certificats de décès qui cherchait à améliorer la fiabilité de ces statistiques. De ce fait, là où il n’y avait pas de médecins diplômés, il ordonna que les certificats déclarassent que les décès étaient survenus sans assistance médicale, et donc sans diagnostic336. En tout cas, les statistiques nosographiques du pays continuèrent à être publiées dans les annuaires de 1929 à 1932, et on y trouve des données pour la période 1927-1930337. Malgré nos efforts, nous avons eu du mal à repérer l’entrée en 334
Le cas de Concha et des autres exboursiers colombiens sera analysé dans le chapitre six de la thèse. República de Colombia, « Decreto n° 580 de 1928 (29 de marzo) por el cual se reglamenta la declaración de las enfermedades contagiosas », Diario oficial, 17 avril 1928. 336 Ibid. 337 Les chiffres publiés sont les nombres absolus de décès selon la cause, le sexe et le département. Cf. : Annuaires générales de statistiques publiés en 1929, 1930, 1931 et 1932 335
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vigueur de la disposition sur les certificats de décès due au décret 580. En fait, nous avons détecté des chiffres de mortalité considérant les décès avec et sans certificat médical pour les années 1936 et 1937. En outre, sa publication n’a pas été régulière et, malheureusement, ils ne réapparaitront que dans l’annuaire de 1945338. En 1934, le Département national d’hygiène (DepNH) fit une nouvelle tentative d’organisation des statistiques. L’idée fut soutenue par le gouvernement national qui, par le décret 505 du 8 mars, décida que cet organisme était le seul chargé de suivre les statistiques démographiques et nosographiques du pays339. Depuis février, la DepNH avait commencé à fournir aux maires et aux conseillers des communes un carnet pour les licences d’inhumation. Grâce à cette démarche, la communication des données statistiques nosographiques a commencé à connaître une augmentation marquée340. Néanmoins, cette tentative de réunir les statistiques démographiques et nosographiques, dans le DepNH, n’a pas été durable, et à la fin de l’année 1935, par la loi 82, la Contraloría, organisme responsable depuis 1923 des statistiques nationales, reprit son contrôle. À l’origine de cette réforme, c’est le premier Contralor de filiation libérale, Plinio Mendoza Neira, qui, pendant sa direction (1933-1936) promut une restructuration de l’institution. Cette réforme centralisa les statistiques nationales et élimina les sections de statistique des ministères et la section de statistique vitale du DepNH341. De même, par l’acte administratif 431 de 1936 la Contraloría créa une direction technique de statistique pour s’occuper de prescrire les normes selon lesquelles toutes les recherches statistiques devaient être mises en œuvre, réaliser la vigilance technique du travail et l’organisation des sources informatives, ainsi qu’étudier et analyser les résultats obtenus342.
338
En 1936, 53,74% des décès enregistrés n’avaient pas de certificat médical, 32,19% l’avaient et cette information n’avait pas été enregistrée pour 13,77% des décès. Contraloría general de República et Dirección nacional de estadística, Estadísticas demográfica y nosológica 1936 (Bogotá: Imprenta Nacional, 1938), 18‑19; Selon l’annuaire général de statistique de 1937, 70,3 % des décès sont survenus sans assistance médicale et 29,7% de décès sont survenus avec assistance médicale. República de Colombia, Contraloría general de República, et Dirección general de estadística, Anuario general de estadística 1937 (Bogotá: Imprenta Nacional, 1938), 71; En 1945, ces chiffres étaient encore très inquiétants et seulement 35,5% des décès enregistrés dans le pays cette année-ci, soit 56 582, a bénéficié d’une assistance médicale. Anuario general de estadística 1945 (Bogotá: Imprenta Nacional, 1946), VII. 339 República de Colombia, « Decreto número 505 de 1934 (marzo 8) por el cual se aprueba la resolución número 34 del Departamento nacional de higiene que reglamenta la estadística demográfica y nosológica de la nación », Diario oficial, 27 mars 1934. 340 Alberto Charry Lara, Desarrollo histórico de la estadística nacional en Colombia (Bogotá: Departamento administrativo de planeación, 1954), 58. 341 República de Colombia, « Ley 82 de 1935 (23 de diciembre) sobre estadística », Diario oficial, 4 janvier 1936. 342 Lleras Restrepo, La estadística nacional: su organización, sus problemas, 11.
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La même année, la Contraloría disposa d’une nouvelle réglementation pour l’élaboration de la statistique démographique et nosologique du pays. Dans celle-ci cet organisme indiqua quels types de formulaires devaient être remplis par les directions départementales de statistique (DDS) sur la mortalité, la mortinatalité, la nuptialité et la natalité. Les formulaires concernant les causes de décès seraient remplis seulement dans les municipalités ayant des médecins diplômés et les causes ne seraient enregistrées que si le certificat de décès était accompagné d’un certificat médical343. Dans la pratique, la collecte par l’autorité nationale des données démographiques tenant à la mortalité rencontrait deux difficultés. L’une concernait la transmission régulière des carnets de certificats des décès par les autorités municipales. L’autre relevait de la vérification du certificat médical dans le certificat de décès. Au cours des années, le nombre de rapports mensuels envoyés par les municipalités augmenta progressivement. Ainsi, si en 1934 le bureau central de statistique ne recevait que 62,3 % des rapports, en 1937, il en a reçu 100 %. Cela veut dire que les autorités de statistique nationale parvinrent à fixer des routines d’enregistrement. Ce fait ne signifie pas que tous les décès survenus dans le pays étaient déclarés. Des estimations réalisées en 1935 suggéraient qu’environ 18 % des décès ne l’étaient pas. Néanmoins, les problèmes de fiabilité du recensement de la population de 1928 n’ont pas permis de croire à ce chiffre. La grande extension de certains territoires, l'organisation peu développée de l'administration publique au niveau municipal et la persistance de certaines coutumes populaires faisaient penser aux autorités de statistique que le pourcentage des décès non déclarés était encore plus élevé344. La deuxième difficulté était plutôt insurmontable pour les fonctionnaires de statistique. Depuis 1916, et par une loi, la vérification du décès par un médecin était obligatoire dans le pays. Il existait une exception pour les endroits n’ayant pas de médecins diplômés et dans lesquels deux témoins certifiaient le décès. Toutefois, encore en 1937, l’exception était la règle. Dans le pays fonctionnaient 244 hôpitaux avec un total de 11 422 lits, soit une proportion de 38 632 habitants par hôpital, et 825 pour un lit. Seulement 30 % des municipalités du pays avaient un hôpital. Selon l’avis du directeur de santé de l’époque, aucun des hôpitaux n’avait un service de tuberculose en état acceptable. En outre, seulement 65 hôpitaux avaient des services de maternité, avec un total de 1 052 lits, quand par rapport à la population il devait y en avoir plus de 9 000. La situation du corps médical était semblable. Sur les 806 municipalités existant en Colombie, seulement 286 (35,5 %) avaient un médecin. Le 343
Contraloría general de la República et Dirección nacional de estadística, Cartilla de estadística, vol. I (Bogotá: Imprenta Nacional, 1937), 18‑23.
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Lleras Restrepo, La estadística nacional: su organización, sus problemas, 68‑69.
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nombre total de médecins dans le pays était de 1 512 (1: 5731 habitants), dont 825 (54,6 %) exerçaient dans les capitales départementales. Le pays comptait trois facultés de médecine avec 738 étudiants, dont 499 à Bogotá, 164 à Medellín, et 75 à Cartagena345. Cette situation amena la Contraloría à se passer de la publication des statistiques nosographiques pour l’ensemble du pays pendant certaines années entre 1930 et 1940346. De toute manière, nous considérons important de montrer les chiffres avec lesquels l’autorité nationale présenta la situation épidémiologique du pays dans le milieu colombien mais aussi aux services d’hygiène internationaux. À partir de ces données nous avons organisé un tableau où nous avons privilégié les causes de mortalité par maladies transmissibles (fièvre typhoïde, fièvre récurrente, fièvre intermittente et cachexie paludéennes, variole, rougeole, coqueluche, grippe, influenza, dengue, dysenterie, tuberculose des poumons, syphilis, anémie, chlorose) et par maladies qui présentent la plus grande quantité de décès entre 1915 et 1934. Nous présentons aussi quelques graphiques pour montrer l’évolution dans le temps du nombre de décès pour certaines maladies (ANNEXE 04).
Conclusions L’analyse des débuts des statistiques démographiques et sanitaires à l’aube du XXe siècle a permis de montrer que le cadre fixé par les organismes internationaux eut un impact déterminant dans la configuration et la restructuration des organismes nationaux d’hygiène et dans normes des statistiques démographiques et de santé en Colombie. Comme nous l’avons présenté, l’adoption de la nomenclature de Bertillon dans les statistiques des causes de décès en Colombie fut proposé par le Bureau de statistique national suite à une demande de l’American Public Health Association ─ organisme qui, en 1897, avait adopté ce système ─ sur l’opinion des médecins par rapport à cette classification et sur les possibles modifications à y introduire. En 1905, le BS colombien insista sur la nécessité d’adopter dans le pays ce système utilisé par un grand nombre de pays occidentaux y compris le Mexique. L’urgence de mettre en œuvre des statistiques sanitaires et de les normaliser vint de la pression des organisations internationales, aussi bien en matière de santé qu’en matière de commerce. Faire partie des réseaux commerciaux internationaux était une priorité de la naissante économie agroexportatrice colombienne. Comme l’a signalé l’historien Marco Palacio, le faible développement économique, physique et financier de la Colombie au début du XXe siècle était une réalité incontestable. En fait, selon le même auteur, parmi les pays latino-américains, la Colombie était classée aux dernières places en matière d’alphabétisation, de services 345
Benigno Velasco Cabrera, « La sanidad en Colombia », Boletín de la Oficina Sanitaria Panamericana o 17, n 3 (1938): 197, 201. 346 Lleras Restrepo, La estadística nacional: su organización, sus problemas, 70‑71.
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ferroviaires, de routes, de ponts, d’urbanisation et de réseaux de banques347. Ainsi, le fait de certifier que le pays tentait de suivre les lignes directrices des conférences sanitaires, surtout celles concernant l’hygiène des ports et la déclaration des maladies contagieuses, était un enjeu majeur pour le pays. Bien que le début des discussions sur l’adoption en Colombie de la nomenclature de Bertillon ait eu lieu en 1899, la publication des premières statistiques démographiques à caractère national, y compris celles de mortalité selon leurs causes, n’ont vu la lumière qu’en 1917. Le retard de l’application des routines d’enregistrements de ces données est dû à la lenteur de la mise en place des statistiques en général. L’administration nationale a été prête à organiser le relevé systématique des causes de décès avant que les administrations locales aient encore eu les moyens de fournir des données solides. Suite aux guerres civiles récurrentes jusqu’au début du XXe siècle, la Colombie avait un État central fragile et appauvri. La faible densité démographique a rendu extrêmement compliqué le maillage institutionnel public du territoire. Comme nous avons voulu le montrer par l’analyse des transformations de la législation concernant les statistiques démographiques et sanitaires, les autorités nationales ont tenté, entre autres, de suivre les exigences de la normalisation des statistiques internationales. Néanmoins, les moyens mis à disposition pour les accomplir ont été largement insuffisants. Le faible nombre de médecins et leur distribution irrégulière dans le territoire colombien furent d'autres obstacles difficiles à surmonter par les autorités nationales. Des statistiques sanitaires conformes aux normes internationales aussi bien en matière de fiabilité que de régularité ne verront le jour que dans la seconde moitié du XXe siècle, après la Seconde Guerre mondiale.
347
Frank Safford et Marco Palacios, Colombia: Fragmented Land, Divided Society (New York: Oxford University Press, 2002), 250.
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Chapitre 3 Les recensements de la population et les statistiques de santé Pour mieux comprendre l’émergence des statistiques de santé dans le pays, nous nous sommes interrogés sur la production des recensements de la population. Ce n’est pas une question mineure car la construction de ces statistiques est fortement liée à l’organisation du système de statistique national et à la disponibilité de sources officielles sur la population. Comment les recensements étaient-ils organisés ? Quel type de questions guidait l’enquête ? Quelles données étaient consignées dans ses formulaires ? Y trouvons-nous des sujets liés à la santé? Si effectivement il y en a, à quoi faisaient-ils appel ? Quels chiffres de la population ont été publiés ? Quels ont été les enjeux de la production de ces chiffres ? Les importantes transformations territoriales, administratives et politiques vécues pendant le XIXe siècle en Colombie n’ont pas favorisé l’établissement d’un système unique et de longue durée de production de chiffres officiels sur la population. Suite à l’indépendance, la nécessité de constituer une nation fut une réalité, mais le pays a affronté d'importantes difficultés pour développer un système de registres quantitatifs. Les guerres civiles ont été un facteur récurrent de perturbation pour la production de recensements et de chiffres en général. La consolidation d’un système de statistique national a été lente, les premiers indicateurs sociodémographiques ne sont apparus qu’en 1917. L’historiographie colombienne n’a pas dédié beaucoup de pages à l'histoire des recensements avant la première moitié du XXe siècle. Quelques recensements de l’époque incluent des commentaires historiques succincts ou des compilations législatives sur la matière. Dans les dernières décennies, les travaux ont centré leur intérêt sur la qualité et la validité des chiffres ou analysé leur production sur une période très concrète de l’histoire nationale1. En raison de l'absence d'études sur la transformation de la statistique censitaire
1
Fernando Gómez, « Los censos en Colombia antes de 1905 », in Estudio de estadísticas históricas de Colombia, éd. par Miguel Urrutia et Mario Arrubla (Bogotá: Universidad Nacional de Colombia, 1970), 9‑18; Hermes Tovar, Jorge Andrés Tovar, et Camilo Ernesto Tovar, Convocatoria al poder del número: censos y estadísticas de la Nueva Granada, 1750-1830 (Bogotá: Archivo General de la Nación, 1994); Fabián Prieto, « Una anatomía de la población colombiana: la técnica estadística en Colombia y el o levantamiento del censo de población de 1912 », Memoria y sociedad 9, n 19 (2005): 55‑67.
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dans le pays, nous nous arrêterons sur le sujet pour faire un examen préliminaire. Une recherche approfondie et de longue haleine reste encore à faire.
3.1 Les recensements du XIXe siècle Tout au long du XIXe siècle, six recensements de la population ont été effectués dans la République colombienne. Lors du premier, réalisé en 1825, le pays faisait partie de la Gran Colombia (Venezuela, Quito, Nueva Granada), dont le territoire couvrait une superficie de 3.064.800 km2. La loi qui a ordonné son élaboration prévoyait le recueil annuel des données relatives au nombre d’habitants (classés par hommes, femmes et esclaves), le nombre de naissances, mariages et décès — ces derniers certifiés par le curé de la paroisse —, le nombre de maisons de la ville, nombre des bestiaux et leur prix, le nombre, le type de mines et leurs revenus, la production et la valeur de certains produits agricoles, entre autres3. Quant aux maladies, il fallait enregistrer celles existant « d’ordinaire » et celles de propagation annuelle ou « contagieuses ». Les personnes responsables de suivre ces registres étaient les alcaldes primeros des paroisses, qui devaient transmettre l’information aux jéfes politicos municipales qui à leur tour les envoyaient aux governadores de provincia, qui les regroupaient et finalement les envoyaient aux intendentes de provincia4. À la manière des recensements coloniaux, et comme le laisse entrevoir la grande quantité d’aspects non démographiques demandés, cette collection de données chercha à quantifier la population, sa condition et le potentiel économique des provinces. Les résultats étaient loin de répondre aux attentes de la loi, une partie de la population évitaient le recensement de peur de se voir imposer de nouvelles contributions fiscales ou le service militaire. Le recensement n’a été effectué qu’en 1825, et pour la Nueva Granada une population de 1 229 259 habitants fut enregistrée, dont certains chiffres de nuptialité ont été rapportés. Il semble que les données ont été prises séparément par rapport au sexe, on ne sait pas comment, mais en tout cas pas à partir des registres paroissiaux. Ainsi, il n’est pas rare de
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Luis Vidales, Historia de la estadística en Colombia, 1. ed (Bogotá: Banco de la República, 1978), 55‑57. Parmi les autres questions demandées on trouve : la valeur des dîmes, les rivières navigables, les espèces de poissons qui sont pêchés et sa valeur annuelle, les bois précieux existants dans la région et si elles peuvent être exportées, les articles navals qui sont produits ou exportés, les usines et manufactures existantes dans la paroisse, s'il y a des terrains incultes appartenant au gouvernement, estimer sa taille et préciser s’ils conviennent à l'élevage ou à l'agriculture. Decreto de 1825 (octubre 4). « Estadísticas censales » s.d, 1‑3, Biblioteca virtual del Departamento administrativo nacional de estadística de Colombia, ftp://190.25.231.247/books/LD_273.PDF. 4 Ibid., 4. 3
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trouver des provinces rapportant des chiffres différents pour les hommes mariés et pour les femmes mariées5. À cause des problèmes de sous-déclaration et d’organisation, l’historiographie nationale ne considère pas ce chiffre très fiable6. En plus, l'absence de documents empêche de vérifier si l'information liée aux maladies a effectivement été compilée pour l’ensemble de la Nueva Granada. En tout cas, ce type de questions n’a pas été repris dans les lois qui régiront les recensements subséquents du XIXe siècle. Sous la loi 2 de 1834 se sont déroulés ceux de 1835, 1843 et 1851, dont les données ont été discriminées en catégories très singulières7. Selon cette loi, la fin ultime du recensement était politique, car la représentation dans les corps collégiaux était fixée par la population des provinces, d’où peut-être, le peu d’intérêt pour inclure d’autres catégories d’analyse de la population8. Dans celui effectué en 1835 — pendant les mois de janvier, février et mars —, les questions de type démographique reviennent au centre du recensement, dans lequel l’identification personnelle des individus recensés était sollicitée, et les relations de parenté représentaient une partie importante de l’enquête. Le registre des étrangers, relevant leur nom, âge, patrie, et occupation, a été recueilli de façon indépendante9. Cette dernière caractéristique cherchait probablement à mieux connaitre cette population, car le chiffre n’était pas asse important pour produire des altérations quantitatives du nombre de représentants des corps collégiaux. Les résultats ont été discriminés par province, canton et district paroissial. Les indigènes ne furent pas recensés, quoique certains gouverneurs de provinces aient estimé leur nombre. Le recensement s’est développé asse facilement dans les régions urbaines ou à
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Par exemple, la province de Cartagena registre 17.773 hommes mariés et 18.070 femmes mariées. Pour les chiffres des esclaves, la situation est similaire. Ibid., 17‑20. 6 Gómez, « Los censos en Colombia antes de 1905. » 7 Catégories : 1) les ecclésiastiques séculiers et réguliers et les religieuses, 2) les hommes mariés, 3) les femmes mariées, 4) les nourrissons et les jeunes de moins de 16 ans, 5) les hommes célibataires âgés de 16 à 40 ans, 6) les hommes ayant dépassé cet âge, 7) les femmes célibataires de tout âge, 8) les hommes et femmes esclaves mariés, 9) les hommes esclaves célibataires de tout âge, 10) les femmes esclaves célibataires de tout âge . cf. : Vidales, Historia de la estadística en Colombia, 58. On retrouve à nouveau des chiffres inconsistants entre le nombre des hommes mariés et celui des femmes mariées. « Estadísticas censales », 66‑72. 8 « Article 8. Le pouvoir exécutif, en vue de l'état général de la population des provinces, fera un autre [recensement] général conformément aux règles établies, et il publiera le calcul des Sénateurs, des Représentants des Chambres et de Députés de province à élire pour chaque province, sur la base du recensement pratiqué conformément à la Constitution et à la loi. Le tableau de la population totale sera publié dans la presse, et il sera présenté dans la prochaine réunion du Congrès ». Ley del 2 de junio de 1834. « Estadísticas censales », 47‑51. 9 Decreto del poder ejecutivo sobre la formación del censo en la República. Pedro Alcántara Hérran, Presidente de la Nueva Granada. Ibid., 40‑45.
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population rurale dense, mais pour tous les autres territoires, la situation fut difficile et beaucoup d’informations ont été données par des voisins. Une population totale de 1 686 038 habitants fut recensée10. En dehors des estimations quantitatives des populations indigènes — par tribus ou par localisation géographique —fut aussi indiqué s’ils étaient pacifiques ou belliqueux et d’autres informations sur leurs activités commerciales11. Le mouvement de la population fut suivi par des statistiques annuelles qui enregistraient par province, le nombre de mariages, le nombre de naissances, le nombre de décès — les deux derniers discriminés par sexe. L’accroissement de la population fut calculé par la différence entre les naissances et les décès pendant la période considérée. Les données étaient collectées par les gouverneurs de provinces qui les envoyaient au ministère de l’Extérieur, où elles étaient rassemblées12. Pendant la période intercensitaire d’autres quantifications ont suivi sur le nombre des institutions éducatives, des travaux forcés et des hôpitaux. On a trouvé deux tableaux du mouvement des patients, entre le 1er septembre 1838 et le 31 août dans des hôpitaux de charité de la République, ils sont un des rares indices de quantifications de ce type dans ces années. Les registres soulignent les nombres d’hôpitaux dans chaque province, le nombre de patients sortis, le nombre de patients guéris et le nombre de patients décédés. Si des 20 provinces existant à l’époque, 13 enregistrent des hôpitaux (23 au total), ce chiffre n’est pas fiable, car on ne peut pas faire la différence entre les provinces sans hôpitaux et celles sans données13. En tout cas, ces registres procédaient d’un intérêt pour les institutions publiques sur lesquelles la République devait veiller et qu’elle devait financer. Mais nous étions encore loin d’un souci pour la santé de la population. L’organisation des recensements de 1843 et 1851 n’a pas varié substantiellement depuis 1834. En ce qui concerne le recensement de 1843, et pour faciliter la tâche d’organisation des données, des tableaux modèles furent distribués. Le registre des esclaves fut réalisé aussi par tranches d’âge, indiquant en plus s’ils étaient aptes ou non à travailler (catégories « utile » et « inutile »)14. À nouveau, des données sur les étrangers ont été
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Gómez, « Los censos en Colombia antes de 1905 », 11‑15. La population indigène totale pour le pays fut calculée à hauteur de 111.130 individus. « Estadísticas censales », 66‑72. 12 On y trouve celles des périodes : 1nov 1833-31oct 1834, 1sep 1834-31août 1835, 1sep 1836-31août 1837, 1sep 1838-31août 1839, 1sep 1841-31août 1842, 1sep 1842-31août 1843. « Estadísticas censales. » 13 ‘Estadísticas censales’, pp. 171–172. 14 Selon un des articles du décret, le but du recensement des esclaves était d’en connaitre mieux la population de façon que le Congrès puisse créer des lois pour améliorer leurs conditions et empêcher qu’ils deviennent des membres nocifs pour la société. Decreto del 12 de abril de 1842, disponiendo 11
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recueillies, mais le chiffre n’a pas dépassé les 1 200 individus15. La population recensée a été de 1 931 674 habitants et le nombre d’indigènes a été calculé entre 170 050 et 198 410 selon des estimations des gouverneurs et des prélats diocésains16. Un déficit du nombre des hommes dans le pays fut signalé par le secrétariat du ministère de l’Intérieur, clairement à cause de la guerre civile qui avait précédé le recensement17. Une Estadística Jeneral de la Nueva Granada a été publiée en 1848, sous la présidence de Tomas Cipriano de Mosquera. Le livre contient les résultats du recensement, la division politique du pays, le mouvement de la population, les forces armées, la justice, la monnaie, les revenus de la nation et d’autres sujets18. Comme nouveauté dans la publication du recensement, on voit apparaître des comparaisons simples, par province, du nombre total des individus libres par rapport à celui des esclaves. Pour chaque province fut aussi calculée l’augmentation absolue et relative de la population pendant les 8 ans écoulés entre les deux recensements (1835 et 1843). Quant à l’augmentation de la population totale de la Nueva Granada, les calculs indiquaient qu’il fallait entre 42 et 44 ans pour la doubler19. Selon les informations de cette publication, la Grande Bretagne doublait sa population dans le même laps de temps que la Nueva Granada. Par contre, en comparaison avec les ÉtatsUnis, 21 ou 22 ans, la progression de la population neogranadinne exhibait un retard important, qui fut justifié par la guerre sanglante vécue pendant la période intercensitaire (Guerra de los Supremos 1839-1842) et l’épidémie de variole qui a commencé en 184020. En tout cas, dans une vision classique, les nations les plus prospères étaient les plus peuplées, et quoique ce ne fût pas le cas de la Nueva Granada, la comparaison avec la Grande Bretagne tentait sûrement d’apporter une image rassurante de la situation démographique du pays. Dans ce recensement de 1843, d’autres catégories de population ont été estimées. Parmi elles : le nombre de femmes par rapport au nombre d’hommes, le nombre de femmes pour 100 hommes, le nombre de célibataires par rapport au nombre de personnes mariées, le nombre de célibataires pour 100 personnes mariées, et la proportion entre personnes libres et que el poder ejecutivo haga formar un censo de los esclavos que haya en la República. « Estadísticas censales », 75‑80. Le processus de manumission en Colombie a commencé en 1821, par la promulgation de la loi dite du « Ventre Libre » – qui a prévu la liberté des descendants d’esclaves nés à compter de ce moment. Bien que le processus ait dû finir en 1839, il a duré jusqu'en 1851. Date à laquelle, par loi, l’esclavage a été aboli. 15 Ibid., 194. 16 Vidales, Historia de la estadística en Colombia, 59. 17 Gómez, « Los censos en Colombia antes de 1905 », 15. 18 Vidales, Historia de la estadística en Colombia, 60. 19 Il fut noté une augmentation de 245.546 individus, soit une proportion de 14,56%. ‘Estadísticas censales’, p. 84. 20 « Estadísticas censales », 83‑85.
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esclaves21. Si ces proportions ne sont pas très fines, et si les chiffres sont très probablement inexacts, ces catégories permettent de souligner au moins les éléments démographiques qui attiraient l’attention des fonctionnaires de l’époque. Le recensement de 1851 se fait dans le cadre des discussions sur l’abolition de l’esclavage et sur l’introduction de réformes fiscales et foncières, son organisation n’en a pas été modifiée. Il enregistra une population totale de 2 243 730 habitants et le pourcentage d’esclaves n’a pas excédé 1%22. Pendant cette décennie et celles qui ont suivi, la plus grande partie de la population de la Nueva Granada vivait dans des petits hameaux. Il y avait de nombreuses communautés agricoles dispersées sur le terrain accidenté du pays et la plupart des villes restaient effectivement peu peuplées. Entre 1835 et 1843, la population urbaine de la capitale et le centre politique et éducatif du pays, Bogota, a été estimée à 40.000 personnes, mais dans le recensement de 1851 le chiffre était inférieur à 30 000 habitants. Dans les résultats de ce recensement, aucune autre ville du pays n’a compté une population supérieure à 20.000 personnes23. En 1858, une nouvelle loi réorganisait les recensements dans le pays. Mais la réalisation de celui de 1864 n’a pas inséré les nouvelles propositions concernant le recueil des informations sur l’âge, l’état civil et la profession des individus. Les causes résident dans la guerre civile de 1860-1862 et la nouvelle Constitution qui donna naissance aux Estados Unidos de Colombia. Cette constitution a octroyé un grand pouvoir aux États fédérés, lesquels ont négligé l’exécution du recensement. Le pouvoir fédéral était divisé en législatif, exécutif et judiciaire. Le pouvoir législatif était constitué par le Congrès, composé de la Chambre des représentants et du Sénat. Chacun des États désignait trois délégués au Sénat tandis que les membres de la Chambre des représentants étaient élus, chaque État ayant droit à un membre par tranche de 50 000 habitants. Chaque État fédéré choisissait librement ses sénateurs et ses représentants24. À nouveau, la fonction essentielle du recensement était l’établissement du nombre de représentants politiques, ce qui fait comprendre pourquoi la population ne fut pas désagrégée en catégories distinctes. On y trouve seulement la population par État et le total pour toute la nation. Par ailleurs, trois des neuf États existants ont fait une extrapolation à partir des
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Ibid., 84‑92. Vidales, Historia de la estadística en Colombia, 60; Gómez, « Los censos en Colombia antes de 1905. » 23 Marco Palacios y Frank Safford, Colombia: país fragmentado, sociedad dividida: su historia (Editorial Norma, 2002), 317. 24 Estados Unidos de Colombia, Constitución i leyes de los Estados Unidos de Colombia, espedidas en los años de 1863 a 1875, vol. I (Bogotá: Impr. de M. Rivas, 1875), 11. 22
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recensements précédents. De sorte que l’historiographie a considéré ces chiffres comme peu informatifs et très douteux25. La loi du 10 avril de 1869 a ordonné un nouveau recensement suivant l’organisation proposée en 1858. Celui-ci s'est déroulé pendant le premier mois de 1870, et contrairement aux précédents, la population fut recensée en considérant le nom complet, l’état civil, l’âge et l’occupation. Cette dernière variable fut enregistrée pour tous les membres de la famille de plus de 8 ans, un fait rare puisque les recensements ne comprenaient jusqu’alors que les jeunes hommes (blancs pour la plupart)26. 2 916 703 habitants furent décomptés, et parmi ceux qui avaient déclaré une activité économique, il faut noter que la population employée dans le commerce était très minoritaire par rapport à celle employée dans l’agriculture et l’artisanat27. Sans méconnaître son caractère arbitraire, la classification des activités donne une idée approximative de la structure de travail de la population, c'est-à-dire, celle d’une société à prédominance rurale et agricole. Le dernier recensement effectué au XIXe siècle en Colombie est celui de 1870 (ANNEXE 5). Les guerres civiles constantes ont profondément affecté l’organisation et le développement des activités gouvernementales. La reconfiguration de la structure étatique en 1886, unifiée par une Constitution centralisatrice, a rencontré plusieurs difficultés qui furent aggravées par la Guerra de los mil días au tournant du siècle.
3.2 Les chiffres de la nation colombienne : les recensements de 1905 et 1912 Ainsi, il faudra attendre jusqu'en 1905 pour qu’un nouveau recensement soit effectué en Colombie. La loi prévoyait le recueil des données, entre le 1er et le 15 juin, par noms complets, origine, sexe, âge, état civil, profession, religion et personne sachant lire et écrire. Également, ils devaient enregistrer « le nombre de malades atteints d'éléphancie prouvée », les aveugles et les pobres de solemnidad (pauvres de solennité)28. Les fonctionnaires responsables du recensement étaient les gouverneurs, les maires et les conseils municipaux. Si 25
Ce recensement a registré une population totale de 2 662 812 habitants. Gómez, « Los censos en Colombia antes de 1905 », 16. 26 Hermes Tovar et B. Piedad Urdinola, « Movilidad social y transición demográfica en Colombia 1870 », Universitaria, Universidad de los Andes, consulté le 28 mars 2013, http://economia.uniandes.edu.co/layout/set/print/content/download/45499/385506/file/Resumen_a mpliado_Libro_historicos_TovarH&Urdinola.pdf. 27 Agriculteurs 53.8%, artisans 22.7%, commerçants 2.7%, domestiques 14.7%. Bien que des historiens aient aperçu certaines divergences dans les quantifications, ce recensement est considéré comme le plus fiable du XIXe siècle. Gómez, « Los censos en Colombia antes de 1905 », 16‑17. 28 En termes généraux, les pauvres de solennité étaient les personnes qui n'avaient pas les ressources économiques nécessaires pour accéder à la justice et sans ressources pour couvrir les frais funéraires au moment de sa mort.
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des ressources nationales furent allouées à l’exécution du recensement, les municipalités étaient les principaux contributeurs au budget nécessaire pour recueillir ces informations et les départements d’assembler les résultats de leurs municipalités et provinces pour les envoyer au BCS en janvier 190629. En dépit de la législation adoptée à cet égard, le recueil des données a échoué. La population totale fut établie à 4 143 632 habitants, pourtant, à cause d'importantes difficultés techniques pour recueillir l’information et le refus des données d’un des départements, les résultats ont été considérés comme déficients en qualité, et ils ne furent publiés qu’en 1917. Ce qui engendra des obstacles pour l’activité administrative et politique, de type fiscal et électoral dans le pays 30. Quoique l’information rassemblée sur la population dans ce recensement ait été dérisoire, l’apparition des nouvelles catégories d’analyse dans la loi qui ordonna son exécution est très significative. La question sur l’origine, liée à la race ou la couleur de la peau n’a été présente dans aucun des recensements du XIXe siècle. Cette situation pourrait servir de preuve à l’affirmation, souvent réitérée dans le contexte hispano-américain, que ce type de question a eu tendance à disparaitre des recensements du XIXe siècle non seulement pour éviter les distinctions raciales offensantes propres au passé colonial, mais surtout à cause du métissage progressif et de la transformation de la perception de la société par le libéralisme et le principe d’égalité31. Pourtant, dans le cas colombien, on voit réapparaître la question de la race dans les recensements de 1905, 1912 et 1918. Comment expliquer cette situation ? Selon Erna von der Walde Uribe, le projet de nation qui avait commencé en 1886 par la reconfiguration d’un État centralisateur, a eu des racines hispaniques et catholiques, et a exclu les majorités métisses et les populations autochtones du pays. Si, d’un côté, il y a eu des tentatives pour incorporer la Colombie à l’économie mondiale par la modernisation de l’appareil d’état, douanier et fiscal, culturellement il y a eu des obstacles à l’entrée des idées qui soutenaient ce modèle dans le monde entier. Cette espèce de révision de la modernité fut aussi opérée dans le pays par le contrôle de l’éducation nationale par l’Église catholique32. 29
Ley 8 de 1904 (27 de septiembre) por la cual se manda a levantar el censo de la población de la República. Colombia. Ministerio de Gobierno, Censo general de la república de Colombia levantado el 5 de marzo de 1912 (Bogotá: Imprenta Nacional, 1912), I, pp. 6–7. 30 L’information publiée ne considère même pas la distinction par sexe de la population, seulement les totaux par municipalité, province et département. Alberto Charry Lara, Desarrollo histórico de la estadística nacional en Colombia (Bogotá: Departamento administrativo de planeación, 1954), 42‑43. 31 Hernán Otero, « Estadística censal y construcción de la nación. El caso argentino, 1869-1914 », Boletín del Instituto de historia argentina y americana Dr. Emilio Ravignani, 1998, 126‑127. 32 “Parmi les projets hispaniques de constitution de la nation dans le XIXe siècle, le Colombien se distingue non seulement pour l’avoir commencé tardivement, à la fin des années 80, mais surtout parce qu'il obéit à l'impulsion d'un groupe de philologues, grammairiens, latinistes et prélats ». Erna
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Ce projet de nation, connu sous le nom de Regeneración, a été défini par le slogan « Une nation, une race, un seul Dieu ». Il fut combattu à la fin du siècle par les radicaux libéraux. Mais ceux-ci ont perdu la guerre et l’hégémonie conservatrice va durer jusqu’aux années 1930. De sorte que, si les questions posées lors des recensements avaient pour objet de chiffrer le nombre d’hommes d'un certain âge, propriétaires, sachant lire et écrire, c'est-àdire la population ayant le droit de vote33, celles sur la race et la religion relevaient du modèle hispanique qui survivait encore dans le pays alors que d’autres nations d’Amérique latine l’avaient abandonné depuis des années34. En plus, les restrictions introduites par les élites pour exercer le droit de vote en Colombie éliminaient une grande partie de la population masculine, dont les indigènes, les noirs et les métisses. De cette façon, les idées de citoyenneté étaient associées aux idéaux de blancheur35. Par ailleurs, l’intérêt des autorités pour le dénombrement des lépreux dans le recensement est lié à la campagne de contrôle de la maladie, initiée en 1905 par le gouvernement national, et à la création, dans la même année, de l’Oficina central de lazaretos (Bureau central de léproseries) chargé de l’administration, des crédits et de l’organisation des léproseries existantes dans le pays. La campagne insistait sur le confinement des lépreux et la déclaration obligatoire de la maladie par les médecins. Tout cela faisait partie des efforts du gouvernement pour lutter contre l’image du pays comme potencia leprosa (puissance de lépreux)36. Néanmoins, la réponse à la question du nombre de lépreux dans le pays va demander une enquête indépendante, dont la réalisation commença en 1905 et finit en 1909 avec la publication des statistiques correspondantes37. Au contraire, l’intérêt porté au nombre d’aveugles et de pauvres de solennité dans le recensement de 1905 est loin d’être un souci de von der Walde Uribe, « Lengua y poder: el proyecto de nación en Colombia a finales del siglo XIX », Estudios de lingüística española 16 (2002), http://elies.rediris.es/elies16/Erna.html. 33 Par la Constitution de 1886 et pour les élections présidentielles et législatives, le suffrage national indirect a été restauré avec des exigences économiques et d'alphabétisation pour les électeurs. En 1910 et grâce aux réformes, le suffrage direct pour les hommes de plus de 21 ans sachant lire et écrire fut accueilli à nouveau. Pour les hommes, le suffrage est devenu universel en 1936. Pour les femmes, il faudra attendre jusqu’à l’année 1954. David Bushnell, «Las elecciones en Colombia: siglo XIX, para bien o para mal, han sido característica nacional», Revista Credencial Historia, 1994, http://www.banrepcultural.org/blaavirtual/revistas/credencial/febrero94/febrero1.htm. 34 Un exemple bien étudié est celui de l’Argentine. Voir : Hernán Otero, Estadística y nación: una historia conceptual del pensamiento censal de la Argentina moderna, 1869-1914 (Buenos Aires: Prometeo Libros Editorial, 2006). 35 Claudia Leal León, « Usos del concepto de “ra a” en Colombia », in Debates sobre ciudadanía y políticas raciales en las Américas Negra, éd. par Claudia Mosquera Rosero-Labbé, Agustín Laó-Montes, et César Rodrígue aravito (Bogotá: Universidad Nacional de Colombia : Programa Editorial Universidad del Valle, 2010), 394‑395. 36 Juan B. Montoya y Flórez, Contribución al estudio de la lepra en Colombia (Medellín: Imp. editorial, 1910). 37 Ibid.
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santé publique, comme celui de la lèpre. D’une part, il semble associé à la quantification de la population subsistant grâce aux institutions de bienfaisance municipales et à la charité chrétienne38. De l’autre, il permettait aussi de quantifier une population susceptible de servir dans les forces armées (les pauvres) et celle des inaptes au service militaire (aveugles). En Colombie, l’absence de données démographiques nationales actualisées fut une réalité pendant la première décennie du XXe siècle. Afin de surmonter les difficultés existantes, le gouvernement ordonna, par la loi 2 de 1911, la réalisation d’un nouveau recensement. Avec la volonté de suivre les critères internationaux, dans la mesure du possible, le recensement se déroula en une seule journée et, pour la première fois en Colombie, la population fut immobilisée à domicile. Cette tâche, irréalisable par le bureau de statistique national, a exigé une structure organisationnelle inexistante dans le pays. Ainsi, par décret fut créée la Junta central del Censo nacional (Conseil central du recensement national CCRN) siégeant à Bogota, dont le directeur de la statistique nationale faisait partie, et des Juntas seccionales (Conseils de sections) furent constitués dans chaque capitale de département, chacun composé de trois membres. Également, dans tous les districts ont été créés des conseils municipaux du recensement. Toutes les personnes convoquées étaient obligées d’y participer sous peine d'amendes39. Quant à la population indigène, l’organisation du recensement prévoyait que les missionnaires catholiques devraient assurer la quantification des communautés « civilisées » et pour les autres, il suffirait d’estimer la population40. Le gouvernement central était chargé de la production et de la distribution des formulaires dans lesquels il fallait consigner pour chaque individu : le nom complet, le sexe, l’âge, l’état civil, la nationalité, le lieu de naissance (pour les colombiens), la résidence, le lien avec le chef de famille, la religion, s’il savait lire, s’il savait écrire, la race, la profession, l'occupation ou le revenu, le nombre d’enfants, si aveugle ou sourd-muet, et s’il a été vacciné41. Ces formulaires devaient être laissés dans chaque maison le jour du recensement, pour être remplis par le responsable de la famille, et si personne ne savait ni lire ni écrire, le
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Pour en savoir plus sur l’histoire de la pauvreté en Colombie voir les études de : Juan Carlos Jurado o Jurado, « Pobreza y nación en Colombia, siglo XIX », Hib: Revista de Historia Iberoamericana 3, n 2 (2010): 47‑71; Beatríz Castro Carvajal, Caridad y beneficiencia: el tratamiento de la pobreza en Colombia, 1870-1930 (Bogotá: Universidad Externado de Colombia, 2007). 39 República de Colombia et Ministerio de Gobierno, Censo general de la República de Colombia levantado el 5 de marzo de 1912, 7‑10. 40 Prieto, « Una anatomía de la población colombiana », 64. 41 Decreto número 813 de 1911(2 de septiembre) sobre censo de la población. República de Colombia and Ministerio de Gobierno, Censo general de la República de Colombia levantado el 5 de marzo de 1912, 7–9.
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commissaire du recensement devait le remplir. Le jour suivant, il fallait récupérer les formulaires remplis en passant de maison en maison. Ensuite, les inspecteurs du recensement étaient responsables de vérifier et de regrouper les données des formulaires apportés par les commissaires et de les rendre aux Conseils municipaux. D’autres formulaires pour condenser les informations départementales furent préparés et distribués avec les instructions précises expliquant les catégories à utiliser. En outre, toutes les personnes de plus de 16 ans recensées devaient recevoir dans le mois qui suivait une sorte de carte d’identité dénommée, Cédula de vecindad. Ce document était indispensable aux hommes de plus de 21 ans pour exercer leur droit de vote42. Tout cela marque des différences dans l’organisation par rapport aux recensements précédents dont les données furent enregistrées pendant plusieurs mois ou semaines. Une autre spécificité de ce recensement fut la demande faite par le CCRN à la presse et aux autorités ecclésiastiques, en particulier aux curés de paroisse, de faciliter la participation de la population et d’assurer la diffusion du recensement : Lorsque le pays peut connaitre le recensement général, et peut se renseigner sur la situation sociale et les conditions de toutes les catégories de population : lorsqu’il connait le nombre des hommes habilités à recevoir l’instruction militaire et à porter les armes, sans doute va renaître le sentiment de fierté nationale43. Une fonction symbolique importante, car la construction d’une identité nationale était profondément compromise par les guerres civiles et la perte de Panamá en 1903. Le gouvernement a tenté de renforcer le sentiment nationaliste avec la publication du recensement la même année que la commémoration des 100 ans de l’Indépendance. Par cette même voie, la distribution internationale d’exemplaires du recensement a cherché à diffuser une image moderne de la nation colombienne44. D’après les autorités de l’époque, le recensement de 1912 serait au cœur de l'administration publique et serait le fondement des études sociales destinées à analyser la vie nationale et répondre aux besoins de la population45. Malgré ses prétentions d’être des statistiques modernes, ce recensement a-t-il eu un caractère moderne ? Les critères généraux qui définissent les recensements modernes sont : l'existence d'un organisme unique chargé de sa mise en œuvre, l'uniformité et l'universalité des questions pour tous les habitants du
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Ibid., 10‑13. La cédula de vecindad était le document qui permettrait la régularisation de garanties individuelles des habitants dans le plan social et politique, mais sa mise en circulation et son utilisation ont été très irrégulières. Ibid., 18-20 43 Ibid., 14. 44 Cf. : Colombia. Ministerio de Gobierno, Censo general de la República de Colombia levantado el 5 de marzo de 1912. 45 Ibid., 14.
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territoire, la simultanéité de l'enquête et, surtout, l'absence de considérations à caractère religieux, fiscal ou militaire46. Donc, nonobstant sa réalisation dans une seule journée, l’uniformité du questionnaire, et son prétendu potentiel pour guider l’action publique, il n’est pas évident d’inclure ce recensement dans la catégorie des recensements modernes.
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trouve les principaux obstacles dans les questions liées à la race, la religion et la propriété. Mais aussi dans l’insistance à quantifier la population masculine ayant le droit de vote et apte au service militaire. Ainsi, la modernité de ces sources statistiques semble très questionnable, elles sont encore proches d’une grille coloniale47. En outre, comment expliquer l’intérêt porté à la population masculine apte au service militaire ? En raison des fréquentes guerres civiles survenues dans le pays pendant le XIXe siècle, la consolidation d’une armée nationale était une des priorités du gouvernement. L’organisation du service militaire obligatoire fut proposée en 1896 par la loi 167 du 31 décembre. Celle-ci imposait aux hommes âgés de 21 à 40 ans de participer au tirage au sort par lequel seraient choisis les individus nécessaires pour remplacer un tiers du contingent existant. Les municipalités avaient le devoir de préparer les listes des hommes et de les envoyer au ministère de la Guerre, la période du service était de trois ans et ceux qui, par le tirage, échappaient au service militaire devaient payer une contribution économique au ministère48. Cependant, les autorités n’avaient pas les ressources pour mettre en place cette loi, et pendant le conflit de la Guerra de los mil días (1899-1902) la force et la violence furent les moyens privilégiés d'obliger les citoyens à effectuer leur service militaire. La question du service militaire obligatoire est réapparue en 1909, dans la loi 40 du 26 octobre désignant les moyens de formation de l’armée. L’affermissement d’une conscience d’unité nationale et la nécessité d’une défense nationale ont été à la base de cette imposition. Le sujet fut repris dans d’autres réformes, la plus importante étant celle proposée dans le décret 1 144 de 1911 sur la constitution de l’armée. La formation et la mobilisation des premiers contingents dans le cadre du service militaire obligatoire eurent lieu en 191249. 46
Dans le cas argentin, le recensement de 1869 remplissait déjà ces critères. Otero, Estadística y nación, 184. 47 Les priorités des statistiques des recensements d’habitants dans l'ancien régime colonial étaient le contrôle social et religieux de la population, et les besoins budgétaires et d'impôts de l'Empire espagnol. Ibid., 208. 48 República de Colombia, Compilación de las disposiciones que reglamentan el servicio militar obligatorio. (Bogotá: Imprenta Nacional, 1915), 4‑7. 49 Un avis positif sur ce décret fait par le ministre du Gouvernement fut un élément clé dans la mise en œuvre de cette procédure, imposant aux hommes entre 20 et 40 ans un service de quatre mois. Un des arguments centraux du ministre était que des réglementations similaires existaient « dans les nations les plus avancées du monde » et qu’en Amérique latine, l'Argentine, le Brésil et le Chili avaient
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De ce fait, la mise en valeur de certains chiffres du recensement de 1912 dans la publication de ses résultats est un signe incontestable des intérêts pour la population masculine. L’ouvrage contient des données détaillées pour les hommes, mais à l’exception de quelques tableaux sur le nombre des garçons et filles âgés de 7 à 14 ans analphabètes, les chiffres disponibles sur les femmes sont leur nombre par municipalité, par département et le chiffre total au niveau national50. Ceci a permis de dévoiler la différence entre le nombre de femmes et d’hommes dans les départements, un sujet qui n’était pas meneur dans un pays où les constants conflits armés visaient la population masculine. Mais il a laissé de côté, par exemple, le dénombrement des femmes par tranche d’âge, et donc la quantification des femmes en âge de procréer. En ce qui concerne les indigènes, l’opposition ethnocentrique entre « civilisé » et « sauvage » a été à la base du recensement. Sa population fut estimée on ne sait pas à partir de quels critères, et dans les rares cas où elle l’a été, elle apparaissait sous la dénomination de « sauvages » pour l’Intendence del Meta, et « irréductibles » pour celle du Chocó51. La sélection des informations publiées permet de mettre en évidence que l’intérêt général du recensement a été le dénombrement spécifique des citoyens et non la quantification de toute la population52.Une approche plus détaillée du contenu publié du recensement nous permet de souligner d’autres éléments marquants de la statistique colombienne de l’époque. L’ouvrage commence par un rapport de la CCRN sur la législation et l’organisation du recensement. Ensuite, les résultats généraux ont été exposés dans un seul tableau comprenant le nombre d’hommes et de femmes par municipalité, et des informations de type géographique53. Comme l’a remarqué Prieto, le lien entre ces données permettait
déjà légiféré sur le sujet. República de Colombia, Compilación de las disposiciones que reglamentan el servicio militar obligatorio. Quoique la législation colombienne concernant le service militaire ait suivi des transformations, il est encore obligatoire. 50 Une autre exception à cela, on la remarque dans les tableaux du département d’Antioquia et l’Intendencia de la Goajira. Dans les données d’Antioquia, les chiffres de : sachant lire, sachant écrire, assistance à l’école, vaccinés ou non-vaccinés, et celui sur la race comprennent à la foi les hommes et les femmes. Dans ceux de la Goajira, l’information est discriminée par sexe. Ces disparités sont un signe évident des difficultés d’homogénéisation des informations recueillies par les différents conseils départementaux. Colombia. Ministerio de Gobierno, Censo general de la República de Colombia levantado el 5 de marzo de 1912. 51 Ibid., 50. 52 Prieto, « Una anatomía de la población colombiana », 62. 53 Elles comprennent : la distance qui sépare la municipalité de la capitale du pays en myriamètres -dix mille mètres (10 km)- et en kilomètres, l’altitude, la température moyenne, et les coordonnés géographiques. República de Colombia et Ministerio de Gobierno, Censo general de la República de Colombia levantado el 5 de marzo de 1912, 31‑52; L’organisme chargé de prendre ces données géographiques était l’oficina de longitudes (Le bureau des longueurs BL), dépendance du ministère des Affaires étrangères. Les fonctions principales du BL étaient la construction de cartes et l’organisation
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l’articulation entre le regard étatique sur la population avec le regard étatique sur le territoire54. Tous les autres chiffres furent présentés par départements dans des chapitres individuels. Comment interpréter l’absence de tableaux agrégeant les chiffres des différentes catégories de population pour l’ensemble du pays? Bien entendu, une première réponse serait d’invoquer les difficultés d´établir un système unique compte tenu des lacunes du recensement, différentes d’un département à l’autre. Chaque conseil régional, selon sa capacité de manœuvre, devait préparer les tableaux et les envoyer au conseil national, mais la disparité des démarches ne favorisait pas la tâche de celui-ci. Une deuxième explication est l’opposition des départements à l’État central, c'est-à-dire la décentralisation face à la centralisation. Cette opposition, qui a été au centre des débats nationaux tout au long du XIXe et une grande partie du XX siècle, rendait difficile la construction d’une nation colombienne. Les données du recensement ont été publiées de façon désagrégée. Ainsi, pour savoir combien d’hommes savaient lire et écrire, ou combien d’étrangers il y avait dans tout le pays, il faut faire la somme des totaux par départements indiqués dans les différents chapitres du recensement. À nos yeux, la prééminence des données départementales sur celles de caractère national fut renforcé par l’insertion dans la publication de descriptions de chacun des départements —conditions géographiques (superficie, limites), instruction publique, routes, mines, industrie et banques parmi d’autres — et des brèves monographies historiques sur leurs capitales, contribuant à rendre visible les richesses potentielles de chaque territoire. Mais encore une fois, la perspective générale du pays restait difficile à appréhender et la publication des chiffres absolus dépourvus de toute analyse n’a pas facilité la tâche. Les informations démographiques départementales ont été disposées dans quatre types de tableaux ordonnés par municipalité. Le premier type classa les hommes par tranche d’âge, ceux sachant lire, ceux sachant écrire, ceux qui vont à l’école et ceux qui ont été vaccinés. Des renseignements permettant d’estimer la population apte au service militaire et le nombre d’électeurs. La question de la vaccination est sans doute rattachée à la lutte contre la variole, intensifiée par l’accord 6 de 1905, qui empêchait l’inscription des enfants sans certificat de vaccination dans des institutions éducatives du pays55. Si l’on retrouve cette
et la direction des commissions internationales de frontières. Gustavo Montañez Gómez, « Elementos o de historiografía de la Geografía colombiana », Revista de estudios sociales, n 03 (1999): 19‑20. 54 Prieto, « Una anatomía de la población colombiana », 60. 55 Pablo García Medina, Compilación de las leyes, decretos, acuerdos y resoluciones vigentes sobre higiene y sanidad en Colombia, vol. I (Bogotá: Imprenta nacional, 1932), 139‑140.
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question dans les recensements du Chili de 1843, 1885 et 1895, elle semble bien être une singularité des recensements colombiens des premières décennies du XXe siècle56. Un deuxième type de tableau du recensement de 1912 différencia les données par état civil et profession (classification socioprofessionnelle). Selon les organisateurs du recensement, l’analyse de cette dernière catégorie visait l’étude de la population comme « richesse publique », une disposition propre à la statistique du XIXe siècle57. Un troisième modèle de tableau, plus éclectique, présenta les données par race, nationalité, religion, type de travail, et propriétés. Les variables utilisés pour la catégorie « race » faisaient référence aux origines ou à la couleur de la peau : blancs, nègres, indiens, et « mélangés ». En tout cas, la définition de ces variables n’a pas été incluse dans les dispositions du CCRN. Il faut noter aussi que la catégorie de race ne faisait pas partie des critères proposés par les conférences statistiques internationales qui servaient de modèle aux fonctionnaires locaux58. Pour la catégorie « nationalité », on ne trouve d’énumération ni géographique ni linguistique. Les seules options possibles étaient « colombienne », « étrangère », ou « étrangers nationalisés ». L’attention limitée accordée à ce sujet s’explique par le nombre réduit d’étrangers qui habitaient dans le pays. Par rapport à la variable « religion », la forte influence de l'Église catholique, à la suite de la signature du Concordat en 1886, est incontestablement à l’origine de la paire « catholique » ou « autre », dont les chiffres réaffirmaient le caractère catholique de la population59. Quant à la rubrique « type de travail », les variables en étaient : « réalisé sous sa propre tutelle » (travailleur indépendant), « réalisé sous la tutelle d’autres » (employé) et « impossibilité de travailler ». Quoique, selon une disposition du CCRN, il fallait faire un récapitulatif des types d’invalidité physique des personnes qui ne pouvaient pas travailler ou demandaient une protection sociale, il semble que ce sujet ait été abordé de façon indifférenciée et non par type d’invalidité60. L’autre catégorie qui mérite qu’on s’y arrête est 56
Cf: Anexo: Cuadro comparativo de categorías en censos de población. República de Chile, Retratos de nuestra identidad: los censos de población en Chile y su evolución histórica hacia el bicentario, 1. ed (Santiago: Instituto Nacional de Estadísticas - INE, 2009). 57 República de Colombia et Ministerio de Gobierno, Censo general de la República de Colombia levantado el 5 de marzo de 1912, 15. 58 Cf.: Samuel Brown, « Report on the eighth International statistical congress, held at St. Petersburg, o 22nd/10th august to 29th/17th, 1872 », Journal of the statistical society of London 35, n 4 (1872): 431 ‑57. 59 Par exemple, dans l’Intendencia de la Goajira ils furent quantifiés les catholiques, et les autres personnes de la population ont été présumés païens. Ibid., 295. 60 Colombia. Ministerio de Gobierno, Censo general de la República de Colombia levantado el 5 de marzo de 1912, 15.
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l’accès à la propriété. Elle comprenait : propriétaires ruraux, urbains et l’ensemble. Celle-ci permettait de repérer la distribution de la propriété et de circonscrire la population susceptible de voter et d’être sénateur. Car les personnes qui ne savaient ni lire ni écrire mais démontraient un revenu supérieur à $300 pesos colombiens ou une propriété d’une valeur de $1 000 pesos colombiens avaient le droit de vote. Les individus qui voulaient devenir sénateurs étaient obligés de démontrer un revenu supérieur à $1 200 pesos colombiens61. L’intérêt venait aussi de la prémisse que plus il y avait de propriétaires — c’est-à-dire de « personnes riches et prospères » — plus la nation elle-même était riche et prospère62. Le quatrième modèle de tableau publié dans le recensement comprenait les données sur les enfants âgés de 7 à 14 ans en situation d’analphabétisme (ne sachant ni lire ni écrire et non scolarisés). Mais puisque beaucoup de départements n’ont pas donné cette information ou l’ont fait de façon arbitraire, il est impossible de calculer le chiffre pour l’ensemble du pays. Outre les remarques qui viennent d’être faites sur les chiffres publiés, il est indéniable que le recensement de 1912 a été une opération statistique élémentaire. Donc, il est difficile de croire à la production des statistiques qui auraient la possibilité de guider l’action publique comme l’envisageaient les organisateurs du recensement.
3.3 Un voisin sud-américain : Le cas argentin L’histoire des recensements nationaux, en tant que pratique administrative et en tant qu’outil de connaissance et de représentation de la population, est un domaine de recherche qui commence à s’ouvrir dans les pays sud-américains. Dans la dernière décennie, on compte quelques études pour le Brésil, l’Argentine et le Chili63. Celles sur l’Argentine et le Chili s’interrogent sur les rapports entre les statistiques de recensement et la construction de la nation. Avec ces deux nations, la Colombie partage un passé colonial commun et un processus d’indépendance de l’Empire espagnol pendant la décennie 1810. L’étude argentine a attiré en particulier notre intérêt car elle analyse aussi les transformations des organismes chargés de la
61
« Historia del congreso de la República de Colombia », Senado de Colombia, consulté le 15 avril 2013, http://www.senado.gov.co/el-senado/historia. 62 Colombia. Ministerio de Gobierno, Censo general de la República de Colombia levantado el 5 de marzo de 1912, 18. 63 Tarcísio Rodrigues Botelho, « Censos nacionais brasileiros: da estatística à demografia », in Estatísticas nas Américas: por uma agenda de estudos históricos comparados (Rio de Janeiro: IBGE , Centro de Documentação e Disseminação de Informações, 2010), http://biblioteca.ibge.gov.br/visualizacao/livros/liv44323.pdf; Nelson de Castro Senra, « Síntese da ‘História das Estatísticas Brasileiras: 1822-2002’ feita no IB E, com sugestões de pesquisas », in Estatísticas nas Américas: por uma agenda de estudos históricos comparados (Rio de Janeiro: IBGE , Centro de Documentação e Disseminação de Informações, 2010), http://biblioteca.ibge.gov.br/visualizacao/livros/liv44323.pdf; Otero, Estadística y nación; República de Chile, Retratos de nuestra identidad.
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statistique nationale et les changements de finalité des chiffres. Nous avons comparé l’histoire des recensements en Argentine et en Colombie pendant la seconde moitié du XIXe siècle et les premières décennies du XXe siècle. Malgré son caractère schématique, cette comparaison nous aide à mieux comprendre la situation des statistiques censitaires en Colombie. Pendant les années 1860, la Colombie a échoué dans ses tentatives de quantifier sa population — souvenons-nous que le recensement de 1864 n’a pas été réalisé à la même date dans tous les États, et trois ont fait des extrapolations démographiques — tandis que pour l’Argentine la situation était tout autre. En fait, l’historiographie considère son recensement de 1869 comme la première activité de recensement de type moderne dans le pays par l'uniformité et l'universalité des questions pour tous les habitants du territoire, la simultanéité de l'enquête et, surtout, l'absence de considérations de caractère religieux, fiscal ou militaire64. Or, si dans le recensement colombien de 1870 ces derniers types de questions ne sont plus présents, la période sur laquelle s’est déroulée l’enquête a été de trois mois et, en outre, une partie des résultats partiels présentent des incohérences numériques importantes sans aucune explication, attestant des complications techniques de compilation des données65. En Colombie, pendant la période intercensitaire 1870-1905 plusieurs guerres civiles se sont déroulées (1876-1877 ; 1884-1885 ; 1895 ; 1899-1902), de sorte que la situation politique et sociale du pays était très turbulente, tandis qu’en Argentine se consolidait un cadre d’institutions techniques et scientifiques qui a facilité la circulation des connaissances et l’établissement d’un système unique et durable de collecte de données sociales. En plus, la laïcisation des registres paroissiaux de baptêmes, mariages et décès à la fin du XIXe siècle, a donné à l’Argentine le contrôle effectif du recueil des données primaires66. Situation totalement opposée à celle de la Colombie où le contrôle de ces registres appartient aux autorités ecclésiastiques jusqu’au milieu des années 1930 et où les fréquentes restructurations du service national de statistique n’ont pas favorisé une telle consolidation67. Par ailleurs, en Argentine, l’exécution des nombreux recensements en province et nationaux de type sectoriel après le recensement de la population de 1869 a conduit à un intense processus de tests d’essais et erreurs des instruments de recueil et de mesure, ce qui a permis un meilleur niveau technique et organisationnel du recensement de 1895. Tandis qu’en 64
Otero, Estadística y nación, 184‑190.
65
Gómez, « Los censos en Colombia antes de 1905 », 16‑17.
66
Otero, Estadística y nación, 181‑190. Le décret 540, ordonnant de nouvelles dispositions légales sur l’état civil, chargeait aux notaires et aux secrétaires des conseils municipaux de suivre les registres de l’état civil des habitants. República de o Colombia, « Decreto número 540 de 1934 (marzo 13) por el cual se reglamenta el título 20 del libro 1 del código civil y otras disposiciones sobre registro del estado de las personas », Diario oficial, 8 avril 1934.
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Colombie l’élaboration de celui de 1905 a rencontré tellement de problèmes techniques et d’extension que les chiffres n’ont vu la lumière qu’en 191768. Les deux nations latino-américaines ont mené des recensements de population dans les années 1910 pour le centenaire de leur indépendance. Sans prétendre faire une analyse comparative approfondie, on note un décalage entre l’organisation et la production des deux recensements. Celui de la Colombie, effectué en 1912, n’a pas compté avec le soutien d’une structure organisationnelle préexistante pour son déroulement, son but a été la quantification de la population masculine ayant le droit de vote et apte au service militaire, et parmi les catégories d’analyse, on en retrouve quelques-unes appartenant encore à une grille coloniale (race et religion). Par contre, celui de l’Argentine, réalisé en 1914, a pu compter sur la participation de statisticiens officiels réputés, une Direction de statistique constituée depuis deux décennies et une énorme machine administrative pour son déroulement. Sans autre prétention que statistique, ce recensement a enquêté sur la population, mais aussi sur le commerce, l’industrie, l’agriculture, l’élevage, les moyens de transport, de communication, l’instruction publique, entre autres. Si ces deux recensements étaient à mi-chemin entre les pratiques de la statistique du XIXe siècle et les conceptions modernes standardisées de la statistique internationale, en Argentine la consolidation d’un système unique et durable de production de statistique nationale a précédé de quelques décennies celui de la Colombie.
3.4 Le recensement de 1918. Des chiffres modernes ? L’historiographie nationale a pris l’année 1915 comme début de la modernisation de la statistique colombienne. Les raisons invoquées sont les réformes engagées par le gouvernement pour centraliser la statistique nationale et l’apparition des annuaires statistiques69. Un regard moins enthousiaste révèle que si la loi 63 de 1914 tenta de renforcer la DGS et créa des directions subordonnées dans tous les départements du pays70, la mise en place de cette structure administrative n’a pas été très rapide, ni d’ailleurs la production des annuaires. Depuis sa création en 1906, la DGS était rattachée au ministère des Finances et du Trésor. En 1917, et d’après les paroles de son directeur Alberto Schlesinger71, « l’organisation
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Otero, Estadística y nación, 197‑200; Vidales, Historia de la estadística en Colombia, 75‑78. Vidales, Historia de la estadística en Colombia, 79. 70 Carlos Lleras Restrepo, La estadística nacional: su organización, sus problemas (Bogotá: Imprenta Nacional, 1938), 7‑8. 71 Il fut le directeur de la D S jusqu’à 1924. Après, il occupa le poste de consul de Colombie à ênes. Il appartint à une famille aisée et liée au secteur de la statistique nationale, son père fut Anthony John Schlesinger. Luis Álvaro Gallo Martínez, Inmigrantes a Colombia: personajes extranjeros llegados a Colombia (Bogotá, 2011), 438; Iván Restrepo Jaramillo, « Genealogías de Antioquia y Colombia », 69
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des statistiques était indispensable pour élaborer un plan financier, scientifique et juste, capable de résoudre les problèmes liés au progrès et à la sécurité de la République, comme celui du service militaire obligatoire »72. L’identification administrative du territoire était aussi une des priorités, de sorte qu’en 1917 fut publié un guide territorial, administratif, politique et judiciaire du pays. Ce guide était un inventaire de toutes les municipalités du pays indiquant la présence d’un bureau de poste, l’existence d’un bureau télégraphique, l’échelon notarial, judiciaire et électoral, et les chiffres de la population selon les recensements de 1905 et 191273. Des informations pertinentes pour le déroulement des élections présidentielles de 1918. La non-approbation par le congrès colombien du recensement de 1912 n’a pas empêché l’utilisation de ses chiffres, mais fut une des raisons de la réalisation d’un nouveau recensement. Ainsi, par la loi 67 de 1917 furent ordonnées la réalisation de celui de 1918 et l’exécution de cette pratique de quantification tous les 10 ans74. Dans le recensement de 1918, accompli sous le gouvernement conservateur de Marco Fidel Suare , l’identification de la population susceptible de voter et d’effectuer le service militaire fut encore la priorité. La grille n’a pas connu de changement, les catégories d’analyse étaient les mêmes qu’en 1912, mais grâce au fonctionnement de la D S et à l’existence d’un certain nombre de fonctionnaires dédiés, ou du moins habitués à la compilation de données statistiques, le décompte et l’organisation des données du recensement furent effectués de manière un peu plus ordonnée. Le personnel des bureaux de statistique municipale a participé au déroulement du recensement, et dans les municipalités où ces bureaux n’existaient pas, les personnes « réputées » de la population était invitées à prendre part aux commissions du recensement. Parmi les personnes dites « réputées », la présence des curés de paroisses n’était pas négligeable. La DGS, qui avait fait, comme travail préliminaire, une révision des résultats du recensement de 1912, proposa de nouvelles dispositions concernant la distribution et la récupération des formulaires, les méthodes de recueil, la division des tâches, les
GeneaNet, consulté le 13 juin 2013, http://gw.geneanet.org/ivanrepo?lang=es&p=antony+john&n=schlesinger+denny. 72 República de Colombia et Dirección general de estadística, Anuario estadístico 1915 (Bogotá: Imprenta Nacional, 1917). V 73 Tomás Angulo C. et Nicolás Aristizábal, Guía territorial, administrativa, política y judicial de Colombia (Bogotá: Imp. de La Luz, 1917), http://www.banrepcultural.org/blaavirtual/geografia/guia-territorialadministrativa-politica-y-judicial-de-colombia. 74 República de Colombia et Contraloría general de la República, Memoria y cuadros del censo de 1928 (Bogotá: Editorial Librería nueva, 1930), 9.
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nomenclatures et les caractéristiques qui, selon son directeur, « servaient à classer et à étudier les habitants d’un pays civilisé »75. Le regard péjoratif sur la population indigène n’a pas changé et leur quantification comme collectif indifférencié, sous la rubrique « tribus sauvages », fut encore une fois un travail réservé aux missionnaires catholiques. Par ailleurs, et à la différence du recensement de 1912, dans lequel les habitants des trois léproseries existantes ont été quantifiés sans distinction entre malades et sains, pour celui de 1918 cette division fut obligatoire. La population fut aussi analysée sous les catégories « population de fait », « population de droit », « population flottante » et « population agglomérée », toutes reprises des directives internationales76. Il faut noter que, pour agréger les données, une quinzaine de formulaires furent préparés par la DGS77. Leur construction est révélatrice de l’intérêt des fonctionnaires pour la composition de la population tout entière dans ses différents aspects. Brièvement, les contenus des formulaires étaient : Tableau 1. Bulletin du recensement, dans lequel toute l’information était consignée. Tableau 2. Les listes nominatives des hommes recensés avec l’âge, le degré d’instruction, la nationalité, le lieu de résidence et le type de population. Ces listes étaient destinées aux conseils électoraux et au service militaire. Tableau 3. Les listes de femmes avec les mêmes informations que précédemment. Tableau 4. Les habitants par sexe, âge et état civil. Cette Information permettait d’établir la distribution par âge de la population, une nouveauté par rapport aux recensements précédents. À cet effet, ils ont eu recours à la distribution proposée par Bertillon par tranches de 5 ans d’âge : 0-1, 1-4, 5-9, 10-14, 15-19, 2024 et ainsi de suite jusqu’à 100 ans. Tableau 5. Les habitants selon le sexe, l’âge, le niveau d’éducation, la fréquentation scolaire et la vaccination. Ce qui permettait d’estimer le niveau d’alphabétisation de la population et de surveiller l’effectivité des programmes de vaccination pour la population scolaire du pays. Tableau 6. Habitants par profession et race, signalant les propriétaires, les travailleurs indépendants et les travailleurs employés. Des données qui pouvaient être utilisées pour analyser la relation entre l’origine, le type de travail et l’accès à la propriété. Tableau 7. Les habitants selon la patrie et la religion. Tableau 8. Les habitants avec des défauts physiques et mentaux, peut-être pour quantifier les personnes non aptes au 75
República de Colombia et Departamento de contraloría, Censo de población de la República de Colombia levantado el 14 de octubre de 1918 y aprobado el 19 de septiembre de 1921 por la ley 8a. del mismo año (Bogotá: Imprenta nacional, 1924), 10. 76 Pour éviter les erreurs et prévenir les répétitions, il fallait faire la distinction entre a. Population de fait (actual population) b. Population de séjour habituel (of usual residence). c. Population de droit ou légale (legal population). Brown, « Report on the eighth International statistical congress, held at St. Petersburg, 22nd/10th august to 29th/17th, 1872 », 443. 77 República de Colombia et Departamento de contraloría, Censo de población de la República de Colombia levantado el 14 de octubre de 1918, 6.
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travail. Les tableaux 9-13 étaient les mêmes que les tableaux 4-8, mais ils récapitulaient les données des départements, des Intendencias et des Comisarías. Le tableau 14 présentait les données départementales par province et municipalité, concernant le sexe, l’âge, l’état civil, la fréquentation scolaire et la vaccination. Le tableau 15 condensait l’information par départements selon le sexe, l’occupation, l’emploi, la race, la propriété, la nationalité, la religion, et les défauts physiques et mentaux. La quantification de la population présentant des défauts physiques et mentaux n’a pas été une particularité du recensement colombien. Elle faisait partie du questionnaire suggéré, en 1872, par le VIIIe Congrès international de statistique réuni à Saint Petersburg78. Ainsi, cette question on la retrouve, par exemple, dans les recensements canadiens des années 1881, 1891, 1901, 1911, dans lesquels furent quantifiés les aveugles, les sourds-muets et les aliénés. Néanmoins, il faut préciser que les fonctions effectives de ces quantifications n’ont pas été les mêmes. Au Canada, la question s’inscrivait dans une approche plus large, car on cherchait à analyser si les défauts avaient une origine héréditaire. En conséquence, le recenseur devait souligner l’âge auquel la personne avait été rendue invalide par l’infirmité. Dans les premiers recensements, en cas de défaut congénital, les données devaient être distribuées par sexe, âge, état civil, origine raciale et lieu de naissance parmi d’autres variables. Mais ensuite, ces informations ont été consignées pour tous les cas, indépendamment de l’âge d’apparition du handicap79. En revanche, en Colombie, la quantification des personnes présentant des défauts physiques et mentaux cherchait à établir quelle était la population incapable de travailler, donc le chiffre n’en était pas discriminé par une quelconque variable, même pas par celle du type de handicap. Les résultats du recensement de 1918 ont été approuvés par le Congrès de la République en septembre 1921, et la première publication est parue en 1923. Celle-ci comportait seulement le chiffre des hommes de moins de 21 ans et ceux de plus de 21 ans distribués par municipalité et par département. Quantification de toute première importance, 78
Le questionnaire proposait : a. Nom et prénom ; b. Sexe ; c. Age ; d. Rapport avec la tête de la famille et du ménage ; e. État civil ou état conjugal ; f. Profession ou métier ; g. Religion professée ; h. Langue parlée ; i. La connaissance de la lecture et de l’écriture ; j. Origine, le lieu de naissance et la nationalité ; k. Résidence habituelle, la nature de la résidence, et l’endroit où le recensement a eu lieu ; l. Si aveugle, sourd - muet, crétin, imbécile, ou faible d’esprit. Brown, « Report on the eighth International statistical congress, held at St. Petersburg, 22nd/10th august to 29th/17th, 1872 », 444. 79 Canada. Census and Statistics Office et Archibald Blue, Fifth Census of Canada, 1911. Volume II. Population (Ottawa: Printed by C. H. Parmelee, 1912), http://archive.org/details/fifthcensusofcan02cana; Canada. Dominion Bureau of Statistics, Sixth ensus of anada : Bulletin., 1921, http://archive.org/details/1921981921P21921eng; Canada. Census and Statistics Office, Sixth Census of Canada, 1921. Volume II. Population, 1925, http://archive.org/details/1921981921FV21925engfra. Dans le recensement de 1921, la classification considéra «les aliénés » et les « idiots ».
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car les fraudes électorales étaient très fréquentes et la loi disposait qu’au moment des scrutins électoraux, les comités devaient annuler les élections si le nombre de votes était supérieur au nombre de citoyens habilités à voter dans la municipalité. Paradoxalement, la distribution d’âge de Bertillon utilisée pour décompter les données, et prescrite par les critères internationaux ne permettait pas d’établir de façon nette le nombre d’hommes de plus de 21 ans, de sorte que les fonctionnaires colombiens étaient forcés d’estimer le chiffre80. Illustration 2. Recensement de la population 1918
SOURCE : República de Colombia, et Departamento de contraloría. Censo de población de la República de Colombia levantado el 14 de octubre de 1918 y aprobado el 19 de septiembre de 1921 por la ley 8a. del mismo año. Bogotá: Imprenta nacional, 1924
En 1924 furent publiés les résultats du recensement concernant toute la population (hommes et femmes) (Illustration 2). Malgré les 15 formulaires préparés par la DGS pour le 80
República de Colombia et Dirección general de estadística, Censo de población de la República de Colombia, levantado en octubre de 1918 con especificación de los varones mayores y menores de 21 años (Bogotá: Imprenta Nacional, 1923).
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décompte des données, dans l’ouvrage publié, l’information par département fut condensée dans 4 modèles différents de tableaux. Ceux-ci ne permettaient pas le croisement de variables et du point de vue de la pratique, ils limitaient l’utilisation des chiffres. Un élément significatif de l’évolution de ce recensement, par rapport à celui de 1912, est l’apparition de tableaux récapitulatifs pour l’ensemble de la République : 1) les chiffres comparatifs par département des recensements de 1912 et 1918, 2) la distribution par âge de la population selon le sexe et 3) l’état civil, l’instruction publique, l’assistance à l’école et la vaccination81. L’apparition de tableaux récapitulant des chiffres et des informations pour l’ensemble de la République, pratique très fréquente depuis des années dans les recensements d’autres pays, est à nos yeux un des efforts des autorités nationales pour conforter quantitativement l’image d’un État capable de rendre compte de sa population et de son territoire, et par ce biais, de construire une nation colombienne. Un désir poursuivi depuis l’indépendance. Il faut souligner aussi une autre nouveauté de l’ouvrage publié. L’apparition, dans les données géographiques, d’un inventaire des municipalités organisé par ordre alphabétique, qui juxtaposait les données des recensements de 1912 et 1918 et indiquait la croissance ou la décroissance de la population en chiffres absolus et en pourcentage82. Les conflits entre le pouvoir central et les pouvoirs locaux Les décisions approuvées par le conseil central du recensement de 1918 n’ont toujours pas été suivies par les départements avec satisfaction. Le cas du bureau de statistique municipal de Medellin, capitale du département d’Antioquia, est un bon exemple des conflits entre le pouvoir central et celui de la périphérie. Ce bureau fut créé en 1914 et malgré les difficultés initiales, en 1916 il disposait d’un fonctionnaire, oficial de estadística (officiel de statistique) dédié exclusivement aux activités statistiques de la municipalité. Cela permettait le recueil des données exigées par le gouvernement national et la production de statistiques d’intérêt local83. Il comptait aussi deux conseillers, les ingénieurs Alejandro López (1876-
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Le tableau qui compare les chiffres des recensements discrimine les données par sexe (homme, femme, non différencié + tribus ou indigènes), indique l’augmentation ou la diminution de la 2 population, la proportion d’hommes pour 1000 femmes et la densité de la population par km . República de Colombia et Departamento de contraloría, Censo de población de la República de Colombia levantado el 14 de octubre de 1918, 390‑410. 82 Dans cet inventaire il fut aussi enregistré : l’existence d'un bureau de la poste, l’existence d'un bureau télégraphique, l’année de fondation, la distance en relation avec la capitale, la température moyenne, la latitude, la longitude, le circuit de notaires dont il fait partie, le circuit judiciaire dont il fait partie et le circuit électoral dont il fait partie. República de Colombia et Departamento de contraloría, Censo de población de la República de Colombia levantado el 14 de octubre de 1918. 26-128. 83 Oficina de estadística municipal, Anuario estadístico del distrito de Medellín (1915) (Medellín: J. L. Arango, 1916), 5‑6.
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1940)84 et Jorge Rodriguez (1875-1948)85. En 1912, Lópe avait introduit l’enseignement de la statistique dans l’Escuela nacional de minas et, en 1915, il publia en compagnie de Rodriguez une Estadística de Antioquia. Cet ouvrage, qui présentait des statistiques économiques régionales, incluait une traduction des Eléments de statistique de Fernand Faure (1853-1929), professeur à la Faculté de droit de Paris86. En avril 1918 fut créée la Commission municipale du recensement (CMR), composée du maire de la ville, du président du Conseil municipal, du personero (défenseur municipal), et de trois fonctionnaires du bureau de statistique : López, Rodríguez et Manuel T. Yépez. Le recensement à Medellin a été fait dans la nuit du 14 au 15 octobre, où les chefs de famille ont rempli les cédulas ou bulletins déposés par la Direction générale du recensement (DGR). Selon l’avis de la CMR de Medellin, les bulletins « étaient mal préparés car ils contenaient plusieurs études inutiles ou difficiles à réaliser avec exactitude », mais ils étaient obligés de suivre les directives de la DRG87. Au moment de la publication des données du recensement municipal dans l’annuaire de statistique de Medellín en 1919, le vice-président de la CMR, Alejandro López, reconnaissait que les données de toutes les variables des bulletins avaient été recueillies à l’exception des professions, car celles-ci ne rentraient pas dans une « classification scientifique » et les données premières étaient déficientes88. De la même façon, la CMR avait décidé unilatéralement de ne pas recopier les bulletins sous forme de listes comme l’avait demandé la DGR car cette démarche était très coûteuse et peu informative. Par contre, ils ont proposé des 84
En 1899, il a fini ses études de génie civil à l’Université d'Antioquia et en 1908 celles de génie minier à l’École Nationale des Mines. Comme professeur de cet établissement, il dédit près d’une décennie à la diffusion et l’application pratique des théories administratives de F. W. Taylor et d’Henri Fayol. En sachant qu’il était difficile d’appliquer le taylorisme sans une connaissance minimale de la statistique, il a consacré une partie de son temps à l’'enseignement de cette discipline. En 1910, il s’'est aventuré dans la politique régionale et devint député à l’'Assemblée d’Antioquia et ensuite Conseiller municipal. En 1921, il s'installe en Angleterre où il a vécu jusqu’'en 1935. Alberto Mayor Mora, « Alejandro López », Biblioteca virtual del Banco de la República, 2004, www.banrepcultural.org/blaavirtual/biografias/lopealej.htm. 85 Diplômé en tant que professeur de mathématiques à la Faculté de mathématiques et de génie, à Bogota en 1896 et ingénieur civil en 1897. Il a suivi des stages en France et en Angleterre. Il a été professeur de mathématiques à l'Ecole des Mines, pour environ 47 ans, où il a également été membre du Conseil d'administration et recteur. En 1928, il a publié, pour la première fois, son livre Lecciones de estadística. 86 Le texte de Faure reprenait l’idée de la statistique comme une façon d’observation des phénomènes sociaux. Alberto Mayor Mora, « La Escuela nacional de minas de Medellín y los orígenes de la o estadística en Colombia, 1900-1940 », Revista Colombiana de estadística 25, n 2 (2002): 75‑78. 87 Selon López, le but de la publication de ce recensement municipal était de résumer quelques tableaux, les commenter et les expliquer à tous et ainsi fournir les services auxquels ces statistiques étaient destinées. Oficina de estadística municipal, Anuario estadístico del distrito de Medellín 1918 (Medellín: J. L. Arango, 1919), 5. 88 Oficina de estadística municipal, Anuario estadístico de Medellín 1918.
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comptages supplémentaires par rapport à ceux qui avaient été exigés par la D R qu’ils trouvaient plus pertinents pour la municipalité. Ainsi par exemple, ils ont quantifié les enfants âgés de 7 à 14 ans qui n’assistaient pas à l’école, question qui permettait d’établir la quantité d’enfants « grandissant dans l’ignorance » et les districts qui présentaient un manque d’écoles. La CMR a aussi compté le nombre d’hommes de plus de 21 ans, indiquant ceux sachant lire et écrire, un chiffre décisif par ses fins électorales et civiles. En conséquence, López notait avec inquiétude que le recensement avait compté 15 770 individus sachant lire et écrire, mais pour les suffrages précédents il y avait plus de 20 000 inscrits dans les listes électorales89. Parmi les autres points critiqués par la CMR, il y avait la vaccination et la race. Supposant que les personnes répondaient correctement qu’ils étaient vaccinés ou pas, Lopéz argumentait que la question était inutile, car elle n’indiquait pas le type de vaccination (variole, fièvre typhoïde, autre), et en plus il se demandait si c’était la même chose, du point de vue de la santé publique, d’être vacciné depuis un an ou depuis 10 ans90. Puisque la vaccination contre la fièvre typhoïde demandait un rappel, les critiques de López étaient bien fondées91. Quant à la question de la race, il considérait qu’il était difficile pour la plupart des gens de savoir, de façon stricte, s’ils étaient blancs, noirs, indigènes ou mélangés. De sorte que ces catégories, utilisées plutôt pour marquer des différences d’ordre social, n’apportaient pas grand-chose aux études démographiques92. La disparition de ces deux questions dans le recensement de 1928 ne semble pas arbitraire. Quant à la première, les discussions et les incertitudes liées aux divers procédés d’immunisation s’inscrivaient dans un contexte mondial de méfiance, certains vaccins étant même dénoncés parfois comme peu efficaces ou même risqués, tel que celui de la vaccination d’humains contre la fièvre typhoïde et la tuberculose (BC )93. Même si la variolisation était standardisée et mondialement acceptée et obligatoire dans la plupart des pays, la grande diversité des réactions aux microorganismes et produits biologiques préventifs provoquait plus de doutes que de certitudes : faible quantité de vaccins prouvés ; doutes sur la durée de l’immunité et sur la nécessité de la revaccination ; doutes sur les effets non désirés. 89
Afin de faire une contribution à « la statistique moral » de la ville, la CMR de Medellín a aussi quantifié les femmes non mariées âgées de 15 à 48 ans. Ibid., 24‑25. 90 Ibid., 8. 91 Pablo García Medina, « Sexta conferencia sanitaria internacional panamericana de Montevideo. Informe presentado por el delegado de la República de Colombia », Repertorio de medicina y cirugía o XII, n 140 (1921): 415‑416. 92 93
Oficina de estadística municipal, Anuario estadístico de Medellín 1918, 7‑8. Derek S. Linton, « Was typhoid inoculation safe and effective during world war I? Debates within o German military medicine », Journal of the history of medicine and allied sciences 55, n 2 (2000): 101‑ 33; Christian Bonah, « Packaging BCG: standardizing an anti-tuberculosis vaccine in interwar Europe », o Science in context 21, n 02 (2008): 279‑310.
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Quant à la seconde critique, les doutes concernant l’influence des caractéristiques raciales sur l’état biologique présent ou futur de la population colombienne étaient très répandus parmi le corps médical colombien. L’opposition aux thèses eugénistes allait grandissant et avait déjà certaines répercussions politiques comme le refus de légiférer à ce propos94.
3.5 Des chiffres non approuvés : le recensement de 1928 L’organisation de la statistique nationale a subi des transformations considérables pendant la période intercensitaire 1918-1928. En 1923 a visité la Colombie une mission américaine chargée par le gouvernement national de réorganiser les finances du pays et de proposer un plan pour l’exécution budgétaire de l’indemnisation reçue pour la perte de Panama. Edwin W. Kemmerer, professeur réputé de l’Université de Princeton et expert dans des affaires bancaires et monétaires, était le directeur de la mission, composée par Heward M. Jefferson, expert dans la création de banques, Fred Roger Fairchilds, expert dans les systèmes de revenus, Rusell Lill, expert en comptabilité, contrôle et organisation financière et Frederick Bliss Luquiens qui était le secrétaire. Parmi d’autres propositions, la mission a recommandé une réforme du fisc, la création d’une banque centrale et du Departamento de la Contraloría (DC). La création d’un département d’administration indépendant pour s’occuper de la comptabilité officielle suivant le modèle anglo-saxon du Comptroller General, appliqué depuis plusieurs années en Angleterre et mis en place aux États-Unis en 192095. Dans son ouvrage sur l’histoire de la statistique en Colombie, Vidales a suggéré que la centralisation des statistiques fut proposée par la mission Kemmerer. Néanmoins, le mémorandum de l’entrevue entre Kemmerer et le chef de la Direction générale de statistique en Colombie, Alberto Schlesinger, démontre que, tout au contraire, ce fut le fonctionnaire colombien qui avait présenté le projet de réorganisation des statistiques. Puisque ce projet de réforme n’avait pas encore été adopté par une des chambres du Congrès, Schlesinger réclamait l’aide de Kemmerer pour insister auprès du gouvernement sur la pertinence de cette réorganisation. Un des sujets discutés entre les deux fonctionnaires fut les retards dans la publication des statistiques. La publication des résultats du recensement de 1918 avait décalé la publication d’autres statistiques. Kemmerer souligna la nécessité de publier de façon rapide et régulière les statistiques, même en y sacrifiant l'exactitude. Schlesinger déclara que la surcharge de travail de l’imprimerie nationale prolongeait les délais de publication, mais qu’il 94
Carlos Ernesto Noguera R., Medicina y política: discurso médico y prácticas higiénicas durante la primera mitad del siglo XX en Colombia (Medellín: Universidad Eafit, 2003), 74‑80. 95 República de Colombia, Leyes presentadas al gobierno de Colombia por la Misión de expertos financieros americanos y exposición de motivos de éstas (Bogotá: Editorial de cromos, 1923), 132‑133.
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espérait que la centralisation des statistiques faciliterait cette démarche. Selon Schlesinger, le fonctionnement du bureau de la statistique se voyait aussi perturbé à cause de l'affectation des employés par des appartenances politiques et des bas salaires qui empêchaient le recrutement de personnel bien qualifié96. Les recommandations des experts étrangers furent acceptées et, par la loi 42 de 1923, fut créé le DC qui regroupa dans le même organisme la Cour des comptes, le Bureau général des comptes, le Bureau national de statistique et le Bureau central d’ordonnances du ministère des Finances. La fonction principale du DC consistait à superviser la gestion des fonds publics, établir les comptes nationaux, et centraliser les statistiques officielles97. La centralisation des statistiques paraissait une reforme indispensable pour le pays. Des propos de la mission Kemmerer étaient en empathie avec ces idées : « Les statistiques révèlent les données fondamentales concernant les ressources de la nation, leur commerce, leurs industries, leurs transports, leurs finances et leurs problèmes de santé. Grâce à des statistiques, le peuple colombien peut connaître sa situation économique et apprécier ses progrès commercial et industriel. Pour les étrangers qui ont l'intention de faire des affaires en Colombie ou qui investissent dans des titres colombiens, les statistiques officielles sont le principal moyen de former leur opinion sur le pays »98. En 1925 fut ordonnée l’édition mensuelle du bulletin de la Contraloría consacré à la publication des circulaires sur les normes comptables des finances publiques, les grandes décisions du Contralor, le mouvement des différentes sections, la liste des communiqués et des contrats, les ordres de paiement, les requêtes résolues et d’autres tâches en cours d’exécution par le Département administratif99. Cette même année et par une réorganisation sanitaire, la Dirección nacional de higiene y asistencia pública (Direction nationale d’hygiène et assistance publique DNHAP,) organisme étatique chargé de l’hygiène, fut désignée comme responsable du suivi des statistiques démographiques et nosologiques du pays100. Mais comme nous le verrons dans un autre chapitre de cette recherche, la création du service de statistique 96
Kemmerer était particulièrement intéressé par la publication des statistiques du commerce extérieur. Edwin Walter Kemmerer, Kemmerer y el Banco de la República: diarios y documentos, éd. par Adolfo Meisel Roca, Alejandro López Mejía, et Francisco Ruiz (Bogotá: Banco de la República, 1994), 199‑201. 97 La Corte de Cuentas, la Dirección general de contabilidad, la Oficina nacional de estadística y la Oficina central de ordenaciones del Ministerio del Tesoro. República de Colombia et Ministerio del Tesoro, « Ley 42 de 1923 (julio 19) sobre la reorganización de la contabilidad oficial y la creación del Departamento de la Contraloría », Diario oficial, 26 juillet 1923. 98 República de Colombia, Leyes presentadas al gobierno de Colombia por la Misión de expertos financieros americanos y exposición de motivos de éstas, 145. 99 Le premier numéro du bulletin est paru en 1927. Contraloría general de la República, « Nota o editorial », Boletín de la contraloría general de la República 1, n 1 (1927): 2. 100 República de Colombia, “Ley 15 de 1925 (enero 31) sobre la higiene social y la asistencia pública,” Diario oficial no. 19821 (February 25, 1925): 223.
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vitale devra faire face au manque de personnel qualifié et à des difficultés budgétaires. En plus, son appartenance à la DNHAP ne sera pas très longue, car en 1934 la Contraloría sera encore une fois l’entité chargée de ces statistiques. Quant à l’organisation de la statistique nationale, d’autres changements s’imposaient. Tandis que les Directions subordonnées de statistique (DSS), conçues par la réforme de 1915, fonctionnaient, quelques départements ont commencé à créer de façon indépendante des Directions départementales de statistique (DDS). Ces bureaux avaient un programme plus ou moins similaire à ceux des DSS, et ils fournissaient les mêmes renseignements. Mais l’apparition de divergences dans les résultats engendrait des situations conflictuelles entre les deux organismes. Les rivalités entre ces deux institutions n’étaient pas rares. Les disputes venaient souvent de savoir qui, du pouvoir central ou départemental, détenait le contrôle de chaque bureau et de ses fonctionnaires. Le différend sera gagné ultérieurement par les départements. Ainsi, par le décret 568 de 1926, et pour mettre un terme à la redondance de leurs travaux, les DSS furent abolies, et les DDS ont été rattachés à la direction technique de la Direction générale de statistique101. À la recherche d’une mise en œuvre plus efficace des fonctions et d’une plus grande unité des activités, le DC a subi une restructuration interne en 1928. Les 8 sections existantes ont été fusionnées dans les trois suivantes : la oficialia mayor (le bureau administratif), la Section des comptes et la Section de statistique. Cette dernière était responsable de la statistique de la nation et chargée de demander aux différents bureaux de statistique des entités administratives du pays de faire parvenir les données nécessaires pour la compilation des chiffres. La Direction du recensement appartenait à cette section102. Le détachement de la direction de statistique du ministère des Finances et son incorporation au DC fut aussi utilisé par les fonctionnaires pour transformer l’image, très enracinée dans la population, des intérêts fiscaux et militaires sous-jacents aux enquêtes statistiques de type démographique. Étant donné que la loi ordonnait la réalisation d’un recensement de la population tous les dix ans, le suivant était prévu pour 1928. Mais le déroulement de ses travaux n’a pas été optimal. Le gouvernement était confronté à une situation politique et fiscale complexe. Les flux de capitaux américains s’étaient beaucoup amoindris et l’on prévoyait un déficit budgétaire élevé. Le parti libéral avait lancé une forte campagne contre la politique économique du gouvernement, et les conservateurs connaissaient des conflits internes importants. En outre, la situation sociale était très tendue, le développement des grèves des 101
Charry Lara, Desarrollo histórico de la estadística nacional en Colombia, 52. Contraloría general de la República, « Nueva reorganización de la Contraloría », Boletín de la o contraloría general de la República 2, n 9 (1928): 4‑6.
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employés des différents secteurs productifs et de services fut catalogué par le pouvoir comme une menace « socialiste » qui visait la stabilité du gouvernement. Pour lutter contre cette menace, et face à l’opposition des sénateurs libéraux, la majorité conservatrice adopta la loi 69 de 1928. Elle interdisait toute organisation formée pour attaquer la légitimité du droit de propriété et punissait la publication d’annonces en faveur de ce type d’organisation. Les tensions entre partisans du parti conservateur et partisans du parti libéral se sont intensifiées à cause des élections législatives, de représentants et de conseilleurs municipaux qui devaient se dérouler en 1929103. Bref, le scénario de l’exécution du recensement de 1928 n’a pas été idéal. La DR a commencé à fonctionner en mars et les Conseils Départementaux du Recensement (CDR) ont été installés entre les mois de juin et de juillet, à l’exception de quelques départements où, selon le chef de la DR, elles ont été faites tardivement ou de façon inefficace. Mais si l’on tient compte que la date du recensement était initialement prévue au mois d’octobre, et qu’ensuite elle fut décalée au mois de novembre, la période de préparation fut en effet très courte. L’exécution du recensement était à la charge de la Contraloría, de la DR, des inspecteurs départementaux, des CDR — composés du Contralor du département, du directeur départemental de statistique, d’un curé choisi par le diocèse et de trois citoyens choisis par le gouverneur —, et des Conseils Municipaux du Recensement (CMR). Ces derniers — composés du directeur et du secrétaire du Conseil municipal, du maire, du curé de la localité et du directeur de l’école de garçons— désignait les inspecteurs municipaux, les commissaires municipaux et les visiteurs officiels104. L’élection du curé et du directeur de l’école parmi les membres du CMR garantissait la participation de ces deux institutions comme des lieux privilégiés de communication avec la population à recenser. À l’exception de la présence des directeurs départementaux de statistique dans les CDR, on remarquera la participation limitée, ou encore pire inexistante, des fonctionnaires des bureaux de statistique dans le recensement. Ainsi, on constate, par exemple, qu’en 1928 le
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En plus, en décembre 1928, une brutale répression des policiers sur des centaines de travailleurs manifestant contre les pénibles conditions de travail chez la société américaine United fruit company, conclut avec un massacre qui a profondément affecté l’image du gouvernement. L’hégémonie conservatrice détentrice du pouvoir depuis des décennies était en danger et le parti libéral chercha résolument à gagner les élections présidentielles de 1930, comme l’a d’ailleurs fait. Jorge Orlando Melo, “La ley heroica de 1928,” Colombia es un Tema, accessed June 28, 2013, www.jorgeorlandomelo.com/leyheroica.htm. 104 La précaire situation fiscale de certains départements et districts a demandé des aides financières supplémentaires du gouvernement central. Contraloría general de la República, « Resolución número 47 (junio 4) por la cual se reglamenta la formación del censo civil », Boletín de la contraloría general de o la República 2, n 11 (1928): 165‑72; Contraloría general de la República, « Censo civil. Información de o las labores realizadas », Boletín de la contraloría general de la República 2, n 12‑13 (1928): 265‑79.
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Directeur général de statistique Belisario Arenas Paz, qui occupait ce poste depuis 1924, fut remplacé par Luis Medina R., frère de Juan Medina R. désigné Contralor préalablement. En outre, et à la différence du recensement de 1918, le directeur général de statistique n’était pas chargé de diriger les activités du recensement. Pour cette fonction, un autre poste fut créé. Et contrairement à ce que la situation pouvait demander, la personne choisie, Jorge Wills Pradilla, avait un parcours professionnel plus proche de la culture et des arts que des activités liées à la statistique nationale105. Les réseaux de favoritisme politiques et sociaux, très habituels dans le pays, sont très certainement à la base de ces choix106. Pourquoi l’organisation du recensement n’a-t-elle pas voulu la participation active des fonctionnaires des bureaux de statistique ? Peut-être que la réponse se trouve dans la faible structure des services de statistique dans le pays. Si la loi imposait la création des bureaux de statistique, seulement les municipalités les plus aisées parvenaient à en établir un et à payer un employé dédié exclusivement à cette fonction ; dans le cas contraire, les responsables du suivi des statistiques étaient les maires ou leurs secrétaires. Il faut ajouter que la rivalité administrative entre les Directions subordonnées de statistique et les Bureaux départementaux de statistiques n’a pas favorisé la situation. La constitution d’une bureaucratie compétente, spécialisée dans la production de chiffres officiels n’était pas encore une réalité dans le pays au début des années 1930. Un recensement des logements fut réalisé de façon préalable à celui de la population. Son but était de disposer d’une base et d’un contrôle pour le recensement civil. Dans la plupart des départements, l’information recueillie ne considérait que le nombre de logements et leur emplacement (urbain ou rural), mais d’autres départements, comme Antioquia et Cundinamarca, en ont profité pour estimer le nombre d’habitants. Pour le recensement civil, deux types de bulletins ont été distribués à la population : un à caractère individuel, utilisé pour la première fois dans le pays, et un autre familial pour étudier la constitution de la population et recouper les données apportées par les bulletins individuels. D’après le règlement du recensement, les capitales des départements avaient la responsabilité d’effectuer les décomptes. Mais seule Bogotá disposait des machines de décomptage donc le processus a été dispendieux107. 105
Wills Pradilla publia, pendant les années 1910, une compilation de poésies colombiennes, intitulée España y América, et un récit. En 1924, il participa à la création des premiers jeux nationaux et publia son récit Carmela. Après sa participation dans la direction du recensement, il publia d’autres ouvrages de type littéraire. 106 En janvier 1930, la plupart du personnel directif de la Contraloría avait changé et le chef de la DGS était Valentin Ossa. Cf. : Boletín de la Contraloría general de la República 4, no. 30 (1930) 107 Pour le bulletin individuel, voir l’ANNEXE 6. Les bulletins des familles enregistraient : la relation avec le chef du foyer, l’âge et l’état civil. En raison des conditions spéciales de population et d’extension, le
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La première publication des résultats du recensement est parue en 1930. Elle présenta le rapport de Jorge Wills Pradilla, directeur du recensement, au sénat pour en avoir la ratification des chiffres. Le dénombrement a établi 7 851 110 habitants, un chiffre exagéré par rapport au recensement de 1918, ce qui a empêché son approbation. La DR était au courant du manque de fiabilité des chiffres. Les fonctionnaires avaient signalé que, dans quelques départements, le décompte avait été exécuté de façon déficiente et que dans certaines municipalités les chiffres du recensement avaient été notoirement gonflés sans aucune justification. Puisque les conseils départementaux avaient donné leur approbation, la DR n’avait pas de recours juridique pour contester ces résultats. En tout cas, et malgré certaines inconsistances, Wills Pradilla ne rejetait pas les chiffres, car, selon lui, l’augmentation équivalait à « seulement au plus 6% » du chiffre estimé pour le recensement, donc pas très significatif108. Les doutes concernant les chiffres n’étaient pas secondaires. Les données officielles sur le nombre d’habitants étaient nécessaires pour la composition du sénat et de la chambre des représentants, la composition des assemblées départementales, la création de départements, et la création ou suppression des municipalités. La quantification de la population avait aussi une incidence importante sur la distribution des aides financières nationales, sur les listes de recrutement et sur les listes électorales. Les réseaux des politiciens et des fonctionnaires publics étaient assez complexes et fréquemment ils étaient utilisés pour frauder. Il était de notoriété publique que les députés avaient la mainmise sur les Contralorías départementales (CDs) et, puisqu’elles participaient au recueil des statistiques des habitants des villes, les CDs étaient considérés comme des postes clés pour truquer les scrutins109. La méfiance à l’égard des données du recensement de 1928 et leur rejet ne se sont pas dissipés, ainsi, dans le recensement mis en œuvre une décennie plus tard, les chiffres utilisés pour effectuer des comparaisons furent ceux du recensement de 1918 et non ceux de 1928.
3.6 Le recensement de 1938 Lorsque les libéraux arrivent au pouvoir en 1930, avec Enrique Olaya Herrera à leur tête, ils doivent faire face à l’effondrement des investissements produit par la crise économique internationale de 1929. Pour encourager le développement des investissements développement du recensement a eu quelques modifications dans les Comisarías et Intendencias. República de Colombia et Contraloría general de la República, Memoria y cuadros del censo de 1928. 108 Le décalage entre les chiffres des deux recensements a été d’environ un demi-million d’individus. Le cas le plus discuté fut celui de la capitale du département du Valle, Cali, dont la croissance a été du 174,26%. Ibid. 109 Eduardo Posada Carbó, « Las elecciones presidenciales de Colombia en 1930 », Revista de estudios o sociales, n 7 (2000): 35‑47.
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nationaux, Olaya Herrera introduit une politique protectionniste favorisant l’industrie nationale et limitant les importations. Pendant sa première année de mandat, le gouvernement d’ laya Herrera a mis en œuvre une nouvelle réforme de l’organisme chargé de l’hygiène et de l’assistance publique. En juin 1930, il a fait de nouveau appel aux experts étrangers de la mission Kemmerer pour étudier les finances nationales. Ceux-ci n’ont pas préconisé de changement structurel dans la section de la Contraloria chargée de la statistique nationale. Mais fin 1935, sous le gouvernement libéral d’Alfonso Lópe Pumarejo, le successeur d’ laya Herrera, une nouvelle réforme créa la Dirección nacional de estadística (Direction nationale de statistique- DNS). La DNS, rattachée à la Contraloría, incorporait toutes les sections de statistiques existantes encore dans les ministères et la section de statistique vitale du Département d’hygiène110. Un des buts essentiels de cette réforme était la centralisation technique des statistiques nationales et, par ce biais, la réduction des conflits de compétence et d’autorité existant dans certaines directions départementales de statistique, où les autorités locales avaient désigné le directeur tandis que le fonctionnaire adjoint était un employé de la Contraloría111. Les rivalités entre le pouvoir central et le pouvoir local traversaient le fonctionnement de nombreux secteurs de l’administration publique colombienne, affectant parfois notablement leur fonctionnement avec en arrière-plan l’appartenance à des factions politiques opposées. Pour soutenir cette centralisation, en septembre 1936 fut créé le Centro de estudios y coordinación estadística (Centre d’études et coordination statistiques CECS), organisme chargé de dessiner et de coordonner un programme de recherches statistiques, comportant la description des méthodes d’enquêtes, l’élaboration des formulaires et des tableaux de données, et la révision des résultats des recherches en cours. La normalisation des statistiques était une des conditions préalables pour produire des chiffres répondant aux exigences internationales et comparables entre les départements. Le CECS était aussi responsable du contrôle de l’organisation des bureaux de statistique, de la sélection de délégués et de leur formation. Ce dernier point a été déterminant, car la plupart des fonctionnaires du secteur
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República de Colombia, « Ley 82 de 1935 (23 de diciembre) sobre estadística », Diario oficial, 4 janvier 1936. 111 La nouvelle organisation de la Direction nationale de statistique considérait 9 sections : 1) Annuaires généraux et publication ; 2) Tabulation mécanique ; 3) Statistique démographique et sanitaire ; 4) Commerce extérieur ; 5) Statistique fiscale et administrative ; 6) Statistique industrielle, de transport et du travail ; 7) Statistique agricole ; 8) Statistique criminelle, de justice pénitentiaire, électorale et de cultes ; 9) Statistique culturelle. Lleras Restrepo, La estadística nacional: su organización, sus problemas, 10‑23.
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manquaient de toute formation dans le domaine et réalisaient leur travail de façon empirique112. Dans le pays, le recensement suivant était prévu pour l’année 1938 et, dans cette nouvelle organisation de la DNS, fut établi un bureau préparatoire du recensement. La première décision prise par ce bureau fut d’envoyer un délégué dans un pays d’Amérique Latine aux conditions similaires à celles de la Colombie, mais où les recensements avaient été réalisés avec succès. Le lieu choisi fut le Mexique113, et le candidat sélectionné pour le voyage, Antonio Suárez Rivadeneira, travaillait depuis quelque temps à la Contraloría sur des études démographiques. Le séjour a porté sur la révision des documents concernant l’organisation des recensements dans ce pays et quelques rencontres ont été organisées avec le directeur de la statistique mexicaine, responsable du recensement effectué en 1930 dont les résultats avaient été approuvés par les organismes internationaux de statistique114. Les fonctionnaires colombiens recherchaient eux-aussi l’approbation des chiffres nationaux115 si bien que, dans l’organisation du nouveau recensement de la population, ils ont suivi le plan proposé par Suáre Rivadeneira et les recommandations d’un comité d’experts de
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Avec ce même but, la Contraloría a renforcé la visite des inspecteurs dans les directions départementales et municipales de statistique. Ibid., 15‑17. 113 À l’époque, le service de statistique officiel avait déjà exécuté cinq recensement de population (1895, 1900, 1910, 1921, 1930).Instituto Nacional de estadística y geografía (México), 125 años de la Dirección general de estadística 1882-2007 (México: INEG, 2009), http://unstats.un.org/unsd/wsd/docs/Mexico_wsd_125_anos_DGE.pdf. 114 Une part importante des postes à responsabilité étaient occupés par des ingénieurs. Comme Suárez Rivadeira, le Directeur nationale de statistique Juan de Dios Higuita et le coordinateur délégué pour le recensement d’Antioquia, Jorge Rodríguez, étaient aussi ingénieurs. República de Colombia et Contraloría general de la república, Censo general de población, 5 de julio de 1938. Ordenado por la Ley 67 de 1917, vol. 1. Departamento de Antioquia (Bogotá: Imprenta Nacional, 1940), XVI‑XVII; En Colombie, l’enseignement de la statistique a commencé dans les écoles d’ingénierie vers les années 1910. Mayor Mora, « La Escuela nacional de minas de Medellín y los orígenes de la estadística en Colombia, 1900-1940 », 75. 115 En 1935, a eu lieu un échange épistolaire entre le Directeur national de statistique colombien (DirNS) et le Directeur de la section financière et de services économiques de la Société des Nations, A. Rosenberg, dans lequel ils discutaient les chiffres des recensements nationaux entre 1905 et 1928 et le taux de croissance de la population colombienne. Selon l’avis du fonctionnaire de la Société des Nations, qui devait se servir des chiffres pour la publication d’un ouvrage sur des statistiques américaines, le DirNS avait une erreur dans l’analyse, quand il arrivait à la conclusion de l’exagération des chiffres du recensement de 1928. Une situation complètement opposée à celle des autres pays où, avec les décennies, les recensements gagnaient en précision. Puisque les vicissitudes nationales échappaient à la logique des organismes internationaux, l’explication possible pour Rosenberg était les inexactitudes dans les chiffres des recensements précédents et non celle proposée par le fonctionnaire local. À cet égard, des explications plus précises sur la production des chiffres dans le pays ont été apportées par le fonctionnaire colombien. A. Rosenberg et Marco Tulio Gómez, « [La o población colombiana] », La demografía colombiana 1, n 1 (1936): 28‑35.
181
Londres et de la Société des Nations116. L’ancienne structure, comprenant le secrétaire du conseil municipal, le maire, le curé de la localité et le directeur de l’école de garçons, chargée de sélectionner le personnel et de réaliser le recensement dans les municipalités, a été supprimée. À sa place, un concours fut institué pour sélectionner le personnel d’exécution du recensement. Pour lutter contre les interventions de type politique et contre la manipulation des chiffres, les employés subalternes ont exercé leur contrôle sur les municipalités appartenant à des districts électoraux différents. Également, la procédure du dépôt-retrait des questionnaires par un inspecteur du recensement fut remplacée par le système direct des agents recenseurs formés qui visitaient chaque endroit et consignaient les données dans des formulaires collectifs. Afin de garantir l’unité statistique des résultats, les chiffres de tous les formulaires furent centralisés à Bogotá et le dépouillement des questionnaires a été fait avec un équipement électromécanique Hollerith (une machine à cartes perforées) assurant une précision et une économie de travail plus performantes que celles du scrutin manuel. D’après les autorités nationales, cela démontrait « le progrès » dans les recherches censitaires en Colombie117. Comme le Brésil, en 1920118, le Mexique, en 1925119 et le Chili, en 1930120, la Colombie introduisit, en tant que nouveauté, les machines à calculer Hollerith en 1938121. Si depuis la fin du XIXe siècle cette technique de dépouillement des recensements était utilisée par plusieurs pays – y compris la France122 —, en Colombie les problèmes budgétaires et l’absence de centralisation des statistiques n’avaient pas permis son utilisation pour l’ensemble du pays. Les variables utilisées dans le recensement de 1938 furent : le sexe, l’âge, l’état civil, la religion, la nationalité, les branches d’activité économique, la population active et inactive et la population urbaine et rurale. Simultanément, et pour la première fois, un recensement des bâtiments fut exécuté dans le pays. Celui-ci distinguait : les bâtiments avec aqueduc, ceux avec
116
República de Colombia et Contraloría general de la República, Censo general de población, 5 de julio de 1938. Ordenado por la Ley 67 de 1917, 1. Departamento de Antioquia:VII. 117 Ibid., 1. Departamento de Antioquia:XV‑XX. 118 Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística, éd., Bulhões de Carvalho: um médico cuidando da estadística brasileira (Rio de Janeiro: IBGE - Memória Institucional, 11-, 2007), 16, http://www.ibge.gov.br/home/presidencia/noticias/pdf/bulhoes.pdf. 119 Instituto Nacional de estadística y geografía (México), 125 años de la Dirección general de estadística 1882-2007 (México: INEG, 2009), 47, http://unstats.un.org/unsd/wsd/docs/Mexico_wsd_125_anos_DGE.pdf. 120 República de Chile, Retratos de nuestra identidad, 130. 121 Le scrutin du recensement fut réalisé sous contrat, en huit mois, par l’International Business Machine Company (IBM). Paul Hermberg, « Las actividades estadísticas de Colombia », Anales de economía y o estadísticas IV, n 8 (1941): 27. 122 Alain Desrosières, La politique des grands nombres: histoire de la raison statistique (Paris: Editions La Découverte, 1993).
182
l’électricité, ceux avec des égouts, ceux occupés par leur propriétaire ou par des locataires, les bâtiments appartenant à des étrangers et ceux appartenant à des nationaux, et il classait les bâtiments en fonction de leur utilisation. Il offrait ainsi un panorama plus large de la population colombienne et de ses conditions d’habitation. En plus, la publication rapide et exhaustive des résultats en 16 volumes, contenant des croisements de variables, des comparaisons nationales et internationales et des commentaires sur les chiffres, est un signe clair des différences techniques par rapport aux recensements précédents effectués dans le pays. Avec la démonstration d’un contrôle supérieur des chiffres, la statistique publique commence à renforcer sa légitimité. Le recours à une expertise administrative local naissante, la systématisation du scrutin, et les actions engagées pour réduire l’intervention des factions politiques dans les résultats du recensement de 1938, ont facilité l’approbation unanime des chiffres par le Congrès du pays en novembre 1939123. À partir du recensement de 1951, l’activité censitaire du pays s’inscrit dans le cadre du programme Censo de las Américas, parrainé par l’Organisation des États Américains (OEA) et l’Institut interaméricain de statistiques (IIAS) dont le but était la normalisation des chiffres. Dans le cadre de ce programme, les recensements nationaux ont été effectués en respectant des définitions et classifications uniformes et des procédures communes afin d’assurer une comparabilité suffisante et une plus grande utilité pour les analyses démographiques, sociales et économiques. L’approbation par des experts internationaux des informations recueillies dans le recensement de 1951 a été une priorité des autorités colombiennes. Ainsi, des techniciens des Nations Unies ont accompli des examens sur les formulaires censitaires et sur l’estimation de la population non incluse dans le recensement à cause de problèmes d’ordre politique. Ils ont aussi réalisé des travaux sur le terrain pour vérifier certaines énumérations124. (ANNEXE 7. Tableau comparatif des catégories des recensements 1905-1951)
Conclusion Comme nous l’avons montré, les constantes transformations politico-administratives du pays et les multiples guerres civiles que la Colombie a vécues tout au long du XIXe siècle ont empêché la consolidation d’une statistique officielle. Face à une administration publique éparpillée et fragile, un système statistique public a eu du mal à émerger. Parmi les six recensements effectués pendant ce siècle (1825, 1835, 1843, 1851, 1864 et 1870), seulement le dernier a décompté ses habitants selon l’âge, le sexe, l’état civil et la profession. Malgré la 123
República de Colombia et Contraloría general de la República, Censo general de población, 5 de julio de 1938. Ordenado por la Ley 67 de 1917. 124 República de Colombia et Departamento Administrativo Nacional de Estadística DANE, Censo de población de Colombia 1951. Resumen (Bogotá: DANE, 1954), 10.
183
reconfiguration d’une structure étatique centraliste, en 1886, aucun recensement national ne fut effectué dans les dernières décennies du XIXe siècle. D’ailleurs, pendant la première moitié du XXe siècle, un changement s’est opéré dans les recensements colombiens comme instruments de saisie démographique. Au cours des premières décennies, l’intérêt pour la population était restreint au nombre d’habitants ayant le droit de vote et étant aptes au service militaire. Bien que les autorités nationales aient eu comme prémisse de suivre les critères internationaux pour la production des statistiques censitaires, l’écart avec ceux-ci était si profond que l’information concernant les femmes dans le recensement de 1912 n’a même pas été publiée. En plus, pour les recensements de 1912 et 1918, on voit persister des critères appartenant à une grille de type colonial. Sans oublier le rôle important des autorités catholiques dans l’exécution du recensement de 1928. À partir des années 1920, de nouveaux efforts pour centraliser les services de statistique publique ont été consentis. Mais l’application des réformes à cet égard n’a pas été toujours heureuse. Les conflits entre le pouvoir central et les pouvoirs locaux ont été monnaie courante dans les tentatives d’organisation du système de statistique national et la manipulation des chiffres du recensement de 1928 a compromis son approbation. L’absence d’un réseau de personnel technique en statistique a été un autre obstacle important dans la consolidation des statistiques censitaires du pays. D’ailleurs, dans certains cas, la désignation des partisans politiques dans les bureaux statistiques prévalait sur une sélection de personnel expérimenté selon les mérites. La création d’une direction technique, en 1936, à l’intérieur de la Direction Nationale de Statistique, pour évaluer et contrôler la production des statistiques du pays, a été une tentative de remplir cette lacune. Une autre stratégie fut l’introduction de cours spéciaux à la Contraloría pour le personnel des bureaux de statistiques. À la suite du premier cours de démographie réalisé en octobre et novembre 1935, fut constituée la Sociedad colombiana de demografía (Société colombienne de démographie), dont la revue Demografía colombiana parut en 1936. Malheureusement, cette initiative n’a pas perduré, mais sa courte existence a rendu visibles les efforts des fonctionnaires colombiens pour s’occuper du problème de façon moins empirique125. La participation d’experts internationaux dans la configuration d’un système national de statistique n’a pas été mineure. Le réaménagement dans la Contraloría de la direction générale de statistique, existant depuis 1914, fut soutenu par la Mission Kemmerer, qui reprenant un projet local, recommanda la centralisation des statistiques officielles. Néanmoins, la formalisation d’une telle centralisation constituait encore un problème en 1935. 125
o
Emilio C. Guthardt, « La sociedad colombiana de demografía », La demografía colombiana 1, n 1 (1936): 1‑9.
184
Quant à la production des recensements de la population, et dans le contexte de l’internationalisation des statistiques, depuis celui de 1912 les autorités nationales ont cherché à suivre les lignes directrices proposées par les comités d’experts internationaux. Mais l’introduction des catégories suggérées dans d’autres pays a eu peu de succès dans les recensements de 1912 et 1928. Dans le recensement de 1938, le concours international est un fait incontestable. Des experts de la Société des Nations ont fait des suggestions sur la procédure, la nomenclature des activités professionnelles, et une fois accompli le recensement, le gouvernement national leur a demandé d’approuver les résultats. Cependant, l’adoption de ces catégories sociodémographiques n’a pas été rigoureuse, et les autorités nationales ont opté pour une redéfinition des notions de population active et inactive, plus proche de la réalité colombienne126. Par ailleurs, le développement d’un modèle centraliste des statistiques officielles a été réaffirmé et l’homogénéisation des catégories démographiques au niveau mondial s’imposa comme un impératif en Colombie. Ainsi, le recensement programmé pour 1948 a été décalé en 1950 afin de pouvoir l’ajuster aux suggestions des conférences de statistique selon lesquelles il fallait réaliser les recensements tous les dix ans, pendant les années finissant par 0. À la fin des années quarante, et sous la présidence du conservateur Mariano Ospina Pérez, le pays entra dans une situation politique et sociale très turbulente. Le candidat libéral à la présidence de la République, Jorge Eliécer Gaitán fut assassiné le 9 avril 1948, entraînant des protestations et des révoltes urbaines à Bogota, qui se prolongèrent pendant plusieurs jours. Les révoltes et leur violente répression par les autorités ont conduit à la destruction d’une partie importante de la ville. L’année suivante, le parti libéral obtenait la majorité dans les élections parlementaires. Des affrontements entre conservateurs et libéraux continuèrent, et les situations de violence partisane dans les pays se répandirent. En raison de la violence dans différentes régions du pays et pour échapper aux accusations de la chambre des représentants, le président spina Pére déclara, le 9 novembre 1949, l’état de siège dans tout le territoire national. Il ordonna la fermeture du congrès et des assemblées départementales, et imposa la censure de la presse et des communications (courrier, télégrammes et appels téléphoniques). Pendant ce même mois furent réalisées les élections présidentielles, mais elles 126
Bien que le Comité d’experts-statisticiens de la Société des Nations ait recommandé de considérer toutes les personnes ayant eu une occupation payée, mais sans emploi au moment du recensement comme population active, les autorités colombiennes ont jugé plus approprié aux conditions du pays de cataloguer tous les chômeurs comme inactifs. República de Colombia et Contraloría general de la República, Censo general de población, 5 de julio de 1938. Ordenado por la Ley 67 de 1917, 1. Departamento de Antioquia:XIII.
185
ont eu un caractère très irrégulier. Le candidat libéral Dario Echandía renonça à sa candidature après avoir été victime d’un attentat dans lequel son frère trouva la mort. Les élections ne furent pas annulées et le candidat conservateur Laureano Gómez, sans opposition, gagna la présidence. Mais les libéraux ont décidé de ne pas reconnaitre ce gouvernement127. À cause de la situation nationale difficile, le recensement de la république programmé pour 1950 fut décalé en 1951128. Son exécution, qui s’inscrivit dans un cadre standardisé pour l’ensemble des Amériques, se déroula dans un panorama politique complexe et d’une extrême violence partisane.
127
James D. Henderson, Modernization in Colombia: The Laureano Gómez Years, 1889-1965 (Gainesville, FL: University Press of Florida, 2001), 309‑325. 128 Le décret n ° 3545 de 1950 (29 novembre) a reporté le recensement en mars 1951. Ensuite par le décret n ° 546 de 1951 (4 mars) fut reporté à nouveau et la date définitive fut le 9 mai 1951. República de Colombia et Departamento Administrativo Nacional de Estadística DANE, Censo de población de Colombia 1951. Resumen.
186
DEUXIÈME PARTIE Dans un chapitre précèdent, nous avons montré, en analysant les chiffres de la fièvre typhoïde, que pendant la dernière décennie du XIXe siècle les autorités municipales de santé avaient pris la quantification des patients atteints de maladies contagieuses dans les hôpitaux comme une façon de s’approcher de la réalité sanitaire de la ville. Par ce biais, les premiers médecins-hygiénistes ont commencé à insister sur le fait que la production de chiffres de mortalité et de morbidité permettait aux autorités municipales de guider leurs actions en faveur de la santé publique. De ce fait, les médecins ont graduellement eu recours aux chiffres dans leurs thèses et leurs articles. Comment s’opéra le changement d’une médecine consacrée aux cas cliniques individuels à une médecine sociale intéressée par l’incidence des maladies sur la population et par la production d’indicateurs de santé ? Comment les médecins se servaient –ils des chiffres sanitaires ? La production de ces chiffres locaux va-t-elle être liée ou non au déploiement des politiques de santé publique à l’échelle internationale et locale ? À la fin du XIXe siècle et au cours des premières décennies du XXe siècle, un changement va se produire dans l’approche de la maladie par les médecins colombiens : le recours à la quantification visant à une compréhension des phénomènes de santé publique fait son apparition dans leurs travaux. La crainte des épidémies et la nécessité de les affronter imposèrent aux médecins le calcul des malades et des morts. Les débats autour des maladies contagieuses et l’imposition de contrôles et de quarantaines dans les ports, condition d’une intégration dans les circuits internationaux du commerce, constituèrent des éléments de pression majeurs dans le développement d’une approche quantitative de la maladie. L’identification des maladies régnantes, leur contrôle ou leur éradication et la préoccupation de la croissance ou de la décroissance de la population deviendront des sujets centraux du discours des médecins-hygiénistes du pays. Ainsi vont-ils orienter leurs intérêts vers la production de chiffres sur la population d’une ville, l’évolution d’une épidémie, les conditions sanitaires des ouvriers urbains ou des journaliers de la construction des chemins de fer, ou des conditions d’hygiène d’une caserne et d’un hôpital. Mais aussi vers la surveillance et la correction, par des mesures de prophylaxie, « des mœurs dangereuses » qui favoriseraient la 187
propagation des fléaux ou la dégénérescence de la population. Dans certains cas, et selon les termes mêmes des médecins, « les chiffres parleront d’eux-mêmes », donc l’enquête chiffrée et sa rigueur apparente joueront un rôle décisif même s’ils ne seront pas vraiment interprétés. Dans d’autres cas, les hygiénistes feront des analyses plus minutieuses dans lesquelles la statistique médicale s’édifiera comme un outil d’appréciation tant de l’état de santé de la population et du savoir médical. Comme nous le verrons, dans la plupart des cas, le regard des médecins s’est porté sur les conditions de vie et d’hygiène des pays européens pour déterminer les moyens que le gouvernement et l’administration nationale de santé devaient mettre en œuvre pour « surmonter le retard du pays sur les nations civilisées ». Avant de nous consacrer à l’analyse détaillée de l’usage des chiffres par les médecins colombiens, une clarification méthodologique s’impose. Pour cette partie, nous avons fait une recension de 210 thèses de médecine publiées entre 1888 et 1950. Dans cet échantillon, nous avons repéré celles dont les auteurs ont utilisé les chiffres soit de façon illustrative, soit comme un élément central de leur argumentation. Nous avons noté qu’un quart des thèses ont eu recours à la quantification des phénomènes liés à la santé de la population. Ce recours aux chiffres, rare à la fin du XIXe siècle, deviendra plus courant à la fin des années 1920 et pendant la décennie 1930, période dans laquelle le gouvernement et les autorités de santé nationales feront des efforts, plus ou moins organisés, pour répondre au mouvement d’internationalisation de la science et pour en faire partie1. Tout cela, il ne faut pas l’oublier, dans un contexte national de faible médicalisation et de biopolitique insuffisante. Des arguments auxquels le discours médical fera toujours appel pour expliquer les énormes difficultés rencontrées pour connaître et pour transformer les conditions de santé de la population colombienne. Parmi les thèses qui ont utilisé des chiffres, nous étudierons celles qui nous semblent les plus représentatives. Pour notre analyse, nous avons aussi pris en compte quelques conférences présentées dans les congrès nationaux d’hygiène et certains articles publiés dans des journaux ou dans les revues spécialisées du pays. Selon leurs centres d’intérêt, nous avons regroupé la documentation en catégories (mortalité infantile, épidémies, statistiques des villes, géographies médicales, statistiques des professions). Nous avons noté 1
Comme l’a signalé Ilana Löwy, le processus d’internationalisation de la science s’est développé vers 1880 en réaction à la parcellisation et atomisation de l’activité scientifique produite par la montée de nationalismes au XIXe siècle. D’après Löwy, on voit opérer cette internationalisation par l’organisation de congrès, de groupes de travail et par les efforts pour améliorer la circulation de l’information scientifique. Mais aussi par les tentatives de mise en œuvre de politiques sanitaires communes et par des efforts d’homogénéisation des pratiques de laboratoire. Ilana Löwy, Virus, moustiques et modernité: la fièvre jaune au Brésil, entre science et politique (Editions des archives contemporaines, 2001), 31‑32.
188
que, dans le temps, deux sujets ont persisté dans les inquiétudes des médecins colombiens : le problème de la mortalité infantile et les épidémies. Donc, pour notre recherche nous avons privilégié ces deux sujets. Ils vont nous permettre de mettre en évidence les transformations de l’usage des chiffres dans le discours des médecins-hygiénistes colombiens.
189
Chapitre 4 La mortalité infantile 4.1 L’hygiène nationale et son entrée dans le mouvement hygiénique international Durant les années 1890 et à la suite de la création en 1886 du Conseil Central d'Hygiène à Bogota, la croissance des villes et leurs problèmes sanitaires attirent l’attention de quelques médecins. La thèse de médecine d’Isaac Arias Argáe , soutenue en 1890, et consacrée à l’hygiène à Bogota va se démarquer des autres travaux de l’époque, et même des décennies suivantes, par l’analyse rigoureuse des chiffres démographiques et de santé et par la citation attentive des auteurs étrangers. Le parcours complet d’Arias Argáe (1862-1913) nous échappe un peu.
n sait qu’il
appartenait à une famille aisée de la capitale et qu’il a eu une sœur, Josefa et un frère plus jeune, Daniel. Ce dernier, avocat et homme de lettres, fut aussi parlementaire et journaliste1. En 1886, Isaac participa à la création, avec son cousin et journaliste Jerónimo Argáe , d’El telegrama, première publication quotidienne et non officielle du pays consacrée à l’information nationale et internationale. La publication, qui a eu du mal à se vendre au début, tirait déjà à 2 000 exemplaires par jour en 1887, un chiffre important par rapport à d’autres publications de l’époque. Les dépêches étaient obtenues par télégrammes venant d’Europe, et Isaac était le rédacteur en chef. Cette entreprise éditoriale, à laquelle ont aussi collaboré les écrivains José Asunción Silva et Baldomero Sanín Caro, a tenu jusqu’à mi-1904, publiant dans ses pages des informations politiques, littéraires et scientifiques2. En parallèle à ses activités journalistiques, Arias Argáez a poursuivi sa formation de médecin et passa sa thèse en 1890. Deux années après, il fut nommé consul à Malaga, où il vécut jusqu’à sa mort3. Ce type de destin politique, peut-être un peu inattendu, était très fréquent dans le contexte colombien, où les élites se distribuaient les postes bureaucratiques grâce à leurs liens familiaux ou partisans. 1
« Aparece en España heredero de don Daniel Arias Argáez », Intermedio, 26 juillet 1956, Casa editorial El Tiempo édition. 2 Enrique Santos Molano, « El corazón del poeta: los sucesos reveladores de la vida y la verdad inesperada de la muerte de José Asunción Silva », Biblioteca virtual del Banco de la República, consulté le 10 avril 2014, http://www.banrepcultural.org/blaavirtual/literatura/corazon/indicecorazon.htm. Segundo libro, Cuarta parte La Torre de marfil, capítulo tercero, Trique (1886) 3 « Aparece en España heredero de don Daniel Arias Argáez. »
190
L’objectif de la thèse d’Arias Argáez était de promouvoir la construction d'un quartier pour la classe ouvrière suivant les préceptes de « l'hygiène moderne ». L’assainissement des villes était à l'ordre du jour et, d’après lui, les connaissances apportées par l'Angleterre et la France et les stratégies mises en œuvre par ces dernières à cet égard étaient les modèles à suivre. Les villes grandissaient et quand il n’existait pas une organisation sanitaire effective, l’agglomération des personnes devenait un danger constant pour la santé publique. En plus, les statistiques permettaient de constater les résultats importants obtenus dans les campagnes de santé contre les ravages de la mort prématurée, de sorte que la Colombie devait répondre à l’appel du « mouvement universel, et dans la mesure de [ses] forces *…+ coopérer à cette fin philanthropique »4. Avec sa thèse de médecine Arias Argáe voulait diriger l’attention sur l’hygiène de la capitale, un sujet négligé par l’administration publique. D’abord, il s’interroge sur les conditions topographiques, climatiques et démographiques de la ville. Son premier constat, c’est l’absence de recensements officiels précis sur la population. Pour y faire face, il a tiré des estimations d’autres études et choisi celles qui lui semblaient plus proches de la réalité. Avec la formule5 A = α (1+r)n, il calcula la croissance de la population entre les recensements de 1843, 1881 et 1884 et souligna qu’une quarantaine d’années devaient s’écouler pour que la population de la capitale du pays double. À partir des chiffres disponibles, il estima à 116 153 habitants la population de la ville en 1890 (Tableau 14). Tableau 14. Recensements de population de Bogota par quartier pour les années 1843, 1881 et 1884 Quartier
Recensement 1843
1881
Changement 1884 43 à 81
43 à 84
Taux pour 1 000
81 à 84
43 à 81
43 à 84
81 à 84
La Catedral
18 456 31 900 30 985
13 444
12 529
-915
15,3
13,33
-9,75
Las Nieves
9 333 26 348 34 806
17 015
25 473
8 456
29,25
34,32
97,30
Santa Bárbara
6 543 11 000 18 313
4 457
11 770
7 313
14,53
26,74
185,20
San Victorino
5 755 15 400 11 709
9 645
5 954
-3 691
27,72
18,38
-95,60
40 087 84 648 95 813
44 561
55 726
20 375
20,98
22,59
42,10
Total
SOURCE : Isaac Arias Argáez, Observaciones sobre la higiene de Bogotá. Tesis de doctorado en medicina (Bogotá: Imprenta de La Nación, 1890) p.13
Dans la dernière décennie du XIXe siècle, la ville de Bogota était déjà subdivisée en sept paroisses dont les quartiers ont pris le nom suivant : la Catedral, las Nieves, Santa Barbára, San Victorino, las Aguas, Egipto et las Cruces. À partir des données du bureau du
4
Isaac Arias Argáez, Observaciones sobre la higiene de Bogotá. Tesis de doctorado en medicina (Bogotá: Imprenta de La Nación, 1890), 7. 5 A représente la population à la fin de n années ; α, la raison au début de n années ; r le taux de augmentation et n le nombre d’années. Ibid., 13.
191
cadastre et des observations réalisées par lui-même, Arias Argáez a fait un inventaire des types et du nombre de logements par quartier, et décrit les conditions matérielles de chacun. Il reprit le taux de décès par quartier comme critère clé pour évaluer leurs conditions d’hygiène. La mortalité était une mesure de l’hygiène, ainsi, un quartier avec un taux bas de décès est plus hygiénique que celui où l’on en compte plus. Selon Arias Argaéz, ces différences provenaient de la misère, du surpeuplement, de la négligence et plus spécialement de la mauvaise organisation des logements, c’est-à dire des espaces d’une seule chambre dans lesquels étaient réalisées toutes les activités confondues, mal ventilés, mal éclairées, humides et sans eau courante6. Le médecin colombien avait bien compris que le nombre absolu de décès ne devenait l’expression de la mortalité que par son rapport avec le nombre des vivants dans un temps déterminé. Alors, pour calculer le taux de mortalité de chaque quartier, il se sert de la formule de L. A. Bertillon M=D/P*1 000, où D est le nombre de décès et P la population7. Avec ces coefficients, il classa les quartiers et conclut que le plus hygiénique était La Catedral tandis que le plus insalubre était Las Cruces. (Tableau 15). Tableau 15. Moyens de décès annuels et du taux de mortalité pour 1 000 habitants à Bogota pendant la période 1885-1889 Quartiers
Nombre de logements
Taux de Nombre Décès d’habitants annuels mortalité pour 1 000
La Catedral
2 283
28 868
192
9,65
Las Nieves
2 092
20 514
440
15,24
San Victorino
1 615
19 880
284
13,84
Santa Bárbara
1 386
17 892
218
12,18
Las Aguas
980
11 520
184
15,97
Egipto
835
10 130
134
13,15
Las Cruces 681 8 172 181 22,51 NOTE : Arias Argaé ne disposait pas de données sur le nombre d’habitants par quartier, donc il l’estima à partir du nombre de logements et d’un chiffre moyen d’habitants par logement selon le quartier. SOURCE : Les chiffres sont repris d’Isaac Arias Argáez, Observaciones sobre la higiene de Bogotá. Tesis de doctorado en medicina (Bogotá: Imprenta de La Nación, 1890), 17-19
Selon l’argument d’Arias Argáe , la situation plus hygiénique de La Catedral provenait du nombre réduit de cabanes habitées par la classe ouvrière; du bon état des rues et des égouts, du meilleur nettoyage de la voie publique; de l'absence de caniveaux et de ruisseaux et
6 7
Ibid., 18. Entrée Mortalité, Louis-Adolphe Bertillon. Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales., Deuxième série, vol. Neuvième, MOE-MOR (Paris: Asselin et Houzeau, 1875), http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k312518. p.751-752
192
de la propreté de leurs habitants. Situation opposée à celle de Las Cruces qui avait les rues les plus insalubres de la ville et des conditions d’hygiène déplorables8. Pour évaluer les conditions d’hygiène de la ville et des logements ouvriers, et pour connaître les modèles d’hygiène urbaine moderne, Arias Argáez emprunta principalement des idées aux textes consacrés à l’assainissement des villes et des logements de la classe ouvrière par les médecins-hygiénistes J.B. Fonssagrives9 et B. Brochin10, et par l’ingénieur M.E. Cheysson11. Arias Argáez était persuadé de la nécessité de restructurer certains secteurs de Bogota avec des rues plus spacieuses, rectilignes, arborées et pavées pour favoriser la circulation de l’air et le nettoyage des rues, de la même façon qu’à Paris12. D’ailleurs, une description détaillée du type de construction et de la disposition des logements existants à Bogota pour les classes aisées et ouvrières permettra à Arias Argáez de souligner leurs causes principales d’insalubrité et les moyens d’assainissement qu’elles réclamaient. Notamment, il décrit les logements des ouvriers comme très humides, construits avec des matériaux de mauvaise qualité, concentrant tout dans une seule pièce, sans ventilation correcte, sans accès à l’eau et sans latrines. Il proposa un projet d’arrêt municipal pour imposer certaines règles d’hygiène à l’intérieur des logements13. Il est fort probable que l’attention portée par Arias Argáez à la population urbaine du point de vue de son importance numérique absolue et de sa densité spécifique par quartier, aussi bien que son intérêt pour l’étude des conditions des quartiers viennent de l’ouvrage de J. B. Fonssagrives, Hygiène et assainissement de villes (1874). En fait, la manière d’utiliser et d’interpréter les chiffres dans sa thèse est proche, elle aussi, de celle de Fonssagrives, qui, dans la préface de son ouvrage, clarifia la raison pour laquelle il utilisait beaucoup de chiffres : « J'ai suivi intentionnellement cette méthode partout où son ingérence m'a paru légitime et où ses résultats m'ont semblé apporter avec eux un enseignement vrai, en même temps qu'une impression favorable aux intérêts que je défends *…+ La statistique bien faite est bonne, la statistique mal faite est
8
Arias Argáez, Observaciones sobre la higiene de Bogotá., 15‑16. Jean Baptiste Fonssagrives, Hygiène et assainissement des villes (Paris: Baillière, 1874). 10 Entrée Logement (insalubrité et assainissement des), Brochin. Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales., Deuxième série, vol. Troisième, LOC-MAG (Paris: Asselin et Houzeau, 1870), http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k312518. 11 M.E. Cheysson, « Les habitations ouvrières. Leur situation, ses dangers, ses remèdes », Revue o d’hygiène et de police sanitaire, n 08 (1886): 656‑701. Tout au long de sa thèse Arias Argáez cita aussi des ouvrages des médecins hygiénistes Michel Lévy (1809-1872), Adrien Proust (1834-1903), et du politicien Jules Simon (1814-1896). 12 Arias Argáez, Observaciones sobre la higiene de Bogotá., 22‑50. 9
13
Ibid., 64‑74.
193
mauvaise; c'est un levier qui soulève la pierre sous laquelle est la vérité, ou qui, la laissant retomber, l'emprisonne plus étroitement. Le chiffre tue, l’interprétation vivifie »14. Dans sa thèse, le médecin colombien insista sur le fait que les conditions insalubres des logements ouvriers étaient passibles de concerner toute la population, car elles menaçaient de détruire « l’édifice social » par sa base. La mortalité différentielle entre les quartiers démontrait que le tribut payé par les ouvriers était supérieur à celui des classes aisées (Tableau 16). D’après lui, il fallait étudier la mortalité du point de vue hygiénique, social et économique. En raison des conditions terribles dans lesquelles vivait la classe ouvrière, la disparition prématurée des ouvriers faisait l’objet de l’intérêt des économistes de plusieurs nations. Mais dans les pays pauvres et peu peuplés comme la Colombie, cette perte était plus sensible que dans les « nations puissantes », car elle impliquait une décroissance de la population et sans une immigration active « chaque bras perdu pour le travail est un élément de moins pour le progrès »15. Cet idéal du progrès, et son optimisme corrélatif resteront fortement attachés au mouvement sanitaire colombien et aux projets d’assainissement des villes. À la fin du XIXe siècle, le développement économique, technique et scientifique avait comme corolaire une humanité franchissant des étapes qui l’amèneraient à de bonnes conditions de vie. Ainsi, pour les pays pauvres, il valait mieux suivre le modèle des nations puissantes pour arriver au progrès social, moral et matériel qu’elles étaient en train de conquérir. Tableau 16. Mortalité différentielle dans les quartiers de Bogota en 1889 Quartier
Population
Décès
Taux pour 1 000
La Catedral
19 880
161
8,10
Las Nieves
28 868
467
16,18
San Victorino
20 514
265
12,92
Santa Bárbara
17 892
203
11,35
Las aguas
11 520
195
16,93
Egipto
10 130
129
12,73
8 172
220
26,92
Las cruces
TOTAL 116 976 1 640 14,02 SOURCE : Isaac Arias Argáez, Observaciones sobre la higiene de Bogotá. Tesis de doctorado en medicina (Bogotá: Imprenta de La Nación, 1890), 85.
Selon Arias Argáez, dans la ville de Londres, quand un endroit dépassait significativement le taux moyen de mortalité, la municipalité le rasait pour en finir avec l’insalubrité. Ces types de mesures étaient inapplicables dans la capitale colombienne, à court de budgets. Mais au moins, il fallait créer des commissions de santé pour étudier les moyens 14 15
Fonssagrives, Hygiène et assainissement des villes, VIII. Arias Argáez, Observaciones sobre la higiene de Bogotá., 89‑91.
194
d’améliorer et d’assainir les logements actuels des classes ouvrières et de proposer la création d’un quartier ouvrier. Les avantages seraient visibles, car tous « les sacrifices faits par le gouvernement et par les personnes de bonne volonté pour améliorer, conformément à la science, notre environnement hygiénique seraient suffisamment compensés par la plus grande quantité de biens que posséderaient les ouvriers »16. D’après Arias Argáez, il était nécessaire de changer la façon de vivre des ouvriers colombiens et d’étudier les systèmes de logement des pays européens pour choisir le modèle le plus convenable pour le pays : soit les petites maisons indépendantes et isolées, soit les maisons collectives, c’est-à-dire des secteurs de la ville aménagés en quartiers ouvriers. Il privilégiait cette dernière option, car elle était plus facile à mettre en œuvre dans la capitale du pays17. Pour Arias Argáez, la construction d’un quartier ouvrier à Bogota devait suivre le modèle, repris d’E. Cheysson, des Building Societies (BS), proposé aussi comme exemple à suivre par la ville de Paris. Les BS étaient des sociétés populaires de crédit, établies en Angleterre depuis quelques décennies, qui formaient leur capital avec des cotisations mensuelles, puis le prêtaient à leurs actionnaires pour la construction des maisons. Ces prêts étaient d'ailleurs hypothéqués sur l'immeuble lui-même et remboursés par un loyer qui, au bout d'un certain temps, mettait la propriété entre les mains du débiteur. Dans certains cas, une société foncière achetait un terrain et construisait toutes les maisons avant de les revendre ; dans d’autres cas, la construction des maisons se faisait une par une et selon les vœux des ouvriers, guidés par les ingénieurs et les architectes du projet. Le système des BS permettait aux ouvriers d’avoir accès à des maisons bien construites et hygiéniques. Par ailleurs, comme les chiffres pour la ville de Birmingham l’avaient montré, les effets des Building Societies sur la moralité et la santé publique y étaient excellents et vérifiables par exemple par la réduction du nombre des arrestations et de la mortalité qui passa de 24 à 13 pour 1 000 habitants18. En Colombie, ce type d’initiative exigerait la convergence de l’État, des particuliers et des ouvriers eux-mêmes. L’État désignerait le secteur de la ville et le terrain et faciliterait la construction, les particuliers administreraient et construiraient le projet, et les ouvriers y mettraient une partie de leurs revenus. D’après Arias Argáe , parmi les problèmes auxquels devrait faire face un tel projet à Bogota, se trouvait que les hommes d’affaires et les particuliers ne considéraient pas les avantages moraux et philanthropiques de ce type 16
Ibid., 90. Ibid., 93. 18 Cheysson, « Les habitations ouvrières. Leur situation, ses dangers, ses remèdes », 687‑689. Voir aussi Arias Argáez, Observaciones sobre la higiene de Bogotá., 22‑50. 17
195
d’initiatives, et faisaient des projets indépendants et pas toujours hygiéniques. En outre, les ouvriers locaux n’étaient pas habitués à faire des économies, leurs budgets étaient très limités et ils le dépensaient rapidement et de façon désorganisée. Il fallait d'abord les éduquer à cet égard et demander au gouvernement de promouvoir la création de caisses d’épargne et de sociétés de secours mutuel pour faciliter la tâche19. La mortalité : le meilleur thermomètre pour mesurer l’insalubrité d’une ville Dans sa thèse, Arias Argáez insista sur le fait que, pour étudier les causes de mortalité et éviter des résultats critiquables, il fallait disposer d'abondantes données sur de longues périodes. Cette condition n’était pas respectée dans son cas, parce que, s’il y avait à la mairie un registre où noter les décès et dont les données étaient publiées mensuellement dans le journal officiel, d’après lui ces informations souffraient d’une classification peu rigoureuse et elles étaient très incomplètes. Néanmoins, il décida de s’en servir pour évaluer l’état de santé de la population. À son avis, la statistique en Colombie était très rudimentaire et elle n’avait pas encore l’importance qu’elle méritait. Cela malgré le fait qu’elle était essentielle au travail des gouverneurs, des législateurs, des médecins, des hygiénistes, elle permettait la planification et l’évaluation des initiatives, que son absence obligeait à modifier constamment. D’après ses propres mots « le meilleur thermomètre pour mesurer l’insalubrité d’une ville est la mortalité ». Donc, il dédia le dernier chapitre de sa thèse à établir si Bogota était ou non une ville insalubre. La manière dont les chiffres sont commentés laisse transparaître la lucidité de l’auteur. D’abord, il compara le taux de mortalité de Bogota avec celui d’autres villes européennes et d’Amérique latine. Ensuite, il regroupa dans des tableaux les données mensuelles des années 1886 à 1889, considérant les naissances (par sexe), les décès (par hommes, femmes, garçons, filles) et les différences entre naissances et décès totaux. Cela lui permit d’interpréter la situation de la mortalité générale et infantile, et celle de la croissance de la population. Il s’interrogea aussi sur l’influence des saisons sèches et des pluies sur la mortalité. Comme dernier point, et à partir des statistiques publiées dans le Registro Municipal, il étudia les principales causes de mortalité à Bogota. Les travaux sanitaires mis en place dans les villes européennes et celles des États-Unis avaient démontré leur efficacité dans la réduction de la mortalité. Par exemple, à Londres, le taux de mortalité qui était de 35 pour 1 000 habitants en 1860 était descendu à 19 en 1887. La réussite de l’assainissement des villes était indiscutable, et donc pour Arias Argáez une façon de mesurer les conditions de Bogota fut de comparer son taux de mortalité à ceux de 86 autres villes du monde, et de situer son rang. Les sources de ces données n’ont pas été 19
Arias Argáez, Observaciones sobre la higiene de Bogotá., 98‑99.
196
spécifiées, le tableau présentait la population des villes, leur nombre de décès et leur taux de mortalité pour 1 000 habitants en 1887, ce qui démontre encore une fois que ce médecin colombien avait un accès rapide à l’information. Dans ce tableau, les villes sont présentées par ordre croissant selon ces taux, la ville de Brighton étant en tête de liste avec 14 et Le Caire à la dernière place avec un taux de 45. La seule ville latino-américaine comprise dans cette liste était Rio de Janeiro avec un taux de 30. Étant donné qu'en 1889 le taux de mortalité à Bogota était de 22,12 pour 1 000 habitants, d'après Arias Argáez en termes d’hygiène, Bogota était au même niveau que Berlin, Amsterdam, Stockholm et Philadelphie20. Si les conditions de ces villes et la taille de leur population n’étaient pas similaires à celle de la Colombie, la comparaison démontrait que la mortalité locale n’était pas parmi les plus élevées du monde. Même par rapport au taux de Buenos Aires, la capitale colombienne faisait bonne figure, car pour l’année 1887 celui de la capitale argentine montait à 29,821. D’après Arias Argáe , la place de Bogota par rapport aux autres villes était inattendue surtout pour les personnes qui, par peur de l’insalubrité, discréditaient la ville. Ses conditions climatiques empêchaient l’apparition de la fièvre jeune et du choléra — des maladies qui menaçaient le trafic commercial —, la variole et les fièvres éruptives n’étaient pas considérées comme endémiques, la diphtérie et le croup étaient rares et la fièvre typhoïde avait montré une baisse. Alors, selon son opinion, avec un peu d’efforts pour réduire la mortalité par l’assainissement de la ville, il suffirait d'une période courte pour avoir le même taux de mortalité que Brighton et ainsi sauver annuellement de 800 à 928 personnes22. Cet argument laisse voir la façon dont la médecine et l’hygiène commencèrent à être considérées comme des éléments centraux du progrès du pays. Si les chiffres de mortalité générale à Bogota ne semblaient pas vraiment mauvais, par contre ceux de la mortalité infantile étaient inquiétants (Tableau 17). Ainsi, la différence entre le nombre de décès des enfants et celui des adultes était de 758 en 1886, mais de 351 en 1888 à 200 en 1889. Selon Arias Argáez, cela démontrait que la mortalité infantile montait d’année en année, et donc que l’état sanitaire de la ville baissait23. Pour le médecin colombien, il faudrait faire une analyse plus précise de la mortalité infantile, mais les statistiques locales ne le permettaient pas. Pour améliorer les registres de la population publiés mensuellement dans 20
Ibid., 102‑104. Les données de Buenos Aires furent tirées de son recensement municipal. Ibid., 93. 22 Ibid., 104‑105. 23 Pour Fonssagrives, les critères décisifs pour mesurer l’état sanitaire d’une population étaient : la mortalité générale, la mortalité infantile et le ravage dus aux maladies constitutionnelles héréditaires. Arias Argáez reprit les critères de cet auteur français, mais il limita son étude aux deux premiers. Ibid., 98‑99. 21
197
le journal officiel, il proposa de suivre le modèle de Bertillon, c’est-à-dire d’enregistrer les décès des nouveau-nés par jour pendant le premier mois, par semaine pendant le premier trimestre et par mois pour le reste de l’année. Et de classer les autres décès de 1 à 5 ans et ensuite tous les 10 ans24 Tableau 17. Des statistiques de naissances et de décès à Bogota pendant la période 18861889 Année
Naissances (N) H
Décès (D)
Comparaison
F
H
F
G
Fi
N
D
Diff.
1886
996
979
832
924
531
467
1 975
2 754
-779
1887
1 169
1 126
728
764
570
529
2 295
2 591
-296
1888
1 163
1 151
645
698
510
482
2 314
2 335
-21
1889 1 161 1 103 634 751 620 565 2 264 2 570 -306 NOTE : H : hommes ; F : femmes ; G : garçons ; Fi : Filles ; N : nombre de naissances ; D : nombre de décès Diff : différence entre N et D. SOURCE : Les chiffres furent repris d’Isaac Arias Argáez, Observaciones sobre la higiene de Bogotá. Tesis de doctorado en medicina (Bogotá: Imprenta de La Nación, 1890), 106-109
Dans son analyse des chiffres, Arias Argáez suit les raisonnements des auteurs étrangers. Ainsi, il tenta aussi d’évaluer l’influence des saisons sur la mortalité, question que Bertillon s’était posée pour la mortalité en France25. Le médecin colombien souligna une augmentation pendant les mois de mars et avril, mais il ne trouva pas de règle précise pour expliquer cette recrudescence. Pour lui, les commodités et le bien-être social avaient une influence plus évidente sur le taux de mortalité. Les personnes plus ou moins aisées survivaient plus facilement aux maladies que celles qui étaient pauvres, souffraient de malnutrition et étaient mal logées26. Quant au mouvement de la population dans la ville de 1886 à 1889, il nota que les chiffres suggéraient un déficit, car pendant ces années il y a eu 1 402 décès de plus, soit une moyenne de 350 décès annuels. De sorte que la population de Bogota augmentait seulement par l’immigration des personnes venues d’autres villes du pays. Néanmoins, pour Arias Argáe , il fallait chercher ailleurs l’explication de la croissance de la population. À son avis, la différence négative provenait de : 1) la quantité de personnes d’autres villes voisines qui venaient mourir à l’hôpital de charité ; 2) la négligence du suivi de la statistique de natalité dans la ville ; 3) l’indolence et du peu d'intérêt des parents pour inscrire leurs enfants sur les registres des paroisses. Suivant la règle du médecin-hygiéniste Adrien Proust, selon laquelle la richesse d’une nation était liée à la différence entre les naissances et les décès, Arias Argáez signala
24
Ibid., 110. Bertillon détermina l'influence des mois et des saisons sur la mortalité de chaque âge. Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales., 1875, Neuvième, MOE-MOR:764. 26 Arias Argáez, Observaciones sobre la higiene de Bogotá., 110. 25
198
qu’il fallait en conclure que « nous irions rapidement sur la pente de la dépopulation et à la place du progrès, nous serions en train de reculer ». Toutefois, il considéra que cette conclusion était un contresens par rapport à la réalité de Bogota. Pour lui, et à la manière des pays civilisés, il était nécessaire d’imposer aux parents d’aller enregistrer leurs enfants dans un délai maximal de cinq jours après la naissance. Ainsi, lorsqu’on disposera de statistiques de natalité plus ajustées, il sera possible d’en tirer des conclusions précises sur la croissance de la population de la capitale du pays27. Cela permet de constater que dans son discours, Arias Argáe
se servait des chiffres, mais qu’il avait aussi un regard critique sur ce qu’ils
représentaient. Son argumentation, basée sur la surestimation des décès, les défaillances dans le suivi statistique et la négligence à l’enregistrement des nouveau-nés, montre l’importance de la discussion sur la faiblesse de la statistique en Colombie. Pour ce médecin colombien du XIXe siècle, les chiffres ne parlaient pas d'eux-mêmes, il fallait les interpréter. Cette démarche, qui ne semble pas avoir quoi que ce soit d’extraordinaire, fut néanmoins une distinction importante par rapport à l’usage de plusieurs médecins colombiens pendant les décennies suivantes. En ce qui concerne les causes de décès à Bogota, Arias Argáez critiqua le chaos de la nomenclature nosologique et le mépris dans l’élaboration des certificats de décès qui étaient exigés à la mairie pour faire l’inhumation. Alors, il fit un appel pour qu’ils fussent rédigés de façon homogène et précise. Ces difficultés lui imposèrent une analyse restreinte des données. Les principales causes de mortalité étaient les maladies du système digestif (entérites et dysenterie), les pneumonies et les broncho-pneumonies, les différentes formes de tuberculose et les maladies valvulaires. Il concentra son intérêt sur les trois premières, car les maladies valvulaires n’étaient pas associées à l’hygiène. Pour la période 1886-1889, les maladies qui ont représenté 50 % de décès de la ville furent la pneumonie (17,5), l’entérite (10,7), la dysenterie (10,1), les maladies typhoïdes (7,8) et la tuberculose (4,6). Des maladies liées à l’insuffisance quantitative et qualitative de l’alimentation, aux changements atmosphériques fréquents et à « la violation des principes élémentaires d’hygiène publique et privée »28. Les moyens pour lutter contre la mortalité infantile devaient inclure la réduction de la surpopulation dans les maisons, l’assainissement de la ville, l’instruction des mères sur l’hygiène alimentaire et la vigilance des ventes des aliments29. Les organismes fragiles et anémiques étaient un terrain plus apte à l’arrivée des germes et facilitaient sa propagation. La lutte contre la mortalité générale demandait alors l’amélioration des conditions d’alimentation de la classe ouvrière et 27
Ibid., 11. Ibid., 111‑113. 29 Ibid., 117. 28
199
celles de leurs logements. Sur cette voie, les futures générations auraient plus de possibilités d'avancer30. Comme nous avons tenté de le montrer, pour ce médecin colombien du XIXe siècle, les statistiques de mortalité étaient à la fois un outil d’évaluation de l’état de santé de la population et un outil pour promouvoir une meilleure appréhension des phénomènes et choisir des programmes d’hygiène adaptés à la réalité du pays. Son usage critique des chiffres et de leur interprétation fut asse rare dans le contexte d’une médecine nationale naissante, où la plupart de ses collègues dédièrent leurs thèses à des travaux très théoriques ou à l’analyse de cas cliniques. Sa position privilégiée de rédacteur en chef d’un journal de la capitale du pays, son accès rapide à l’information et son caractère critique auraient pu laisser penser à une grande influence sur les autorités municipales et, pourquoi pas, à un virage important dans l’hygiène de Bogota. Néanmoins, son acceptation d’un poste bureaucratique à l’étranger et son non-retour au pays ont entravé ces possibilités. D’ailleurs, son travail et sa façon de se servir des chiffres ne serviront pas de modèle aux médecins colombiens qui lui ont succédé immédiatement. En fait, il faudra attendre plusieurs années avant qu’une telle recherche soit reproduite dans le pays. Par sa démarche analytique concernant les chiffres, Arias Argáe s’est mis au même niveau scientifique que ses collègues hygiénistes étrangers, en fait, il fut plus proche d’eux que de ses homologues nationaux qui ne prêteront un intérêt particulier à la production des statistiques de santé publique que quelques décennies plus tard.
4.2 Le premier Congrès national de médecine en Colombie En juin 1893 fut organisé le premier Congrès national de médecine du pays. À l’origine de cet événement se trouve l’Academia Nacional de Medicina, association fondée en 1890, qui commença ses activités en avril 189131. Pour commémorer le quatrième centenaire de la découverte de l’Amérique, l’Académie proposa la tenue en 1892 d’un congrès de médecine à Bogota. L’appel aux médecins, naturalistes et dentistes, fut lancé seulement en octobre et le congrès eut lieu avec une année de retard par rapport à ce qui avait été prévu, du 21 au 26 juillet 1893. Le comité organisateur proposa une quarantaine de sujets pour les sessions et la question sur la quantification de la population et des maladies fut reprise dans la section du congrès consacrée à « l’hygiène et la démographie » Cette section comporta : I. L’étude des 30 31
Ibid., 117‑120. En 1873 fut créé la Sociedad de Medicina y Ciencias Naturales de Bogotá première association de médecins et naturalistes du pays. Pendant la décennie 1880 ont été fondés l’Academia de medicina de Medellin et la Sociedad Médica de Bogotá, en 1891, cette dernière deviendra l’Academia Nacional de Medicina. Cf : Diana Obregón, Sociedades científicas en Colombia: la invención de una tradición 18591936 (Bogotá: Banco de la República, 1992).
200
endémies et des épidémies dans le pays du point de vue de l’étiologie et de la prophylaxie ; II. L’hygiène internationale ; III. L’étude des conditions hygiéniques de la classe ouvrière colombienne; IV. La mortalité et la natalité dans les diverses régions de la Colombie ; V. L’hygiène de la femme enceinte ; VI. La diététique32. Le congrès compta 116 participants de différentes régions du pays avec une assistance importante des médecins de Bogota et de Medellin. Des sessions thématiques furent programmées chaque jour, et plus de 80 travaux ont été présentés pendant tout l’événement. La plupart furent consacrés à la lèpre - Il ne faut pas oublier que la déclaration et l’isolement de patients atteints de lèpre devint obligatoire en 1890 (Loi 104 de 1890) - quoique le paludisme, les fièvres et la syphilis aient été aussi au centre de l’attention. Dans la section d’hygiène et démographie, deux médecins ont utilisé des statistiques dans leur communication, dont le sujet portait sur la mortalité infantile à Bogota et le régime alimentaire des travailleurs33. Nous allons seulement commenter la première. Quelles sont les maladies et les causes les plus fréquentes qui peuvent provoquer un décès chez les nouveau-nés et les enfants de moins de trois ans ? C’était la question que se posait le médecin colombien Guillermo Muñoz dans son intervention au congrès. Pour y répondre, et sur la base de quelques années de pratique professionnelle, il distingua quatre catégories de mères et d’enfants selon leurs conditions socio-économiques, et démontra la relation entre le type d’alimentation fourni par les mères et l’état de santé de leurs enfants. Son texte, très descriptif, critique certaines pratiques des sages-femmes, les dangers que courent les enfants allaités par des nourrices, et présente leur symptomatologie et leurs troubles digestifs jusqu’à l’évolution fatale. À la fin du texte, et « pour corroborer » ses observations, il retranscrit les chiffres absolus de mortalité infantile selon la cause de décès du mois de juin 1893. Des données obtenues à partir des certificats de décès de la mairie34. Ces chiffres vont documenter ce qui était déjà connu par la pratique professionnelle. La première catégorie de mères, celle de la classe inférieure ou misérable, comprenait des femmes habitant des logements insalubres et en paille, qui accouchaient dans leurs taudis, et qui, suivant les conseils des sages-femmes, donnaient à sucer à leurs nourrissons un tissu trempé dans un mélange d’huile et de miel ou dans un sirop de peonías, — un purgatif — et produisait des vomissements et des diarrhées, prédisposant les enfants à des troubles digestifs. L’allaitement de l’enfant commençait trois jours après, mais comme les mères 32
República de Colombia, Congreso médico nacional. 20 de julio de 1893 (Bogotá: Imp. de La Luz, 1892), 12‑13. 33 o Cf. : Anales de la Academia Nacional de Medicina 1, n 1 (1893). 34 Guillermo Muñoz, « Causas de la mortalidad en Bogotá en niños menores de tres años », Anales de la o Academia Nacional de Medicina 1, n 1 (1893): 98‑103.
201
étaient malnutries et anémiques, leur lait n’apportait pas grand-chose à leurs bébés. Elles retournaient rapidement au travail, et n’allaitaient qu’à leur retour au logement, ce qui induisait des affections digestives chez les nouveau-nés. Puisqu’elles ne suivaient aucune règle d’hygiène mais — selon le jugement de Muñoz — « des coutumes modérément civilisées *…+, les maladies endémiques et épidémiques trouvaient un vaste champ où exercer leurs influences maléfiques »35. La deuxième catégorie de mères, des femmes qui habitaient dans des tentes, avaient des conditions d’habitation meilleures que celles des femmes de la première catégorie et elles avaient un peu plus de nourriture. Quant au logement, le problème avait l’air vicié par la surpopulation et la cohabitation avec des animaux. En outre, tous les déchets des tentes étaient jetés dans les égouts découverts situés en face des habitations. Ces femmes ne suivaient pas non plus les règles d’hygiène et c’était elles qui travaillaient comme nourrices dans les familles aisées. À leur tour, elles confiaient leurs enfants à des voisines qui servaient elles aussi de nourrices, mais étant donné les salaires réduits que recevaient ces dernières, elles nourrissaient d’abord leurs enfants et, pour ceux de la voisine, elles pratiquaient surtout l’alimentation par biberon avec du lait acheté au marché et dans certains cas dilué avec de l’eau contaminée. Selon Muñoz, ces enfants négligés et sous-alimentés devenaient eux-aussi malades et mourraient d’athrepsie36. La troisième catégorie de mères avait des conditions de logements plus favorables, se nourrissait et s’habillait de façon correcte et appartenait au groupe des artisans. Néanmoins, la plupart d’entre elles consacraient leurs journées à produire des alcools locaux et à fabriquer d’autres produits de vente pour les magasins où elles habitaient. Après l’accouchement, elles faisaient suivre à leurs enfants la même pratique dangereuse du tissu trempé, et quelques jours après, elles retournaient à leurs activités dans les boutiques. Pendant la journée, elles laissaient leurs nourrissons avec la domestique qui leur donnait le biberon avec du lait de vache et une dilution de sucre de canne et l’allaitaient seulement le soir. Les enfants souffraient d’indigestions constantes, et les troubles digestifs étaient fréquents. L’absence de mesures hygiéniques au moment de la préparation du biberon faisait de son usage une pratique très dangereuse. Selon Muñoz, le lait maternel était le seul aliment approprié aux nouveau-nés. Il était d’accord avec le slogan selon lequel « le biberon est l’infanticide autorisé et toléré par les sociétés et les gouvernements »37. La quatrième et dernière catégorie de mères comprenait les femmes aisées, leurs 35
Ibid., 99. Ibid., 100. 37 Ibid., 101. 36
202
nourrissons souffraient moins de maladies que ceux appartenant aux catégories précédentes, et tout cela grâce au fait qu’en majorité elles allaitaient leurs enfants et suivaient des règles d’hygiène. Mais elles devaient aussi faire attention aux domestiques et empêcher les mœurs insalubres dans la garde des enfants. Selon Muñoz, il était indispensable dans tous les cas de très bien choisir les nourrices avant de les embaucher, de faire attention à leur condition physique, par exemple leur corpulence, leurs dents, la couleur de leur peau et leur quantité de cheveux, etc., car ceux-ci étaient des indicateurs de leur état de santé 38. Les principales préoccupations de Muñoz ont été les troubles digestifs qui conduisaient les enfants à la mort. Les catégories qu’il a construites pour les mères étaient associées à la façon dont elles nourrissaient leurs enfants en fonction de leur niveau socio-économique. Par une quantification, il chercha à « corroborer » ce qu’il avait déjà établi dans sa pratique professionnelle, donc son usage des statistiques fut très restreint, il ne nota que des chiffres absolus, et pour lui ils étaient suffisants (Tableau 18). D’après Muñoz, il fallait « juste voir le chiffre total », soit 65 enfants décédés, pour comprendre que Bogota était en train de miner la vie de ses enfants39. Pourquoi 65 est-il un chiffre alarmant? Pourquoi suppose-t-il que ce chiffre pourrait être supérieur ? Il ne dit rien, il n’interroge pas les chiffres, il ne les critique pas, pour lui les données d’un mois sont asse représentatives de la réalité de la ville. Il est indéniable que Mu o n’était pas dans le même registre scientifique et analytique que son collègue colombien Arias Argáez. Muñoz était persuadé que son usage des chiffres servait à valider ses observations cliniques. Il ne comprenait pas encore que le nombre de décédés ne devenait l’expression de la mortalité que par son rapport avec la population, ni le fait qu’il n’était pas crédible de tirer des conclusions à partir des chiffres d’un seul mois.
38 39
Ibid., 102. Ibid., 103.
203
Tableau 18. Des statistiques des causes de décès à Bogota en juin 1893 Maladie Décès Dysenterie et la gastro-entérite 18 Pneumonies, broncho-pneumonie et bronchite 16 Asphyxie à la naissance et prématurité 8 Méningite 3 Laryngite 1 Grippe 2 Encéphalite 1 Arthrite rhumatismal 1 Troubles cardiaques 3 Muguet* 1 Fièvre typhoïde 1 Syphilis héréditaire ou congénitale 2 ǂ Entérorragie 1 « Colerina » ou colique infantile 1 Erésipèle 4 Tubercules mésentériques 1 Athrepsie** 1 TOTAL 65 NOTE : *Le muguet est une infection des muqueuses de la bouche causée par un champignon. ǂ L’entérorragie est une hémorragie de l’intestin. **L’athrepsie est l’état cachectique constituant la phase ultime de la dénutrition chez le nourrisson. SOURCE : Guillermo Muñoz, « Causas de la mortalidad en Bogotá en niños menores de tres años », Anales o de la Academia Nacional de Medicina 1, n 1 (1893): 103
Dans les chiffres présentés par lui pour le mois de juin 1893, les maladies du système digestif ont provoqué la majorité des décès infantiles à la statistique, soit 22 sur 65. Muñoz aurait pu lui aussi faire noter aux auditeurs que, dans ses données, un décès sur trois avait eu pour cause une maladie du système digestif. Mais il ne le souligna pas et ne commenta pas non plus le chiffre des maladies pulmonaires. Ses conclusions pour réduire la mortalité infantile semblent plutôt des recettes toutes faites et des recommandations à caractère répressif, qui, à cause de la réalité matérielle du pays, étaient impraticables. Il demanda de faire attention à l’hygiène publique et privée, de faire le nettoyage minutieux des maisons, des rues, des rivières, des places, de disposer des égouts avec beaucoup d'eau, de construire « un quartier spécial pour les pauvres » assurant des règles d’hygiène, d’empêcher l’usage du biberon ou de le passer à l’eau bouillante avant et après son emploi. Il jugea aussi important d’agrandir les salles de maternité de l’hôpital de charité et d’y conduire là-bas, avec l’aide de la police, toutes les femmes pauvres qui seraient dans leur période finale de gestation, et d’établir un centre d'accueil ou un atelier de travaux manuels dans lequel ces femmes pourraient être prises, moralisées et encouragées à travailler40. Pour s’attaquer à la mortalité
40
Ibid., 104.
204
infantile, il fallait assainir la ville, mais aussi moraliser les comportements individuels, sauf que Mu o n’a pas fait attention au décalage entre la réalité matérielle du pays et ses stratégies très onéreuses pour réduire la mortalité.
4.3 Les mères doivent contribuer à la transformation de la patrie Après le Congrès de 1893, les rencontres académiques nationales n’ont pas eu de continuité, en fait, le congrès suivant n’a eu lieu que dans la décennie 1910. À la fin du XIXe siècle, le déclenchement de la Guerra de los mil días et la débâcle sociale et économique qu’elle laissa derrière elle affecta profondément la gouvernabilité du pays et le fonctionnement des institutions. En 1907, Bernardo Casas, un autre médecin colombien, s’occupa de la mortalité infantile et de sa quantification. Le choix de son sujet de thèse a été guidé par sa pratique clinique pendant deux ans à la salle infantile de l’Hospital San Juan de Dios, et par la quantité d’enfants qu’il voyait mourir là-bas à cause de maladies gastrointestinales. D’après lui, l’ignorance et le manque d’intérêt des mères pour l’hygiène et l’alimentation des nourrissons étaient en train de ravager cette population. Les statistiques et les recherches avaient démontré qu’en Europe, où des services infantiles fonctionnaient dans une partie importante des villes, la mortalité des enfants de moins de deux ans était supérieure à celle des autres enfants. Casas essaya de prouver que le nombre de décès infantiles dans le pays était encore plus élevé que celui des villes européennes41. La structure de la thèse de Casas est assez conforme à la tradition de la Faculté de médecine de Bogota à l’époque. Ainsi, la description théorique du sujet médical est suivie par la présentation de certains cas cliniques, traités par l’auteur lui-même. Sa singularité vient du recours aux chiffres dans les conclusions du texte, auxquels il revient pour reprendre son hypothèse selon laquelle, et n’utilisant que des statistiques de Bogota, le nombre de décès infantiles dans le pays était supérieur à celui d’autres pays. L’approche de Casas est celle d’un clinicien, donc il étudia la dyspepsie42 et les gastroentérites aiguës et chroniques selon l’étiologie, les types cliniques, l’anatomopathologie, le diagnostic et le traitement. Puisque l’observation clinique avait bien montré que la cause principale des troubles digestifs che les enfants était l’alimentation à base de lait cru, pour Casas la consigne était l’allaitement comme une obligation maternelle, un devoir. Du même avis que le médecin français Antoine Marfan, pour Casas la rupture du lien établi par la nature entre la mère et le nouveau-né ne pouvait être considérée que comme une blessure sociale. 41
Bernardo Casas, Contribución al estudio de la mortalidad infantil en los dos primeros años de vida. Profilaxia y tratamiento (Bogotá: Imprenta eléctrica, 1907), VII‑VIII. 42 Ensemble de symptômes de douleurs ou de malaises épigastriques dont l’origine se situerait dans l'estomac ou dans des structures proches.
205
Seulement les mères souffrant de maladies infectieuses devaient être exonérées de l’allaitement43. D’après le médecin colombien, la clinique avait aussi démontré que le recours aux nourrices pouvait générer de fréquents troubles che les nourrissons et que l’usage du biberon déclenchait des troubles importants qui conduisaient à la mort44. Si son usage était indispensable, il recommandait les biberons à tube court et simple, car leur stérilisation était facile et effective. Il insista sur la nécessité de faire suivre aux mères des instructions quant aux horaires, à la durée et à la fréquence de l’alimentation des nourrissons, cela pour tous les types d’alimentation, l’allaitement au sein, mixte ou artificiel. Selon Casas, l’imposition d’un rythme favorisait la réduction des altérations des voies digestives chez les enfants45. Ainsi, pour s’attaquer à la mortalité infantile chez les enfants de moins de deux ans, toutes les femmes, quelles que soient leurs conditions sociales et économiques, devaient suivre « les conseils de la science ». L’hygiène était le moyen d’élargir la distance entre le berceau et la tombe. La plupart des recommandations proposées par Casas sont de l’ordre de l’hygiène privée et liées à l’alimentation des enfants : éviter l’alimentation excessive, nourrir les enfants à des heures précises, si l’alimentation est artificielle laver les biberons avant et après leur usage, etc. L’allaitement au sein des nourrissons par leur propre mère fut sa consigne principale. Une mère qui s’occupait de son enfant était une femme patriotique46. D’ailleurs, puisque les nations prospères étaient celles où la natalité augmentait ou au moins ne diminuait pas, la croissance de la patrie était aussi une fonction des mères et elles devaient contribuer ainsi à sa prospérité. Un enfant élevé selon les préceptes de l’hygiène dès ses premiers jours « sera un adolescent fort, de corps sain et d’esprit éveillé, et plus tard, un homme énergique, travailleur, courageux et entreprenant. Il deviendra un homme capable de produire, un élément utile pour le progrès, car il [contribuera] au développement des sciences, des arts et des industries »47.
43
Antoine Bernard Marfan, Les Gastro-entérites des nourrissons : étiologie, pathogénie, prophylaxie (Paris: Masson, 1900). 44 Si pour Casas l’argument est clinique, dans l’ouvrage Les Gastro-entérites des nourrissons, Marfan cite des chiffres de Léon Petit pour souligner que la mortalité infantile était supérieure chez les enfants élevés par des nourrices que chez ceux allaités au sein par leurs propres mères. Cf : Les Gastroentérites des nourrissons, 345. Néanmoins, le médecin colombien ne reprit pas cet argument. Casas, Contribución al estudio de la mortalidad infantil en los dos primeros años de vida. Profilaxia y tratamiento, 11‑12. 45 Ibid., 17. 46 Ibid., 30‑55. 47 Ibid., 60.
206
Tableau 19. Des statistiques des décès à Bogota de 1902 à 1906
Année
Naissances
Décès
Taux de mortalité pour 1 000 habitants*
1902
3 214
431
134,111
1903
3 214
481
150,951
1904
3 161
367
115,772
1905
2 969
346
116,643
1906 3 117 403 126,085 NOTE : *Pour obtenir les taux, Casas normalisa à 90 000 habitants le chiffre de la population pour toutes les années. SOURCE : Chiffres tirés de: Bernardo Casas, Contribución al estudio de la mortalidad infantil en los dos primeros años de vida. Profilaxia y tratamiento (Bogotá: Imprenta eléctrica, 1907), 66.
Faire baisser la mortalité infantile, c’était donner à la patrie les futurs travailleurs dont elle avait besoin. Casas présenta les taux de mortalité infantile à Bogota de 1902 à 1906 que, dans un sens plus large, il interpréta comme ceux de la Colombie. Ainsi, il compara le taux à Bogota avec ceux de certains pays européens, et conclut que les chiffres de la nation colombienne étaient accablants (Tableaux 19 et 20). Tableau 20. Taux de mortalité infantile des différents pays en 1901 Pays Russie européenne
Taux de mortalité pour 1 000 habitants 32,49
Autriche Hongrie
31,82
Italie
23,52
Allemagne
22,62
France
22,06
Portugal
21,84
Angleterre
19,56
Belgique
18,73
Suisse
18,60
Suède
15,62
Norvège
15,40
SOURCE : Bernardo Casas, Contribución al estudio de la mortalidad infantil en los dos primeros años de vida. Profilaxia y tratamiento (Bogotá: Imprenta eléctrica, 1907), 61.
Dans sa thèse de médecine, Casas ne nous indique pas la source des statistiques de mortalité qu’il a utilisée pour faire la comparaison. Les chiffres cherchaient à alerter les lecteurs. Pour Casas, ils avaient d’eux-mêmes la valeur de la preuve. On constate donc dans ses chiffres, la mortalité infantile attribuée aux maladies des voies digestives à Bogota pendant la période 1902-1906. Pour chaque année, Casas présente un tableau selon le nombre des décès par cause, sexe et mois. D’où proviennent les chiffres locaux ? Avait-il repris ces chiffres de la statistique de l’HSJD ? Ou de la publication officielle Registro municipal ? Comment avaient-ils été produits ? Il n’en dit rien. Il ne se posa pas la question de l’incidence du climat 207
sur les causes des décès – comme l’avait fait Arias Argáe en 1890 — ni ne tenta de savoir si la mortalité infantile avait augmenté pendant le quinquennat dont il présenta les chiffres (Tableau 21). Malgré ces silences, pour lui les chiffres étaient un constat irréfutable du fait que des maladies évitables telles que la gastro-entérite et l’entérite frappaient fortement les enfants. Tableau 21. Nombre des décès des voies digestives à Bogota de 1902 à 1906 Maladie
1902
1903
1904
1905
1906
0
19
68
52
40
Gastro-entérite
131
204
123
125
96
Entérite
167
135
113
139
155
82
76
30
47
85
Entérocolite
8
21
7
9
14
Dysenterie
85
47
27
15
17
Choléra infantile
Athrepsie
TOTAL 473 502 368 387 407 SOURCE : Chiffres tirés de: Bernardo Casas, Contribución al estudio de la mortalidad infantil en los dos primeros años de vida. Profilaxia y tratamiento (Bogotá: Imprenta eléctrica, 1907), 63-65.
Casas avait l’espoir que la Colombie suivrait le chemin des pays civilisés et tenterait d’établir des « Gouttes de Lait » pour réduire les gastro-entérites. Les chiffres validaient cette pratique, à Paris, ils avaient montré que la mortalité par entérite était passée de 4 274 en 1880 à 2 157 en 1901, soit presque une réduction de 50 % et tout cela grâce à ces institutions. De même, il cita l’étude du médecin Pierre Caviglia48, qui montrait qu’à Turin, de 1867 à 1904, le taux de mortalité général chuta de 32 pour 1 000 à 14, tandis que la mortalité infantile avait seulement commencé à descendre à partir de 1901, lorsque furent installées les Gouttes de lait49. Le modèle de la Goutte de lait comme système de protection maternelle et infantile s’imposait dans le monde entier. Ces institutions fonctionnaient dans plusieurs pays européens et anglo-saxons et vers 1903, il y avait déjà des Gouttes de lait à Buenos Aires, Rio de Janeiro, Santiago du Chili et Montevideo50. Dans sa thèse, Casas ne consacra aucune ligne à expliquer ce système ni la façon dont il devait être mis en œuvre dans le pays. L’appel du médecin colombien en faveur de l’établissement de ces institutions sur le territoire national visait à intégrer le pays dans le mouvement hygiéniste sur la protection de l’enfance qui se répandait dans le monde entier.
48
n suppose que l’étude citée est : Pierre Caviglia, « Mortalité infantile et statistique des consultations o de nourrissons », Revue d’hygiène et de médecine infantiles 5, n 1 (1906). 49 Casas, Contribución al estudio de la mortalidad infantil en los dos primeros años de vida. Profilaxia y tratamiento, 60‑62. 50 Catherine Rollet, « Le modèle de la Goutte de Lait dans le monde: diffusion et variantes », in Les biberons du Docteur Dufour (Fécamp: Musées Municipaux de Fécamp, 1997), 116.
208
4.4 Les écueils d'une nation sans statistique Jusqu'à présent, les gouvernements [colombiens] n'ont pas été concernés par [la statistique officielle] cette branche de l'administration publique, peut-être en oubliant la grande importance des statistiques pour le développement d'une nation. Pour nous convaincre de cette importance, il faut juste voir que toutes les nations qui occupent une place importante dans le mouvement mondial actuel ont des informations détaillées sur l’état de santé de leur population, de leur industrie, des sciences et de l’art, etc. Avec ce système, il est logique que les flux d'immigration et de capital étranger aillent sur certains points de l'Amérique du Sud. En effet, rien n'est plus naturel pour un capitaliste qui veut investir son capital dans une entreprise industrielle, que de fonder ses calculs sur des données fermes et sûres à partir des statistiques. Rien n'est plus naturel pour un colon que de connaitre, à l'avance, les conditions de salubrité et de protection contre les maladies des régions où il voudrait s’établir. Ces données ne peuvent être connues que par le fonctionnement d’un service de statistique satisfaisant51. C'est ainsi que le médecin colombien Fernando Troconis G. commença la thèse qu’il soutint en 191252. Dans ce paragraphe se dévoilent les inquiétudes sur lesquelles il reviendra au moment de s’interroger sur la croissance de la population colombienne et sur la nécessité d’attirer l’immigration et les capitaux étrangers. Sa thèse a pour but de mettre au grand jour le grave problème de la mortalité infantile à Bogota. Pour cela, il a eu recours aux données de la Dirección de Higiene y salubridad (Direction de l’hygiène et de la salubrité, DHS) sur la base desquelles il établit les taux généraux de natalité et de mortalité, et la croissance de la population de la ville pour les années 1910 et 1911. Ensuite, il les compara aux taux de plusieurs pays européens et d’Amérique latine, données reprises d’une étude publiée par le médecin Cubain Rafael Rosalba, contenant les données des années 1906 et 190753. L’analyse comparative des chiffres démographiques est le moyen de donner un quelconque intérêt à des nombres qui, isolés, seraient presque dépourvus de signification. De même, il calcula le taux de mortalité infantile à Bogota et présenta les causes de mortalité par mois pour l’année 191154. 51
Fernando Troconis G., Apuntaciones sobre la mortalidad infantil en Bogotá. Tesis Facultad de Ciencias naturales y medicina (Bogotá: Imprenta J. Casis, 1912), 7. 52 Quelques années après sa soutenance, ce médecin continua à s’intéresser pour le problème de la population, et dédia un travail à l’étude démographique du département duquel il était originaire. Ce travail fut présenté, en 1919, au quatrième Congrès national de médecine réuni à Tunja. En 1923, il fut désigné Directeur départemental d’hygiène du Norte de Santander. En 1932, il était le chef de la section de la lutte antituberculeuse de la direction nationale d’hygiène. Fernando Troconis G., « Estudio de la estadística demográfica del departamento de Norte de Santander », Revista médica de o Bogotá XXXVIII, n 456‑61 (1920): 424‑32; « Informe de director de higiene del norte de Santander », o Revista de higiene 13, n 134‑40 (1923); « Extracto de informes presentados al Departamento o Nacional de Higiene por el jefe de la sección antituberculosa », Revista de higiene XIII, n 11 (1932): 407‑15. 53 Surement, l’article repris est : Rafael Fosalba, « El problema de la población de Cuba », Anales de la Academia de ciencias médicas, físicas y naturales de La Habana 45 (1909): 638‑751. 54 Troconis G., Apuntaciones sobre la mortalidad infantil en Bogotá.
209
Selon les données de Troconis, en 1910 il y a eu 3 692 naissances et 2 960 décès, soit une différence positive de 732 habitants. Puisque les résultats du recensement de 1912 n’étaient pas encore disponibles, il estima la population à 110 000 habitants, et calcula que le taux de natalité était égal à 33,5 pour 1 000 habitants et 26,9 celui de mortalité, soit un excédent de 6,6 pour 1 000 habitants. Pour l’année 1911, il calcula une croissance de 2,4 pour 1 00055. Les taux sont des mesures objectives, des proportions qui, une fois établies et organisées, deviennent des indicateurs de l’état de la population. De ce fait, pour réaliser un diagnostic de la situation de Bogota, Troconis présenta ses statistiques sous forme de tableaux dans lesquels les taux des pays apparaissaient organisés par ordre décroissant et il discuta la place de la ville dans cet ordre56. L’exercice est plus ou moins le même que celui effectué par Arias Argáez, sauf que Troconis compara les chiffres de la capitale colombienne avec ceux de différents pays sans tenir compte du bienfondé de sa comparaison (Tableaux 22-24).
55
Il faut évoquer ici l’estimation de la population de Bogota faite par Arias Argáe (1890). Comme Troconis, une absence de recensements fiables, le premier se vit obligé de faire une estimation approximative. Mais tandis qu’Arias Argáe , pour son estimation, se base dans la quantité d’habitations bâties et visibles dans la ville, Troconis de sa part, ne donne pas les sources de la sienne. La différence entre le deux (presque 117 000 pour 1889 et presque 110 000 pour 1911) peut surprendre, mais il n’y a pas des éléments ni pour les comparer ni pour en tirer de conclusions démographiques. D’ailleurs, le recensement de 1912 compta 121 245 habitants à Bogota. República de Colombia et Ministerio de Gobierno, Censo general de la República de Colombia levantado el 5 de marzo de 1912 (Bogotá: Imprenta Nacional, 1912), 39; Troconis G., Apuntaciones sobre la mortalidad infantil en Bogotá, 8. 56 Troconis G., Apuntaciones sobre la mortalidad infantil en Bogotá, 10‑12.
210
Tableau 22. Comparaison des taux de croissance démographique des différents pays Croissance de la Pays population
Croissance de la population
Brésil
24,6 Italie
11,0
Guatemala
21,9 Belgique
10,9
Uruguay
19,6 Suède
10,8
Argentine
18,9 Suisse
10,4
Bulgarie
18,2 Hongrie
10,3
Serbie
17,3 Japon
10,2
Australie
17,2 Australie
9,7
Porto-Rico
16,1 Portugal
7,5
Cuba
15,8 Bogota (1910)
6,6
Equateur
15,0 Etats-Unis
6,3
Hollande
15,0 Espagne
5,5
Allemagne
14,7 Honduras
4,5
Norvège
14,5 Chine
3,4
Venezuela
14,1 Salvador
3,2
Russie
13,6 Bolivie
3,0
Danemark
13,5 Haïti
2,5
Roumanie
12,4 Bogota (1911)
2,4
Scotland
12,0 l'Inde britannique
1,5
Angleterre
11,6 France
1,3
Pays
Canada 11,1 Mexique 1,0 NOTE. Troconis repris ces taux d’une étude publiée par le médecin Cubain Rafael Rosalba, contenant des données des années 1906 et 1907. SOURCE : Fernando Troconis G., Apuntaciones sobre la mortalidad infantil en Bogotá. Tesis Facultad de Ciencias naturales y medicina (Bogotá: Imprenta J. Casis, 1912), 7.
La finalité de ces tableaux est plus illustrative qu’analytique.
n peut noter par
exemple que la croissance de la population de Bogota était inférieure à celle de la plupart des pays latino-américains (Brésil, Uruguay, Argentine, Équateur, Venezuela). La transition du taux de croissance de 6,6 à 2,4 pour 1 000 ne pouvait pas être expliquée par l’apparition de maladies à caractère épidémique qui auraient augmenté la mortalité et ainsi réduit la croissance de la population. La réduction du taux sur une seule année conduit rapidement Troconis à conclure à la possible dépopulation de la ville.
211
Tableau 23. Comparaison des taux de natalité pour 1 000 habitants des différents pays Taux de natalité pour Pays 1 000h
Pays
Taux de natalité pour 1 000h
Russie
49,5 Bogota (1911)
32,3
Philippines
47,9 Hollande
32,2
Serbie
40,3 Japon
31,0
Costa Rica
39,1 Norvège
30,0
Roumanie
39,0 Danemark
29,8
Argentine
38,5 Australie
29,8
Allemagne
36,0 Angleterre
29,3
Uruguay
35,3 Belgique
29,0
Espagne
34,7 Suisse
28,6
Autriche
34,1 Porto-Rico
27,6
Italie
33,9 Suède
26,9
Bogota (1910)
33,5 Jamaïque
24,0
Mexique
33,4 Etats-Unis
22,5
Chili
33,2 Canada
22,0
Venezuela
33,0 France
21,9
Cuba 32,4 NOTE. Troconis repris ces taux d’une étude publiée par le médecin Cubain Rafael Rosalba, contenant des données des années 1906 et 1907. SOURCE : Fernando Troconis G., Apuntaciones sobre la mortalidad infantil en Bogotá. Tesis Facultad de Ciencias naturales y medicina (Bogotá: Imprenta J. Casis, 1912), 10-11
Quant au taux de natalité, il souligna que « la place » obtenue par Bogota pour cet indicateur était plutôt favorable, car « seulement 11 pays la précédaient et derrière elle il y en avait encore 18 ». En conséquence, aux yeux de Troconis il était évident que la croissance de la population de Bogota était durement frappée par un taux de mortalité trop élevé. En 1910, Bogota enregistra 2 960 décès, dont 1 320 furent des enfants de moins de 10 ans. La mortalité infantile représentait 44,5 % des décès, d’où l’importance de son étude et la nécessité urgente de l’assainissement de la ville. Cela permettrait de faire disparaître une grande partie des facteurs qui favorisaient la mortalité générale. À la différence de Casas, pour Troconis la mortalité infantile n’était pas un problème d’hygiène privée, elle concernait l’hygiène publique, d’où le fait que l’augmentation du budget qui lui était consacré devait être une priorité de l’administration publique 57.
57
Ibid., 12.
212
Tableau 24. Comparaison des taux de mortalité pour 1 000 habitants des différents pays Taux de mortalité pour Pays 1 000h
Pays
Taux de mortalité pour 1 000h
Bogota (1911)
29,9 Allemagne
17,8
Chili
29,8 Angleterre
17,7
Espagne
29,7 Hollande
17,4
Italie
29,2 Cuba
16,7
Japon
28,0 Danemark
16,4
Bogota (1910)
26,9 Etats-Unis
16,2
Autriche
24,4 Suède
16,1
France
20,6 Norvège
15,8
Venezuela
18,9 Belgique
15,2
Suisse
18,2 Uruguay
13,4
Scotland 18,0 Australie 12,6 NOTE. Troconis repris ces taux d’une étude publiée par le médecin Cubain Rafael Rosalba, contenant des données des années 1906 et 1907. SOURCE : Fernando Troconis G., Apuntaciones sobre la mortalidad infantil en Bogotá. Tesis Facultad de Ciencias naturales y medicina (Bogotá: Imprenta J. Casis, 1912), 10-11
Pour insister sur le problème de la croissance de la population, il calcula le nombre d’années nécessaires au doublement de la population de la ville. Il considéra une population de 100 000 personnes et un taux de croissance annuelle de 6 pour 1 000, et appliqua la formule n = Log C-Log c /Log (l+r) 58. Le chiffre était frappant : 115 années, 10 mois et demi, soit plus d’un siècle. La demande d’augmentation du budget de l’hygiène arriva au moment où la ville négociait un crédit à l’étranger pour améliorer et élargir le service du tramway électrique. D’après les membres du Conseil municipal de Bogota, quant aux revenus de la municipalité, il y avait une idée généralement partagée et bien enracinée selon laquelle ils étaient amplement suffisants et, par conséquent, la ville disposait des ressources nécessaires à tous les services publics. La presse locale non seulement réclamait de façon récurrente la prise en charge du nettoyage de la ville, mais demandait à la mairie d’entreprendre aussi des travaux d'embellissement en utilisant pour cela les taxes municipales. Mais selon les conseillers municipaux, les dépenses municipales étaient supérieures aux revenus et l’assainissement et l'embellissement de la ville exigeaient de nouveaux impôts ou plus d’aides du trésor national59. L’appel de Troconis pour l’amélioration du budget de l’hygiène n’a pas eu de réponse immédiate.
58
n est le nombre d’années, c la population actuelle, C la population doublée, r le taux de croissance de la population. Ibid., 13. 59 Concejo municipal de Bogotá, Exposición que hace el Concejo Municipal de Bogotá al Congreso de 1912 (Bogotá: Ed. Arboleda & Valencia, 1912), 3‑5.
213
En 1911, 1 355 enfants décédés furent enregistrés à Bogota, dont 1 099 de moins de deux ans. Estimant à 6 000 le nombre d’enfants de cet âge-là, Troconis calcula un taux de mortalité de 18,3 %. Ce taux était supérieur de 33 % au taux de mortalité générale, de ce fait Bogota était en tête de liste dans la comparaison avec d’autres pays (Tableau 25). Troconis n’a pas cité la thèse de Casas, qui avait lui aussi fait un tableau pour comparer les taux de mortalité infantile des différents pays avec celui de Bogota. Les pays comparés ne sont pas identiques, mais on constate que en bas de la liste se trouvaient à nouveau la Suède et la Norvège (Tableaux 20 et 25). Tableau 25. Comparaison des taux de mortalité infantile en pourcentage des différents pays Taux de mortalité
Pays Cuba
31,7
Hollande
26,4
Uruguay
23,6
Espagne
23,3
Hongrie
21,7
Argentine
20,9
Allemagne
20,1
Angleterre
12,8
Écosse
12,3
Suède
10,7
Norvège 7,8 SOURCE : Fernando Troconis G., Apuntaciones sobre la mortalidad infantil en Bogotá. Tesis Facultad de Ciencias naturales y medicina (Bogotá: Imprenta J. Casis, 1912), 14.
Pour présenter les causes générales favorisant la mortalité infantile, Troconis reprit des études réalisées en France et en Europe qui suggéraient comme telles : la bâtardise des enfants, l’alimentation des nouveau-nés au biberon, la pauvreté et la misère. Ainsi, il reprit à son compte la corrélation trouvée par Bertillon entre l'alimentation au biberon et la croissance de la mortalité infantile ; aussi les chiffres de Pierre Budin qui montraient l’influence écrasante des maladies des voies digestives dans la mortalité infantile ; et finalement, l’étude d’Edmond Fournier sur la relation entre les conditions de vie, l’apparition de la syphilis et l’augmentation de la mortinatalité60. En 1910 et 1911, les statistiques de causes de décès tirées des certificats de décès exigés par les autorités municipales pour accorder les permis d’inhumation montrèrent que les gastro-entérites, la mortinatalité et les maladies respiratoires avaient représenté 60 % de la mortalité infantile. Elles étaient des causes importantes de dépopulation de la ville qui,
60
Troconis G., Apuntaciones sobre la mortalidad infantil en Bogotá, 14‑20.
214
associées à une diminution de la natalité, donnaient lieu à une réduction de la croissance de la population61. La situation de la capitale du pays demandait une lutte méthodique contre les causes de la mortalité infantile. Seulement deux institutions étaient chargées de la santé des enfants : l’hôpital de La Misericordia et l’Hospice. Tous deux avaient des conditions économiques difficiles, étaient administrées de façon indépendante, et l’attention qui leur était prodiguée était très limitée. Troconis proposa l’organisation de l'assistance publique « sur des bases scientifiques ». D’abord, la création d’un Conseil compétent pour diriger le fonctionnement des institutions de bienfaisance de manière pratique et efficace, sans les difficultés reliées à la dispersion des administrations, des budgets et des actions non coordonnées entre les différentes institutions. Ensuite, l’adoption du modèle de la Ligue française contre la mortalité infantile comprenant la promotion de l’allaitement maternel, la propagation des outtes de lait, la direction de ces établissements par des médecins, le contrôle du lait, l’enseignement de la puériculture et la vulgarisation de l’hygiène infantile62. Il ne faut pas oublier que l’originalité du modèle français des
outtes de Lait était qu’il conjuguait le service médical, social et
éducatif. Ainsi, les enfants disposaient de lait sain (fonction sociale), étaient examinés par un professionnel qui les avait pesés, mesurés, auscultés (fonction médicale) et les mères recevaient des conseils d’alimentation et de soin d’hygiène (fonction éducative)63. Avant la Première uerre mondiale, l’importance accordée à la protection de l’enfance dans le monde entier se manifesta par la tenue de trois Congrès internationaux des Gouttes de lait : le premier à Paris en 1905, le deuxième à Bruxelles en 1907, et le troisième à Berlin en 1911. Les statistiques des « nations civilisées » prouvaient une diminution de la mortalité infantile dans la lutte contre ce fléau et Troconis insista sur le fait que la capitale colombienne devait elle aussi faire des efforts pour lancer une campagne contre la mortalité infantile ajustée, bien évidemment, aux nécessités locales et au budget municipal. Le plan comportait plusieurs mesures. La réorganisation du service de maternité de l’HSJD était impérative et avec des ressources publiques et privées, elle était possible. La création des Gouttes de lait ne demandait pas la construction d’édifices spécialisés et l’assistance médicale serait assurée par des professeurs et des étudiants de la Faculté de médecine. Quant à la stérilisation du lait, au lieu de demander la construction des étables modernes, une proposition difficilement 61
En 1910, les décès par gastro-entérite correspondaient au 21,3 % de la mortalité infantile total. En 1911, le chiffre fut 28,9 %. La mortinatalité fut 13,3 % en 1910 et 12,9 en 1911. Ibid., 21. 62 Ibid., 38‑45. 63 Par contre, dans le modèle anglo-saxon les centres de distribution de lait stérilisé ne comprenaient pas la surveillance médicale et les fonctions éducatives et sociales étaient garanties par d’autres institutions. Cf. : Rollet, « Le modèle de la Goutte de Lait dans le monde. »
215
réalisable dans la ville, il fallait choisir une méthode facile comme celle de Soxhlet (Illustration 3) ou une autre similaire pour stériliser le lait au bain-marie dans les Gouttes de lait64. Le plan de Troconis ne sera pas mis en œuvre rapidement. La fondation de la première Goutte de Lait à Bogota n’aura lieu qu’en 1918 et sa création a eu un caractère privé, quoique plus tard elle ait obtenu le soutien des autorités d’hygiène65. Illustration 3. Instruments pour la stérilisation du lait par la méthode de Soxhlet
L’appareil est composé d’un bac de fer blanc, dans lequel se place un porte-bouteille avec les flacons de lait. SOURCE: « Stérilisation du lait par le procédé du Dr Soxhlet », Revue des instruments de chirurgie 4 (1894): 45.
4.5 Le problème de la mortalité infantile à Medellín Le problème de la protection de l’enfance inquiétait aussi les médecins d’autres régions du pays. En 1918, Pedro Nel Cardona soutint sa thèse de médecine dédiée à la mortalité infantile à Medellin. Il justifia son choix thématique par le fait qu’en Colombie la statistique commençait à peine et le taux de mortalité par maladies n’était pas connu numériquement d’après des sources officielles. En plus, d’après lui, et du point de vue médical, aucune étude sérieuse n’avait été faite au sujet de la mortalité infantile. On ne savait pas si le taux était élevé par rapport à d’autres endroits, ni non plus quelles étaient les causes qui produisaient cette mortalité et donc les mesures prophylactiques à prendre. L’objet de son travail était d’entamer une telle étude pour la ville de Medellín66. À propos de son travail, Cardona soulignait qu’il devait être considéré comme une simple contribution à l'étude de la mortalité infantile à Medellín puisque le problème était complexe, il y avait peu de moyens disponibles pour son élaboration et une grande difficulté à
64
Troconis G., Apuntaciones sobre la mortalidad infantil en Bogotá, 46‑51.
65
o
Tiberio Rojas A, « Mortalidad infantil- Gota de leche », Revista médica de Bogotá XXXVI, n 429‑32 (1918): 254‑257. 66 Pedro Nel Cardona Correa, Contribución al estudio de la mortalidad infantil en Medellín (Medellín: S. inf., 1918), 11.
216
obtenir des données statistiques et des observations précises67. D’après ce médecin, la mortalité générale de Medellín était très élevée. En 1917, 1 849 décès furent enregistrés pour une population calculée de 75 000 habitants, ce qui équivalait à 24,7 pour 1 000 habitants. Pour mieux comprendre le chiffre, il proposa une comparaison avec des « données numériques analogues » des autres villes du monde. À l’évidence, des taux appartenant pour la plupart aux pays dont la production des données statistiques avait une tradition historique : l’Angleterre, la France et l’Allemagne. À la différence des statistiques repérées dans les travaux de Casas et Troconis décrites précédemment, notons que dans celles-ci l’auteur reconnaissait que, pour interpréter les chiffres locaux, il fallait faire des comparaisons avec d’autres chiffres analogues, c’est-à-dire des taux d’autres villes. Il est certain que les conditions sociales, économiques, d’hygiène et de santé des villes européennes proposées dans les tableaux étaient tout à fait différentes de celles de Medellín, même de celles de Buenos Aires, mais au moins la comparaison était cohérente (Tableaux 26 et 27). Tableau 26. Taux de mortalité générale pour 1 000 habitants en 1912 Taux mortalité
Ville
Ville
Taux mortalité
Dublin
21,5 Copenhague
14,5
Trieste
21,0 Stockholm
14,5
Liverpool
18,8 Nuremberg
14,1
Lille
18,7 Birmingham
14,0
Budapest
18,7 London
13,8
Rome
17,5 Berlin
13,6
Glasgow
17,4 Christiania
13,6
Paris
16,7 Bristol
13,3
Vienne
16,6 Dresde
13,3
Lyon
16,5 Leipzig
12,9
Odessa
16,5 Hambourg
12,8
Buenos Aires
16,1 Düsseldorf
12,4
Munich
15,0 Berne
11,9
Cologne 14,9 Zurich 10,7 NOTE. Nous avons organisé par ordre descendant les taux présentés par Cardona dans sa thèse. SOURCE : Pedro Nel Cardona Correa, Contribución al estudio de la mortalidad infantil en Medellín (Medellín: S. inf., 1918), 12.
Le taux de mortalité générale à Medellín se révélait effectivement très élevé. D’après l’auteur, il ne devrait pas exister une telle différence. Les villes comparées étaient très peuplées, la lutte pour la vie s’y montrait plus difficile, l’air et la lumière dans les logements étaient limités, le froid de l’hiver et la pénurie faisaient beaucoup de victimes. Des situations 67
Ibid., 11.
217
inconnues à Medellin, où la vague connaissance dans l’administration publique de la portée de la mortalité infantile contribuait à la faiblesse des stratégies pour contrer des problèmes sociaux68. Selon Cardona, la Belgique, par exemple, avait réussi à faire baisser son taux de mortalité générale de 24,6 pour 1 000 habitants des années 1880, à 19,3 en 1900. Des nations telles que l’Italie, la Hollande, l’Autriche et la Suisse avaient-elles aussi réduit leurs taux de mortalité. Pour le cas de Medellin, le taux de mortalité générale élevé était lié à une grande mortalité infantile. D’après les chiffres de Cardona, en 1917 il y a eu 1 294 décès à Medellín, dont 534 furent des enfants de moins de trois ans, soit 41,4 % de décès. Par contraste, en 1912 à Buenos Aires ce pourcentage était de 27,669. Quant aux estimations de la mortalité chez des enfants de moins d’un an dans la ville colombienne, le chiffre de 20.9 % était aussi inquiétant. Ceci plaçait à nouveau Medellín en tête de liste et mettait en évidence l’énorme différence par rapport à son homologue latino-américain, Buenos Aires (Tableau 27)70. Tableau 27. Pourcentage de mortalité chez des enfants de moins d’un an en 1912 Taux Mortalité
Ville
Ville
Taux Mortalité
Odessa
16,6 Dresde
11,8
Munich
15,3 Birmingham
11,2
Cologne
15,1 Hanover
11,2
Vienne
14,9 Christiania
10,7
Dublin
14,4 Edimbourg
10,2
Berlin
14,2 Paris
10,2
Budapest
14,0 Rome
10,0
Leipzig
13,4 Lyon
9,9
Hambourg
12,9 Copenhague
9,9
Düsseldorf
12,6 Buenos Aires
9,6
Liverpool
12,5 London
9,1
Glasgow
12,4 Stockholm
8,2
Manchester 12,1 Amsterdam 6,4 NOTE. Nous avons organisé par ordre descendant les chiffres présentés par Cardona dans sa thèse. SOURCE : Pedro Nel Cardona Correa, Contribución al estudio de la mortalidad infantil en Medellín (Medellín: S. inf., 1918), 12.
Pour déterminer les causes principales des décès infantiles de la période 1915-1917, Cardona en tira lui-même les données du registre nosologique tenu à la marie de la ville. Le bureau de statistique municipal fonctionnait depuis le deuxième semestre de l’année 1915, mais les premiers annuaires ont été publiés en décembre 1916. De sorte qu’en juin 1918, date
68
Ibid., 12. Ibid., 13. 70 Ibid., 13‑14. 69
218
de la soutenance de Cardona, seules les données partielles de 1915 et celles de 1916 ont été publiées71. En préparant les statistiques de causes de décès, Cardona nota avec inquiétude la mauvaise qualité des diagnostics trouvés surtout dans les registres des décès infantiles. Même des causes de décès à l’évidence ridicules. À son avis, les responsables étaient les empiriques et les charlatans qui faisaient du profit dans le cas des enfants malades. Il insista sur le fait que malgré l’excellente réputation académique du personnel du Bureau de statistique municipal de Medellín, la qualité plutôt déplorable des registres nosologiques ruinait leurs efforts pour produire des chiffres fiables. D’après Cardona, pour établir des tenues de registres exemplaires, Medellín devait exiger des certificats de décès rédigés seulement par des médecins. Ainsi, la nécessité de bien quantifier les causes de la mortalité et l’incidence des maladies va être utilisée, par des médecins hygiénistes, comme un des arguments clés de la professionnalisation de la pratique de la médecine dans le pays. Quant aux chiffres présentés par Cardona, à l’exception de la bronchopneumonie, les maladies dominantes ont été celles des voies digestives telles que l’entérite et diarrhée, le cholera nostras, l’athrepsie, les parasites intestinaux et le tétanos du nourrisson (Tableau 28). En outre, le pourcentage de décès à cause de ces maladies digestives passa de 49,6 en 1916 à 58,9 en 1917. Tout au long de sa thèse, Cardona pointa le grave problème de la mortalité infantile à Medellín. Pour les principales causes de décès, et à partir des chiffres tirés des annuaires statistiques internationaux, il compara les pourcentages locaux à ceux des villes ou pays latinoaméricains. Bien que ce soient des comparaisons pas très claires, pour le médecin colombien, elles sont très illustratives de la réalité locale. Mentionnons quelques exemples. À Medellín, et chez les moins de trois ans, les décès par gastro-entérite atteignait 48,5 % en 1917, tandis que la mortalité par cette maladie à Buenos Aires était de 35,1 % en 1912, en Uruguay de 27 % en 1914, et au Chili seulement de 10 % en 1915. La comparaison des décès par parasites intestinaux était aussi révélatrice de la mauvaise situation locale. À Medellín le pourcentage fut de 5,6 % en 1917, à Buenos Aires et en Uruguay aucun cas de décès par cette cause ne fut enregistré, en 1912 et 1914 respectivement, et au Chili des 44 692 enfants décédés en 1915 seulement 8 sont décédés à cause de parasites intestinaux72
71
Oficina de estadística municipal, Anuario estadístico del distrito de Medellín (1915) (Medellín: J. L. Arango, 1916). 72 Cardona Correa, Contribución al estudio de la mortalidad infantil en Medellín, 19, 52.
219
Tableau 28. Nombre de décès infantiles à Medellín selon les causes de 1915 à 1917 1915*
1916
1917
Maladie
moins 1 à 3 de 1 an ans
Entérite et diarrhée
50
20
48
21
73
56
Choléra nostras
16
9
25
11
62
29
Athrepsie Parasites intestinaux
14 6
8 11
24 12
8 14
27 16
9 15
Dysenterie
5
6
5
10
8
18
Méningite
10
6
10
2
13
8
6
4
26
7
26
9
5 14
5 0
11 35
8 0
10 28
11 0
Rachitisme
3
2
6
2
7
4
Coqueluche
16
12
4
4
0
8
0
2
1
1
2
3
Bronchopneumonie Bronchite Tétanos néonatal
Paludisme D'autres maladies Total
moins 1 à 3 de 1 an ans
moins 1 à 3 de 1 an ans
25
17
67
37
37
56
170
102
274
125
309
226
272
399
535
Mortinatalité 21 48 61 NOTE. *Les données correspondent seulement au deuxième semestre. riginalement l’auteur présenta dans son tableau les données par semestre, mais nous avons regroupé l’information par années. SOURCE : Pedro Nel Cardona Correa, Contribución al estudio de la mortalidad infantil en Medellín (Medellín: S. inf., 1918), 15.
Les stratégies suggérées par Cardona pour lutter contre les causes principales de la mortalité infantile comportaient des contrôles de la production et de la vente de lait dans la ville — exiger le certificat d’hygiène pour le bétail et les fermiers chargés de la traite, augmenter le nombre des examens de laboratoire réalisés sur les laits vendus etc. — l’amélioration des services hospitaliers pour les enfants, la construction d’un sanatorium aux services gratuits pour les pauvres et payants pour les riches, la distribution de kits pour traiter de façon aseptique la coupure du cordon ombilical — la source principale du tétanos néonatal — et la divulgation, dans les journaux ou par des conférences, des mesures d’hygiène basiques liées à l’enfance73. Une campagne contre la mortalité infantile En 1918, l’année de la publication de la thèse de Cardona, fut créé à Bogota le dispensaire Luis Montaña qui prêtait assistance médicale aux enfants pauvres et malades de tuberculose. Pour copier un peu le modèle français de outte de lait, l’équipe des médecins guidant cette initiative privée, Eliseo Montaña, Nicolás Buendía et Carlos Tirado ont importé de l’étranger des machines pour stériliser et pasteuriser le lait à fournir aux enfants. La 73
Ibid., 77‑78.
220
direction du dispensaire était entre les mains de l'infirmière française, Genoveva Gateau74. Le service proposait aussi des programmes d’hygiène et de prophylaxie pour apprendre aux mères à suivre les règles d’hygiène et à prévenir les maladies communes de l’enfance75. L’appel aux autorités d’hygiène et au gouvernement colombien pour lutter contre la mortalité infantile par tous les moyens possibles, y compris la création de dispensaires ou de gouttes de lait, fut lancé à nouveau par le médecin Tiberio Rojas A. au troisième Congrès national de médecine. Cette réunion scientifique fut tenue du 17 au 20 janvier 1918 à Cartagena et a vu la participation d’une cinquantaine de médecins, arrivés de différentes régions du pays76. La présentation de cette conférence dans le Congrès et sa publication postérieure dans la revue de médecine de Bogota suppose une circulation plus large et importante de l’information que celle des thèses qui s’étaient occupées du problème de la mortalité infantile. On peut supposer que la circulation des thèses de médecine était restreinte et qu’elles passaient presque inaperçues pour la société de l’époque et leurs résultats n’arrivaient pas toujours à sensibiliser ni à mobiliser les autorités sanitaires. Cela est visible dans le régime de citation de ce type de travaux, où les auteurs ne citent presque jamais les travaux précédents. Rojas justifiait sa demande par les chiffres obtenus à partir de quelques rapports de directeurs départementaux d'hygiène. À Bogota, pour le quinquennat 1912-1916, le taux de mortalité infantile chez les moins de deux ans fut de 9,44 pour 1 000 habitants et de 4,90 pour ceux de deux à dix ans, soit un taux total de 14,34. En outre, quant aux causes, les chiffres montrèrent en tête de liste les infections intestinales, avec un pourcentage moyen pendant le quinquennat de 34,4 pour les moins de deux ans et de 18,7 pour ceux de deux à dix ans. Les autres causes importantes de décès étaient la bronchopneumonie et la pneumonie, avec un taux de 28,4 % pour les enfants de moins de 10 ans. La situation à Medellin était aussi inquiétante. Pendant le second semestre de 1915, il y a eu 947 décès, dont 296 enfants de moins de deux ans, soit 31,25 %. En 1916, la mortalité chez les enfants de moins de deux ans atteignit 41,79 %. Par ailleurs, les chiffres du département d’Antioquia pour l’année 1916 indiquaient qu’il y a eu 7 271 décès infantiles — la coqueluche, la bronchite et les gastroentérites entraînant 44,22% des décès. Les registres de la ville portuaire de Barranquilla montraient que la gastro-entérite était la cause principale de décès chez les enfants, avec 47 % 74
En 1919, une autre infirmière étrangère arriva au pays. Celle-ci, d’origine belge, fut envoyée par la ligue de Sociétés de la Croix Rouge pour fonder une école d’infirmières à Bogota. Ana Luisa Velandia, o « La enfermería en Colombia. Análisis sociohistórico », HERE-Historia da Enfermagem 1, n 2 (2010): 265. 75 Rojas A, « Mortalidad infantil- Gota de leche », 256‑257. 76
o
« Tercer Congreso médico de Colombia », Revista médica de Bogotá XXXVI, n 426‑28 (1918): 28‑54.
221
en 1915, et 38 % en 1916. Pendant ces mêmes années, les décès par athrepsie furent aussi importants, son pourcentage variant de 8,19 à 9,1377. Pour la première fois, on voit un médecin tentant de regrouper des statistiques de plusieurs villes colombiennes pour avoir un aperçu national sur la mortalité infantile. Certes, elles étaient très hétérogènes, donc difficiles à comparer, mais dans le contexte de son raisonnement, elles étaient efficaces pour démontrer une mortalité très élevée et la nécessité d’une réponse de type national contre ce fléau78. En 1917, un annuaire statistique colombien fut publié contenant des chiffres de mortalité selon les causes de décès et l’âge. Les routines des enregistrements démographiques commencent à peine dans le pays, certains départements ne rendent pas d’informations asse complètes et détaillées. Néanmoins, dans sa conférence, Rojas s’en est servi en reprenant les chiffres officiels de la mortalité générale par département de l’année 1915. Il souligna qu’à Bogota, Barranquilla, Cali et Cartagena, des villes importantes et peuplées du pays, la mortalité des moins de 10 ans était toujours supérieure à 55 % de la mortalité générale79. Rojas proposa d’utiliser tous les moyens possibles, affiches, plaquettes, brochures, conférences, discours et articles de journaux, pour vulgariser les règles d’hygiène et encourager les administrations municipales et départementales à établir des Gouttes de lait dans le pays. De son côté, la direction départementale d’hygiène du Valle demanda la publication et la distribution des Conseils élémentaires aux mères et aux nourrices, rédigés par l’Académie de médecine de Paris et la Commission permanente de l'hygiène de l'enfance80. En suivant le modèle français des outtes de lait, l’activité de base en Colombie serait la distribution du lait aux enfants pauvres dont les mères sont dans l’impossibilité physique ou sociale de nourrir leurs enfants. D’abord, la priorité était accordée aux enfants orphelins de moins de six mois, suivis par ceux du même âge, mais sous-alimentés par leurs mères, et ensuite ceux de six à douze mois, dont les familles ne pouvaient pas les alimenter. Pour bénéficier des services des gouttes de lait, les mères devaient soit présenter un certificat de pauvreté rédigé par le maire ou par des personnes honorables, soit payer le service. La surveillance médicale des enfants était une priorité et permettrait la constitution de 77 78
79 80
Ibid., 262‑268. Les statistiques de décès par gastro-entérites à Bogota considèrent la mortalité de 1912 à 1917 par mois et par trois rangs d’âge : d’un an à dix ans, mineurs de deux ans et de plus de deux ans. Celles de la ville de Medellín enregistrèrent les décès totaux annuels en 1915 et 1916 par quatre rangs d’âge : moins d’un an, d’un à deux ans, de trois à cinq ans, de six à dix ans. Celles de la ville de Barranquilla enregistrèrent les pourcentages mensuels des décès en 1915. Ibid., 262‑275. Ibid., 274‑275. Académie de médecine et Commission permanente de l’hygiène de l’enfance, Conseils élémentaires aux mères et aux nourrices (Paris: Impr. Martinet, s. d.).
222
statistiques. Chaque enfant devait avoir un livret de pesées et tout ce qui pouvait concerner sa croissance et sa santé. Si possible, des visites dans les lieux d’habitation des mères chercheraient à conseiller les parents sur les moyens d’améliorer les conditions d’hygiène, sinon la vulgarisation des règles d’hygiène serait exposée aux mères pendant leur visite dans le service. L’établissement devait disposer de machines pour stériliser et pasteuriser le lait et le nombre de bouteilles de lait attribué par enfant devait être enregistré. Si les ressources financières le permettaient, la formation de crèches était souhaitée81. D’après Rojas il était indéniable que les causes principales de la mortalité infantile, prouvées par les statistiques, étaient la mauvaise alimentation et la transgression involontaire, mais fréquente, des règles d’hygiène par les mères. La lutte contre ce fléau s’imposait et il demandait aux médecins participant au Congrès d’exiger des législateurs nationaux de légiférer à cet égard et de promouvoir la création de Gouttes de lait sur tout le territoire colombien82. À la différence des autres demandes faites par les médecins qui s’étaient intéressés au problème de la mortalité infantile, la motion de Rojas a eu un écho : le troisième Congrès national de médecine a inclus parmi ses conclusions un appel au gouvernement pour une loi de protection de l’enfance, et aux municipalités et assemblées départementales pour l’allocation de ressources83. La pression des médecins sur les autorités a eu des résultats : en 1919 le congrès national dicta la loi 122 qui, dans un de ses articles, exhortait les départements à fonder des Gouttes dans leurs principales villes et proposait des allocations à cet effet. La première Goutte de lait du pays fut inaugurée à Bogota cette même année. Elle a commencé comme une initiative privée du médecin Andrés Bermude , mais rapidement elle a disposé d’un budget financé par le conseil municipal et l’assemblée de Cundinamarca84. Pendant sa première année de fonctionnement, elle a inscrit 235 enfants : 130 dans le service d’alimentation artificielle, 90 allaités par leurs mères, mais inscrits pour une allocation mensuelle de 2 pesos, et 15 inscrits à la crèche et dont les mères travaillaient à la fabrication des tissés dans les ateliers de la
outte de lait. Selon les statistiques de l’institution, 108
enfants ont été admis dans un état de santé « satisfaisant », 65 dans un état « régulier » et les autres en étant malades. Un total de 20 enfants sont décédés, dont 5 furent admis gravement malades et sont décédés sans avoir séjourné 5 jours dans le service, 4 avaient été
81
Rojas A, « Mortalidad infantil- Gota de leche », 277‑280.
82
Ibid., 284‑285.
83
« Tercer Congreso médico de Colombia », 42‑43. Luis Enrique Pardo Calderón, Consideraciones sobre las Gotas de Leche. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía (Bogotá: Tipografía Minerva, 1920), 15.
84
223
diagnostiqués « athrepsie classique », 2 « broncho-pneumonie », 2 « méningite » et 1 « fièvre aphteuse ». D’où seulement 6 morts liées à l’alimentation, ce qui modifiait le pourcentage de décès du service de 8,51 à 2,55. Un chiffre qui montrait l’efficacité et l’importance des gouttes de lait pour lutter contre la mortalité infantile85. Au quatrième Congrès national de médecine, réuni à Tunja en 1919, un médecin de Barranquilla est revenu sur la question de la mortalité infantile et des Gouttes de lait. Cette fois-ci, l’intention fut de décrire le fonctionnement de la Goutte de lait de Medellín et les travaux pour la préservation de l’enfance que ce service développait dans la ville. Il tentait aussi de promouvoir la création d’une
outte de lait à Barranquilla. À Medellín, le modèle
d’alimentation et de protection de l’enfance par des Gouttes de lait fut adapté aux circonstances locales. Ainsi, le premier service de ce type fut mis en œuvre dans le cadre de l’école primaire, financé par des ressources municipales, départementales et privées. La municipalité loua un local et proposa d’inscrire 60 enfants. Une sœur de la Charité prêtait ses services comme maîtresse et l’administration départementale payait son salaire. Un médecin était responsable de la direction scientifique du service et exerçait sa fonction à titre gracieux. Un groupe de femmes aisées de la ville formaient un conseil directeur chargé de recueillir des dons destinés à l’alimentation et aux vêtements des enfants. Les résultats furent tellement positifs qu’après six mois d’ouverture, la situation budgétaire permit d’établir dans le même local une crèche pour accueillir 24 enfants. Le service comportait trois sections : la crèche pour les nouveau-nés, une section pour ceux qui rampaient ou apprenaient à marcher, et l’école qui accueillait des enfants jusqu’à 7 ans86. Pendant sa première année de fonctionnement, l’établissement ne disposait pas encore de statistiques. Donc, pour justifier les activités du service, le médecin Miguel M. Arango, qui ouvrit le congrès, eut recours aux chiffres officiels de la mortalité infantile de Medellín. En 1916, il y a eu 1 476 naissances et 309 décès d’enfants de moins d’un an, dont 200 étaient morts d’affections diarrhéiques (gastro-entérites, dysenteries, choléra infantile et athrepsie), toutes évitables et dont la prophylaxie était liée à l’hygiène du lait et de l’eau. En 1917, 130 enfants de un à trois ans sont décédés d’affections diarrhéiques, et vu que les gouttes de lait aidaient aussi à protéger les enfants de plus d’un an, Arango estimait que leurs services auraient pu sauver 330 des 534 enfants de moins de trois ans décédés par ces causes. En 1916, le pourcentage de mortalité des enfants de moins d'un an fut de 20,9, un chiffre élevé par rapport à ceux d’autres villes. Puisque dans les pays civilisés l’efficacité des Gouttes de lait 85
Ibid., 70‑71.
86
Miguel Arango M., « Gota de leche y sala cuna en Medellín », Revista médica de Bogotá XL, n 474‑86 (1922): 183‑185.
o
224
dans la lutte contre la mortalité infantile avait déjà été prouvée, selon l’avis d’Arango, les activités de la Goutte de lait à Medellín auraient aussi des résultats très positifs et probablement feraient descendre le pourcentage de mortalité de la ville à un chiffre proche de ceux de Buenos Aires ou Stockholm (Tableau 29). Tableau 29. Pourcentages de mortalité chez les enfants de moins d’un an en 1912 Taux de mortalité
Pays Amsterdam
6,4
Stockholm
8,2
Londres
9,1
Buenos Aires
9,6
Lyon
9,9
Berne
10,0
Paris
10,2
Berlin
14,4
Dublin
14,4 SOURCE : Miguel Arango M., « Gota de leche y sala cuna en Medellín », Revista médica de Bogotá XL, no 474‑86 (1922): 183.
Le médecin Arango s’inquiétait du fait que l’administration municipale de Barranquilla ne faisait rien pour protéger l’enfance dans cette ville portuaire. Les chiffres furent à nouveau l’argument privilégié pour insister sur l’importance de lutter contre la mortalité infantile. En 1918, 806 enfants sont décédés, soit 67,19 % des décès totaux, chiffre équivalent à un taux de mortalité de 14,40 pour 1 000 habitants. Parmi ces 806 décès, les affections diarrhéiques ont été à l’origine de 41,40 % des décès et l’athrepsie de 5,50 %. Selon Arango, l’absence d’institutions telles que les Gouttes de lait, les crèches ou le service de consultation infantile était responsable de la perte de 368 enfants par an dans la ville87. En 1920, il n’existait pas encore en Colombie de programme général pour lutter de façon systématique contre la mortalité infantile. Pourtant les initiatives municipales se répandaient et il y avait des Gouttes de lait à Manizales, Cartagena, Ibagué, Cúcuta, Bucaramanga et Barranquilla88. En 1923, du budget national de l’hygiène seulement le 0,5 % était consacré au fonctionnement des Gouttes de lait. Pendant la décennie 1920, celui-ci augmenta jusqu’à 1,3 % ; une montée exceptionnelle ─ à 2,5 %° ─ a eu lieu en 1929. Il est probable que la création de nouvelles Gouttes de lait, pendant la période 1918-1930, ait augmenté leur nombre dans le territoire national. Néanmoins, il est certain qu’en 1930, le budget officiel consacré à cette activité retomba à 0,9 % et en 1933 il était à nouveau de
87 88
Ibid., 187. Pardo Calderón, Consideraciones sobre las Gotas de Leche, 15.
225
0,5 %89 (Tableau 35). Cette année-là, il y avait dans le pays environ 30 Gouttes de lait et crèches dans 17 villes qui préparaient, une moyenne de 150 000 biberons par mois90.
4.6 Le statut des médecins et de la médecine universitaire et les chiffres de mortalité infantile En octobre 1922 s’est tenue à Medellín l’Asam lea médica de Antioquia y aldas, une rencontre académique régionale convoquée par l’Académie de médecine de Medellín. Dans sa communication, le médecin Juan B. Londoño, ancien directeur départemental d’hygiène91, analysa les statistiques des causes de décès infantiles en 1920 et 1921 à Medellín. Des chiffres que lui-même regroupa à partir des certificats de décès. Pourquoi ce médecin rassemblait luimême les données ? Depuis 1916, les annuaires de statistique municipale de Medellin publiaient des chiffres de mortalité selon les causes et l’âge. Les annuaires avaient-ils une circulation réduite ?
n ne peut pas l’assurer, en tout cas il est probable qu’au moment de
préparer sa présentation pour la réunion scientifique, l’annuaire statistique contenant les chiffres de 1921 n’était pas encore été publié. Néanmoins, la révision des certificats de décès a permis à Londoño de faire des remarques aux médecins sur la façon de les remplir et sur la fiabilité des diagnostics. C’est une singularité par rapport aux travaux précédents dédiés à la mortalité infantile. Par exemple, quant à l’enregistrement de l’âge des enfants, pour lui, il était indispensable de préciser l’heure, les jours ou les mois de façon à pouvoir discriminer les mortnés, ceux qui meurent pendant l’accouchement, ceux qui meurent le premier jour, le premier mois et la première année92. Les chiffres publiés officiellement considéraient seulement les tranches d’âges de : moins d’1 an, de 1 à 2 ans, de 3 à 5 ans, de 6 à 10 ans, de 11 à 15 ans et ainsi consécutivement, ce qui empêchait cette distinction93. Quant à la cause de décès, il insistait sur la nécessité d’être plus précis surtout par rapport aux maladies contagieuses et épidémiques et ainsi de noter par exemple rougeole et pneumonie, ou rougeole suivie d’une pneumonie ou rougeole suivie d’une gastro-entérite. Dans ces situations, il était plus pertinent d’enregistrer et de compter les décès comme cas de
89
República de Colombia et Departamento de contraloría, Anuario de estadística general 1933 (Bogotá: Imprenta Nacional, 1935), 224‑225. 90 Departamento nacional de higiene, « Gota de leche y Salas cunas: movimiento en el mes de o noviembre de 1933 », Revista de higiene 3, n 3‑4 (1934): 162‑63. 91 Son intérêt pour la quantification de la mortalité infantile n’était pas nouveau, en 1917 comme directeur départemental d’hygiène à Antioquia, il avait discuté quelques chiffres sur les causes prédominantes de décès. Juan B. Londoño, « Departamento de Antioquia [informe de la dirección o departamental de higiene] », Revista de higiene 8, n 103‑5 (1917): 263‑265. 92
o
Juan B. Londoño, « Mortalidad infantil », Revista clínica 20‑23, n 20‑23 (1923): 543. 93 Oficina de estadística municipal, Anuario estadístico del distrito de Medellín relativo al año de 1921 (Medellín: J. L. Arango, 1921), 15‑29.
226
maladie contagieuse. En plus, Londoño demandait aux médecins de ne pas inclure parmi les causes de décès les noms communs des maladies et critiquait l’usage de catégories telles qu’« anémie » ou « descenso » (déclin), ce dernier sans aucune valeur scientifique et qui donnaient une mauvaise image du savoir des médecins. À son avis, une façon d’améliorer ce type de registre était de demander au médecin officiel de la ville d’examiner les cadavres des enfants ou d’interroger les parents pour mieux saisir la cause du décès94. Depuis la fin du XIXe siècle, et conformément à l’article 65 de la Loi 100 de 1892, quelques villes du pays avaient créé le poste de médecin officiel. Leurs fonctions étaient surtout la médecine légale, car les juges devaient demander leur expertise dans des causes criminelles95. Si en théorie l’idée de Londoño d’améliorer les registres des décès infantiles n’était pas mauvaise, elle était impraticable. D’un côté, parce qu’au XXe siècle, les fonctions de médecin officiel étaient déjà abondantes et comprenaient entre autres : faire suivre aux établissements publics les recommandations adoptées par le bureau d’hygiène ; servir comme experts dans les cas de blessures et de décès ; prescrire des ordonnances aux personnels des organismes de bienfaisance soutenus par le district ; donner des conférences d'hygiène dans les écoles publiques ; présenter des projets d’hygiène au Conseil municipal96. De l’autre, il y avait beaucoup de municipalités sans médecin officiel. Par exemple, dans le cas du département d’Antioquia, les médecins officiels payés par chaque municipalité sont devenus plus fréquents en 1919, mais en 1921 le directeur départemental d’hygiène déclarait que parmi plus de 90 municipalités de sa circonscription, le poste avait été établi seulement dans 35 d’entre-elles97. Dans les statistiques de Londoño, les chiffres de décès séparaient les causes par sexe et âge (premier mois, première année, de 1 à 2 ans, de 2 à 5 ans et de 5 à 15 ans). Sans surprise, les causes principales de mortalité infantile indiquées étaient les maladies gastrointestinales et les affections broncho-pulmonaires. Quant aux mesures pour lutter contre la mortalité infantile, elles n’étaient pas non plus très différentes de celles proposées auparavant, c’est-à-dire, privilégier l’allaitement maternel, la création des gouttes de lait, dans
94
Londoño, « Mortalidad infantil. » República de Colombia, « Ley 100 de 1892 (24 de diciembre), sobre reformas judiciales », Diario oficial, 24 décembre 1892, 100. 96 Carlos De Greiff, « Informe relativo a la creación del cargo de Médico Municipal » 1905, f. 616, Archivo Histórico de Medellín, Fondo Concejo. Tomo 274 II (1905). 97 Vespasiano Peláez et Dirección Departamental de Higiene, « Relación de los municipios del departamento que sostienen Médico Oficial, nombres y asignaciones mensuales », Gaceta departamental de Antioquia, 23 avril 1921. 95
227
le cas d’alimentation par biberon l’utilisation du lait stérilisé et l’instruction des principes de l’hygiène aux mères98. Dès 1914, et à cause du nombre peu élevé de médecins sur le territoire colombien, la législation colombienne autorisait aux personnes sans diplôme et sans connaissances médicales à certifier les décès, donc un des problèmes des statistiques de mortalité était le nombre important de certificats signés par des personnes non qualifiées. Londoño soulignait que si le pays voulait disposer de statistiques plus fiables, il était impératif de modifier le plus vite possible cette situation. Bien sûr, l’amélioration des registres de mortalité était indispensable à l’administration de programmes de santé publique. Mais la préoccupation des médecins locaux de régulariser la pratique d’enregistrement des certificats de décès était en même temps une façon de défendre la pratique de la médecine universitaire et leur statut. Tout cela dans un contexte social où l’offre de service des guérisseurs et charlatans était monnaie courante et où l’exercice des sages-femmes n’était pas encore professionnalisé, malgré le fait que les infections septiques des nouveau-nés par mauvaise pratique étaient une des causes de décès dominantes. Deux années après l’Asamblea médica de Antioquia y Caldas, le gouvernement national promulgua la loi 48 pour la protection de l’enfance. La grande extension du territoire colombien, la faible immigration étrangère et la mortalité infantile élevée inquiétaient les législateurs, qui voyaient dans une loi pour la protection de l’enfance une bonne stratégie pour lutter contre la dépopulation du pays et consolider la nation colombienne. Cette loi : 1. Accordait des allocations mensuelles aux hôpitaux dotés ou avec le plan de doter des salles de maternité ou des services d’attention maternelle-infantile gratuits, 2. Obligeait tous les départements à établir, dans leurs capitales, des crèches, des Gouttes de lait ou des institutions similaires pour la protection de l’enfance avec des budgets propres et les allocations accordées par le trésor national, 3. Créait la Junta nacional de protection a la infancia (Conseil national pour la protection de l’enfance, CNPE), un organisme dirigé par trois médecins, travaillant ad honorem, dont la principale fonction était de conseiller le ministère de l’Instruction et de la Santé Publiques sur des politiques de protection de l’enfance. 4. Demandait aux maires d’envoyer un rapport mensuel aux gouverneurs, qui à leur tour les enverraient au CNPE, avec les statistiques de la natalité et de la mortalité infantile, considérant la légitimé ou l’illégitimité des enfants99.
98 99
Londoño, « Mortalidad infantil », 546‑550. Quelques articles de cette loi sont consacrés aux mesures de contrôle du travail infantile. República de Colombia et Gobierno nacional, « Ley 48 de 1924 (noviembre 29), sobre protección de la infancia », Diario oficial, 2 décembre 1925.
228
Seulement deux mois après la promulgation de cette loi, La Direction nationale d’hygiène (DNH) fut restructurée par la loi 15 de 1925, et donc le CNPE n’a pas été mis en œuvre. La DNH deviendra la Direction nationale d’hygiène et de l’Assistance publique (DNHAP), et était organisée en deux sections, une consacrée à l’hygiène et l’autre à l’assistance publique. Cette dernière devait dédier ses efforts principalement à la lutte contre la tuberculose et les maladies vénériennes, et à la protection de l’enfance100. L’article 38 de la loi 25 ordonnait, comme l’avait fait la loi 48 de 1924, la création des dispensaires et des Gouttes dans les capitales des départements. Dans les dispensaires les traitements seraient gratuits, leurs fonctionnaires étudieraient les causes de la mortalité infantile et les mères recevraient des conseils pour bien nourrir et élever leurs enfants. Les médecins des dispensaires et des Gouttes de lait devaient envoyer régulièrement des rapports à la section de l’assistance publique et proposer des mesures pour la protection de l’enfance101. La tentative d’un programme de protection de l’enfance restera lettre morte. À la réorganisation successive des institutions d’hygiène et à la modification des lois s’ajoutèrent les problèmes de financement. En juillet 1926, le ministre de l’Instruction et de la Santé publiques réclamait au Congrès de la République une augmentation de son budget, qu’il jugeait très insuffisant par rapport aux activités à réaliser. En effet, le manque de budget n’avait pas encore permis l’organisation des dispensaires, des crèches et des outtes de lait décidées par la loi 15 de 1925102. En outre, l’article 63 de cette loi exonérait les départements et les municipalités des responsabilités budgétaires pour l’hygiène publique et la bienfaisance prévues depuis 1919 par la loi 112. Ainsi, les dépenses pour les salaires de ces fonctionnaires et pour le matériel des programmes de santé étaient à nouveau une charge du gouvernement central. Cet article, résultat peut-être des bons revenus nationaux du moment, visait à harmoniser les dépenses d’hygiène dans les différents départements du pays. Mais il a favorisé le fait que certains départements et municipalités se sont abstenus de toute action locale en matière d’hygiène. Dans la pratique, la situation du secteur de l’hygiène s’aggrava par la réelle incapacité budgétaire du gouvernement central de couvrir ces dépenses. En conséquence, 100
Les activités de la section d’Assistance publique comprenaient : l’inspection des hôpitaux, asiles, Gouttes de lait, crèches, dispensaires et maisons de santé ; la protection de l’enfance et les services y liées ; le logement des ouvriers et celui des pauvres ; la vaccination ; l’inspection médicale des écoles et l’inspection des fabriques. República de Colombia, « Ley 15 de 1925 (enero 31) sobre la higiene social y la asistencia pública », Diario oficial, 25 février 1925, 221‑222. 101 En autre, l’article 46 imposa un certificat d’hygiène aux nourrices pour contrôler leurs services. Ibid., 222. 102 José Ignacio Vernaza, Memoria del ministro de Instrucción y salubridad públicas al Congreso de 1926 (Bogotá: Imprenta Nacional, 1926), XLIV.
229
certaines localités ne disposèrent d’aucun fonctionnaire de santé et les responsabilités furent assumées par les maires ou les inspecteurs de police103.
4.7 La puériculture et les chiffres de mortalité infantile En 1928, un autre médecin de Medellín, Luis Carlos Saa, dédia sa thèse à la mortalité infantile. Bien qu’il reprenne à nouveau le problème de l’enregistrement des décès par des guérisseurs et charlatans, son centre de discussion fut l’enseignement et la vulgarisation des principales notions de puériculture. La structure de sa thèse est très similaire à celle de Pedro Nel Cardona écrite une décennie avant, une section dédiée aux taux de mortalité générale et infantile et au taux de natalité de Medellin, qu’il a comparés à ceux des autres villes d’Amérique latine et dans le monde. Une autre section dédiée aux causes principales de la mortalité infantile –dans ce cas, considérant les causes d’ordre social outre les causes médicales- et une troisième consacrée aux mesures pour lutter contre cette mortalité. La bibliographie de la thèse comportait des annuaires statistiques locaux, le premier numéro de la revue panaméricaine de santé et des ouvrages de puériculture et de médecine infantile d’auteurs français104. Pour la section dédiée aux chiffres, Saa tira des données des annuaires officiels de statistique et montra qu’entre 1920 et 1927, le taux de mortalité générale pour 1 000 habitants à Medellín avait été très élevé (Tableau 30). Il expliqua l’augmentation du taux en 1922 par l’épidémie de rougeole. D’après Saa, puisqu’à Medellín il y avait une quantité abondante d’aliments et « les conditions de lutte pour la vie et pour l’air n’étaient pas aussi difficiles que celles des autres villes », l’explication principale quant aux taux des autres années étaient bien sûr les problèmes d’hygiène de la ville, mais surtout la mortalité infantile élevée105. Saa compara les taux de mortalité générale en 1919 de plusieurs villes. Sans aller très loin dans son analyse, il conclut à nouveau que la situation de Medellín n’était pas idéale. Pour sa comparaison, il a pris le taux enregistré en 1922 (26,1), année de l’épidémie de rougeole et non celle de 1920 (19,5). Pourquoi ce choix ? Voulait-t-il donner une image locale moins rassurante ? Il est difficile de répondre. Il nota seulement que le taux de Bogota était supérieur à celui de Medellín, et il ne fera aucun commentaire sur le fait que, par rapport aux villes 103
Agustín Morales Olaya, Memoria del Ministro de gobierno al Congreso nacional en sus sesiones ordinarias de 1933, vol. I (Bogotá: Imprenta Nacional, 1933), 133‑134. 104 Parmi telles, les livres du professeur de clinique de l’enfance P. Nobecourt, Prècis de medecine des enfants, Hygiène sociale de l’enfance et Thérapeutique du nourrisson en clientèle. Luis Carlos Saa I, Algunos datos sobre la mortalidad infantil en Medellín. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía (Medellín: Tipografía Industrial, 1928). 105 Ibid., 16.
230
latino-américaines, et à l‘exception de Buenos Aires et San José de Costa Rica, le taux de mortalité générale à Medellín était inférieur (Tableau 31). Tableau 30. Taux de mortalité générale pour 1 000 habitants à Medellín de 1920 à 1927 Taux de mortalité
Année 1920
19,5
1921
20,9
1922
26,1
1923
18,8
1924
20,0
1925
20,3
1926
22,3
1927
22,8 SOURCE : Luis Carlos Saa I, Algunos datos sobre la mortalidad infantil en Medellín. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía (Medellín: Tipografía Industrial, 1928). p 15.
Tableau 31. Taux de mortalité générale pour 1 000 habitants en 1919 TMG pour 1 000 h
Ville Guayaquil
50,7
Santiago du Chili
44,3
Alexandria
40,6
Bogota
31,0
Lima
30,3
Madrid
28,0
Mexique DC
27,9
Manille
27,9
Rio de Janeiro
26,3
Medellín*
26,1
Rome
17,3
Montréal
15,8
Paris
14,7
Buenos Aires
14,3
New York
12,3
San José, Costa Rica *Taux de Medellín en 1922.
11,3
SOURCE : Luis Carlos Saa I, Algunos datos sobre la mortalidad infantil en Medellín. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía (Medellín: Tipografía Industrial, 1928). p. 15-16.
La comparaison du pourcentage de mortalité chez les moins de deux ans donnait une image différente. Dans ce cas, Medellín et Bogota étaient en tête de liste (44,1 et 43,2), suivis par Santiago du Chili, Rio de Janeiro, Mexique, Montevideo et Buenos Aires. En plus, pour la mortalité che les enfants d’un à deux ans, les deux villes colombiennes enregistraient aussi les pourcentages les plus élevés de la liste, soit 16,1 et 14,7 (Tableau 32). D’où l’insistance de l’auteur de faire attention à la mortalité infantile nationale. 231
Tableau 32. Pourcentages de mortalité infantile en 1923 % Mortalité infantile Ville
moins de 1 De 1 à 2 an ans
TOTAL
Santiago du Chili
32,3
8,2
40,5
Bogota
28,5
14,7
43,2
Medellín*
28,0
16,1
44,1
Rio de Janeiro
25,0
9,7
34,7
Mexique DC
25,6
8,6
34,2
Montevideo
17,4
5,1
22,5
Buenos Aires
14,0
3,2
17,2
Boston
13,6
2,8
16,4
Liège
12,6
1,8
14,4
New York
12,3
3,3
15,6
Londres
10,9
2,6
13,5
Berlin 9,6 1,7 11,3 *Taux de Medellín en 1926. Nous avons calculé le Total SOURCE : Luis Carlos Saa I, Algunos datos sobre la mortalidad infantil en Medellín. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía (Medellín: Tipografía Industrial, 1928). p. 17.
Depuis la fin du XIXe siècle et pendant les premières décennies du XXe, les appels internationaux pour la protection de l’enfance se multipliaient et plusieurs capitales européennes avaient convoqué des congrès internationaux, y compris des congrès des Gouttes de lait et de la protection de l'enfance du premier âge. À la fin de la Première Guerre mondiale, en 1919 fut créé par la Société des Nations à Genève un Comité de protection de l’enfance. Dans le contexte latino-américain, en 1910 et dans le cadre du Congrès scientifique international réuni à Buenos Aires, fut promue la réunion du Premier Congrès Panaméricain de l’enfant. Celui-ci eut lieu en 1916 et fut suivi par ceux de Montevideo en 1919, Rio de Janeiro en 1922, Santiago de Chili en 1924 et La Havane en 1927, pour ne mentionner que les cinq premiers. L’attention portée à la santé et à l’hygiène dans ces rencontres a entraîné la présence massive de médecins106. Pour sa thèse, Saa a fait appel aux mémoires de ces rencontres scientifiques consacrés à la protection de l’enfance et cita un des travaux du Congrès de Montevideo pour souligner le 106
Parmi eux le colombien Ricardo Gutiérrez Lee, qui a participé à celui tenu à La Havane. La prépondérance des médecins fut aussi une réalité pour les congrès de Lima en 1930 et du Mexique en 1935. Susana Iglesias, Helena Villagra, et Luis Barrios, « Un viaje a través de los espejos de los Congresos Panamericanos del Niño », in Del revés al derecho: La condición jurídica de la infancia en América Latina: bases para una reforma legislativa, éd. par Emilio García-Méndez et Elías Carranza (Buenos Aires: Editorial Galerna, 1992), 389‑450; Le médecin Gutiérrez Lee fut aussi délégué de la Colombie à la première Conférence panaméricaine d’eugénisme et homiculture (1927) et à la sixième Conférence Panaméricaine (1928), toutes les deux tenues à la Havane. « Dr. Ricardo Gutiérrez Lee », El Tiempo, 15 septembre 1928, sect. Cosas del día, 3.
232
premier mois de vie comme la période la plus dangereuse pour les enfants. Il confirma ce fait par des statistiques locales du département d’Antioquia en 1926 qui démontraient que, parmi les décès des enfants de moins de 7 ans, la tranche d’âge la plus dangereuse était « jusqu’à deux ans » avec un taux de 4,8 pour 1 000 habitants, et dans cette tranche d’âge, « les moins d’un mois » étaient les plus touchés107. À Medellín, les causes principales de mortalité infantile pendant les années 1920-1927 furent les gastro-entérites, les bronchites, la faiblesse congénitale et la mortinatalité, enregistrant toujours des pourcentages proches de 30 (Tableau 33). Selon Saa, les explications à « l’engendrement des enfants infériorisés », et donc à la faiblesse congénitale, se trouvaient dans la triade alcoolisme, tuberculose et syphilis des parents108 ainsi que dans le surmenage physique et moral de la mère pendant la grossesse. À l’époque, le médecin français Adolphe Pinard avait déjà démontré, par des statistiques, que le repos de la mère pendant les 15 derniers jours de gestation augmentait le poids du nouveau-né. Sans chiffres de son côté, Saa confirmait le même fait par des observations che les patientes de la maternité à l’HSJD de Bogotá. Il soulignait aussi que cette clinique accueillait surtout des femmes enceintes indigentes, en conséquence mal nourries. Mais malgré la faiblesse congénitale, un enfant de bon poids avait plus de chance de survie109. Tableau 33. Pourcentages des causes principales de mortalité infantile à Medellín de 1920 à 1927 Année
GastroFaiblesse MortiBronchites entérite congénitale naissances
TOTAL
1920
10,5
13,4
2,7
1,8
28,4
1921
10,0
14,8
2,2
2,2
29,2
1922
15,8
9,7
3,2
2,1
30,8
1923
12,4
12,8
2,2
1,2
28,6
1924
16,5
10,2
3,1
1,7
31,5
1925
12,5
14,5
3,6
1,4
31,9
1926
17,1
9,5
1,9
2,5
31,0
1927 14,1 12,0 1,3 3,7 31,1 NOTE : Le tableau fut préparé à partir des chiffres présentés dans la thèse. SOURCE :
Luis Carlos Saa I, Algunos datos sobre la mortalidad infantil en Medellín. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía (Medellín: Tipografía Industrial, 1928). p. 20-33.
La syphilis, l’alcoolisme et la tuberculeuse avaient aussi une incidence importante dans le pourcentage de mortinatalité. En fait, selon ce médecin, il était prouvé dans le monde que ces trois maladies étaient parmi les causes principales de dégénérescence des races, car elles 107
Saa I, Algunos datos sobre la mortalidad infantil en Medellín, 19. Comme nous le verrons dans le chapitre sur la TBC, l’association de ces trois fléaux à la dégénération de la race n’a pas été une singularité du cas colombien. 109 Saa I, Algunos datos sobre la mortalidad infantil en Medellín, 21‑22. 108
233
tuaient dans le ventre ou engendraient « des individus infériorisés ». Un des remèdes possibles était d’empêcher la procréation « aux individus tarés par des états pathologiques » qui affectaient la conception et les conditions vitales des nouveau-nés. Mais comme il n’était pas facile de mettre en place cette prohibition, Saa conseillait de favoriser l’usage d’un certificat prénuptial : « De la même façon que les certificats de santé pour les écoliers et pour les individus qui vendent des aliments sont obligatoires, pourquoi ne pas en exiger un pour le mariage, un acte transcendantal qui a des répercussions sur l’avenir de toute la race ? »110. La huitième Conférence sanitaire panaméricaine organisée en 1927 avait proposé aux pays membres, parmi-eux la Colombie, de considérer l’utilisation de ce certificat comme une stratégie complémentaire à la prophylaxie antivénérienne111. Depuis 1925, ce certificat était obligatoire au Chili pour prévenir la transmission des maladies héréditaires entre conjoints. Le gouvernement mexicain l’adopta en 1927 et celui de Panama en 1929112. Dans le département d’Antioquia, de tradition fortement conservatrice et catholique, la demande de Saa et d’autres médecins locaux trouva des échos dans la direction d’hygiène. Elle disposa, par la Resolución N 80 de 1933, de faire passer surtout aux hommes un examen médical prénuptial quelques jours avant le mariage. Le résultat de cet examen ne pouvait pas déterminer l’approbation ou la réprobation du mariage par une autorité civile. Bien que contesté à Medellín, le certificat prénuptial était exigé dans plusieurs localités pendant quelques années113. Nonobstant cette initiative départementale ne fut jamais adoptée pour l’ensemble de la nation. D’après Saa, le modèle français de lutte contre la mortalité infantile comprenait l’assistance gratuite et à domicile pour l’accouchement, le service de maternité dans les hôpitaux, les services de consultations des nourrissons et les Gouttes de lait. À Medellín, l’assistance à domicile n’était pas possible, car la municipalité ne disposait pas de budget pour un tel projet. La ville comptait avec une salle de maternité pour 40 femmes, mais ce service n’était toujours pas utilisé, ou seulement s’en servaient les femmes indigentes, car par tradition, l’accouchement devait avoir lieu à la maison. En plus, les consultations de nourrissons n’existaient pas encore. Dans la ville, il y avait une 110
outte de lait, mais Saa
Ibid., 39. Oficina Sanitaria Panamericana, « La Octava Conferencia Sanitaria Panamericana. Acta Final. », o Boletín de la Oficina Sanitaria Panamericana 6, n 12 (1927): 836. 112 Oficina Sanitaria Panamericana, « En torno al certificado prenupcial », Boletín de la Oficina Sanitaria o Panamericana 9, n 6 (1930): 727. 113 Gobernación de Antioquia et Secretaría de Gobierno, 1934 Secretaría de Gobierno. Informe (Medellín: Imp. oficial, 1935), 226‑227; Bien que la population de Medellín fût la plus réticent à ce certificat, en 1935, le directeur d’hygiène rapporta que 2 500 certificats prénuptiaux furent accordés dans tout le département. Gobernación de Antioquia et Secretaría de Gobierno, 1935 Secretaría de Gobierno. Informe (Medellín: Imp. oficial, 1936), 129‑130. Nous n’avons pas trouvé plus de traces de ces certificats dans les rapports d’hygiène à partir de l’année 1937. 111
234
soutenait que l’endroit ne remplissait pas les conditions pour en avoir le nom. Le registre d’immatriculation et de fiches, dont les buts étaient d’exercer un contrôle médical sur l’alimentation des enfants inscrits à la consultation et d’établir des statistiques utiles, n'était suivi114. Dans le système français, le registre d’immatriculation servait à consigner divers renseignements, tels que des indications sur la situation matérielle des parents, et les résultats des visites de contrôle effectuées à leur domicile. En outre, les fiches permettaient d’inscrire les modifications hebdomadaires de taille, de poids et les rations alimentaires pour surveiller la croissance des nourrissons. On y notait aussi les raisons qui avaient amené
la mère à
abandonner l’allaitement au sein115. À Medellín, l’absence de ce type de registre ne permettait pas la production de chiffres ni d’indicateurs sur l’évolution de la mortalité infantile dans la ville. En plus, selon Saa, l’absence de registres et la permission d’inscrire à la outte de lait des enfants âgés de plus de deux ans favorisaient les fraudes, puisque les mères pouvaient réclamer le lait et le revendre ailleurs. Pour insister sur l’importance de bien organiser les outtes de lait, Saa tira de l’ouvrage Hygiène social de l’enfance, écrit par Pierre Nobécourt et Georges Schreiber, le modèle des locaux et des fiches de registres
116
. Pour Saa, une des
stratégies les plus importantes pour lutter contre la mortalité infantile était la vulgarisation de l’hygiène infantile. Cette vulgarisation devait commencer par l’établissement d’un cours de puériculture dans toutes les écoles de filles et par la réalisation de conférences et la distribution de brochures sur ce sujet117. Les cours de puériculture n’ont pas eu une introduction rapide dans les programmes des écoles de filles. Les médecins hygiénistes ont insisté sur l’importance de ce type de formation et en 1942 fut créé à Bogota la première école de puériculture118. La mise en œuvre d’un programme national pour lutter contre la mortalité infantile était un impératif et l’information apportée par le recensement de 1928 le confirma. Des 101 459 décès déclarés pendant l’année, 42 187 furent des enfants de moins de deux ans, soit 41,6 %. Dans quelques départements, ce pourcentage était supérieur à 50%, et malgré la sousdéclaration, dans aucun département il ne fut inférieur à 27 % (Tableau 34). La mortalité 114
Saa I, Algunos datos sobre la mortalidad infantil en Medellín, 64. Pierre Nobécourt et Georges Schreiber, Hygiène sociale de l’enfance (Paris: Masson et cie, éditeurs, 1921), 97‑98.
115
116
Saa I, Algunos datos sobre la mortalidad infantil en Medellín, 61‑64. Ibid., 66. 118 Le but de l’école était la diffusion, par l’enseignement pratique, des connaissances sur la protection de l’enfance, spécialement les régimes alimentaires, et la participation active des classes populaires à la prévention de la mortalité infantile. José Joaquín Caicedo Castilla, Memoria del ministro de trabajo higiene y previsión social al Congreso de 1942 (Bogotá: Imprenta Nacional, s.d.), 96. 117
235
infantile inquiétait les médecins hygiénistes qui insistaient sur le fait que la faible immigration dans le pays conditionnait l’augmentation de la population et non l’accroissement naturel. Néanmoins, la capacité de manœuvre de la DNHAP n’était pas énorme, et l’agenda national des institutions d’hygiène était toujours dominé par la lutte contre la lèpre et contre l’ankylostomiase119. Tableau 34. Mortalité infantile en Colombie par départements en 1928 Mortalité moins de 2 ans
Population
M. générale
Antioquia
1 011 324
17 003
Atlántico
242 820
2 511
1 237
0,50
49,26
Bolívar
646 000
Boyacá
950 264
10 346
3 329
0,35
32,17
Caldas
655 411
10 082
5 866
0,89
58,18
Cauca
317 781
3 686
1 279
0,40
35,24
Cundinamarca*
821 149
11 666
4 347
0,53
37,26
Huila
207 034
3 335
1 328
0,64
39,82
Magdalena
222 000
2 519
691
0,31
27,43
Nariño
411 784
7 717
3 200
0,77
41,46
Norte de Santander
328 872
4 601
1 391
0,42
30,23
Santander
586 102
10 424
3 580
0,61
34,34
Tolima
442 000
5 776
1 704
0,38
29,50
Valle
531 570
6 945
3 570
0,67
51,40
Départements
T. 100 habitants 8 761 0,86
Total
T. 100 décès 51,52
Bogotá 235 421 4 848 1 904 0,81 39,27 NOTE –*il ne considère pas les données de Bogota, T. 100 habitants : taux de mortalité pour 100 habitants ; T. 100 décès : taux de mortalité pour 100 décès. SOURCE : «Sección 3ª Estadística- Mortalidad infantil por departamentos, 1928». Boletín de la Contraloría o Géneral, n 37-38 (1930): 450.
4.8 La protection de l’enfance Depuis sa fondation en 1925, la croix Rouge colombienne travaillait à l’organisation de crèches et de consultations gratuites pour les enfants délaissés et insistait sur la formation des infirmières visiteuses. Au budget alloué par l’État colombien pour promouvoir la construction des
outtes de lait, à partir de 1928 s’additionna celui du programme de protection de
l’enfance (Tableau 35). Mais les deux budgets changèrent d’année en année, et ils furent très insuffisants par rapport aux nécessités nationales.
119
Cette singularité du cas colombien est analysée plus en détail dans les sections de la thèse dédiées aux campagnes contre l’ankylostomiase et contre la tuberculose.
236
Tableau 35. Dépenses annuelles du gouvernement colombien en Gouttes de lait et protection de l’enfance de 1924 à 1933 Total des dépenses en Année hygiène et assistance publiques 1924 1 377 308,03
6 789,30
0,5
Total des dépenses en protection de % l'enfance et GdL 6 789,30 0,5
Gouttes de lait (GdL)
%
Protection de l'enfance
%
1925
1 552 900,28
13 331,62
0,9
13 331,62 0,9
1926
1 985 492,08
26 250,64
1,3
26 250,64 1,3
1927
2 689 514,81
28 695,19
1,1
1928
2 881 656,49
32 374,78
1,1
4 277,80
0,1
36 652,58 1,2
1929
3 438 837,38
86 449,75
2,5
21 824,15
0,6
108 273,90 3,1
1930
2 684 054,68
24 333,18
0,9
17 058,71
41 391,89 1,5
1931
2 256 654,57
18 933,06
0,8
22 954,00
0,6 1,0
1932
2 005 217,76
8 000,00
0,4
17 865,61
0,9
25 865,61 1,3
28 695,19 1,1
41 887,06 1,8
1933 2 059 730,55 10 799,92 0,5 22 590,86 1,1 33 390,78 1,6 NOTE – De 1926 à 1928 la croissance économique de la Colombie a augmenté et déborda le taux 120 historique de 4,5 %. . L’ensemble des dépenses en hygiène et assistance publiques comprenait : lèpre, ankylostomiase, allocation pour les hôpitaux, maladies vénériennes, école des infirmières, inspection des écoles, laboratoires, assainissement de Muzo pour contrôler la fièvre jaune, campagnes contre la malaria et le pian, police de santé, prophylaxie et épidémies, assainissement des ports, toxicomanie, tuberculose, vaccination, salaires, d’autres dépenses. SOURCE : Anuario de estadística general 1933, (Bogotá: Imprenta Nacional, 1935), 224-225.
En août 1930, après plusieurs décennies de gouvernement conservateur, arriva à la présidence du pays un candidat libéral, Enrique
laya Herrera. Son ministre de l’Éducation
nationale, Eliseo Arango, proposa la séparation de l’hygiène, de l’assistance publique, de l'administration des léproseries et de la protection de l'enfance du ministère de l’Éducation nationale, dont elles relevaient, et la création d’un service administratif autonome. L'argument central d’Arango en faveur de cette séparation était que la fusion des aspects disparates se faisait au détriment de l’attention requise par chaque section. En plus, la plupart des ressources du ministère de l'Éducation étaient destinées à des actions qui n'étaient pas de son concours, et la plupart de ceux de l'hygiène étaient consacrés aux léproseries. Ainsi, par la loi 1 de 1931 fut créé le Departamento nacional de higiene y asistencia pública (Département national de l’hygiène et de l’assistance publique, DepNHAP)121 (ANNEXE 8). L’incorporation de l’assistance publique au département l’hygiène, promue par la loi 15 de 1925 et qui visait une même réglementation pour les institutions de santé publique et de protection sociale, fut conservé dans le DepNHAP. 120
Mauricio Avella Gómez, « Perspectivas de crecimiento del gasto público en Colombia, 1925-2003 o ¿Una visión descriptiva à la Wagner, o à la Peacock y Wiseman? », Borradores de economía, n 544 (2008): 19‑20. 121 Mario Hernández Álvarez, La fragmentación de la salud en Colombia y Argentina: una comparación sociopolítica, 1880-1950 (Bogotá: Univ. Nacional de Colombia, 2004), 138‑139.
237
Le DepNHAP fut organisé en cinq sections. La première consacrée à l’hygiène générale et l’assistance publique, la deuxième était le laboratoire national Samper-Martinez, la troisième section était la Direction nationale des léproseries, la quatrième dédiée à la lutte contre l’ankylostomiase réalisée dans le pays avec l’aide de la Fondation Rockefeller et une cinquième réservée à la comptabilité. La première section réglementait l’hygiène rurale et urbaine, la production et la vente de boissons, la prophylaxie des maladies infectieusescontagieuses, les campagnes contre la malaria, le pian et d’autres maladies tropicales, la campagne contre les maladies sociales (soit la tuberculose, les maladies vénériennes, l’alcoolisme, la toxicomanie) ; elle réglementait aussi l’hygiène scolaire, les statistiques démographiques et nosographiques et la protection de l’enfance. Si au début le DepNHAP décida de créer une section destinée exclusivement à la protection de l’enfance, l’absence de budget pour payer les salaires de ces fonctionnaires obligea à la réintégrer dans la première section 122 La création du DepNHAP comme service administratif autonome, au milieu de la crise de la Grande dépression, fut un faux pas du gouvernement central qui, par la loi 98 de 1931, décida de fusionner quelques dépendances administratives afin de réduire les dépenses. En conséquence, le DepNHAP fut rattaché au ministère de l’Intérieur et deviendra rapidement le Département national d’hygiène (DepNH)123. Ce département avait une structure similaire à celle du DepNHAP mais la section de l’hygiène et de la bienfaisance fut divisée en deux. L’une dédiée à la santé générale (santé terrestre, santé maritime et fluviale, éducation sanitaire et police de santé) et l’autre consacrée à l’assistance publique et à la protection de l’enfance124 (Illustration 4).
122
Cette fusion fut ordonnée par le décret 123 de 1931. Pablo García Medina, Informe del director jefe del Departamento nacional de higiene y asistencia pública (Bogotá: Imprenta Nacional, 1931), 4‑7. 123 Hernández Álvarez, La Fragmentación de la Salud en Colombia y Argentina, 139. 124 Enrique Enciso, Informe de las labores del Departamento nacional de higiene, presentado al señor ministro de Gobierno por el director técnico y administrador general (Bogotá: Editorial Minerva, 1932), 4.
238
Illustration 4. Schème de l’organisation des services du Département national d’hygiène, 1932
NOTE – Le laboratoire national Samper-Martine
se transforma dans l’Institute national de l’hygiène. La démographie et statistique de santé et la lutte contre la tuberculose, avant dans la section d’hygiène et bienfaisance, devinrent des sections indépendantes. SOURCE : Enrique Enciso, Informe de las labores del Departamento nacional de higiene, presentado al señor ministro de Gobierno por el director técnico y administrador general (Bogotá: Editorial Minerva, 1932), 4.
L’inspection et la surveillance des institutions de bienfaisance et d’assistance publique du pays par l’organisme central de l’hygiène avaient été réglementées en 1925, mais en 1931 elles n’avaient pas été mise en œuvre. Un second souffle à l’idée de charger le DepNH du contrôle des institutions de bienfaisance fut procuré à l’occasion de la deuxième Conférence des directeurs de santé des Républiques américaines réalisée à Washington en 1931. Dans cette réunion fut décidé que, pour les pays où il n’y avait pas un rapport entre les activités d’assistance et de prophylaxie, les gouvernements devaient charger les services officiels de santé de la surveillance des institutions d’assistance sociale. Ainsi, par le décret 593 de 1932, le gouvernement national chargea le DepNH de cette surveillance. De sorte que tous les établissements de bienfaisance, d’hygiène ou d’assistance publique qui recevaient des subventions étaient obligés de rendre des rapports au DepNH. Les rapports considéraient : le mouvement mensuel des patients pris en charge, leur origine, âge et état civil, leurs 239
diagnostics selon la classification internationale, le nombre de patients reçus, le nombre de patients sortis et l’état financier de l’institution125. Comment les services de protection infantile fonctionnaient-ils dans le pays? En 1933, le bureau principal du service de protection maternelle-infantile à Bogota comptait une consultation prénatale, une consultation pour enfants malades et une Goutte de lait. Des discussions techniques sur la pertinence de réunir dans un même lieu des enfants en bonne santé avec des enfants malades amenèrent à une séparation physique des services. À Medellín fonctionnait la croix rouge, la goutte de lait et les crèches, mais la consultation prénatale n’était pas encore une réalité. Le chef du service national de protection de l’enfance visita différentes capitales du pays et promu l'intégration des institutions locales de protection infantile, y compris les services médicaux scolaires, dans un seul organisme local. À Barranquilla, la capitale du département de l’Atlántico, les autorités ont suivi cette stratégie. Dans le département de Bolivar et du Norte de Santander, il y avait des gouttes de lait et des crèches dans les capitales, Cartagena et Cúcuta, mais la consultation prénatale n’avait été établie dans aucune ville. À Manizales, capitale du département de Caldas, il y avait une salle de maternité dans laquelle fonctionnaient une consultation prénatale et une consultation de nourrissons, toutes les deux gérées par des infirmières-visiteuses envoyées de Bogota126. Enfin, chaque département essayait de faire de son mieux avec le budget dont il disposait. Dans tous les cas, l’argument en faveur des propositions de réorganisation des services de protection maternelle-infantile fut la réduction des taux de mortalité infantile. Néanmoins, nous n’avons pas trouvé d’évaluations concernant l’impact de ces changements. Nous ne pourrons pas non plus affirmer que les institutions appelées dans le pays « Gouttes de lait » aient tenu effectivement les registres d’immatriculation et les fiches, des documents qui, dans le contexte de la médecine sociale, auraient pu être une source de données pour les recherches des médecins hygiénistes sur la première enfance et la mortalité infantile nationale. Il est probable qu’à cause des difficultés budgétaires de la plupart de ces institutions, elles aient concentré leurs efforts sur la production des registres exigés par l’administration centrale d’hygiène et nécessaires pour toucher les allocations.
125
Ibid., 42‑43. Absalón Fernández de Soto, Memoria del Ministro de gobierno al Congreso nacional en sus sesiones ordinarias de 1934, vol. III (Bogotá: Imprenta Nacional, 1934), 86‑129.
126
240
Illustration 5. Centre de protection de l’enfance, Cúcuta 1932
SOURCE : Enrique Enciso, Informe de las labores del Departamento nacional de higiene, presentado al señor ministro de Gobierno por el director técnico y administrador general (Bogotá: Editorial Minerva, 1932), 48.
En Colombie, la production de chiffres ou d’indicateurs de santé était problématique. Une étude publiée en 1935 et 1936 dans le Boletín de la Oficina Sanitaria Panamericana par son rédacteur scientifique, Aristides A. Moll, sur la protection de l’enfance dans les pays américains le met en évidence127. Les statistiques officielles de mortinatalité en Colombie ne correspondaient pas à la réalité et il n’y avait pas de chiffres disponibles pour l’ensemble du pays des taux de mortalité maternelle sur le premier quinquennat des années 1930 (Tableau 36). Dans un effort de condensation et d’harmonisation, l’étude de Moll présenta les statistiques de 34 pays. Selon une classification générale et qualitative, la Colombie enregistrait des taux de natalité, de mortalité infantile et de mortinatalité moyens et un taux de mortalité maternelle élevé. Quant à ses voisins sud-américains, l’Argentine et l’Uruguay étaient parmi les pays dont les chiffres étaient les plus favorables, le Brésil et le Chili parmi ceux dont les chiffres étaient les plus mauvais. Le fonctionnaire de l’ SP insistait sur le fait que le succès de l’hygiène infantile était lié à la capacité et à l’efficacité des services officiels de
127
Moll signalait que si les chiffres de certains pays étaient reconnus comme incomplets et insuffisants, ils permettaient de voir les tendances et sa connaissance aidait à faire face à la situation. Aristides A. Moll, « Las obras sanitarias de protección de la infancia en las Américas », Boletín de la Oficina o Sanitaria Panamericana 14, n 11 (1935): 1040‑55; « Las obras sanitarias de protección de la infancia o en las Américas », Boletín de la Oficina Sanitaria Panamericana 15, n 2 (1936): 113‑23.
241
santé et à la participation conjointe des parents, des médecins, des enseignants, des fonctionnaires de santé et des associations civiques128. Tableau 36. Quelques chiffres officiels de démographie materne-infantile en Colombie Pays/ Ville
Natalité
Mortalité infantile
Mortinatalité
Mortalité maternelle
pour 1 000 h pour 1 000 n pour 1 000 n pour 1 000 n 29,5 (1928) 144 (1927) 5,9* (1927) 6,9 (1927) Colombie
Barranquilla
30,4 (1929)
129 (1928)
6,0* (1928)
6,1 (1928)
27,1 (1931)
123 (1929)
6,7* (1929)
5,7 (1929)
………………
124 (1931)
………………
………………
30,2 (1933)
144 (1933)
7,3* (1933)
24,0 (1931)
212 (1931) ……………… 3,2 (1931) 167 (1932) 42,0 (1932) ……………… 154 (1933) 27,7 (1933) ………………
22,9 (1932) 31,3 (1933) 27,1 (1930)
Bogota
Medellin
222 (1930)
66,6 (1930)
7,9 (1926)
29,0 (1931)
216 (1931)
57,5 (1931)
5,8 (1927)
28,7 (1932)
205 (1932)
63,8 (1932)
6,8 (1931)
33,0 (1933)
195 (1933)
50,9 (1933)
………………
33,6 (1934)
188,9(1934)
57,3 (1934)
2,2 (1934)
36,3 (1931)
121 (1931)
25,1 (1931)
2,0 (1931)
34,7 (1932)
126 (1932)
27,5 (1932)
………………
ǂ
31,2 (1933) 156 (1933) 25,4 (1933) ……………… NOTE – Le taux de natalité est calculé pour 1 000 habitants, les autres taux sont calculés pour 1 000 ǂ naissances. *Des chiffres reconnus comme irréels. Taux de septicémie puerpérale. SOURCE : Aristides A. Moll, « Las obras sanitarias de protección de la infancia en las Américas », Boletín de la Oficina Sanitaria Panamericana 14, no 11 (1935): 1044-1045.
En 1936, le programme de protection à l’enfance en Colombie était réparti sur au moins 70 institutions publiques et privés, y compris les Gouttes de lait, les crèches et les services de consultations de nourrissons. La plupart fonctionnaient grâce aux allocations nationales bien que quelques-unes recevaient aussi des allocations municipales ou départementales. Le gouvernement national demandait des rapports comportant, entre autres, le nombre de consultations, de biberons distribués, d’analyses de laboratoire et de vaccinations préventives réalisées, et le nombre de visites à domicile accomplies. Selon les chiffres officiels de 1936, 108 042 consultations furent réalisées, 3 139 911 biberons furent distribués et des 28 076 enfants assistés, 497 sont morts129. Les informations enregistrées dans les rapports avaient encore pour but le contrôle administratif des allocations et leur évaluation
128
Moll, « Las obras sanitarias de protección de la infancia en las Américas », 1935. República de Colombia et Departamento de contraloría, Anuario general de estadística 1936 (Bogotá: Imprenta Nacional, 1937), 112‑113. La publication très irrégulière de ces données dans les annuaires de statistique nationale ne nous permet pas non plus d’analyser avec l’aide des chiffres l’évolution et les résultats du programme de protection de l’enfance.
129
242
annuelle montre l’élargissement de la couverture du programme. Néanmoins, ces chiffres ne permettaient pas d’évaluer l’efficacité de la lutte contre la mortalité infantile dans le pays, ni d’avoir la valeur de données statistiques convenables pour la planification sociale et économique des programmes de santé liés aux politiques démographiques. Dans cette même année fut organisé le cinquième Congrès national de médecine à Barranquilla. Selon leurs organisateurs, en raison de la place prise par le sujet de la protection de l’enfance dans le pays, au lieu de lui dédier une section, ils ont décidé de réaliser quelques jours après, le premier Congrès colombien de l’enfant, dont les sujets principaux furent la transmission parents-enfants de la tuberculose et la syphilis, les parasitoses, les paralysies et la délinquance. Ce Congrès recommanda la création d’un Conseil national de l’enfance, d’un institut de nutrition et d’un code de protection des mineurs130. Paradoxalement, cette soidisant importance accordée à la protection infantile ne s’est pas traduite par une augmentation des études sur la mortalité infantile. En fait, pendant les années 1930 et 1940 le sujet devint très rare dans les thèses de médecine131. Dans le nouveau contexte de mise en œuvre du programme national de protection de l’enfance et de la centralisation des stratégies pour l’exécuter et le répandre, l’attention des médecins hygiénistes tourna vers des sujets tels que les problèmes d’hygiène scolaire et le travail et la délinquance infantiles132. D’ailleurs, la création, pendant la décennie 1930, des structures locales d’hygiène concentrant différents services (centros mixtos de atención, unidades sanitarias et comisiones rurales )133 et la légère augmentation du nombre de médecins officiels dans des régions éloignées ou inexplorées du territoire colombien vont favoriser, entre autres, la réalisation de géographies médicales et d’études de médecine rurale134. 130
Mais seulement 10 ans après, ce conseil fut créé par la loi 86 de de 1946. Banco de la República, Los niños que fuimos: huellas de la infancia en Colombia (Bogotá: Banco de la República, Subgerencia Cultural, 2012), 134. 131 Nous avons repéré quelques thèses sur le programme de protection maternelle et infantile, et une dédiée exclusivement à la mortalité infantile, écrite en 1947. Cf : Miguel A. Sánchez B., « Contribución al estudio de la mortalidad infantil. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía » (Universidad Nacional de Colombia, 1947). 132 Cf. :Tenorio Artul, « La delincuencia infantil en Colombia (Causas y remedios). Tesis para el doctorado en medicina y cirugía » (Universidad Nacional de Colombia, 1931); José Manuel Cordovez Vergara, La organización médico escolar en Cundinamarca y datos clínicos y antropométricos de sus escolares. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía (Bogotá: Editorial Centro, 1934); Jesús A. Gómez L., Higiene Escolar. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía (Medellín: Tip. San Antonio, 1936); Pedro C. Aguirre, El problema médico de la delincuencia infantil. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía (Bogotá: Editorial Aguilar, 1939). 133 Ce sujet va être développé dans le chapitre consacré à la Fondation Rockefeller en Colombie. 134 En voici quelques-unes : Luis Eduardo Márquez A., Notas sobre la patología de la región del Carare. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía (Bogotá: Editorial Centro, 1934); Rafael Lamus Girón, Observaciones sobre el estado sanitario de la Comisión Colombiana de Límites con Venezuela. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía (Bogotá: Tip. Voto nacional, 1936); José Manuel Avendaño,
243
En 1938, dans le contexte des discussions politiques pour moderniser la structure étatique colombienne et favoriser l’intervention de l’État dans la génération des conditions pour le développement du capitalisme, le DepNH cessa d'être une unité du ministère de l'Intérieur et devint une partie du récemment créé ministère du Travail, de l’Hygiène et de la prévision sociale (MTHPS)135 (ANNEXE 8). Dans ce ministère, l’hygiène n’a pas eu le rôle central que les autorités de santé réclamaient et la protection de l’enfance a eu comme corollaire la lutte contre le travail et la délinquance infantiles. La section de protection infantile du DepNH deviendra le Département de protection infantile et maternelle du MTHPS. Depuis 1936, la direction nationale de statistique avait ordonné, par la Resolución 479 du 12 novembre, la collection et le suivi des statistiques de mortinatalité136. Ainsi, pendant les années 1940, les annuaires colombiens publièrent ces statistiques comprenant le sexe, la légitimité de l’enfant et l’assistance médicale reçue par la mère, et à partir de 1946, ces statistiques vont inclure les causes du décès selon la nomenclature internationale137.
Conclusions À partir de l’analyse détaillée des thèses de médecine, nous avons voulu mettre en évidence les transformations du sujet de la mortalité infantile et leur corrélat ─ la production des chiffres ─ dans les discours des médecins colombiens. Nous avons vu comment ces transformations vont de la classification des types de mères et leur responsabilité individuelle sur la garde des enfants, en passant par les suggestions particulières de copier le modèle français de protection de l’enfance ─ y compris la nécessité de créer des Gouttes de lait ─ jusqu’aux demandes d'un organisme corporatif des médecins pour une intervention étatique dans la lutte contre la mortalité infantile comme un fléau social. Certes, ces transformations n’ont pas été une singularité colombienne, mais analyser la manière dont s’est effectuée cette transition dans le pays nous a permis de mettre en évidence l’impact de la production et la circulation des chiffres dans ces transformations. Si tout d’abord les médecins ne se sont servis des statistiques de mortalité infantile que pour confirmer les observations de la pratique clinique, avec le temps, elles devinrent les indicateurs par excellence capables de Contribución al estudio de las endemias tropicales propias de la Zona Bananera en un dispensario del Centro Mixto de Salud. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía (Bogotá: Editorial Centro, 1939); Hernán A. Domínguez D., Contribución al estado sanitario de Puerto acandí (Chocó). Tesis para el doctorado en medicina y cirugía (Bogotá: Editorial Cromos, 1940). 135 Cf. chapitre III : Hernández Álvarez, La Fragmentación de la Salud en Colombia y Argentina. 136 Alberto Charry Lara, Desarrollo histórico de la estadística nacional en Colombia (Bogotá: Departamento administrativo de planeación, 1954), 62. 137 Cf. Annuaires statistiques de 1940 à 1946 et República de Colombia, Contraloría general de la República, et Dirección nacional de estadística, Anuario general de estadística 1947 (Bogotá: Imprenta Nacional, 1950), 46‑47.
244
mesurer l’état de santé de la population et un étalon de comparaison avec d’autres nations sur le degré de civilisation. Ainsi, une mesure privilégiée des conditions hygiéniques des villes fut la comparaison des taux de mortalité locaux à ceux d’autres pays ou villes du monde, et d’y situer son rang. L’aspiration des médecins-hygiénistes colombiens a été d’avoir des chiffres proches de ceux des « pays civilisés » et pour y arriver, ils se sont inspirés des recettes étrangères. Le modèle que les médecins locaux ont suivi fut celui des dispensaires et des Gouttes de lait français. Il est vrai que nous n'avons pas pu confirmer que les Gouttes de lait aient eu des registres propres de leur organisation (registre d’immatriculation et fiches individuelles). Nous n’avons trouvé que des traces des registres exigés par l’État pour justifier les allocations reçues. Néanmoins, comme nous avons pu le constater, dans le cas de la première Goutte de lait fondé à Medellín — établit dans une école — certains médecins locaux ont fait maints efforts pour adapter le modèle français aux conditions propres de la réalité nationale. Par ailleurs, l’analyse de ces thèses de médecine nous a permis de mettre aussi en évidence les fortes filiations des médecins-hygiénistes colombiens à la puériculture française. Il semble qu'à cause de fréquents problèmes budgétaires des Gouttes de lait, beaucoup de ces institutions sont devenues des centres de distribution de lait et des crèches où le service médical n’était pas toujours garanti. Depuis le début du XXe siècle, et par le biais de congrès internationaux, vont apparaitre des tentatives de mise en œuvre de politiques communes pour la protection de l’enfance. En Colombie, la mise en place d’un programme national de protection de l’enfance a été lente, et les initiatives ont eu du mal à se consolider. Nous avons vu comment l’organisation d’un programme national s’est heurtée non seulement à des difficultés financières, mais aussi à la réorganisation successive des institutions d’hygiène et à l’instabilité législative, qui dans certains cas a permis aux autorités municipales de contourner les responsabilités administratives et budgétaires à cet égard.
245
Chapitre 5 Les épidémies et leurs chiffres Les épidémies furent un autre phénomène de santé qui attira l’attention des médecins colombiens et dont les efforts pour les quantifier peuvent être constatés sur les thèses de médecines et les rapports d’hygiène de la première moitié du XXe siècle. Ici, nous ne nous interrogerons pas sur les phénomènes épidémiques dans leur contexte démographique global, ni sur leur étude du point de vue de la démographie historique1. Nous ne ferons pas non plus l’analyse de l’arrivée de certaines épidémies sur le territoire colombien2. Notre démarche est différente, car nous voulons comprendre quelles furent les approches quantitatives faites par les médecins à propos des épidémies. Plus spécifiquement, nous nous sommes intéressés aux modalités d’analyse et aux usages des chiffres à cet égard. Nous nous interrogeons sur la manière dont la production de ces chiffres va être liée au déploiement des politiques de santé publique. Depuis la création, en 1886, du CCH, un des intérêts des organismes de santé locaux a été l’apparition des épidémies. Rappelons-nous qu’une de ces sections était dédiée à leur étude. Puisque dans la première partie de cette thèse nous avons étudié des exemples de production des chiffres des épidémies au cours des dernières décennies du XIXe siècle, dans cette section nous avons circonscrit notre analyse aux textes des premières décennies du XXe siècle. De notre corpus général des thèses de médecine, nous avons sélectionné celles consacrées aux épidémies et qui ont eu recours aux chiffres. Ensuite, nous les avons regroupées selon les questions auxquelles leurs auteurs ont cherché à répondre. Un premier 1
L’épidémie la plus étudiée est celle de la grippe en 1918. Voir :Gerardo Chowell et al., « The 1918 – 19 o Influenza pandemic in Boyacá, Colombia », Emerging infectious diseases 18, n 1 (2012): 48‑56; Juan Manuel Ospina, Abel Fernando Martínez, et Oscar Fernando Herrán, « Impacto de la pandemia de gripa de 1918-1919 sobre el perfil de mortalidad general en Boyacá, Colombia », História, Ciências, o Saúde-Manguinhos 16, n 1 (2009): 53‑81; Fred Gustavo Manrique et al., « La pandemia de gripe de o 1918-1919 en Bogotá y Boyacá, 91 años después », Infectio 13, n 3 (2009): 182‑91; Abel Fernando Martínez, Fred Gustavo Manrique, et Bernardo Francisco Meléndez, « La pandemia de gripa de 1918 en Bogotá », Dynamis 27 (2007): 287‑307. 2 Deux travaux ont analysé le déclenchement des épidémies de choléra au XXe siècle en Colombie : Jorge Márquez Valderrama, « Rumores, miedo o epidemia? La peste de 1913 y 1914 en la costa o atlántica de Colombia », História, Ciências, Saúde-Manguinhos 8, n 1 (2001): 133‑71; Emilio Quevedo Vélez, « Los tiempos del cólera: orígenes y llegada de la peste a Colombia », Revista Credencial o Historia, n 29 (1992), http://www.banrepcultural.org/node/32779.
246
groupe s’occupe d’expliquer l’origine et la description quantitative de l’épidémie. Un deuxième, de décrire les activités des campagnes de santé ou de prouver leur efficacité. Nous avons enrichi notre documentation d’archive à l’aide de la législation nationale, des rapports d’hygiène et d’articles de presse locale.
5.1 L’hygiène militaire et les épidémies Le décret 502 de 1908 réglementa pour la première fois en Colombie le service sanitaire de l’armée, la police et la gendarmerie nationale. Une maison de santé prêtait ses services de santé aux officiels dans la capitale du pays. D’autres décrets établirent les services de soins infirmiers et des premiers secours dans les casernes. Les unités militaires mobiles des sapeurs, qui aidaient, entre autres, à la construction des voies ferrées ou des stations agronomiques devaient aussi disposer de ces services. L’existence de ces services de santé a permis aux étudiants de médecine de faire leurs stages et de consacrer leurs thèses aux sujets liés à l’hygiène militaire3. Ces services étaient suivis par des médecins chargés de délivrer les prescriptions de médicaments et d’envoyer une copie à l’administration de l’armée. Mais cette pratique avait surtout des finalités financières et les médecins des bataillons se plaignaient du statut secondaire que la réglementation des services sanitaires avait dans l’organisation de l’armée colombienne4. Étant donné la valeur assignée à la formation d’une armée nationale après la constitution de 1886, les médecins hygiénistes insistaient sur la nécessité de considérer la prophylaxie des maladies transmissibles comme une priorité dans le service militaire. Pour eux, la détection des foyers d’infection et leur contrôle par l’isolement, la désinfection ou l’immunisation étaient une priorité5. Néanmoins la plupart des casernes et des garnisons étaient surchargées et présentaient des conditions matérielles insalubres. En plus, au manque de place pour les troupes dans les bâtiments, il fallait ajouter une mauvaise alimentation, l’assignation indistincte des uniformes sans considérations du climat, le manque de soins personnels et le manque de dispensaires bien équipés et de stocks médicaux pour permettre le traitement adéquat des malades. Les médecins hygiénistes réclamaient l’amélioration des conditions de 3
Voir par exemple : Francisco Botero Santamaría, Contribución al estudio de la higiene militar. Higiene de campamentos. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía. (Bogotá: Imprenta eléctrica, 1909); Carlos Borrero Sinisterra, La higiene militar en tiempo de paz. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía. (Bogotá: Arboleda & Valencia, 1913); Carlos Julio Guerra, Apuntaciones sobre higiene militar en tiempo de guerra. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía. (Bogotá: Imprenta Arboleda, 1917); José Domingo Goenada, Higiene militar en las guarniciones de tierra caliente. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía. (Bogotá: Casa Editorial de La Cruzada, 1924); Francisco Albornoz Rueda, Higiene del regimiento. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía. (Bogotá: Ediciones de RNMC, 1924). 4 Botero Santamaría, Contribución al estudio de la higiene militar, 10. 5 Ibid., 68‑70.
247
vie dans les casernes et la mise en place d’une formation spécialisée dans la prévention, le diagnostic et le traitement des maladies liées à l’armée6. Confronté à la mortalité des soldats par maladies contagieuses alors qu’il était en résidence à l’hôpital militaire de Bogota, Emiliano utiérre dédia sa thèse à la fièvre typhoïde dans l’armée. Le sujet était d’importance dû au caractère endémique de la maladie à ce moment-là dans la capitale du pays. Gutiérrez chercha à établir la fréquence de cette maladie dans l’armée et dans la police et à étudier son étiologie, son traitement et sa prophylaxie selon l’hygiène militaire7. La théorie de la contagion de la fièvre typhoïde par contamination des eaux potables par des excréments s’imposa au cours des années 1880. Cette relation causale s’était confirmée dans des épidémies déclenchées en villes, quartiers et garnisons. Les travaux des médecins Dionis des Carrières et Paul Brouardel, que Gutiérrez soutint avoir lu, en donnaient plusieurs démonstrations. La contagion directe était elle aussi entièrement prouvée, et l’existence des porteurs sains était un fait reconnu8. Gutiérrez chercha à établir la cause probable de l’apparition, en février 1912, d’une épidémie de fièvre typhoïde à la nouvelle caserne du Bataillon Ingenieros de Caldas à Bogota. La caserne, « entourée de bons terrains », était située dans le secteur de Chapinero. Elle disposait de conditions hygiéniques convenables, y compris un local spacieux, bien ventilé, et la disponibilité d’eau potable prise à sa source et sans possibilité de contaminations car elle arrivait à travers de tuyauteries fermées9. Par contre, l’ancienne caserne enregistrait de mauvaises conditions de logement. Elle avait une capacité de 30 soldats, mais il y en avait 100. Les lieux d’aisances étaient sales et l’eau de consommation provenait d’un réservoir. Le déclenchement d’une épidémie de fièvre typhoïde dans cette ancienne caserne a précipité le déménagement du bataillon dans la nouvelle caserne, à cause des travaux qui n’avaient pas encore de égout. Certains malades furent déplacés et des trous avec de la chaux furent disposés pour les excréments. Mais quelques patients n’ont pas suivi les consignes hygiéniques et l’apparition de la maladie fut rapide. En plus, les vêtements des soldats n’ont pas subi de
6
Borrero Sinisterra, La higiene militar en tiempo de paz, 18‑19. Emiliano Gutiérrez S., La fiebre tifoidea en el ejército. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía. (Bogotá: Imprenta eléctrica, 1912). 8 Ibid., 11‑13. Dans l’introduction utierre déclare être au courant de recherches internationales sur la fièvre typhoïde, et mentionne les travaux de Dionis des Carrières et Paul Brouardel. Donc, il est probable que sa thèse ait été inspirée par l’ouvrage de Paul Brouardel, La fièvre typhoïde dans les garnisons de France, non compris l’Algérie et la Tunisie (Paris: Impr. nationale, 1906). 9 Gutiérrez S., La fiebre tifoidea en el ejército, 13. 7
248
désinfection, et la permanence temporaire des « germens typhiques » dans le linge était un moyen de contamination déjà attesté10. Comme le montrent les chiffres de fièvre typhoïde à l’hôpital militaire de Bogota, en février 1912 dans le Bataillon Caldas la maladie attaqua 10 individus dont 7 sont décédés ; 33 cas se sont présentés tout au long de l’année. Un nombre important sachant que seulement 3 cas ont été traités en 1910 et 7 en 1911 (Tableau 37). Tableau 37. Statistiques des cas de fièvre typhoïde à l’Hôpital militaire de Bogotá de 1910 à 1912
Décès
Total
Bolivar
Sucre
Caldas
Gendarmerie
3éme infanterie
Surnuméraires
1
Artillerie Modelo
1
17éme infanterie
1er Infanterie
1910
Police Nationale
Corps
Janvier Février Mars Avril
2
Mai
1
Juin
1
Juillet Août
1
1
1
3
1
2
3
2
3
1
Septembre Octobre Novembre
1
1
Décembre Total
10
1 1
0
1
1
0
0
3
Ibid., 14‑15.
249
5
1
13
0
Décès
Total
Rég. Cartagena
Régiment Tolima
Bataillon Bolivar
Ingénieurs Caldas
Bataillon de Train
Gendarmerie
1911 Janvier
Group Artillerie
Police Nationale
Corps
0
Février
1
Mars
1 1
1
Avril
0
Juin
1
2
4
1
Juillet
11
1
3
Août
7
1
1
Septembre
3
1
Octobre
2
1
1
Novembre
2
1
1
2
5
1
18
3
9
2
6
1
4
1
1
5
1
3
4*
3
7
59
1 2
Décembre Total
37
4
0
1
7
3
6
Compagnie de Train
3
Gendarmerie
Mai
9
Total
Décès
1
1
11
7ǂ
2
2
1
1
2
0
1
1
0
1
Février
1
Mars Avril
1
Mai
Surnuméraires
Escadron Tolima
Rég. Cartagena
Régiment Bolivar
Bataillon Caldas
1912 Janvier
Group Artillerie
Police Nationale
Corps
8
1
1
Juin
1
5
6
4
Juillet
1
2
3
1
Août
1
1
2
1
Septembre
2
2
0
Octobre
6
3
12
1
Novembre
1
9
11
0
0
0
3 1
Décembre
Total 14 0 33 2 0 3 1 0 0 53 16 NOTE : 4* (sic), ǂ tous les individus décédés étaient membres du Bataillon Caldas SOURCE : Emiliano Gutiérrez S., La fiebre tifoidea en el ejército. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía. (Bogotá: Imprenta eléctrica, 1912), 41-42
n relève le manque d’homogénéité du tableau de
utiérre . La dénomination des
corps n’est pas toujours la même, et il ne condensa pas les registres pour qu’on puisse
250
contraster plus facilement les variations annuelles dans les différents corps armés. La façon dont il a préparé ses statistiques ne permet pas d’établir à quels régiments appartenaient les patients décédés. Donc pas de tentative d’analyser la proportion annuelle des décès dans les régiments. Il n’y a pas moyen de faire des corrélations entre les conditions des établissements et la dangerosité de la maladie. Sa question n’était pas là. En fait, s’il proposa une explication pour l’apparition des 8 cas de fièvre typhoïde en février 1912 au bataillon des Ingénieurs Caldas, nous n’en trouverons aucune pour les 37 cas dans la police nationale en 1911. Ses statistiques sont un décompte, une description des passages de la maladie dans les troupes. Un registre numérique « du fort tribut qui payait l’armée à la fièvre typhoïde ». La principale préoccupation de Gutiérrez fut le caractère endémique de la maladie à Bogota. Puisque la principale voie de propagation du Bacille d’Eberth était la contamination accidentelle de l’eau, l’apparition répétée des cas de fièvre typhoïde dans la capitale du pays était due à une saleté permanente de ses eaux d’approvisionnement. Il reprit le cas de Paris, où l’amélioration du service de distribution d’eau et l’abandon de l’usage de l’eau de la Seine pour des eaux des sources a été à l’origine d’une réduction de la mortalité de 5/6. Pour Gutiérrez la situation était claire : à moins que les conditions de distribution des eaux à Bogota ne changent, le nombre de cas de fièvre typhoïde ne cesserait d’augmenter et cela sans distinction entre les classes aisées et les classes pauvres. Pour approvisionner la population de Bogota, on utilisait les eaux de sources qui traversaient la ville, et si en principe elles étaient pures, au cours des trajets elles se contaminaient et les tuyaux étaient infiltrés par les puits sceptiques et les déchets. Des analyses bactériologiques avaient démontré l’existence de plusieurs microorganismes pathogènes. La surveillance sanitaire de la distribution des eaux de consommation était indispensable dans la ville11. Après des problèmes frontaliers avec le Pérou en 1910 et 1911, le président colombien Carlos E. Restrepo (1910-1914) décréta le service militaire obligatoire. Les contingents se renouvelaient tous les six mois, et les recrues arrivaient à Bogota provenant de différentes régions du pays. À cause de l’endémicité de la fièvre typhoïde dans la ville, les possibilités de contagion de nouvelles recrues étaient vraiment grandes12. Pour abaisser le nombre de cas de fièvre typhoïde dans les régiments, ce médecin colombien proposa la vaccination obligatoire comme norme indispensable du service de santé militaire. L’immunisation par des cultures atténuées par la chaleur se pratiquait dans les armées d’Allemagne, d’Angleterre et des États-Unis et le succès de cette pratique « se
11
Ibid., 16‑17.
12
Ibid., 34‑35.
251
confirmait par leurs chiffres ». Dans l’armée allemande, par exemple, la proportion de cas de fièvre typhoïde fut de 51 % chez les soldats vaccinés et de 99 % chez les non-vaccinés. Et la mortalité passa de 1 pour 15 cas à 1 pour 813. Les protocoles de préparation du vaccin, les doses, le nombre d’inoculations et la durée de l’immunisation étaient encore des motifs de recherches et de controverses dans la communauté scientifique. Toutefois Gutiérrez, considérait la vaccination comme une mesure clé contre la fièvre typhoïde et nécessaire pour réduire la mortalité à l’hôpital militaire, où elle était la cause principale de décès14. Le pays ne comptait pas encore de dispositifs techniques et institutionnels de production de vaccins. À la fin de l’année 1897, le gouvernement installa à Bogota un modeste laboratoire pour la production du vaccin antivariolique, connu sous le nom de Parc de vaccination. Mais il était fréquent que le vaccin produit localement, et même importé, présentât des problèmes d’efficacité15. En 1917, la fondation à Bogota d’un laboratoire privé de production de sérums et vaccins par les médecins colombiens Bernardo Samper et Jorge Martínez — formés dans le monde anglo-saxon — permit la production locale du vaccin contre la fièvre typhoïde. En fait, l’étudiant de médecine
abriel Vergara Rey consacra sa thèse à
l’évaluation clinique du produit local sur 700 individus de différents sexes, âges et professions vaccinés de 1917 à 1919. Selon les chiffres de Vergara Rey, ces immunisations furent un succès, car la propension à contracter la fièvre typhoïde observée chez les personnes vaccinées fut seulement de 0,43 % et la mortalité nulle. Ainsi, et comme utierre l’avait fait quelques années auparavant, il insista sur la vaccination obligatoire dans l’armée et les autres communautés très exposées à la contagion par la fièvre typhoïde comme les étudiants en médecine et les infirmières16. Malgré les avantages prouvés, la vaccination généralisée dans l’armée contre la fièvre typhoïde proposée par Gutiérre en 1912 et Vergara Rey en 1919 n’a pas été adoptée. Il est fort probable que les problèmes budgétaires du service de santé de l’armée et de la police en aient été la cause.
13
Dans les régiments britanniques d’Inde et l’Afrique la proportion de cas de fièvre typhoïde che les non-vaccinés a été 44 pour 1 000 et celle de décès 6,1. Chez les vaccinés, la proportion tomba à 6,4 et celle de décès à 0,51. Ibid., 33‑34. 14 Ibid., 35. 15 Víctor Manuel García, « Contribution à une histoire de la régulation des médicaments en Colombie 1900-1960 » (Mémoire de master, École des Hautes Études en Sciences Sociales, 2011), 78-79. 16 Dans les faits, plus de 220 policiers appartenant à la division centrale furent vaccinés à la suite d’un déclenchement épidémique qui avait attaqué 18 agents. Seulement deux policiers ont contracté la maladie et cela parce qu’ils n'ont pas eu les trois doses. Gabriel Vergara Rey, Apuntes sobre la vacunación antitífica en Bogotá. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía (Bogotá: Imp. de La Luz, 1919).
252
5.2 L’épidémie de dysenterie à Bogota en 1915 En mars 1915 se déclencha dans la capitale du pays une épidémie de dysenterie aigüe, qui s’est rapidement étendue dans la ville. Bien qu’elle n’ait pas été d’une grande contagiosité ni d’une forte virulence, les méthodes thérapeutiques utilisées n’ont pas eu de résultats constants et les examens coprologiques ont rarement détecté des amibes. Les médecins locaux ont alors pensé qu’il s’agissait d’une épidémie bacillaire. Pour bien établir si, en effet, elle était bacillaire et non amibienne, R. Domínguez Párraga consacra sa thèse de médecine à l’étude de cette épidémie. Pour trouver une réponse, il fit appel à l’analyse détaillée de cas cliniques, chercha des preuves anatomo-cliniques et suivit le modèle pasteurien d’isolement, de culture et d’inoculation des cobayes pour déterminer l’agent causal de l’épidémie. Il eut aussi recours aux statistiques de mortalité pour établir la sévérité de l’épidémie, et à l’évaluation des traitements thérapeutiques pour trouver plus de preuves permettant de confirmer que l’épidémie était bacillaire17. Domínguez Párraga décrit la dysenterie comme un syndrome et non comme une maladie et proposa une division schématique. D’un côté les dysenteries endémiques de type chronique qui règnent dans les climats chauds et sont provoquées par des protozoaires. De l’autre, les dysenteries épidémiques de type aigu qui surviennent dans des climats tempérés, provoquées par des bacilles et caractérisées par une évolution rapide et une plus grande sévérité. Ainsi, les chiffres de mortalité contribueraient à établir l’agent causal de la maladie18. Pour quantifier le nombre de cas traités pendant l’épidémie, Domínguez Parraga envoya plus de 90 circulaires aux médecins privés. Mais Il n’a reçu que 15 réponses19. Comment expliquer cette situation ? En admettant que le manque de réponse peut être considéré comme un signe de dédain de la part de ses collègues, il est probable qu’il soit associé au fait que les discussions sur le secret professionnel étaient à l’ordre du jour à ce moment dans le pays. Donc pour préserver sa clientèle, les médecins privés se montraient très réservés et peu intéressés à participer à ce type d’enquêtes et même négligents au moment de déclarer les patients atteints de maladies contagieuses. Pour avoir des chiffres, Domínguez Párraga obtint des statistiques mensuelles de la morbidité et de la mortalité à l’hôpital militaire (Tableaux 38 et 39) et à l’HSJD (Tableau 40), et les statistiques de décès établies par le Bureau de santé à partir des certificats de décès (Tableau 41). Selon lui, les statistiques de l’hôpital militaire étaient les plus intéressantes. Tous
17
R. Domínguez Párraga, Contribución al estudio de la disentería epidémica de Bogotá 1915. Tesis Facultad de medicina y ciencias naturales (Bogotá: Tip. Augusta, 1915). 18 Ibid., 11‑12. 19 Nous n’avons pu établir le contenu de la circulaire.
253
les malades des régiments et de la police étaient envoyés là-bas, et une fois guéris ils rejoignaient dans leurs régiments, donc les patients étaient plus faciles à suivre en cas de rechutes. Ces statistiques enregistrent le régiment ou la division de police à laquelle appartient chaque malade. Il était alors possible d’établir les secteurs de la ville les plus touchés par l’épidémie. Tableau 38. Statistiques de dysenterie épidémique à l’Hôpital militaire de Bogota d’avril à octobre 1915 Mois
Nombre de cas
Décès
Avril
14
0
Mai
34
1
Juin
16
1
Juillet
19
0
Août
2
0
Septembre
6
0
19
1
110
3
Octobre Total
Pourcentage de mortalité : 2,72* NOTE : Des 110 cas registrés, trois étaient de dysenteries amibiennes, donc la mortalité monte légèrement au 2,80%. SOURCE : R. Domínguez Párraga, Contribución al estudio de la disentería epidémica de Bogotá 1915. Tesis Facultad de medicina y ciencias naturales (Bogotá: Tip. Augusta, 1915), 21.
Selon les chiffres d’avril à octobre, l’artillerie et la cavalerie furent les cantonnements les plus affectés et cela concernant les quartiers Sucre et San Victorino. Mais le nombre de cas dans les régiments d’Ingénieurs Caldas, Bolivar et Cartagena, tous situés dans le quartier de San Agustín, fut de 19 et à San Diego de 9. La police nationale, qui avait des divisions dans différents quartiers de la ville, enregistra, entre autres, 11 cas dans le quartier Las Nieves, 11 à Chapinero, 9 à San Victorino, 6 à Santa Bárbara et 3 à San Pedro (Tableau 39). Sur les statistiques de l’HSJD, Domínguez Párraga n’a pas pu retracer la distribution de cas de dysenterie par quartier, car cette institution recevait des patients des différents secteurs de la ville, et même de localités voisines, sans jamais enregistrer ce type d’information20.
20
Domínguez Párraga, Contribución al estudio de la disentería epidémica, 22‑23.
254
Tableau 39. Statistiques de dysenterie épidémique à l’Hôpital militaire de Bogota par cantonnement d’avril à octobre 1915 Nombre de cas Décès Quartiers 1 École militaire San Diego 7 Ingénieurs Caldas San Agustín 17 Artillerie Sucre 19 Cavalerie San Victorino 6 1 San Agustín Régiment Bolivar 6 Régiment Cartagena San Agustín 8 École de sous-officiers San Diego 1 ……… Régiment d'Invalidos 1 ……… Gendarmerie nationale 1 1 ……… Police de frontières 43 1 ……… Police Nationale Total 110 3 Cantonnement
SOURCE : R. Domínguez Párraga, Contribución al estudio de la disentería epidémica de Bogotá 1915. Tesis Facultad de medicina y ciencias naturales (Bogotá: Tip. Augusta, 1915), 22.
Les statistiques mensuelles de morbidité et de mortalité à l’HSJD montraient que la dysenterie épidémique avait eu son pic en juin, tandis que la dysenterie amibienne l’avait eu en mai (Tableau 40). Quant aux décès, si les registres considéraient en plus de la dysenterie épidémique et de l’amibienne, la dysenterie gangreneuse, pour Domíngue Párraga cette dernière était, presque dans tous les cas — et comme le suggérait aussi l’anatomiepathologique — de type épidémique. Ainsi, le pourcentage de mortalité de dysenterie épidémique était 25,78 et 10,33 celui de l’amibienne21.
21
Ibid., 24‑25.
255
Tableau 40. Statistiques de dysenterie à l’Hospital San Juan de Dios de Bogota de février à octobre 1915 Mois fèvrier mars avril mai juin juillet août septembre octobre Total
Total
Nombre des cas E
A
0 0 20 62 88 39 21 11 13 254
24 37 37 63 39 22 37 28 40 327
M
0 0 0 1 1 0 0 0 0 2 589
Nombre des décès
T
B
0 1 1 0 0 1 2 0 0 5
E
0 0 0 0 0 1 0 0 0 1
0 0 4 21 12 6 2 2 2 49
A
2 10 5 3 4 4 3 0 3 34 100
G
1 0 0 2 3 7 1 3 0 17
NOTE : Le nombre de cas de dysenteries furent enregistrés selon l’étiologie : E : épidémique, A : amibienne, M : mixte, T : Trichomones, B : Balantidum. Le nombre de décès furent enregistrés en trois catégories E : épidémique, A : amibienne et G : gangreneuse. SOURCE : Chiffres tirés de : R. Domínguez Párraga, Contribución al estudio de la disentería epidémica de Bogotá 1915. Tesis Facultad de medicina y ciencias naturales (Bogotá: Tip. Augusta, 1915), 24-25.
Selon les chiffres du Bureau municipal d’hygiène de Bogota, il y a eu, d’avril à octobre 1915, 258 décès, dont 107 furent enregistrés par des institutions de santé ou de bienfaisance. Le mois enregistrant la mortalité la plus élevée fut mai. Les quartiers les plus affectés furent Las Cruces et Santa Bárbara, suivis par Las Aguas, San Victorino, Chapinero, San Pedro et Sucre (Tableau 41). Cette distribution de la mortalité générale montra certaines coïncidences avec l’incidence par dysenterie à l’hôpital militaire. Les chiffres sur l’épidémie réunis à partir des médecins privés indiquèrent 153 cas, dont 16 décès, soit un pourcentage de mortalité de 10,45. Les trois chiffres de mortalité — celui de l’hôpital militaire (2,8 %), celui de l’HSJD (25,78 %) et celui des médecins privés (10,45 %) — étaient très différents et n’étaient pas concluants. Domíngue Párraga manifesta une attitude attentive sur l’interprétation des chiffres. Selon lui, les deux derniers ne devaient pas être considérés comme des chiffres absolus. Les patients les plus graves allaient à l’HSJD, donc la mortalité y était très élevée. Puis, le registre des malades par les médecins privés n’était pas très large car ils ont enregistré surtout les premiers cas, à un moment où la mortalité par cette épidémie était plus forte. En tout cas, pour lui, il était notable que malgré le mauvais état sanitaire des casernes, l’épidémie y fût si bénigne22.
22
Ibid., 27‑28.
256
Tableau 41 Statistiques des décès à Bogota d’avril à octobre 1915 Quartier/institution
Décès
Mois
Décès
Egipto
8
Avril
24
Las Nieves
9
Mai
83
Las Cruces
26
Juin
49
Santa Bárbara
21
Juillet
40
San Pedro
15
Août
21
Las Aguas
18
Septembre
18
San Victorino
17
Octobre
23
Sucre
12
Total
San Diego
8
Chapinero
15
San Pablo
1
Asile de fous
4
Asile de folles
11
Asile San José
3
Hôpital La Misericordia Hôpital Militaire Hôpital S. Juan de Dios Sans données
258
23 3 63 1
Total 258 SOURCE : R. Domínguez Párraga, Contribución al estudio de la disentería epidémica de Bogotá 1915. Tesis Facultad de medicina y ciencias naturales (Bogotá: Tip. Augusta, 1915), 26.
D’après Domínguez Párraga, indépendamment des causes générales qui dominent toute épidémie, le climat par exemple, ou l'eau de boisson — également mauvais pour tous — il y avait des causes locales, non associées à l’emplacement géographique de la ville, qui favorisaient la permanence de la maladie dans certains lieux où ils restaient des points infectés en cohabitation avec de points libérés de la maladie. Ces causes locales étaient les vêtements sales, les ustensiles personnels contaminés et les conditions hygiéniques individuelles désastreuses23. Toutefois, il ne proposa aucune mesure de contrôle pour lutter contre la propagation de l’épidémie. En plus, puisque la question centrale fut l’identification de l’agent causal de l’épidémie, il dédia le reste de la thèse aux analyses cliniques, d’anatomie pathologique et de bactériologie. Encore une fois, les statistiques exposées n’ont eu qu’un caractère évocateur de la quantification de l’épidémie. Les chiffres ont une valeur subsidiaire. Il semble que l’attachement de ce médecin colombien à la clinique de tradition française comporta un usage limité des chiffres. On ne trouve pas d’évidentes corrélations entre
23
Ibid., 28‑29.
257
l’apparition de l’épidémie, de son pic le plus élevé, et des conditions climatiques, ou des conditions d’hygiène de certains quartiers de la ville et du nombre de cas de dysenterie24.
5.3 Une épidémie de variole à Bogota En juin 1910 un foyer de variole s’alluma dans le quartier Las Aguas à Bogota. En août, l’épidémie s’était répandue aux quartiers Las Cruces et San Diego. Les malades furent envoyés à l’hôpital Los Alisos, établissement créé en 1881 à la suite d’une autre épidémie dans la ville. À l’aube du XXe siècle, l’existence régulière des patients atteints de la variole et la recrudescence du nombre de malades conduisirent les médecins à considérer que la maladie était endémique. En fait, de 1900 à 1905, il y a eu 3 478 malades et 409 décédés à Los Alisos, soit un pourcentage de mortalité de 10,89. Lors de l'expansion de la maladie en 1910, l’étudiant de médecine Luis Carlos Neira a été affecté à l’hôpital Los Alisos et décida de consacrer sa thèse à cette nouvelle épidémie25. À l’époque, seulement les enfants scolarisés étaient obligés de se faire vacciner. Présenter le certificat de vaccination était une démarche nécessaire pour l’inscription scolaire. En plus, la législation ordonnait la visite du vaccinateur officiel dans les écoles pour examiner les certificats de vaccination et le cas échéant vacciner les enfants qui ne l’étaient pas26. Pendant le stage de Neira à Los Alisos, il constata que des 694 patients seulement 7 étaient vaccinés. Mais ce qui le frappa le plus, fut le fait que la plupart d’entre eux ne savaient même pas ce qu’était un vaccin27. Et cela malgré l’existence, depuis 1897, d’un laboratoire pour la production locale du vaccin contre la variole. Selon Neira, dans toutes les épidémies, les autorités intervenaient quand le fléau prenait de grandes proportions ; tandis qu’en temps de calme, elles ne faisaient pas grand-chose pour instruire les gens sur le vaccin comme moyen de prévention de la variole. Les trois moyens reconnus pour lutter contre cette maladie 24
Les études cliniques sur les épidémies n’étaient pas rares. Par exemple, en 1922, une thèse consacrée à une épidémie de rougeole à Bogota a eu pour but l’étude de l’évolution de l’épidémie et leurs complications médicales. L’analyse des cas cliniques est le noyau de la thèse. Comme annexe, elle contient un tableau enregistrant les données de 50 patients considérant le sexe, la durée de différentes étapes cliniques de la maladie et d’autres observations médicales. Les chiffres ne furent pas repris dans le texte, donc il est probable que sa fonction soit aussi celle de signaler que le médecin avait suivi beaucoup de patients. Cf : Antonio Gómez A., Contribución al estudio del sarampión y sus complicaciones en Bogotá. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía (Bogotá: Casa editorial Minerva, 1922). 25 Luis Carlos Neira, Algunas observaciones sobre la última epidemia de viruela en Bogotá. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía. (Bogotá: Imprenta de la cruzada, 1912). 26 L’instabilité administrative du poste de vaccinateur officiel et les problèmes de disponibilité du vaccin rendaient difficile l’accomplissement de cette norme. Junta Central de Higiene, « Acuerdo número 6 de 1905 (18 de diciembre) sobre vacunación en las escuelas y colegios de la República », in Compilación de las leyes decretos, acuerdos, y resoluciones vigentes sobre higiene y sanidad en Colombia, vol. I (Bogotá: Imprenta nacional, 1932), 139‑40. 27
Neira, Algunas observaciones sobre la última epidemia de viruela, 5‑6.
258
étaient : le vaccin, l’isolement et l’hygiène. Donc, la méconnaissance du vaccin par la population et les graves problèmes d’hygiène de la ville laissaient comme seule mesure de contrôle l’isolement des patients. Mesure à l’évidence insuffisante pour combattre la maladie. Selon les propres mots du médecin colombien, « si le degré de civilisation d'un peuple était mesuré par la proportion directe du nombre de personnes vaccinées, il fallait admettre douloureusement que notre pays serait le plus arriéré »28. La propagation limitée du vaccin antivariolique à Bogota a conduit Neira à focaliser son étude sur la description des sous-types cliniques de la variole régulière — la forme discrète (la plus fréquente dans la population locale), la confluente et la cohérente29 — et à l’élaboration de ses statistiques à l’hôpital Los Alisos, pendant la période d’août 1910 à septembre 1912. D’après son directeur de thèse, le professeur de Clinique générale Luis Felipe Calderón, ces statistiques marquaient l’originalité de sa recherche. Celles-ci ont été récapitulées sur deux paragraphes et présentées de façon détaillées à la fin de l’ouvrage dans des tableaux. Ils comprennent les données mensuelles des patients, séparées par année, considérant : les trois sous-types de la variole, le sexe, l’âge (selon trois tranches 1-15, 15-40 et plus de 40 ans) et les décès. Les seuls commentaires qui accompagnent les tableaux indiquent et quantifient les complications médicales subies par certains patients. Si l’originalité de l’œuvre repose sur les statistiques, il est frappant qu’on ait détecté plusieurs inconsistances entre les chiffres résumés et celles des tableaux. Des inconsistances qui ne semblent pas être des problèmes typographiques. Par exemple, il affirma avoir vu 694 patients, mais quand on récapitule le nombre d’hommes, de femmes, de garçons et de filles enregistrés dans le texte le résultat est 705, et si l'on additionne les chiffres des tableaux il chute à 689. Les catégories homme-garçon, femme-fille (Tableau 42a) ne correspondent pas aux tranches d’âge des tableaux qu’il a élaborées. En outre, le nombre de décès ne coïncide pas non plus, donc le pourcentage de la mortalité est de 2,26 (16/705) pour les chiffres du texte et de 1,45 (10/689) pour ceux des tableaux (Tableau 42 a et b). Bien que les différences ne soient pas énormes, elles laissent entrevoir que ces quantifications n’ont pas été faites de façon très attentive. L’usage que Neira fait des statistiques est plus illustratif qu’analytique.
28 29
Ibid., XI‑XII. De façon générale, cette classification est liée à la distribution, l’abondance de l’éruption et l’intensité des symptômes. Dans la forme discrète les pustules sont isolées les unes des autres, l’éruption est accompagnée des états généraux comme fièvre, céphalalgie, nausées, de douleurs à l’épigastre et au dos et d’insomnie. La forme confluente a les mêmes symptômes que la discrète, mais plus sévère et les pustules se touchent dans beaucoup d’endroits du corps, spécialement sur le visage. Elle se caractérise aussi par la tuméfaction du visage et le gonflement des pieds et des mains. La cohérente est une forme entre la discrète et la confluente et selon l’abondance de l’éruption, elle présente les caractères et la gravité de l’une ou de l’autre. Ibid., 10‑21.
259
Elles sont un décompte, une description des nombres d’une nouvelle attaque de la variole à Bogota. En autre, elles illustrent le nombre assez important de patients suivis par le médecin. Mais par rapport aux observations cliniques, les chiffres sont un argument subsidiaire pour confirmer l’expansion de la maladie. Tableau 42. Statistiques des cas de variole à l’hôpital Los Alisos de Bogotá d’août 1910 à septembre 1912 a. Chiffres mentionnés dans le texte Sous-type Variole discrète
Hommes G
Femmes
D
G
Garçons
D
G
Filles
D
G
D
116
1
151
0
76
0
79
Variole cohérente
54
3
83
1
17
0
24
Variole confluent
26
3
48
4
5
0
2
Varioloïde
3
Hémorragique
1
TOTAL 2
425 182
1
89
4
7 1
2
TOTAL 200 7 286 6 98 0 105 3 705 NOTE : G : Guéris ; D : Décédés. Tous les totaux ont été calculés par nos soins
b. Récapitulation des chiffres des tableaux Sous-type
Variole discrète
Année
Variole confluent
F
15-40 ans
plus de 40
H
H
F
F
Décédés H
TOTAL
F
1910
14
11
8
17
5
2
1
0
58
1911
64
75
49
66
3
3
0
2
262
1912
18
24
27
28
0
2
0
0
99
84 111
8
7
1
2
419
TOTAL Variole cohérente
1-15 ans H
96 110
1910
1
6
7
4
0
0
0
0
18
1911
17
24
20
38
1
5
0
0
105
1912
3
6
19
23
1
3
0
0
55
TOTAL
21
36
46
65
2
8
0
0
178
1910
3
1
4
11
4
1
1
1
26
1911
2
9
16
24
2
1
1
2
57
1912
0
2
4
1
0
0
0
2
9
TOTAL
5
12
24
36
6
2
2
5
92
TOTAL 122 158 154 212 16 17 3 7 689 NOTE : Tous les totaux ont été calculés par nos soins SOURCE : chiffres tirés de: Luis Carlos Neira, Algunas o servaciones so re la ltima epidemia de viruela en Bogot . Tesis para el doctorado en medicina y cirugía. (Bogotá: Imprenta de la cruzada, 1912).
Dans la description étiologique de la variole, Neira signalait que le sexe et l’âge n’avaient aucune incidence sur la distribution de la maladie et que si les cas étaient plus fréquents che les hommes, cela était dû au fait qu’ils étaient plus exposés à la contagion que les femmes. Cette affirmation contraste avec les chiffres de ses tableaux, où l’on compte 387 femmes et 292 hommes, soit une différence de 32,5 %. On calcule 1,81 % de mortalité pour les premières et 1,03 pour les seconds. Donc la maladie semblait toucher plus les femmes et être un peu plus mortifère chez celles-ci. Toutefois, Il ne s’est pas montré intéressé par le 260
sujet. Quant à la virulence de l’épidémie, il remarqua qu’à la différence des épidémies de la période coloniale dont la mortalité était de 90%, pendant celle-ci, elle fut très basse (2,02). Ainsi, une certaine immunité transmise des pères aux enfants (car quasiment tous les individus n’étaient pas vaccinés) produisait des organismes plus résistants et plus capables de survivre à la virulence de la maladie30. Même si la virulence de la variole était basse, Neira estimait que le nombre de personnes atteintes de la maladie était important31 et leur isolement une mesure nécessaire, mais difficile à mettre en place à cause des conditions de dénuement de l’hôpital. Celui-ci ne disposait pas d’eau potable, d’électricité ou de téléphone. Les salles de soins étaient très petites et sans ventilation, et leurs sols et murs ne pouvaient pas être lavés comme il était préférable pour le contrôle des maladies contagieuses. Il exhortait les autorités à changer les conditions physiques et budgétaires de l’hôpital et réclamait, comme mesures nécessaires, la vaccination obligatoire et la déclaration, aussi obligatoire, de tous les cas de variole32. La lutte contre la variole : l’hôpital Los Alisos et le Parc de vaccination La situation administrative de l’hôpital Los Alisos était très compliquée. Depuis sa fondation, il était géré par la Junta de beneficencia33 mais à cause du manque du budget, en 1911 l’administration passa à la municipalité34. Un accord avait aussi établi l’attribution d’une allocation départementale. L’augmentation des cas de variole à Bogota et dans les populations voisines alourdit les dépenses, et la municipalité et le département avaient du mal à les couvrir. En plus, à la suite d’une crise budgétaire départementale, il arrêta de verser l’allocation35. La détérioration et les problèmes financiers de l’hôpital continuaient et les autorités se renvoyaient la balle. En février 1914, les membres du Conseil municipal de Bogota ont demandé la démission des responsables de l’état déplorable et des conditions insalubres 30
Ibid., 8. Si l'on estime à 115 000 habitants la population de Bogota en 1911, et que l’on tient compte des 414 cas enregistrés à l’hôpital Los Alisos par les statistiques de Neira, on peut calculer une incidence de 3,7 pour 1 000 habitants pour cette année-ci. 32 Neira, Algunas observaciones sobre la última epidemia de viruela, 29. 33 En 1869, l’État de Cundinamarca décréta la création de la Junta General de Beneficencia de Cundinamarca (Conseil général de bienfaisance de Cundinamarca, C BC) comme l’institution publique départementale responsable d’administrer les centres de charité existant à l’époque et les hôpitaux officiels du département. Cundinamarca et Junta General de Beneficencia, Informe que el Presidente de la Junta General de Beneficencia de Cundinamarca, presenta a la Asamblea del Departamento en sus sesiones de 1920 (Casa Editorial de « La Cruzada », 1920). 34 Consejo Superior de Sanidad, « Resolución número 1 (de 5 de febrero de 1914) sobre algunas medidas o urgentes de higiene en la capital de la República », Revista de higiene 6, n 86 (1914): 83‑84. 35 Concejo municipal de Bogotá, « Acuerdo número 52 de 1911 orgánico del Hospital de virolentos, establecido en Los Alisos », in Acuerdos expedidos por el Concejo municipal de Bogotá en los años 1905 a 1911 (Bogotá: Águila negra Editorial, 1912), 439‑41; Consejo Superior de Sanidad, « Informe o sobre el Hospital de Los Alisos », Revista de higiene 6, n 86 (1914): 85‑87. 31
261
dans lesquels se trouvait l’hôpital Los Alisos. Les fonctionnaires chargés de la DHSB se sont défendus de l’attaque et accusèrent la municipalité de la situation. Selon eux, la cause de la ruine de l’hôpital était l’absence d’une ligne budgétaire municipale pour
son
fonctionnement36. L’institution ne disposait pas d’asse de personnel soignant et la structure physique n’avait pas connu de changements. Il manquait encore de l’eau potable, de toilettes et des machines pour désinfecter les vêtements et les ustensiles contaminés. En plus, les médicaments et les matériels pour soigner les malades étaient insuffisants37. Les autorités sanitaires insistèrent sur la nécessité d’activer la vaccination et la revaccination dans toute la Colombie. Donc, par l’Acuerdo 12 de 1914, elles ordonnèrent la vaccination antivariolique obligatoire de toute la population au cours de la première année de vie ainsi que les revaccinations au cours de la onzième et de la vingt-et-unième années. Pour mettre en place cette mesure, tous les conseils municipaux étaient priés de créer des bureaux de vaccination et d’embaucher un vaccinateur chargé de l’immunisation gratuite de la population. Si les conditions économiques de la municipalité empêchaient l’établissement d’un bureau permanent, celui-ci devait fonctionner au moins deux mois par an. Le vaccinateur devait suivre les statistiques de vaccination et les faire passer au Bureau départemental d’hygiène et celui-ci au CSS38. Dans le pays, l’apparition d’un arrêté sur la vaccination antivariolique obligatoire comme mesure de prophylaxie et de contrôle fut aussi le corolaire d’un mouvement hygiéniste plus large et de caractère international, qui commença pendant les années 1850 en Angleterre et aux États-Unis, où cette mesure s’était imposée. Dans le contexte latino-américain, la vaccination obligatoire s’appliqua, depuis 1886, au Chili et dans la province de Buenos Aires, et à partir de 1904 dans toute l’Argentine. À Rio de Janeiro, la mise en place, en 1904, d’une loi proposée par Oswaldo Cruz qui imposait la vaccination obligatoire entraîna une révolte populaire qui amena à sa dérogation quelques mois plus tard. Néanmoins, le déclenchement d’une épidémie très mortelle en 1908 introduisit à nouveau un programme de vaccination obligatoire. En Uruguay, en 1911 fut approuvée la loi qui ordonnait la vaccination et la revaccination obligatoires39. 36
« Concejo Municipal. Sesión del 17 », El Tiempo, 19 février 1914, Casa editorial El Tiempo édition. Consejo Superior de Sanidad, « Informe sobre el Hospital de Los Alisos. » 38 Consejo Superior de Sanidad, « Acuerdo número 12 de 1914 (26 de mayo) por el cual se organiza el o servicio de vacunación contra la viruela en la República », Revista de higiene 6, n 91 (1914): 398‑402. 39 Maria Silvia Di Liscia, « Marcados en la piel: vacunación y viruela en Argentina (1870-1910) », Ciência o & Saúde Coletiva 16, n 2 (2011): 409‑22; José Tuells, « La «Revolta da vacina» en Río (1904): resistencia violenta a la ley de vacunación obligatoria contra la viruela propuesta por Oswaldo Cruz », o Vacunas 10, n 4 (2009): 140‑47; Milton Rizzi, « Bicentenario de la expedición de la vacuna o antivariólica y su introducción en el Río de la Plata », Revista médica uruguaya, n 23 (2007): 7‑18. 37
262
L’existence d’un arrêt ordonnant la vaccination obligatoire de la population nationale présuppose la disponibilité du vaccin, soit par son importation soit par sa production locale. En Colombie, le vaccin antivariolique était fabriqué par le Parc de vaccination dans des conditions de production qualifiées par les fonctionnaires eux-mêmes de rustiques et austères. Dans l’étable, les veaux étaient couchés par terre et ensuite montés sur une table commune où ils étaient opérés. Les semis s’effectuaient par piqûres — ce qui donnait de maigres récoltes — et l'écrasement des croutes se faisait dans un mortier. Les tubes étaient remplis par une pipette et sa fermeture se faisait avec l’aide d’un chalumeau de soudeur. Finalement, les doses étaient emballées entre deux petites planches de bois avec des rainures longitudinales. La température altérait la stabilité du vaccin, donc la conservation et la distribution des doses du vaccin dans des climats chauds ou dans les régions éloignées de la capitale du pays furent un sujet d’inquiétude chez les fonctionnaires du laboratoire40. Pour faciliter le transport des doses dans les différents départements de la République, le Parc de vaccination demanda au ministère de l’Intérieur, auquel il était rattaché, la permission d’envoyer directement toute la production du vaccin au CSS, qui ensuite, et selon les demandes les plus urgentes, enverrait les doses aux conseils municipaux et départementaux d’hygiène. Avant 1914, la production était envoyée aux bureaux du ministère, où les doses restaient assez longtemps et quelquefois perdaient leur viabilité sans avoir être distribuées. La demande fut approuvée et elle permit le contrôle direct des doses par le CSS41. Une stratégie pour réduire les problèmes de distribution et les hautes températures fut de délivrer le vaccin dans des thermos en petites quantités qui pourraient être utilisées dans un délai maximum de 36 heures. Bien que cette forme de transport fût très efficace, le prix était très élevé. Une autre stratégie fut la fabrication d’emballages contenant du sel d'ammoniac et d'autres substances, mais les résultats furent plutôt médiocres. Vers 1916, et après plusieurs efforts, on a mis en œuvre la production d’un vaccin sec en poudre. Les résultats positifs des essais d’immunisation avec le vaccin en poudre — pratiqués par le médecin Jorge Lleras P., directeur du Parc de vaccination, et par d’autres médecins sur la population des endroits où le vaccin liquide n’avait eu jamais de succès — ont servi de base à la production locale régulière de ce type de vaccin et à son utilisation dans des municipalités où le climat affectait sa stabilité42. La quantité de doses annuelles du vaccin en poudre ou sous 40
o
Jorge Lleras P., « Vacunación antivariolosa en Colombia », Revista de higiene XX, n 7 (1939): 8‑10. 41 Julio Aparicio, « Informe del secretario del Consejo Superior de Sanidad sobre los trabajos de esta o corporación del 1° de enero al 10 de junio 1914 », Revista de higiene 6, n 91 (1914): 364. 42 Dû à la rapidité des moyens de transport, la production locale du vaccin en poudre fut arrêtée en 1932. Selon les chiffres du Parc de vaccination, 8 657 000 doses de vaccins glycérinés furent produits en Colombie de 1934 à 1939. Lleras P., « Vacunación antivariolosa en Colombia », 10‑14.
263
glycérine fut très variable et elle est attachée davantage au budget du Parc de vaccination et à ses conditions techniques qu’à un plan annuel pour répondre aux exigences de doses locales (Tableau 43). Tableau 43. Nombre des doses de vaccin antivariolique produites en Colombie de 1916 à 1923 Année
Doses
TOTAL
VS
PG
1916
203 000
385 000
588 000
1917
261 000
438 000
699 000
1918
269 000
432 000
701 000
1919
512 000
391 000
903 000
1920
965 000
238 000 1 203 000
1921
1 673 000
153 320 1 826 320
1922
484 950
184 800
669 750
1923 549 800 SD 549 800 NOTE : VS : vaccin séché, PG : pulpe glycérinée, SD : sans données. SOURCE : chiffres tirés de : Cecilio Martínez B., La viruela y la vacunación en Bogotá. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía (Bogotá: Editorial Minerva, 1925). p. 22-23. Cet auteur cite un rapport du directeur du Parc de vaccination, Jorge Lleras P, destiné à la Direction nationale d’hygiène.
5.4 La variole et la vaccination à Bogota En 1909 fut créé à Bogota un bureau municipal de vaccination (BMV) qui était régenté par un médecin et un étudiant en médecine. Vers les années 1920, les activités du bureau passèrent aux mains des deux étudiants de dernière année de médecine. Leur fonction principale était la vaccination du personnel des écoles, des lycées, des prisons et des usines et d’autres établissements, lorsque l’apparition des cas l’imposait, ou si la mairie, la direction d’hygiène ou la police sanitaire municipale l’ordonnaient. De 1922 à 1925, l’étudiant en médecine Cecilio Martínez travailla comme vaccinateur-officiel dans le bureau de Bogota et consacra sa thèse à la variole et à la vaccination dans la capitale du pays Il y décrit la méthode locale de production du vaccin et les procédures de vaccination, signalant quels étaient, à son avis, les défauts existants et les mesures probables pour les combattre43. Un des sujets d’inquiétude de Martíne fut la production des statistiques de cas de variole et des vaccinations réalisées dans la République. À l’évidence, les autorités d’hygiène de l’époque ne disposaient pas de chiffres du nombre de cas de variole qui avaient eu lieu dans la capitale du pays depuis l’établissement permanent du BMV en 1909. D’après lui, les seuls chiffres disponibles étaient ceux des recrudescences épidémiques de la variole à l’hôpital Los Alisos depuis 1918. Quoi que ceux-ci ne fussent pas des chiffres absolus de morbidité et de mortalité par variole, de toute façon ils sont indicateurs de l’état de l’infection de la ville dès 43
Cecilio Martíne B., La viruela y la vacunación en Bogotá. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía (Bogotá: Editorial Minerva, 1925).
264
1918 à 192444. Martínez donna les statistiques de Los Alisos concernant le nombre de cas et les variations du pourcentage de mortalité de 1918 à 1924, néanmoins il ne leur accompagna d’aucun commentaire (Tableau 44). Tableau 44. Statistiques de variole à l’hôpital Los Alisos, 1918 - 1924 1918 1919 1920 1921 1922 1923 Âge P D P D P D P D P D P D 0 à 10 ans 176 6 87 1 211 6 104 6 4 0 37 1 10 à 20 68 1 118 1 265 1 94 0 20 0 37 0 20 à 40 201 4 93 0 295 8 164 1 12 0 54 0 Plus de 40 39 1 14 2 46 3 20 0 …. 0 3 1 TOTAL 484 12 312 4 817 18 382 7 36 0 131 2 2,48 1,28 2,20 1,83 0,00 1,53 % Décès
1924 TOTAL P D 156 3 775 152 0 754 215 1 1 034 41 2 163 564 6 2 726 1,06 1,79
NOTE : P : patients, D : décédés. SOURCE : chiffres tirés de : Cecilio Martínez B., La viruela y la vacunación en Bogotá. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía (Bogotá: Editorial Minerva, 1925). p. 13-14.
Le recensement de 1918 à Bogota enregistra 143 994 habitants45. À partir des chiffres de Martínez, on peut estimer un taux de morbidité supérieur à 3,4 pour 1 000 habitants. Donc, la recrudescence de cas de variole en 1920 a probablement monté à un taux égal à plus de 5 pour 1 000 habitants. D’ailleurs, il est probable que le nombre bas de cas de variole enregistré à Los Alisos pendant l’année 1922 fut associé aux efforts des autorités de santé pour lutter contre ce fléau, à l’augmentation du nombre de doses disponibles du vaccin en 1919, 1920 et 1921 (Tableau 43) et donc à une vaccination plus large de la population de la capitale du pays et des populations circonvoisines. Selon les chiffres du BMV, de 1922 à 1924 il y a eu 79 746 vaccinations à Bogota, soit une moyenne annuelle de 26 582, c’est-à-dire plus d’un huitième de la population. D’après Martínez, ce chiffre aurait fait réduire au minimum l’apparition de cas de variole à Bogota. Le fait que la maladie présentait encore un nombre significatif de cas s’expliquait par l’importation directe des populations voisines et par l’arrivée de personnes qui contractaient la maladie faute d’avoir été immunisées46. La législation nationale obligeait toutes les municipalités de plus de 10 000 habitants à financer avec leur budget le poste permanent de vaccinateur-officiel. Les municipalités d’une population inférieure étaient obligées de respecter cette loi seulement en cas de déclenchement d’une épidémie47. Donc il était
44
Ibid., 12. República de Colombia et Departamento de contraloría, Censo de población de la República de Colombia levantado el 14 de octubre de 1918 y aprobado el 19 de septiembre de 1921 por la ley 8a. del mismo año (Bogotá: Imprenta nacional, 1924), 35. 46 Martíne B., La viruela y la vacunación en Bogotá, 27. 47 Cf.: Article n°10. República de Colombia et Gobierno nacional, « Ley 99 de 1922 (diciembre 7) por la cual se adicionan las leyes sobre higiene pública », in Compilación de las leyes decretos, acuerdos, y 45
265
fréquent que les petites municipalités mettent en œuvre une pratique régulière de la vaccination. Le BMV ne disposait que de deux vaccinateurs, ce qui était insuffisant pour vacciner, contrôler les résultats et délivrer les certificats de vaccination de toutes les personnes. La Direction d’hygiène distribuait des doses de vaccin à tous les médecins qui le demandaient. Cette mesure facilitait l’immunisation de la population, mais elle marquait un des inconvénients du service de vaccination. Car, selon Martínez, pour bien suivre les registres des statistiques et l’observation des résultats, la vaccination et le certificat devaient avoir un caractère officiel. Alors que fournir les vaccins aux médecins privés était nécessaire, il proposa que BMV fût le seul organisme habilité à délivrer les certificats. Donc, les médecins privés devaient lui envoyer un rapport avec les noms des vaccinés et les résultats de leurs immunisations pour obtenir les certificats, qu’ensuite ils les remettraient aux intéressés48. À ce moment-là, les vaccinations réalisées par les médecins privés échappaient à la quantification et si les certificats qu’ils délivraient servaient comme attestation pour les autorités publiques ou privées, le manque d’harmonisation entre eux empêchait, en tout cas, l’obtention des données statistiques comparables. Martíne considérait comme impératif l’harmonisation des certificats de vaccination de tous les bureaux d’hygiène du pays pour mieux conduire la vaccination dans l’ensemble de la République. Ainsi, il inclut dans sa thèse des modèles de registre pour le certificat de vaccination et pour le suivi des statistiques mensuelles de vaccination. Ce dernier devait être rempli par les Directions départementales d’hygiène et il fallait envoyer une copie à la Direction nationale d’hygiène49. En ce qui concerne les modèles de ces registres, il faut noter que parmi les références bibliographiques citées par Martínez on trouve un seul ouvrage consacré aux chiffres, Estadística municipal de Montevideo de 1921. Il est fort probable que les modèles furent repris de ce livre. Pour conclure sa thèse, Martíne
présenta un projet d’arrêté condensant et
« complétant » les dispositions existantes dans le pays relativement à l’organisation du service de vaccination national. Il insista sur le fait qu’il était de la responsabilité des Directions départementales d’hygiène et des autorités civiles de pratiquer la vaccination et la revaccination50 et d’en établir la statistique comme celles de la morbidité et de la mortalité par
resoluciones vigentes sobre higiene y sanidad en Colombia, vol. II (Bogotá: Imprenta nacional, 1932), 7 ‑15. 48 Martíne B., La viruela y la vacunación en Bogotá, 31. 49 Ibid., 24‑27. 50 L’Acuerdo 12 de 1914 sur la vaccination fut ratifié par les articles 9, 10 et 11 de la loi 99 de 1922. República de Colombia et Gobierno nacional, « Ley 99 de 1922 (diciembre 7) por la cual se adicionan las leyes sobre higiene pública. »
266
variole dans le pays. Les bureaux de vaccination devaient classer ces registres selon la nationalité, le quartier ou la région de chaque personne vaccinée. Ce qu’indique l’intention d’établir une fiche par personne. Il proposa aussi de faire présenter un certificat de vaccination antivariolique à tout individu arrivant au pays et dans le cas échéant de l’obliger à se faire vacciner par les autorités de santé locales51. La proposition de Martínez pour suivre les statistiques de vaccination et revaccination était nécessaire, car jusqu’à ce moment les vaccinateurs ne faisaient aucune distinction dans leur registre à cet égard52. Ainsi, les seuls chiffres disponibles correspondaient au nombre de doses produites par le Parc de vaccination et au nombre de vaccinations officielles. Quant à la production de statistiques de morbidité de la variole, elle n’était pas aussi évidente car beaucoup de cas échappaient aux registres. 1. Cette affection ne faisait pas partie des maladies à déclaration obligatoire ; 2. À condition de suivre certaines règles d’hygiène, les personnes, pour la plupart des riches, pouvaient suivre leur isolement et leur traitement chez eux ; 3. Dans plusieurs municipalités, il n’y avait pas d’institutions pour isoler les patients de la variole ; 4. La statistique hospitalière du mouvement des patients selon les causes était très irrégulière. La signature des accords internationaux vont donner les lignes directrices sur ce sujet. En 1926, à la Conférence sanitaire internationale tenue à Paris, à laquelle assista comme délégué colombien le médecin Miguel Jiménez López53, la notification internationale des épidémies de variole devint obligatoire. Et celle-ci comprenait la déclaration de l’endroit où la maladie était apparue, la date de son apparition, son origine, sa forme, le nombre de cas constatés et celui des décès54. Deux ans plus tard, la notification obligatoire des cas de variole fut ordonnée en Colombie par le Décret 58055. Malgré cela, la mise en place de la législation
51
Martíne B., La viruela y la vacunación en Bogotá, 39‑43. R Arango, « Informe del director de la Oficina de Higiene y salubridad de Bogotá », Revista de higiene o 10, n 146‑48 (1924): 66. 53 À ce moment-là, il était professeur à la Faculté de médecine de Bogota et ministre plénipotentiaire de Colombie à Berlin. Dans la conférence, il participa aux travaux de la troisième sous-commission épidémiologique qui discuta les points relatifs à la fièvre jaune. Le président de cette sous-commission fut le délégué des États-Unis le Surgeon General H. Cumming, et parmi les autres délégués on trouve aussi Carlos Chagas. France. Ministère des affaires étrangères, Conférence sanitaire internationale de Paris : 10 mai-21 juin 1926 : procès-verbaux (Paris: Impr. nationale, 1927), 475‑482, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5613907n. 54 Ibid., 162. 55 Article 1. «Il est obligatoire une déclaration ou la dénonce des maladies suivantes : le choléra nostras, le choléra asiatique, la fièvre jaune, la peste, le typhus, la typhoïde et paratyphoïde, la variole, la diphtérie, la scarlatine, la dysenterie bacillaire et amibienne, la tuberculose, la méningite cérébrospinale épidémique. Il est également obligatoire la déclaration de la lèpre, conformément aux dispositions régissant une telle déclaration ». República de Colombia, « Decreto n° 580 de 1928 (29 de 52
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autour de la déclaration obligatoire des maladies infectieuses-contagieuses et donc la production de statistiques sur ce sujet va devoir surmonter beaucoup d’obstacles56. Les propositions de Martínez pour changer les registres statistiques de vaccination antivariolique n’ont pas été prises en compte par les autorités sanitaires, qui se sont concentrées surtout sur la réduction de la contagion par l’augmentation du nombre de personnes vaccinées. Selon le directeur municipal d’hygiène, la diminution du nombre de personnes touchées par cette maladie permettait de transformer, à court terme, Los Alisos en hôpital dédié aux maladies infectieuses-contagieuses comme il était courant de le faire dans les villes plus développées57. L’année suivant l’apparition du décret 580, les autorités du service d’hygiène de Bogota informaient qu’il n’y avait aucun patient dans l’hôpital Los Alisos et proclamaient, alors, le triomphe de la campagne de vaccination antivariolique dans la population de la ville. Selon Enrique Enciso, directeur municipal d’hygiène et ex-boursier de la Fondation Rockefeller, la coopération des différents organismes municipaux fut à l’origine du succès de la campagne. Pour délivrer le permis de conduire, le bureau de la circulation exigeait que tous les conducteurs aient le certificat de vaccination. Il était aussi indispensable pour tous les travailleurs de présenter le certificat aux employeurs. Le service médical scolaire vaccinait les enfants dans les écoles et le service municipal des maladies contagieuses était chargé du contrôle des malades, de leur isolement et de la vaccination, si nécessaire, des proches, voisins, ou collègues de travail des patients. En plus, la ville avait été divisée et chaque vaccinateur officiel devait pratiquer au moins 1 500 vaccinations par mois. Enciso profita de l'absence de patients à Los Alisos pour demander au Secrétariat des travaux publics la réparation de l'infrastructure de cette institution, dont les conditions sanitaires étaient encore très problématiques58. Tout au long de la décennie 1930, l’hôpital Los Alisos continua à soigner les malades de la variole, encore en 1941 la transformation de cette institution en un service médical pour les maladies infectieuses-contagieuses n’était pas une réalité59.
marzo) por el cual se reglamenta la declaración de las enfermedades contagiosas », Diario oficial, 17 avril 1928, 85. 56 Cette question nous l’aborderons plus en détail dans la section de la thèse dédiée à la lutte contre la tuberculose. 57 Enrique Enciso, « La verdad sobre los Alisos », El Tiempo, 30 mai 1928, Casa editorial El Tiempo édition. 58 « Por primera vez está vacío el hospital de los Alisos », El Tiempo, 9 août 1929, Casa editorial El Tiempo édition. 59 « Para las enfermedades infecto-contagiosas habrá un hospital », El Tiempo, 23 août 1941, Casa editorial El Tiempo édition.
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5.5 « Les triomphes de la santé publique » et les épidémies Vers 1930, un changement commença à s’opérer quant à l’usage des statistiques concernant les épidémies. Les médecins vont être plus attentifs à la production des registres, d’un coté à cause des exigences législatives d’ordre national et international. De l’autre car, une décennie après la mise en place de la campagne contre l’ankylostomiase cofinancée par la Fondation Rockefeller, les routines d’enregistrement et la production de certains chiffres concernant la santé des populations devinrent plus courantes pour les médecins et les services de santé locaux. Donc, les chiffres se transforment en outils de validation de l’état de santé de la population et en indicateurs capables d’évaluer la mise en œuvre des programmes de santé60. Pour mettre en évidence cette transformation nous allons prendre deux exemples. 1. Les rapports de l’épidémie de rougeole qui toucha, en 1933, la ville de Bogota et d’autres localités voisines. 2. Les chiffres présentés au début des années 1930 par le directeur municipal d’hygiène sur la fièvre typhoïde à Bogota et ceux parus dans une étude, publiée en 1936, qui analyse les registres de mortalité et de morbidité en quinze ans. Durant les premières décennies du XXe siècle, quatre épidémies graves de rougeole se présentèrent à Bogota (1906, 1914, 1922 et 1927). En 1933 une nouvelle épidémie, très sévère, attaqua la population de la capitale du pays et se propagea dans d’autres municipalités du département de Cundinamarca61. Son apparition soudaine et presque simultanée dans des quartiers centraux et périphériques de Bogota fait déclencher des alertes et la Direction municipale d’hygiène (DMH) organisa, pour la première fois, une campagne intense pour lutter contre cette maladie. Par rapport à d’autres mesures possibles, quatre raisons ont contraint la décision de la DMH de privilégier dans cette campagne la détection et le traitement des cas de rougeole. 1. L’isolement des individus suspects était impraticable. 2. Celui des patients déjà 60
Les outils statistiques se généralisent dans le champ médical. Ils sont un dispositif privilégié pour évaluer les services des hôpitaux, des asiles, des cliniques dentaires et des dispensaires. Voir par exemple : José Manuel Cordovez Vergara, La organización médico escolar en Cundinamarca y datos clínicos y antropométricos de sus escolares. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía (Bogotá: Editorial Centro, 1934); Nicolás Güete Sevilla, Morbilidad y mortalidad en el hospital de la Misericordia « Análisis estadístico ». Tesis para el doctorado en medicina y cirugía (Bogotá: Editorial Minerva, 1935); Joaquín Arango Trujillo, Estudio estadístico sobre mortalidad general en el Ferrocarril de Antioquia. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía (Medellín: S. inf., 1935); Carlos E. Córdoba, Comentarios a la estadística manicomial del departamento de Antioquia. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía (Medellín: Imp. universidad, 1937); Jesús V. Gutiérrez, Algunas consideraciones sobre el ejercicio de la odontología social y organización de clínicas dentales colectivas. Tesis para el doctorado en odontología (Bogotá: Editorial Optima, 1938); José Manuel Avendaño, Contribución al estudio de las endemias tropicales propias de la Zona Bananera en un dispensario del Centro Mixto de Salud. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía (Bogotá: Editorial Centro, 1939). 61 Reynaldo Arango, « Extracto del informe del director municipal de higiene sobre la epidemia de o sarampión y la campaña para combatirla », Revista de higiene 14, n 8‑9 (1933): 248‑275; Jorge Andrade, « Extracto del informe del director departamental de higiene de Cundinamarca », Revista de o higiene XIV, n 8‑9 (1933): 281‑294.
269
diagnostiqués montrait une basse effectivité. 3. Les mesures de désinfection pour limiter la propagation de la maladie étaient plus ou moins inutiles à cause de la faible virulence du microorganisme responsable de la maladie à l’extérieur du corps. 4. la séroprophylaxie62, très réputée et prouvée, était une pratique médicale méconnue dans le contexte local et son usage généralisé aurait surement trouvé des résistances dans la population. En plus, elle demandait des analyses de laboratoire pour établir la compatibilité entre le donneur et le récepteur du sérum. En conséquence, les soins aux malades deviendront la stratégie centrale pour éviter les complications et réduire la mortalité63. L’équipe de la campagne était composée de 9 médecins, 18 infirmières, un pharmacien et un secrétaire. La ville fut divisée en 9 ones afin de mieux maîtriser l’épidémie, de bien distribuer le personnel et de contrôler les statistiques. Chaque one était sous la tutelle d’un médecin et deux infirmières. Pour favoriser le travail du pharmacien et éviter les retards dans la livraison des remèdes, les médecins de la campagne ont conçu 21 prescriptions standards pour le traitement de la rougeole et ses complications. Les laboratoires de la ville produisirent une certaine quantité de sérums à administrer aux enfants de moins 5 ans susceptibles de contracter la maladie. Les fonctionnaires des écoles ont suivi des formations sur l’identification des premiers symptômes de la rougeole. Ils étaient obligés d’inspecter tous les enfants à l’entrée de l’école et de faire rentrer chez eux les enfants suspects. Les enseignants notaient sur un formulaire de campagne les adresses de ces enfants, et tous les jours notifiaient l’information au bureau des médecins des écoles, qui à son tour informait l’infirmière de la one responsable du suivi de ce cas. L’expansion de l’épidémie et l’effectivité de la campagne étaient discutées lors des réunions hebdomadaires du personnel soignant64. Pendant la campagne le manque de personnel médical était évident, et une nouvelle manne budgétaire fut obtenue pour embaucher plus de fonctionnaires, y compris des médecins des services scolaires, des étudiants de médecine, d’autres pharmaciens et des aides-soignantes. En plus, une autre pharmacie fut établie dans les bureaux de la croix rouge. Si dans les épidémies de rougeole, l’isolement de patients dans les hôpitaux n’était pas recommandé à cause de la possibilité de contracter et propager d’autres infections graves, les conditions des chambres très déplorables dans lesquelles furent trouvés certains enfants 62
Au début de l’épidémie, il fut publié dans le journal le plus important du pays un article expliquant la séroprophylaxie et ses avantages. Cette méthode de vaccination consiste à appliquer une injection de sérum immun, obtenu des convalescents, à des personnes risquant la contagion. Elle induit une immunité de 30 jours et en cas d’infection par la maladie, les symptômes sont très bénins. « La gravedad de la epidemia de sarampión en la ciudad », El Tiempo, 26 mai 1933, Casa editorial El Tiempo édition. 63 Arango, « Extracto del informe del director municipal de higiene », 248‑251. 64
Ibid., 251‑255. .
270
renversèrent cette recommandation. Donc, les enfants malades dans ces conditions et en plus attaqués de pneumonie ont été hospitalisés dans une salle, conditionnée à une telle fin, d’une institution de bienfaisance de la ville65. Les fonctionnaires notaient dans des formulaires : le nom de chaque patient, l’âge, l’adresse, le type des symptômes et le diagnostic des complications, le nombre d’injections prescrites et de celles appliquées, et l'information donnée aux parents. Hebdomadairement, l’information était agrégée, avec le nombre total de visites pratiquées, la discrimination des nouveaux patients et des anciens, le nombre de formules médicales délivrées, le nombre d'injections appliquées, de compresses et d’autres traitements, le nombre de complications, précisant les diphtéries et les broncho-pneumonies, et le nombre des décès survenus (Tableau 45). Cela assurait un contrôle des activités, des provisions et des registres statistiques66. Tableau 45. Activités de la campagne contre la rougeole à Bogota du 14 juin au 10 septembre 1933 Activités Patients suivis à Bogota
Nombre TOTAL 25 405
Patients suivis à Nazaret et Soacha
675
Visites pratiquées à domicile
39 565
Consultations dans les bureaux de la campagne
4 979 10 272
Injections administrées Prescriptions médicales Couvertures et manteaux distribués aux plus pauvres Kits d'alimentation infantile
26 080 44 544 10 272
35 786 2 717
35 786 2 717
2 472
2 472
Décès à Bogota enregistrés par la campagne 317 317 SOURCE : Reynaldo Arango, « Extracto del informe del director municipal de higiene sobre la epidemia de sarampión y la campaña para combatirla », Revista de higiene 14, no 8‑9 (1933): 264.
En juin 1933, la population à Bogota atteint 264 607 habitants67. Le nombre de patients suivis dans la campagne dévoila qu’en trois mois la rougeole avait touché environ 10 % de la population de la ville. Selon les propres mots du directeur national d’hygiène « les résultats ont été loin de correspondre aux efforts réalisés, nous arrivons à la conclusion que la population actuelle est aussi impuissante qu’il y a 100 ans quand, pour la première fois, la rougeole est apparue dans les montagnes colombiennes ». Cette épidémie démontrait une fois de plus que la mortalité due à ce genre de maladie était fortement liée au problème de logement et des quartiers insalubres. Les programmes d’hygiène publique prouvaient que la
65
Ibid., 260‑261. Ibid., 263. 67 República de Colombia et Departamento de contraloría, Anuario de estadística general 1933 (Bogotá: Imprenta Nacional, 1935), 71. 66
271
santé des ones urbaines ne pouvait être améliorée que par l’établissement de logements salubres et décents68. Parmi les 25 405 patients touchés par la campagne, on enregistra une mortalité de 1,25 %, la population la plus affectée étant les enfants de moins de trois mois (4,35 %), ceux d’un à deux ans (3,27%) et ceux de neuf à douze mois (1,76 %). râce à l’immunité maternelle héréditaire, les enfants de moins de six mois étaient moins susceptibles d’attraper la maladie, mais si elle les infectait, elle était très mortifère (Tableau 46). Tableau 46. Mortalité et morbidité dans la campagne contre la rougeole à Bogota en 1933 Age
Nombre Malades
Décès
% Décès
1-3 mois
299
13
4,35
3-6 mois
498
8
1,60
6-9 mois
931
15
1,61
9-12 mois
793
14
1,76
1-2 ans
3 514
115
3,27
2-3 ans
3 733
60
1,60
3-4 ans
3 921
37
0,94
4-5 ans
3 329
19
0,57
5-8 ans
5 439
28
0,51
8-15 ans
2 737
7
0,25
15-20 ans
125
0
0,00
Plus 20 ans
86
1
1,16
TOTAL 25 405 317 1,25 SOURCE : Reynaldo Arango, « Extracto del informe del director municipal de higiene sobre la epidemia de sarampión y la campaña para combatirla », Revista de higiene 14, no 8‑9 (1933): 268.
Les données enregistrées par les médecins scolaires, les hôpitaux de bienfaisance et les médecins privés ont aussi été envoyés à la direction de la campagne, qui les présenta de façon séparée, signalant les différences dans leurs taux de mortalité. Les chiffres indiquèrent que, parmi les patients traités en dehors de la campagne, il y a eu 524 décès, dont 91 chez des enfants de moins d’un an et 195 parmi ceux de deux ans, soit 16,75 et 37,22 %. À l'hôpital de la Miséricorde, parmi les 291 cas traités, le taux de mortalité fut 8,24 %. Parmi les 463 cas traités à l'hospice de Bogotá chez des enfants de quatre à huit ans, il y a eu quatre décès, soit 0,88 % de mortalité. Un chiffre proche du 0,53 % enregistré chez les 8 768 enfants du même âge traités à la campagne. Les différences de taux de mortalité des institutions ont été expliquées
68
Enrique Enciso et Alejandro Villa Álvarez, « Editorial [epidemia de sarampión] », Revista de higiene 14, o n 8‑9 (1933): 245‑247.
272
par le fait que les enfants qui arrivaient dans les hôpitaux avaient déjà des conditions de santé délicates et souffraient de diverses complications69. Grâce à l'action de la campagne, l'épidémie a été conjurée en peu de temps70. En fait, aux yeux du directeur de la campagne, les chiffres démontraient la forte mobilisation du service de santé municipal pour lutter contre ce fléau, et en plus , le pourcentage de mortalité de 1,25 fut considéré bas par rapport à celui des épidémies de rougeole survenues ailleurs. Un chiffre qui aurait pu être supérieur si le bureau municipal d’hygiène n’avait pas travaillé de façon aussi active71. L’appel aux statistiques était ainsi un moyen d’évaluer une campagne de santé de courte durée, mais aussi un dispositif efficace pour affronter les rumeurs et pour juger la mise en œuvre des politiques de médecine sociale. Les rumeurs d’une épidémie et la production des indicateurs de santé En mars 1931, face aux rumeurs qui signalaient l’apparition d’une épidémie de fièvre typhoïde à Bogota, le directeur municipal d’hygiène Enrique Enciso présenta quelques chiffres de morbidité et de mortalité par cette maladie dans la ville, y compris un graphique des taux de mortalité pour 100 000 habitants de 1901 à 1930 (Graphique 6). L’article, paru en première page du journal le plus important du pays, avait pour but de rassurer la population. Le titre l’annonçait clairement, Il n’y a actuellement pas d’épidémie de typhoïde dans la capitale. Selon les autorités de santé, la préoccupation des citoyens sur le sujet imposait des explications et en même temps servait à renforcer les mesures de contrôle à l’approche de la saison des pluies, période à laquelle augmentait le nombre de cas72.
69
Les conditions insalubres, la pauvreté et la misère physiologique ont favorisé l’expansion de la maladie et l’apparition des complications. Arango, « Extracto del informe del director municipal de higiene », 266‑272; Un résumé des activités et des chiffres de la campagne a été aussi publié dans : Oficina o Sanitaria Panamericana, « Sarampión », Boletín de la Oficina Sanitaria Panamericana 14, n 4 (1935): 361‑67. 70 Cette affirmation a été énoncée par un étudiant de médecine qui travaillait comme stagiaire du service d’hygiène scolaire de Cundinamarca pendant l’épidémie de rougeole et consacra sa thèse à cette campagne. Cf.: Gerardo Bonilla Iragorri, La última epidemia de sarampión en Bogotá desde el punto de vista de la higiene social. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía (Bogotá: S. inf., 1933), 38. 71 Arango, « Extracto del informe del director municipal de higiene », 274‑275. 72 Enrique Enciso, « No hay actualmente epidemia de tifoidea en la capital », El Tiempo, 25 février 1931, Casa editorial El Tiempo édition; Le même auteur avait écrit presque dix ans auparavant : « Les dernières 21 années, la ville a perdu plus de 3 000 vies par la fièvre typhoïde. Selon la valeur en argent d’une vie, ceci représente la somme de 15 000 000 pesos. Aggrave ce calcul le fait que cette maladie tue à un moment de la vie où l’homme commence à être utile ou dans le moment de l’apogée de leur entreprise. Aussi, il ne faut pas oublier que pour chaque décès il y a dix patients guéris, de sorte que dans ces 21 ans la ville a eu environ 40.000 cas, soit un tiers de sa population » Enrique Enciso, « Cuestiones sanitarias. La mortalidad por tifoidea en Bogotá », El Tiempo, 30 juin 1923, Casa editorial El Tiempo édition.
273
La courbe de mortalité montra que la fièvre typhoïde avait eu un fort caractère épidémique de 1901 à 1903 où la plus grande partie de la population en fut victime. Les ravages étaient élevés et en raison de l’absence de travaux importants de génie civil dans la ville, la maladie persista sous forme endémique. Des années 1910 à 1920, la courbe est restée élevée se terminant par une nouvelle épidémie pendant les deux dernières années73. Les taux de mortalité élevés en 1919 et 1920 précipitèrent la décision de mettre en œuvre une méthode pour désinfecter les eaux de l’aqueduc. L’usage du chlore liquide fut choisi pour son efficacité reconnue et du fait que c’était une méthode économique. Ainsi, la DNH l’ordonna par la Resolución 64 de 1920 et pour sa mise en œuvre, elle fit appel à l’expertise du médecin américain George C. Bunker, qui, à ce moment-là, était chargé de la purification de l’approvisionnement d’eau et des laboratoires municipaux de la one du canal de Panama74. En 1921 débuta la chloration des eaux de l’aqueduc, et la forme épidémique de la maladie disparut. En comparant les taux quadriennaux, la différence était notable : de 1909 à 1920, le taux le plus bas fut 118,67, tandis que de 1921 à 1931 le taux le plus élevé fut 68,6875 (Graphique 6). Au cours du premier trimestre 1931, 128 cas de fièvre typhoïde furent enregistrés tandis que le nombre de cas pendant le dernier trimestre 1930 fut de 108. Cette différence n’a pas été considérée comme significative par les autorités de santé. Ils signalaient que depuis une décennie, quand la chloration des eaux de l’aqueduc a été mise en œuvre, le nombre moyen des décès par mois était de neuf. Les chiffres concernant les décès en janvier, février et mars 1931 furent sept, dix et neuf respectivement, ce qui démontrait l’invariabilité de la moyenne de mortalité mensuelle, une situation improbable en cas d’épidémie. Les causes de la persistance de la maladie dans la ville étaient le manque d’égouts, des installations sanitaires et d'eau dans les quartiers de la classe ouvrière — lieux où l’on enregistrait la plupart des cas — et l’arrivée des personnes malades en provenance des localités circonvoisines. En plus, l’incidence élevée de malades de 10 à 20 ans ayant mangé de la glace auparavant suggérait que cette nouvelle industrie itinérante, difficile à contrôler, était 73
Enrique Enciso, Informe de las labores del Departamento nacional de higiene, presentado al señor ministro de Gobierno por el director técnico y administrador general (Bogotá: Editorial Minerva, 1932), 148. 74 Pablo García Medina, II Informe anual del director nacional de higiene (Agosto de 1919 a julio de 1920) (Bogotá: Casa Editorial de Arboleda y Valencia, 1920), 8‑11. Il est très probable que l’arrivée de George Bunker à la capitale du pays ait été suggérée par les fonctionnaires américains de la FR qui travaillaient à ce moment-là dans le pays dans la lutte contre l'ankylostomiase. 75 Enciso, Informe de las labores del Departamento nacional de higiene, 148; En fait, la réduction du nombre de cas de fièvre typhoïde et de dysenterie à Bogota grâce à la chloration de l’eau fut un des succès signalé par Bunker dans son article de 1929. Cf.: George C. Bunker, « The use of chlorine in o water purification », Journal of the American Medical Association 92, n 1 (1929): 1.
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responsable de certains de ces cas. Selon le directeur municipal d’hygiène, il n’y avait pas de données pour supposer le déclenchement d’une épidémie. En fait, puisque les autorités consacraient plus d’attention à la surveillance des nouveaux cas de fièvre typhoïde, l’augmentation du nombre de cas fut associée à l’intensification de la déclaration de la maladie et à une démonstration de l’importance de cette pratique dans le contrôle des maladies infectieuses-contagieuses76. Graphique 6. Taux de mortalité par fièvre typhoïde pour 100 000 habitants, Bogota 1901 1930
SOURCE : Enrique Enciso, « No hay actualmente epidemia de tifoidea en la capital », El Tiempo, 25 février 1931, Casa editorial El Tiempo, p.3
Les chiffres de morbidité et mortalité ont servi de preuves pour dissiper les craintes d'une épidémie présumée. Sept mois après l’apparition de l’article d’Enciso niant l’épidémie, de nouvelles statistiques sur la fièvre typhoïde à Bogota furent publiées dans le même journal. Les chiffres ne furent pas interprétés. Mais la comparaison du nombre de décès des huit premiers mois de chaque année, entre 1927 et 1931, ne montra aucune variation significative dans la mortalité, confirmant à nouveau que l’épidémie n’avait pas eu lieu et que la maladie était sous le contrôle des autorités de santé77. 76 77
Enciso, « No hay actualmente epidemia de tifoidea en la capital », 1, 3. « Morbilidad y mortalidad por tifoidea en la ciudad », El Tiempo, 22 septembre 1931, Casa editorial El Tiempo édition.
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En 1934, les services d’hygiène et assistance publique de Bogota ont été fusionnés en une seule institution, le Conseil municipal d’hygiène et d’assistance publique (CMHAP), composé de 6 sections et d’un laboratoire. La section d’épidémiologie, statistique et propagande — sous la direction d'un médecin-hygiéniste et composée d’un fonctionnaire de statistique, une infirmière-chef, 14 infirmières visiteuses, un responsable de la section des désinfections et deux opérateurs — était responsable de toutes les questions relatives aux statistiques de naissance, de décès, des études épidémiologiques, et de diriger l'éducation sanitaire et la propagande des programmes de santé78. Le contrôle des maladies infectieusescontagieuses était parmi les priorités des fonctionnaires du CMHAP, qui insistaient pour développer la prévention des maladies par l’hygiène et la salubrité. L'amélioration des services publics, en particulier l'approvisionnement en eau, et l’adoption des mesures d’hygiène personnelle et sociale ont permis de lutter contre des maladies endémiques et épidémiques comme la fièvre typhoïde. Pour le médecin Luis Riveros Vargas, les effets en étaient palpables. L’analyse de la mortalité spécifique (MS) et des taux de mortalité spécifique (TMS) et de mortalité proportionnelle (TMP) par fièvre typhoïde à Bogota de 1918 à 1935 en ont fait le constat (Tableau 47, Graphique 7)79. La chloration de l’eau de l’aqueduc et les travaux de canalisation des rivières qui traversaient la ville ont provoqué le déclin progressif des taux de MS et de MP par fièvre typhoïde, qui jusqu’aux années 1920 étaient très élevés. Malgré une épidémie moyenne est apparue en 1926, les taux ont continué à descendre et montré une tendance à la stabilisation. Selon les propres mots de Riveros Vargas « des taux de mortalité qui descendent de 27 à 3,5 et de 9,8 à 1,9 sont les preuves de la victoire remportée par des médecins éminents qui ont su accomplir des idées divulguées avec ténacité » 80.
78
Les autres sections étaient : le département de la protection et de la prévision sociales ; celui de la police sanitaire ; celui de l'inspection des aliments ; celui de la protection à l'enfance et de la vaccination contre la tuberculose ; et le département de génie sanitaire. Concejo municipal de Bogotá, « Acuerdo 15 de 1934 (Marzo 1) por el cual se reorganizan los servicios de higiene y asistencia pública en el Municipio de Bogotá, se ordenan varios traslados y se dictan otras disposiciones », in Acuerdos expedidos por el Consejo de Bogotá en el año de 1934 (Bogotá: Imprenta municipal, 1934). 79 MS : Nombre de décès par fièvre typhoïde ; TMS : Nombre de décès par fièvre typhoïde divisé par la population totale et multiplié pour 100 000 habitants ; TMP : pourcentage des décès par fièvre typhoïde divisé par le nombre total de décès, toutes les causes comprises. Luis Riveros Vargas, Contribución al estudio de la fiebre tifoidea en Bogotá. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía (Bogotá: Tipografía Latina, 1936), 19‑20. Riveros Vargas analysa aussi le taux de morbidité proportionnel hospitalier et le taux de mortalité proportionnel hospitalier par la fièvre typhoïde chez les trois principaux services de santé de la ville. Ibid., 30-34. 80 Ibid., 20.
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Tableau 47. Mortalité et taux de mortalité par fièvre typhoïde à Bogota de 1918 à 1935 Mortalité spécifique Taux MS Taux MP Année H F Total H F Total H F Total 1918 167 179 346 25 21 23 6,4 6,2 6,3 1919 178 233 411 28 26 27 8,2 9,5 8,9 1920 160 248 408 24 26 25 8,2 11,4 9,8 1921 149 171 320 21 18 19,5 7,3 7,8 7,6 1922 145 156 301 19 14 16,5 7,1 7,0 7,1 1923 132 150 282 17 14 15,5 6,3 7,0 6,7 1924 93 103 196 11 10 10,5 4,4 4,4 4,4 1925 46 48 94 5 4 4,5 2,2 2,0 2,1 1926 75 82 157 8 7 7,5 3,2 3,1 3,2 1927 43 40 83 5 3 4 1,7 1,6 1,7 1928 42 48 90 4 4 4 1,7 2,0 1,9 1929 52 52 104 5 4 4,5 2,2 2,0 2,1 1930 54 43 97 5 3 4 2,2 1,7 2,0 1931 59 36 95 5 2 3,5 2,1 1,2 1,7 1932 37 47 84 3 3 3 1,3 1,6 1,5 1933 55 48 103 4 3 3,5 1,7 1,4 1,6 1934 53 52 105 4 3 3,5 1,7 1,6 1,7 1935 63 62 125 4 3 3,5 1,9 1,9 1,9 TOTAL 1 603 1 798 3 401 9 8 8,5 3,6 3,8 3,7 NOTE : MS : mortalité spécifique, MP : mortalité proportionnelle, H : hommes, F : femmes. Riveros Vargas déclare avoir obtenu les chiffres du Bureau municipal de statistique de Bogota. SOURCE : Luis Riveros Vargas, Contribución al estudio de la fiebre tifoidea en Bogotá. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía (Bogotá: Tipografía Latina, 1936), 19.
En effet, le TMS par fièvre typhoïde à Bogota avait diminué lors de ces dix-huit années (Tableau 47, Graphique 7). L’amélioration graduelle des institutions d’assistance publique et privée, y compris la Croix rouge, la transformation positive des services de l’HSJD, l’existence d’infirmières visiteuses et leur programme de vulgarisation des mesures d’hygiène personnelle et la vaccination partielle de la population en risque de contagion avaient aussi contribué à la diminution de la morbidité et de la mortalité spécifiques par fièvre typhoïde à Bogota81. Comme Riveros Vargas le signalait, les taux n’étaient pas encore aussi bas que ceux de l’Allemagne, de l’Angleterre, des Pays-Bas (0,1), de la France (0,4) ou du Chili et de l’Uruguay (0,6), donc il y avait encore des difficultés à surmonter. Mais d’après lui, il était tout à fait possible pour la capitale de la Colombie d’y arriver, comme l’avait fait la ville portuaire de Barranquilla en affichant, en 1934, le taux de mortalité par fièvre typhoïde le plus bas des villes colombiennes (0,2)82.
81 82
Ibid., 46‑57. De 1930 à 1934, le TMS moyen par fièvre typhoïde à Barranquilla fut de 1,16. L’installation d’un aqueduc moderne et la chloration et les analyses scrupuleuses des eaux de consommation étaient les causes privilégiées pour expliquer sa réduction. Ibid., 22‑23.
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Graphique 7. Taux de mortalité spécifique (TMS) par fièvre typhoïde à Bogota de 1918 à 1935 27 24 21 18 15 TMS
12 9 6 3 1918 1919 1920 1921 1922 1923 1924 1925 1926 1927 1928 1929 1930 1931 1932 1933 1934 1935
0
NOTE : TMS : Nombre de décès par fièvre typhoïde divisé par la population totale et multiplié par 100 000 habitants. SOURCE : Luis Riveros Vargas, Contribución al estudio de la fiebre tifoidea en Bogotá. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía (Bogotá: Tipografía Latina, 1936), 20.
Conclusion Il est notable que les statistiques médicales des premières décennies du XXe siècle concernant les épidémies aient eu pour la plupart un caractère descriptif. La simplicité des quantifications constatée dans les thèses analysées des années 1910 et de 1920 met en évidence d'une part le caractère subsidiaire décerné par les médecins colombiens aux chiffres, qui s’attachaient encore à la médecine clinique. De l'autre, les difficultés qu’ils avaient dans la régularisation de procédures de quantification. Un fait plus ou moins prévisible à cause de la disponibilité limitée ou nulle de sources statistiques officielles et de la faiblesse des organismes de statistique nationale. Néanmoins, pour les médecins hygiénistes ces comptages furent un dispositif important dans la reconnaissance des phénomènes de santé publique locale83 et un instrument pour montrer aux autorités sanitaires la nécessité de mettre en pratique des mesures comme l’assainissement des eaux d’approvisionnement, la vaccination des armées contre la fièvre typhoïde ou la vaccination antivariolique obligatoire de la population.
83
Une des recommandations du deuxième Congrès national de médecine, tenu à Medellín en 1913, suggéra aux médecins l’envoi, à l’Académie nationale de médecine, des rapports statistiques sur les épidémies et les endémies qui auraient lieu dans les régions dans lesquelles ils exerceraient la profession.« Conclusiones del Segundo Congreso médico de Colombia reunido en Medellín », Revista o médica de Bogotá XXXII, n 382 (1914): 168.
278
L’efficacité de ces mesures avait été préalablement établie dans des recherches étrangères et, de ces exemples, les médecins locaux reprirent comme arguments privilégiés la réduction de la morbidité et de la mortalité. Les problèmes budgétaires et matériels des services de santé nationale ont empêché ou retardé, selon le propre avis des médecins hygiénistes, leur application.
On a montré dans ce chapitre comment certains éléments marquent un changement dans l'usage des chiffres par les médecins hygiénistes. Les recherches médicales étrangères et la signature des accords internationaux vont pointer en direction de la lutte contre les maladies infectieuses et concentrer l’attention des médecins locaux sur la production des registres quantitatifs. La consolidation lente, mais plus ou moins progressive de bureaux officiels de statistique et de services locaux d’hygiène donnent aux médecins accès à des chiffres démographiques et sanitaires officiels. Si à la manière du XIXe siècle les statistiques sont prises comme un recours pour réaffirmer le statut social des médecins, par le biais des programmes de contrôle de maladies transmissibles et de l’organisation de services préventifs, elles deviennent aussi un dispositif de propagande des politiques de santé publique. Elles donnent les moyens de démentir le déclenchement d’une épidémie et elles deviennent même des bases d’argumentation dans les journaux. Elles servent à la légitimation institutionnelle des programmes sanitaires et à démontrer une certaine amélioration des conditions sanitaires de la population.
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TROISIÈME PARTIE
Chapitre 6 La Fondation Rockefeller et la mesure des phénomènes sanitaires en Colombie Quel rôle a joué la Fondation Rockefeller (FR) dans le processus de développement de la statistique médicale en Colombie ? Nous avons cherché à comprendre comment la campagne de contrôle de l'ankylostomiase promue par la FR a contribué à l’émergence des statistiques médicales et à la formation des professionnels de santé en Colombie. L’action de la FR en Colombie s'inscrit dans le cadre d'un projet d'ampleur mondiale. Dès le départ, le contrôle de l’ankylostomiase a joué un rôle de premier plan dans les campagnes de santé publique de la fondation. La sélection de cette maladie n’a pas été arbitraire. La nature de l'infection est relativement simple ; elle peut être clairement expliquée à un large public, la guérison est assez facile et sûre, et les moyens de prévention sont bien connus. En 1913 fut mis en place l’International Health Commission (IHC) de la FR dont le but était « la promotion de l'hygiène publique et la propagation de la connaissance de la médecine scientifique ». Elle devait soutenir dans d'autres pays l’éradication de maladies comme l’ankylostomiase et, si possible, assurer le suivi du traitement. Tout cela se concrétisait par la création d’agences pour la promotion de l’hygiène publique1. C’est à cause de la Première uerre mondiale et des déséquilibres sanitaires qu’elle a provoqués que la FR a identifié des domaines d´’intervention possible et qu’elle a défini les axes généraux de la politique qu’elle allait poursuivre en Europe après-guerre : « contribution à la constitution de politiques de la santé publique, développement de la recherche dans le domaine médical, utilisation des sciences sociales pour résoudre les problèmes du monde d’après-guerre2 ». Les activités de la campagne contre l’ankylostomiase de la FR se sont 1
2
The Rockefeller foundation, « International health commission. First annual report June 27, 1913December 31, 1914 » (New York, 1915). Tous les rapports de la Rockefeller Foundation cités dans cette thèse ont été obtenus sur son site web à l’adresse suivante : www.rockefellerfoundation.org/aboutus/annual-reports Ludovic Tournès, « Penser global, agir local: La Fondation Rockefeller en France, 1914-1960 », in Les relations culturelles internationales au XXe Siècle: De la diplomatie culturelle à l’acculturation (Peter Lang, 2010), 376‑377.
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déroulées initialement dans certains États des États-Unis, en Australie, dans quelques colonies britanniques, en Égypte, et dans plusieurs pays d’Amérique centrale (Panama, Nicaragua, Costa Rica, Salvador et Guatemala)3. En Amérique du Sud, la campagne fut lancée au Brésil en 1918, en Colombie en 1920 et ensuite au Paraguay en 19244. En France, un des plus grands efforts de la FR dans ses premières années a été la campagne antituberculeuse (1917-1925), qui bénéficia de plus de deux millions de dollars de financement. Pendant les années 1920, la FR a également apporté des subventions aux grandes institutions médicales et scientifiques françaises qui ont permis la mise en œuvre de programmes de recherche, le soutien de jeunes chercheurs et la publication de leurs résultats. Les campagnes étaient précédées par des enquêtes de terrain qui permettaient l’identification des mesures et des actions déjà entreprises par le gouvernement local pour se focaliser sur les domaines négligés, comme celui de la coordination technique pour l'ensemble du pays. Domaine dans lequel la FR avait accumulé de l’expérience avec l’organisation des administrations sanitaires dans les grands centres industriels des États-Unis5. En Colombie, la campagne contre l’ankylostomiase menée en collaboration avec la FR a déjà été étudiée6. Ces analyses se sont souvent centrées soit sur la description des aspects institutionnels et opérationnels de la campagne (y compris la résistance de la population à la construction de latrines), soit sur la participation active de la FR à l’organisation sanitaire de l’État colombien dans les décennies suivantes. Pour notre part, nous étudierons le rôle de la FR dans la formation de la statistique médicale en Colombie. D’abord, il faut rappeler que l’ankylostomiase ou anémie tropicale est une infection parasitaire due à des vers de la classe des nématodes. La biologie du parasite et la nature de l’infection étaient connues à la fin du XIXe siècle. La contamination se fait par l’intermédiaire des larves qui éclosent sur le sol chaud et humide à partir d’œufs se trouvant dans les matières
3
The Rockefeller foundation, « The Rockefeller foundation annual report 1924 » (New York, 1924), 212‑ 224. 4 The Rockefeller foundation, « The Rockefeller foundation annual report 1918 » (New York, 1918), 39‑ 40; « The Rockefeller foundation annual report 1920 » (New York, 1920), 123; « The Rockefeller foundation annual report 1924 », 135‑136. 5 Tournès, « Penser global, agir local: La Fondation Rockefeller en France, 1914-1960 », 378. 6 Néstor Miranda Canal, Emilio Quevedo Vélez, et Mario Hernández Álvarez, Historia social de la ciencia en Colombia. Medicina (2), vol. VIII (Bogotá: Instituto colombiano para el desarrollo de la ciencia y la tecnología Francisco José de Caldas, 1993); Christopher Abel, « External philanthropy and domestic change in colombian health care: the role of the Rockefeller Foundation, ca. 1920-1950 », The hispanic o american historical review 75, n 3 (1995): 339‑76; Claudia Mónica García et Emilio Quevedo V., « Uncinariasis y café: los antecedentes de la intervención de la Fundación Rockefeller en Colombia: o 1900-1920 », Biomédica 18, n 1 (1998): 5‑21; Emilio Quevedo V. et al., Café y gusanos, mosquitos y petróleo: el tránsito de la higiene hacia la medicina tropical y la salud pública en Colombia 1873-1953. (Bogotá: Universidad Nacional de Colombia. Facultad de Medicina. Instituto de Salud Pública, 2004).
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fécales des hommes. Dans le sol, les larves deviennent infectieuses, susceptibles de contaminer l’homme en pénétrant à travers la peau et en passant dans la circulation sanguine. Elles sont alors transportées dans les poumons où elles quittent la circulation sanguine pour se retrouver dans les voies respiratoires, puis dans le pharynx (gorge), pour être ensuite dégluties. Lorsqu’elles atteignent l’intestin grêle, elles deviennent des parasites adultes et se nourrissent de sang. Certains sujets présentent les signes cliniques de la maladie, mais d'autres sont porteurs sains. En nombre suffisant, ces parasites provoquent de l’anémie et d’autres symptômes qui réduisent la capacité de travail des malades. Cette affection est le plus souvent d’origine professionnelle et concerne particulièrement le personnel travaillant dans les mines et les grandes plantations. Sa reconnaissance comme maladie sociale est déjà courante au début du XXe siècle7. Dans une perspective de longue durée, l’historien Christopher Abel a étudié les actions de la FR en Colombie8. Il a montré que dans les années 1920, les activités de l’IHD de la FR ont eu comme objet central les campagnes contre l’ankylostomiase et pendant la décennie suivante la FR s’est focalisée sur l’établissement d’unités sanitaires. Pendant ces années, l’IHD a aussi encouragé le développement de laboratoires de santé publique dans les villes de Bogota et Barranquilla. Pendant les décennies 1930 et 1940, elle a promu des enquêtes sur la fièvre jaune selvatique9. Par ailleurs, la Fondation a également contribué à l'éducation dans le domaine des sciences de la santé en Colombie. Dans les années 1940, elle a joué un rôle important dans la formation de soins infirmiers modernes à Bogota. Au milieu du XXe siècle, elle fut très impliquée dans la constitution d’une nouvelle école de santé publique à Medellín comme d’une école expérimentale à Cali. Après cet aperçu sur le rôle de la FR en Colombie et son contexte historique, il faut décrire brièvement le panorama des conditions sanitaires du pays avant la campagne contre l’ankylostomiase. Rappelons qu’en 1919, l’organisation colombienne de la santé publique consistait en une Dirección nacional de higiene (Direction nationale de l’hygiène DNH), un directeur d’hygiène dans chaque département et des commissions sanitaires dans les
7
A. Calmette et M. Breton, L’ankylostomiase; maladie sociale (anémie des mineurs), iologie, clinique, traitement, prophylaxie (Paris: Masson, 1905). 8 Abel, « External philanthropy and domestic change in colombian health care », 340. 9 Pour en savoir plus sur les activités de la FR liées à la lutte contre la malaria et la fièvre jaune en Colombie voir : Paola Mejía, « De ratones, vacunas y hombres: el programa de fiebre amarilla de la Fundación. Rockefeller en Colombia, 1932-1948 », Dynamis 24 (2004): 119‑55; Emilio Quevedo V. et al., « Knowledge and power: the asymmetry of interests of colombian and Rockefeller doctors in the construction of the concept of “jungle yellow fever,” 1907-1938 », Canadian bulletin of medical history o 25, n 1 (2008): 71‑109; Paola Mejía, Intolerable burdens: malaria and yellow fever control in Colombia in the twentieth century (New York: ProQuest, UMI Dissertation Publishing, 2011).
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municipalités de plus de 3 000 habitants. Mis à part le contrôle des ports et des maladies infectieuses graves de caractère épidémique, qui devait être assuré par le gouvernement national, le financement des directions départementales et des commissions municipales n’appartenait pas à la nation, mais aux gouvernements départementaux et municipaux10. Cela créait une situation très hétérogène et inégale pour l’ensemble des localités de Colombie : quelques villes surveillées et munies de médecins diplômés et de commissions municipales d’hygiène et une grande majorité de districts complètement démunis du point de vue sanitaire. La loi autorisait le Directeur national de l’hygiène à édicter les mesures nécessaires pour lutter contre les causes d’insalubrité, mais ce fonctionnaire manquait du pouvoir nécessaire à leur application. Les directeurs départementaux de l’hygiène devaient superviser les services locaux de santé et les commissions municipales étaient chargées de diffuser les connaissances sur l’hygiène et d’appliquer les dispositions sanitaires. À l’exception de la lèpre, la notification des maladies contagieuses n’était pas obligatoire. L’absence d’une telle condition légale avait des incidences négatives sur le contrôle de ces maladies. Quoique les lois établissent que la DNH devait constituer des statistiques de mortalité, l’absence de notaires ruraux et urbains faisait prévaloir les registres des paroisses11. Les municipalités n’avaient pas de registres civils de la population, qui avaient été délégué aux paroisses de l’Église catholique depuis 1887. À l’époque, seules les grandes villes colombiennes avaient un approvisionnement en eau courante, mais nulle part les sources d’eau n’étaient correctement protégées. L’eau de consommation domestique n’était pas traitée contre les contaminations microbiennes. Résultat, l’eau contaminée des rivières était le lot commun de la majorité des foyers. Par ailleurs, l’élimination des eaux usées était très rudimentaire. Certaines des plus grandes villes avaient un système d’évacuation, toutefois les ménages devaient nécessairement installer leur connexion à l’égout et s’y brancher. Les fosses d’aisances dans les districts ruraux étaient rares et leur utilisation presque inconnue. Les fosses septiques étaient elles aussi inconnues dans l’ensemble du pays. De sorte qu’une des actions les plus importantes de la DNH fut la sensibilisation des communautés rurales à la construction de latrines dans chaque logement et à leur utilisation12. 10
Pablo García Medina, Compilación de las leyes, decretos, acuerdos y resoluciones vigentes sobre higiene y sanidad en Colombia, vol. I (Bogotá: Imprenta nacional, 1932), 68. 11 Louis Schapiro, « Uncinaria infection survey of the state of Cundinamarca, Colombia, from dec. 22, 1919 - jan. 31, 1920; Report submitted to the honorable Minister of Agriculture and Commerce of Colombia » 1920, 13‑26, RAC, RFA, RG 5 IHB, ser. 311 Colombia, subser. Q. Reports, box 27, fol.160. 12
Ibid., 26‑27.
283
La mortalité infantile était très élevée et les principales causes en étaient les maladies respiratoires et intestinales. L’accès aux services de santé était restreint. Le manque de médecin dans les districts ruraux et dans les endroits les plus éloignés des grandes villes était monnaie courante. Selon un rapport du docteur Louis Schapiro de la FR, il y avait en 1919 environ 1 200 médecins en exercice sur tout le territoire de la république, soit un médecin pour cinq mille habitants, et la moitié d’entre eux étaient installés dans quelques-unes des villes principales, ce qui laissait la majorité des habitants du pays sans service médical. Les médecins diplômés des universités publiques étaient autorisés à exercer dans le pays sans avoir soutenu leur thèse. La loi autorisait les praticiens non diplômés à exercer la médecine dans les municipalités où il n'y avait pas encore de médecins diplômés13.
6.1 La campagne contre l’ankylostomiase en Colombie En juin 1919 sous la présidence de Marco Fidel Suárez, le ministre de l'Agriculture et du Commerce, Jesús del Corral, avait demandé à l’International Health Division (IHD) de la FR de réaliser la campagne contre l’ankylostomiase. Puisque la connaissance empirique était un des axiomes de la Fondation, elle a programmé une exploration préliminaire du terrain colombien. En décembre la FR envoya dans le Département de Cundinamarca le docteur Louis Schapiro, qui dirigeait les travaux sanitaires de Costa Rica, pour réaliser une enquête et établir l’indice d’infection par ankylostome. Ce département avait été choisi parce qu’il était d’accès facile et comportait les différentes zones climatiques existant dans le pays. Les travaux furent réalisés par l’agent de la FR, un médecin local et sept étudiants en médecine14. Le village de La Mesa fut sélectionné pour y établir un laboratoire où, après une semaine de formation, cinq unités de recherche furent constituées et envoyées dans les différents districts pour commencer l’enquête qui devait finir six semaines après15 (Illustration 8). Pour éviter des erreurs possibles, l’enquête porta sur des individus pris de façon aléatoire dans toutes les occupations, sans distinction de statut social, d’âge, de genre ni d’état de santé. Trois échantillons d’excréments devaient être minutieusement examinés avant de déclarer le résultat négatif. Au total, 8 465 personnes — appartenant à 45 localités différentes — furent examinées, et 7 030 personnes assistèrent aux 44 conférences publiques16.
13
Ibid., 27‑28. o José M. Montoya et Julio Manrique, « Notas », Repertorio de medicina y cirugía 2, n 122 (1920): 224. 15 Schapiro, « Uncinaria infection survey of the state of Cundinamarca », 42. 16 Ibid., 42‑46. 14
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Illustration 8. Laboratoire d’enseignement La Mesa (Cundinamarca) campagne contre l’ankylostomiase, 1920
SOURCE: Frederick A. Miller, « Relief and control of Hookworm disease in Colombia from June 14 to Decembre 31, 1920 », 1921, 1‑3, RAC, RFA, RG 5 IHB, ser. 255-311 Colombia, subser. Q. Reports, box 27, fol.163, p. 28
Pendant cette enquête, des données qualitatives et quantitatives furent rassemblées. Les enquêteurs enregistrèrent le niveau d’infection de chaque personne observée et les données d’état civil les concernant ; ils recueillirent des données topographiques auprès de la population locale. Ils établirent un profil des maladies régnantes17 et dressèrent des cartes18. Si la cartographie médicale en Europe a pris son essor durant la deuxième partie du XIXe siècle19, en Colombie la construction de cartes concernant la distribution et l’incidence des maladies était encore rare dans les premières décennies du XXe siècle. On peut évoquer celles réalisées par les médecins Juan B. Montoya y Flórez (1906) et Pablo García Médina (1910) pour la lèpre20, et celles dressées lors de l’enquête de la FR à Cundinamarca (Illustration 9). Si ces cartes sanitaires de la FR n’étaient pas les premières en Colombie, elles représentaient de toute façon une nouveauté, puisqu’elles pouvaient être considérées comme la première cartographie locale d’une maladie infectieuse et épidémique liée étiologiquement aux conditions de vie et de travail de la population. 17
Celui-ci considérait : l’ankylostomiase, la malaria, la fièvre typhoïde, les dysenteries, la tuberculose, la variole, les fièvres éruptives, la lèpre, le carate, la fièvre récurrente, la filariose, le goitre et le chichismo (syndrome produit par la consumation excessive d’une boisson à base de maïs fermenté, appelait « chicha ». Voir : Schapiro, “Uncinaria infection survey of the state of Cundinamarca,” 17-25. 18 Abel, “External philanthropy and domestic change in Colombian health care,” 351. 19 Mirko D. Grmek, « Géographie médicale et histoire des civilisations », Annales. Économies, Sociétés, o Civilisations 18, n 6 (1963): 1071‑97. 20 Il ne faut pas oublier qu’en Colombie cette maladie était de déclaration obligatoire depuis 1905, ce qui probablement a facilité la tâche de la récollection de données. Cf.: Diana Obregón, Batallas contra la lepra: estado, medicina y ciencia en Colombia (Medellín: Universidad Eafit, 2002).
285
Le docteur Schapiro soulignait que le gouvernement colombien devait impérativement faire voter des lois pour établir des registres de statistique vitale dans chaque municipalité — avec un bureau central rattaché à la DNH — et il conseillait de réglementer la déclaration obligatoire des maladies contagieuses. Selon lui, tant que ces lois n’étaient pas appliquées, peu de choses pouvaient être accomplies en matière de santé publique21. Illustration 9. Distribution de l’ankylostomiase dans le département de Cundinamarca selon l’enquête de la Rockefeller Foundation (1920)
SOURCE: The Rockefeller foundation, « The Rockefeller foundation annual report 1920 », New
York, 1920, p. 141 Les résultats de l’enquête sur l’ankylostomiase à Cundinamarca montrèrent que le parasite était présent chez 78,1 % des personnes (soit 6 613 individus) et que l’incidence variait inversement avec l’altitude. De sorte que dans les populations situées à moins de 2 011 m, la maladie avait une incidence moyenne de 84.4 %. Par contre, les populations situées dans les plus hautes altitudes (Bogota et Guatavita) présentaient un pourcentage d’infection de 9,6. Dans certaines provinces du département, les enquêteurs trouvèrent autant de zones à faible infection que de zones à forte infection. À partir de ces pourcentages d’infection et des données du recensement de la population de 1912, ils firent des estimations du nombre de cas dans le département22 (Tableau 48). Sur une population de 5 072 613 individus, les agents de l’enquête calculèrent que 3 320 602 habitants étaient infectés, dont 10 % étaient incapables de travailler. D’après ces
21
Schapiro, « Uncinaria infection survey of the state of Cundinamarca », 29‑30.
22
Ibid., 47‑50.
286
estimations, « la nation supportait plus de 300 000 personnes devenues improductives, à cause de cette maladie évitable »23. En conséquence, la campagne était entièrement justifiée. Tableau 48. Indice d’ankylostomiase dans les provinces de Cundinamarca
Province
*
Indice du Recensement pourcentage Nombre de case (1912) d'infection d'ankylostomiase
TOTAL
713 968
48,9
349 172
Bogota
165 366
9,6
15 875
ZIF
21 696
9,6
2 082
ZIÉ
23 983
64,5
15 469
ZIF
27 684
9,6
2 657
ZIÉ
49 797
84,4
41 028
Girardot
22 158
83,7
18 546
Guaduas
77 693
88,1
68 447
Guatavita
23 .774
9,6
2 282
Guavio
44 202
63,7
28 156
Oriente
54 .844
77,4
42 449
Sumapaz
31 168
84,3
26 274
Tequendama
58 177
88,1
51 253
ZIF
50 038
9,6
4 803
ZIÉ
2 553
98,7
2 518
Chocontá Facatativá
Ubaté Zipaquirá
33 303 9,6 2 664 ZIF 27 532 89,6 24 669 ZIÉ NOTE : ZIF : zone d'infection faible ; ZIE : zone d'infection élevée SOURCE: Louis Schapiro, “Uncinaria infection survey of the state of Cundinamarca, Colombia, from dec. 22, 1919 - jan. 31, 1920; Report submitted to the honorable Minister of Agriculture and Commerce of Colombia”, 1920, 13–26, RAC, RFA, RG 5 IHB, ser. 311 Colombia, subser. Q. Reports , box 27, fol.160, p.48.
Avant l’arrivée de la FR en Colombie, certains médecins locaux s’étaient déjà intéressés à l’ankylostomiase et, de façon générale, ils soulignaient la gravité du problème dans le pays24. Néanmoins, la singularité de l’enquête épidémiologique effectuée au Cundinamarca par la FR était la production de chiffres et leur emploi pour l’évaluation du degré d’infection par rapport à des variables telles que le sexe, la race, l’âge, le type d’occupation et les conditions d’habitation (urbaine ou rurale) ; aussi bien que l’administration préalable de traitements, ou 23
The Rockefeller foundation, « The Rockefeller foundation annual report 1918 », 141‑142. On y trouve dans ce rapport des cartes et des graphiques sur la distribution et le pourcentage d’infection dans le département de Cundinamarca. 24 Andrés Posada Arango, «Tun-Tun», Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales. sous la dir. de M.A. Dechambre, 3 (Paris: . Masson : P. Asselin, 1885); Luis Zea Uribe, «Anquilostomiasis», Boletín de o medicina de la Sociedad médica de Manizales 1, n. 8 (1907): 149-159; Roberto Franco Franco, o «Anemia tropical, uncinariasis ó anquilostomasia», Revista médica de Bogota 1, n. 1 (1909): 92-112; Jorge Martínez Santamaría, Anemia tropical en colombia. Tesis facultad de ciencias naturales y medicina (Bogotá: Imprenta de la Lu , 1909); Miguel M. Calle, «Apuntes para el estudio de la o anquilostomiasis», Anales de la academia de medicina de Medellín 15, n. 3 (1910): 67-89.
287
l’utilisation de chaussures. À travers ces quantifications, les agents de la FR cherchaient à saisir par des moyens empiriques et statistiques la réalité de la maladie dans le pays. L’enquête de la FR a démontré qu’il n’y avait pas de différences marquées selon le sexe dans le pourcentage d’infection à l’ankylostome. La situation s’expliquait par le fait que dans les districts ruraux les femmes effectuaient sans distinction tous les travaux. Quant au degré d’infection selon la race, l’étude montra que chez les personnes de race noire l’incidence était supérieure (88,4 %) à celle observée chez les métis (84 %) et chez les personnes de race blanche (65,6 %). Selon Schapiro, cette observation s’expliquait par les conditions d’hygiène dans lesquelles les différents groupes raciaux vivaient. En plus, une donnée importante, qui correspondait à des résultats obtenus dans d’autres pays, indiquait que les travailleurs les plus touchés étaient les agriculteurs. Ainsi, des 7 309 personnes classées par occupation, 78,6 % étaient infectées par l’ankylostome (5 795) et parmi eux, les cultivateurs de café et de canne à sucre connaissaient les pourcentages les plus élevés, avec 93,9 % et 90 % respectivement. Pour le département de Cundinamarca, les mineurs apparurent plutôt épargnés par l’anémie tropicale car les mines examinées étaient situées dans des zones très tempérées25 (Tableau 49). Le degré d’incidence de l’infection dans les populations urbaines et rurales fut un des résultats remarquables de cette enquête. Le pourcentage d’infection des ones urbaines fut de 70 %, quand celui des zones rurales était de 88,2 %. Si l’incidence de l’infection dans les campagnes était prévisible, pour Schapiro, le pourcentage d’infection dans les villes était « exceptionnel » 26. Il l’expliquait par la rareté des latrines privées. En effet, sur les 8 465 individus examinés durant l’enquête, seulement 646 avaient accès aux latrines. Le degré d’infection de ces derniers était de 40,5 %, contre plus du double, 81,2 %, pour ceux qui n’en disposaient pas27. Les chiffres montraient de manière irréfutable que la construction de latrines devait être une des actions prioritaires de la campagne.
25
Schapiro, « Uncinaria infection survey of the state of Cundinamarca », 52‑57. Ibid., 59. 27 Ibid., 64. Pendant la première moitié du XXe siècle l’usage de chaussures commence à peine à se généraliser en Colombie. Les chaussures font partie de la tenue citadine. Marcher pieds nus est une habitude ancienne présente dans toutes les couches sociales, mais elle est surtout une trace des sociétés rurales. 26
288
Tableau 49. Indice d’ankylostomiase par professions dans les provinces de Cundinamarca en 1919 Métiers Agriculture-bétail Agriculture-café Agriculture-canne à sucre Agriculture - des légumes Les greffiers et personnel de bureau Le service domestique Travail, qualifiée, le commerce Travail, non qualifiés Mineur Police Prisonnier Marin Étudiants TOTAL
Personnes Personnes Pourcentage examinés Infectés d'infection 46 40 86,9 1 181 1 107 93,9 220 198 90,0 1 310 1 127 86,8 199 2 075
77 1 606
44,2 77,4
732 231 76 63 21 4 1 151 7 309
539 176 13 42 10 2 858 5.795
72,4 76,2 17,1 66,7 47,7 50,0 74,5 78,6
SOURCE: Louis Schapiro, “Uncinaria infection survey of the state of Cundinamarca, Colombia, from dec. 22, 1919 - jan. 31, 1920; Report submitted to the honorable Minister of Agriculture and Commerce of Colombia”, 1920, 13–26, RAC, RFA, RG 5 IHB, ser. 311 Colombia, subser. Q. Reports, box 27, fol.160, p.57.
Selon les conclusions de Schapiro, l’enquête montrait clairement que la maladie était extrêmement répandue dans le département de Cundinamarca et dans l’ensemble de la République. D’ailleurs, elle dévoilait aussi que la présence prégnante de l’anémie tropicale avait une « influence retardatrice » sur le développement économique, intellectuel, moral et social du pays.28 En juin 1920, la FR et le gouvernement colombien signaient un accord officiel pour commencer la campagne dans le pays. Celui-ci imposait un cahier des charges à l'État colombien, dont les principaux volets étaient : la création du Departamento de Uncinariasis (Département d’ankylostomiase, DA) dirigé par un agent de la FR ; l’organisation d’une commission sanitaire chargée de la construction des latrines ; l’exemption de droits de douane sur les produits nécessaire pour le développement de la campagne non disponibles ou non fabriqués en Colombie ; l’instauration de subventions pour le transport du matériel et du personnel de la campagne ; et, finalement, le financement de deux bourses pour former deux médecins en santé publique aux États-Unis29. Ce premier accord, valable pour cinq ans,
28 29
Ibid., 72. Miranda Canal, Quevedo Vélez, et Hernández Álvarez, Historia social de la ciencia en Colombia. Medicina (2), VIII:217.
289
établissait aussi les différents pourcentages des apports financiers annuels du gouvernement colombien et de la FR30. La campagne a débuté dans le département de Cundinamarca et continué dans celui d’Antioquia. Ses tâches principales furent le diagnostic et le traitement en masse des populations, en privilégiant les travailleurs des Haciendas (grandes fermes) et des mines et l’assainissement du sol par la construction de latrines avec des fosses d’aisance et des fosses septiques31. Tout cela a été accompagné de campagnes d’éducation et de sensibilisation de la population. L’appareil administratif de la campagne comprenait un directeur, qui était un étranger attaché directement à la FR ; un directeur adjoint ; un secrétaire ; les « médecins de sections » ou départementaux ; des médecins adjoints ; des assistants techniques (ces derniers pouvant être médecins ou étudiants en médecine) ; des microscopistes et des inspecteurs de santé. Il faut préciser que ces deux dernières positions n’étaient pas occupées par des médecins diplômés. Le nombre d’employés et la durée des contrats variaient selon les ressources financières disponibles. À part les médecins des sections ou départementaux, les postes étaient intermittents32. (ANNEXE 9)
30
Ces apports variaient entre 0 et 80 %. J. A. Kerr, « Memorándum sobre las actividades de la Fundación o Rockefeller en Colombia », Revista de higiene 18, n 7 (1937): 17. 31 o Dirección nacional de higiene, « Resolución N 181 sobre construcción de letrinas urbanas y rurales », o Revista de higiene 13, n 134‑40 (1923): 228‑32. 32 Cf. : Rafael Martínez Briceño, « Lo que ha sido la campaña contra la anemia tropical en Colombia », o Repertorio de medicina y cirugía 15, n 169 (1923): 41‑42; Alfonso Castro, « Anquilostomiasis en Antioquia. Estudio presentado a la Academia de medicina de Antioquia y Caldas reunida en Medellín en octubre de 1922 », Revista clínica 20‑23 (1923): 390; George Bevier, « Informe del Doctor George Bevier, director del departamento de uncinarsis, sobre los trabajos realizados en el año de 1928 », Boletín del Departamento de Uncinariasis. 4 (1929): 23‑27.
290
Illustration 10. Un rassemblement des personnes dans le laboratoire de la campagne, municipalité de La mesa (Cundinamarca), 1920
SOURCE: Frederick A. Miller, « Relief and control of Hookworm disease in Colombia from June 14 to Decembre 31, 1920 », 1921, 1‑3, RAC, RFA, RG 5 IHB, ser. 255-311 Colombia, subser. Q. Reports, box 27, fol.163, p. 15
Quelques étudiants en médecine ayant participé à la campagne rédigèrent leur thèse sur l’ankylostomiase. Plus tard, dans une autre section de ce travail, nous discuterons ces thèses, pour l’instant, il nous suffit de citer trois médecins adjoints du DA. D’abord, José D. Rincón, qui a travaillé depuis le début de la campagne (1920). Il a reçu son diplôme en 1924 moyennant une étude dédiée à cette maladie comme problème social33. José Antonio Concha y Venegas, qui a travaillé de 1924 à 1925 dans la campagne et a défendu sa thèse en 1926 sur la campagne dans le département du Tolima34 ; et Alfredo Duarte A., qui a travaillé aussi depuis le début de la campagne et a rédigé sa thèse sur l’importance de l’indice quantitatif de l’infection par ankylostome35. Pendant les premières années de campagne, la méthode mise en place a été intensive. Elle consistait dans la sélection d’une municipalité où les personnes infectées suivaient une série de traitements successifs, afin d’obtenir une guérison vérifiable au microscope. Cette méthode considérait plusieurs facteurs : la description topographique du territoire ; le recensement de la population (nombre de maisons et nombre d’habitants, ainsi que leur classement par âge, sexe et race) ; et la réalisation d’examens microscopiques préliminaires 33
José D. Rincón, Anotaciones sobre la Anemia tropical en Colombia, considerada como problema social y como entidad patológica. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía (Bogotá: Editorial Minerva, 1924). 34 José Antonio Concha y Venegas, La campaña contra la uncinariasis en el Tolima. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía (Bogotá: Editorial de cromos, 1926). 35 Cité par Concha p.46. Alfredo Duarte A. Estudio e importancia del índice cuantitativo de la infección por la uncinaria, según el procedimiento de Stoll. Tesis de grado. 1925
291
pour détecter les patients et les traitements successifs, suivis d’évaluations périodiques au microscope. La méthode comprenait aussi des activités comme les conférences publiques le jour du marché, où les gens se rassemblaient le plus, les conférences dans les écoles ou les théâtres, les visites domiciliaires et la distribution de brochures imprimées pour aider les habitants à comprendre les risques de contamination par le parasite, mais aussi pour les inviter à participer au contrôle de la maladie36. Puisque l’exécution de cette méthode demandait la présence prolongée dans chaque localité d’inspecteurs de santé pour l’assainissement du sol et de médecins pour l’évaluation des échantillons et pour l’administration du traitement, le nombre de localités où intervenir durant la campagne était étroitement lié au nombre d’agents disponibles37. Les activités devaient être répertoriées et plusieurs rapports par an envoyés à l’IHD de la FR. Ces rapports nous ont permis de faire le suivi des chiffres de la campagne, mais ils donnent aussi nombre d’informations sur les conditions d’hygiène et de santé d’une partie importante de la population colombienne. De plus, puisque les données statistiques permettaient de faire un bilan, elles sont devenues, pour les responsables, un des arguments en faveur de la légitimité et de l’efficacité de la campagne. Illustration 11. Un employé de la campagne contre l’ankylostomiase lors d’une conférence à des patients (Colombie)
SOURCE: Rafael Martíne Brice o, “Lo que ha sido la campa a contra la anemia tropical en Colombia,” Repertorio de medicina y cirugía 15, no. 169 (1923): 43
Dans un rapport de l’IHD, on constate que de 1920 à 1921, en Colombie, 45 239 personnes furent examinées. Parmi elles, 42 806 étaient infectées à l’ankylostome (soit
36
C. Abel indique qu’il y a eu de la distribution des brochures pour enseigner à construire les fosses septiques. Abel, « External philanthropy and domestic change in colombian health care », 354. 37 Rafael Martínez Briceño, « Métodos adaptados por los directores de la campaña contra la o uncinariasis », Repertorio de medicina y cirugía 15, n 170 (1923): 101‑102.
292
94,6 %) dont 40 745 malades ont reçu au moins un dosage du traitement38 (soit 95,2 %), et 36 319 ont reçu deux ou trois dosages (soit 84,8 %)39. Ces paramètres permettaient un suivi des résultats généraux de la campagne. En plus, étant donné que cette campagne se déroulait dans plusieurs pays en même temps, le recoupement de certaines données statistiques était forcément une exigence de la FR. D’ailleurs, dans les rapports de Rafael Martínez Briceño40 — Directeur adjoint de la campagne — nous trouvons aussi des évaluations des coûts moyens par personne traitée et guérie41 (Tableau 50). Ces évaluations étayaient des considérations importantes pour la lutte contre l’ankylostomiase. Tout d’abord parce que les chiffres montraient une tendance à la réduction des coûts moyens par patient traité et soigné. Ensuite, parce qu’ils prouvaient une augmentation du nombre des personnes touchées par la campagne. Les différences entre le nombre de patients guéris et celui des patients traités s’expliquent par le fait que la guérison se déclarait seulement à la suite d’un examen microscopique exempt d’œufs du parasite. Pour arriver à un tel résultat, il fallait plus d’une dose du traitement pour chaque individu et certains des patients ne revenaient pas prendre les doses supplémentaires42. Tableau 50. Statistiques de la campagne contre l’ankylostomiase de 1920 à 1922 Années
Patients Traités
Patients guéris
Frais totaux* (1)
1920 7 963 5 503 80 864,03 1921 47 882 37 488 105 095,04 1922 66 408 28 077 70 482,00 TOTAL 122 253 71 068 262 441,07 NOTES : *Toutes les valeurs sont présentées
Frais de soins*(2) 6 122,26 16 457,34 27 877,56 50 457,16
Coût moyen* Par rapport à 1 Par rapport à 2 T G T G 10,15 14,64 0,77 1,11 2,18 2,80 0,34 0,43 1,06 2,51 0,41 0,99 2,14 3,69 0,41 0,70
en pesos colombiens. T : coût par personne traité. G : coût par personne guéri. SOURCE: Rafael Martínez Briceño, « Lo que ha sido la campaña contra la anemia tropical en Colombia » Repertorio de medicina y cirugía, 15, no 169 (1923): 39 Pour parvenir à ces statistiques, les agents locaux ont dû mettre en œuvre des pratiques de registre et de standardisation des données inhabituelles pour eux, car la production des statistiques médicales débutait à peine dans le pays. 38
Les traitements courants pour expulser les parasites étaient l’administration de tétrachlorure de carbone et de l’huile de chenopodium. Tous les deux d’efficacité prouvée et de faible coût. 39 The Rockefeller foundation, « The Rockefeller foundation annual report 1921 » (New York, 1921), 227. 40 Il a reçu le diplôme de la Faculté de médecine de Bogota en 1920, après la soutenance de la thèse intitulée Notes de biologie et de pathologie générale. Pour la campagne, il a travaillé d’abord comme médecin départemental et puis il a été désigné comme Directeur adjoint, poste qu’il détenait encore en 1928. Il a travaillé pendant 25 années dans le champ de la médecine légale et de plus, il a donné de cours dans les facultés de médecine et pharmacie de l’Universidad Nacional de Colombia. 41 Martínez Briceño, « Lo que ha sido la campaña contra la anemia tropical en Colombia », 39; o « Importancia social de la campaña contra la anemia tropical », Repertorio de medicina y cirugía 15, n 173 (1924): 240‑241. 42 Martínez Briceño, « Lo que ha sido la campaña contra la anemia tropical en Colombia », 39.
293
Les activités de la campagne contre l’ankylostomiase étaient partagées entre deux commissions. La première, appelée « Commission de guérison », était composée par les médecins adjoints, les assistants techniques et les microscopistes. Elle a été chargée de l’administration du traitement, du suivi des malades et de la campagne éducative. La seconde, appelée « Commission de l’assainissement du sol », était composée par les chefs de terrain et les inspecteurs de santé. Elle s’occupait des domiciles et de la construction — ou de l’amélioration — des latrines. Les résultats des deux commissions étaient mesurés par le nombre de patients traités, des doses administrées, des conférences éducatives et des latrines réalisées43. Dans un résumé des statistiques d’activités de la campagne dans le département d’Antioquia, on constate que, de décembre 1920 à août 1922, certains travaux furent réalisés dans 12 municipalités répertoriées de la façon suivante : 13 506 maisons visitées, 10 607 latrines construites, reformées ou existantes soit 79 % de latrines dans les maisons. Quant aux conférences : 80 conférences générales (37 644 participants), 21 933 conférences spéciales (94 549 participants) et 80 conférences scolaires (6 400 participants) ont été faites. En plus, 62 134 brochures ont été distribuées. Quant aux activités de soins effectuées de juin 1921 à août 1922 dans 10 municipalités, 19 505 individus furent examinés dont 18 057 étaient infectés (92,57 %) et 17 925 furent traités (99,26 %), 6 382 furent guéris (35,60 %), pour un total de 34 676 traitements administrés44. Dans de nombreux villages du pays, le nombre de latrines était insignifiant. Cette absence de salubrité était associée à l’inexpérience des communautés dans l’utilisation des latrines. Et si la théorie signalait que l’assainissement du sol par la construction des latrines devait précéder l’administration du traitement aux patients, en Colombie cette stratégie a dû être modifiée à cause de l’opposition d’une partie de la population. Elle se fondait sur l’idée, très répandue dans la population, selon laquelle les latrines contribuaient à la prolifération des moustiques causant le paludisme et les fièvres en général. C’est pourquoi les communautés abandonnaient — ou détruisaient — facilement les latrines bâties par la campagne45. Bien que l’administration des anthelminthiques et la promotion éducative aient été privilégiées sur les opérations d’assainissement du sol, en 1925, et selon les chiffres de la campagne, dans les
43
Frederick A. Miller, « Relief and control of Hookworm disease in Colombia from June 14 to Decembre 31, 1920 » 1921, 1‑3, RAC, RFA, RG 5 IHB, ser. 255-311 Colombia, subser. Q. Reports, box 27, fol.163. 44 Castro, « Anquilostomiasis en Antioquia. Estudio presentado a la Academia de medicina de Antioquia y Caldas reunida en Medellín en octubre de 1922 », 410. 45 Martínez Briceño, « Importancia social de la campaña contra la anemia tropical », 232‑238.
294
zones où les travaux ont été achevés, le pourcentage des maisons avec latrines était passé de 19,2 à 65,3 %46. À ce moment, la priorité de la campagne était l’application de méthodes administratives et scientifiques de plus en plus efficaces afin de réduire le coût par tête des activités. Cette réduction des coûts devait s’accomplir en dépit de l’augmentation des dépenses pour les mesures éducatives et malgré les distances accrues entre les dispensaires et le bureau central de la campagne situé à Bogota47. Afin d’intensifier la campagne contre l’ankylostomiase, la technique de comptage des œufs d'ankylostomes dans les selles, « méthode de Stoll », fut mis en œuvre en 1925. Puisqu’il existe une relation approximative entre le nombre d'œufs excrétés et le nombre des ankylostomes adultes hébergés dans l'intestin, cette méthode permettait d’identifier rapidement les zones dans lesquelles la contamination du sol par les œufs d'ankylostomes était la plus importante48. Cela ouvrait la possibilité de signaler les endroits précis dans lesquels l’administration du traitement en masse aux habitants était urgente. La distribution de matériels indispensables pour la mise en marche de certaines activités de la campagne était souvent compliquée. Il ne faut pas oublier qu’à cause du mauvais état des routes, les difficultés de transports et les communications étaient des obstacles majeurs à la coordination des activités de la campagne sur le terrain. Fréderic A. Miller, directeur de la campagne en Colombie en 1920, nota qu’il fallait comprendre la topographie du pays pour apprécier pleinement les difficultés à surmonter. Le seul moyen de transport de la côte à l’intérieur du pays était la rivière Magdalena, et il fallait faire un voyage de 600 kilomètres dans des bateaux de moins de 200 tonnes de marchandises pour retrouver le chemin de fer ; ensuite toutes les provisions devaient être transportées soit à dos de mulet soit par péons49.
46
The Rockefeller foundation, « The Rockefeller foundation annual report 1925 » (New York, 1925), 139. D. Bruce Wilson, « Report on work for the relief and control of hookworm disease in Colombia from Jan. 1, 1925 - Dec. 31, 1925 » 1925, RAC, RFA, RG 5 IHB, ser. 311 H Colombia, box 134, fol.1573-1925. 48 Cette méthode fut utilisée dans tous les pays où la campagne s’est déroulée. Mais elle supposait que le même nombre de vers produisait la même intensité de la maladie, et il ne tenait pas en compte, par exemple, si la population souffrait de malnutrition, au l’espèce de l'ankylostome impliqué dans l’infection. Selon le chercheur John Farley, ceci illustre l'indifférence de l’IHD de la FR par rapport aux conditions sociales et économiques dans lesquelles vivaient les victimes de l'ankylostome. John Farley, To cast out disease: a history of the International Health Division of the Rockefeller Foundation (19131951) ( xford ; New York: xford University Press, 2004), 75‑76. 47
49
Miller, « Relief and control of Hookworm disease in Colombia », 11‑12.
295
Illustration 12. Distribution géographique des activités de la campagne contre l’ankylostomiase en Colombie (1925). Localisation des dispensaires sur le terrain
NOTE: Les départements concernés : Antioquia, Santander, Caldas, Cundinamarca, Boyacá,
Valle, Tolima, Meta, Huila. Point noire : zones finies en 1925 ; Carré rouge : zones à continuer en 1926 SOURCE: D. Bruce Wilson, “Report on work for the relief and control of hookworm disease in Colombia from Jan. 1, 1925 - Dec. 31, 1925”, 1925, RAC, RFA, R 5 IHB, ser. 311 Colombia, box 134, fol.1573-1925, p.7
L’intérêt de plusieurs départements du pays pour que la campagne soit menée dans leurs municipalités permit le renouvellement du contrat avec la FR pour les cinq années suivantes (Illustration 12). Ce contrat établissait un nouveau budget coopératif entre le gouvernement colombien et la FR pour la période 1926-1930. Sous cet accord, le DA est devenu une section de la DNH, et cette direction a été élargie par la création de plusieurs sections : celle de la statistique vitale, celle des maladies contagieuses et celle de l’ingénierie sanitaire50. Si la section de la statistique vitale a été créée en 1925, l’absence de personnel 50
The Rockefeller foundation, « The Rockefeller foundation annual report 1924 », 138; Nous avons constaté que vers 1928, l’idée de créer une Section de statistique vitale rattachée à l’organisme
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formé à cette matière retarda sa mise en route. Cette même année, un candidat local a été envoyé aux États-Unis pour y suivre un entraînement avec comme contrepartie l’obligation de retourner en Colombie une fois ses études finies pour s’occuper de la section de statistique vitale51. Les chiffres de la campagne pendant l’année 1926 indiquent que des activités de contrôle s’étaient déroulées dans 89 municipalités du pays, pour un total de 570 321 traitements administrés à 329 565 personnes et 21 410 conférences données à 879 423 habitants52. Quoiqu’une des principales mesures de contrôle de la maladie fût la construction de latrines, et à cet égard, les efforts des agents de la campagne n’ont pas cessé, leur construction posait encore des problèmes dans certaines provinces en 1833. Cependant, à ce moment-là, le problème concernait moins leur utilisation que l’imputation de leur coût. À Cundinamarca, par exemple, les grands propriétaires fonciers, alors que des agriculteurs habitaient et travaillaient sur leurs terres, refusaient de payer les coûts de construction des latrines dans les foyers ruraux. À leur tour, les paysans se refusaient à financer eux-mêmes ces travaux, car ils n’étaient pas les propriétaires des maisons. Même si la polémique fut tranchée par la loi, la campagne n’a pas toujours été couronnée de succès53. Selon le Dr. George Bevier, directeur de la campagne à l’époque, un des succès remarquables quant à l’éducation fut la revue d’hygiène et santé Salud y sanidad. Elle commença à être publiée en 1932 à 6 000 exemplaires, et bientôt à 10 000. La Revue était écrite dans des termes « aisément compréhensibles par tous », et les rédacteurs faisaient des efforts pour inclure seulement des informations utiles et pratiques ayant une base indiscutable ; en plus, des petites histoires dessinées aidaient à la compréhension des messages. En 1933, le tirage atteignait 15 000 exemplaires qui, d’après Bevier, pouvaient être utilisés dans l’enseignement de l’hygiène dans de nombreuses écoles54. Au cours des années, les chiffres de la campagne n’ont pas cessé d’augmenter, mais malgré les grands nombres, la qualité des activités n’a pas été discutée55. national d’hygiène a été aussi proposée au gouvernement de Costa Rica. Initialement le projet a été approuvé, mais le Congrès n’a pas fixé une assignation budgétaire à la section et elle a été supprimée. « José Guerrero » s. d., RCA, Fellowship Cards, Record Group 10.2. 51 Miranda Canal, Quevedo Vélez, et Hernández Álvarez, Historia social de la ciencia en Colombia. Medicina (2), VIII:219. 52 The Rockefeller foundation, « The Rockefeller foundation annual report 1926 » (New York, 1926), 167 ‑169. 53 George Bevier, « Narrative report on the hookworm work in Colombia for the year 1933 » 1933, RAC, RFA, RG 5 IHB/D, ser. 3 Reports routine subser. 311 H Colombia, box 136, fol.160. 54 Ibid., 5. 55 Miranda Canal, Quevedo Vélez, et Hernández Álvarez, Historia social de la ciencia en Colombia. Medicina (2), VIII:218.
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Pendant les années 1930, de nouvelles conventions ont été signées entre la FR et le gouvernement colombien pour continuer la campagne contre l’ankylostomiase. Toutefois, à partir de 1936, les subventions de la FR se sont concentrées sur trois pratiques : les études sur la malaria et sur la fièvre jaune ; les activités liées à la configuration et au renforcement des laboratoires locaux ; et la création d’une école d’inspecteurs de santé56. Ce changement local fut le résultat d’une politique globale de l’IHD de la FR qui déplaçait l’accent de ses opérations philanthropiques, dès l'application rapide et généralisée des connaissances existantes á l’obtention des données nécessaires pour un contrôle plus efficace et moins coûteux des maladies. Le programme de la FR comprenait toujours une large coopération avec les gouvernements dans la lutte contre la maladie, par le biais de démonstrations pratiques et l’accompagnement d’experts, mais la caractéristique dominante du nouveau programme était le développement de la recherche. Avec cette pratique, la FR espérait arriver à contrôler certaines maladies spécifiques. Les efforts seraient alors concentrés sur un nombre limité de maladies, en mettant en tête de liste la fièvre jaune et la malaria, pour lesquelles l’accent serait mis sur les études de la maladie dans ses rapports avec le milieu et sur les recherches en laboratoire 57. Le financement de travaux intensifs sur l’ankylostomiase prit fin avec sa prise en charge par les services de santé nationaux spécialisés dans des stratégies et des programmes de contrôle dédiés à ce type de maladie. En 1936, la FR ne soutenait une campagne contre l’ankylostomiase qu’en Égypte58. 6.1.1 D’autres statistiques de la campagne Les dispositifs publics impliqués dans la campagne contre l’ankylostomiase en Colombie, l’ampleur de celle-ci et les ressources qui y furent consacrées ont permis aux médecins locaux d’étudier les différents aspects de la maladie et de son contrôle. Parmi ces études, on trouve aussi des thèses de médecine dont les auteurs ont travaillé dans la campagne et ont eu recours à des informations de première main (Tableau 51)59. 56
Kerr, « Memorándum sobre las actividades de la Fundación Rockefeller en Colombia », 17‑19.
57
The Rockefeller foundation, « The Rockefeller foundation annual report 1935 » (New York, 1935), 20‑ 21; La Colombie n’a pas été l’exception à cette approche. Comme l’a montré la chercheuse Paola Mejía, le nouvel agenda de recherche en fièvre jaune s’imposa, et accapara pendant plusieurs années une partie importante du budget national de la santé, malgré le fait que le pays avait d’autres problèmes de santé publique affectant une population plus nombreuse. Cf : Mejía, Intolerable burdens: malaria and yellow fever control in Colombia in the twentieth century; « De ratones, vacunas y hombres: el programa de fiebre amarilla de la Fundación. Rockefeller en Colombia, 1932-1948. » 58 The Rockefeller foundation, « The Rockefeller foundation annual report 1936 » (New York, 1936), 19. 59 Nous nous sommes interrogés sur les liens entre les employés de la campagne de la FR et les facultés de médecine du pays. Nous voulions constater si des anciens employés de la campagne étaient devenues des enseignants dans les facultés de médecine et si une telle position leur avait permis la
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Tableau 51. Thèses de médecine sur l’ankylostomiase publiées en Colombie de 1919 à 1935 Année Titre Auteur Faculté FR* L'Influence de l'anémie tropicale sur les glandes endocrines X ENCISO, Enrique Bogota 1919 La lutte contre l'anémie tropicale CERÓN, Jorge A. Bogota Notes sur l'anémie tropicale en Colombie, 1923 considérée comme un problème social et comme une entité pathologique X RINCÓN, José D. Bogota Le tétrachlorure de carbone dans le 1924 traitement de l'ankylostome NOREÑA, Martín E. Medellin Le tétrachlorure de carbone dans le 1924 traitement de l'ankylostomiase en Colombie et sa valeur comme vermifuge X AVILA R., Marco Tulio Bogota Étude et l'importance de l'indice quantitatif 1925 de l'ankylostomiase par la procédure de Stoll DUARTE A., Alfredo X Bogota La campagne contre l'ankylostome dans le 1926 X département de Tolima CONCHA y VENEGAS, José A. Bogota L'étude de l'ankylostome en Colombie et ses 1927 différents traitements FERNÁNDEZ, Juan de la C. Bogota 1927 Forme fébrile de l'ankylostome VÁSQUEZ MEJIA, Alfonso Medellin Contribution au traitement de 1931 l'ankylostomiase par « la seretina » PELÁEZ SIERRA, Gabriel Medellin 1932 L'ankylostome en Colombie ESTRADA ARANGO, Roberto Medellin X Vue moderne sur les campagnes contre 1934 l'ankylostome et d'autres parasites intestinaux X OSORNO MESA, Ernesto Bogota Campagne contre l'ankylostome dans le 1935 département d’Antioquia ÁLVAREZ O., Jésus Medellin NOTE : n a inclus les thèses consacrées exclusivement à l’ankylostomiase. Néanmoins, le sujet a été traité aussi dans des thèses de maladies parasitaires en général et dans celles de géographie médicale régionales. * Auteurs ayant eu des liens prouvés avec la campagne de la FR contre l’ankylostomiase en Colombie. 1919
L’analyse des observations recueillies dans certains laboratoires pendant les premières années de la campagne a permis à son Directeur adjoint, Rafael Martínez Briceño, une
direction des recherches là-dessus ; on espérait que des telles données aideraient à retracer les activités de certains médecins universitaires dans la campagne et leur influence sur la pratique de la médecine. Avec la documentation locale, nous avons fait une liste des médecins ayant travaillés avec la FR. Le nombre d’employés et la durée des contrats variaient selon les ressources économiques. C’est pourquoi le personnel de plusieurs postes était très intermittent. Il faut préciser que la liste n’était pas exhaustive parce qu’il n’était courant d’enregistrer ce type d’information. Ensuite, nous avons tenté de retrouver des informations biographiques de ces fonctionnaires. Nous avons cherché leurs thèses de médecine et l’année dans laquelle ils ont fini leurs études. Nous avons aussi repéré s’ils ont publié des articles dans les revues de médecine locales. Avec ces données l’intention était de reconstruire les parcours de certains d’entre eux, de repérer leurs sujets d’intérêt et les types de travail qu’ils ont fait. n voulait complémenter tout cela avec de la documentation secondaire. Etant donné qu’à l’époque il n’y avait pas de recensement des médecins dans le pays, pour beaucoup d’entre eux on n’a pas trouvé aucune information et cela a représenté un nouvel obstacle à cette recherche. Il est difficile d’établir si l’un des médecins a travaillé pendant quelques mois ou quelques années dans la campagne de la FR et ensuite a installé un cabinet pour clientèle privée. La même situation se présente quant aux informations liées à un voyage à l’étrangère pour suivre des études. À cause de ces difficultés, la tâche a été délaissée et l’approche modifiée.
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évaluation des protocoles d’administration du traitement pour détruire ou éliminer les vers intestinaux (antihelminthique)60. Sujet d’intérêt majeur depuis l’accident thérapeutique survenu en 1920, dans le département d’Antioquia, qui provoqua la mort de sept enfants après l’administration d’un vermifuge par les agents de la campagne61. Le traitement basique consistait en une dose de tétrachlorure de carbone à jeun. Cette prise était suivie, une heure après, d’un purgatif salin. Le dosage était calculé selon l’âge du patient et pour éviter des accidents, les personnes présentant des signes de baisse de résistance hépatique, due à leurs antécédents d’alcoolisme, de syphilis ou de paludisme, ne devaient pas être déparasitées62. Les statistiques exposées par Martínez Briceño répertoriaient les patients traités et les effets secondaires qu’ils manifestaient après l’administration du médicament. Voici deux exemples du département de Cundinamarca. Dans l’hacienda Misiones, le traitement fut administré à 180 personnes, seulement 23 d’entre elles ont présenté des effets secondaires63. Dans la localité de Melgar, le tétrachlorure de carbone fut administré à 576 patients qui précédemment avaient pris des traitements de chenopodium ou de thymol ; 83 d’entre eux ont présenté des effets secondaires64. Il s’agit des quantifications simples servant à montrer facilement, par la seule arithmétique, qu’il vaut mieux endurer des symptômes passagers et peu répandus, que de se voir confronté à des médicaments dont les effets étaient soupçonnés de s’avérer dangereux. La présence ou l’absence effets secondaires était le paramètre principal à évaluer et, selon Martínez Briceño, les résultats permettaient de conclure à la grande efficacité du tétrachlorure de carbone. Premièrement, car même s’il provoquait des effets secondaires — léger vertige, douleur abdominale et céphalée — aucun de ces effets n’était considéré comme grave. Deuxièmement, les personnes traitées avec le tétrachlorure de carbone étaient en capacité de reprendre le travail le jour même de l’administration du médicament, un avantage qu’on n’obtenait pas avec tous les vermifuges65. Cette vertu facilitait l’administration du médicament aux travailleurs des haciendas et des grandes mines, population cible de la Campagne. 60
Martínez Briceño, « Métodos adaptados por los directores de la campaña contra la uncinariasis. » Palmer, Steven, « Toward responsibility in international health: death following treatment in Rockefeller hookworm campaigns, 1914–1934 », Medical History 54 (2010): 149‑70. 62 Martínez Briceño, « Métodos adaptados por los directores de la campaña contra la uncinariasis », 109 ‑110. 63 Parmi les principaux : 11 cas de vertige, 4 de céphalalgie, 2 de vomissement, 2 de douleur abdominale. 64 Martínez Briceño, « Métodos adaptados por los directores de la campaña contra la uncinariasis », 111 ‑115. 61
65
Ibid., 110‑111.
300
Ces comptages justifiaient l’utilisation systématique et en masse du tétrachlorure de carbone dans la lutte contre l’ankylostomiase. Certainement, l’argument quantitatif fut un outil pour convaincre les opposants à la campagne. Il y a plus, il apportait un sol d’objectivité à la médication généralisé. Depuis la création du DA en 1920, les laboratoires de la campagne suivaient les statistiques des examens effectués. José D. Rincón, qui travaillait comme médecin adjoint dans le département de Cundinamarca, a analysé pour sa thèse de médecine les statistiques des trois premières années de 10 laboratoires66. L’enquête réalisée par Louis Schapiro en Cundinamarca devint le modèle à suivre. La population d’étude a été élargie, les questions sont restées les mêmes : estimations de la population infectée, rapport entre le degré de l’infection et l’âge, le sexe et la race des malades. Concernant l’extension de la maladie dans le pays, Rincón estimait que 90,3 % du territoire national était infesté. Si les températures propices au développement du parasite variaient de 15 à 37 degrés, correspondant aux altitudes de 0 à 2 000 m, soit des climats tropicaux et subtropicaux, presque tout le pays y était compris et ces zones correspondaient à celles de la plus grande concentration de population. Ses estimations de la population infectée étaient aussi alarmantes que celle de Schapiro. D’après le recensement de la population de 1918, il y avait 5 855 077 habitants dont 5 159 849 dans les climats tropicaux et subtropicaux. Si 83,8% des habitants étaient infestés alors le pays comptait 4 298 154 malades67. Des 53 182 personnes examinées, 48 929 étaient positives pour l’ankylostome, soit 91,9 %. Selon Rincón, en 1923. La différence entre ce pourcentage et celui trouvé par Schapiro en 1919 (81,4 %) s’expliquait par le fait que Schapiro avait examiné une population principalement urbaine tandis que les statistiques de Rincón concernaient une population surtout rurale. Quant à l’intensité de l’infection, les deux études ont permis d'entrevoir qu’il n'y avait pas de différences marquées entre la population urbaine et rurale. En plus, les évaluations des 53 182 examens de laboratoires ont révélé une infection élevée des patients pour d’autres parasites intestinaux comme les ascarides (de 60 à 79,6 %) et trichocéphales (de 60,7 à 91,2 %). Ainsi, la situation hygiénique de la Colombie se révélait inquiétante. D’après l’étude de Rincón, la forte incidence de l’ankylostomiase chez les enfants de 0 à 5 ans (80,3 %), ajoutée aux « tares organiques » provenant des parents en raison de leur « dégénérescence anémique », n’améliorait pas la situation de la population colombienne. Au vu de ses résultats, la campagne prenait tout son sens. En outre, pour Rincón, la faible
66 67
Rincón, Anotaciones sobre la Anemia tropical en Colombia. Ibid., 25‑26.
301
fréquentation dans les laboratoires des personnes âgées (plus de 60ans) et des enfants était une conséquence additionnelle de l’ankylostomiase, maladie qui réduisait la natalité et augmentait la mortalité de la population affectée68 (Graphique 13). Comme le remarquait Rincón, le succès de la campagne contre l'ankylostome exigeait l'action conjointe du gouvernement, de la société, de la presse, des instituteurs, des médecins et des prêtres qui, pour l'humanité, la justice et la morale, devaient contribuer à l’intensifier et à l’améliorer. Le discours de la maladie comme problème social et comme agent retardateur du progrès, tel que l’avait suggéré Schapiro, apparaît à nouveau. Selon Rincón, l’ankylostomiase dégénérait et démoralisait les familles et la société. Elle était un obstacle à l’avancement de l’éducation et, à cause des déficiences et des incapacités subis par les travailleurs malades, elle contribuait à la diminution de la richesse privée et publique. Seule l’action commune permettrait d’obtenir des résultats efficaces69 Graphique 13. Pourcentage d’infection par ankylostomiase selon les âges des personnes examinés dans 10 laboratoires en Cundinamarca (1920-1923)
1. Ligne qui représente le total de personnes examinées 2. De 19 à 40 ans : examinées 22 245, infectées 20 759 (93,3 %) 3. De 6 à 18 ans : examinées 18 .871, infectés 17 410 (92,1 %) 4. De 40 à 60 ans : examinées 4 .435, infectées 4 079 (91,7 %) 5. De 1 à 5 ans : examinées 6 823, infectées 5 .031 (88,3 %) 6. Plus de 60 ans : examinées 808, infectées 648 (80, 1 %) SOURCE: José D. Rincón, Anotaciones sobre la Anemia tropical en Colombia, considerada como problema social y como entidad patológica. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía, Bogota: Editorial Minerva, 1924, p. 32
Une autre thèse de médecine concernant l’ankylostomiase fut soutenue en 1926 par José Antonio Concha y Venegas70. Cette étude décrit les activités de la campagne dans le département de Tolima, indiquant le nombre de traitements administrés, de conférences
68
Ibid., 30‑33. Ibid., 102. 70 Concha y Venegas a travaillé comme médecin adjoint du DA en 1924 et 1925. 69
302
prononcées et de latrines construites pendant les années 1924 et 192571. Mais la thèse porte une attention particulière sur la méthode de Stoll utilisée dans les municipalités de Purificación et Chicoral. Il faut rappeler que cette méthode de comptage d’œufs permettait de calculer le nombre de parasites dans chaque patient. De chaque localité, les statistiques de 100 cas ont été présentées considérant le genre, l’âge, le pourcentage d’hémoglobine, le nombre d’œufs par selle, mais elles indiquaient aussi le nombre de parasites par individu. Des 100 cas de Purificación, 61 étaient des hommes et 39 des femmes. Pour les hommes fut calculé un total de 6 009 ankylostomes soit une proportion de 101 par individu, tandis que pour les femmes le chiffre ne s’élevait qu’à 1 899, soit une proportion de 49 par personne. Cette différence notable a été expliquée par le fait que dans cette région les hommes travaillaient plus que les femmes dans le secteur agricole, ce qui les exposait plus au parasite72. Selon Concha y Venegas, certaines expériences avaient confirmé que la détection d’un taux de 25 ankylostomes par individu dans une collectivité était suffisante pour traiter la région. De sorte qu’en Purificación des traitements de masse furent administrés. Ainsi 10 583 personnes ont reçu un premier traitement, 6 052 un deuxième, et 1 026 un troisième. D’après les calculs, suite à l’administration du traitement de tétrachlorure, 95% des parasites étaient expulsés, 10 583 individus (sur une population totale de 17 000 habitants) récupérèrent de « très bonnes conditions de santé » et parmi eux, 6 052 étaient devenus « presque guéris » de l’anémia. Les 1 026 qui ont reçu les trois doses pouvaient alors être considérés comme « pratiquement » indemnes d’ankylostomes. Ajouté à tout cela, qu’un total de 762 latrines hygiéniques fut construit, alors qu’au début de la campagne la localité n’en disposait que de 7273. L’époque d’opérer des vérifications de guérison des patients par l’examen de nouveaux échantillons était passé. Les médecins de la campagne faisaient appel aux estimations pour déclarer les succès de leurs activités, même sous des catégories aussi vagues que « presque guéris de l’anémia », ou « pratiquement indemnes d’ankylostomes ». L’instrumentalisation des chiffres devint une pratique courante pour certains de ces médecins. En 1934, juste avant que la coopération entre la FR et le gouvernement colombien dans la lutte contre l’ankylostomiase ne s’achève, une autre thèse de médecine sur cette maladie fut soutenue par Ernesto Osorno Mesa, un ancien employé de la campagne74. Selon
71
Concha y Venegas, La campaña contra la uncinariasis en el Tolima. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía. 72 Ibid., 24‑26. 73 Ibid., 26. 74 Voir : Ernesto Osorno Mesa, Criterio moderno sobre campañas contra uncinaria y otros parásitos intestinales. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía (Bogotá: Imprenta Nacional, 1934). En 1929,
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lui, le questionnaire de Schapiro demeurait pertinent – degré d’infection selon l’âge, le genre, le métier, l’utilisation des latrines, l’usage des chaussures– mais ses propres statistiques affichées dans l’étude de Osorno permettent de supposer qu’il y a eu des améliorations dans la qualité des registres et, en plus, elles mettent en évidence des analyses plus fines. Dans le pays, le recours à l’examen coprologique pour déterminer le degré moyen d’infection par ankylostomes et d’autres parasites, selon la méthode de Stoll, s’était intensifiée. Cette méthode était utilisée souvent avant et après l’exécution des activités d’assainissement du sol et du traitement des patients. Elle servait à vérifier les résultats ou à tirer des conclusions sur la nécessité de l’assainissement et des traitements ou de leur reprise. Pendant les analyses mises en œuvre par le médecin Osorno Mesa à Bolivar (Valle), la méthode de Stoll a été utilisée pour étudier la différence d’intensité du parasitisme entre différents endroits de la même municipalité, mais situés dans des conditions différentes de température et de terrain (zones hautes et montagneuses et zones basses et plaines), mais aussi pour évaluer les différences possibles par rapport á l’infection selon les activités productives des habitants. Et, bien sûr, cette enquête considéra aussi des facteurs tels que l’âge et le genre. De même, cette méthode a été appliquée par Osorno Mesa dans des « recherches de laboratoire » concernant l’influence de l’administration, à basses doses, d’une mixture du tétrachlorure et du chenopodium sur l’infection par ankylostome et ascaris ; mais aussi des recherches sur l’effet que la diminution parasitaire exerçait dans la taille, le poids et la capacité respiratoire des enfants75. Petit à petit, les médecins locaux entreprirent des approches quantitatives dans leurs thèses et travaux de recherche. Les discussions des cas cliniques particuliers, guidés par l’approche anatomo-clinique française et présentées comme des analyses qualitatives (contenus essentiels des thèses colombiennes de la fin du XIXe et des premières années du XXe siècle), vont progressivement —à partir des années 1920— laisser de plus en plus de place dans les études médicales à des analyses basées sur des pourcentages d’infection ou des taux de mortalité. Dans plusieurs études, la place des cas cliniques est occupée totalement par des statistiques. C’est certainement le résultat de la confluence de plusieurs éléments : en tout cas, les conceptions hygiénistes des États-Unis introduites par l’intermédiaire de la FR dans la campagne contre l’ankylostomiase ne sont pas négligeables.
Osorno était médecin-chef des commissions sanitaires antianémiques des départements de Valle, Caldas et Cundinamarca. 75 Ibid., 99‑112.
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6.1.2 Les premiers boursiers colombiens de la Fondation Rockefeller Suite à la signature de la convention de coopération entre la FR et le gouvernement colombien, en septembre 1920 le premier boursier colombien est parti aux États-Unis. Le programme de bourses individuelles à destination des jeunes chercheurs était bien plus qu’une simple subvention pour un voyage d’études, c’était une véritable introduction des chercheurs d’origines diverses dans le milieu scientifique Nord-Américain, organisée et suivie de près par la Rockefeller76. Le programme établissait, parmi d’autres conditions, qu’une fois finies leurs études, les boursiers devaient retourner dans leur pays d’origine et y travailler dans un service public de santé. Le premier candidat colombien, le médecin Enrique Enciso, était chargé à ce moment de la Commission sanitaire du sol du récemment créé DA. La candidature d’Enciso, âgé de 27 ans, fut suggérée par Schapiro et soutenue par le directeur de la campagne colombienne F. A. Miller de même que par le responsable de la DNH de Colombie, Pablo García Medina. Enciso allait suivre des études en Administration de santé publique à la School of hygiene and public health of Johns Hopkins University (SHPH-JHU) à Baltimore, Maryland77. Pour comprendre le contexte de la coopération dont bénéficiait ce premier boursier colombien, il faut rappeler quelques faits. En 1913, la FR a parrainé une conférence sur la nécessité de la formation spécialisée en santé publique pour les États-Unis. L’idée de former un personnel spécialisé avançait forcement la distinction entre médecins et officiers de santé (health officers). Les représentants de la FR étaient convaincus qu’une nouvelle profession, proche de la médecine, spécialisée dans la santé publique, était nécessaire, mais elle devait avoir son propre statut et ses propres institutions d’enseignement78. Selon les délégués de la FR, la formation devait inclure des contenus tels que : (1) l’étude des micro-organismes et des parasites divers, des animaux et des insectes hôtes ou réservoirs des maladies ; (2) l’étude de la résistance et de l’immunité, y compris les vaccins et les sérums ; (3) l’étude des méthodes et des techniques de lutte contre les maladies transmissibles ; (4) le développement de l’assainissement, y compris l’approvisionnement en eau, l’assainissement du sol, l’élimination des eaux usées et des déchets, etc. (5) l’enseignement de la chimie, de la physiologie et de l’hygiène, en comprenant dans cette dernière l’hygiène alimentaire et les habitudes et les gestes sains ; (6) la connaissance des aspects mentaux de la maladie (la délinquance, la faiblesse d'esprit) ; (7) la connaissance des 76
Tournès, “Penser global, agir local: La Fondation Rockefeller en France, 1914-1960,” 89–90. The Rockefeller foundation, « Enrique Enciso » s. d., 1‑2, RCA, Fellowship Cards, Record Group 10.2. 78 Kristine M. Gebbie, Linda Rosenstock, et Lyla M. Hernandez, éd., Who will keep the public healthy?: educating public health professionals for the 21st century (Washington, D.C: National Academy Press, 2003), 228. 77
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relations juridiques entre l'assainissement et l'hygiène ; (8) l’étude de la maternité, de la puériculture et de l’hygiène de l’enfance ; (9) l’apprentissage de la collecte et de l’interprétation des données pour faire des statistiques des naissances, des décès et des maladies ; (10) l’apprentissage des méthodes d’organisation et d’administration de la santé publique79. Le résultat des délibérations entre les dirigeants de la santé publique et les représentants de la FR fut le rapport Welch-Rose de 1915 qui établissait la nécessité d’une formation adéquate pour les officiers de santé publique (public health officers) et envisageait la création d’une École d’hygiène aux États-Unis80. Abraham Flexner81 appuya l’esprit de ce rapport et il mit l’accent sur les propositions de Welch, plus favorables à la recherche scientifique fondamentale guidée par le modèle allemand qu’à la formation pratique en santé publique selon le modèle britannique. Ainsi, SHPH-JHU fut créée sous le parrainage de la FR et, en 1918, une première cohorte commença la formation 82. Plus tard, les représentants de la FR ont accepté de financier la création d’autres écoles de santé publique, y compris celles de Harvard et de Toronto. Ces premières écoles étaient des institutions privées bien dotées qui ont donné la priorité aux titulaires d’un diplôme de médecine et ont orienté leurs programmes fortement vers les sciences expérimentales (pour lesquelles les laboratoires étaient indispensables) et la recherche sur les maladies infectieuses (pour laquelle le terrain était essentiel). Étant donné que la FR octroyait des bourses à des médecins diplômés du monde entier, ces écoles créèrent un milieu transnational et multiculturel83. En octobre 1920, Enciso commença ses études à SHPH-JHU, et rapidement il fut considéré par l’un de ses tuteurs comme un des meilleurs étudiants d’Amérique latine. Même s’il devait suivre des cours d’anglais trois fois par semaine, pour ses tuteurs ses problèmes de communication étaient éclipsés par son enthousiasme. Son relevé de notes montre qu’il avait bien réussi les cours de génie sanitaire et de statistique, mais pour ceux d’épidémiologie et de bactériologie son bilan était à peine acceptable. En juin 1922, il a reçu son diplôme en santé 79
The Rockefeller foundation, « The Rockefeller foundation annual report 1924 », 20. Gebbie, Rosenstock, et Hernandez, Who will keep the public healthy?, 229. 81 A. Flexner était alors à la tête de la General Education Board, filiale de la FR responsable des programmes en éducation. Il faut rappeler que le « Rapport Flexner » de 1910 a été le guide de la réorganisation de l’éducation médicale Nord-Américaine. 82 Gebbie, Rosenstock, et Hernandez, Who will keep the public healthy?, 228. 83 Si en 1930, ces écoles avaient diplômé un certain nombre d'individus ayant fait des études scientifiques sophistiqués, puisque ses programmes mettaient de côté la formation sur le terrain, elles n’ont pas résolu à la demande d'officiers de santé publique, des infirmières, et des agents sanitaires existent dans le moment. Il aura fallu attendre jusqu’au Social security act de 1935, pour lui donner un nouveau souffle à l’éducation en santé publique en Amérique. Ibid., 40‑41. 80
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publique de la JKU, mais, même après deux ans de séjour aux États-Unis, sa performance fut qualifiée de passable à cause de son « cruel handicap » linguistique84. À la fin de la période de validité de sa bourse, Enciso a voulu rester un peu plus de temps aux États-Unis, mais le comité de la FR ne l’a pas appuyé, et par contre, ils ont recommandé qu’il serait préférable pour Enciso de s’engager au plus vite dans le travail pratique en Colombie. En août 1922, le retour d’Enciso en Colombie fut décidé. C’était pour aller y occuper le poste de directeur adjoint du DA et remplacer ainsi le médecin Rubén A. García qui, à son tour, voyagerait aux États-Unis sous le parrainage de la FR pour suivre des cours85. Le retour d’Enciso au pays et son insertion dans les organismes de la santé publique ont été compliqués. En effet, il postula au poste de directeur adjoint du DA, mais « sa personnalité déplaisante et son talent pour se faire des ennemis » ont ruiné ses chances auprès du ministre de l’Agriculture qui attribua le poste à D. Bruce Wilson, futur directeur de la campagne86. Celui-ci remarqua que, depuis le retour d’Enciso des États-Unis, son attitude envers le DA fut hostile et que, d’ailleurs, il exerça certaines pressions et intrigua contre l’institution auprès du sénat87. À la base des affrontements entre Enciso et le personnel du DA il put y avoir des conflits partisans. À ce moment, le pays était gouverné par les conservateurs. C’est pourquoi les postes clés de la bureaucratie leur étaient destinés. Dans le cas de la DNH, par exemple, le directeur était un conservateur, le Dr. Pablo García Medina, qui occupait le poste depuis 1914. Lorsque les libéraux sont arrivés au pouvoir en 1930, Enciso a été nommé directeur national de l’hygiène. En tout cas, sa nomination au poste de directeur adjoint du DA fut refusée et même les médecins du DA affirmèrent qu’ils allaient démissionner s’il rejoignait l’équipe. Le gouvernement a proposé un autre poste à Enciso : la Direction départementale d’hygiène d’Antioquia. Mais il l’a rejetée. Il a donc quitté Bogota pour aller exercer comme médecin libéral dans la municipalité de Zipaquirá (Cundinamarca)88. Quelques années passèrent avant que les circonstances ne se modifient. L’attitude d’Enciso envers les autorités de santé publique locales changea, et l’un des objectifs du programme de bourse de la FR se concrétisait. Rappelons que la FR exigeait des boursiers
84
The Rockefeller foundation, « Enrique Enciso », 3. Ibid., 4. 86 Il fut le directeur de la campagne pendant les années 1924 et 1927. 87 The Rockefeller foundation, « Enrique Enciso », 5. 88 Ibid. 85
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étrangers de retourner dans leurs pays d’origine pour y exercer, selon la spécialité de chacun, dans la fonction publique. De sorte qu’en 1928, et à la suite d'une réorganisation de l’Oficina municipal de higiene de Bogota (Bureau municipal d’hygiène de Bogota BMHB), Enciso en a été désigné le nouveau directeur. Bogota était la capitale du pays, mais aussi un district associant plusieurs municipalités. Le bureau était donc formé par le Comité du conseil municipal et les directeurs des sections de chacune de ces municipalités. Sous la tutelle du directeur, l’équipe en était composée par six médecins du département des maladies contagieuses et des statistiques, un secrétaire général, un médecin-chef et trois étudiants de médecine (practicantes) pour le service des maladies vénériennes, un médecin-chef pour le service des désinfections, un vétérinaire chef avec des adjoints et des inspecteurs, vingt inspecteurs sanitaires, huit visiteurs de la Croix rouge, un ingénieur sanitaire et son adjoint, et quelques sténographes. Les services du laboratoire étaient fournis par le Laboratorio Nacional. D’après les responsables de la FR en Colombie, Enciso améliora le fonctionnement de ce bureau89. À partir de 1931, il commença à travailler à la DNH, où il resta 10 années. Après quelques années de pratique hospitalière, en 1945, Enciso consacra son temps à travailler pour le gouvernement de Cundinamarca d’abord dans la section de santé publique et ensuite dans celle de l’assistance publique. En 1950, il a débuté comme enseignant d’hygiène à l’Universidad Nacional de Colombia, et en 1956 il donna le cours de médecine préventive et hygiène90. Le programme de bourses de la FR a aussi connu des difficultés avec le médecin Rubén A. García, le boursier qui a succédé à Enciso. García avait obtenu son diplôme à la Faculté de médecine de Bogota en 1920 et pendant ses études, il s’était intéressé à la bactériologie91. Il travaillait au DA lorsque le directeur, le docteur Frederick A. Miller92, le proposa comme candidat pour suivre des études de zoologie médicale et santé publique aux États-Unis93. arcía est arrivé à Baltimore en juin 1922 et s’est inscrit aux cours de santé publique de l’Université Johns Hopkins pour l’année 1922-1923. À la fin de l’année universitaire, ses résultats académiques n’étaient pas encourageants. Il avait validé le cours de protozoologie, mais pas le cours d’hygiène chimique, le séminaire en spirochètes et il avait obtenu la mention passable pour le séminaire d’hygiène, nutrition et diététique, de même pour le cours de virus 89
George Bevier, « Letter to H. H. Howard, Associated director, I.H.D Rockefeller Foundation. Letter 78 », 31 mai 1928, 1‑2, RCA, General Correspondence Series 2, 1928 Box 8, Folder 63.
90
The Rockefeller foundation, « Enrique Enciso », 6‑7. Rubén A. García, Algunos datos sobre coprología clínica. Tesis (Doctorado en Medicina y Cirugía) Universidad Nacional de Colombia. Facultad de Medicina y Ciencias Naturales (Bogotá, 1920). 92 Directeur de la campagne contre l’ankylostomiase de 1920 à 1924 93 The Rockefeller foundation, « Rubén A. García » s. d., 1‑2, RCA, Fellowship Cards, Record Group 10.2. 91
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filtrables. À cause de ses piètres résultats, il avait reporté l’examen du cours de bactériologie au troisième trimestre. Pourtant, encore une fois, il rata cet examen. Quant aux deux cours d’épidémiologie, il fut rapporté absent. En juin 1923, son tuteur doutait de sa pérennité dans le programme et demanda au service des bourses de notifier la situation à Frederick A. Miller. Néanmoins, durant l´été, Garcia a travaillé comme assistant au laboratoire de diagnostic de la ville de Baltimore94. En raison d’une flambée de fièvre jaune en Colombie, dans la ville de Bucaramanga95, signalée par certains médecins locaux, F. A. Miller fut chargé d’une commission de vérification pour visiter la ville et les ports fluviaux proches96. Ainsi, Rubén A. García fut contraint de rentrer au pays, où il reprit son poste de directeur adjoint du DA. À son retour des États-Unis, il s’est intéressé aux divers problèmes de santé publique et fut directement responsable de la formation des quelques centres de protection infantile à Bogota, créés dans le but de réduire la mortalité infantile de cette ville. À la fin de l’année 1923, R. A. García devint directeur du laboratoire Samper-Martinez (LSM), chargé des analyses officielles97. L’année suivante, il réussit à introduire des sessions de bactériologie pratique à la Faculté de médecine de Bogota et à l’HSJD. Grâce à son expérience au LSM, il a ouvert un laboratoire privé, qui fonctionna en association avec sa pratique de médecin libéral, laquelle était presque entièrement consacrée à la pédiatrie. En remarquant les fonctions de García en tant que professeur de bactériologie, Bruce Wilson, le directeur du DA, regretta qu'il ait été incapable de mener à bien sa formation à Baltimore98. Pendant les années 1930, il a continué son travail comme médecin libéral, dédié presque exclusivement à la pédiatrie, car il a consacré une partie de son temps aux hôpitaux de charité. En 1932, il est devenu professeur de parasitologie à la Faculté de médecine de Bogota99. 94
Ibid., 3‑4. Cette ville est proche du port de Barrancabermeja, lieu important d’entrée de marchandises par la rivière du Magdalena, affluent qui coule vers l’océan Atlantique. 96 Au début de 1923 plusieurs centaines de cas ont été signalés à Bucaramanga, la capitale de l'État de Santander en Colombie. Sur invitation du gouvernement colombien, l’IHB a envoyé des experts á la région. Le diagnostic de la fièvre jaune a été confirmé, et la commission proposa des mesures pour son contrôle. The Rockefeller foundation, « The Rockefeller foundation annual report 1923 » (New York, 1923), 114. 97 En 1917, le laboratoire Samper Martinez fut créé par l’initiative de deux médecins locaux formés à Harvard qui se sont associés pour fonder un laboratoire de production de sérums et vaccins. Suite à son approbation par la DNH, le laboratoire fonctionnait aussi comme centre de diagnostic, faisant des examens bactériologiques, analyses de laits et d’eau. En 1926, grâce aux recommandations et au soutien de la FR, l’État colombien rachète le laboratoire. Víctor Manuel García, « Contribution à une histoire de la régulation des médicaments en Colombie 1900-1960 » (Mémoire de master, École des Hautes Études en Sciences Sociales, 2011). 98 The Rockefeller foundation, « Rubén A. García », 4. 99 Ibid., 5. 95
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Il est probable que l’emphase sur la recherche scientifique du programme de la SHPHJHU, inaccoutumé pour les étudiants colombiens en médecine, et peut-être aussi les faibles compétences académiques et linguistiques d’Enciso et de
arcía, aient compromis l’idoine
réalisation de leurs études. Malgré cette faible performance, pendant la décennie 1920, d’autres médecins colombiens non boursiers suivirent des formations dans cette institution100.
6.2 Les statistiques vitales internationales et nationales Pendant les années 1920, les grandes lignes d’une campagne mondiale pour la santé commencèrent à émerger. La Société des nations et son Health Committee HC, (Organisation de santé) avaient dans leur programme les volets suivants : la collecte de statistiques d’état civil ; la notification rapide des épidémies ; la standardisation des vaccins et des sérums ; la réalisation de conférences internationales et des échanges entre des officiers de santé ; la coopération entre les mandataires de la Ligue, la Commission sur l'opium et le Bureau international du travail101. La Division du renseignement épidémiologique DRE (Division of Epidemiological Intelligence) du HC publiait chaque mois un bulletin des données provenant de plus de soixante-dix pays. Dans le cadre de l’élaboration de ce bulletin, il est devenu évident que les normes utilisées par les différents pays dans la compilation de leurs statistiques d’état civil étaient très variables. En conséquence, afin d'harmoniser le travail, une subvention a été accordée par le HC pour patronner des conférences de statisticiens spécialisés provenant des pays participants et, au cours de l'année 1923, la première de ces conférences a eu lieu à Genève102. L’IHD de la FR octroya une subvention pour réaliser l’événement dont l’objectif principal était d’arriver à des accords sur l’homogénéisation des statistiques103. En effet, en 1923 un accord financier quinquennal fut signé par l’IHD en faveur des activités de la DRE du 100
Luis Felipe Turriago, special student of hygiene 1920-21; Germán Abadía, Doctor of public health (1921-23); Antonio Peña Chavarría, Doctor of public health (1922-1924); Andrés Rodriguez-Diago, Candidate for degree of doctor of science in hygiene, bacteriology (1929-30); Marceliano Arrazola, special student bacteriology, helminthology, (1929-30). Cf.: W. Norman Brown, Johns Hopkins HalfCentury Directory: 1876-1926 (Industrial Printing Company, 1926); Johns Hopkins University, « School of Hygiene and Public Health. Catalogue and Announcement for 1926-1927 », Johns Hopkins University o Circular 369, n 4 (1926): 1‑76; Johns Hopkins University, « School of Hygiene and Public Health. o Catalogue and Announcement for 1930-1931 », Johns Hopkins University Circular 412, n 4 (1930): 1‑ 88. 101 The Rockefeller foundation, « The Rockefeller foundation annual report 1922 » (New York, 1922), 55. 102 The Rockefeller foundation, « The Rockefeller foundation annual report 1923 », 122. 103 En 1923, l’IHD de la RF dépensa $ 6 645 pour l’entraînement des officiaux de santé. Cette même année la RF versa $ 22 217 pour la campagne contre l’ankylostomiase en Colombie Ibid., 220‑221. Une action analogue avait été accomplie auparavant par cette même agence pour la Conférence internationale de nomenclature des causes de décès qui s’était tenue à Paris en 1920.
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HC liées à la formation aux statistiques et aux échanges internationaux entre le personnel de la santé publique de divers pays. Les formations consistaient, entre autres, en des études intensives sur des aspects tels que les modes de l’enregistrement des décès, la comparabilité des statistiques vitales internationales en tant qu’une méthode uniforme pour la classification des causes de décès, la classification et le traitement statistique des mort-nés, et l'ajustement des taux bruts de mortalité selon l’âge et le sexe104. Sous l’emprise des problèmes de la production des statistiques vitales et de leurs comparabilités au niveau international, l’État colombien prit plusieurs lois et décrets sur l’organisation des statistiques vitales et sanitaires nationales. En 1920, par l’arrêt 90, la DNH réglementait la statistique sanitaire dans le pays et disposait que tous les médecins et personnes ayant la permission d’exercer la médecine étaient obligés de transmettre aux autorités les données relatives : 1) aux patients atteints de maladies infectieuses-contagieuses, omettant les noms et d’autres informations susceptibles d’affecter le secret professionnel ; 2) aux décès indiquant leur cause selon la nomenclature de Bertillon ; et 3) aux quartiers et districts où les maladies infectieuses-contagieuses étaient courantes105. Les maires et les préfets étaient obligés de collecter cette information et de demander aux curés les données sur les naissances et les décès enregistrées dans leurs paroisses. Ils devaient aussi enregistrer la morbidité et la mortalité infantiles. Chaque mois, les directeurs départementaux d’hygiène devaient demander ces informations aux maires et aux préfets. Tous les trois mois, ils devaient préparer un rapport et l’envoyer au directeur national de l’hygiène106. Si dans le pays l’un des problèmes majeurs pour la formation des statistiques nosographiques était la pénurie de médecins, l’autre était la difficulté à faire accomplir la déclaration obligatoire des maladies contagieuses. En raison des accords internationaux signés par la Colombie107, les autorités sanitaires étaient tenues de divulguer tous les cas de fièvre jaune, peste, choléra, variole et typhus, et de les inclure sur les patentes sanitaires délivrées pour les bateaux dans les ports, où les médecins de santé étaient tenus de signaler les cas à l’inspecteur de santé maritime, et celui-ci, à son tour, au ministre des Affaires étrangères et aux agents consulaires. Cependant, en dehors des ports, certains des médecins locaux étaient encore réticents à faire ce type de déclarations. Cette réticence était due, d’une part, à la possible stigmatisation des malades et de leurs
104
The Rockefeller foundation, « The Rockefeller foundation annual report 1924 », 151‑153. o Dirección nacional de higiene, « Resolución N 90 de 1920 (septiembre 9) sobre estadística sanitaria en la República » 1920, AGN, Ministerio de salud 1919-1969, Tomo 1 Resoluciones 1919-1931. 106 Ibid. 107 Washington 1905, Paris 1912 105
311
familles. Et d’autre part à l’augmentation du nombre de patients qui préféraient éviter le recours à un médecin en cas de maladies contagieuses pour échapper aux exigences des désinfections des habitations et des vêtements108. Le document des résolutions approuvées par la VIe Conférence sanitaire panaméricaine (Montevideo, décembre 1920) à laquelle assista comme délégué colombien le directeur de la DNH, Pablo García Medina fut publié, en 1921, dans la revue Repertorio de medicina y cirugía109. Les résolutions de la conférence étaient centrées sur la lutte antituberculeuse, la prophylaxie et le control des maladies vénériennes, de la malaria, de la peste bubonique, et de la fièvre typhoïde, la déclaration obligatoire du typhus exanthématique , la lutte contre les vecteurs de germes pathogènes tels que les rats et les moustiques, et l’étude de la distribution géographique des vers intestinaux, particulièrement l’ankylostome110. Afin de préserver la santé publique et de faciliter l’organisation de la statistique sanitaire, cette conférence réitéra l’importance des mesures de déclaration obligatoire des maladies infectieuses-contagieuses. Dans la même teneur, les pays furent invités à concéder plus d’attention à l’organisation des bureaux chargés de la statistique sanitaire et démographique et à publier leurs données de façon régulière. Parmi les buts principaux de cette conférence spécialisée était celui d’agrouper dans le Bureau central de l’ rganisation Sanitaire International ( SI) les données périodiques concernant l’extension des maladies contagieuses et le mouvement démographique des principales villes et ports111. En 1922, des nouvelles dispositions sur les maladies infectieuses-contagieuses sont apparues dans la législation colombienne par la Loi 99. Elle établissait des dispositions sur la vaccination obligatoire contre la variole et des contrôles liés de son certificat. Mais aussi elle élargissait la liste des maladies de déclaration obligatoire. La déclaration devait être faite au plus tard 24 heures après le diagnostic certain ou probable de la maladie112. Pourtant, en 108
Mario Hernández Álvarez et al., « La Organización Panamericana de la Salud y el estado colombiano. Cien años de historia 1902-2002 », OPS/OMS Colombia, 2002, www.col.opsoms.org/centenario/libro/OPSestado100_print.htm. 109 Aux IV et V conférences sanitaires, la Colombie avait envoyé des délégués mais ceux-ci n’habitaient pas le pays donc ils caressaient des données pour présenter des rapports complètes sur ses conditions d’hygiène. Le médecin arcía Médina fut le premier fonctionnaire du département d’hygiène envoyé à un tel rencontre international. Pablo García Medina, « Sexta conferencia sanitaria internacional panamericana de Montevideo. Informe presentado por el delegado de la República de Colombia », o Repertorio de medicina y cirugía XII, n 140 (1921): 406‑20. 110 « VI conferencia sanitaria internacional de las repúblicas americanas. Resoluciones adoptadas », o Repertorio de medicina y cirugía XII, n 138 (1921): 288‑95. 111
Ibid., 289‑291. À la fièvre jaune, la peste, le choléra, la variole et typhus se sont ajoutés les fièvres typhoïde et paratyphoïdes, la diphtérie, la scarlatine, la dysenterie bacillaire et amibienne, la tuberculose
112
312
raison du déficit de médecins dans la plupart des localités, cette loi établit que pour les endroits où il n’y avait pas de médecin, la déclaration devait être faite par le chef de famille, ou par le responsable de l’hôtel, l’école, la caserne, la prison, l’usine, etc., selon le cas, où se trouverait le patient suspecté113. À cause du manque des moyens pour affronter les problèmes de santé publique, il est tout à fait probable que cette exception soit devenue la règle dans une grande partie du pays ou que cette loi ait été tout simplement ignorée dans de nombreuses contrées colombiennes. La Colombie avait signé aussi la troisième révision de la nomenclature internationale des causes de décès. Le congrès de révision eut lieu à Paris en octobre 1920, et le médecin Hipólito Machado114 fut le délégué colombien115. Lors de cette convention, les délégués s’engagèrent à recommander à leurs gouvernements respectifs l’adoption de cette nomenclature et à la suivre de la façon la plus détaillée possible par groupes d’âge. Pour la réunion de 1909 ces groupes étaient : de 0 à 1 an, de 1 à 19 ans, de 20 à 30ans, de 40 à 59 ans et de 60 et plus. Pour celle de 1920 plusieurs délégués estimèrent que le deuxième groupe d’âge était « trop compréhensif » et ils considérèrent convenable de distinguer entre les enfants de 1 à 4 ans, ceux de 5 à 14 ans et les adolescents de 15 à 19 ans. Ainsi, la convention annonça que la division du second groupe d’âge était désirable et proposa ces nouveaux groupements pour les premières tranches d’âge : 1 à 4 ans, de 5 à 14 ans, de 15 à 19 ans116. En avril 1921, une traduction de cette nomenclature sans annotations ni explications fut publiée dans une des principales revues colombiennes de médecine de l’époque, le Repertorio de medicina y cirugía117, dont l’éditeur, Julio E. Manrique, était le frère de Juan E. Manrique, le délégué à la commission de révision de la nomenclature de 1909.
pulmonaire et laryngée, la pneumonie infectieuse, la méningite cérébro-spinale et épidémique. García Medina, Compilación de las leyes, decretos, acuerdos, I:7‑8. 113 Ibid. 114 Il a obtenu son diplôme de médecin en 1886 à Bogota et quelques années plus tard, il a voyagé à Paris où il a suivi à nouveau ses études et obtiendra son diplôme en 1897. Il se spécialisa en chirurgie et, en 1902, il fonda en compagnie d’autres médecins colombiens la Société de médecine de Bogota. Entre 1910 et 1914, Il a été doyen de Faculté de médecine de Bogota. Pendant cette décennie, il a participé dans la création de la Croix rouge colombienne. Il meure en 1926 à l’âge de soixante-trois ans. Juan Jacobo Muñoz D., «La sociedad de cirugía de Bogota», En Colombia, 1992, www.encolombia.com/medicina/academedicina/Academ31dic1992/Lasociedaddecirugiadebogota.ht m. 115 Ministère des affaires étrangères, Commission internationale chargée de la révision décennale des nomenclatures internationales des maladies, causes de décès - causes d’incapacité de travail, devant servir à l’éta lissement des statistiques nosologiques (classification Bertillon), troisième session, 1920 (Paris: S. inf., 1921). 116 Ibid., 64. 117 « Nomenclaturas nosológicas adoptadas por la comisión internacional reunida en Paris el 17 de o octubre de 1920 », Repertorio de medicina y cirugía XII, n 139 (1921): 364‑73.
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Seulement six mois se sont écoulés entre le moment de la révision de la nomenclature à Paris et sa publication en Colombie, ce que laissent entrevoir les efforts des médecins colombiens pour être à la hauteur des exigences des conventions internationales. À cet égard, la principale difficulté de la Colombie demeurait la production de certificats des décès, et celleci à son tour résultait en grande partie de la pénurie de médecins. Cette pénurie a compliqué l’application pratique de la nomenclature internationale approuvée en 1920 et a freiné la production des statistiques des causes de décès dans une grande partie du pays.
6.3 Un boursier colombien de la Fondation Rockefeller pour la statistique vitale L’État colombien n’a pas renoncé à ses tentatives d’ajuster l’organisation des bureaux chargés de l’hygiène et de la santé publique aux modèles internationaux promus par la FR et par les conférences sanitaires panaméricaines. Ainsi, la Loi 15 de 1925 amena une nouvelle réorganisation institutionnelle. La DNH et la bienfaisance ont fusionné dans la Dirección nacional de higiene y asistencia pública (Direction nationale de l’hygiène et de l’assistance publique, DNHAP), rattachée au Ministère de l’instruction et de la Santé publique. La DNHAP regroupait les fonctions des deux organisations fusionnées. Parmi ces fonction, il y avait l’élaboration des statistiques nosologiques et démographiques du pays118. La même année, la section de statistique vitale fut créée sous la tutelle de la DNHAP et Roberto Concha en fut désigné le chef, « chargé de la formation de la statistique médicale du pays »119. Pour consolider cette nouvelle section, la FR octroya une bourse d’études à Roberto Concha. La double désignation de Concha comme bénéficiaire de cette bourse et comme chef de la statistique vitale ne laisse pas de surprendre, car son parcours académique n’était pas remarquable. Il a commencé ses études de médecine en 1915 à la Faculté de sciences naturelles et de médecine de Bogota. Comme il n’avait pas le baccalauréat, il s’inscrivit de façon provisoire comme étudiant sans immatriculation formelle, un statut lui permettant seulement d’assister à quelques cours de la faculté. À la fin de cette même année, il demanda l’autorisation de passer les examens. Elle lui fut accordée à condition qu’il présente, l’année suivante, le diplôme manquant. Il n’était pas le seul étudiant à présenter ce type de demande aux autorités. Les sources indiquent plutôt que des situations de ce type étaient fréquentes et
118
República de Colombia et Gobierno nacional, « Ley 15 de 1925 (enero 31), sobre higiene social y asistencia pública », Diario oficial, 9 février 1925, 221. 119 Désignation approuvé par le décret Nº 1.336 du 14 septembre 1925. Dirección nacional de higiene, o « Resolución N 326 por la cual se hace un nombramiento » 1925, AGN, Ministerio de salud 19191969, Tomo 1 Resoluciones 1919-1931, f. 459.
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que c’était devenu un vrai problème pour la Faculté, dont les autorités cherchaient à en finir avec ce type de pratique120. Pour l’année universitaire 1916, Concha suivit seulement trois cours : physique médicale, botanique et anatomie. À ce dernier, il fut absent 38 fois121. Puisque la documentation est insuffisante, nous n’avons pas pu retracer en détails son parcours académique. Mais il faut ajouter qu’en 1925, au moment de sa désignation comme chef de la statistique vitale, Concha n’avait pas encore obtenu son diplôme de médecin122, il travaillait à la Faculté comme adjoint du Laboratoire de rayons X. Cela montre que les critères utilisés pour sa sélection étaient moins ses compétences que sa loyauté et ses liens sociaux avec des gens puissants. Il est tout à fait possible que sa désignation ait été le résultat de sa filiation politique et partisane ou de son ascendance familiale. Ce scenario était très courant pour la sélection des fonctionnaires publics pendant les premières décennies du XXe siècle en Colombie. Quoiqu’il en soit, Concha fut envoyé à l’École de santé publique de l’Université de Harvard pour acquérir des compétences en statistique et se familiariser avec de nouvelles techniques, et devenir ainsi compétent pour diriger, dès son retour au pays, la Section de statistique vitale de Colombie123. Le choix de l’École de santé publique où Roberto Concha devait suivre ses études aux États-Unis était dicté par les liens de la FR avec cette institution. En 1913 une coentreprise fut établie entre l'Université de Harvard et le Massachusetts Institute of Technology (MIT) pour former des agents de santé publique. L’école fut créée en réponse à la dispersion caractéristique de la plupart des programmes et des formations existantes. Le diagnostic était que les professionnels travaillant dans les services de santé nationaux et locaux aux États-Unis avaient reçu des formations hétérogènes. Le partenariat, connu sous le nom d'École de Harvard-MIT, proposait des cours de médecine préventive à la Harvard Medical School et de génie sanitaire à l’Université de Harvard, mais aussi des formations analogues au MIT. Cependant, en 1922, et grâce à une grosse subvention de la FR, l’école a été séparée du MIT pour devenir l’École de santé publique de l’Université de Harvard124.
120
Consejo directivo de la Facultad de ciencias naturales y medicina, “Acta de la décimo novena sesión. 23 de Noviembre de 1915”, 1915, ACUN, Facultad de medicina, Actas del Consejo directivo 1905/1930, Caja 15, tomo 64, f. 66-67. 121 Facultad de ciencias naturales y medicina, « Lista de las clases en el año de 1916 » 1916, ACUN, Facultad de medicina, Correspondencia 1916/1939, Caja 33, tomo 287 1916-1918, f. 151-160. 122 Facultad de medicina, Lista alfabética de los médicos graduados en la facultad desde su incorporación a la Universidad Nacional, según ley No 66 de 1867 hasta el año de 1935 inclusive (Bogotá, 1936). 123 The Rockefeller foundation, « Roberto Concha » s. d., 1, RCA, Fellowship Cards, Record Group 10.2. 124 Robin Marantz Henig, The People’s Health: A Memoir of Pu lic Health and Its Evolution at Harvard (Washington, D.C: Joseph Henry Press, 1997).
315
En septembre 1925, Concha arriva à l’Université de Harvard et commença sa formation en santé publique sous la direction d’E. B. Wilson, professeur de statistique vitale de l’institution. Avec Wilson, Concha devait travailler en biomathématiques, statistique vitale, trigonométrie, géométrie et calcul125. Dans le domaine des statistiques vitales, l’école de Harvard proposait quatre séminaires : biomathématique A, statistique vitale A et B et recherche. Les professeurs en étaient E.B. Wilson (Ph.D) 126, C.R. Doering (M.D) e J.L .Jones (M.D). Celui de biomathématique A — centré sur l’enseignement de certains aspects des mathématiques et leur rapport avec les sciences biologiques — se déroulait d’octobre à novembre, et celui de statistique vitale de décembre à janvier. Le séminaire de biomathématique
comprenait,
notamment,
arithmétique,
algèbre,
permutations
et
combinaisons, fonctions dérivées, intégrales, loi de Malthus et logarithmes. Le séminaire de statistique vitale avait comme but de familiariser les étudiants avec (1) les faits généraux déjà bien établis en matière de démographie ; (2) les modes de représentation graphique ; (3) les méthodes de calcul et l'utilisation des moyennes ; (4) la théorie des probabilités et de la corrélation, toutes les deux nécessaires pour l’analyse des données statistiques et la mise en œuvre de toute enquête statistique. Selon le programme, si pour les cours de base une connaissance des éléments du calcul infinitésimal était souhaitable, elle était une condition préalable des cours de recherche127.
n peut imaginer ce qu’un tel programme pouvait
signifier pour le candidat colombien. À la mi-décembre, l’avis de Wilson sur Concha n’était pas très prometteur, puisqu’il le trouvait incapable de finir sa formation en statistique. Selon lui, bien que l’étudiant fît de grands efforts, il était arrivé « complètement dépourvu de préparation » pour les travaux à accomplir et il présentait des problèmes de type personnel qui n’arrangeaient pas la situation128. Il semble que Concha ne fut pas un étudiant très assidu et, à l’époque, le
125
The Rockefeller foundation, « Roberto Concha », 2.
126
Edwin Bidwell Wilson (1879-1964). Il a suivi ses études à l'Université de Harvard et en 1899 obtient son diplôme. En 1901, il réussit son doctorat à l'Université de Yale, où il devienne professeur adjoint en mathématiques. En 1907, il a commencé à travailler en M.I.T comme professeur de physique et en 1922 il a devenu professeur de statistique vitale à l’Harvard school of public health, institution où il a travaillé jusqu'a sa retraite en 1945. « Edwin Bidwell Wilson », The MacTutor history of mathematics archive, consulté le 13 janvier 2012, http://www-history.mcs.standrews.ac.uk/Biographies/Wilson_Edwin.html. 127 Harvard School of Public Health, Announcement of the Harvard School of Public Health of Harvard University for 1925-26 (Boston, Mass: Harvard University, 1926), 35‑36. 128
The Rockefeller foundation, « Roberto Concha », 1‑3.
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programme de médecine de la Faculté de Bogota était axé sur la clinique. De sorte que la performance académique médiocre de Concha aux États-Unis était prévisible dès le départ129. Wilson recommanda le transfert immédiat de Concha au département de statistique d’une autre institution et il proposa de l’envoyer à Albany pour y travailler avec le directeur du bureau de statistique du Département de santé de l'État, Joseph V. DePorte130, qui le prendrait comme élève in practical work in statistic131. Le comité des bourses de la FR accepta la proposition de Wilson et Concha passa le premier semestre 1926 sous la tutelle de DePorte à Albany. Pendant l’été à Boston, Concha coopéra avec le docteur George H. Bigelow, commissaire de santé publique de l’État du Massachussetts, dans une enquête sur les liens entre les maladies de la tyroïde et le cancer132. Et il semble que tout se passa bien dans son stage. Pour donner de la continuité à la formation de Concha, la FR renouvela sa bourse de sorte qu’il put continuer son travail à Boston, où il suivit des cours réguliers de statistique vitale. Mais il était impatient de rentrer en Colombie et comptait ne rester aux États-Unis que jusqu'en mars 1927, date de la fin des séminaires. Sa situation familiale (il était marié et avait trois enfants) a précipité son retour en Colombie en décembre 1926133. Si le séjour de Concha aux États-Unis n’a pas été une réussite et ne lui a pas permis d’obtenir des résultats immédiats, il joua de toute façon un rôle important dans sa carrière et dans la prise de conscience de la nécessité de faire évoluer l’organisation de la statistique vitale en Colombie. Les résultats du séjour de Concha ne furent pas interprétés comme un échec par les autorités colombiennes, car à son arrivée en Colombie, il fut nommé directeur du Service de statistique vitale de la DNHAP. Il semble que la priorité de ce service à ce moment-là était de 129
En tout cas, et malgré son court passage par Harvard, Concha apparaisse dans le registre de cette institution comme un de ces étudiants. Harvard School of Public Health, Announcement of the Harvard School of Public Health of Harvard University for 1927-28 (Boston, Mass: Harvard University, 1927), 49. 130 DePorte était diplômé de l'Université de Oklahoma, il a suivi son Master à Princeton et il a obtenu son doctorat à l'Université de Cornell. Pendant sa carrière, il a publié au moins 75 articles élaborés à partir de ses études en statistique vitale. Il a été directeur du bureau de statistique du Département santé de l'Etat d’Albany durant 33 ans, jusqu’à sa démission en 1958. Il est reconnu par ses nombreuses contributions dans le domaine de l’état civil et aux études sur la population. Ses rapports annuels sur l’état civil sont devenus des classiques dans le genre, car son pays, Etats-Unis, a été le premier à présenter des statistiques vitales des villes élaborées sur des données mises en rapport avec les lieux de résidence des habitants. « DePorte leaves statistics post with Health Dept. », Civil service leader, 22 juillet 1958. 131 The Rockefeller foundation, « Roberto Concha », 2. 132 Ibid., 3. Les recherches sur les maladies chroniques vont concentrer l’intention des épidémiologies les décennies suivantes 133 Ibid., 4.
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répondre aux exigences internationales puisque, très rapidement, Concha s’engagea dans la préparation des fiches, formulaires et brochures nécessaires pour le recueil des données et pour le registre des statistiques locales, en concordance avec celles proposées par la VIIe Conférence sanitaire panaméricaine134, organisée à Cuba en novembre 1924, avec la participation de délégués de 18 pays, dont la Colombie135. Quant aux statistiques de morbidité et de mortalité, le code établissait que les nations signataires devaient suivre la Classification internationale des causes de décès et, afin de faciliter la tâche, l’ rganisation sanitaire panaméricaine ( SP, plus tard
PS) s’engageait à
publier régulièrement l’état actualisé de la classification des maladies. Les nations devaient aussi instaurer un système de recueil et de dépouillement des données statistiques démographiques. Pour y arriver, il fallait que les nations accomplissent trois tâches préalables : 1) organiser un bureau central de statistique dirigé par une personne compétente ; 2) créer des bureaux régionaux de statistique, et 3) promulguer une règlementation pour exiger des fonctionnaires de la santé une notification rapide des naissances, des décès et des maladies infectieuses. Puisque l’ SP cherchait l’homogénéisation des données, elle avait la responsabilité de préparer et de publier les formulaires de notification des décès et des maladies infectieuses ; et de même pour toute les autres informations démographiques136. En Colombie, malgré l’accord du délégué d’adopter le Code sanitaire de 1924 lors de la VIIe Conférence sanitaire panaméricaine et malgré l’acceptations officielles des gouvernements des années 1920, l’approbation du Code et ses dérivés par le Congrès de la république a dû attendre jusqu’à la promulgation de la Loi 51 de 1931, pendant la présidence du libéral Enrique Olaya Herrera (1930-1934)137. En 1927, la DNHAP s’occupait de la santé maritime, du contrôle des aliments et des médicaments, de la régulation de la pratique médicale, des laboratoires, de l’hygiène infantile, du contrôle des maladies vénériennes, de la vaccination et des campagnes contre l’ankylostomiase, le pian138 et du contrôle du moustique de la fièvre jaune. Les trois nouvelles sections proposées par son directeur, Pablo García Medina, étaient : une de statistique vitale, 134
Ibid., 5. Le délégué fut Ricardo Gutiérrez Lee, ambassadeur colombien à Cuba 136 Oficina Sanitaria Panamericana, « Código sanitario panamericano », 1924, www.paho.org/spanish/sanitarycode.htm. 137 Hernández Álvarez et al., « La Organización Panamericana de la Salud y el estado colombiano. Cien años de historia 1902-2002. » 138 Le pian est une maladie tropicale qui atteint la peau, les os et les cartilages. Elle est causée par le Tréponème Pallidumune bactérie appartenant au même groupe que le germe responsable de la syphilis vénérienne. Néanmoins, elle se transmet par contact direct (de personne à personne) non vénérien. OMS, « Pian », WHO, consulté le 15 février 2014, http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs316/fr/. 135
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sous la direction de Roberto Concha ; une autre de génie sanitaire, coordonnée par l’ingénieur Vicente Medina139 et une troisième d’épidémiologie, sous la direction du médecin Ignacio Moreno-Pérez. Les deux premiers étaient d’anciens boursiers de la FR et Moreno-Pérez partit cette même année aux États-Unis pour y suivre des études financées par la FR140. Pendant plusieurs mois de l’année 1927 la FR a contribué aux dépenses du Service de statistique vitale de la DNHAP récemment créé 141. Néanmoins, l’absence de documentation d’archive ne permet pas de retracer le fonctionnement de ce service. Avec le peu de données qui nous sont parvenues, on peut entrevoir que la situation du Service était loin d’être parfaite, mais elles montrent aussi que grâce au travail de Concha, l’organisation du système de registres de statistique sanitaire du pays s’est un peu améliorée. En tout cas, les statistiques annuelles des causes de décès selon la nomenclature internationale, que l’on commence à voir publiées dans les annuaires colombiens depuis 1917, continueront à paraître. De la même façon, la production et l’usage de chiffres deviendront plus fréquents dans les travaux des médecins locaux. 6.3.1 Les écoles de soins infirmiers en Colombie et la Fondation Rockefeller L’incidence nord-américaine dans la formation de professionnels de la santé en Colombie fut renforcée par la création, en 1930, de l’Escuela de enfermeras visitadoras (École nationale des infirmières visiteuses ENIV)142. Pendant la décennie précédente, la FR avait soutenu des écoles d’infirmières en Chine, au Japon, en Hongrie, Pologne, Roumanie, Yougoslavie et en France. L’accent de la FR était mis sur l’importance de l’infirmière de santé publique en tant que lien entre la population et les responsables de la santé dans les administrations locales. Selon cette conception, les activités porte-à-porte avaient une grande valeur pratique pour le travail de santé publique. En France, le financement provenant de la FR fut assigné au paiement des salaires des instructeurs des centres d’infirmières de Paris, Lyon et Nancy, et à la formation sur le terrain
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Entre 1926 et 1927, Il a suivi des cours à Harvard Engineering School où il a étudié la purification de l'eau et l'assainissement en milieu rural, les usines de traitement des eaux usées, l'élimination des déchets et, et en général, toutes les questions relatives à l'ingénierie sanitaire et municipale. En 1932, il est nommé directeur de la faculté d’ingénierie de l’Université Nacional de Colombia. The Rockefeller foundation, « Vicente Medina » s. d., RCA, Fellowship Cards, Record Group 10.2. 140 The Rockefeller foundation, « Ignacio Moreno-Pérez » s. d., RCA, Fellowship Cards, Record Group 10.2. 141 The Rockefeller foundation, « The Rockefeller foundation annual report 1927 » (New York, 1927), 130. 142 Miranda, Quevedo V., and Hernánde Alvare , Historia social de la ciencia en Colombia. Medicina (2), VIII : 193.
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des infirmières du centre de santé de l’École de Lyon. En Amérique latine, le seul pays qui recevait des fonds pour la formation aux soins infirmiers était le Brésil143. Si au cours des années 1920 en Colombie, la formation universitaire des sages-femmes et des infirmières avait été établie d’un point de vue juridique, à la Faculté de médecine de Bogota, le programme n’a débuté qu’en 1925. Pour élaborer le plan d’études on s’était inspiré de la médecine française. Le plan complet des cours s’étendait sur deux ans et les candidates devaient suivre cinq cours : anatomie et physiologie, médecine, chirurgie, accouchement, pédiatrie et puériculture. Le but de cette école était la formation du personnel laïc pouvant offrir un service de soins infirmiers satisfaisant dans la capitale du pays, en particulier dans l’HSJD144. Le but de l’ENIV était différent : former des infirmières pour travailler comme personnel adjoint dans les campagnes sanitaires, de bienfaisance et de protection infantile145. Le programme d’études, d’une durée de 18 semaines, se composait d’un total de 140 conférences données par des médecins. Les sujets en étaient : anatomie et physiologie (20 conférences), bactériologie et parasitologie (10), hygiène personnelle et salubrité publique (15), médecine et maladies infectieuses et contagieuses (25), chirurgie et infection (6), obstétrique (19), pédiatrie (20), orthopédie (5), matière médicale (10), dermatologie (4), organes des sens (6)146. Avec le soutien de la FR, deux infirmières nord-américaines, Carolyn Tenny Lad et Jane Luise Cary White, sont venues s’installer à Bogota. Elles devaient participer aux conférences, mais surtout elles devaient assurer l’enseignement pratique par des visites aux hôpitaux et aux dispensaires. Elles ont joué un rôle très important dans la diffusion et l’application des règles de l’hygiène. Elles transmettaient leur savoir-faire aux futures infermières colombiennes qui pratiquaient aussi des visites à domicile pour enseigner aux mères à prendre soin des enfants147. Le soutien du gouvernement colombien à cette nouvelle institution se traduisit par 143
The Rockefeller foundation, « The Rockefeller foundation annual report 1929 » (New York, 1929), 105, 300‑301. 144 En 1937, l’école de sages-femmes et infirmières fut réorganisée : elle est devenue l’Ecole Nationale d’Infirmières, attachée à l’Université Nationale de Colombie. son plan d’études fut modifié. Ana Luisa Velandia, La facultad de enfermería de la Universidad Nacional de Colombia en el siglo XX (Bogotá: Universidad Nacional de Colombia. UNIBIBLOS, 2006). 145 República de Colombia et Gobierno nacional, « Decreto número 429 de 1932 (marzo 9) por el cual se aprueba una resolución del Departamento nacional de higiene », in Compilación de las leyes decretos, acuerdos, y resoluciones vigentes sobre higiene y sanidad en Colombia, vol. II (Bogotá: Imprenta nacional, 1932), 319. 146 Pablo arcía Medina and José M. Montoya, “Plan de conferencias que han de dictarse por médicos en la escuela de enfermeras visitadoras,” in Compilación de las leyes decretos, acuerdos, y resoluciones vigentes sobre higiene y sanidad en Colombia, vol. II, (Bogota: Imprenta nacional, 1932), 246–251. 147 García Medina, Compilación de las leyes, decretos, acuerdos, II: 251.
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un acte administratif et social imposant à toutes les nouvelles infirmières de présenter un diplôme de l’ENIV avant d’être chargées officiellement d’un poste dans les crèches, les dispensaires, les gouttes de lait ou d’autres institutions d’assistance sociale148. L’ENIV était dirigée par le médecin José María Montoya. Les deux premiers professeurs pour les conférences de statistique vitale et démographie de l’ENIV furent deux anciens boursiers de la FR, Enrique Enciso et Roberto Concha. Il n’est pas possible de repérer les effets directs ou indirects des enseignements de ces deux professeurs à l’ENIV, mais les textes des conférences sont particulièrement révélateurs de la logique des discours d’Enciso et Concha. n n’a pas trouvé l’ensemble des textes des conférences de l’ENIV, mais par un heureux hasard ceux d’Enciso y Concha ont été conservés. Le texte des conférences d’Enciso est organisé en sept sections et ne contient pas de références bibliographiques. La première section décrit brièvement l’histoire des maladies infectieuses et donne quelques notions sur les bacilles et les maladies qu’ils génèrent. La deuxième section définit les termes de « statistique », « statistique vitale », « démographie » et « population ». La troisième et la quatrième section exposent l’importance du calcul de la population et de l’élaboration du registre civil, et indiquent la façon d’élaborer les registres de naissance et de calculer le taux de natalité du pays. La cinquième section s’occupe avec plus de détails de la mortalité infantile en examinant les certificats de décès, les causes de la mortalité et la façon de calculer le taux de décès. Dans cette section l’auteur décrit la façon de compiler les données et d’élaborer des graphiques pour présenter les résultats149. La sixième section retrace certaines dates mémorables de l’histoire de la tuberculose, maladie ayant de fortes implications dans la mortalité infantile ; enfin, la septième présente quelques exemples pratiques de calculs de statistique vitale150. Il faut rappeler qu’encore en 1932, en Colombie, l’autorité ecclésiastique était chargée des certificats de naissances et de mariages ; et que, si l’autorité civile était responsable des certificats de décès, la population préférait les certificats émis par les paroisses. De sorte que les efforts d’Enciso pour montrer l’importance de tenir des registres de type civil et de respecter l’obligation des autorités sanitaires d’en faire l’analyse ne sont pas négligeables.
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Ana Luisa Velandia, « La enfermería en Colombia. Análisis sociohistórico », HERE-Historia da o Enfermagem 1, n 2 (2010): 266. 149 Il semble qu’Enciso ait repris cette information du livre de eorge Whipple, puisque on y trouve le même schème pour expliquer la façon de faire de compilations de données. Cf : George Chandler Whipple, Vital statistics; an introduction to the science of demography (New York: John Wiley & sons, inc., 1919), 20–21. 150 Enrique Enciso, « Conferencias de estadística. Escuela de enfermeras visitadoras » (Bogotá, 1932).
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Il est important d’attirer l’attention sur les définitions de « statistique », « statistique vitale » et « démographie » proposées par Enciso. D’après lui, « la statistique est la science qui sert à exprimer, par des chiffres, la corrélation de faits sociologiques. C’est une démonstration numérique de la dépendance des activités entre elles, qui enseigne, graphiquement, la compensation existante entre les causes et l’effet (sic), la nécessité des actions et les résultats de l’effort »151. Cette définition positiviste réaffirme le primat de la science comme instrument de connaissance de la réalité sociale, réalité observable et mesurable, dont l’étude permet la découverte de lois de causalité établissant les relations entre les faits. Cette définition nous renvoie également à l’idée de la statistique comme outil permettant de mettre en évidence, objectivement, un fait social. De la même façon, dans son concept de « statistique vitale », Enciso laisse paraitre à nouveau la foi dans la science et dans la rationalité scientifique comme des remèdes aux problèmes sociaux : « La statistique vitale mesure le développement et la décadence d’un peuple, et révèle les influences qui affectent la vie et les conditions sociales de la population. La compilation de données statistiques indique ce qu’il faut faire, les endroits où certaines méthodes de travail seront nécessaires, et ce que l’on obtient selon les efforts que l’on consent. La statistique vitale établit la nécessité de la salubrité et révèle la présence des dangers »152. Ainsi, et par la compilation, l’organisation, la présentation et l’analyse de l’information quantitative, le gouvernement arrivera à la compréhension de la réalité et à sa transformation. L’adoption de cette définition instrumentaliste de la statistique porte, elle aussi, l’idée de la science comme la seule méthode capable de transformer la réalité et de résoudre les problèmes sociaux. Certainement, le recours aux notions de développement et de décadence est hérité des discussions sur la dégénérescence de la race, qui, au début du XXe siècle, associaient celleci à d’autres « réalités » (entre guillemets, parce qu’on se demande s’il ne s’agit pas plutôt de faits alarmant les esprits) comme la dénatalité, la dépopulation, les « maladies sociales » (tuberculose, syphilis), mais aussi les problèmes sociaux comme l’alcoolisme. Il s’agissait de maux compromettant la vitalité de la nation elle-même, puisque, selon l’opinion courante, la « décadence du peuple » freinait le développement social et économique de l’ensemble du pays. Subséquemment, Enciso définit la démographie comme la « partie de la statistique générale concernant la race, l’occupation et l’habitation des hommes, combinée avec des facteurs influençant les maladies et l’état social (sic) ». Compte tenu de ces définitions, Enciso 151 152
Ibid., 5. Ibid.
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soulignait l’importance de recueillir dans toutes les communautés les données concernant les « phénomènes sociaux (naissances, mariages, maladies, décès) liés aux distinctions démographiques comme l’âge, le genre et l’état matrimonial parmi d’autres ». Il octroyait donc une grande importance au recueil des chiffres de mortalité infantile considérant les conditions de logement, d’alimentation, « d’ignorance », de « légitimité » et de pauvreté153. Enciso insistait aussi sur le fait que les infirmières visiteuses devaient accorder une attention spéciale à l’inscription méthodique et ordonnée des données concernant la santé des enfants, telles que les maladies, les immunisations, et tout ce qui pourrait les préserver et « les rendre aptes à la lutte pour la vie ». Selon Enciso, le recueil des données devait avoir lieu depuis la naissance des enfants jusqu'à leur entrée à l’usine, destination des enfants des pauvres. La pratique privilégiée pour cette compilation était l’inspection des écoles, « car elle était le dernier tamis où l’enfant était sélectionné » en fonction de son degré d’immunité contre les maladies contagieuses et de ses défauts physiques154. Ces idées laissent entrevoir l’influence du darwinisme social dans le discours d’Enciso. Quant au texte des conférences de Concha, on note immédiatement que la liste des sujets abordés contient les mêmes qu’Enciso a déployé à son tour : définition des termes généraux155, estimation de la population, calcul de taux pour 1 000 habitantes (de nuptialité, natalité, mortalité générale et mortalité infantile), et production des certificats de naissance et de décès, ainsi que la liste des erreurs les plus communes dans la recension des données156. Cela permet de supposer que les conférences de statistique vitale à l’ENIV étaient données de façon alternative par l’un et l’autre médecin. Le texte de Concha n’a pas de bibliographie, cependant un examen approfondi (par la méthode de l’analyse des énoncés) des ouvrages étrangers spécialisés dans le sujet, publiés à l’époque, nous a permis d’établir que, pour la préparation de ses conférences, le médecin colombien a repris et traduit certains passages du livre Vital statistics ; an introduction to the science of demography de George Chandler Whipple. Ainsi, quand Concha définit les sujets généraux d’intérêt de la démographie, il inclut la généalogie, l’eugénisme, les recensements, la
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Enciso, « Conferencias de estadística. Escuela de enfermeras visitadoras. » Ibid., 5‑6. 155 Concha inclut les définitions de « démographie », « statistique », « statistique vitale ». Cette dernière est définie comme « la science des nombres appliqués à l’histoire de la vie des communautés et des nations ». Et l’auteur explique ensuite : « L’élargissement de cette définition, on peut l’exprimer comme les enregistrements et la compilation de la population, les mariages, les naissances, les maladies et les décès, dûment préparés pour être utilisés dans l’analyse quantitatif des phénomènes résultants, afin d’enquêter sur les progrès ou l’échec des activités de la santé. » Roberto Concha, « Conferencias de estadística vital. Escuela de enfermeras visitadoras » (Bogotá, 1932), 2. 156 Concha, « Conferencias de estadística vital. Escuela de enfermeras visitadoras. » 154
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« statistique vitale », la « biométrie » et la « pathométrie », tous présentés par Whipple dans son livre157. Le recours à cet ouvrage n’a rien d’arbitraire. George Chandler Whipple (1866-1924) avait dédié une grande partie de sa vie à l’étude de l’ingénierie sanitaire, particulièrement aux études biologiques et chimiques de l’eau potable, et il a travaillé quelques années dans le laboratoire municipal de Brooklyn-New York. Il n’a pas été un spécialiste de la statistique vitale mais, en 1911, il a commencé sa carrière de professeur d’ingénierie sanitaire à Harvard University et, avec Joseph Milton Rosenau et William T. Sedgwick, participé à la création de la Harvard-Technology School of Public Health (École de Harvard-MIT). En 1922, Whipple donna des cours dans le cadre du programme de l’École de santé publique récemment créée à l’Université de Harvard. Au cours de sa vie, Whipple publia quelques ouvrages qui témoignent de ses intérêts pour l’ingénierie sanitaire et la santé publique. Voici quelques titres que nous traduisons librement en français : « La valeur de l’eau pure » (1907), « La fièvre typhoïde » (1908), « La biologie de l’eau douce » (1918)158. L’ouvrage de Whipple utilisé par Concha est Vital statistics (1919). Dans cet ouvrage, destiné aux étudiants de santé publique de Harvard, l’auteur décrit la façon d’exprimer les « faits vitaux » par des chiffres, la méthode de calcul des taux de natalité et de mortalité, la façon d’exprimer les résultats par des diagrammes. Mais il donne aussi des arguments en faveur de ce type d’analyses159. Tous ces sujets furent repris par Concha dans ses conférences. En plus, les deux auteurs partagèrent la même préoccupation du statut épistémologique de la démographie et de la statistique 160. Ce processus de transfert, traduction et appropriation de l’information scientifique et technique nous informe partiellement sur les voies de circulation, en Colombie, des connaissances en statistique vitale produites et publiées aux États-Unis. Pourtant il s’agit, pour nous, d’une opportunité inouïe d’examiner l’appropriation de connaissances par un chercheur colombien et, en plus, il faut considérer ce cas d’après son caractère exemplaire car, même si la trajectoire de ces connaissances est tout à fait prévisible – un étudiant colombien qui a fait des études aux États-Unis, qui rentre en Colombie et y 157
“Vital statistics is the application of the statistical method to the study of these vital facts”. Whipple, Vital Statistics; an Introduction to the Science of Demography, 2. 158 A. E. Kennelly, “ eorge Chandler Whipple (1866-1924),” Proceedings of the American Academy of Arts and Sciences 60, no. 14 (December 1, 1925): 654–657. 159 Whipple, Vital Statistics; an Introduction to the Science of Demography. 160 « For many years there has been a discussion as to whether "statistics" should be regarded as a distinct science, ranking with physics, chemistry and biology or merely as a method. [Harold] Westergaard expresses the truest conception when he says that "it is an auxiliary science in many branches of human thought ». George Chandler Whipple, Vital Statistics: An Introduction to the Science of Demography (John Wiley, 1923), 6‑7; Concha, « Conferencias de estadística vital. Escuela de enfermeras visitadoras », 2‑3.
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reproduit des connaissances apprises là-bas –, en raison des lacunes de la documentation d’archives contre lesquelles nous butons souvent dans cette recherche, il faut remarquer que ce n’est pas toujours aisé de la retracer, c’est pourquoi nous la mettons en exergue. Il faut toutefois souligner qu’une des remarques de Concha dans ses conférences était liée au statut de la statistique comme science autonome ou comme méthode. Un enjeu de philosophie de la science qu’il règle de façon rapide en concluant qu’elle est une « science auxiliaire » utile à tous les domaines de l’expérience humaine161. Cette réflexion est une preuve supplémentaire de l’emprise du texte de Whipple (1919) sur ses conférences. Cette réflexion épistémologique de Concha est en effet elle aussi empruntée au chercheur nordaméricain : It is obvious that statistics do not in themselves establish these causal relations. The laws of logic are the primary laws, and the rules of statistics must be subsidiary to them. [Harold] Westergaard, the celebrated Danish statistician, has recently said (Jour. Am. Stat. Asso., Sept. 1916, p. 259), "that the task of the statistician is not so much to find the causality himself as to help others to find it. The statistician must be content if he can show that certain groups of numbers have marked differences, leaving it to physiology, meteorology and other sciences to explain these differences”162. Pour sa part Concha distinguait schématiquement l’application de la statistique aux sciences naturelles de son application aux sciences sociales. Quant à la première, selon lui, la statistique est cruciale dans les étapes exploratoires de la recherche permettant d’établir, dans la plupart des cas, la relation cause-effet pour, subséquemment, déduire les régularités et dévoiler « les lois cachées ». Il explique par ailleurs que la statistique orientée vers le calcul de probabilités est l’objet de plusieurs applications dans les sciences naturelles, alors que dans les sciences sociales ces applications sont très modestes. En outre, il note que dans les sciences naturelles la communauté scientifique est chargée du recueil des données, tandis que dans les sciences sociales c’est l’État le responsable. Nous devons remarquer que, quoiqu’il ne s’agisse pas d’idées novatrices ni révolutionnaires pour l’époque, dans le contexte historique colombien (dans le sens diachronique et synchronique) cette conception est un indice très significatif du type d’information circulant dans les milieux des spécialistes, ainsi que des modes de circulation. Reprendre la pensée de Whipple et de ses interlocuteurs, même sans les citer, nous renseigne sur le degré d’appropriation de cette discussion, en l’occurrence, dans l’appareil sanitaire d’une jeune nation.
161 162
Concha, « Conferencias de estadística vital. Escuela de enfermeras visitadoras », 2‑3. Whipple, Vital Statistics; an Introduction to the Science of Demography, 404.
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Quant aux statistiques des naissances, Concha reprit des idées proposées par Milton Rosenau dans Preventive medicine and hygiene163, où l’auteur se montrait moins d’accord avec une augmentation des nouveaux-nés et plus pour une « éthique moderne » militant en faveur d’une population composée d’individus intelligents et physiquement sains, indemnes de maladies, bien logés, bien nourris et bien habillés, qui jouiront du bien-être physique et mental164. On ne dispose pas de documents pour suivre la réception et l’application pratique des notions de statistique vitale abordées dans l’instruction de soins infirmiers déployée à l’ENIV. En tout cas, l’ENIV a fonctionné pendant 7 années et elle a diplômé environ quatre-vingts infirmières, qui ont travaillé à leur tour dans les campagnes sanitaires et les services d’assistance sociale des différentes localités de Colombie165. Cela témoigne d’une incorporation lente mais constante du modèle hygiéniste nord-américain dans la formation des professionnels de santé en Colombie. On ne discutera pas dans ce chapitre la mise en œuvre des nouvelles écoles d’infirmières ni le rôle de la FR et du gouvernement nord-américain dans la professionnalisation des soins infirmiers en Colombie. Cela exigerait une analyse approfondie qui échappe au cadre de cette recherche. n se limitera ici à souligner l’hégémonie, pour la fin des années 1930, du modèle nord-américain166 dans les deux principales écoles de soins infirmiers du pays : l’École de l’Universidad Nacional (UN) et l’École d’infirmières de la Croix Rouge (EICR). Ainsi, l’enseignement à l’EICR suivait le curriculum des Écoles des États-Unis avec trois années d’études théoriques et pratiques. Également, l’école de l’UN, guidée par les tendances en santé publique nord-américaines, dispensait la dernière année certains cours qui étaient de vraies nouveautés dans les curricula de l’époque, tels que l’administration des hôpitaux, la statistique, la physiothérapie spéciale, mais aussi des activités liées à la protection de l’enfance167. Grâce au financement de la FR et du Service coopératif Interaméricain de Santé Publique (SCISP), l’Escuela nacional de enfermeras (École Nationale d’Infirmières ENI) fut ouverte en marche en 1943. L’infirmière canadienne Helen Howitt168 et l’infirmière de santé 163
Milton Joseph Rosenau et al., Preventive medicine and hygiene, 4 ed. (New York and London: D. Appleton, 1921). Le chapitre “Sewage and garbage” de cet ouvrage fut écrit par eorge C. Whipple. 164 Concha, « Conferencias de estadística vital. Escuela de enfermeras visitadoras », 7. 165 Jorge Bejarano, “Historia y desarrollo de la enfermería en Colombia,” Revista de la facultad de Medicina 17, no. 1 (1948): 1077. 166 Ce modèle fusionnait les formations hospitalière et sanitaire. 167 Velandia, « La enfermería en Colombia. Análisis sociohistórico », 267. 168 De 1933 à 1938 H. Howitt dirigea l’Ecole d’infirmières de l’Hôpital Santo Tomás de Panama. Il ne faut pas oublier que l’École de Panama fut un épicentre d’enseignement, où des femmes des différentes
326
américaine Johanna Schwarte furent envoyées en Colombie, par le SCISP, comme conseillères des programmes d’assistance sociale du Ministère de Travail, de la Santé et de la Prévision Sociale. Toutes les deux travaillèrent au projet et à l’inauguration de l’ENI, dont le plan d’études suivait l’orientation donnée, en 1937, par la Ligue nationale des soins infirmiers des États-Unis. Dans les années 1950, l’école avait déjà diplômé 76 étudiantes et, parmi elles, onze ont suivi des études de troisième cycle dans des institutions nord-américaines et sont retournées en Colombie pour travailler à l’ENI comme enseignantes169. 6.3.2 Roberto Concha et la diffusion du modèle hygiéniste nord-américain Pour mieux comprendre le développement de la statistique vitale en Colombie et étant donné la disparition des archives du Service de statistique vitale de la DNHAP, nous avons fait un inventaire exhaustif des principales revues médicales colombiennes de l’époque afin de repérer les articles publiés par Roberto Concha. Comme nous le verrons, Concha s’employa à faire circuler par les tribunes médicales des notes sur le recueil et l’analyse des statistiques vitales et sanitaires du pays, en même temps qu'il publia des études statistiques sur la distribution du corps médical dans le territoire colombien et sur la mortalité et la morbidité dans les services de santé de la capitale du pays. La plupart des articles de Concha furent publiés dans la Revista de Higiene, organe du Departamento nacional de higiene (Département national d’hygiène DepNH). Sa participation lui permit d’acquérir une certaine visibilité dans le milieu académique colombien. Cette revue a été créée en 1888 et elle fut publiée plus ou moins régulièrement jusqu'en 1924, année où elle cessa de paraître à cause de problèmes financiers. Mais sa publication fut reprise en 1932. Le début des années 1930 a été favorable aux activités liées à la santé publique en Colombie et cela coïncida avec la fin de l’hégémonie des gouvernements conservateurs. Mais il semble qu’il ne s’agissait pas seulement d’une coïncidence. En août 1930, un président libéral arriva après trois décennies d’absence de ce parti à la tête du pays. Enrique Olaya Herrera proposa d’incorporer dans son projet de gouvernement certaines demandes populaires. Un processus de transformation fut déclenché et la DNHAP devint le DepNH 170. Enrique Enciso,
pays d’Amérique Latine suivaient des cours de soins infirmières financées par la FR, dans le cadre d’un programme cherchant à unifier ce type d’instruction pour le continente. Ana Luisa Velandia, « Helen o Howitt: una semilla canadiense en la enfermería latinoamericana », Avances en enfermería 27, n 1 (2009): 99‑100. 169 Velandia, « Helen Howitt: una semilla canadiense en la enfermería latinoamericana. » 170 En 1929, en raison de la forte centralisation de la Direction de l'Hygiène et des nouveaux problèmes de santé de Pablo Garcia Medina, son directeur depuis 1914, des fonctionnaires de la FR montrèrent leur inquiétude à propos du futur directeur. George Bevier, « Letter to H. H. Howard, Associated director, I.H.D Rockefeller Foundation. Letter 79 », 30 mai 1928, RCA, General Correspondence Series
327
ex-boursier de la FR, fut nommé à la tête de ce département et avec lui le travail officiel sur l’hygiène prit un nouveau souffle ; même la publication spécialisée, Revista de Higiene, sortit à nouveau. La revue, éditée mensuellement, était un espace privilégié pour la publication d’études et de notes relatives à l’hygiène et à la santé publique, comme pour les ordonnances du DepNH. Au retour de la revue, en 1932, Roberto Concha apparaît comme son administrateur, et à partir de 1939 il en assure la direction jusqu’à sa mort, en 1941, à l’âge de 46 ans. En 1939 il laissa son poste de responsable de statistique sanitaire et devint chef de l’éducation et de la propagande, toujours au DepNH171. Le premier des articles de Concha, a été publié en 1932 en deux parties, sous le titre « Notes sur la statistique vitale ». Là il exposa pratiquement les mêmes sujets que dans ses conférences. Pourtant il y inclut des informations plus détaillées et présentées dans un langage plus technique172. L’unique référence bibliographique que l’on y trouve est celle de Milton Rosenau, dont il tira des idées néo-malthusiennes et des arguments sur l’utilisation de la statistique comme outil de vérification scientifique173. On peut constater une autre tentative de Concha de divulguer le modèle hygiéniste américain à travers la traduction et la publication, pour la Revista de higiene, d’un texte de Rosenau consacré à la formation des étudiants de médecine aux inspections sanitaires. D’après l’auteur, l’enseignement de la médecine devait s’occuper de la santé et de sa conservation aussi bien que de la maladie et de son traitement. Puisque l’intérêt des étudiants de médecine se concentrait sur le diagnostic et le traitement, ils se montraient souvent réticents envers l’épidémiologie et la prévention, il était donc nécessaire de faire passer chez eux l’idée selon laquelle ils avaient un double devoir à accomplir : d’abord envers le malade et ensuite face à la communauté. Selon Rosenau, il est très important de faire l’inspection de l’hygiène des villages comme d’élaborer des rapports périodiques de cette inspection. Parmi les atouts de ces pratiques il dénombre : l’appréciation directe des conditions d’hygiène des villages ; l’amélioration dans la compréhension des buts de la statistique vitale ; l’appréhension de l’importance des campagnes médicales et sanitaires ; le perfectionnement des relations entre
2, 1928 Box 8, Folder 63. En 1931, plusieurs changements eurent lieu et le candidat choisi fut Enrique Enciso. 171 Cf.: Numéros publiés entre 1932-1941 de la Revista de higiene, et Noel Ramírez, « Doctor Roberto o Concha », Revista de higiene 22, n 5‑12 (1942): s.d. 172 Roberto Concha, “Apuntes sobre estadística vital,” Revista de higiene 13, no. 1 (1932): 6–13; Roberto Concha, “Apuntes sobre estadística vital,” Revista de higiene 13, no. 2 (1932): 37–45. 173 Miranda, Quevedo V., y Hernánde Alvare , Historia social de la ciencia en Colombia. Medicina (2), VIII: 204-205.
328
la profession médicale et le département de l’hygiène. Tous ces éléments furent considérés par lui comme essentiels dans l’éducation médicale174. Dans une note éditoriale de 1933 de la Revista de higiene, la statistique vitale est comparée à une sorte de thermomètre qui montre les changements de la population. Son analyse permettrait la démarcation du chemin à suivre dans l’organisation sanitaire. Dans ce même texte, les responsables de la revue informaient de leur décision d’augmenter le nombre et l’ampleur des statistiques à publier, et ils exhortaient les agents du service d’hygiène à se montrer plus attentifs au recueil des données dans leurs services respectifs175. Si, en effet, le nombre des travaux contenant des statistiques médicales et sanitaires, publiés dans la revue, augmenta un peu après 1933, nous n’y remarquons pas une véritable concentration de statistiques du pays ni un débat sur le sujet. Ce difficile redémarrage de la statistique sanitaire dans la revue est peut-être un autre signe des difficultés que rencontraient les services locaux d’hygiène pour accomplir les multiples tâches assignées par le gouvernement central — dont celle de la statistique— avec des budgets toujours restreints. Il semble que, de 1934 à 1936, Concha ne publia aucun article. Mais en 1937 paraît « Notes pour une étude de la sociologie médicale colombienne »176. L’article contient trois épigraphes de deux auteurs britanniques du XIXe siècle : Herbert Spencer177 et Lord Beaconsfield178. Quoique qu’elles ne soient pas commentées dans le texte, ces épigraphes expriment clairement les conditions envisagées par Concha comme nécessaires pour la réussite d’une nation. C'est-à-dire, des individus sains et forts et un État soutenant la santé publique. D’autre part, son intérêt pour une sociologie médicale est hérité des préceptes de la médecine préventive qu’il avait appris lors de son séjour aux États-Unis, mais aussi des efforts institutionnels que faisait l’ PS pour mettre en place son modèle hygiéniste dans les nations liées à cet organisme international. On voit même « un credo » rédigé par un Health officer du service international, publié dans la revue de l’ PS et réédité par un bulletin médical colombien : 174
L’article décrit en détail la façon de faire l’inspection sanitaire d’un village et les avantages pour l’éducation des médecins d’en faire un exercice comme celui-là. Milton J. Rosenau, «La inspección o sanitaria como medio de instrucción en las escuelas de medicina», Revista de higiene 15, n. 10 (1934). 175 Roberto Concha, “Estadística vital (editorial),” Revista de higiene 14, no. 2 (1933): 37–38. 176 Roberto Concha, “Apuntes para un estudio sobre la sociología médica colombiana,” Revista de Higiene 18, no. 8 (1937): 11–14. 177 « Être un bon spécimen humain est la première condition pour réussir dans la vie, être une nation de bons spécimens est la première condition de la prospérité nationale ». Concha, “Apuntes para un estudio sobre la sociología médica colombiana”, 11 178 « La santé publique est le fondement sur lequel reposent le bonheur du peuple et la puissance d'un pays ». Concha, “Apuntes para un estudio sobre la sociología médica colombiana”, 11
329
Que la pathologie sociale, la douleur, les symptômes et les maladies qui la composent peuvent être aussi mortels pour une nation que la peste noire, et que le corps médical porte la responsabilité principale de corriger cette situation ; que les connaissances d’un médecin sont un bien social, dont l’ultime objectif doit également être social ; que, du point de vue de la société, la médecine préventive est moins chère, plus facile et plus efficace que les soins curatifs ; que, dans une démocratie, l’éducation sanitaire est une nécessité nationale, universelle et permanente, et elle ne doit pas être considérée comme un produit de luxe réservé à quelques privilégiés179. Cet article de Concha est différent de ses articles précédents dont le caractère est plus théorique. Dans ce dernier, on trouve des données statistiques locales. Concha s’interrogeait sur la façon dont était distribué le corps médical sur le territoire national et si cette distribution était équitable. Il est difficile d’établir la procédure de recueil des données pour établir le nombre de médecins exerçant dans chaque municipalité. Il est probable qu’un petit questionnaire sur le sujet fut envoyé aux maires. Pourtant, le plus remarquable dans cette enquête, c’est qu’elle montre les efforts de Concha pour organiser et présenter ce type d’information à la communauté médicale et au gouvernement de Colombie. Quoiqu’à l’époque il y avait encore des personnes sans titre universitaire autorisées à pratiquer la médecine, Concha précise que, pour son étude, il ne les a pas considérés. Dans son tableau, le nombre de médecins est présenté par départements et il fait la différence entre ceux installés dans les villes capitales et ceux exerçant dans d’autres municipalités, voire dans des zones reculées (Tableau 52). Cela lui permet de mettre en évidence, avec des calculs très simples, l’absence de médecins dans les ones rurales. Si l’on tient compte que, depuis 1912, les annuaires statistiques nationaux publiaient les chiffres de la population par départements et par municipalités, il est notable que Concha ne calcule la densité médicale qu’au niveau national : un médecin pour 5 731 habitants. Cet indice était très utilisé à l’époque, au niveau international, et son calcul par départements aurait apporté un panorama nettement plus significatif de l’accès aux services médicaux que les pourcentages de municipalités avec ou sans médecins (Tableau 53). De toute façon, la conclusion de Concha est accablante : une grande partie des municipalités du pays n’avaient pas de médecins et celles qui en avaient étaient surtout les villes capitales des départements. En outre, si, comme il le soulignait, 70% de la population colombienne habitait les zones rurales, la situation médicale en Colombie était très décevante. Selon les données des tableaux élaborés par Concha, les départements d’Antioquia et de Caldas montraient une relative parité entre la distribution des médecins dans leurs villes capitales et dans leurs zones rurales ; et le département de Tolima était un bon modèle à 179
o
Health officer OPS, « El credo del sociólogo médico », Boletín clínico III, n 32 (1937): 444‑45.
330
suivre, puisque la plupart des municipalités comptaient au moins un médecin. Cette situation spéciale était le résultat de la conformation des commissions sanitaires municipales et de la coordination de leurs travaux avec les autorités départementales d’hygiène180.
DIVISION TERRITORIAL
Num. de municipalités
Tableau 52. Distribution du corps médical dans le territoire colombien en 1937
Antioquia
99
61
61,62
38
38,38
154
52,20
Atlántico
20
4
20,00
16
80,00
60
Bolívar
57
26
45,60
31
54,40
Boyacá
124
19
15,32
105
Caldas
42
35
83,30
7
Cauca
33
5
15,15
Cundinamarca
111
26
Huila
31
Magdalena
32
Nariño N. de Santander
%
TOTAL
Dans le reste Exerçant dans du Avec médecin Sans médecin les capitales département 141
47,80
295
85,71
10
14,29
70
54
44,26
68
55,74
122
84,68
26
34,66
49
65,34
75
16,70
30
23,08
100
76,92
130
28
84,85
14
77,78
4
22,22
18
23,40
85
76,60
308
79,18
81
20,82
389
7
22,60
24
77,40
12
57,14
9
42,86
21
22
68,70
10
31,30
14
31,11
31
68,89
45
49
8
16,30
41
83,70
23
54,76
19
45,24
42
33
10
30,40
23
69,60
21
53,85
18
46,15
39
Santander
73
15
20,50
58
79,50
26
36,10
46
63,90
72
Tolima
39
20
51,30
19
48,70
10
19,61
41
80,39
51
Valle
36
14
38,89
22
61,11
58
48,74
61
51,26
119
Amazonas*
1
1
…
…
…
1
…
…
…
1
Arauca*
3
…
…
3
…
…
…
…
6
Caquetá*
1
1
…
…
…
1
…
…
…
Chocó
13
6
46,10
7
53,90
6
46,15
7
53,85
Meta*
4
3
75,00
1
25,00
4
…
2
…
6
Putumayo* San Andrés y Providencia*.
2
1
…
1
…
1
…
…
…
1
2
1
…
1
…
1
…
…
…
1
Vichada*
1
1
…
…
…
1
…
…
…
1
%
%
%
1 13
TOTAL 806 286 35,48 520 64,52 825 54,56 687 45,44 1 512 *Des régions très selvatiques et d’une faible densité de population SOURCE: Roberto Concha, “Apuntes para un estudio sobre la sociología médica colombiana,” Revista de Higiene 18, no. 8 (1937): 14
180
Concha, «Apuntes para un estudio sobre la sociología médica colombiana», 12
331
Antioquia Atlántico
Population 1936
Densité médicale
DIVISION TERRITORIAL
Nom de médecins
Tableau 53. Densité médicale dans le territoire colombien en 1937
295
1 .183.522
4 012
70
244 087
3 487
Bolívar
122
664 187
5 444
Boyacá
75
956 503
12 753
Caldas
130
732 603
5 635
Cauca Cundinamarca
18 389
346 297 1 283 645
19 239 3 300
Huila
21
242 737
11 559
Magdalena
45
343 595
7 635
Nariño N. de Santander
42 39
426 193 350 296
10 147 8 982
Santander
72
657 685
9 135
Tolima
51
504 724
9 897
119
492 028
4 135
Amazonas
1
2 241
2 241
Arauca
6
13 378
2 230
Caquetá
1
18 246
18 246
Chocó
13
95 360
7 335
Meta
6
22 118
3 686
Putumayo
1
19 378
19 378
San Andrés y Prov.
1
6 656
6 656
Vichada
1
12 121 8 617 600
12 121
Valle
TOTAL
1 512
Vaupés*
10 247
Guajira*
37 153
5 699
TOTAL 1 512 8 665 000 5 731 NOTE :*Populations qui n’ont pas été considérées par Concha dans son étude de la distribution de médecins, peut-être par absence de médecins ou par manque d’informations. SOURCES: Roberto Concha, “Apuntes para un estudio sobre la sociología médica colombiana,” Revista de Higiene 18, no. 8 (1937): 14. República de Colombia y Departamento de la contraloría, Anuario general de estadística 1936 (Bogotá: Imprenta Nacional, 1937): 60.
Il n’est pas difficile d’expliquer la distribution des médecins dans le territoire colombien pendant les années 1930. Cundinamarca, Antioquia et Bolivar, les départements plus aisés économiquement et avec des capitales disposant de facultés de médecine (Bogota, Medellín, Cartagena) étaient des régions favorables à l’exercice de la médecine universitaire, puisqu’elles avaient quelques municipalités avec une clientèle en mesure de s’offrir les services d’un médecin privé. Également, les départements de Caldas et Valle, avec des activités agricoles prospères dont les principaux produits étaient le café et la canne à sucre, avaient des petites bourgeoisies de propriétaires et commerçants qui pouvaient constituer un marché médical pour des médecins formés ailleurs. En plus, dans les ports maritimes de Cartagena 332
(Bolivar), Buenaventura (Valle) et Barranquilla (Atlántico), le trafic des marchandises et partant la circulation des personnes et de l’argent attiraient les professions libérales. En Colombie, dans les années 1930, les communications par route et chemins de fer étaient très précaires. Les populations les plus éloignées des centres économiques et les communautés placées dans des territoires plus ou moins sauvages avaient un accès restreint ou même nul aux médecins diplômés. Pour se faire soigner, une grande partie de la population dépendait de la médecine traditionnelle et de la médecine populaire. En plus, bien que le débat sur l’exercice légal de la médecine en régime républicain commence à la fin du XIXe siècle, le processus de réglementation fut lent, l’application des normes inégale et souvent limitée aux centres urbains181. Pour conclure son article sur la distribution des médecins diplômés, Concha reprit le sujet de la médecine préventive. D’après lui, la prévention des maladies était le champ le plus significatif de la médecine. En outre, la médecine était un apostolat et les médecins prêts à travailler pour les communautés les plus démunies obtiendraient plus de reconnaissance. Ainsi, il lança un appel à ses collègues en les exhortant à réfléchir sur la situation du pays et à travailler « pour la patrie ». Concha était convaincu que les conditions de vie des colombiens pourraient s’améliorer. Au moment de la publication de l’article, la Fédération colombienne de médecine venait de se constituer et un nouveau projet de loi fut proposé pour installer, dans toutes les municipalités, un Service d’hygiène et d’assistance publique182. Il semble que cet article de Concha ait généré plusieurs commentaires, voire même une controverse. Malheureusement, nous n’avons pas trouvé les documents pour la reconstruire. Juste quelques commentaires de Concha parus dans un autre article en 1938 permettent d'entrevoir les inquiétudes des membres du Comité du Colegio médico de Cundinamarca (Collège médical de Cundinamarca) concernant les propositions d’immigration de médecins afin de remplir le vide de professionnels183. Certainement, un sujet qui était devenu hautement sensible à cause de la lutte contre l’exercice illégal de la médecine menée par les médecins organisés en corporations professionnelles et par l’État. Chez les corporations médicales, il y avait une forte opposition à la pratique de la médecine par des diplômés étrangers. De côté de l’État, la loi pour la régulation de la profession s’était endurcie depuis 1929. À l’origine du débat, se situent 181
Pour en savoir plus sur l’exercice de la médecine et le charlatanisme en Colombie voir: Jorge Márquez Valderrama, Víctor Manuel García, et Piedad Del Valle, « La profesión médica y el charlatanismo en o Colombia en el cambio del siglo XIX al XX », Quipu 14, n 3 (2012): 331‑62. 182 Concha, “Apuntes para un estudio sobre la sociología médica colombiana,” 12–13. 183 Roberto Concha, “Distribución del cuerpo médico. Ense an as de la exposición de higiene,” Revista de higiene 19, no. 12 (1938): 16–17.
333
quelques médecins locaux, conduits par un sentiment nationaliste, considérant que les médecins étrangers privilégiaient leurs intérêts financiers sur l'éthique médicale. Cela engendrait une concurrence déloyale pour les médecins colombiens, obligés de fournir des soins médicaux gratuits aux plus démunis. Selon eux, ils se chargeaient d’une partie des responsabilités économiques de l'État alors que l’État accordait l’exercice de la médecine à des étrangers184. Il se peut aussi que la controverse ait eu lieu, parce que les statistiques de l’article remarquaient que les médecins préféraient s’établir dans les départements aux meilleures conditions matérielles d'existence, ce qui minait l’image de la profession médicale comme un apostolat dépourvu de tout intérêt individuel. En tout cas, d’après Concha et la commission médicale de Cundinamarca, la principale raison de la distribution irrégulière des médecins était liée non seulement aux conditions de total abandon administratif de plusieurs municipalités, mais aussi au mauvais usage que les administrations locales faisaient du petit budget de l’hygiène. La plupart des municipalités du pays (705/779) avaient un budget inférieur à 50 000 pesos, donc elles disposaient de ressources dérisoires ou nulles pour l’hygiène, et dans quelques cas celles-ci étaient dépensées pour d’autres activités185. Sans ignorer ces graves problèmes budgétaires, Concha s’opposait à l’idée d’installer des médecins dans toutes les municipalités possibles, comme le suggérait une proposition du moment. Pour lui, il fallait établir dans toutes les municipalités une assignation budgétaire obligatoire et intransférable pour garantir un seuil minimum d’activités de santé publique, et faire fonctionner réellement les Commissions sanitaires existantes. L’idée de nommer des médecins officiels partout allait, selon Concha, à l’encontre d’une autre proposition visant à intégrer dans un même service les soins médicaux et l’assistance sociale préventive : « l’Unité sanitaire ». En Colombie, la première Unité Sanitaire et d’hygiène intégrant des services de santé curatifs et préventifs fut créée en 1934. Il faut rappeler que ce type d’organisation incorporant les services de santé et l’assistance sociale préventive dans une seule institution a eu son origine aux États-Unis et que le modèle fut promu par l’Organisation sanitaire panaméricaine
184
República de Colombia, « Ley 35 de 1929 (noviembre 22) por la cual se reglamenta el ejercicio de la profesión de medicina en Colombia », Diario oficial, 28 novembre 1929; Alfonso Orozco, « Actividades profesionales. II Del Comité nacional de la Federación médica Colombiana sobre los médicos o extranjeros », Boletín clínico IV, n 40 (1938): 169‑172. 185 Le nombre total de municipalités n’a pas considéré les populations en dehors de départements, soit celles des Comisarias et Intendencias Concha, “Distribución del cuerpo médico. Enseñanzas de la exposición de higiene,” 17–19.
334
(OSP) et la FR186. D’où la défense de ce modèle par Concha. D’après son argumentation, ces unités ne fonctionneraient pas dans tous les départements, mais elles mobiliseraient davantage de ressources matérielles et humaines. En outre, elles seraient plus efficaces, du point de vue de l’hygiène, par rapport à ce qu’un seul médecin pourrait faire pour une communauté privée de toute structure de veille sanitaire. Pour Concha, un médecin ayant comme seule arme ses connaissances ne pouvait rien faire en matière d’’hygiène, car il accomplissait seulement la fonction thérapeutique, sacrifiant les effets bénéfiques des agents de santé et de la médecine préventive187. Pour Concha, la priorité des autorités de santé devait être l’application du modèle de la médecine préventive qu’il avait appris aux États-Unis, et dans lequel la statistique vitale et sanitaire servait comme outil d’évaluation quantitative de la mise en place des programmes d’hygiène. Dans un pays comme la Colombie où les ressources économiques consacrées à l´hygiène étaient aussi limitées, les propositions pour favoriser un programme au détriment d’un autre généraient des discussions très vives Pour défendre sa position, Concha recourut à son principal instrument de travail, les chiffres. Pour démontrer l’ampleur des actions des unités sanitaires et l’état sanitaire du pays de 1933 à 1937, il présenta des graphiques sur le nombre de latrines construites et les chiffres de personnes bénéficiaires de la campagne antiparasitaire (Graphiques 14 a et b)188. À ce moment, la campagne avait déjà élargi ses interventions et luttait aussi contre d’autres parasites intestinaux différents de l’ankylostome. Les chiffres donnés par Concha correspondent aux années de transition pendant lesquelles la FR arrêta le financement de la lutte contre l’ankylostomiase et le gouvernement colombien prit toute la responsabilité financière de la campagne. Ainsi, on y voit pour certaines régions une réduction des activités quantifiées durant la période 1933-1935, suivie d’une augmentation notable pour les années 1936 et 1937. En tout cas, en soulignant le nombre de patients qu’un seul médecin pouvait soigner, les chiffres de Concha servaient d’argument en faveur des Unités sanitaires et d’hygiène. En plus, Concha prévoyait une augmentation progressive du nombre de bénéficiaires des activités d’hygiène et partant une amélioration graduelle de la santé publique de la population du pays. S’il tentait une corrélation entre l’action publique et cette activité, il est clair que les chiffres relevés (nombre de traitements, nombre de conférences données, nombre de prospectus distribués, nombre de latrines) n’étaient pas des paramètres pertinents pour évaluer l’efficacité de la campagne ni 186
Hernánde Alvare et al., “La rgani ación Panamericana de la Salud y el estado colombiano. Cien años de historia 1902-2002.” 187 Concha, “Distribución del cuerpo médico. Ense an as de la exposición de higiene,” 18–19. 188 Ibid., 17‑18.
335
des indicateurs de diminution de l’incidence de la maladie dans la population. Mais la quantification de ces activités était une pratique imposée par la FR depuis le début de la campagne contre l’ankylostomiase et les chiffres furent utilisés par ce commanditaire et par les autorités locales comme emblème du succès. Graphique 14. Activités de la campagne antiparasitaire en Colombie de 1933 à 1937 a.
NOTE : Graphique 1. Nombre de conférences publiques réalisées ; Graphique 2. Nombre de participants aux conférences ; Graphique 3. Nombre des brochures d’hygiène.
b.
NOTE : Graphique 1. Nombre de lettrines construites ; Graphique 2. Nombre de personnes examinées pour le parasitisme intestinal ; Graphique 3. Nombre de traitements administrés contre le parasitisme intestinal. SOURCE : Roberto Concha, «Distribución del cuerpo médico. Enseñanzas de la exposición de higiene», Revista de higiene 19, n° 12 (1938): 17-18.
Au cours de l’année 1938, Concha publia d’autres articles sur la statistique vitale et sanitaire, toujours en cohérence avec ses projets et desseins. Cette année, trois événements plaçant l’hygiène au centre des débats nationaux eurent lieu : la première conférence des 336
directeurs départementaux de l’hygiène ; la réalisation à Bogota de la Xe Conférence sanitaire panaméricaine ; et la nouvelle restructuration de l’administration de l’hygiène du pays, ce qui entraîna la création du Ministère du Travail, de l’Hygiène et de la Prévision sociale189. Par ailleurs, fin 1935, par une réforme de l’organisation des statistiques nationales, le gouvernement tenta à nouveau de centraliser les statistiques à la Contraloría, division responsable de la comptabilité officielle, qui rassemblait les administrations nationales des diverses sections du Trésor public. Ainsi, de nouvelles dispositions sur l’organisation des bureaux de statistique départementaux furent proposées, et ces bureaux furent centralisés sous l’égide de la Contraloría, dans la section « Dirección nacional de estadística » (Direction nationale de statistique, DNS) tout récemment créée. Les sections de statistique déjà existantes dans certains ministères et celle du DepNH furent incorporées à la DNS190. À la suite de ce processus, nous repérons l’apparition de nouveaux actes administratifs concernant la production des statistiques nosographiques, de mortinatalité et de morbidité191. En réponse aux nouvelles normes, et pour attirer l’attention sur les statistiques démographiques et sanitaires du pays, Concha publia trois articles : un premier sur la morbidité dans les deux principaux hôpitaux de Bogota ; un deuxième sur l’application de la méthode statistique à la recherche en santé publique ; et un troisième sur la fréquence du diagnostic de grippe comme maladie et cause de décès192. Dans l’article sur la morbidité dans les hôpitaux, Concha centra son attention sur les maladies infectieuses-contagieuses, sujet récurrent des conférences sanitaires. Il s’intéressa en particulier au pourcentage de patients traités en 1937 pour tuberculose, et Il trouva que 16.04 % des patients (soit 257) souffraient de cette maladie. Ce chiffre équivalait à 49.81 % des diagnostics de maladies infectieuses-contagieuses. Cependant, et en raison des problèmes 189
Jaramillo y Ministerio de Trabajo, Higiene y previsión social, Anexo a la memoria del Ministro de Trabajo, Higiene y previsión social. Fascículo 1 (Bogotá: El gráfico, 1938), 3; Hernánde lvare et al., «La Organización Panamericana de la Salud y el estado colombiano. Cien años de historia 1902-2002». 190 Ley 82 (diciembre 23) de 1935 sobre estadística. Contraloría general and Dirección nacional de estadística, Cartilla de estadística, vol. I (Bogotá: Imprenta Nacional, 1937), 11–13. 191 Par exemple, la Resolución 479 de 1936 établissait les données qu’il fallait enregistrer en matière de statistique nosographique et la façon dont les statistiques de mortinatalité devaient être prises. La Resolución 88 de 1937 dictait les règles pour les statistiques démographiques, nosographiques, de l’assistance sociale, les statistiques sanitaires et la statistique dans les hôpitaux, y compris celle de la morbidité. Contraloría general de la República et Dirección nacional de estadística, Cartilla de estadística. 19-21 ; Alberto Charry Lara, Desarrollo histórico de la estadística nacional en Colombia (Bogotá: Departamento administrativo de planeación, 1954), 66. 192 Il faut rappeler qu’il faisait partie de l’équipe de rédaction de la Revista de higiene, ce qui surement a facilité la publication de ses articles. Roberto Concha, « Morbilidad en los hospitales de San Juan de o Dios y de la Misericordia de Bogotá tomada en 31 de diciembre de 1937 », Revista de higiene 19, n 2 (1938): 27‑30; « Aplicación de método estadístico a la investigación de sanidad pública », Revista de o higiene 19, n 6 (1938): 33‑38; « Anotaciones sobre la frecuencia del diagnóstico de gripa como o enfermedad y como causa de defunción », Revista de higiene 19, n 8 (1938): 31‑32.
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d’espace à l’HSJD, Concha soupçonnait un pourcentage plus élevé. Le pavillon des tuberculeux de cette institution soignait un petit nombre de patients. Une partie des tuberculeux de la capitale ne recevait aucun soin médical193. Concha insistait sur l’importance de créer un sanatorium pour les tuberculeux et d’imposer la législation qui obligeait les hôpitaux de construire des pavillons pour les tuberculeux incurables. Pourtant, étant donné que la plupart des ressources disponibles pour l’hygiène étaient utilisés pour le fonctionnement des léproseries du pays, les maigres budgets disponibles pour les hôpitaux publics étaient loin d'être suffisants et cela rendait impraticable toute législation. Parmi les maladies infectieuses-contagieuses, un autre chiffre attirait l’attention de Concha, c’était le pourcentage de patients atteints de syphilis (1.4 %). D’après lui, ce bas pourcentage d’hospitalisation était une évidence de l’efficacité de la vaste campagne d’hygiène mise en œuvre par l’Institut d’hygiène sociale de Cundinamarca194, qui avait réduit le nombre de patients dépistés à l'hôpital. Dans la conclusion finale de l’article, Concha avertit de la nécessité de trouver un moyen efficace d’établir la déclaration obligatoire des maladies infectieuses, du moins pour les villes capitales des départements, afin de former des tableaux épidémiologiques fiables. Ceux-ci permettraient d’orienter les campagnes de prévention et de repérer les endroits de plus haute incidence des maladies195. Il est nécessaire d’insister sur ce point. La principale revendication de Concha, comme fonctionnaire statisticien, a été la production d’indicateurs de santé pour la population colombienne (taux de naissance, de mortalité, de mortalité infantile, incidence des maladies dans les causes de décès) compatibles avec les exigences internationales. Certainement, la fiabilité des données produites à l’époque n'était pas très élevée, mais il est important de remarquer les nombreux efforts déployés par cet ex-boursier de la FR pour attirer l’attention des autorités sanitaires et des médecins sur cette question. Dans son article suivant, « Application de la méthode statistique à la recherche en santé publique », Concha discuta les erreurs les plus fréquentes dans l’usage des statistiques, y 193
L’article a quatre diagrammes circulaires de la morbidité, qui permettent d'en saisir d’en un seul coup d'œil la tendance que Concha voulait souligner, et un tableau récapitulant les statistiques de morbidité selon les principales rubriques de maladies proposées par la nomenclature internationale de l’époque. Concha, “Morbilidad en los hospitales de San Juan de Dios y de la Misericordia de Bogotá tomada en 31 de diciembre de 1937,” 28. 194 Cet institut avait un centre d’attention externe pour le traitement des maladies vénériennes, dont son organisation a été calquée de celle de l'Institut d'prophylactique de Paris. Jorge E. Cavalier, “Nota editorial: organi ación de las labores del Instituto de higiene social de Cundinamarca,” Revista de la facultad de medicina, no. 5 (1933): 278–281. 195 Concha, “Morbilidad en los hospitales de San Juan de Dios y de la Misericordia de Bogotá tomada en 31 de diciembre de 1937,” 29.
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compris la production, le recueil, l’analyse et l’interprétation des données. D’après lui, ces erreurs étaient courantes dans les études de santé publique et elles empêchaient leur développement, c’est pourquoi il fallait les combattre196. Le caractère pédagogique du texte est évident et sa publication dans la Revista de Higiene a certainement favorisé sa diffusion parmi un public différent de celui des publications techniques de la Contraloría. L’article est divisé en trois parties. La première est consacrée au recueil des données. Concha y fait des recommandations relatives à la conception des formulaires, à la façon de préparer les questions, aux orientations pratiques du personnel et aux erreurs les plus courantes dans cette phase de l’enquête. La deuxième partie examine les phases de l’édition, de la classification et de la totalisation des données. Et pour expliquer chacune de ces trois étapes, l’auteur a recours à des exemples tirés de la santé publique. À cet égard, il souligne que l’absence d’un système uniforme de classification des maladies, des décès et des accidents ôtait toute valeur à bon nombre des registres médicaux et sociaux du pays. Les registres des hôpitaux étaient notoirement défectueux puisqu’ils ne suivaient pas la nomenclature internationale, mais un classement adapté197. La troisième partie décrit brièvement l’importance de l’analyse et de l’interprétation correctes des résultats. À cet égard, l’auteur signale que les erreurs qui y sont commises sont les plus graves, puisque des personnes non familiarisées avec « la méthode scientifique » aboutissent à des conclusions « audacieuses » à partir de données très élémentaires, où elles comparent des informations non comparables. D’où son soutien à la réunification des statistiques nationales sous la Contraloría, car de cette façon une seule institution aurait le « contrôle direct et absolu » des statistiques sanitaires198. Depuis plusieurs années, l’ANM de Colombie attirait l’attention des autorités et des médecins sur la nécessité d’organiser d’un point de vue technique les statistiques démographiques. Cela permettrait à la Direction d’hygiène de fonder ses activités sur des bases solides. Mais cela apporterait aussi des informations pour l’étude de la « pathologie nationale »199. De sorte que parmi les priorités de la DNS et de sa direction technique se
196
Concha, “Aplicación de método estadístico a la investigación de sanidad pública.” Ibid. 198 Ibid. 199 Academia nacional de medicina, “Estudio sobre higiene y asistencia pública,” Revista médica de Bogotá XLIV, no. 514 (1934): 807. 197
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trouvaient la normalisation du recueil, de la préparation et de l’interprétation des données, aussi bien que la standardisation des méthodes statistiques200. Un des graves problèmes de la DNS, et de sa production de statistiques, c’était la formation déficiente de son personnel technique. Pour remédier à cet inconvénient, la Contraloría proposait certains cours de formation dont un sur la théorie statistique et un autre sur l’organisation de la statistique201. Au début, et compte tenu des thèmes présentés par l’article de Concha, il était possible de supposer que ce deuxième article avait été rédigé comme matériel pédagogique pour un séminaire ouvert au personnel de la Section de statistique démographique et de santé de la DNS. Néanmoins, nous avons pu trouver les conférences données pour le cours « Preparación estadística » organisé à la Contraloría et Concha ne faisait pas partie du personnel responsable de la formation202. Donc, il semble que le texte de Concha ait été rédigé exclusivement pour les lecteurs de la Revista de higiene, c’està-dire, des médecins et des fonctionnaires des bureaux d’hygiène. Dans le troisième des articles que Concha publia en 1938, on voit resurgir ses inquiétudes sur la production des statistiques locales. En réponse à une demande de la DNS au DepNH, il s’interroge sur la validité du nombre élevé des diagnostics de grippe comme cause de décès. Pour le DepNH, la première exigence pour évaluer les données statistiques etait l’existence d’un certificat de décès dressé par un médecin diplômé203. Puisqu’effectivement les données étaient liées à ce type des documents, la question de Concha portait plutôt sur la qualité des diagnostics. Sans proposer un débat sur un sujet susceptible de choquer les médecins, Concha reprit quelques statistiques pour guider son argumentation sur la nécessité que les médecins soient très scrupuleux au moment de remplir les formulaires de certificat de décès. Se fondant sur un rapport d’hygiène de 1931, Concha montra qu’à Bogota (ville qui comptait 144.782 habitants), lors de l’épidémie de 1918, il y eut 572 cas de décès par grippe et 1483 par pneumonie et bronchopneumonie et que ces chiffres n’augmentèrent pas jusqu’à 1924. Bien que des cas continuèrent de se présenter avec une certaine régularité, Concha 200
Resolución número 431 de 1936 (septiembre 24) por la cual se señalan las funciones y el personal del Centro de Estudios y Coordinación, se crea el Grupo de investigaciones Varias, se fija su personal, se nombran los empleados de dichas secciones y se dictan otras disposiciones. Contraloría general de la República et Dirección nacional de estadística, Cartilla de estadística, I:13‑16. 201 Carlos Lleras Restrepo, La estadística nacional: su organización, sus problemas (Bogotá: Imprenta Nacional, 1938), 28. 202 Par contre, la conférence relative à la statistique démographique et son organisation fut dictée par Alberto Ricaurte Montoya, un de membres du Centre d’études statistiques de la Contraloria. Contraloría general de la República et Dirección nacional de estadística, Cartilla de estadística. 203 Concha, “Anotaciones sobre la frecuencia del diagnóstico de gripa como enfermedad y como causa de defunción,” 31.
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supposa un abus du mot « grippe » dans les registres, car probablement il était utilisé pour nommer des rhumes simples et des catarrhes qui évoluaient en pneumonies graves sans avoir eu de relation spécifique avec la vraie grippe. Par ailleurs, il cita l’exemple du livre A geography of disease (1935) d’Earl Baldwin McKinley dans lequel, à partir des statistiques nationales de divers pays, l’auteur signalait un chiffre assez exagéré pour la Colombie, 12 651 cas, tandis qu’il indiquait 1 025 pour le Brésil, 1.796 pour le Pérou et 5 553 pour le Chili. Selon Concha, dans la statistique nosographique nationale de 1935 furent enregistrés 79 décès par grippe à Bogota et 3 052 pour l’ensemble du pays. Des chiffres encore élevés aux yeux de Concha et sur lesquels il proposa de réfléchir204. Il est très difficile d’établir quel type de réception eut cet article chez les médecins colombiens. Quoi qu’il en soi, nous constatons les efforts de Concha pour mettre en évidence le besoin d’améliorer la qualité des statistiques de santé publique produites dans le pays, surtout celles des maladies contagieuses et épidémiques. 6.3.3 Concha et le Cours supérieur d’hygiène Pendant les années 1940, en Colombie, la nécessité de promouvoir une expertise statisticienne chez les hygiénistes et les médecins devint une tout autre réalité. La Xe Conférence sanitaire panaméricaine avait recommandé la création d’un programme hygiéniste dans des écoles spécialisées, dirigé vers les médecins et les fonctionnaires du secteur de la santé et de l’assistance sociale, et l’expansion des services de statistique vitale dans les départements de santé publique205. Depuis 1932, un projet de constitution d’une Escuela superior de higiene (École supérieure d’hygiène, ESH) avait été formulé par le très réputé médecin et professeur d’hygiène de la Faculté de médecine de Bogota Jorge Bejarano, qui alléguait l’importance de disposer d’un centre pour éduquer les médecins chargés des bureaux d’hygiène du pays. Selon le projet, l’école devait être sous la tutelle du DepNH et, une fois constituée, il serait obligatoire de présenter son diplôme afin d’aspirer à un poste dans les services sanitaires et d’hygiène du pays. D’après Bejarano, à cet égard, la Colombie était en retard par rapport à des pays d’Amérique latine comme l’Argentine, le Chili, le Brésil ou le Pérou206. Le conflit limitrophe entre la Colombie et le Pérou, qui commença à la fin de 1932, attira toute l’attention du gouvernement colombien et affaiblit encore plus les ressources économiques du pays, notamment celles consacrées à l’hygiène. En conséquence, le projet
204
Ibid., 32. Jaramillo and Ministerio de Trabajo, Higiene y previsión social, Anexo a la memoria del ministro de trabajo, higiene y previsión social, 20. 206 Jorge Bejarano, “Exposición de motivos sobre la ley que crea la Escuela superior de higiene,” Revista de la facultad de medicina 1, no. 4 (1932): 228–229. 205
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d’ESH ne fut pas réalisé. Néanmoins, sur la base des recommandations de la Xe Conférence sanitaire panaméricaine et des efforts de Bejarano en faveur du projet, le Ministère du travail, de l’hygiène et de la prévision sociale (MTHPS) finança la réalisation, en 1940, d’un cours supérieur d’hygiène à la Faculté de médecine de Bogota.
n ignore combien d’étudiants
s’inscrivirent à ce cours et la façon dont il s’est déroulé, mais il est intéressant de noter que certaines de ses conférences furent publiées par la Revista de Higiene. Si les auteurs ne furent pas signalés dans la publication, le sujet et les contenus précédemment publiés par Roberto Concha trahissent sa paternité pour un des textes de conférences : « Statistique vitale et sanitaire »207. Le texte de 45 pages est composé d’une introduction et de cinq chapitres. Dans les chapitres 2 et 5, Concha réédite sa publication sur l’application de la méthode statistique aux recherches en santé publique et ses données sur la morbidité et la mortalité dans deux hôpitaux de Bogota. Les chapitres 1 (Démographie), 3 (Procédures statistiques) et 5 (Graphiques statistiques) correspondent aux traductions exactes de quelques sections du livre Vital statistics : an introduction to the science of demography de George Chandler Whipple, publié en 1919208, très certainement, l'un des textes de base utilisés lors de sa formation à l’École de santé publique de l’Université de Harvard. Si on laisse de côté cette appropriation des contenus d’autrui, le texte du Cours supérieur d’hygiène est un excellent matériel pédagogique pour mieux comprendre les éléments de base de la production, de l’organisation et de l’analyse des statistiques vitales et sanitaires. En plus, puisqu’il contient des exemples de données locales, il est possible que sa circulation, parmi les étudiants du cours ou parmi les lecteurs de la revue, ait favorisé l’intérêt pour le sujet. Cet article fut la dernière des publications de Concha, qui mourut en 1941. Nous nous sommes intéressés aux détails de ses articles et à leur exposé analytique, parce qu’ils constituent un bon témoignage du processus de circulation et d’appropriation des connaissances liées à la statistique vitale en Colombie, mais aussi parce qu’il nous permettent de mettre en évidence les liens entre le processus de formation des professionnels de santé en Colombie et les organismes internationaux comme la FR et l’OSP, institutions qui n’hésitaient pas à imposer leur hégémonie financière, scientifique et technique.
207 208
Roberto Concha, “Estadística vital y sanitaria,” Revista de higiene 21, no. 9 y 10 (1940): 3–47. Ibid.; Whipple, Vital Statistics; an Introduction to the Science of Demography.
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6.4 La FR et la section d’épidémiologie de la DNHAP Le projet de constituer une section d’épidémiologie à la DNHAP fut présenté en 1927 par son directeur Pablo García Medina. Le projet envisageait aussi la création de deux nouvelles sections, l’une de statistique vitale et l’autre d’ingénierie sanitaire. Au début, la section d’épidémiologie serait attachée aux campagnes sanitaires comme celle contre l’ankylostomiase ou celle contre le paludisme, mais au fur et à mesure de leur avancement, la section pourrait devenir autonome. Le médecin Ignacio Moreno-Pérez fut nommé premier coordinateur de la section d’épidémiologie et bénéficia d’une bourse de la FR209. Il avait obtenu son diplôme de médecin en 1925 à la Faculté de médecine de Bogota210, et en 1927, au moment de sa désignation comme boursier, il travaillait comme médecin pour la Tropical Oil Company (TOC) à Barrancabermeja, dans le département de Santander211. L’attribution de la bourse ne doit rien au hasard. La T C, compagnie d’exploitation pétrolière, avait été constituée en 1916 et l’exploitation de la one de concession avait commencé dans les années suivantes. Toutefois, en 1920, à cause de problèmes financiers, la TOC fut achetée par Standard Oil Company, monopole pétrolier appartenant à la famille Rockefeller. Les nouveaux propriétaires entreprirent des travaux de grande envergure et pour cela ils recrutèrent massivement des travailleurs nationaux et étrangers. Étant donné que la législation colombienne obligeait les compagnies étrangères d'exploitation des gisements d'hydrocarbures nationaux de fournir des services de santé à leurs employés, Moreno-Pérez occupa le poste de médecin de la TOC212. Moreno-Pérez arriva aux États-Unis en août 1927. Il y fit des études supérieures à la SHPH-JHU. Pour obtenir le certificat de santé publique, l’institution exigeait de ses étudiants qu’ils suivent 8 séminaires principaux et certains séminaires optionnels. Ainsi, il s’inscrivit à plusieurs séminaires et réussit plutôt bien213. Nous avons centré notre intérêt sur l’enseignement qu’il a suivi en statistique vitale.
209
Bevier, « Letter to H. H. Howard, Associated director, I.H.D Rockefeller Foundation. Letter 79 », 2. Ignacio Moreno Pérez, Contribución al estudio de la anestesia en obstetricia. Tesis para el doctorado en medicina y cirugía (Bogotá: Imprenta de la Luz, 1925). 211 Région affectée par de maladies tropicales, principalement l’ankylostomiase et la malaria. The Rockefeller foundation, « Ignacio Moreno-Pérez », 1. 212 Néanmoins, les conditions des travailleurs locaux étaient très précaires tandis que pour les étrangers la situation était plus favorable. Jairo E Luna-García, « La salud de los trabajadores y la Tropical Oil o Company. Barrancabermeja, 1916-1940 », Revista de salud pública 12, n 1 (2010): 146‑150. 213 Il a suivi les cours de bactériologie, statistique, hygiène chimique, organisation de santé publique, immunologie, épidémiologie (1 et 2), parasitologie, génie sanitaire et hygiène infantile, plus les conférences en santé publique, en lois sanitaires et en démonstration pratiques de santé publique. The Rockefeller foundation, « Ignacio Moreno-Pérez », 2. 210
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À l’époque, le département de Biometry and vital statistics de cette institution proposait les séminaires suivants : introduction à la statistique vitale, taux et statistique, théorie statistique avancée 1 et 2, analyse statistique en santé publique, enquêtes biométriques humaines, recherche en biométrie et statistique vitale et statistiques des hôpitaux214. Les professeurs responsables de ces séminaires étaient Lowell J. Reed (Ph.D)215, Raymond Pearl (Ph.D)216 et Halbert L. Dunn (M.D). Celui d’introduction à la statistique vitale, le seul cours de ce département suivi par Moreno-Pérez, était consacré aux méthodes modernes de recueil, d’organisation et d’ajustement des données statistiques concernant la vie humaine, et à l'étude des statistiques vitales du passé217. À la fin de l’année scolaire 1928, Moreno-Pérez effectua un stage de deux mois dans la division d’épidémiologie de l’Ala ama State Board of Health. En janvier 1929, au retour de son séjour, il commença à travailler comme épidémiologiste pour la DNHAP de Colombie. En 1927, les intentions des fonctionnaires de la FR d’entamer des programmes de contrôle du paludisme en Colombie furent discutées avec certains responsables locaux, mais cela ne se concrétisa pas par manque de ressources étatiques. Quand en 1928 Pablo García Medina, directeur de la DNHASP, réussit à obtenir une subvention de l’État, il sollicita le soutien de la FR. Initialement, l’attribution d’une bourse pour qu’un candidat colombien puisse suivre des études en « malariologie » fut envisagé, cependant l’absence d’études de terrain préalables, focalisées sur la présence et la distribution d’anophèles, modifia ce projet. Afin de réaliser l’enquête, au milieu de l’année 1929, le FR Board affecta en Colombie Marshall Hertig, entomologiste du Département de pathologie comparée de la Harvard Medical School. Le 214
Johns Hopkins University, « School of Hygiene and Public Health. Catalogue and Announcement for o 1928-1929 », Johns Hopkins University Circular 390, n 4 (1928): 28‑29 et 38‑40. 215 (1886-1966), connu comme biométricien, a obtenu son diplôme doctoral de l'Université de Pennsylvanie en 1915, il a enseigné mathématiques et physique à l'Université de Maine. En 1917, il devient chef du Bureau de la totalisation et de la statistique du Conseil du commerce de la guerre. Il a commencé sa carrière à la Johns Hopkins University en 1918, comme professeur agrégé de Biostatistics. Là, il a collaboré avec Raymond Pearl dans l'article "Sur le taux de croissance de la population des États-Unis depuis 1790 et sa représentation mathématique" (1920) et occupa différents poste jusqu’à sa retraite en 1956. Clyde V. Kiser, « Lowell J. Reed (1886 - 1966) », Population o Index 32, n 3 (1966): 362‑65. 216 (1895-1940), Il a reçu son doctorat en 1902 à l'Université du Michigan (Ph.D.). Il a renforcé son éducation, d'abord à l'Université de Leipzig en 1905, puis à l’University College of Londres (1905-1906) sous Karl Pearson. C'était Pearson qui accéléra les intérêts de Pearl dans l'analyse quantitative et a encouragé ses premiers efforts pour appliquer les statistiques à la génétique des populations. Pearl passa la majorité de sa carrière universitaire à l'Université Johns Hopkins (1918-1940), où il a été professeur de biometry and vital statistics et directeur de l'Institut de recherche biologique. Pearl est reconnu pour avoir fait d'importantes contributions dans les domaines de la biologie, la génétique, l'eugénisme, et la statistique. American Philosophical Society, YearBook - The American Philosophical Society (Philadelphia: American Philosophical Society., 1940). 217 Johns Hopkins University, « School of Hygiene and Public Health. Catalogue and Announcement for 1928-1929 », 38‑39.
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médecin colombien Moreno-Pérez fut désigné comme assistant de Hertig. Pendant six mois, ils voyagèrent à travers le sud-ouest et le centre du pays pour collecter des espèces d’anophèles et des échantillons de sang218. À la fin de 1931, Moreno-Pérez voyagea à Porto Rico pour y observer et étudier la lutte contre le paludisme. À son retour en Colombie, il fut nommé à la tête de la Comisión de estudios del paludismo (Commission pour l’étude du paludisme), dépendance de la Section de l’Assainissement rural du DepNH. Le besoin en personnel qualifié en maladies tropicales sur le front durant la guerre entre la Colombie et le Pérou, entraîna le transfert de Moreno-Pérez à Leticia, capitale de l’Ama onie colombienne, où il devint responsable des activités sanitaires219. Le conflit terminé, Moreno-Pérez retourna à la Commission du paludisme et participa aux études de certaines zones de la forêt tropicale très reculées. En 1934, il visita les principales localités de l’intendencia du Chocó, région très boisée, située à l’ouest du pays avec des côtes sur l’ céan Pacifique et sur l’ céan Atlantique, où l’absence de services d’eau et d’assainissement était la règle dans les villages. Il réalisa des recherches préliminaires sur l’incidence du paludisme et nota que, étant données les conditions du terrain, une campagne de contrôle du vecteur n’y était pas possible. C’est pourquoi il proposa un contrôle thérapeutique des patients et l’établissement de trois commissions sanitaires dans la one220. La Federación nacional de cafeteros (Fédération nationale de producteurs de café), association corporative constituée en 1927, cherchait à améliorer les conditions de vie et de santé des cultivateurs de café, principal produit d’exportation de la Colombie à cette époque. Grâce à son soutien financier, la première Unité sanitaire et d’hygiène du pays fut créée en 1934, mais les critiques sur l’inaction du DepNH face à la situation sanitaire très précaire des paysans étaient si prégnantes que la Fédération décida la création de son propre programme sanitaire visant les communautés de cultivateurs de café, et pour cela fit appel à MorenoPérez. Dans le but de faire une évaluation de la situation, ce médecin réalisa une enquête épidémiologique dans quelques plantations de café situées dans différents départements du pays. Il considéra plusieurs facteurs : les conditions d’habitation (si les habitants étaient les propriétaires ou des locataires, le type de construction, le nombre d’habitants et de chambres, l’accès à l’eau et les latrines) ; le type d’alimentation ; l’accès aux services de santé et d’éducation ;
et
l’existence
d’enfants
présentant
218
une
splénomégalie
(symptôme
Mejía, Intolerable burdens: malaria and yellow fever control in Colombia in the twentieth century, 61‑ 64. 219 Ibid., 65. 220 Ignacio Moreno-Pére , “Sección de epidemiología. Informe sobre la visita al Chocó,” Revista de Higiene 15, no. 7,8,9 (1934): 237–250.
345
caractéristique du paludisme). Ensuite, il analysa ses données à l’aide d’autres études publiées précédemment et des statistiques du DepNH sur les activités de la campagne contre l’ankylostomiase, et fit des corrélations entre les variables et l’incidence de la maladie221. Alors, il tenta de trouver une corrélation statistique entre le nombre d’individus positifs à l’ankylostome et le pourcentage de maisons ayant des latrines, mais les résultats « varient capricieusement ». Tout en reconnaissant que cela pouvait avoir des explications très diverses, Moreno-Pérez soutint que l’inconstance du programme éducatif était une des causes principales de la non-réduction de l’incidence de la maladie. Dans l’analyse complète qu’il fit des conditions de santé des cultivateurs de café, il enquêta sur la mortalité infantile, les maladies vénériennes, le paludisme, la tuberculose, la fièvre jaune et les conditions de vie222. Ainsi, sans émettre de vives critiques des résultats de la campagne de la FR, il prit de la distance par rapport à ce modèle qui concentrait les efforts sur le plan thérapeutique et suggéra la création de commissions sanitaires ayant comme priorité le service intégrale de la population et l’application des principes de la médecine préventive. En conséquence, pour répondre aux nécessités les plus urgentes, il proposa des unités composées d’un médecin et d’un inspecteur de santé pour 500 foyers. Ces commissions devaient conduire leurs activités en fonction de la qualité du service et non de la quantité des activités. En plus, les inspecteurs devaient suivre une formation comprenant des notions élémentaires sur les maladies parasitaires, l’épidémiologie, l’ingénierie sanitaire et la statistique vitale et nosographique223. Quant à l’organisation et les activités à réaliser par les commissions sanitaires, il conseilla la création d’un plan général qui devait suivre les recommandations de la Première conférence européenne d’hygiène rurale, mais adaptées aux conditions propres des localités colombiennes224. Si le plan présenté par Moreno-Pérez était très ambitieux et demandait un effort titanesque de la part de la Fédération, le déploiement de programmes d’hygiène et la mise en œuvre de certaines unités sanitaires modifieront, dans les décennies suivantes, les conditions sanitaires et l’accès aux soins d’une bonne partie des cultivateurs de café de la Colombie. 221
Il reprit les chiffres de nombre d’examens coprologiques, nombre de maisons examinées et nombre de latrines construites. Ignacio Moreno Pérez, « La higiene en los cafetales », Revista de la facultad de o medicina 5, n 10 (1937): 695‑774. 222 Ibid., 719‑750. 223 En raison de l’absence de données démographiques officielles fiables, Moreno-Pérez proposait à la Fédération l’intégration, dans sa section de statistique économique et administrative, de la récollection des statistiques vitales. Ibid., 752‑774. 224 Conférence organisée par la Société des nations pour débattre sur l’organisation de l’assistance médicale, des services de santé publique et des installations sanitaires dans les districts ruraux, réalisée à Genève du 29 juin au 7 juillet 1931. League of Nations, «European conference on rural hygiene», League of Nations official journal 12 (1931).
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À la fin de 1936, Moreno-Pérez fut nommé directeur du BMHB et postula à un poste d’enseignant d’hygiène à la Faculté de médecine de Bogota dont le professeur titulaire était Jorge Bejarano. Il passa le concours et devint profesor agregado (maitre-assistant)225. Il est intéressant de noter que, pour donner son séminaire, il demanda à la bibliothèque de la Faculté d’acheter cinq ouvrages d’auteurs anglo-saxons. Pourtant, la plupart des demandes présentées par les professeurs privilégiaient les livres en français (8/11)226. L’autre enseignant qui demanda des livres exclusivement en anglais fut Luis Patiño Camargo, professeur de médecine tropicale qui avait participé à des études sur la fièvre jaune avec des agents de la FR et passa 14 mois comme officier de santé en Amazonie colombienne pendant le conflit avec le Pérou227. Si dans l’organisation de l’administration de la santé publique le remplacement du modèle français par le modèle nord-américain était en marche depuis quelques années, ce type de transition dans l’enseignement universitaire de la médecine (débutant en 1940 à la Faculté de Bogota), va se concrétiser pour l’ensemble du pays seulement durant les années 1950228. Parmi les livres demandés par Moreno-Pérez, on en trouve quatre liés à la statistique. Nous repérons quelques classiques des auteurs britanniques, comme celui d’Arthur Newsholme (The elements of vital statistics, 1899) qui, dans les années 1930, était professeur à la London School of Hygiene, ou celui du professeur de statistique et membre de la Royal statistic society George Udny Yule (An introduction to the theory of statistics, 1911) ; mais aussi des livres de professeurs américains, comme celui bien connu de George Whipple (Vital statistics, 1919), ou celui de son ancien professeur de biométrie et statistique vitale de l’Université Johns Hopkins, Raymond Pearl (Introduction to medical biometry and statistics, 1923)229. Cela donne un aperçu de l’intérêt de Moreno-Pérez pour la statistique vitale et des éléments théoriques dont il se servait dans ses cours à la Faculté de Médecine. Par ailleurs, les mutations institutionnelles qui interviennent au cours de l’année 1936 dans l’organisation de la statistique vitale du pays vont pousser la Contraloría la création d’un centre d’études statistiques garant de la normalisation des statistiques du pays. De sorte que 225
Eudoro Martínez, « Carta dirigida al rector de la Universidad Nacional », 19 septembre 1936, ACUN, Fondo Rectoría, Facultad de medicina, tomo 7 1936, f. 225-227. 226 Facultad de ciencias naturales y medicina, “Lista de libros solicitados a la biblioteca,” 1938, ACUN, Facultad de medicina, Correspondencia 1916/1939, Caja 33, tomo 321 1923-1940, f. 264-266. 227 uillermo Castillo Torres, “Académico Luis Pati o Camargo,” Revista de la Academia colombiana de ciencias exactas, físicas y naturales 16, no. 62 (1987): 163–164. 228 Adolfo León González Rodríguez, La modernización de la Facultad de medicina de la Universidad de Antioquia: 1930-1970 (Medellín: Universidad de Antioquia, 2008), 10‑21. 229 L’autre livre demandé par Moreno-Pérez fut aussi rédigé par son ancien professeur Raymond Pearl (Studies in human biology). Facultad de ciencias naturales y medicina, « Lista de libros solicitados a la biblioteca », 265.
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la DNS fut chargée de la production et de l’organisation des statistiques vitales et nosographiques du pays, qui étaient autrefois sous la tutelle de la DepNH. Dorénavant, le personnel de la DNS serait chargé de résoudre les problèmes éventuels de construction des statistiques sur les causes de mortalité et de morbidité dans le pays. En octobre 1938 eut lieu à Paris la Ve Conférence internationale pour la révision décennale des nomenclatures nosologiques. En attendant un accord d’unification de la nomenclature internationale des maladies, la cinquième conférence recommanda aux pays signataires que, dans la mesure du possible, les nomenclatures de maladies en usage dans chaque pays restent en correspondance avec la nomenclature internationale détaillée des causes de décès230. La recommandation fut rapidement adoptée par la Faculté de médecine de Bogota qui demanda à Moreno-Pérez, chargé du service scientifique de l´HSJD, d’accompagner comme expert la DNS dans ce travail. La commission technique de la DNS et Moreno-Pérez travailleront ensemble dans ce projet d’une nouvelle nomenclature de morbidité, dont les utilisateurs finaux seront les autorités sanitaires et les médecins de Colombie231. Chaque rubrique ou chaque numéro de la nomenclature internationale correspondait à une maladie parfois subdivisée en plusieurs modalités. Le plan proposé par Moreno-Pérez ajouta deux zéros à chacune des rubriques de la nomenclature internationale, ce qui entraîna la possibilité de subdiviser encore plus une rubrique avec plusieurs chiffres et de donner ainsi la place à des manifestations très spécifiques des maladies.232 Ainsi, des maladies tropicales d’importante incidence dans le pays comme le pian ou la bartonellose, correspondant dans la nomenclature internationale à des rubriques floues comme « d’autres maladies dues à des spirochètes » au « d’autres maladies dues à des bactéries » pourraient être facilement identifiées dans le nouveau plan. En plus, d’autres recommandations des autorités nordaméricaines sur l’inclusion de certaines blessures furent aussi considérées par le médecin233. L’accord administratif d’approbation de la nouvelle nomenclature fut précipité par le décès tragique de Moreno-Pérez le 14 septembre 1942, et le texte final paraitra en février 1943 dans la Revue officielle de la Contraloría234. A-t-elle effectivement adopté la 230
International commission for the decennial revision of nosological nomenclature, Nomenclatures internationales des causes de décès 1938 (La Haye: Publié avec le concours du Ministère des affaires étrangères de la République française par l’Institut international de statistique, 1940), 51. 231 Ignacio Moreno Pérez, « Nomenclatura de morbilidad y mortalidad », Anales de economía y o estadísticas VI, n 14 y 15 (1943): 6. 232 Moreno Pérez, « Nomenclatura de morbilidad y mortalidad. » 233 Ibid. 234 Contraloría general de la República, « Doctor Ignacio Moreno-Pérez », Anales de economía y o estadísticas V, n 17 (1942): 6‑7; Ignacio Moreno Pérez, « Nomenclatura de morbilidad y mortalidad
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nomenclature de Moreno-Pérez ? Et si oui, de quelle façon ? Par quels moyens ? La disparition de la documentation d’archive de la Contraloría pour cette période et l’absence de publications des statistiques de morbidité pendant la première moitié du XXe siècle nous empêchent d’y répondre. En tout cas, en 1941 et 1943, les annuaires nationaux ne publieront pas de statistiques de causes de décès et entre 1944 et 1946 ils publieront seulement celles concernant les rubriques principales de la nomenclature internationale. Même ayant chargé la Contraloría de la coordination des statistiques nationales, nous entrevoyons que les difficultés auxquelles se voyaient confrontés les fonctionnaires de santé pour accéder aux données continuaient. Il est aussi possible que cette centralisation ait impulsé l’instauration d’un bureau spécialisé au Departamento nacional de salubridad (Département national de salubrité DNSal), l’organisme chargé de l’hygiène nationale. C’est très probable car, à la fin de l’année 1945, Jorge Bejarano directeur du DNSal demanda une autorisation à la Contraloría pour établir une Oficina nacional de bioestadística (Bureau national de biostatistique BNB). Il considérait que cette création permettrait une meilleure orientation des politiques d’hygiène et de santé. L’autorisation fut accordée et Bejarano demanda à l’ PS d’affecter un expert pour organiser le bureau. Grâce à des démarches administratives réalisées par le gouvernement des États-Unis, Albert Balley, fonctionnaire du bureau de recensement de Washington, arriva en Colombie235. Par ailleurs, la FR accorda une bourse d’études pour une période d’un an à Bernardo Aguilera Camacho, récemment nommé chef du BNS. Aguilera Camacho, ingénieur de formation, partit pour les États-Unis en août 1946. Il fut accueilli au Département du commerce de Washington où il resta un mois. Ensuite, il partit pour Baltimore suivre des séminaires de biostatistique (7 au total), épidémiologie et santé publique à la Johns Hopkins University. Sa formation comme ingénieur n’a pas été un obstacle pour suivre sa formation en santé publique et il obtint son master. Une fois finie l’année scolaire, il retourna en Colombie et reprit ses fonctions de chef du BNB236. Pendant son séjour aux États-Unis Aguilera Camacho fut remplacé en Colombie, au poste de directeur du BNB, par Julio Londoño, qui travailla avec le conseiller technique Albert Balley arrivé au pays pendant les premiers mois 1947.
o
(Aprobada por resolución número 456 de 1942) », Anales de economía y estadísticas VI, n 5 (1943): 57‑79. 235 Hernández Álvarez et al., « La Organización Panamericana de la Salud y el estado colombiano. Cien años de historia 1902-2002. » 236 The Rockefeller foundation, « Bernardo Aguilera Camacho » s. d., RCA, Fellowship Cards, Record Group 10.2; Johns Hopkins University, Conferring of Degrees at the Close of the Seventy-First Academic Year (Johns Hopkins University, 1947), 10, http://archive.org/details/commence47john.
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Afin de discuter sur les objectifs du bureau et sur ses formulaires, Balley proposa des rencontres avec les directeurs départementaux d’hygiène, les responsables des statistiques officielles, des fonctionnaires des hôpitaux et des centres de santé. Ensuite, les changements apportés aux formulaires devaient être approuvés par le directeur national de la santé. Comme l’ont bien signalé Hernánde et coll., l’objectif principal du programme proposé par Balley était la notification obligatoire, faite par des médecins, des maladies transmissibles. Il faut noter que cette pratique, si réclamée et débattue pendant des années, qui était considérée comme une priorité pour le pays, mais surtout comme une obligation devant les agences internationales de santé, n’avait pas encore été mise en vigueur en Colombie, malgré l’existence de lois237. En 1947, et à la suite de plusieurs débats au Congrès, l’organisation sanitaire du pays changea à nouveau. Le Ministère du Travail, de l’hygiène et de la prévoyance sociale cède sa place à deux ministères, un pour le travail et un autre pour la Santé. L’instauration d’un ministère indépendant, avec un budget destiné uniquement aux affaires de santé publique, était une revendication pour laquelle plusieurs groupes sociaux avaient longuement lutté. Dans ce processus de réorganisation, le BNB fut remplacé par la Dirección técnica de bioestadística (Direction technique de biostatistique DTB). Cette direction travaillerait en coordination avec le DNS de la Contraloría dans le recueil et l’organisation des données relatives à la santé publique, et parmi ses fonctions étaient l’organisation des statistiques et l'envoi des rapports aux organismes internationaux de santé avec lesquels le pays avait signé des traités et des conventions238. L’entrée en fonctionnement de la DTB s’est vite heurtée à plusieurs obstacles matériels. À son retour en Colombie, Aguilera Camacho reprit son poste de chef de la DTB. Avec l’objectif d’ajuster les connaissances apprises aux États-Unis aux besoins du pays, il suggéra comme première tâche l’évaluation détaillée de l’orientation et des programmes de la Division. Les programmes, à l'exception des récentes dispositions sur les données concernant les maladies transmissibles, n’avaient en rien changé depuis les directives du MTHPS. Ainsi, il analysa la nature des informations recueillies par la DTB et, tout en considérant la comparabilité entre les données existantes, il s’engagea dans la modification des formulaires et dans l’actualisation des attentes sur le type de données à recueillir. Même s’il conclut cette
237
Le programme considérait aussi l’inclusion de l’état civil (naissances, grossesses, décès, mariages). Hernández Álvarez et al., « La Organización Panamericana de la Salud y el estado colombiano. Cien años de historia 1902-2002. » 238 Ibid.
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démarche en juin 1949, il se plaignit de l’impossibilité de faire des copies des formulaires par manque de budget239. Dans le même esprit, Aguilera Camacho restructura la DTB où il constitua trois sections. La première serait consacrée aux statistiques de morbidité hospitalière. La deuxième serait chargée des statistiques des maladies transmissibles, du contrôle des hôpitaux, des statistiques de la tuberculose, de la salubrité et de la présence des médecins sur le territoire. La troisième serait chargée des statistiques des campagnes contre les maladies vénériennes et le pian, des statistiques vitales, de celles de la protection maternelle et infantile et des statistiques des services dentaires. Mais le personnel disponible était extrêmement limité (seulement 9 employés) et la DTB ne disposait pas encore d’une machine de décompte mécanique pour dépouiller les questionnaires, de sorte que le décompte se faisait manuellement et la production de certaines statistiques prenait beaucoup de temps. À cause de cette difficulté, Aguilera Camacho sollicita du ministre de la Santé l’augmentation du budget de sa division240. Le fonctionnement austère de la division affecta le bon déroulement des activités dans les sections de la DTB. Par exemple, le chef de la section d’épidémiologie déplorait que les hôpitaux n’aient pas dépêché leurs données économiques, puisque cela entravait la production des statistiques de coût des activités de bienfaisances. D’après lui, l’ancien formulaire mensuel, qui condensait dans une seule section toutes les activités des campagnes sanitaires, n’avait pas pu être remplacé par le nouveau formulaire, dans lequel les activités étaient différenciées. La DTB était donc forcée de présenter des données considérées comme inutiles du point de vue de la statistique, puisqu’elles ne permettaient pas l’évaluation différentielle des campagnes sanitaires. Également, Aguilera Camacho souligna que, pour la première fois dans le pays, le bureau qu’il dirigeait avait tenu un registre national des médecins, mais la pénurie de dactylographes avait empêché la publication et l’utilisation pratique de ce registre241. La DTB persistait dans les campagnes pour persuader les médecins libéraux et officiels de rapporter chaque semaine les cas des maladies transmissibles. La DTB réalisait des missions pour former le personnel des établissements de santé, mais la tâche dépassait sa capacité d’action et elle recevait fréquemment des formulaires mal remplis. En plus, l’envoi des 239
Bernardo Aguilera Camacho, « Informe de la división técnica de bio-estadística », in Memoria del ministerio de higiene. Tomo II (Bogotá: Imprenta Nacional, 1949), 283‑284.
240
Ibid., 285‑287; Luis Medrano A., « Informe del jefe de la sección de morbilidad », in Memoria del ministerio de higiene. Tomo II (Bogotá: Imprenta Nacional, 1949), 302‑3. 241 José Miguel Molano, « Informe del jefe de la sección de estadísticas epidemiológicas », in Memoria del ministerio de higiene. Tomo II (Bogotá: Imprenta Nacional, 1949), 296‑301.
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communications avertissant les institutions qui donnaient des statistiques défectueuses et les instructions pour faire les corrections gaspillaient une partie importante du temps de travail. Néanmoins, le panorama n’était pas un complet gâchis. En 1948, et en utilisant les livres de registre civil des municipalités, la DTB avait entrepris le recueil des statistiques de naissances et de mort-nés par genre et les statistiques de décès par groupe d’âge et genre. Un formulaire pour enregistrer ces données avait été envoyé aux maires et aux agents de statistique municipale. Selon un statisticien de la division, le retour des formulaires avait été un succès et, à ce moment, ils disposaient des informations couvrant 99% de municipalités du pays242. En outre, le deuxième Boletín epidemiológico anual (Bulletin épidémiologique annuel) avait été publié avec une grande fierté par les fonctionnaires de la DTB, car il répondait à certaines des demandes de l’OPS243. Ainsi, la production technique et régulière de certains indicateurs de santé de la population colombienne paraissait envisageable.
6.5 Les boursiers latino-américains en statistique de la Fondation Rockefeller Avec son programme de bourses individuelles, l’IHD de la FR cherchait à former des jeunes chercheurs dans différentes disciplines dans les pays où la Fondation avait des programmes de contrôle ou de recherche. Ces boursiers occuperaient ultérieurement des postes dans les services officiels d’hygiène, démographie et statistique. Sans prétendre faire une analyse du réseau transnational des boursiers en santé publique en Amérique latine, sujet de recherche intéressant et encore inexploré, nous nous sommes intéressé à la formation des professionnels en statistique du programme de bourses de la RF entre 1920 et 1950. Si cette démarche dépasse les buts de notre recherche et si ce n’est pas maintenant le moment de l’approfondir, elle constitue un instrument additionnel pour nous rapprocher des expériences des boursiers de la FR et mieux situer les cas des Colombiens dans le contexte continental. Par ce biais, nous proposons un examen général de la portée du transfert des savoirs scientifiques et techniques en statistique vitale appuyé par le programme de bourses. À partir de l’observation des archives de la FR nous avons tout d’abord localisé sur The Rockefeller Foundation directory of Fellowship awards (1917-1950) les boursiers latinoaméricains dont le champ d’intérêt fut les statistics — soit dans le contexte de la santé publique, soit dans celui des Social sciences — et nous avons étudié leurs Fellowship cards.
242
Jaime Vergara Uribe, « Informe del estadígrafo de la división técnica de bioestadística », in Memoria del ministerio de higiene. Tomo II (Bogotá: Imprenta Nacional, 1949), 290‑95. 243 Le bulletin condensait des données sur les maladies transmissibles notifiées toutes les semaines par télégraphe par plusieurs institutions de santé du pays. Molano, « Informe del jefe de la sección de estadísticas epidemiológicas », 298.
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Celles-ci contiennent l’information résumée de chaque boursier, y compris le programme suivi, les institutions visitées et les activités développées pendant le séjour aux États-Unis, mais aussi le parcours après le retour au pays d’origine. Cette analyse nous a permis d’identifier 16 boursiers, dont Concha et Aguilera Camacho, les deux colombiens que nous avons déjà présentés en détail. Pour permettre une appréciation plus aisée, nous avons condensé ces données dans un tableau (Tableau 54). À première vue, nous avons identifié quelques faits. D’abord, il semble qu’il y ait eu deux vagues de boursiers en statistique. La première va de 1924 à 1929. Pendant cette période les candidats, pour la plupart des médecins ou des individus ayant une certaine formation en médecine, même non accomplie, ont suivi des formations à la Johns Hopkins School of Hygiene (JHSH) et à la Harvard School of Public Health (HSPH). Tout indique que l'obtention d’un diplôme n’a pas été une des priorités du programme. Dans la pratique, la plupart de ces boursiers latino-américains ont été considérés à l’Université comme des « étudiants spéciaux », ayant suivi, selon le cas, quelques séminaires ou des cours dirigés, et des formations pratiques dans des services de statistiques. Une deuxième vague s’étend de 1941 à 1946. Lors de cette vague, on a constaté un changement dans le profil des boursiers. Ils sont plus jeunes et à part les médecins, des diplômés en ingénierie commencent à intégrer le groupe. L’institution choisie pour la formation a été de préférence la JHSH, et une partie plus significative des boursiers passa par le Census Bureau à Washington (CB). Parmi les 16 boursiers que nous avons identifiés, un cas échappe à ces deux vagues, celui du Cubain Ortelio Martínez-Fortun. Pendant les années 1930 ce médecin a été le seul candidat latino-américain qui a obtenu une bourse de la RF pour suivre une formation en statistique. Avec l’information dont nous disposons actuellement, nous ne sommes pas encore en mesure d’expliquer cette singularité. Pourtant, nous avons pu repérer quelques indices très démonstratifs de son parcours. Au moment de son voyage en août 1935, Martínez-Fortun était le directeur de la section de démographie du Département de santé publique de La Havane. À la JHSH, il suivit 20 séminaires et, en juin 1936, il obtint le master en santé publique. Il fit des stages à la Division d’épidémiologie et à la Division de statistique vitale du New York State Health Deparment. À son retour à Cuba, il reprit son poste. Mais deux ans après, et pour des raisons politiques, il a été destitué. Il n’a récupéré son poste qu’en 1941, après bien des vicissitudes. En 1944 et 1945, il était membre du comité d'épidémiologie et de statistique vitale du Pan American Sanitary Bureau (CEEV-PASB)244. À notre avis, la participation de Martínez-Fortun à cet organisme international est un bon indice de la portée du programme 244
The Rockefeller foundation, « Ortelio Martínez-Fortun » s. d., RCA, Fellowship Cards, Record Group 10.2.
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des bourses. Au-delà de l'internationalisation des savoirs scientifiques et des techniques de recherche à travers le programme, le cas de ce médecin cubain montre que cette formation de professionnels ne s’est pas limitée à faire jouer aux ex-boursiers des rôles dans l’organisation sanitaire officielle de leurs propres pays, mais elle a aussi ouvert des possibilités d’en faire les représentants de leurs pays dans les organismes internationaux. Dans la première vague, se trouvaient des candidats du Costa Rica, Colombie, Brésil (2), Paraguay et Porto Rico. Le cas du Costaricien José Guerrero est très proche de celui du Colombien Roberto Concha. Le parcours académique des deux hommes est peu clair et, avant l’attribution de la bourse, leurs trajectoires professionnelles n’ont pas été spécialement liées aux bureaux de démographie. À partir des Fellowship cards nous avons pu constater qu’ils ont été comparés par les autorités du programme des bourses. Ils ont été considérés comme not a brilliant mans et unprepared au niveau académique exigé dans les séminaires universitaires. Dans les deux cas, la solution fut de proposer des stages plus approfondis à la Division de statistique du New York State Health Deparment (DS-NYSHD) et au CB. De cette façon, ils pourraient apprendre les démarches pratiques à accomplir dans les bureaux de statistique qu’ils étaient censés gérer une fois retournés dans leurs pays respectifs. En tout cas, et malgré les difficultés, les deux candidats ont reçu le soutien de Louis Shapiro, fonctionnaire de la FR, pour occuper des postes en statistique vitale dans leurs pays respectifs245. Le séjour du médecin paraguayen José Vicente Ysfran n’a pas été un succès non plus. Il a eu du mal à apprendre l’anglais et il passa de justesse presque tous les cours qu’il a suivis à la JHSH. Les fonctionnaires du programme proposèrent de lui faire suivre un stage pratique pour s’initier aux travaux de terrains essentiels à la campagne contre l’ankylostomiase qu’il dirigeait au Paraguay. Ysfran tomba malade et la FR suggéra une extension de la bourse pour récupérer le temps perdu à l’hôpital. Ses problèmes de santé ne lui ont pas permis de bénéficier de cette extension et il rentra au Paraguay où il reprit son poste de directeur médical de la campagne contre l’ankylostomiase246. En revanche, le séjour du médecin brésilien Eurico Rangel à la JHSH a été une réussite. Il a suivi 7 séminaires en statistique, qu'il approuva sans inconvénient, et visita la DS-NYSHD, le CB et la compagnie Metropolitan Life Insurance (MLI). À son retour à Rio de Janeiro, en 1926, il récupéra son poste d’inspecteur des statistiques vitales dans le Département national de santé publique (DNSP). En 1934, il était le directeur de la section de Biostatistique du DNSP de Rio de Janeiro. La trajectoire de son compatriote Enoch Torres fut un peu irrégulière. Il n’a suivi que trois séminaires à la JHSH et passa de justesse les deux cours de statistique. Il a fait un stage à 245 246
The Rockefeller foundation, « José Guerrero »; « Roberto Concha. » The Rockefeller foundation, « José Vicente Ysfran » s. d., RCA, Fellowship Cards, Record Group 10.2.
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la Division de statistique vitale de Baltimore et de courtes visites à d’autres bureaux de statistique vitale. Son retour au Brésil a été précipité par l’absence temporaire du directeur de statistique du Département de santé publique de Bahia, qu’il remplaça pendant quelque temps, avant de devenir lui-même professeur de pathologie et adjoint du département de statistique vitale247. Le cas du portoricain Manuel A. Pérez a été plus proche de celui du brésilien Rangel. Il a suivi 11 séminaires au JHSH, dont 7 en statistique et d’autres en santé publique. Il les a tous réussis. Il fit de courtes visites aux différents bureaux de statistique vitale (Ritchmon VA, Montgomery ALA, Albany NY) et à la compagnie MLI. À son retour à Porto Rico, il récupéra son poste de chef du Bureau de statistique vitale dans le Département insulaire de santé publique248. Parmi la deuxième vague de boursiers nous avons identifié des candidats du Panama, Mexique, Uruguay (2), Chili, Équateur, Argentine et Colombie. Pendant cette décennie, le programme des bourses a tenté d’identifier parmi les jeunes chercheurs latino-américains les candidats les mieux doués et les plus idoines, capables de contribuer à l’avenir de leur pays. n constate aussi leur désir de former des statisticiens provenant des facultés des sciences et non pas seulement des facultés de médecine. En outre, le département de statistique vitale du CB s’intéressa à la formation de statisticiens d'Amérique latine et la plupart de boursiers y ont fait des stages. En juillet 1941, le candidat panaméen Alberto Enrique Calvo arriva aux États-Unis et passa un mois de stage au CB. Ses connaissances et sa qualité ont enthousiasmé les fonctionnaires américains. En effet, Halbert L. Dunn, statisticien-chef de la section de statistique vitale du CB, loue la méthode de sélection des boursiers de la FR, et il a même affirmé que s’il y avait un moyen de faire rester Calvo dans le service du CB il n’hésiterait pas à l’employer. À la JHSH-PH, Calvo a suivi 18 séminaires, dont huit en biostatistique, et il obtint son diplôme en santé publique. Ensuite, il a fait deux autres stages, chacun d’une durée d’un mois, dans les départements de statistique vitale des départements de santé de Raleigh NC et de Nashville TN. Il visita aussi, pendant deux semaines, la ville de Mexico pour y étudier les méthodes d’enregistrement utilisées par les autorités de statistique vitale locales pour la
247
The Rockefeller foundation, « Eurico Rangel » s. d., RCA, Fellowship Cards, Record Group 10.2; « Enoch Torres » s. d., RCA, Fellowship Cards, Record Group 10.2. 248 The Rockefeller foundation, « Manuel A. Pérez » s. d., RCA, Fellowship Cards, Record Group 10.2.
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population indigène. En 1944, Calvo était le directeur de santé à Panama et il était aussi membre du CEEV-PASB249. En septembre 1941, le péruvien Oscar Téllez Sarzolano commença aussi sa formation au JHSH-PH, où il rencontra Calvo, et ils suivirent la formation ensemble. Le cas de Téllez Sar olano est singulier, car, avant l’obtention de la bourse de la FR, il avait été formé aux ÉtatsUnis et il détenait déjà ses diplômes de master et de docteur en santé publique. Cela montre qu’il ne cherchait pas l’acquisition d’un diplôme. Son passage à la JHSH-PH pointait plutôt vers une actualisation des connaissances et des compétences. Téllez Sarzolano suivit aussi un stage d’un mois au CB et 5 stages, plus courts, dans différents départements de statistique vitale aux États-Unis, et un autre dans la ville de Mexico. À son retour à Lima, il reprit son poste de chef du département de biostatistique du Service de santé publique et il travailla à l’amélioration des déclarations des maladies transmissibles. Comme ses homologues cubains et panaméens, en 1944 et 1945 il fut membre du CEEV-PASB250. Le séjour du Mexicain Álvaro Aldama-Contreras a aussi été une réussite. Comme les candidats latino-américains précédents, il suivit la formation de santé publique spécialisée en biostatistique au JHSH-PH ; et il y décrocha le diplôme et effectua des stages courts dans les services de statistique vitale. Il rentra au Mexique où il récupéra son poste de professeur de statistique à l’École de santé publique251. Pour notre recherche, les cas de l’équatorien Daniel Urigüen-Bravo et celui de l’argentin Antonio Vilches sont moins intéressants, car ils suivirent des études au JHSH-PH en épidémiologie et en statistique vitale, mais leur plan d’études s’est concentré sur le premier axe et aucun des deux ne passa pour le CB. Urigüen-Bravo prit plus de séminaires en bactériologie et en épidémiologie, et moins en biostatistique, et il réalisa son stage pratique à l’Herman Kiefer Hospital sur les maladies transmissibles. Il obtint le master en santé publique et il rentra à Guayaquil où il continua son travail comme chef du Laboratorio de Plagas à l’Institut de santé et y devint professeur d’épidémiologie252. Vilches suivit 6 séminaires de biostatistique, mais il centra sa formation en épidémiologie et en virologie. Grâce à ses excellents résultats et son assiduité, Vilches se signala comme le meilleur étudiant du programme. Il obtint son diplôme en santé publique et il reçut une deuxième bourse de 10 249
The Rockefeller foundation, « Alberto Enrique Calvo » s. d., RCA, Fellowship Cards, Record Group 10.2. 250 The Rockefeller foundation, « Oscar Téllez Sarzolano » s. d., RCA, Fellowship Cards, Record Group 10.2. 251 The Rockefeller foundation, « Álvaro Aldama-Contreras » s. d., RCA, Fellowship Cards, Record Group 10.2. 252 The Rockefeller foundation, « Daniel Uriguen-Bravo » s. d., RCA, Fellowship Cards, Record Group 10.2.
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mois pour travailler au Rockefeller Institute et au National Institute of Health. Après ces dernières études, il rentra en Argentine et, en 1951, il devint le chef du département de recherche en microbiologie de la compagnie pharmaceutique Squibb & Co à Buenos Aires. À la fin de la décennie 1950, et pendant plusieurs années, il travailla comme médecin officiel de la division générale des maladies transmissibles au PASB253. Pendant cette deuxième vague, l’Uruguay a eu deux boursiers en statistique. Le premier, Adolfo Morales, en 1942, et le deuxième, Carlos Sigifrido Mazza, en 1944. Au moment de l’obtention de la bourse, Morales avait presque fini ses études en médecine et travaillait, depuis cinq ans, dans le département de statistique vitale de la Division d'hygiène du ministère de la Santé Publique à Montevideo. En tant que fonctionnaire de ce département, il avait aussi effectué un stage de six mois au CB. Suite à ce stage, le département fut réorganisé en 1940. À son arrivée aux États-Unis, Morales réalisa un nouveau stage au CB et suivit la formation spécialisée en statistique vitale à la JHSH-PH, décrocha son diplôme de master et visita plusieurs départements de santé publique. À son retour à Montevideo, il récupéra son poste et en 1944 et 1945 fut membre du CEEV-PASB254. Le séjour de Mazza se passa de manière différente à celui de Morales, et il fut moins avantageux pour l’Uruguay. Ma a est né en Argentine, où il a reçu sa formation académique. Au moment de sa bourse, il était professeur de mathématiques et directeur de l’Institut de statistique de la Faculté de Sciences économiques à l’Université de la République à Montevideo. À la différence de tous les autres boursiers latino-américains, Ma a n’a pas suivi sa formation au JHSP-PH. En fait, il participa comme assistant à différents séminaires à fort contenu en mathématiques à l’Université de Columbia et effectua aussi un stage au CB. À son retour à Montevideo, il reprit son poste, mais il était mécontent, car son nouveau salaire était inférieur à celui qu’il avait avant son voyage. En 1946, le Conseil national de statistique et du recensement (CNSR) à Buenos Aires lui proposa de travailler comme conseiller scientifique et Mazza accepta et démissionna de son poste à Montevideo. Sa désignation comme conseiller n’a pas duré, car pour des questions politiques, tout le personnel du CNSR a été licencié. Mazza resta en Argentine, où il trouva un poste de statisticien industriel dans une entreprise. À la fin des années 1950, il était directeur du département de statistique à l’Université du Rosario255.
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The Rockefeller foundation, « Antonio M. Vilches » s. d., RCA, Fellowship Cards, Record Group 10.2. The Rockefeller foundation, « Adolfo Morales » s. d., RCA, Fellowship Cards, Record Group 10.2. 255 The Rockefeller foundation, « Carlos Sigifrido Mazza » s. d., RCA, Fellowship Cards, Record Group 10.2. 254
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En 1944, le chilien ctavio Cabello on ále a été choisi pour bénéficier d’une bourse de la FR. Il était ingénieur et, à l’époque, il travaillait comme adjoint dans le département de biostatistique de la Direction générale de santé à Santiago de Chili. Le contenu de sa fellowship card permet de mettre en évidence le débat, au sein de la FR, sur la formation des boursiers en statistique dans un master en santé publique ou dans un master en sciences. D’un côté, se trouvaient les fonctionnaires qui considéraient que Cabello González devait suivre une formation entièrement consacrée à la statistique, « sans perdre du temps en cours de bactériologie ou de parasitologie », pour lesquels il n’avait pas de formation. Ainsi, il pourrait obtenir un diplôme « prestigieux » en Science in statistics, et remplir les conditions pour conduire un département moderne de statistique vitale. De l’autre côté se trouvaient les fonctionnaires qui soutenaient que Cabello González devait suivre un master en santé publique. Pour ces derniers les statisticiens commettaient un grand nombre d’erreurs non pas par manque d'expertise technique en statistique, mais par leur incapacité à comprendre la signification des données utilisées. Le boursier lui-même était favorable à cette dernière option, et dans son cas, la discussion se solda en sa faveur. Il suivit sa formation à la JHSH-PH avec succès et obtint son diplôme en santé publique. Il obtint une prolongation de sa bourse pour quatre mois et effectua des stages au CB et dans les différents départements de statistique vitale. Il rentra à Santiago et réalisa plusieurs travaux en collaboration avec Hérnan Romero, directeur de l’École de santé publique, institution dont la création, en 1943, a été partiellement financée par la FR. En 1950, il accepta une proposition de travailler à la World Health Organization et devint fonctionnaire du service de biostatistique de cette institution256. Par le biais de ces fiches des boursiers de la FR, nous avons des témoignages de la forte empreinte de la médecine américaine dans l’internationalisation des savoirs scientifiques liés à la santé publique et à la statistique vitale en Amérique latine. Pendant la décennie 1940, un réseau d’experts en biostatistique commence à se configurer. Après leurs séjours aux ÉtatsUnis, la plupart de ces ex-boursiers latino-américains ont continué à travailler dans des organismes nationaux consacrés à la statistique vitale, quelques-uns sont devenus des professeurs de faculté de médecine ou de santé publique et d’autres ont représenté leurs pays dans des organismes sanitaires internationaux. L’organisation, en 1950, d’un séminaire intensif en biostatistique va donner un nouvel élan à la formation d’experts et au perfectionnement des statistiques démographiques nationales. Le séminaire se déroula à Santiago du Chili, du 25 septembre au 15 décembre, et ses objectifs ont été d’aider les nations américaines à améliorer leurs statistiques démographiques et leurs statistiques de santé ; offrir un espace de formation 256
The Rockefeller foundation, « Octavio Cabello González » s. d., RCA, Fellowship Cards, Record Group 10.2.
358
en statistique vitale ; transmettre les recommandations internationales et, finalement, étudier la façon d’adapter et d’appliquer ces conseils dans les différents pays. À cette réunion panaméricaine ont participé 49 assistants de 14 pays différents257. L’organisation de cette rencontre a fait partie d’une stratégie globale des Nations Unies pour la standardisation des méthodes et des études démographiques. Une analyse à cet égard reste encore à faire258
257
L’organisation de ce séminaire a été financée par le Bureau de statistique des Nations Unies, la Commission économique pour l'Amérique latine, la WHO, le PASB, l'Institut interaméricaine de statistique et le Bureau national de statistique vitale du Service de santé publique des Etats-Unis. Parmi les membres du comité organisateur nous avons trouvé à Hérnan Romero, Octavio Cabello González et au représentant de la FR en Chili John H. Janney. United Nations, Report on the InterAmerican seminar for biostatistics, held at Santiago, Chile, from 25 september to 15 december 1950, Statistical papers. Series M, no. 9 (New York, 1951). 258 United Nations, Report on the European centre of applied agricultural and demographic statistics, held at Paris from 26 september to 20 december 1949, Statistical papers. Series M, no.5 (New York, 1950); Report on the international training centre on censuses and statistics for Southeast Asia and Oceania, held at New Delhi and Calcutta, India, from november 1949 to february 1950, Statistical papers. Series M, no. 7 (New York, 1950).
359
Tableau 54. Boursiers latino-américains en statistique de la Fondation Rockefeller de 1917 à 1950 Année Pays 1924
1925
1925
1926
Costa Rica
Nom/stage
Age Formation précédente
José Guerrero*®
40
Diplôme d'études secondaires, s.d
Durée (mois)
Poste
Perspectives d'emploi
Projet d'études
Vice-président de l'École des femmes, San José PR
Division de statistique vitale, Ministère de l'Etat et de la police
SV, JHSH et HSPH
18
Le même et sa promotion comme chef du Bureau de statistique
SV, JHSH
14
SV, JHSH
14
Eurico Rangel*®
40 Médecin
Inspecteur des statistiques vitales, Département nationale de santé publique, Rio de Janeiro
Colombie
Roberto Concha*®
Diplôme d'études 30 secondaires, s.d
Adjoint du laboratoire rayons X, Faculté nationale de médecine, Bogota
Chef de la section de statistique vitale à la Direction nationale de l'hygiène
Paraguay
José Vicente Ysfran
42 Médecin
Directeur médical de la Campagne sanitaire contre l'Ankylostomiase
Le même et sa promotion comme chef de statistique SV et PH, JHSH du département national de l'hygiène Le même
VS, immunologie et hématologie, JHSH
8
Brésil
12
1929
Brésil
Enoch Torres
34 Médecin
Adjoint en pathologie, Faculté de médecine, Bahia; Asst. du Département de statistique vitale, Bahia
1929
Porto Rico
Manuel A. Pérez
s.d (quelques cours en 39 santé publique à l'Université de PR)
Chef du Bureau de statistique vitale, Département insulaire de santé
Le même
SV, JHSH
12
1935
Cuba
Otelio MartínezFortun*
34 Médecin
Directeur de la section de démographie du Département Le même national de santé, Havane
SV, JHSH
12
360
Année Pays
Nom/stage
1941
Panama
Alberto Enrique Calvo®
1941
Perou
Oscar Téllez Sarzola®
1942
1942
1943
1944
Age Formation précédente
Poste
Diplômé de l'Ecole de pharmacie; 3 années 29 de premedical work, s.d. Université nationale de Panama Licence en sciences, master en santé Chef du service de statistique 36 publique et Dr. en du ministère de la Santé, Lima santé publique (ÉtatsUnis) Diplômé en génie; cours d'économie
Projet d'études
Direction de statistique vitale et santé publique, Département national de santé, Ville de Panama
SV, JHSH-PH
12
Chef du service de statistique du ministère de la Santé, Lima
SV, JHSH-PH
12
Statistique liée à la santé publique, JHSH
11
SV, JHSH-PH
12
Statisticien d'Institute national de santé et médecine tropicale; professeur des La même officiels de médecine de l'École de santé publique
Álvaro Aldama Contreras®
29
Uruguay
Adolfo Morales®
Chef du Département de 6 années de médecine, statistique vitale, Division 33 diplôme à obtenir à d'hygiène, ministère de la son retour santé publique, Montevideo
Équateur
Daniel Urigüen Bravo
Uruguay
Sigfrido Carlos Mazza®
Mexique
Durée (mois)
Perspectives d'emploi
La même
26 Médecin
Responsable du programme Chef du Laboratorio de Plagas, de recherche en Épidémiologie et Institute national d'hygiène, épidémiologie, Institute statistique, JHSH Guayaquil d'hygiène
12
36 Diplômé en génie
Professeur en mathématiques et directeur d'Institute de statistique à l’Université de la République, Montevideo
10
361
La même
Statistique et mathématique, Columbia University
Année Pays
1944
1944 1945
Chili
Argentina
Nom/stage
Age Formation précédente
Poste
Perspectives d'emploi
Projet d'études
Octavio Cabello González®
24 Diplômé en génie
Adjoint du Département de biostatistique, Direction générale de santé, Santiago
La même
SV, JHSH-PH
29 Médecin
Épidémiologiste, Institute de bactériologie, Buenos Aires
La même
Épidémiologie et statistique, JHSH / Rockefeller Institute
Antonio M. Vilches
Durée (mois) 16
12/10
Chef du Bureau national de biostatistique, Direction La même Biostatistique, JHU 12 national de santé, Bogota NOTES: Stages *Division of statistic, New York State Health Deparment, ®Census Bureau, Washington HSPH Harvard School of Public Health, JHSH Johns Hopkins School of Hygiene, JHSH-PH Johns Hopkins School of Hygiene and Public Health La Bolivie et le Venezuela ont eu des boursiers de FR, mais selon le Directory aucun n’a suivi un programme d'études en statistique. Il aura besoin d’une révision plus exhaustive des Fellowship Cards pour confirmer cette information. SOURCE: The Rockefeller Foundation directory of Fellowship awards (1917-1950) et Rockefeller Foundation Archives, Fellowship Cards, Record Group 10. 1946
Colombie
Bernardo Aguilera Camacho
34 Diplômé en génie
362
Conclusion Comme nous l’avons montré au cours de ce chapitre, la médecine hygiéniste américaine, à travers la Fondation Rockefeller, pénétra à plusieurs niveaux le discours des médecins colombiens et l’organisation des institutions d’hygiène en Colombie. La structuration et la consolidation de la campagne contre l’ankylostomiase contribua notoirement à la production des statistiques médicales nationales. Afin de justifier les subventions de la FR, les fonctionnaires de la campagne étaient obligés de répertorier et de quantifier les activités réalisées. Quoiqu’il fût difficile de mettre en corrélation des énormes quantités de traitements administrés et de latrines construites avec une réduction de l’incidence de la maladie, l’instrumentalisation des chiffres fut une pratique récurrente des fonctionnaires. L’ampleur de la campagne, avec ses routines d’enregistrement et la production de certains chiffres concernant la santé des populations, a mis en évidence la faiblesse des données démographiques nationales. En plus, les réformes successives, pendant les années 1920 et 1950, dans l’organisation des institutions administratives chargées de la santé publique et des statistiques nationales n’ont pas facilité les tâches de production, recueil et analyse des statistiques vitales et sanitaires du pays. Par ailleurs, l’empreinte de la médecine préventive américaine, soit par le biais de la FR, soit par celui de l’ PS, dans l’organisation de l’hygiène nationale est indéniable. Le programme de bourses de la FR favorisa son appropriation, et elle devint le modèle à suivre à la fin des années 1940. Comme l’a proposé Luvodic Turnés dans son étude sur le réseau d’exboursiers de la FR et les savoirs médicaux en France, nous avons essayé d’évaluer l’importance du séjour américain de ces premiers boursiers colombiens à la vue de l’ensemble de leur carrière et non en nous fondant uniquement sur leurs résultats immédiats1. Nous sommes conscients que les itinéraires des ex-boursiers de la FR présentées ici invitent à une lecture plus approfondie. Notre analyse montre l’évaluation insuffisante que certains fonctionnaires de la FR de l’époque firent de ces missions, car la plupart d’entre eux considérèrent que le programme ne fut pas aussi réussi que celui des boursiers européens2. Même s’il est vrai que la dimension des actions réalisées par les ex-boursiers colombiens fut limitée, il faut remarquer qu’ils formèrent un groupe important d’infirmières, médecins et agents de santé en Colombie et cela eut des retombées qu’il faudrait analyser et évaluer dans une future recherche. Si l’historiographie nationale a établi que, pendant la première moitié du XXe siècle, 1
Ludovic Tournès, « Le réseau des boursiers Rockefeller et la recomposition des savoirs biomédicaux en o France (1920-1970) », French Historical Studies 29, n 1 (2006): 77‑107.
2
Mejía, Intolerable burdens: malaria and yellow fever control in Colombia in the twentieth century, 62‑ 63.
363
l’enseignement de la médecine en Colombie était encore orienté par le modèle de la médecine française, on découvre une autre histoire lorsqu’on approfondit l’analyse de l’enseignement de la statistique vitale. Dans ce contexte, le modèle anglo-saxon, et plus particulièrement celui des États-Unis, a été la règle, du moins dans la capitale du pays. L’établissement d’une médecine sociale a eu pour corollaire la production des chiffres facilitant la surveillance de la santé de la population et l’évaluation du fonctionnement des systèmes et des établissements de santé. Les accords internationaux et les institutions étrangères, telles la FR et l’ PS, ont prescrit les modes de cette production. Les constantes transformations de la législation colombienne furent les premières réponses à ces accords en matière de santé publique. Même si le processus d’application de la plupart des normes fut lent, par son biais certaines pratiques de recueil des données de statistique vitale et sanitaire furent consolidées dans le pays. Par ailleurs, en Colombie, l’approche statistique des phénomènes de santé a été gênée par l’instabilité de la machinerie administrative nationale et la pénurie de professionnels de santé et de statisticiens.
364
Chapitre 7 La rhétorique des chiffres. La tuberculose et les statistiques 7.1 La campagne antituberculeuse en Colombie La lutte contre la tuberculose en Colombie est officiellement née avec la promulgation de la loi 66 de 1916 qui transposait une grande partie des politiques européennes anti tuberculeuses. Depuis 1920, le pays a commencé à intégrer les directives sur la tuberculose, préconisées par les conférences internationales ad hoc. Sans doute, la plus influente a été la Conférence internationale antituberculeuse tenue à Paris en octobre 1920 par le Comité National de Défense Contre la Tuberculose1 en partie motivée par les graves séquelles de la Première Guerre mondiale2. Parmi les délégués à la Conférence figurent les 31 pays occidentaux appartenant à la toute nouvelle Société des Nations, plus les États-Unis. Les représentants de la Colombie à cette conférence furent les médecins Hipólito Machado, à l'époque recteur de la Faculté de médecine et des sciences naturelles de l'Universidad Nacional de Colombia et Alfonso Esguerra, professeur de la même institution3. Comme effets tangibles de la Conférence de Paris, il faut noter qu’a été créée l’Union Internationale contre la tuberculose (institution encore active sous le nom de International Union Against Tuberculosis and Lung Disease) et que le Conseil médical de la Ligue des sociétés de la Croix Rouge adopta, à Genève, en 1921, les mêmes directives pour promouvoir la lutte antituberculeuse dans le monde. Par ailleurs, la Société Nationale de la Croix Rouge colombienne a été fondée le 30 juillet 19254. Cet événement doit être signalé, car, depuis ses débuts, la Croix Rouge colombienne a pris des responsabilités dans la lutte antituberculeuse. Cela a influencé le fait que la campagne colombienne contre la tuberculose a suivi les
1
Antonio Acosta Pinzón et José P Leyva Urdaneta, « La lucha antituberculosa en Colombia », Heraldo o médico, n 100 (1948): 22; Lion Murard et Patrick Zilbermann, « La mission Rockefeller en France et la création du Comité national de défense contre la tuberculose (1917-1923) », Revue d’histoire moderne o et contemporaine 34‑2, n 2 (1987): 258. 2 Pierre Darmon, “La rande uerre des soldats tuberculeux. Hôpitaux et stations sanitaires” Annales de démographie historique 1, no. 103 (2002): 47. 3 Acosta Pinzón et Leyva Urdaneta, « La lucha antituberculosa en Colombia », 22. 4 Javier Darío Restrepo, La Cruz Roja en la historia de Colombia: 1915-2005 (Cruz Roja Colombiana, 2005).
365
directives adoptées en 1920. Selon celles-ci, une campagne antituberculeuse devait avoir deux fronts de lutte : le contrôle de foyers de contagion et l’augmentation de la résistance individuelle et collective5. Au cours de la première moitié du XXe siècle, il était clair que l’infection tuberculeuse se propageait par des humains et des animaux contaminés quand il y avait un environnement favorable. Pour la contrôler des « mesures spécifiques » et des « mesures non spécifiques » ou « mesures directes et indirectes » ont été distinguées ». Les directes ou spécifiques visaient à neutraliser l'infection tuberculeuse. Les autres mesures avaient pour but de promouvoir un mode de vie sain, une bonne nutrition, des logements salubres, enfin, l’amélioration des conditions de vie de la population6. Cinq mesures directes ont été proposées en 1920 : 1. La déclaration obligatoire de la tuberculose humaine, surtout celle qui affecte les voies respiratoires de l’organisme7 2. La fondation de dispensaires antituberculeux pour contrôler les données cliniques 3. La création d’institutions spécialisées dédiées aux soins et aux traitements médicaux 4. Le soutien aux organisations chargées de la résolution des problèmes économiques qui s’ensuivent inévitablement au domicile lorsque la maladie se prolonge 5. Le contrôle de l'approvisionnement en lait. A peine deux mois après la conférence de Paris, la sixième Conférence sanitaire panaméricaine réunie à Montevideo, dont la Colombie fit partie, proposa aux gouvernements membres
l’étude
et
la
promotion
du
mutualismo
antituberculoso
(mutualisme
antituberculeux) comme facteur importante de la lutte contre la maladie8. En plus, cette conférence recommanda aux pays ayant des villes sur des hauts plateaux de recueillir minutieusement des statistiques de la tuberculose pulmonaire, de la bronchite, de la pneumonie et la coqueluche. Par ailleurs, pour la conférence suivante, les délégués adoptaient l’inclusion de l’étude de la tuberculose du point de vue sanitaire et social. De ce fait, on
5
Acosta Pinzón et Leyva Urdaneta, « La lucha antituberculosa en Colombia », 22. Ibid. 7 En Angleterre, celle-ci a été mise en place depuis 1912. Ibid. En Colombie, la législation sur les maladies à déclaration obligatoire a été adoptée en 1922 et a été réglementée en 1928 par le décret 580 de 1928 « Article 1. Selon le commandement de l'article 1 de la loi 99 de 1922 est obligatoire une déclaration ou la dénonce des maladies suivantes : le choléra nostras, le choléra asiatique, la fièvre jaune, la peste, le typhus, la typhoïde et paratyphoïde, la variole, la diphtérie, la scarlatine, la dysenterie bacillaire et amibienne, la tuberculose, la méningite cérébro-spinale épidémique. Il est également obligatoire la déclaration de la lèpre, conformément aux dispositions régissant une telle déclaration ». Ibid.; República de Colombia, « Decreto n° 580 de 1928 (29 de marzo) por el cual se reglamenta la declaración de las enfermedades contagiosas », Diario oficial, 17 avril 1928, 85. 8 Cette stratégie proposée par le délégué argentin avait été mise en marche 4 années auparavant dans son pays pour la poste et pour l’enseignement, et elle permettait aux travailleurs tuberculeux de recevoir son attention et d'étendre ses services aux familles.Unión Panamericana, Actas de la sexta Conferencia sanitaria internacional de las repúblicas americanas, celebrada en Montevideo del 12 al 20 de diciembre de 1920 (Washington, D.C.: Unión Panamericana, 1921), 41. 6
366
comprend mieux les tentatives des autorités sanitaires colombiennes pour répondre aux appels des organismes internationaux. D’autres recherches ont décrit les conceptions fondamentales de la lutte antituberculeuse en Colombie depuis ses débuts. Elles montrent que, de 1900 à 1950, les stratégies de la lutte antituberculeuse y étaient les mêmes que dans presque tout le monde occidental pendant la période pré-antibiotique, mais qu’elles ont été adaptées aux conditions sanitaires et matérielles du pays9. Elles peuvent être résumées ainsi : -Préventives : isolement, technologie du dispensaire, hygiène et prophylaxie sociale (examens et visites). -Diagnostics : laboratoire, rayons X, clinique. -Thérapeutiques : biologiques (tuberculine, BCG) -Chirurgicales, comme le pneumothorax artificiel Selon le moment et leurs formes d’appropriation, ces stratégies ont répondu à ce que les médecins et les hommes politiques colombiens considéraient comme la pire menace pathologique depuis la lèpre. Ainsi, la législation colombienne sur cette maladie a été assez prolifique. Elle était composée par des différents textes réglementaires (acuerdos et resoluciones) des organismes chargés de l’hygiène nationale et de l’assistance publique, des arrêtés du Gouvernement et des ordonnances des départements. Entre autres choses, ils réglementaient les mesures prophylactiques contre la tuberculose (resolución du 3 décembre 1913, acuerdo n°33 de 1917, resolución n° 430 de 1928), l’aménagement des endroits destinés exclusivement aux tuberculeux à l'intérieur des hôpitaux et des prisons (loi 66 1916), la méthode de désinfection des locaux, des appartements, etc. (acuerdo n°33 de 1916), la manière d’effectuer la propagande antituberculeuse (idem ibid.), l’inclusion de la tuberculose parmi les maladies contagieuses de déclaration obligatoire (loi 99 1922), la création de l’école des infirmières visiteuses pour avoir un personnel qualifié et dont la fonction principale serait l’assistance aux tuberculeux (décret n°45 de 1930), la pratique du test de la tuberculine sur les bovins (resolución n° 154 de 1933) 10. En 1932, le Département national d’hygiène, dirigé par Enrique Enciso, un ex-boursier de la RF, créa une section dédiée exclusivement à la lutte contre la tuberculose. Ses fonctions étaient la promotion de la lutte et des méthodes modernes de prophylaxie et de traitement, l’organisation des dispensaires, des sanatoriums et d’autres institutions chargées des soins aux
9
Jorge Márque Valderrama et scar allo, “Hacia una historia de la lucha antituberculosa en Colombia,” Política & Sociedade 10, no. 19 (2011): 71–96; Jorge Márque Valderrama, “Comien os de la lucha antituberculosa en Antioquia,” Revista Estudios (Mai 2012): 103–118. 10 Pablo García Medina, Compilación de las leyes, decretos, acuerdos y resoluciones vigentes sobre higiene y sanidad en Colombia, vol. I, II vol. (Bogotá: Imprenta nacional, 1932); ibid.; Acosta Pinzón et Leyva Urdaneta, « La lucha antituberculosa en Colombia ».
367
tuberculeux ; le recueil statistique des activités de ces institutions ; la visite des départements participant à la lutte contre la tuberculose, pour leur suggérer des améliorations suivant « les connaissances modernes » et essayer d'encourager la création de dispensaires là où il y en avait besoin11. Selon les propres paroles du directeur de la section, il fallait « organiser et adapter à nos circonstances spéciales et capacités économiques la lutte antituberculeuse»12. Les médecins nationaux étaient au courant des discussions internationales sur le contrôle de la tuberculose. L’enquête approfondie dont le Comité d'hygiène de la Société des Nations (CHSN)13 avait chargé le professeur Étienne Burnet (1873-1960) sur la prophylaxie de la tuberculose dans une dizaine de pays européens fut présentée dans les sessions d’octobre 1932 de ce Comité. Le Conseilleur scientifique de la commission colombienne de la SN, Calixto Torres Umaña14 y participa et envoya un rapport au ministre des Affaires étrangères colombien. Quelques mois après, ce rapport fut publié dans la principale revue d’hygiène nationale15. Selon le médecin Torres Umaña, les points importants de la discussion du CHSN et de l’enquête de Burnet étaient la déclaration obligatoire de la maladie, le rôle central du dispensaire dans la lutte contre la tuberculose, la vaccination par BCG et le financement de la campagne. La déclaration obligatoire de la maladie était controversée et ne s’appliquait pas dans tous les pays. L’Allemagne ne l’avait pas imposée et les statistiques de morbidité et de mortalité étaient réalisées dans les dispensaires. Par contre, les modèles français et suédois incluaient cette déclaration comme indispensable pour parvenir à une statistique plus précise. À cet égard, et étant donné les conditions précaires de la Colombie, Torres Umaña se 11
República de Colombia, « Resolución número 13 de 1933 (enero 26) por la cual se enumera el personal y se fijan los ramos que deben atender las secciones dependientes del Departamento o Nacional de Higiene », Revista de higiene 14, n 4 (1933): 108. 12 o Fernando Troconis G., « Editorial (la lucha antituberculosa) », Revista de higiene 14, n 6 (1933): 173. 13 Pour en savoir plus sur la participation des pays de l’Amérique latine à de la CHSN voir : Iris Borowy, « The League of Nations Health Organisation: from european to global health concerns? », in International and Local Approaches to health and health care, éd. par Astri Andresen, William Hubbard, et Teemu Ryymin (Bergen: University of Bergen, 2010), 1‑29; Paul Weindling, « The League of Nations Health Organization and the rise of Latin American participation, 1920-40 », História, o Ciências, Saúde-Manguinhos 13, n 3 (2006): 555‑570. 14 (1889-1960). En 1913, il est diplômé de médecine, avec une thèse sur« El metabolismo azoado en Bogotá ». Il s'est ensuite rendu aux États-Unis pour suivre des études de pédiatrie à l'Université de Harvard. De retour au pays, il participa à la création de la Société colombienne de pédiatrie. Il enseigna la pédiatrie à la Faculté de médecine de l'Université nationale, où il travailla jusqu'à sa mort. Lina Rocío Medina Muñoz, Tradición académica: diccionario biográfico y bibliográfico de la Academia Colombiana de Ciencias Exactas, Físicas y Naturales (Editora Guadalupe, 2000), 189‑190. 15 L’étude de Burnet, Les principes généraux de la prophylaxie de la tuberculose, fut adoptée d'emblée par le CHSN. Une copie de l’étude a été envoyée par Torres Uma a aux fonctionnaires de la Direction nationale d’hygiène. Calixto Torres Umaña, « Informe del Consejero científico de la delegación o colombiana ante la Sociedad de las Naciones », Revista de higiene 14, n 6 (1933): 176‑91.
368
demandait s’il ne valait pas mieux pour le pays de concentrer ses efforts sur la création des dispensaires et, ensuite, de penser au caractère obligatoire de cette déclaration et aux statistiques16. Quant à la vaccination par BC , l’enquête du professeur Burnet proclamait l’innocuité du vaccin et d’autres experts confirmèrent son efficacité par la diminution de la mortalité che les enfants vaccinés. A la base de cette enquête, il eut sûrement l’accident iatrogénique de Lübeck en 1931 — dans lequel des souches vaccinales mal conservées et contaminées par une souche virulente de tuberculose furent utilisées pour la vaccination des nouveau-nés, qui provoqua la mort de 72 enfants et la contamination de 127 autres qui guérirent — et quoi qu’il n’ait pas été évoqué explicitement, cet événement avait trouvé écho dans la presse internationale17. Ainsi, Torres Umaña plutôt prudent, proposa pour la Colombie la vaccination seulement des nourrissons habitant dans des milieux tuberculeux. Face aux discussions sur le coût de la lutte, l’enquête de Burnet montra que, dans les pays où la campagne contre la maladie était la plus efficace pour faire diminuer la morbidité et la mortalité, les autorités sanitaires avaient dépensé une moyenne équivalant à 50 centimes de pesos colombiens par habitant. Bien évidemment, un pareil chiffre dépassait les possibilités économiques du gouvernement colombien, mais aux yeux de Torres Umaña, un huitième de cette valeur permettrait à la campagne nationale d’obtenir des résultats satisfaisants. Pour disposer de ce budget, Torres Umaña préconisait le concours des aides nationales, départementales et municipales, la création d’un timbre postal dont les recettes lui seraient consacrées et la contribution des assurances maladie et d’invalidité. Selon la proposition d’un des pays membre du CHSN, il était même indispensable de créer une assurance exclusive pour les tuberculeux. Puisqu’en Colombie ni l’assurance maladie ni l’assurance contre les invalidités n’existaient encore, Torres Uma a insista sur son introduction18. En termes pratiques, la première initiative de la section de la Direction nationale d’hygiène dédiée à la lutte contre la tuberculose en Colombie fut la constitution d’un dispensaire dans la capitale. L’organisation de ce dispensaire comme technologie de prophylaxie sociale reprenait les directives de la lutte internationale. Ainsi, à part sa mission éducative et vulgarisatrice, ses principales fonctions étaient de faire les diagnostics et de tenir le registre des cas, d’attirer l’attention sur les malades potentiels, les examiner, les traiter et 16
Ibid., 178. C’est aussi de cette époque que date le rejet du BC par les Etats-Unis. Christian Bonah, « Le drame de Lübeck : la vaccination BC , le proces ‘Calmette’et les Richtlinien de 1931 », in La médecine au tribunal, éd. par Christian Bonah, Etienne Lepicard, et Volker Roelcke (Paris: EDAC, 2003), 65‑94. 18 Torres Umaña, « Informe del Consejero científico de la delegación colombiana ante la Sociedad de las Naciones », 189‑191. 17
369
les suivre. En contrepartie dans le modèle français, des repas et des vêtements étaient offerts aux personnes qui acceptaient de consulter dans les dispensaires. La Colombie n’en avait pas les moyens. En plus, des infirmières visiteuses parcouraient les quartiers, en distribuant des brochures informatives et en proposant aux gens de se rendre au dispensaire. À leur arrivée, les infirmières remplissaient une fiche comportant comme rubrique, le nom, l’âge, l’état civil, les conditions de vie, les antécédents familiaux ou personnels liés à la tuberculose, et les symptômes ou les raisons pour lesquels les gens venaient au dispensaire. Le personnel du dispensaire enregistrait toutes les activités mises en place, incluant les diagnostics, les contrôles et les traitements suivis par les patients tuberculeux19. En 1935, les chiffres des activités de la campagne ont commencé à être publiés dans une nouvelle section des annuaires statistiques colombiens consacrée à l’hygiène et à l’assistance publique20. Les chiffres des activités de 1933 du dispensaire de Bogota concernaient les examens cliniques, les examens des crachats, d’urine, le nombre de diagnostics réalisés par cuti-réactions21, les radiographies ou les radioscopies, le nombre total des diagnostics positifs et négatifs, le nombre de pneumothorax effectués, des injections administrées et le nombre des décès survenus22. Bien que le nombre des visites par quartier fût aussi registré, l’absence de corrélation entre ces informations et le nombre de patients positif ne permettait pas d’identifier les secteurs de la capitale les plus touchés par la maladie23. L'année suivante, les statistiques de la campagne vont inclure, en plus, le nombre des visites à domicile et la quantité de brochures distribuées24. Ce chiffre des brochures était
19
o
Hernando Matallana, « El dispensario tuberculoso de Bogotá », Revista de higiene XIII, n 11 (1932): 375‑93. 20 On y trouve aussi des statistiques sur les activités des campagnes contre l’ankylostomiase et la lèpre. República de Colombia et Departamento de contraloría, Anuario de estadística general 1933 (Bogotá: Imprenta Nacional, 1935). 21 Technique qui consiste à déposer de la tuberculine concentrée sur le derme de l'avant-bras afin de vérifier une réaction allergique. L’apparition d’une réaction plus ou moins importante signale une probable contamination par des bacilles tuberculeux. 22 República de Colombia et Departamento de contraloría, Anuario de estadística general 1933, 220. Quant aux injections administrées, elles étaient des traitements de sels d'or ou de cuivre Cf. : o Hernando Matallana, « El dispensario tuberculoso de Bogotá », Revista de higiene XIII, n 11 (1932) 23 Il ne faut pas oublier qu’une autre mission importante du dispensaire antituberculeux était les statistiques de malades, l’établissement de leur distribution dans l’espace et l’identification des foyers d’infection. Dans ce cas-là, le but était de définir la stratégie la plus adaptée au contrôle de la contagion dans la localité. Acosta Pinzón et Leyva Urdaneta, « La lucha antituberculosa en Colombia », 23. 24 República de Colombia et Departamento de la contraloría, Anuario general de estadística 1934 (Bogotá: Imprenta Nacional, 1935), 259.
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sûrement repris de la campagne contre l’ankylostomiase où il avait été considéré comme un indicateur de la population informée sur la maladie. Il faut noter aussi que les chiffres publiés apportaient des informations sur l’administration des services d’hygiène et de l’assistance publique, mais moins sur l’épidémiologie de la maladie. Les premiers chiffres publiés n’enregistraient que les activités mises en place par le dispensaire antituberculeux de Bogotá. Les maigres ressources économiques mises à disposition par le gouvernement national rendaient nécessaire la participation des autorités départementales pour construire d’autres dispensaires dans le pays. En conséquence, les fonctions du directeur de la campagne comprenaient la coordination des activités du dispensaire de Bogotá, aussi bien que l’inspection des villes très touchées par la maladie pour convaincre les autorités départementales de participer à la lutte antituberculeuse et de mettre à disposition un budget adapté à ses activités. Pour faciliter la tâche des autorités départementales, les directives de la campagne nationale proposaient un accompagnement technique et scientifique, incluant la formation du personnel médical en phtisiologie ou dans l’administration d’un dispensaire. La construction des dispensaires dans les villes les plus densément peuplées fut le maillon principal de la campagne, car la construction de sanatoriums échappait aux possibilités budgétaires du pays25. La loi 20 de 1937 réorganisa la campagne antituberculeuse, qui a pris un caractère national et entraîné le concours des dispensaires et des hôpitaux. Cette loi proposa aussi l’étude obligatoire de la prophylaxie de la tuberculose dans l’enseignement primaire et secondaire et l’examen des voies respiratoires du personnel des écoles dans toutes les localités où il y avait des médecins officiels. De la même façon, un décret de l’année suivante obligea les hôpitaux généraux qui recevaient des aides financières du gouvernement national de plus de 800 pesos annuels de disposer dans leurs services d’une salle réservée aux tuberculeux (décret n°2 326 1938), et un autre décret réorganisa la section de la lutte antituberculeuse chargée de la direction de la campagne dans le pays (décret n°2 392 de 1938)26.
25
Fernando Troconis G., « Extracto de informes presentados al Departamento Nacional de Higiene por o el jefe de la sección antituberculosa », Revista de higiene XIII, n 11 (1932): 407‑15. 26 Acosta Pinzón et Leyva Urdaneta, « La lucha antituberculosa en Colombia ».
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Illustration 15. Cabinet d’examen des tuberculeux à l’Hôpital San Vicente de Paul, Medellín
NOTE : On peut voir les affiches de la campagne antituberculeuse SOURCE: Photos, Francisco Mejía, 1938, Repositorio fotográfico de la Biblioteca pública piloto, Medellin, Colombie
Avec le temps, la campagne s’est élargie. En 1937, il y avait déjà 16 villes du pays disposant d’un dispensaire antituberculeux, et en 1940 ce chiffre augmenta jusqu’à 26. Les statistiques de ces activités étaient toujours publiées dans les annuaires, mais les données sur le nombre de visites à domicile et le nombre de brochures distribuées ont été remplacées par le nombre des personnes examinées, le nombre des résultats des examens (positifs, négatifs
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ou douteux), le pourcentage de nouveaux arrivants et le nombre d’hospitalisations. C’était là des indicateurs plus robustes sur le déroulement de la campagne27. En 1938 a été fondé le Comité féminin antituberculeux de la Croix Rouge Colombienne pour développer les activités de prévention qui se déroulaient de façon dispersée depuis plus d’une décennie. L’année suivante, ce comité se transforma en Liga Antituberculosa Colombiana28. Par ailleurs, le directeur colombien de la lutte contre la tuberculose, Carlos Arboleda Díaz, participa au cinquième Congrès Panaméricain de la tuberculose, qui a eu lieu en Argentine. L’ampleur de ce fléau dans toute l’Amérique Latine inquiétait les autorités panaméricaines qui conseillaient la recherche systématique des tuberculeux inapparents et leur traitement précoce, l’augmentation du nombre de lits disponibles et l’amélioration des conditions de vie des habitants29. Face à l’incapacité économique de construire les établissements hospitaliers préconisés par les organismes internationaux pour une « campagne idéale », c’est à dire des sanatoriums dédiés aux cas guérissables et des hôpitaux-sanatorium dédiés aux tuberculeux de toute catégorie, les autorités nationales concentrèrent leur action sur les hôpitaux-sanatorium pour tout type de tuberculeux. Leur importance sociale avait été prouvée depuis plusieurs années par Leon Bernard, l’un des membres du Comité français de l’Union Internationale contre la tuberculose30. Les efforts conjoints de la Beneficencia de Cundinamarca31, de la Croix Rouge colombienne et du gouvernement national ont permis la construction à Bogotá du premier hôpital-sanatorium avec une capacité d’accueil de 200 malades. Pour diriger les activités de cet hôpital-sanatorium, le gouvernement finança la formation de 4 médecins dans différents pays, Francisco Montaña aux États-Unis, Guillermo Aparicio au Brésil (Rio de 27
República de Colombia, Contraloría general de la República, et Dirección general de estadística, Anuario general de estadística 1937 (Bogotá: Imprenta Nacional, 1938), 88‑89; República de Colombia, Contraloría general de la República, et Dirección nacional de estadística, Anuario general de estadística 1940 (Bogotá: Imprenta Nacional, 1941), 17. 28 Alvaro Javier Idrovo, « Raíces históricas, sociales y epidemiológicas de la tuberculosis en Bogotá, o Colombia », Biomédica 24, n 4 (2004): 356‑65. 29 José Joaquín Caicedo Castilla, Memoria del ministro de trabajo higiene y previsión social al Congreso de 1941 (Bogotá: Imprenta Nacional, s.d.), 156‑159. 30 31
Acosta Pinzón et Leyva Urdaneta, « La lucha antituberculosa en Colombia », 27‑28. Depuis sa création en 1869, la Junta General de Beneficencia de Cundinamarca (Conseil général de bienfaisance de Cundinamarca, C BC) était l’institution publique responsable d’administrer les centres de charité et les hôpitaux officiels du département, parmi eux l’Hospital San Juan de Dios de Bogota. Vers 1920 plusieurs institutions étaient sous sa tutelle : l'Hospice, l’Asile des fous, l’Asile de folles, l’Asile des mendiants (pour femmes), l’Asile des mendiants (pour hommes), l’Asile des enfants sansabri, la Maison de protection des filles, et l'Asile de Cundinamarca. Chacune de ces institutions avait son syndic et la collecte de la taxe d'immatriculation était administrée par ces fonctionnaires selon les paramétrés fixés par le CGBC. Cf.: Cundinamarca et Junta General de Beneficencia, Informe que el Presidente de la Junta General de Beneficencia de Cundinamarca, presenta a la Asamblea del Departamento en sus sesiones de 1920 (Casa Editorial de « La Cruzada », 1920).
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Janeiro), Rafael J. Mejía au Chili (Santiago) et Julio Ceballos en Argentine 32. Par exemple, ce dernier a suivi une spécialisation en phtisiologie dans le programme de Pathologie et Clinique de la Tuberculose de la faculté des sciences médicales de l’Universidad de Buenos Aires33. La campagne se consolidait lentement, mais elle était loin de réaliser les ambitions des législateurs et des autorités de santé. Les difficultés de la mise en œuvre d’une grande partie des dispositions de lutte contre la maladie étaient indéniables. Le nombre de médecins officiels n’était pas suffisant et la quantité de tâches auxquelles ils devaient se consacrer dépassait leurs capacités, ainsi les activités de prophylaxie de la tuberculose dans les écoles et l’examen des voies respiratoires du personnel ne furent effectuées que de façon très irrégulière. Les aides financières du gouvernement national aux hôpitaux changeaient d’une année sur l’autre, et comme il était difficile de savoir combien de lits étaient réservés aux tuberculeux dans les hôpitaux de province, le décret n° 2 326 n’a pas été appliqué. Une enquête réalisée en 1945 sur les activités de la campagne antituberculeuse avait prouvé que seulement un petit nombre de municipalités effectuaient le test de la tuberculine. En 1947, il y avait 4 hôpitaux-sanatorium dans le pays, à Bogotá, Medellín, Cúcuta et Santa Marta, et un cinquième était en construction dans la ville portuaire de Barranquilla. Une autre solution, plus économique, fut la construction de salles exclusives pour les tuberculeux dans les hôpitaux généraux existants. Dans les 19 salles de ce type, les autorités d’hygiène de l’époque comptaient 590 lits pour les tuberculeux, chiffre qui s'élevait à 1 170 en considérant ceux des hôpitaux-sanatorium34. Quant à la vaccination par BCG, et après la réforme de la campagne en 1937, les autorités d’hygiène avaient décidé de produire le vaccin dans le pays. Ainsi, ils ont alloué un budget pour construire et équiper un laboratoire à l’Instituto nacional de higiene. Le jeune médecin Aparicio Jaramillo fut choisi pour suivre un cours à l’étranger et apprendre la technique de production du vaccin35. Néanmoins, des problèmes administratifs ont empêché la mise en marche du laboratoire36. Il semble que les problèmes pour produire le vaccin dans le 32 33
Caicedo Castilla, Memoria del ministro de trabajo higiene y previsión social al Congreso de 1941, 156. o Julio Ceballos V, « Desde Buenos Aires », Heraldo médico II, n 18 (1941): 56. La documentation d’archive existante ne nous a pas permis de suivre les parcours de ces médecins. Nous avons pu déterminer seulement qu’en 1949 Rafael J. Mejía était le directeur départemental de la campagne antituberculeuse d’Antioquia. Rafael J Mejía C., « Lo que usted debe saber de la tuberculosis », Revista o de higiene de Medellín 1, n 1 (1949): 14‑16.
34
Acosta Pinzón et Leyva Urdaneta, « La lucha antituberculosa en Colombia », 24‑28. Ibid., 29. 36 Plusieurs sources documentaires mentionnent l’existence des inconvénients mais aucune ne décrit leur origine. Alors, nous n’avons pas pu établir la cause précise de l’échec du laboratoire. Selon le programme de la première Conférence de tuberculose en Colombie, des doses du vaccin préparées dans le pays seraient présentes le jour de l’inauguration de cette rencontre académique. Mais, à cause 35
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pays étaient de type économique et technique. D’une part, l’impossibilité budgétaire du pays pour établir et équiper le laboratoire. D’autre part, l’instabilité des souches importées de l’étranger. La validité scientifique de la vaccination par BC
n’était pas questionnée.
Cependant, le pays n’arrivait pas à l’implémenter. En 1942, une nouvelle initiative à cet égard fut prise par les autorités sanitaires du département d’Antioquia. Elles ont décidé d’envoyer au Venezuela un médecin, Edmundo Medina Mejía, responsable de la campagne départementale, pour y étudier les détails de la préparation, de l’application et du suivi de la vaccination37. Depuis des années, les autorités sanitaires d’Antioquia étaient favorables à cette mesure prophylactique. Elles considéraient que, dans un pays comme la Colombie, dont le niveau économique était bas, où, par conséquent, les mesures d’isolement ne pouvaient qu’être rares et les pouvoirs publics ne disposaient que de faibles ressources pour les campagnes d'hygiène, la vaccination par BCG devenait une mesure prophylactique essentielle. L’immunité conférée par le vaccin avait été prouvée par plusieurs études, donc pour Edmundo Medina Mejía et ses collègues, la vaccination était la mesure la plus viable dans les pays pauvres incapables de mettre en œuvre d’autres mesures, peut-être plus efficaces, mais qui demandaient un budget inaccessible à leurs gouvernements. Les difficultés d’importation des équipes nécessaires pour la production du vaccin dans le pays ont imposé la décision de son importation depuis le pays voisin. Ainsi, la première vaccination fut réalisée à Medellín en septembre 1943, et en juin 1944, 2 194 enfants avaient été vaccinés, sans accident, ce qui démontrait à nouveau l’innocuité du vaccin38. L’introduction de la vaccination contre la tuberculose à Medellín sans accident médical a mobilisé les autorités nationales. Le Directeur national d’hygiène Jorge Bejarano, qui avait été témoin des résultats de la vaccination aux États-Unis, spécialement dans les populations indigènes, a réuni la direction de la campagne et le personnel scientifique pour définir une position officielle sur le BC . A la fin de la rencontre, la vaccination fut adoptée à l’unanimité. Elle s’est poursuivie à Medellín et elle fut mise en œuvre aussi à Bogotá. Dans ces deux cas, les vaccins furent importés du Vene uela, mais le gouvernement a convenu d’acheter le matériel nécessaire pour établir une production nationale à l’Instituto nacional de Higiene39.
des lacunes de la documentation nous sommes incapables de confirmer ou dénier si, comme il avait été prévu par les organisateurs, des doses du vaccin furent offertes pendant la conférence. Cf. : Departamento nacional de higiene, « Reglamento de la Primera Conferencia nacional de la o tuberculosis en Colombia », Boletín clínico 5, n 41 (1938): 238‑239. 37 Acosta Pinzón et Leyva Urdaneta, « La lucha antituberculosa en Colombia », 29. 38 Edmundo Medina Mejía, « Estudio de tuberculosis en Antioquia », Anales de la academia de medicina o de Medellín 1, n 7 (1944): 428‑430. 39 Acosta Pinzón et Leyva Urdaneta, « La lucha antituberculosa en Colombia », 30.
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Illustration 16. Campagne de vaccination contre la tuberculose (BCG). Les personnes font la queue à l’entrée du dispensaire de Medellin
NOTE : Pendant la première moitié du XXe siècle l’usage de chaussures commence à peine à se généraliser en Colombie. Les chaussures font partie de la tenue citadine. Marcher pieds nus est une habitude ancienne présente dans toutes les couches sociales, mais elle est surtout une trace des sociétés rurales. Cet aspect de ruralité est encore présent aux années 1950. C’est pourquoi il n’est para rare de voir sur les photos de l’époque, aussi spontanées que posées, des personnes qui n’utilisent pas des chaussures ou qui les usent seulement pour des occasions spéciales. SOURCE : Photo, Gabriel Carvajal, 1953, Repositorio fotográfico de la Biblioteca pública piloto, Medellin, Colombie
En 1948, les médecins Edmundo Medina et Guillermo Aparicio ont participé au premier Congrès international du BCG, qui a eu lieu à Paris. Ils ont rapporté en Colombie une souche de BCG, offerte par l'Institut Pasteur de Paris, pour développer des cultures propres. Ainsi, à partir de février 1949, les bactériologistes de l’Instituto nacional de Higiene ont testé leur propre production de vaccin contre la tuberculose. Cependant, la première campagne nationale massive de vaccination antituberculeuse a été réalisée seulement en 195440. Les controverses entre la province et la capitale : la campagne contre la tuberculose à Medellín et Antioquia Pourquoi la vaccination par BCG a-t-elle été mise en œuvre d’abord à Medellín pour ne prendre qu’ensuite un caractère national ? Pour répondre à cette question, il faut s’arrêter sur quelques événements qui ont marqué la lutte antituberculeuse dans le département d’Antioquia, et plus précisément à Medellín, sa capitale. L’étude de ce cas permet de mettre en évidence la confrontation, plus ou moins courante, entre le gouvernement central et les 40
Víctor Manuel García, « Contribution à une histoire de la régulation des médicaments en Colombie 1900-1960 » (Mémoire de master, École des Hautes Études en Sciences Sociales, 2011), 103.
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autorités de la province et les dissimilitudes du déroulement des projets sanitaires dans le pays. Pour combattre la propagation de la tuberculose dans le pays, la loi 16 (4 décembre) de 1916 ordonna la création des Juntas organizadoras de la lucha antituberculosa. Le Conseil national, dont le siège résidait à Bogota, était composé du ministre du gouvernement, du président du Conseil national d’hygiène, du président du Conseil national de bienfaisance et d’un fonctionnaire de l’HSJD. Le but principal de ce conseil était d’organiser la lutte contre la tuberculose et de règlementer le fonctionnement des Conseils départementaux et municipaux à créer pour cela41. La loi 112 (22 décembre) de 1919 réforma la loi 16 et transféra les fonctions du Conseil national de lutte contre la tuberculose à la Direction nationale d’Hygiène. A part l’hygiène des ports dont la responsabilité incombait au pouvoir central, cette loi ordonna aux départements et municipalités de destiner une partie de leur budget aux activités sanitaires. Le gouvernement national n’attribuerait une aide financière pour l’hygiène que dans le cas d’une expansion des maladies infectieuses à caractère épidémique attaquant plusieurs municipalités et une fois que les autorités départementales auraient fait la preuve qu’elles ne disposaient pas de ressources pour la combattre42. Dans le cadre de cette loi, les autorités municipales de Medellín ont ordonné, par l’acuerdo 4 du 28 janvier 1920, la création d’un conseil municipal pour lutter contre la maladie et ont indiqué les linéaments de la lutte antituberculeuse dans la ville, dont ceux-ci : Envisager la possibilité de construire le plus vite possible un sanatorium dans un endroit approprié et pour cela, demander des aides aux gouvernements départementaux et municipaux et au grand public ;[...] Enregistrer les personnes attaquées par le mal et disposer pour chaque cas de ce qu’il faut pour éviter la contagion et assurer la guérison du malade ... Faire une propagande active dans les journaux et affiche locale et brochures en indiquant les mesures prophylactiques à prendre afin de prévenir la propagation de cette maladie. La construction d’un sanatorium dans la ville avait déjà été proposée en 1912 par le médecin officiel Jorge Sáen et le médecin adjoint E. Posada Cano, après l’apparition d’un foyer de tuberculose dans le secteur de Belén. Mais la réponse du Conseil municipal à cet égard fut négative à cause des coûts d’un tel projet pour le trésor public43.
41
República de Colombia et Gobierno nacional, « Ley 66 de 1916 (diciembre 14) Por la cual se organiza la lucha contra la tuberculosis, y se adiciona y reforma la marcada con el número 84 de 1914, sobre higiene pública y privada », Diario oficial, 21 décembre 1916, 191. 42 García Medina, Compilación de las leyes, decretos, acuerdos, I:68‑69. 43 « Tuberculosis », Crónica Municipal, 19 mars 1912.
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En 1920, le Conseil municipal antituberculeux de Medellín (CMAM), récemment installé, adopta parmi ses projets principaux la fondation d’un « sanatorium de montagne » et d’un « dispensaire des voies respiratoires » et demanda le concours des autorités départementales et de la société civile44. La direction départementale d’hygiène d’Antioquia soutint le projet de construire un sanatorium à Medellín et demanda à l’Assemblée départementale sa participation active dans cette construction. Selon les autorités sanitaires départementales, le principal problème des conseils antituberculeux était leur incapacité à isoler les patients contagieux qui vivaient dans des conditions misérables. De sorte que les malades échappaient aux contrôles et répandaient la maladie. Au contraire, l’existence du sanatorium permettrait de toucher tous les patients du département et non les seuls habitants de Medellin. Ainsi, l’arrêt départemental numéro 23 du 25 avril 1921 allouait-il un budget pour la construction du sanatorium « suivant les préceptes scientifiques nécessaires ». Le département posa comme condition de sa participation que le CMAM contribue financièrement à cette construction. Par manque de fonds, l’établissement du dispensaire n’a pas abouti et tous les efforts économiques se sont concentrés sur le sanatorium45. Le projet prévoyait la construction d’un sanatorium, mais certains inconvénients du terrain initialement sélectionné par les autorités (déversement des eaux usées) ont modifié ce plan et le CMAM a décidé de trouver un autre terrain déjà bâti offrant les conditions basiques d’aménagement d’un sanatorium. La finca (maison de campagne) choisie s’appelait La María, nom que va conserver le premier sanatorium du pays. En août 1923, le sanatorium ouvrit ses portes et reçut quinze malades. Le nombre augmenta graduellement, mais en mai 1924 une partie des aides financière s’arrêta et l’hôpital ferma pendant quelques mois46.
44
Junta Municipal Antituberculosa, « Informe de la Junta municipal antituberculosa al Concejo municipal (03/1920) » (Medellín, 1920), AHM, Sección Alcaldía, Fondo JASP, Tomo 198, f. 451-454. 45 Jesús M. Marulanda, Informe que presenta el secretario de gobierno al señor doctor Julio E. Botero, Gobernador del departamento (Medellín: Imp. oficial, 1921), 41. 46 o J.B. Pérez Cadavid, « El hospital La María y la tuberculosis », La farmacia, n 12 (1931): 414.
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Illustration 17. Hôpital La María, situé sur une colline à l'ouest de Medellín, département d’Antioquia
NOTE : Premier sanatorium construit en Colombie en 1923 SOURCE: Photo, Francisco Mejía, 1942, Repositorio fotográfico de la Biblioteca pública piloto, Medellin, Colombie
Sur le plan national, la lutte antituberculeuse ne disposait pas encore de budget. Au sein du ministère de l’Instruction et de la Santé publiques, la DNH fusionna en 1925 avec la Section d’assistance publique, formant ainsi la DNHAP. Si le ministre réclama l’augmentation de son budget pour améliorer les conditions de l’enseignement national, il ne demanda rien de plus pour la santé publique. Le budget sanitaire fut dépensé pour la campagne contre la lèpre, la campagne contre l’ankylostomiase — cofinancée par la Fondation Rockefeller — l’achat du laboratoire privé Samper-Martinez — car il n’y avait aucun laboratoire public — l’hygiène des ports et les allocations des hôpitaux publics. Selon la Loi 15 de 1925, le service de bienfaisance devait se consacrer à la campagne contre la tuberculose, la lutte contre les maladies vénériennes et la protection de l’enfance, mais en 1926 le ministre soulignait que ce service n’était pas encore en fonctionnement, car il ne restait pas de ligne budgétaire pour cela47. Les tuberculeux étaient soignés dans les hôpitaux publics selon les moyens de chaque municipalité. Le sanatorium La María ouvrit de nouveau, mais à la charge de la ville de Medellín. En 1927, le secrétaire départemental demanda à l’Assemblée l’allocation des ressources nécessaires pour construire une nouvelle salle dans cet hôpital. Beaucoup de tuberculeux de 47
José Ignacio Vernaza, Memoria del ministro de Instrucción y salubridad públicas al Congreso de 1926 (Bogotá: Imprenta Nacional, 1926), IX‑XLIV.
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différentes régions du département demandaient une place pour se faire soigner, mais le nombre de lits disponibles était très réduit, la liste d’attente pour l’admission était longue et dans certains cas le personnel de l’institution refusait d’accueillir de nouveaux patients48. De fait, les conseils municipaux antituberculeux étaient donc inefficaces faute de services hospitaliers adéquats. En 1931, la situation financière de La María était encore très instable, et le directeur de l’institution, le médecin J.B. Pére Cadavid, préconisant la charité chrétienne, demandait à la population aisée de la ville de faire des dons à cette institution et de l’inclure même comme bénéficiaire dans leurs testaments. L’hôpital traitait environ 80 malades, mais les besoins étaient de 200 ou 300 lits49. En 1933, année de la création à Bogota du premier dispensaire antituberculeux du pays, trois membres de l’AMM préparaient un rapport sur la tuberculose dans le département d’Antioquia. Ils réunirent les chiffres des patients traités et diagnostiqués à Medellín dans l’hôpital San Juan de Dios et La María, et ceux des examens bactériologiques des laboratoires privés et publics de la ville. Mais aussi les données du service d’hygiène du Ferrocarril de Antioquia, grand projet ferroviaire départemental, et les chiffres publiés dans le journal régional officiel et les annuaires statistiques nationaux. La conclusion était claire, les taux de morbidité et de mortalité par tuberculose en Antioquia étaient bas malgré les difficultés de mise en œuvre d’une campagne pour son contrôle et de la concentration de tuberculeux dans l’hôpital La María50. À l’évidence, 4 994 tuberculeux ont été enregistrés entre 1927 et 1932 dans le département d’Antioquia et 1 037 à Medellín. Selon les chiffres moyens de la population et des malades, le taux de morbidité par tuberculose à Medellín était de 8,36 pour 1 000 habitants tandis que dans le département d’Antioquia il était de 4,71. D’après les responsables du rapport, la différence s’expliquait par la concentration de tuberculeux à l’hôpital La María et par les enregistrements redondants produits par les visites répétées de patients chez différents médecins pour confirmer le diagnostic de la maladie. En tout cas, ces chiffres étaient bas par rapport à ceux de Bogota, qu’ils estimaient, pour l’année 1928, à 13,1 pour 1 000 habitants51.
48
Francisco de P. Pérez, Informe rendido por el Secretario de gobierno al Sr. General Pedro J. Berrio con motivo de las sesiones ordinarias de la Asamblea en el año de 1927 (Medellín: Imp. oficial, 1927), 49‑ 51. 49 Pérez Cadavid, « El hospital La María y la tuberculosis », 413‑414. 50 Dionisio Arango Ferrer, Jesús Peláez Botero, et Alonso Restrepo, « La tuberculosis en Antioquia », o Anales de la Academia de Medicina de Medellín II, n 19 y 20 (1933): 783‑803. 51
Ibid., 789‑790.
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En plus, ces médecins montraient que les taux de mortalité et de morbidité par ce fléau en Colombie étaient plutôt favorables par rapport à ceux d’autres pays. En reprenant les chiffres publiés dans l’annuaire statistique colombien de 1930, ils firent les calculs suivants : dans une population estimée à 8 000 000 d’habitants, et 94 125 décès totaux enregistrés, dont 1 371 par tuberculose pulmonaire, le taux de mortalité était de 14,56 pour 1 000 décès. Ainsi, le nombre probable de malades était 10 968, soit un taux de 1,37 pour 1 000 habitants52. D’après le rapport, c’était une proportion très basse, car même en la quadruplant, elle restait inférieure à celles des pays européens (9,12 pour l’Angleterre, 12,88 pour l’Allemagne et 8,22 pour la France). Les chiffres européens utilisés appartiennent à l’année 1907, de sorte que sa comparaison n'est pas vraiment juste, en tout cas, à cause des dégâts de la Grande Guerre, il est probable que les chiffres furent encore plus hauts. Peut-être ces médecins ne disposaientils pas d’autres chiffres pour faire leurs comparaisons, néanmoins, ce qui est remarquable, c’est le fait qu’à la différence de leurs homologues de la capitale du pays, ils ont donné une image plutôt rassurante de la situation de la tuberculose en Colombie. En outre, ils ont montré que la situation de la tuberculose dans le département d’Antioquia et sa capitale Medellín était effectivement plus favorable que celle de Bogota. Si la section de la lutte antituberculeuse du Département national d’hygiène fut créée en 1932, le gouvernement national ne lui avait pas alloué assez de financement pour la mise en œuvre de ses activités. La tension entre les exigences locales d’un soutien du gouvernement et l'incapacité du pays à faire face à l'ensemble de ses responsabilités financières, fut une constante. En général, les programmes de santé prévus dans des lois et imposés par des décrets nationaux limitaient leur succès dans la course au financement par des ressources locales. Ainsi, la construction des dispensaires pour la lutte antituberculeuse retomba sur les directions département d’hygiène53. Pour répondre à cette demande, le gouvernement d’Antioquia proposa, par l’Ordenanza N°54 de 1934, la construction d’un dispensaire dans la ville de Medellín. Avant de la mettre en application, le gouverneur demanda l’avis d’un groupe de médecins. Ainsi, le 19 mars 1934, les autorités de santé du département, les membres de l’AMM, les professeurs de Faculté de médecine et des médecins locaux se sont réunis pour discuter de la départementalisation de l’hôpital La María et de la construction des dispensaires. Ils formèrent des commissions pour élaborer un projet de lutte
52
Pour estimer le nombre possible de malades de tuberculose, le nombre de décès par TBC fut multiplié par 8, facteur registré dans la littérature. Ibid., 800. 53 Enrique Enciso, « Circular número 10. Dirección técnica de higiene. Bogotá, marzo 23 de 1933 », o Revista de higiene 14, n 6 (1933): 203‑5.
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antituberculeuse dans le département, qui devait être approuvé par l’AMM54. Comme représentants de cette dernière institution furent choisis les médecins Alonso Restrepo Moreno, Juan B. Pérez Cadavid et Elkin Rodriguez Arango, et comme représentants de la Faculté de médecine Jesús María Duque55 et Daniel Correa. La décision finale des commissions fut d'appuyer la construction d’un dispensaire à Medellín, et la présentation d’un programme général de lutte antituberculeuse dans le département. Néanmoins, les discussions sur ces sujets dévoilent très bien le type de conflits entre les structures de santé municipaux, départementaux et nationaux. Les docteurs Elkin Rodriguez Arango, Jesús María Duque et Daniel Correa ont voté en faveur de la construction du dispensaire, tandis que Juan B. Pérez Cadavid et Alonso Restrepo Moreno ont rejeté le projet. Pérez Cadavid, en qualité de directeur de La Maria, jugeait que les exigences économiques d’une lutte antituberculeuse étaient très hautes et signalait que jusqu’à présent, l’hôpital survivait surtout de la charité, car les autorités municipales ne faisaient pas vraiment attention à lui. La construction d’un dispensaire à Medellín augmenterait encore plus les charges aussi bien que le nombre des patients demandeurs d’un lit à La María. Ainsi les conditions du service deviendraient encore plus difficiles et la concentration de tuberculeux dans la ville s’accroîtrait. Pére Cadavid reconnut l’importance des dispensaires dans la mise en œuvre de la campagne, mais étant donné les difficultés budgétaires envisageables, il demanda la participation effective des autorités nationales et départementales avant de proposer une campagne en Antioquia56. Les arguments de Restrepo Moreno, Vice-Président de l'AMM, contre la construction du dispensaire étaient de la même veine que ceux de Pérez Cadavid, beaucoup plus critiques sur l’organisation administrative du pays : Ici comme toujours, notre RÉPUBLIQUE UNITAIRE suit son modèle invariable de CENTRALISME absolu et despotique pour les devoirs contributifs des départements, mais aussi de FÉDÉRALISME ingénieux (surtout pour Antioquia), parfois dissimulé derrière le paravent d'une subvention qui, au début, est versée avant d’être abandonnée par après57.
54
o
« Lucha antituberculosa », Anales de la Academia de Medicina de Medellín II, n 27 (1935): 2027‑29. Ce médecin a servi en tant que directeur de la Commission municipale sanitaire de Medellín pendant neuf ans (1915-1924), et participa à la formation du Conseil antituberculeux et à la fondation de l'Hôpital La María 56 J.B. Pérez Cadavid, « Informe de minoría. [Lucha antituberculosa] », Anales de la Academia de o Medicina de Medellín II, n 27 (1935): 2029‑32. 57 Alonso Restrepo, « Informe de minoría de la comisión. [Lucha antituberculosa] », Anales de la o Academia de Medicina de Medellín II, n 27 (1935): 2033. 55
382
D’après Restrepo Moreno, puisque le gouvernement national avait signé l’acte de la neuvième Conférence sanitaire panaméricaine — qui recommandait aux pays participants d’organiser une lutte nationale antituberculeuse, technique et disposant d’un budget — c’était effectivement à lui d’organiser une campagne contre ce fléau et d’allouer les fonds nécessaires à cette fin. Pour lui, le gouvernement national tentait d’échapper à cette obligation, contractée avec les autres pays du continent, en s’acquittant de la contrepartie, à savoir fournir un appareil à rayons X au moment de la construction du dispensaire par les autorités municipales. La charge pour la ville de Medellín était déjà importante, car entre le 1er novembre 1931 et le 30 septembre 1933, des 136 patients traités à La Maria, 106 provenaient d’autres villes du département et 12 d’autres départements. En plus, le département d’Antioquia lui-même devait 5 000 pesos de subventions non payées à l’hôpital La María58. Pour arriver à étendre la campagne antituberculeuse dans le département, Restrepo Moreno proposa de suivre le modèle financier suivi par la Fondation Rockefeller dans ses campagnes sanitaires et de fixer sa contribution selon le montant de la contrepartie gouvernementale. Le budget attribué par le département à la lutte serait égal à celui apporté par le gouvernement central. Bien entendu, ce modèle financier était adéquat pour les départements les plus aisés du pays comme Antioquia, mais tout à fait problématique pour les départements pauvres. En outre, il aurait fractionné encore plus le déjà précaire système national de santé. Par ailleurs, et quant à l’organisation de la lutte, Restrepo Moreno proposa la subdivision du département en 5 ones, chacune devant disposer d’un dispensaire et d’un sanatorium dont les premières activités seraient le dépistage méthodique des élèves des écoles, du personnel public et des ouvriers. Les services médicaux des dispensaires devraient exiger la présentation d’une attestation de domicile signée par le maire ou l’inspecteur de police, ce qui permettrait l’accueil privilégié des malades de la one et du département. Etant donnée la situation fiscale du moment, les ressources seraient dépensées d’abord dans la one centrale, soit Medellín, et le gouverneur devrait allouer des fonds aux autres zones sur le budget de l’année suivante59. En dépit des critiques des budgets nationaux consacrés à la lutte antituberculeuse exprimées par Pérez Cadavid et Restrepo Moreno, une deuxième commission, composée de deux professeurs et du directeur de la Faculté de médecine, évalua à nouveau tous les rapports. Cette commission reprit l’organisation suggérée par Restrepo Moreno et donna son accord pour la construction d’un dispensaire à Medellín et un autre à Segovia, une des
58
Ibid., 2033‑2039.
59
Ibid., 2042‑2043.
383
principales villes minières du département. Puisque le budget était limité, la commission conseilla d’édifier des dispensaires « modestes », celui de Medellín pouvant s’installer à l’intérieur de l’hôpital La María. En tout cas, cette deuxième commission souligna à l’attention du Gouverneur la nécessité impérieuse d’attribuer plus de ressources pour aider au déploiement de la campagne antituberculeuse dans le département, y compris pour la construction d’autres dispensaires et des sanatoriums60. L’ordenanza numéro 54 n’eut pas de résultats immédiats. En 1935, la construction d’un dispensaire à Medellín n’était pas encore une réalité. Au contraire, elle se heurtait à l’opposition des habitants aisés de la ville qui, au nom de l’hygiène et par peur que la capitale ne devienne « le plus grand foyer d’infection connu », demandaient au Directeur départemental d’hygiène d’Antioquia d’empêcher la construction du dispensaire dans le centre-ville. Toutefois, les autorités de santé départementales ont continué à soutenir le projet. Suivant les préceptes de la lutte antituberculeuse internationale, elles estimaient que le diagnostic rapide des cas de tuberculose était à la base des mesures préventives contre la propagation de la maladie, puisqu’il permettait la détection précoce des cas curables61. L’année suivante, le dispensaire ouvrait ses portes, sous la direction d’Elkin Rodrígue Arango qui, depuis le début, avait soutenu le projet62. En 1938, la controverse publique autour de la propagation de la maladie à Medellín et Antioquia n’avait pas cessé, plusieurs articles de journaux lui étaient consacrés. Ainsi les autorités municipales et départementales se sont-elles réunies à Bogota avec des représentants du ministère du Travail, de l’Hygiène et de la Prévision sociale pour discuter de l’octroi de fonds pour la lutte dans le département. Le plan envisageait l’édification d’une nouvelle salle de tuberculeux dans l’Hôpital San Juan de Dios de Medellín, et la création de dispensaires antituberculeux dans les unités sanitaires et les centres mixtes de santé dont la construction était prévue par les autorités départementales. À cet égard, le ministère soutint le plan et alloua des ressources en contrepartie des activités déjà entreprises par le département. De la même façon, le ministère garantit la mise à disposition d’une ambulance pour le transport de tuberculeux, dont la charge incomberait aux autorités départementales. De son côté, le secrétaire départemental d’hygiène accorda à la campagne une subvention proche de 4 000 pesos couvrant notamment les médicaments indispensables dans les dispensaires pour le traitement des patients ambulatoires. Le maire de Medellín et le président du conseil municipal eux aussi s’engagèrent à établir une connexion scientifique et 60
Gil J. Gil, G. Toro Villa, et A. Bernal Nicholls, « [Lucha antituberculosa] », Anales de la Academia de o Medicina de Medellín II, n 27 (1935): 2044‑45. 61 Eduardo Uribe Botero, Memoria de Gobierno 1936 (Medellín: Imp. oficial, s.d.), 122. 62 Arturo Robledo et Secretaría de Higiene y asistencia social, Informe que el Dr. Arturo Robledo, secretario de higiene, le rinde al gobernador de Antioquia (Medellín: Imp. oficial, 1937), 25‑26.
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technique entre l’hôpital La María et le dispensaire antituberculeux de Medellín, inexistante à l’époque, et à garantir une plus grande efficacité de la campagne antituberculeuse. De ce fait, et aussi pour des questions budgétaires, le poste de directeur de La María disparut, la direction du dispensaire prit le contrôle des deux institutions et soumit tous les patients de l’hôpital à un examen médical pour ne garder que les vrais malades. Cela permettait de faire de la place pour les nouveaux malades envoyés par le dispensaire. Également, les autorités municipales promirent la construction et l’aménagement d’une petite salle de chirurgie dans l’hôpital et fixèrent à 100 malades la capacité maximale d’accueil dans l’établissement. Tous ces accords ont été officialisés par la création d’un fonds auquel le gouvernement central contribua pour 7 500 pesos, et le départemental pour 4 000 pesos63 Suivant le modèle de la division départementale en 5 zones, de nouvelles allocations ont été distribuées en 1939 pour l’ouverture de dispensaires à Támesis, Puerto Berrio, Cañasgordas et Segovia, des pôles commerciaux du département affectés de façon importante par la maladie. Ces dispensaires devaient travailler conjointement avec celui de Medellín et l’hôpital-sanatorium La María. La production de chiffres devait permettre de contrôler la mise en œuvre de la campagne. Par exemple, les données du dispensaire de Medellín concernaient le nombre et le type de diagnostics et de traitements, les résultats des examens pratiqués, l’étude statistique des cas positifs selon l’âge, le genre, l’occupation, le salaire et le lieu de résidence. On indiquait encore si le malade était envoyé au dispensaire par un médecin du bureau d’hygiène municipal, un médecin privé, un hôpital ou s’il venait volontairement. Selon le directeur du dispensaire, ce dernier critère permettait d’évaluer le soutien du corps médical et de la population à la campagne. Par ailleurs, et d'un point de vue social, les chiffres du dispensaire de Medellín pour l’année 1938 montrèrent que plus de la moitié des cas positifs étaient des personnes sans profession et sans aucun salaire ou avec des salaires misérables, de sorte que les mesures prophylaxiques proposées aux malades pour réduire leur contagiosité étaient difficilement suivies. En plus, étant donné le nombre réduit de lits disponibles à l’hôpital La María et la détérioration progressive de ses installations, le traitement des malades graves constituait un problème sérieux64. Toutefois, selon le responsable départemental de la campagne, les chiffres montraient « de manière éloquente » que la vaccination par BCG, pratiquée en France depuis 15 ans, était très efficace pour réduire la mortalité infantile par tuberculose. La Colombie devait alors considérer d’abord la vaccination systématique des enfants nés de parents tuberculeux et, 63
Secretaría de Higiene y asistencia social, Informe del secretario de higiene y asistencia social de Antioquia 1938, vol. I (Medellín: Imp. oficial, 1939), 100‑103.
64
Ibid., I:114‑117.
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après vérification des résultats locaux, la vaccination de toute la population infantile du pays. Pour cela, il fallait que le laboratoire national de Bogota fût capable de fabriquer le vaccin. Donc, il exhortait les autorités nationales à ne pas reculer devant cet effort65. Une réglementation départementale força certains syndicats, en particulier ceux des enseignants et des chauffeurs d'autobus, à se rendre au dispensaire une fois par an pour un éventuel dépistage de la tuberculose. Si pendant les deux premiers mois, leur adhésion massive a rendu difficile la prestation des services dans le dispensaire, ces visites obligées ont permis un certain contrôle de la santé des fonctionnaires départementaux et renforcé la capacité d’action de la campagne66. Suivant ce modèle officiel, certaines entreprises ont imposé à tous leurs nouveaux travailleurs la présentation d'un certificat de santé pour démontrer qu’ils n’étaient pas atteints par la tuberculose, soit avec une radioscopie pulmonaire négative ou un certificat du dispensaire67. En 1941, le médecin Guillermo Aparacio, se rendit à Montevideo en tant que représentant national pour s’instruire sur la vaccination par BC et rapporta quelques souches dans le pays. Par ailleurs, cette même année, une bourse d’études financée par les gouvernements national et départemental a été attribuée au directeur de la lutte antituberculeuse d’Antioquia, Rafael J. Mejía, pour suivre un séminaire de phtisiologie à l’hôpital Fermín Ferreira de Montevideo. Le but de ce voyage était non seulement de suivre une formation en phtisiologie, mais aussi de mieux connaître le modèle de ce pays pour améliorer l’organisation de la campagne en Antioquia. À son retour au pays, Mejía insista sur la nécessité de mettre en œuvre la vaccination dans le pays et proposa une enquête sur les écoliers départementaux pour obtenir l’indice de tuberculination68 et disposer ainsi de données pour une application correcte de la vaccination antituberculeuse69. Selon les autorités de santé du département, la création d’un volet épidémiologique était indispensable à la campagne antituberculeuse. Il s’agirait d’obtenir l’indice de tuberculine infantile et l’indice de morbidité dans la population — spécialement celui lié à la contagion familiale et extrafamiliale — de contrôler le travail des infirmières-visiteuses et de soutenir la propagande en faveur de la participation de tous à la lutte contre ce fléau70. 65
Ibid., I:126. Secretaría de Higiene y asistencia social, Informe del secretario de higiene y asistencia social de Antioquia. Labores de 1939 (Medellín: Imp. departamental, 1940), 40. 67 Gabriel Vélez V., Informe del secretario de higiene y asistencia social. Labores de 1941 (Medellín: Imp. departamental, 1942), 133. 68 Si l’injection de la tuberculine provoque une allergie, c’est un signe diagnostique de tuberculose. 69 Vélez V., Informe del secretario de higiene y asistencia social. Labores de 1941, 122‑124. 70 Marco A. Robledo, Informe del secretario de higiene y asistencia social. Labores de 1942 (Medellín: Imp. departamental, 1943), 8‑9. 66
386
Les salaires des médecins qui travaillaient à la campagne départementale étaient très médiocres et le programme de la faculté de médecine de Medellín ne proposait pas de cours de phtisiologie, de sorte que l’administration de santé devait faire face aux difficultés de trouver du personnel non seulement compétent, mais aussi intéressé par ce travail. Pour surmonter partiellement ces obstacles, le directeur de la campagne demanda à la faculté de médecine d’organiser un cours annuel de phtisiologie pour les étudiants de dernière année ou les médecins diplômés. En outre, il envoya Edmundo Medina, un fonctionnaire affecté à la campagne antituberculeuse, en charge du volet épidémiologique, visiter le Sanatorium Simón Bolivar de Caracas au Venezuela et se renseigner sur le programme de vaccination de ce pays. Le séjour scientifique du médecin uillermo Aparicio à l’Institut Calmette de Montevideo avait eu pour objet de développer à son retour la vaccination dans le pays, où la situation ne paraissait pas s’améliorer. Ainsi, à la suggestion des médecins de la campagne, le gouverneur d’Antioquia, Pedro Claver Aguirre — lui-même médecin — profita d'un voyage à Bogota pour demander au ministère de l’Hygiène l’envoi de vaccins à Medellín à destination des nouveaunés. L’administration centrale ne donna pas de réponse concrète à cette sollicitation et la vaccination à Medellín resta entravée71. Le directeur de la campagne d’Antioquia ne cessa d’insister sur le sujet : Nous avons la ferme intention de commencer à vacciner dès que nous pourrons installer un laboratoire approprié et de le faire indépendamment des autorités nationales, qui sans raison valable ont reculé sur un point d’une telle importance. Nous, les médecins de la campagne antituberculeuse d’Antioquia, avons une conscience précise de ce grand problème, née de l'observation et de l'étude des pays plus avancés que le nôtre dans ces questions de phtisiologie. Donc, nous allons procéder *à la vaccination+ avec l’espoir de fournir au monde scientifique des résultats qui permettront de juger correctement l'efficacité de cette méthode de prophylaxie contre le mal redouté de la peste blanche72. Le directeur départemental de la campagne antituberculeuse reprit aussi l’argument d’une rationalisation économique de la santé pour soutenir la vaccination par BC . Celle-ci était une mesure de prophylaxie efficace et moins chère que d’autres mesures difficiles à financer par l’administration locale et que les malades, à cause de leur extrême pauvreté, n’arrivaient pas non plus à suivre73. Quoique l’installation d’un laboratoire à Medellín pour produire le vaccin n’ait pas été réalisée, les premières vaccinations ont eu lieu l’année suivante. La solution trouvée fut 71
Ibid., 40‑42. Ibid., 42. 73 Ibid. 72
387
l’importation hebdomadaire de 125 doses de vaccins du Vene uela envoyées par avion. Ainsi, de septembre 1943 à février 1944, 915 enfants ont été vaccinés : 436 nouveau-nés dans les hôpitaux de Medellín et les autres, des enfants du dispensaire ou des écoliers, tous négatifs au test de la tuberculine74. Les résultats paraissaient prometteurs et les autorités locales ont continué la vaccination. En février 1944, l’axe épidémiologique de la campagne, toujours sous la direction d’Edmundo Medina, comptait déjà 4437 enfants vaccinés par BC . Les autorités départementales insistaient encore auprès du gouvernement national sur les avantages de la vaccination, mais la situation ne se débloquait pas. Selon Medina, la décision du sixième Congrès panaméricain de tuberculose, tenu à Cuba en janvier 1945, d’adopter la vaccination par BCG comme une des principales mesures de prophylaxie contre la tuberculose finirait par convaincre et mobiliser les autorités nationales de santé pour imposer la vaccination dans tout le pays75. Si effectivement la position des autorités nationales relative à la vaccination par BCG changea, comme nous l’avons déjà montré, la campagne nationale de vaccination contre la tuberculose fut mise en œuvre seulement à partir de 1954.
7.2 Une nation de phtisiques : la rhétorique du chiffre De la même manière que la lèpre dans les deux dernières décennies du XIXe siècle76, pendant la période allant de 1890 à 1940, la « statistique de la tuberculose » en Colombie a servi plus comme un argument politico-médical en faveur de la lutte antituberculeuse que comme connaissance quantitative du problème. Dans cette période, il n’y avait pas de données claires sur le nombre de personnes affectées, ni de méthodes ni de techniques pour les recueillir. C’étaient des estimations à partir d’indices d’autres pays ou de simples suppositions de sorte que des chiffres chaque fois plus exagérés ont été publiés pour montrer un degré élevé de contamination de la population colombienne. Cela avait déjà été le cas pour la lèpre à la fin du XIXe siècle, les médecins cherchant à s’assurer la gouvernance de la population et à établir une « médecine nationale »77. Dans le cas de la tuberculose, l'exagération des chiffres était répandue che l’élite politique et che bourgeoisie dédiée au commerce et à la production de café, par crainte d'une contagion consécutive à l'industrialisation et à l'urbanisation du pays. Dans les années 1920 et 1930, cette crainte d'une 74
Marco A. Robledo, Informe del secretario de higiene y asistencia social del departamento. Labores de 1943 (Medellín: Imp. departamental, 1944), 63‑65. 75 Marco A. Robledo, Informe del secretario de higiene y asistencia social del departamento. Labores de 1944 (Medellín: Imp. departamental, 1945), 28. 76 Diana Obregón, Batallas contra la lepra: estado, medicina y ciencia en Colombia (Medellín: Universidad Eafit, 2002); Abel Fernando Martínez et Samuel Alfonso Guatibonza, « Cómo Colombia logró ser la primera potencia leprosa del mundo. 1869-1916 », Colombia médica 36 (2005): 244‑53. 77 Diana Obregón, « Building National Medicine: Leprosy and Power in Colombia, 1870-1910 », Social o History of Medicine 15, n 1 (2002): 89‑108.
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contagion semble avoir augmenté dans le pays, avec la croissance de l'industrie, l'exode rural, l’extension des bidonvilles dans les villes et le mécontentement des ouvriers. La crainte de l’augmentation des cas de tuberculose et des décès attribués à cette maladie se trouve non seulement dans les revues nationales, mais aussi dans le bulletin mensuel de l’Oficina de sanidad panamericana78. En 1930, dans un numéro de cette publication, la situation de la tuberculose en Colombie apparaissait comme inquiétante : « s’il n’y a pas de statistiques précises, il faut souligner l’augmentation de tuberculeux dans les villes »79. Dans une étude faite par des médecins de l’ANM, pour répondre à la demande formulée par le Président de la République, Alfonso López Pumarejo, les auteurs commencent par une déclaration sur les statistiques qui était déjà rituelle dans la littérature colombienne : « Malheureusement, nos statistiques à cet égard [TBC en Colombie] sont fragmentaires et incomplètes et les données officielles et privées ne sont pas appropriées à une telle entreprise »80. À notre avis, il est surprenant que les membres de l’Académie n’aient pas eu recours aux statistiques des causes de décès publiées dans les annuaires statistiques du pays. S'il est vrai que la performance des bureaux de statistique n'était pas idéale, il n’en reste pas moins que les médecins de cette étude auraient pu discuter la fiabilité des chiffres officiels. Ainsi, les auteurs, comme dans beaucoup de discours médicaux, se livraient à des calculs sur des données dont la source restait vague, mais suffisante pour une utilisation rhétorique des chiffres. Dans ce cas, ils affirmaient « *...+ Nous essayerons d’effectuer quelques calculs sur les données que nous avons obtenues ». Et on peut estimer, sur les meilleures données démographiques du pays, que la tuberculose contribue pour 8 pour cent environ à la mortalité générale »81 Et ces médecins continuent : Cela équivaut à sept mil cinq cents colombiens qui meurent de la maladie chaque année. Maintenant, si nous utilisons l'indice accepté pour calculer la morbidité de la tuberculose à partir des chiffres de mortalité par la maladie, en choisissant les taux moyens rapportés par certains auteurs, c'est-à-dire, l'indice 7, on obtient un chiffre de 52 500 tuberculeux en Colombie, des 78
Ce bureau, chargé de recueillir les données concernant les conditions sanitaires des pays membres — y compris l’état sanitaire des leurs ports et les foyers de maladies contagieuses — 79 Le contenu de ces chroniques est assez variable. Il y a des informations sur la mortalité et la vaccination par B. .C. de plusieurs pays d’Amérique, mais aussi de l’Europe et l’Asie. Sur l’Argentine, la section donne des statistiques de mortalité chez les enfants, spécifiquement à Buenos Aires, et des taux de mortalité pour l’ensemble du pays. Oficina Sanitaria Panamericana, « Crónicas. Tuberculosis », o Boletín de la Oficina Sanitaria Panamericana 7, n 9 (1930): 809. 80 Lisandro Leyva Pereira et al., « Estudio sobre higiene y asistencia pública hecho por la Academia o Nacional de Medicina de Bogotá (...) Tuberculosis », Revista médica de Bogotá 44, n 514 (1934): 781. 81 Ibid.
389
individus affaiblis dans leurs énergies et leurs capacités, beaucoup d'entre eux totalement inutiles à la communauté, et ce qui est pire, autant de sources d'infection pour la santé de la population82. Puisque le rapport des membres de l’ANM soumettait au président de la République les sujets d’hygiène et d’assistance publique auxquels le gouvernement et la Chambre législative devaient consacrer leur attention, des chiffres aussi importants que ceux de la tuberculose auraient dû retenir l’attention. Après avoir donné ces chiffres présumés, les auteurs présentent des explications élaborées de la forte incidence de la tuberculose en Colombie, pour montrer qu'elle est une « maladie sociale » et la pire menace morbide du moment. Les arguments sont essentiellement
d'ordre
économique
et
social :
l’augmentation
de
l'immigration,
l'industrialisation, l'urbanisation, la hausse des exportations de café, l'exode interne de la population, la croissance du prolétariat, « la misère et le paupérisme », les changements dans les modes de vie urbains83. Ensuite, ils présentent ce qu'ils considèrent comme la stratégie idéale pour combattre la tuberculose. C’est, en termes généraux, la même proposition que celle de la Conférence de Paris de 1920 déjà citée. Plus loin, ils font le point sur la situation en Colombie et considèrent que le problème de la tuberculose y est principalement un problème urbain84, que la campagne est inopérante et qu’elle est en retard par rapport à d’autres pays. En plus, la loi qui concerne les maladies à déclaration obligatoire n'existe que sur le papier, parce que « il n'existe pas d'institutions qui peuvent isoler et traiter le patient de façon appropriée », ce qui empêche d’exiger du médecin « la violation du secret professionnel, qui n’aura d’autre conséquence que mettre le malade dans une situation désespérée, rejeté partout, sans trouver ni refuge ni asile ». À la fin, ils ajoutent : « Les fins statistiques que poursuit la déclaration obligatoire n’ont pas été atteintes dans des pays mieux organisés que le nôtre, et aujourd'hui, il y a une tendance à ne pas insister sur cette déclaration, et ainsi en remettre aux dispensaires pour la compilation des chiffres de la tuberculeuse »85. Quelques années plus tard, la situation était presque la même. Comme on le voit dans une conférence donnée par le médecin Pedro C. Rojas B. lors de la Segunda Conferencia Nacional de la Tuberculosis, qui s'est tenue à Cali, en février 1940. De nouveau apparait la
82
Ibid. Ibid., 781‑782. 84 Ibid., 789. 85 Ibid., 790. 83
390
rhétorique des chiffres destinée à réactiver l’attention des pouvoirs publics et de la société sur cette « maladie sociale » tant redoutée : Comment traduire dans notre pays ce phénomène socio-économique créé par le problème de la tuberculose ? Certaines données statistiques peuvent éclairer le chemin complexe par lequel nous transitons. Compte tenu des données démographiques des Républiques américaines publiées dans le « Boletín de la Oficina Sanitaria Panamericana » et quelques données aimablement fournies par ceux qui ont travaillé au contrôle de la tuberculose dans le pays, la moyenne de la mortalité annuelle par tuberculose en Colombie est de cent cinquante (150) décès pour cent mille (100 000) habitants, et pour le nombre des [habitants] que possède actuellement cette république, cela donnerait un total de treize mille cinq cents (13 500) morts par tuberculose par an. C'est-à-dire, trente-huit (38) décès par jour. Maintenant, si l'on considère que pour chaque personne qui meurt de tuberculose, selon les travaux effectués dans le Massachusetts, il y a de cinq (5) à dix (10) cas actifs créés par la contagion, donc, et selon le chiffre précédent de mortalité, il existe dans le pays environ cent mille (100 000) tuberculeux86. Selon Rojas, le panorama devenait encore plus désolant, car au-delà du calcul du nombre de tuberculeux dans le pays, il estimait à 10 millions de pesos par an les pertes économiques causées par la tuberculose. Dans son estimation, il considérait les malades cessant de consommer, ceux que les patrons faisaient cesser de produire et ce que le gouvernement dépensait dans l’assistance des patients tuberculeux87. Un chiffre très élevé, si l’on tient compte du budget total du gouvernement national, pour l’année 1940, proche de 111 millions de pesos et celui alloué à l’hygiène et l’assistance publique qui n’a pas excédé les 6 millions88. Il faut retenir que, dans le rapport panaméricain d’où Rojas dit avoir tiré une partie de ses chiffres, la situation de la Colombie ne semble pas aussi terrible que celle d’autres nations américaines. Néanmoins, Rojas omit toute comparaison avec les voisins latino-américains. Pourquoi ? Une explication possible est liée au fait que, avec son utilisation rhétorique des chiffre, il tente d’attirer l’attention de pouvoir publics pour disposer de plus de financement pour la campagne. Il valait, donc, mieux ne pas montrer que la tuberculose en Colombie n’avait pas emporté autant des vies humaines que che les voisins. Dans ce rapport
86
Pedro C. Rojas B., « Nuestra legislación social frente al tuberculoso: seguro social contra la o tuberculosis », Heraldo médico 1, n 6 (1940): 19. 87 Ibid. 88 República de Colombia, Contraloría general de la República, et Dirección nacional de estadística, Anuario general de estadística 1940, 155‑157.
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panaméricain, on constate que le taux de mortalité par tuberculose pour 100 000 habitants des autres pays de la région était la suivante : pour l’Argentine, le taux pour l’année 1935 était 113, mais dans les villes de Buenos Aires et Sante Fe le taux augment à 139 et 230 respectivement. Pour les villes du Brésil, les chiffres étaient encore plus alarmants, 287 pour Rio de Janeiro, 243 pour Belem et 234 pour Belo Horizonte. Quant à la situation en Colombie, le taux pour l’année 1935, et concernant l’ensemble du pays, était 45,2. Par contre, pour la capitale du pays le taux enregistré était 150 et dans la ville portière de Barranquilla il augmentait à 17089. On note alors que le chiffre cité par Rojas est celui de Bogotá. Le choix de présenter seulement le chiffre de Bogota n’est pas facile à expliquer, soit il ne croit pas à la moyenne nationale donc il la néglige, soit il la trouve trop basse pour s’en servir dans son argumentation, soit il s’intéresse seulement aux données de la capitale car il les trouve plus fiables, et laisse de côté aussi le chiffre de Barranquilla. En tout cas, l’usage de chiffres par Rojas est très restreint, il semble que les chiffres doivent parler d’eux-mêmes, et il ne donne pas de comparaisons quantitatives pour expliquer la situation de la Colombie. Il se sert des chiffres à la manière d’un hygiéniste du XIX siècle, il n’a pas encore le regard d’un épidémiologiste.
7.3 Ce que les chiffres officiels sur la mortalité par tuberculose disent Y a-t-il une corrélation entre les chiffres des décès annuels par tuberculose utilisés par certains médecins pour calculer l'incidence de la maladie et des statistiques officielles ? L'apparition d'une loi sur les statistiques sanitaires et les causes de décès est de 1916 (loi 66) et ses décrets d’application de 1918 (acuerdo numéro 3990). Dans les décennies suivantes, l’organisme chargé de centraliser cette information a subi des modifications de même que le mode de production des chiffres. Ainsi, en 1920, la DNH obligea les maires à recueillir les données apportées par les curés de paroisse sur les naissances et les décès, et par les
89
Les chiffres officiels pour l’année 1936 apportent un taux de 228 et 739 pour les villes équatoriennes de Quito et Guayaquil. La ville vénézuélienne de Caracas apporte un taux de 339. Oficina Sanitaria Panamericana, « Demografía de las repúblicas americanas », Boletín de la Oficina Sanitaria o Panamericana 19, n 1 (1940): 15‑30.
90
Cet acuerdo stipulait que tous les maires et chefs de police devaient envoyer au Directeur départemental de l'hygiène (DirDH), les statistiques de décès dans chaque district. Dans les endroits où il y avait des médecins, les décès devraient être classés par maladie. Les chefs des hôpitaux, des hospices, des sanatoriums, des dispensaires, les médecins des prisons et des casernes devaient également envoyer leurs données mensuelles suivant la nomenclature de Bertillon. Les informations collectées par les DirDH devaient être envoyées tous les trois mois au Bureau central d’hygiène. Junta Central de Higiene, « Acuerdo número 39 de 1918 sobre la estadística nosográfica de la República », Gaceta departamental de Antioquia, 19 septembre 1918, Imprenta departamental édition, 10425.
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médecins sur les maladies infectieuses ou contagieuses et sur les causes de décès91. Mais vers 1935, les statistiques nationales furent centralisées à la DNS, entraînant la disparition de la section de statistique vitale rattachée aux DepNH et chargée des statistiques démographiques et nosologiques du pays92. Bien que les annuaires statistiques colombiens aient été publiés avec une certaine régularité depuis 1917, leur organisation et leur contenu étaient asse variables, il n’est ainsi pas possible de connaitre les chiffres officiels de décès par tuberculose pour toutes les années. La fiabilité des chiffres est un point sensible, spécialement pendant les premières décennies. Tout d'abord, en raison du faible nombre de médecins chargés de rédiger les certificats de décès dans plusieurs régions du pays, Ensuite, du fait que certaines personnes évitaient de déclarer que leurs parents étaient décédés par tuberculose, et enfin à cause des problèmes techniques liés à la centralisation (transmission tardive) et à la publication (accumulation des retards et manque de crédits conduisant à la suppression de sections de l’annuaire) des chiffres. Malgré la sous-déclaration incontestée, nous avons décidé de ressembler ces statistiques officielles et de les comparer avec les chiffres et les estimations de certains médecins des années 1930 et 1940 concernant la lutte antituberculeuse. Ont-ils eu recours à des données disponibles dans les annuaires ? Les médecins discutaient-ils et comparaient-ils les statistiques officielles avec leurs propres estimations ? Quand on lit les annuaires en détail, la réponse la plus probable est négative (Tableau 55).
91
Dirección nacional de higiene, « Resolución número 90 de 1920 (septiembre 9) sobre estadística sanitaria en la República », in Compilación de las leyes decretos, acuerdos, y resoluciones vigentes sobre higiene y sanidad en Colombia, vol. I (Bogotá: Imprenta nacional, 1932), 345‑46; República de Colombia et Gobierno nacional, « Ley 15 de 1925 (enero 31), sobre higiene social y asistencia pública », Diario oficial, 9 février 1925, 15; República de Colombia, « Decreto n° 580 de 1928 (29 de marzo) por el cual se reglamenta la declaración de las enfermedades contagiosas », 580. 92 Carlos Lleras Restrepo, La estadística nacional: su organización, sus problemas (Bogotá: Imprenta Nacional, 1938), 28.
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Tableau 55. Statistiques des décès par tuberculose et fièvre typhoïde enregistrés en Colombie de 1915 à 1949
Année 1915 1918 1919 1920 1923 1927 1928 1929 1930 1931 1936 1938 1940 1941 1942 1943 1944 1945 1946 1947 1948 1949
Population Décès en Décès D.TBC/ Taux Décès par totale Colombie par DT D.TBC fièvre calculée (DT) TBC *100 100 000h typhoïde 5 447 000 101 277 2 219 2,19 40,74 3.032 5 855 000 91 639 2 679 2,92 45,76 1.703 * 5 999 000 93 113 8 270 8,88 137,86 2 907 * 6 147 000 83 099 7 828 9,42 127,35 1 564 6 618 000 90 184 2 321 2,57 35,07 2 034 7 320 000 106 039 2 533 2,39 34,60 3 144 ** 7 338 000 107 574 2 350 2,18 32,03 2 903 7 492 000 102 929 2 372 2,30 31,66 2 842 7 649 000 94 125 2 153 2,29 28,15 2 229 7 810 000 103 364 2 399 2,32 30,72 1 948 8 665 000 129 976 3 860 2,97 44,55 2 641 8 701 816 150 650 4 087 2,71 46,97 2 578 9 075 795 137 786 4 139 3,00 45,60 2 503 9 269 915 144 095 4 311 2,99 46,51 2 663 9 469 069 151 809 4 270 2,81 45,09 2 503 9 673 312 155 749 4 383 2,81 45,31 1 377 9 892 859 162 323 5 102 3,14 51,57 1 685 10 097 825 159 159 4 608 2,90 45,63 2 234 10 318 411 160 460 4 480 2,79 43,42 2 077 10 544 676 152 411 4 451 2,92 42,21 1 509 10 776 890 154 392 4 623 2,99 42,90 1 560 11 015 150 154 552 4 293 2,78 38,97 1 956
D.FT/ DT *100 2,99 1,86 3,12 1,88 2,26 2,96 2,70 2,76 2,37 1,88 2,03 1,71 1,82 1,85 1,65 0,88 1,04 1,40 1,29 0,99 1,01 1,27
Taux D.FT 100 000 h 55,66 29,09 31,22 18,82 30,73 42,95 39,56 37,93 29,14 24,94 30,48 29,63 25,80 28,73 26,43 14,24 17,03 22,12 20,13 14,31 14,48 17,76
NOTE - *L’augmentation des chiffres est dû au nombre des décès enregistrés dans le département de Boyacá (6 114 en 1919 et 6 189 en 1920). Ces cas n’ont pas été enregistrés dans la rubrique « tuberculose pulmonaire ». **Le chiffre utilisé est calculé et non celui du recensement (7 881 000), lequel n’a pas été approuvé par le Congrès de la république. -On a inclus dans le tableau les chiffres des décès par fièvre typhoïde pour avoir des données comparatives entre deux maladies de type contagieux et liées aux conditions de vie. SOURCE : Les chiffres des décès (par tuberculose, fièvre typhoïde et totaux annuels) aussi bien que la population calculée ont été tirés des annuaires statistiques colombiens publiés de 1917 à 1952. Ils correspondent aux années 1915, 1918-1922, 1923, 1924, 1927, 1928-1931, 1936, 1939, 1945, 1946 et 1949. La proportion et le taux de mortalité pour 100 000 habitants ont été calculés par nous.
Bien que pour les médecins colombiens des années 1920 et 1930, les estimations quantitatives étaient déjà un outil d’appréciation et d’inférence concernant l’état de santé de la population, certains chiffres officiels semblent manquer de validité. Il est étonnant qu’aucun des exemples cités ne reprenne, comme source pour calculer l’incidence de la maladie, les chiffres officiels des décès par tuberculose disponibles dans les annuaires, ni pour les critiquer, les réfuter ou les ajuster à leurs estimations. Et ils ne le faisaient pas plus dans des lieux de savoir comme l’Académie de médecine ou la Seconde conférence nationale de tuberculose, ce 394
qui n’est pas un évènement mineur. Car tous les deux sont des espaces privilégiés de circulation et de validation du savoir médical national sur la tuberculose. Cette omission des chiffres officiels ne semble pas un oubli. En 1930, le directeur du DepNH, Pablo Garcia Medina signalait le sous-enregistrement des décès par tuberculose dans les chiffres officiels. Mais il les ajustait de cette façon : Selon les données de la Sección de Estadística del Departamento Nacional de Higiene, en 1929 la tuberculose a occasionné 2 368 décès dans la République. Ce chiffre est déficient, car il comprend seulement les décès certifiés par des médecins; et il est clair qu’au moins 1 000 décès de plus ont eu lieu sans le certificat, donc les décès doivent être estimés à 3 368. Si l’on tient compte que chaque année 10% des malades décèdent par tuberculose, le nombre de tuberculeux dans la nation peut être estimé à 33 00093. Cette estimation publiée dans le rapport annuel du DepNH est, peut-être, plus proche de la réalité. Néanmoins, elle n’a pas été reprise dans le rapport des membres de l’Académie de médecine au Président de la République. De plus, en 1934, année du rapport, au moins 10 annuaires statistiques avaient déjà été publiés contenant des statistiques des causes de décès. D’après l’information des annuaires, le pourcentage annuel des décès par tuberculose varia de 2,18 à 2,92 sur la période comprise entre 1915 à 1931, et il n’était que de 2,34 en 1931 (Tableau 55). Les seuls chiffres officiels proches du 8 % proposé par les membres de l’Académie ont été enregistrés de façon exceptionnelle en 1919 et 1920 (8,88 et 9,42 % respectivement) par l’augmentation excessive des décès par tuberculose enregistrés dans le département de Boyacá (Graphique 18). Ainsi, des 8 270 décès par tuberculose enregistrés en 1919 dans tout le pays, 6.114 étaient imputables aux « tuberculoses d’autres organes » dans ce département, soit 74 % du total. De la même façon, en 1920, des 7 828 décès par tuberculose, 6.189 ont été enregistrés à Boyacá sous la rubrique « tuberculose généralisée », soit 79 % du total94.
93
Pablo García Medina, Informe del director jefe del Departamento nacional de higiene y asistencia pública (Bogotá: Imprenta Nacional, 1931), 55. 94 República de Colombia et Departamento de contraloría, Anuario general de estadística 1918-1922, vol. IX (Bogotá: Imprenta Nacional, 1924), 56, 102.
395
Taux pour 100 000 habitants
Graphique 18. Taux de mortalité par tuberculose et fièvre typhoïde pour 100 000 habitants en Colombie de 1915 à 1949 140 130 120 110 100 90 80 70 60 50 40 30 20 10 0 1910
Tuberculose Fièvre typhoïde
1915
1920
1925
1930
1935
1940
1945
1950
Années NOTE – Le taux en 1919 et 1920 est dû à l’augmentation excessive des décès par tuberculose dans le département de Boyacá, 6 114 en 1919 et 6 189 en 1920. Ces cas n’ont pas été enregistrés sous la rubrique “tuberculose pulmonaire” de la nomenclature internationale. SOURCE : Les taux de mortalité pour 100 000 habitants ont été calculés à partir des données des Anuarios Estadísticos de Colombia
Il n’est pas facile d’expliquer l’origine de ces chiffres, initialement nous avons considéré qu’ils étaient peut-être associés à l’épidémie de grippe qui a eu lieu à Bogotá en 1918, et s’est répandue dans plusieurs municipalités de Boyacá par voie ferroviaire95. L’épidémie dans le département a commencé à la mi-octobre 1918 et s’est prolongée jusqu'en août 1919 avec un pic de mortalité courant novembre. Elle a produit un accroissement significatif des décès par grippe dans plusieurs localités de Boyacá de janvier à août 192096. Mais les chiffres rapportés par le département de Boyacá sont tellement élevés qu’ils dépassent le nombre de décès par grippe enregistrés dans tout le pays, soit 3 672 en 1919 et 1 559 en 192097. Une étude récente sur l’impact épidémiologique et social de la pandémie de grippe de 1918-1919 dans 41 municipalités du département de Boyacá montre, d’après des registres des paroisses, qu’en 1918 des 4 947 décès enregistrés 960 le furent par grippe, et qu’en 1919 le chiffre n’a pas dépassé les 200 décès. Selon ses estimations et considérant 95
Fred G. Manrique et al., « La pandemia de gripe de 1918-1919 en Bogotá y Boyacá, 91 años después », o Dynamis 13, n 3 (2007): 297. 96 Juan Manuel Ospina, Abel Fernando Martínez, et Oscar Fernando Herrán, « Impacto de la pandemia de gripa de 1918-1919 sobre el perfil de mortalidad general en Boyacá, Colombia », História, Ciências, o Saúde-Manguinhos 16, n 1 (2009): 53‑81. 97 En 1918, le nombre de décès officiels par grippe fut 6117 pour tout le pays. Pour cette année, les décès dans le département de Boyacá n’ont pas été enregistrés par cause. República de Colombia et Departamento de contraloría, Anuario general de estadística 1918-1922, IX:14, 54, 100.
396
toutes les municipalités du département de Boyacá, en 1918 — année du plus grand nombre de morts — il y a eu 2 875 décès par grippe 98. Les chiffres des décès par tuberculose pour le département de Boyacá des années 1919 et 1920 publiés dans les annuaires nationaux ne peuvent donc être attribués qu’à une erreur, soit de registre, soit d’imprimerie, à laquelle les responsables du service de statistique n'ont pas fait beaucoup attention. Toutefois, pendant la période allant de 1934 à 1940, les statistiques des causes de décès n’ont été publiées que dans l’annuaire statistique de 1936. Selon les chiffres officiels, 3 860 décès par tuberculose ont été enregistrés en 1936, soit une moyenne de 71 décès annuels pour 100 000 habitants, un chiffre qui est loin de celui proposé à la Segunda Conferencia nacional de tuberculosis, par le médecin Pedro C. Rojas B., qui annonçait une moyenne de 150 décès annuels pour 100 000 habitants reprenant, d’après lui, les données des « responsables » de la lutte antituberculeuse dans le pays99. Selon les chiffres officiels de la campagne antituberculeuse, sur 114 408 diagnostics effectués en 1941 dans plusieurs villes du pays, 5 713 furent positifs, 7 460 « douteux » et 101 095 négatifs. C'est-à-dire que 88 % des personnes examinées en 1941 dans les dispensaires colombiens n’avaient pas la tuberculose. Bien que le pourcentage de personnes diagnostiquées positives et suspectées de tuberculose ait été assez important, il ne semble pas aussi élevé que celui estimé par Rojas100. Dès la Primera Conferencia nacional de tuberculosis, organisée à Medellín en 1938, Rojas recourait à la rhétorique des chiffres pour insister sur la nécessité urgente de commencer la vaccination par BCG en Colombie Si nous considérons que parmi les causes de décès infantiles sur les 20 premières années, il y en a 692 sur un total de 71 093 décès, c'est-à-dire 0.97 pour 100, par tuberculose, et si l’on admet qu’il y a à peu près 100 000 colombiens tuberculeux, ne sommes-nous pas dans l’obligation de nous demander si ce pourcentage et ce chiffre élevé de tuberculeux seraient diminués si le système de vaccination par BCG était établi dans notre pays?101
98
Ospina, Martínez, et Herrán, « Impacto de la pandemia de gripa de 1918-1919 sobre el perfil de mortalidad general en Boyacá, Colombia ». 99 Pedro C. Rojas B., « Nuestra legislación social frente al tuberculoso: seguro social contra la o tuberculosis [II] », Heraldo médico 7, n 1 (1940): 19. 100 República de Colombia, Contraloría general de la República, et Dirección nacional de estadística, Anuario general de estadística 1941 (Bogotá: Imprenta Nacional, 1942), 19. 101 Pedro C. Rojas B., « La vacuna contra la tuberculosis por B.C.G y su necesidad en Colombia », Revista o de higiene 20, n 10 (1939): 9.
397
Sans doute, l’exagération des chiffres est une stratégie pour attirer l’attention du corps médical et des pouvoirs publics sur la tuberculose et promouvoir une campagne de vaccination par BCG. Il y a des éléments importants de l’organisation de cette Conférence qu’il faut souligner. Elle a été organisée à l’initiative du Département National d’Hygiène. Selon le règlement, seulement les médecins colombiens diplômés pouvaient y assister. Pendant la conférence, un cinéma de la ville programma 4 films français sur la lutte antituberculeuse et la vaccination par BCG. Des séances publiques furent aussi programmées, et quelques conférences diffusées à la radio, dont celle de Rojas qui travaillait à l’époque au DepNH comme médecin auxiliaire. De sorte que ses estimations sur le nombre de tuberculeux dans le pays ont été entendues par une population plus large que celle des médecins. En plus, suite à la conférence de Rojas, une présentation des vaccins préparés au laboratoire national ont été présentés et, d’après la programmation, les vaccins seraient « offerts »102. Le recours aux chiffres exagérés et la nécessité d’attirer l’attention sont sûrement liés aux maigres ressources économiques disponibles pour la lutte antituberculeuse dans le pays. Elle commence à disposer d’un budget en 1927. Mais il ne représentait que 0,7 % du budget total accordé à l’hygiène et l’assistance publique. Par contraste, la campagne contre l’anémie tropicale ou ankylostomiase en détenait 2,5 % et la lutte contre la lèpre consommait 67,9 % du budget de l’hygiène.
r si le budget de la lutte antituberculeuse fut variable — en 1929 il
tomba à 0.1 % et en 1932 il augmenta à 1,2 %, avant de descendre à 0.8 % pour 1933— ceux de l’ankylostomiase et de la lèpre sont restés constants et en 1933 ils étaient de 2,5 % et 72,7 % respectivement (Tableau 56)103. Une clarification s’impose ici sur le budget de l’isolement de patients dans les léproseries en Colombie. L’historienne Diana
bregón a montré que, depuis le début des
années 1920, plusieurs médecins colombiens se sont opposés à la ségrégation des lépreux. Selon eux, les politiques d’isolement avaient échoué, car elles ne répondaient pas aux connaissances sur les contrôles des maladies infectieuses : le nombre de patients ne diminuait pas, et les dépenses gouvernementales étaient extrêmement élevées. Ainsi, ils proposaient de supprimer l’enfermement obligatoire et envisageaient d’accueillir les patients dans des hôpitaux généraux. Les discussions sur la suppression de la ségrégation furent d’abord publiées dans une revue de médecine spécialisée, mais rapidement la controverse s'est
102
. Departamento nacional de higiene, « Reglamento de la Primera Conferencia nacional de la o tuberculosis en Colombia », Boletín clínico 5, n 41 (1938): 238‑239.
103
República de Colombia et Departamento de contraloría, Anuario de estadística general 1933, 224‑ 225.
398
déplacée dans les journaux. Par crainte, les citoyens s’opposaient à l’accueil des lépreux dans les hôpitaux des centres urbains, la stigmatisation de cette maladie était en effet profondément enracinée. En outre, ils critiquaient l’incapacité des médecins à apporter des traitements pour contrôler ce fléau. En 1927, et en réponse aux critiques des citoyens, le gouvernement octroya plus de pouvoir au Bureau national des léproseries qui continua la ségrégation comme stratégie principale104. Tableau 56. Dépenses annuelles du gouvernement colombien en hygiène et assistance publiques de 1924 à 1933 Dépenses Années
1924 1925 1926 1927 1928 1929 1930 1931 1932 1933 TOTAL
Budget National 33 470 338,13 46 239 636,28 55 648 914,20 63 267 488,67 75 514 380,52 75 238 923,55 49 357 917,28 43 694 101,24 35 522 954,28 33 019 592,98 510 974 247,13 51 097 424,71
Hygiène et assistance publiques
HAP par habitant
1 377 308,03 1 552 900,28 1 985 492,08 2 689 514,81 2 881 656,49 3 438 837,38 2 684 054,68 2 256 654,57 2 005 217,76 2 059 730,55 2 291 366,63 2 394 895,40
0,198 0,217 0,270 0,356 0,371 0,431 0,328 0,268 0,232 0,232 0,290 0,290
HAP par habitant (sans lèpre)
0,048 0,053 0,075 0,114 0,116 0,154 0,107 0,066 0,066 0,066 0,860 0,087
% hygiène 4,12 3,36 3,57 4,25 3,82 4,57 5,44 5,16 5,64 6,34 4,49 4,63
Moyenne NOTE – Tout au long des années 1920, l'économie colombienne a connu un boom. En fait, de 1926 à 1928 la croissance a largement débordé le taux historique de 4,5 %. Le budget des dépenses du gouvernement national a triplé de 1921 à 1929, bien que cette tendance n’ait pas été le résultat d'une croissance constante au cours du temps. À la fin des années 1920, et avant l'effondrement de la crise des marchés financiers en 1929, le gouvernement colombien a connu un large accès au crédit 105 externe . SOURCE : Anuario de estadística general 1933, (Bogotá: Imprenta Nacional, 1935), 222
Avant 1930, le fait que la lèpre n’était pas également infectieuse dans tous les stades de la maladie était connu, de sorte que les propositions d’isoler seulement les patients les plus contagieux faisaient leur chemin dans d’autres pays, tandis qu’en Colombie l’approche ne changeait pas. Tout cela, malgré les critiques qui montraient que la lutte contre la lèpre consommait la plus grande partie du budget de l’hygiène en dépit des autres problèmes
104
Diana Obregón, « The anti-leprosy campaign in Colombia: the rhetoric of hygiene and science, 19201940 », História, Ciências, Saúde-Manguinhos 10 (2003): 183‑185. 105 Mauricio Avella Gómez, « Perspectivas de crecimiento del gasto público en Colombia, 1925-2003 o ¿Una visión descriptiva à la Wagner, o à la Peacock y Wiseman? », Borradores de economía, n 544 (2008): 19‑20.
399
importants de santé publique comme la tuberculose et la syphilis, et aussi malgré le fait que la diminution du nombre de patients isolés réduirait les charges financières du gouvernement106 En 1931, le Département national de l'hygiène et le Bureau des léproseries se sont réunis dans une seule institution dirigée par l’ex-boursier de la RF Enrique Enciso. Quoique le budget de la lèpre devînt une partie du budget global de l'hygiène publique, la proportion qui lui était assignée ne se modifia pas. Selon Enciso, la tuberculose était plus contagieuse, attaquait plus de personnes et avait un taux de mortalité plus élevé que la lèpre, donc à son avis la seule raison qui poussait les autorités à continuer cette politique ségrégative était peutêtre la peur et le dégoût ressentis par les citoyens à l’évocation des blessures et des corps défigurés des malades. Dans le cadre d’une rationalité économique, Enciso proposa quelques transformations pour diminuer le nombre de patients enfermés. Ces propositions furent partiellement appuyées par le gouvernement central, mais elles n’ont pas abouti à la suppression rapide de la politique de ségrégation des lépreux ni à la protection efficiente des enfants confinés dans les léproseries, la population la plus susceptible de contracter la maladie107. Ainsi, le coût très élevé de cette politique sera encore un fardeau pour le budget national de l'hygiène. Il ne faut pas oublier que la plupart des dépenses étaient consacrées aux questions administratives des léproseries et non aux traitements des patients. Si, petit à petit la détection précoce de nouveaux cas d’infection devint l’approche privilégiée — la création des dispensaires régionaux dans certains départements facilita cette tâche — et les médecins transformèrent leurs discours sur la contagiosité de la lèpre, l’insertion des patients lépreux dans les hôpitaux généraux n’était pas encore réalisée à la fin des années 1930. Le taux de mortalité par tuberculose : les chiffres colombiens et argentins Sans prétendre à une analyse approfondie, il faut noter qu’en Colombie, selon les chiffres officiels de 1915 à 1949, il n’y a pas eu de tendance notable à la diminution du taux de décès par tuberculose pendant cette période. Cela, malgré les efforts des autorités sanitaires colombiennes pour conduire une campagne contre cette maladie (Graphique 19). Il est difficile d’expliquer les taux de décès de 1915 à 1930. Les chiffres sont très variables. Ce fait pourrait être associé à la précarité des registres de décès au niveau national. De 1936 à 1949, même si les chiffres indiquent une légère diminution des taux par rapport aux décès totaux annuels, on doit plutôt envisager une stabilisation de la proportion de décès par tuberculose (Graphique
106
Obregón, « The anti-leprosy campaign in Colombia », 188‑189. Enrique Enciso, Informe de las labores del Departamento nacional de higiene, presentado al señor ministro de Gobierno por el director técnico y administrador general (Bogotá: Editorial Minerva, 1932), 56‑75. 107
400
20), et cela en sachant qu’à l’époque la campagne eut une ampleur nationale et le nombre de dispensaires et de lits disponibles pour les malades de tuberculose augmenta. Graphique 19. Taux de mortalité par tuberculose et par fièvre typhoïde pour 100 000 habitants en Colombie de 1915 à 1949 60 55
Taux pour 100 000 habitants
50 45 40 35 Tuberculose
30 25
Fièvre typhöide
20 15 10 5 1949
1947
1945
1943
1941
1939
1937
1935
1933
1931
1929
1927
1925
1923
1921
1919
1917
1915
0
NOTE – Pour mieux constater la tendance des taux de mortalité, nous avons éliminé les données des années 1919 et 1920. SOURCE : Les taux de mortalité pour 100 000 habitants ont été calculés à partir des données des Anuarios Estadísticos de Colombia
Par contre, et tout au long de la période 1915-1949, le taux de mortalité par fièvre typhoïde tend à diminuer. Cet amoindrissement on le retrouve aussi lorsqu’on compare la proportion des décès par fièvre typhoïde avec les décès totaux annuels de la période 19271941. Si celle-ci a été suivie d’une stabilisation -la proportion oscilla de 1 à 1,5 - on voit que la proportion de 1915 (2,99) tomba à la moitié pendant la décennie 1940. Comme partout ailleurs dans le monde, la réduction des décès par fièvre typhoïde en Colombie est associée aux transformations sanitaires urbaines : la mise en marche du contrôle étatique de l’approvisionnement en eau et de la construction d’égouts, le contrôle des déchets, la surveillance et le contrôle de la circulation des animaux et des hommes. Ces mesures conduisirent à une diminution des maladies gastro-intestinales telles que la fièvre typhoïde et les dysenteries.
401
Graphique 20. Proportion de la mortalité par tuberculose et par fièvre typhoïde sur l’ensemble des décès en Colombie de 1915 à 1949
Prototion sur l'ensemble de dècès
3,50 3,00 2,50 2,00
D.TBC/DT 1,50
D.FT/DT
1,00 0,50
1949
1947
1945
1943
1941
1939
1937
1935
1933
1931
1929
1927
1925
1923
1921
1919
1917
1915
0,00
NOTE – Pour mieux constater la tendance des taux de mortalité, nous avons éliminé les données des années 1919 et 1920. D.TBC : décès par tuberculose ; D.FT : décès par fièvre typhoïde ; DT : décès totaux SOURCE : Les taux de mortalité pour 100 000 habitants ont été calculés à partir des données des Anuarios Estadísticos de Colombia
Quels furent les taux de mortalité par tuberculose pendant la période 1915-1949 chez les voisins latino-américains qui ont eux-aussi engagé une lutte antituberculeuse ? L’historiographie latino-américaine n’a pas dédiée beaucoup de pages aux chiffres de la tuberculose. Les études disponibles sont sur l’Argentine108. Bien que la Colombie et l’Argentine aient suivi de processus démographiques et économiques plutôt différents, des études comparatives sur les services de santé entre les deux nations ont été déjà réalisées et ont permis de montrer les singularités des processus de formulation et d’application de politiques de santé et de sécurité sociale dans ces pays109. Cela nous permet de tenter une comparaison, moins exhaustive bien sûr, à propos des activités contre la tuberculose et de leurs effets sur les taux de mortalité. Des études récentes sur le taux de mortalité dans la première moitié du XXe siècle en Argentine ont montré qu’à partir des années 1920, il y a eu une diminution lente, mais plus ou moins constante des décès par tuberculose: 140 pour 100 000 habitants en 1921, mais 70 en
108
Adrián Carbonetti, « Historia epidemiológica de la tuberculosis en la Argentina. 1914-1947 », Revista Estudios, 2012; María Belén Herrero et Adrián Carbonetti, « La mortalidad por tuberculosis en o Argentina a lo largo del siglo XX », História, Ciências, Saúde-Manguinhos 20, n 2 (2013): 521‑36. 109 Mario Hernández Álvarez, La fragmentación de la salud en Colombia y Argentina: una comparación sociopolítica, 1880-1950 (Bogotá: Univ. Nacional de Colombia, 2004).
402
1949110. Parmi d’autres facteurs, cette réduction est associée surtout à la campagne antituberculeuse et à l’établissement dans diverses régions du pays de plusieurs établissements pour soigner les malades. Dans un contexte plus large, et selon ces auteurs, la tuberculose fut une des principales causes de décès en Argentine dans le procès de transition épidémiologique, c’est-à-dire au moment où les épidémies qui attaquaient la population ont commencé à décroître111. Le cas de la Colombie est plus difficile à saisir, car de 1915 à 1949, il n’y a pas eu de tendance notable à la réduction du taux de mortalité général. En 1930, le nombre des décès annuels est particulièrement bas (94 125) par rapport aux chiffres des années suivantes, comme pour ceux des années précédentes. Cette chute est difficile à expliquer, mais ensuite, la mortalité brute pour 1 000 habitants va passer de 12,31 en 1930 à 17,31 en 1938 dans lequel le nombre de décès par paludisme, bronchite et bronchopneumonie augmenta112. Ensuite la courbe de mortalité montra une tendance à la stabilisation (Graphique 21), qui coïncida plus ou moins avec la stabilisation du taux de mortalité par tuberculose, mais qui ne montre pas des signes clairs d’une entrée du pays dans un processus de transition démographique comme celui qui était déjà en marche en Argentine.
20 18 16 14 12 10 8 6 4 2
1949
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1917
0
1915
Taux de mortalité pour 1 000 habitants
Graphique 21. Taux de mortalité brute pour 1 000 habitants en Colombie de 1915 à 1949
SOURCE : Le taux de mortalité brute pour 1 000 habitants a été calculé à partir des données des Anuarios Estadísticos de Colombia
110
Herrero et Carbonetti, « La mortalidad por tuberculosis en Argentina a lo largo del siglo XX »; Carbonetti, « Historia epidemiológica de la tuberculosis en la Argentina. 1914-1947 ». 111 Carbonetti, « Historia epidemiológica de la tuberculosis en la Argentina. 1914-1947 », 38. 112 República de Colombia, Contraloría general de la República, et Dirección nacional de estadística, Anuario general de estadística 1946 (Bogotá: Imprenta Nacional, 1947), 52‑53.
403
7.4 La tuberculose et la sécurité sociale Pour promouvoir et soutenir la lutte contre la tuberculose, pendant les premières décennies du XXe siècle, les médecins privilégiaient les arguments moraux et sociaux plutôt que l’usage de chiffres. Puisque la tuberculose était définie comme une maladie sociale, les mesures pour son contrôle demandaient la participation de plusieurs acteurs. Selon l’historien C.E. Noguera la maladie sociale était conçue comme un « ensemble large dont les symptômes et les signes qui affectaient "le corps social" n’étaient pas bien délimités et dont les conséquences les plus évidentes étaient la dégénérescence physiologique et morale ». Ainsi, les maladies sociales étaient celles qui intéressaient la société par leur contagiosité, leur impact racial ou parce qu’elles mettaient en danger le progrès social et économique de la communauté. D’après Noguera, dans la définition médicale de ces maladies, il n’est pas possible « d’établir des limites entre les savoirs scientifiques et les préjugés ou préceptes moraux de l’époque »113. Une autre caractéristique des maladies sociales, c’est que l’éducation était au centre de la prophylaxie. Ceci s’explique par ce lieu de frontière entre le scientifique et le moral, et par le fait que ce type de maladie était associé aux conditions de vie et à diverses mœurs populaires. La prophylaxie devait donc se déployer sur plusieurs fronts. A cet égard, Noguera nous rappelle que le mouvement eugénique latino-américain se caractérisait par son insistance sur la transformation de l'environnement, de certaines habitudes et des comportements qui ont favorisé l’apparition des « trois poisons raciaux » : l’alcoolisme, la syphilis et la tuberculose114. L’association est telle que dans les trois premières décennies du XXe siècle on a du mal à retrouver des articles ou des thèses qui, en décrivant les conséquences de l’alcoolisme, n’évoquent pas la tuberculose et la syphilis. Cette manière d’appréhender la tuberculose n’a pas été une singularité de la Colombie. Pendant la seconde moitié du XIXe siècle en France, l’idée que la tuberculose s’acquérait au comptoir d’un bar était courante, de même que son association avec d’autres fléaux dégénératifs comme la syphilis115. En Espagne, à l’origine de la tuberculose se trouvaient l’alcoolisme, l’immoralité, la promiscuité sexuelle, l’onanisme, mais aussi la mauvaise alimentation, les longues journées de travail et les lieux d’habitation 113
Carlos Ernesto Noguera R., « La lucha antialcohólica en Bogotá: de la chicha a la cerveza », in Higienizar, medicar, gobernar: historia, medicina y sociedad en Colombia, éd. par Jorge Márquez Valderrama, Álvaro Casas Orrego, et Victoria Estrada Orrego (Medellín, Colombia: Universidad Nacional de Colombia, Sede Medellín, 2004), 177‑178. 114 Carlos Ernesto Noguera R., Medicina y política: discurso médico y prácticas higiénicas durante la primera mitad del siglo XX en Colombia (Medellín: Universidad Eafit, 2003), 94. 115 Georges Vigarello, Le sain et le malsain: santé et mieux-être depuis le Moyen Âge (Paris: Éd. du Seuil, 1993), 224‑225.
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insalubres116. Au Mexique, la triade tuberculose, alcoolisme et syphilis était la cause de 80 % à 90 % des malades du pays. Différents professionnels de santé signalaient la promiscuité, le manque d'hygiène, « la misère physique et morale », la malnutrition et les mauvaises conditions de travail et de vie comme causes de cette triade. De ce fait, la promotion des habitudes de propreté, de sobriété et de tempérance furent les mesures proposées pour la combattre117. Quant aux discussions sur la tuberculose comme maladie sociale en Argentine, les médecins socialistes, les dirigeants syndicaux et les journalistes associaient, de façon directe ou indirecte, la maladie à la longueur de la journée de travail, au travail nocturne, à la fatigue, aux problèmes de l’hygiène118. En outre, pour les anarchistes aussi bien que pour les conservateurs, la tuberculose était aussi associée aux passions mondaines, à la marginalité, à la consommation d'alcool, à une mauvaise utilisation du temps de loisir et en général aux « excès de toute nature »119. Au Brésil, dans le débat entre les médecins et les industriels sur les causes de la tuberculose, venaient au-devant de la scène l’alcoolisme, la prostitution, l'abandon d'enfants, les locaux insalubres, la misère et la fatigue120 . Au-delà de l’association de la tuberculose à l’alcoolisme et la syphilis et de son implication dans la dégénérescence de la population, à partir des années 1930, un des problèmes importants fut le rôle de l’Etat et des industriels dans le contrôle de la contagion tuberculeuse et la diminution du nombre d’individus incapables de travailler. La plupart des médecins des années 1930 et 1940 partageaient l’idée que la tuberculose était un problème social et économique de grand impact sur le progrès du pays. r, l’argumentation du médecin Pedro C. Rojas, fondée sur des calculs approximatifs de morbidité et de mortalité par tuberculose en Colombie, chercha aussi à défendre la protection permanente du tuberculeux par l’État colombien, une pratique courante dans d’autres pays121. Selon Rojas. Le groupe social colombien le plus touché par la tuberculose était composé par les travailleurs et ceux qu'il appelait « les faibles », c’est-à-dire, ceux qui gagnaient moins de 100 pesos par mois. Il
116
Jorge Molero-Mesa, « ‘!Dinero para la Cru de la vida!’. Tuberculosis, beneficencia y clase obrera en el Madrid de la Restauración », Historia social 39 (2001): 31‑48. 117 Ana María Carrillo, « Los modernos minotauro y Teseo: la lucha contra la tuberculosis en México », o Revista Estudios 0, n Especial (mai 2012): 85‑101. 118 Diego Armus, « El viaje al centro: tísicas, costureras y milonguitas en Buenos Aires, 1910-1940 », Boletín del Instituto de Historia Argentina y Americana 22 (2000): 108‑109. 119 Diego Armus, La ciudad impura: salud, tuberculosis y cultura en Buenos Aires, 1870-1950 (Edhasa, 2007). 120 Cláudio Bertolli Filho, História social da tuberculose e do tuberculoso: 1900-1950 (Rio de Janeiro: Editora Fiocruz, 2001). 121 Torres Umaña, « Informe del Consejero científico de la delegación colombiana ante la Sociedad de las Naciones », 189.
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estimait que la classe prolétaire apportait à la statistique vitale 100 000 malades par tuberculose par an122. La situation de la Colombie concernant la tuberculose, d’après Rojas, était vraiment grave, surtout à cause de la corrélation entre la maladie et ses principales victimes, les ouvriers urbains, dont les familles étaient aussi des victimes directes et indirectes du fléau : En Colombie, l’individu tuberculeux, qu’il travaille soit à son compte soit au service de quelqu’un d’autre, ne trouve pas des lois qui le protègent pendant la durée de sa maladie, et ce qui est pire, qui puissent remédier à l’abandon de sa famille, qui, pour cela, reste démunie. L’État a essayé de remédier au moins en partie à cette lacune dans notre législation, en édictant quelques arrêts sur des aides en cas de la maladie pour les employés et ouvriers publics et privés, leur concédant, pendant trois mois, la moitié du salaire qu’ils gagnaient. Ainsi, en assumant tacitement que la tuberculose était équivalente à d’autres maladies. rave erreur, car si ce temps court est suffisamment correct pour qu’une fracture se consolide, pour récupérer les forces d’un individu qui se trouve affaibli par l’excès de travail, pour se rétablir des maladies professionnelles, etc. par contre, il est matériellement insuffisant pour le traitement complet de la plupart des formes cliniques de la tuberculose123. Ainsi, en 1940, Rojas proposa dans les pages d’Heraldo Médico (périodique de la Fédération de médecine colombienne), un projet de loi pour créer « une assurance sociale obligatoire contre la tuberculose ». Celle-ci serait alimentée financièrement par des revenus mensuels provenant de quatre sources principales : une partie du salaire de l’employé, une autre des revenus de l’employeur, une contribution de l'État, et la quatrième des aides philanthropiques à la lutte antituberculeuse. L’idée d’inclure la tuberculose dans un schéma d’assurance obligatoire correspond à la même tendance dans d’autres pays d’Amérique latine. En 1939, Getúlio Vargas, président du Brésil, tenta de faire prendre en charge par les institutions de prévoyance et de retraite les travailleurs malades de tuberculose. De cette façon, les contributions des employeurs et des travailleurs pallieraient la carence de l’Etat à cet égard124. La même chose s'est produite au Mexique, sous le gouvernement de Lázaro Cárdenas qui a déposé au congrès un projet de loi
122
Rojas B., « Nuestra legislación social frente al tuberculoso: seguro social contra la tuberculosis [II] », 19. 123 Ibid. 124 Bertolli Filho, História social da tuberculose e do tuberculoso: 1900-1950, 70‑71.
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sur l'assurance sociale, qui, entre autres choses, prévoyait une assurance contre la tuberculose125. Conformément au rapport sur les Caisses de sécurité sociale au Chili, envoyé au ministre du Travail, de l’Hygiène et de la Prévoyance sociale de Colombie par la Commission d’études sociales de la Faculté nationale de droit, la syphilis, la tuberculose et les affections cardiovasculaires étaient les principales causes de décès parmi les assurés126. La mortalité annuelle par tuberculose était estimée à 11 000 personnes, mais à 21 000 en ajoutant les décès par maladies respiratoires. La solution fut d’obliger les Caisses de prévision à établir des services de médecine préventive pour découvrir précocement les maladies chroniques et professionnelles. De cette façon, l’action de l’assurance ne se réduirait pas seulement à l’indemnisation, elle interviendrait à « la source originaire de l’incapacité de travail, cherchant par tous les moyens la préservation » de la capacité productrice des classes salariées127. Ainsi, la question statistique joua un rôle décisif dans le processus de formation de la sécurité sociale obligatoire. Selon
swald Stein, chef de la Section de Sécurité sociale de l’ rganisation
internationale du Travail (OIT), le recueil et la production de données statistiques sur les circonstances à risques étaient prioritaires au moment de mettre en place la sécurité sociale obligatoire en Colombie128 . D’après lui, la base de l’assurance était … ses calculs des phénomènes collectifs qui caractérisaient l’existence de la masse d’assurés. Plus ces phénomènes ne seront connus, mieux les moyens de prévention et de défense pourront être choisis. L’évaluation des ressources nécessaires pour prévenir et lutter contre un risque déterminé sera une réalité quand seront vérifiés la nature du risque, sa fréquence et son intensité par profession, âge, ressources et conditions d’habitation129. Stein suggérait que la lutte contre les maladies sociales « spécialement fréquentes dans la population des travailleurs » s’intensifie en coopération avec l’assurance maladie, puis que « les maladies sociales ne peuvent pas être contrôlées seulement par le service médical, mais qu’elles ont besoin de mesures préventives systématiques ». En plus, par rapport à d’autres formes d’organisation sanitaire, l’assurance obligatoire avait certes l’avantage « d’associer les travailleurs moralement et matériellement à la défense de leur propre santé ». 125
Carrillo, « Los modernos minotauro y Teseo », 92. José María García, « Caja de seguro obligatorio en Chile », Boletín del Departamento nacional del o trabajo, n 79 (avril 1940): 330‑331. 127 Ibid., 334. 128 Oswald Stein, « La implantación del seguro social obligatorio », Boletín del Departamento Nacional o del Trabajo, n 81 (mai 1942): 19. 129 Ibid., 12. 126
407
La contribution financière faisait plus facilement comprendre « le prix de la santé ». En effet, la préoccupation de la viabilité des systèmes de sécurité sociale était un thème de vitale importance dans un monde encadré par un projet global de rationalisation économique de la santé. Selon le médecin colombien Jorge Vergara Delgado, dans le contexte de la sécurité sociale, il fallait utiliser « tous les ressorts administratifs, statistiques et psychologiques afin qu’il y ait un maximum d’utilisation et un minimum de gaspillage »130.
Conclusion Dans la campagne antituberculeuse colombienne, l’importation de connaissances et de modèles discutés pendant la première moitié du XXe siècle dans des institutions transnationales comme l’Union internationale contre la tuberculose et la Société des Nations joua un rôle déterminant. Il serait prématuré de faire une comparaison entre les campagnes antituberculeuses de divers pays latino-américains, mais il est certain que celles de l’Argentine et du Brésil ont débuté avant celle de la Colombie131. Comme on le constate également par leur participation très active aux congrès panaméricains de la tuberculose, organisés depuis 1927132et par la diminution des taux de mortalité par tuberculose en Argentine grâce, entre autres, aux mesures de contrôle imposées pour lutter contre cette maladie. Il est vrai que les médecins colombiens ont tenté eux aussi de construire leur propre phtisiologie, ils n’ont pas été non plus en dehors des débats sanitaires et scientifiques internationaux sur la tuberculose. Les médecins colombiens disposaient du savoir nécessaire pour lutter contre la tuberculose, néanmoins la mise en œuvre de ce programme s’est avéré plus difficile sur le plan pratique. Le fait que le budget de l’hygiène et de l’assistance publique nationale fut consacré principalement, et pendant plusieurs décennies à la ségrégation des lépreux n’a pas permis la mise en place de mesures effectives pour lutter contre la propagation de la tuberculose dans le pays. Si depuis 1930 quelques médecins ont proposé le démontage de cette politique et le traitement des lépreux dans des hôpitaux, ce qui aurait allégé le budget de l’hygiène, la situation ne changea pas rapidement et ce qui affecta les politiques de santé du pays. Dans la littérature médicale colombienne sur la tuberculose, il y a eu un abus des chiffres afin d’alarmer les pouvoirs publics, lesquels se sont montrés incapables d’agir sur plusieurs sujet de santé. L’usage rhétorique par certains médecins des chiffres de morbidité et 130
Ce médecin a suivi une formation en Médecine du travail à Pittsburgh, Pennsylvanie.Jorge Vergara o Delgado, « La asistencia médica en el seguro », Heraldo médico V, n 94 (1946): 14. 131 Oficina Sanitaria Panamericana, « Crónicas. Tuberculosis ». 132 La Colombie a envoyé pour la première fois un délégué à ces rencontres scientifiques transnationales sur la tuberculose au cinquième congrès effectué en octobre 1940 à Buenos Aires, Argentine. Conferencias internacionales americanas: Primer suplemento, 1938-1942 (México: Secretaría de Relaciones Exteriores, 1943), 330‑331.
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de mortalité par tuberculose cherchait à promouvoir la vaccination par BCG, essentiellement de la population infantile, et à défendre la protection permanente du travailleur tuberculeux, pour s’occuper des adultes. Ces deux objectifs étaient soutenus par l’argument de la rationalité économique qui s’imposait partout dans le monde. Comme nous l’avons montré, les efforts pour mettre en œuvre la vaccination par BC dans le pays à la fin des années 1930 n’ont pas réussi, cette pratique prophylactique ne prendra un caractère national qu’à partir de 1954. En plus, son introduction d’abord à Medellín est un bon exemple de la confrontation, plus ou moins courante, entre le gouvernement central et les autorités de la province et les dissimilitudes du déroulement des projets sanitaires dans le pays. Bien que, en général, le système statistique de l'État colombien de la première moitié du XXe siècle ait été défaillant, la question statistique a été au centre de plusieurs débats médicaux sur la tuberculose comme maladie sociale. Ces mêmes arguments statistiques ont été au premier plan des discussions sur la nécessité d’établir dans le pays une assurance maladie obligatoire pour les travailleurs.
409
CONCLUSIONS GÉNÉRALES Dans The taming of chance, Ian Hacking affirme que, sur le principe de la nécessité de disposer d’information appropriée pour l’exercice du bien gouverner, tout État fut (est) statisticien à sa façon et que les statistiques de chaque État sont autant de témoignages de ses problèmes, de ses inquiétudes. Reprenons par exemple deux des événements reconstruits historiquement et analysés dans cette recherche qui confirment cette proposition. 1. Le fait que les autorités colombiennes ont privilégié la publication des données relatives aux hommes, malgré la prémisse d’être conforme aux lignes directrices internationales pour la réalisation des recensements, c’est un signe que, pendant les premières décennies du XXe siècle, l’intérêt pour la population était restreint au nombre d’habitants aptes au service militaire et ayant le droit de vote. Paradoxalement, la distribution par âge utilisée pour décompter les données, prescrite par les critères internationaux, ne permettait pas d’établir de façon nette le nombre d’hommes de plus de 21 ans (des votants possibles), de sorte que les fonctionnaires colombiens se sont limités à présenter une estimation de ce chiffre. 2. Le fait que les chiffres du recensement de 1928 n’ont pas été approuvés par le Congrès à cause de la manipulation du résultat dans plusieurs régions du pays, et donc d’une modification des listes électorales, montre la forte empreinte des querelles politiciennes sur la représentation civile dans un contexte national traversé par un fort bipartisme, et dans lequel les partis politiques arrivaient à cumuler plus de pouvoir que l’État central lui-même. Nous nous sommes attachés à essayer de retrouver qui furent les acteurs qui ont guidé la statistique officielle colombienne, mais les sources ont été muettes à cet égard, car beaucoup d’archives ont disparu et les fonctionnaires ont laissé peu de notices nécrologiques dans les revues spécialisées. Au défaut d’une statistique sanitaire nationale au XIXe siècle et en l’absence même de la question officielle sur ce problème, nous avons analysé les statistiques de quelques hôpitaux, celles que nous avons trouvées ou celles qui ont été conservées. Et cela a montré que, même si ces efforts ont été fragmentaires, parsemés et sporadiques, l’intérêt pour la quantification de la maladie et de la mort n’était pas totalement absent à cette époque. En Colombie, l’intérêt pour la statistique s’éveilla de manière lente et la construction d’un savoir quantitatif sur la population rencontra divers obstacles. Si la rationalité 410
administrative a demandé la création d’institutions spécialisées pour établir les statistiques publiques et pour concentrer les agents et les dispositifs aptes à leur usage, l’instabilité politique et administrative du pays imposa des défis importants à la consolidation dans l’État d’organismes techniques capables de rassembler, d’organiser et de systématiser des données. L’absence de personnel technique qualifié dans les bureaux de statistique, liée au fonctionnement de l’administration basé sur des réseaux de favoritisme et de recommandations opérant la sélection des fonctionnaires publics, ne constituent pas des problèmes mineurs relevés par cette recherche. Si les État nations modernes peuvent être caractérisés par la configuration de leurs organisations statistiques et par la production des données statistiques leur permettant une autodétermination et une définition de leur puissance, l’histoire des statistiques démographiques et de santé en Colombie — avec les transformations successives de l’organisation de la statistique nationale, avec les divergences entre l’administration centrale et les administrations locales, avec les tentatives pour centraliser dans une seule institution l’appareil étatique de statistique, avec la publication irrégulière des données officielles — met à nu les fractures importantes que l’État colombien éprouvait dans la gestion du pouvoir. Les premières discussions sur l’adoption de la nomenclature de Bertillon pour les statistiques des causes de décès en Colombie furent engagées officiellement suite à une demande de l’American Pu lic Health Association ─ organisme qui, en 1897, avait adopté ce système. Le Bureau de Statistique colombien insista, en 1905, sur la nécessité d’adopter cette nomenclature utilisée par un grand nombre de pays occidentaux. L’urgence de mettre en œuvre des statistiques sanitaires et de les normaliser vint de la pression des organisations internationales, aussi bien en matière de santé qu’en matière de commerce. Le fait de certifier que le pays tentait de suivre les lignes directrices des conférences sanitaires (hygiène des ports et déclaration des maladies contagieuses), était un enjeu majeur pour la Colombie. Des statistiques nationales publiées à partir de cette nomenclature n’apparaitront qu’en 1917. À travers l’étude de l’histoire des statistiques démographiques et de santé en Colombie nous n’avons pas seulement cherché à analyser le processus de formation d’un appareil étatique de statistique, nous avons aussi voulu montrer les modalités de l’usage de chiffres che les médecins et les fonctionnaires officiels. Cette histoire révèle qu’en Colombie, pendant les dernières décennies du XIXe siècle et les premières du XXe siècle (sans considération de la qualité des chiffres), le domaine de la quantification s’est élargi et des volets qui ne étaient pas étudiés jusqu’à ce moment qu’en termes qualitatifs devinrent chiffrables. Ainsi, les chiffres avec leur « caractère neutre » vont prendre de plus en plus de place dans les discours des médecins. Ceux-ci adoptent une approche instrumentale en 411
utilisant les nombres pour réclamer la mise en pratique des mesures de contrôle sanitaire — comme l’assainissement des eaux et des ports, la vaccination des armées contre la fièvre typhoïde ou la vaccination antivariolique obligatoire de la population — ; un instrument pour revendiquer aussi une augmentation du budget de l’hygiène publique ou pour demander une réorganisation de la bienfaisance publique. Également, les chiffres seront revendiqués par les médecins pour demander aux autorités d’hygiène et au gouvernement la création de nouveaux dispositifs de service médical — comme les outtes de lait, les services d’assistance maternelle et infantile, les dispensaires antituberculeux ou les sanatoriums, pour mentionner quelques-uns. La mise en œuvre de ces demandes et de ces projets des médecins a souvent été entravée par la prééminence de la lutte contre la lèpre qui domina pendant plusieurs décennies le panorama de l’hygiène nationale. Il ne faut pas oublier qu’à la fin du XIXe siècle l’exagération des statistiques de lépreux en Colombie déclencha des alertes, le pays se trouvant qualifié de nation la plus lépreuse du monde et imposa au gouvernement national des efforts importants pour lutter contre cette image affectant le commerce international. À l’intérieur du pays, la consolidation de structures administratives pour contrôler l’isolement des lépreux d’une part, et le fort stigma que la population locale décernait aux patients de lèpre, de l'autre, ont retardé le démontage et la modernisation du programme de lutte contre cette maladie. La situation a persisté, même lorsqu’il était certain que le nombre de lépreux dans le pays n’était pas aussi important que celui d’autres maladies et que la pratique de l’isolement de ces patients absorbait la plus grande partie du budget de l’hygiène et la santé publiques. Le recours à l'exagération des chiffres du nombre de patients touchés par une maladie pour mobiliser l’administration publique n’a pas été exclusif des médecins du XIXe siècle. Cette même stratégie opéra trois décennies après pour établir un programme de lutte contre la tuberculose. En fait, certains médecins-phtisiologues vont mettre l’accent sur la faiblesse des statistiques officielles colombiennes pour fabriquer eux-mêmes, moyennant l’usage rhétorique des chiffres, des estimations exagérées de morbidité par tuberculose dans le pays. A partir d’une approche instrumentale des nombres, les médecins colombiens vont aussi tenter d’influencer l’opinion publique, de justifier et d’évaluer la mise en place des campagnes de santé publique. Les statistiques de santé vont servir à étendre les rumeurs d’apparition des épidémies, à démontrer que l’État s’intéresse aux enfants de la nation et aux dénués de protection, à prouver que les programmes d’hygiène s’élargissent et que les conditions sanitaires de la population sont en train de s’améliorer.
412
Si les travaux des historiens ont montré que pendant la seconde moitié du XXe siècle l’enseignement de la médecine en Colombie passa du modèle éducatif français à celui du modèle nord-américain, ils ont en revanche peu insisté sur l’impact de la philanthropie nordaméricaine dans les transformations de la médecine colombienne avant cette période. Lorsqu’on approfondit l’analyse de l’enseignement de la statistique vitale, on découvre une histoire complètement nouvelle pour l’historiographie sur la Colombie. Le modèle anglo-saxon, et plus particulièrement celui des États-Unis, a été la règle pour former les fonctionnaires de santé. En effet, quelques missions de la Fondation Rockefeller ont tenté une mise à jour de la statistique vitale en Colombie (mais aussi dans d’autres pays du monde). Notre analyse montre l’évaluation insuffisante que quelques fonctionnaires de la FR firent de ces missions, car la plupart d’entre eux considérèrent que le programme des bourses pour l’Amérique latine ne fut pas aussi réussi que celui des boursiers européens. Avec ces limitations, il faut remarquer que les ex-boursiers colombiens formèrent à leur retour dans le pays un groupe important d’infirmières, médecins et agents de santé en Colombie et cela eut des retombées qu’il faudrait analyser et évaluer dans une future recherche.
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ANNEXES Annexe 1. Organisation de la statistique nationale colombienne Date 1863
1875-1877
Section /Organisme Section: relations étrangères, statistique et recensement
Rattaché à
Bureau spécial de statistique
Secrétariat du développement
4ème section: Statistique 5ème section: 1888-1892 Statistique Bureau central de 1893-1895 statistique, BCS 5ème section: Bureau 1896-1905 central de statistique, BCS 6ème section: 1905 Statistique 1882
1906-1923
Direction générale de statistique, DGS
Secrétariat d’Intérieur et des relations extérieures
Secrétariat du développement ministère du Développement ministère du Développement
Pedro Salcedo Ramón (1888), Anthony John Schlesinger (1891) Sophus Höeg Warming (1893-94)
ministère des Finances et du Trésor
Vicente Larra R
ministère des Finances
Vicente Larra R (1906-09), José Joaquín Caicedo R (1912-13), Julio H. Palacio (1914), Rafael Jiménez Triana (1915-17), Alberto Schlesinger (1917-24)
Direction nationale de statistique, DNS
Departamento de la Contraloría (DC)
1953présent
Antonio María de Arrazola (1882-83)
Enrique Arboleda Cortés (18961905)
Departamento de la Contraloría (DC)
1952
Anibal Galindo (1875), Rafael Rocha Gutiérrez (1876), Victoriano de Diego Paredes (1877)
ministère d'Intérieur
Direction générale de 1924-1934 statistique, DGS
1935-1952
Directeur
Direction nationale de Organisme autonome statistique, DNS Département administratif national de Organisme autonome statistique, DANS
443
Belisario Arenas Paz (1924-28, 30), Luis Medina R (1928-29), Valentín Ossa (1929, 30), Marco Tulio Gómez (1934) Marco Tulio Gómez (1935), Juan de D. Higuita (1936-41), Luis Vidales (1942-44), Eduardo Santos Rubio (1945-50), Jorge Sáez Olarte (1951) Jorge Sáez Olarte Jorge Sáez Olarte (1953-58) Alberto Charry Lara (1959-67)
Annexe 2. Tableau original des statistiques de la mortalité selon leurs causes à Bogota en 1905
444
SOURCE: República de Colombia et Dirección general de estadística, Estadística anual de la república de Colombia (Bogotá: Impr. Eléctrica, 1907), 66‑67
445
Annexe 3. Mouvement de la population dans les principaux pays du monde en comparaison avec celui de la Colombie A. The Statesman’s year-book; statistical and historical annual of the states of the world for the year 1913
Pays Colombie Argentine Chili Uruguay Venezuela
Pays Venezuela Colombie Chili Uruguay Argentine
Année Population 1915 4 837 448 1911 7 171 910 1910 3 415 060 1911 1 177 560 1911 2 743 841
Année 1911 1915 1910 1911 1911
MA Proportion pour 1 000 habitants 2,9 4,9 5,7 5,9 7,1
Mariages Naissances (MA) (NA) 23 904 154 315 51 262 294 225 19 326 130 052 6 967 37 530 8 017 83 753
Pays Venezuela Uruguay Colombie Chili Argentine
Décès (DE) 101 277 151 331 106 073 16 552 55 428
MA NA DE Proportion Proportion Proportion pour 1 000 pour 1 000 pour 1 000 habitants habitants habitants 4,9 31,9 20,9 7,1 41,0 21,1 5,7 38,1 31,1 5,9 31,9 14,1 2,9 30,5 20,2
Année 1911 1911 1915 1910 1911
NA Proportion pour 1 000 habitants 30,5 31,9 31,9 38,1 41,0
446
Pays Uruguay Venezuela Colombie Argentine Chili
Année 1911 1911 1915 1911 1910
DE Proportion pour 1 000 habitants 14,1 20,2 20,9 21,1 31,1
Pays Année Colombie 1915 Allemagne 1910 Autriche 1910 Belgique 1910 Danemark 1911 Espagne 1910 France 1911 Grande-Bretagne 1911 Italie 1911 Roumanie 1911 Serbie 1910 Suède 1910
Population 4 837 448 64 925 993 28 324 940 7 423 784 2 775 076 19 588 688 39 601 509 36 163 833 34 671 377 7 248 061 2 911 701 5 522 403
Mariages Naissances (MA) (NA) 23 904 154 315 512 819 1 982 836 216 776 919 659 58 776 176 413 19 879 73 938 139 176 646 787 307 788 742 114 274 575 881 241 259 764 1 093 661 74 542 299 870 29 932 107 229 33 162 135 625
Décès (DE) 101 277 1 103 723 647 749 63 587 37 232 456 127 776 983 527 864 742 452 179 076 64 415 77 212
447
MA NA DE Proportion Proportion Proportion pour 1 000 pour 1 000 pour 1 000 habitants habitants habitants 4,9 7,9 7,7 7,9 7,2 7,1 7,8 7,6 7,5 10,3 10,3 6,0
31,9 30,5 32,5 23,8 26,6 33,0 18,7 24,4 31,5 41,4 36,8 24,6
20,9 17,0 22,9 8,6 13,4 23,3 19,6 14,6 21,4 24,7 22,1 14,0
Pays Colombie Suède Espagne Danemark Italie Grande-Bretagne Autriche France Allemagne Belgique Serbie Roumanie
Année 1915 1910 1910 1911 1911 1911 1910 1911 1910 1910 1910 1911
MA Proportion pour 1 000 habitants 4,9 6,0 7,1 7,2 7,5 7,6 7,7 7,8 7,9 7,9 10,3 10,3
Pays France Belgique Grande-Bretagne Suède Danemark Allemagne Italie Colombie Autriche Espagne Serbie Roumanie
Année 1911 1910 1911 1910 1911 1910 1911 1915 1910 1910 1910 1911
NA Proportion pour 1 000 habitants 18,7 23,8 24,4 24,6 26,6 30,5 31,5 31,9 32,5 33,0 36,8 41,4
Pays Belgique Danemark Suède Grande-Bretagne Allemagne France Colombie Italie Serbie Autriche Espagne Roumanie
Année 1910 1911 1910 1911 1910 1911 1915 1911 1910 1910 1910 1911
DE Proportion pour 1 000 habitants 8,6 13,4 14,0 14,6 17,0 19,6 20,9 21,4 22,1 22,9 23,3 24,7
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Macmillan, 1913)
448
B. The Statesman’s year-book; statistical and historical annual of the states of the world for the year 1919
Pays Colombie Argentine Chili Uruguay Venezuela
Pays Venezuela Uruguay Colombie Chili Argentine
Année Population 1915 4 837 448 1914 8 284 266 1916 3 870 002 1917 1 407 247 1917 2 844 618
Année 1917 1917 1915 1916 1914
MA Proportion pour 1 000 habitants 3,0 4,5 4,9 5,2 5,7
Mariages Naissances (MA) (NA) 23 904 154 315 46 811 291 887 20 121 144 193 6 278 36 752 8 655 77 486
Pays Uruguay Venezuela Colombie Argentine Chili
Décès (DE) 101 277 124 749 99 856 17 348 57 802
MA NA DE Proportion Proportion Proportion pour 1 000 pour 1 000 pour 1 000 habitants habitants habitants 4,9 31,9 20,9 5,7 35,2 15,1 5,2 37,3 25,8 4,5 26,1 12,3 3,0 27,2 20,3
Année 1917 1917 1915 1914 1916
NA Proportion pour 1 000 habitants 26,1 27,2 31,9 35,2 37,3
449
Pays Uruguay Argentine Venezuela Colombie Chili
Année 1917 1914 1917 1915 1916
DE Proportion pour 1 000 habitants 12,3 15,1 20,3 20,9 25,8
Pays Année Colombie 1915 Allemagne 1913 Autriche 1913 Belgique 1912 Danemark 1916 Espagne 1917 France 1913 Grande-Bretagne 1914 Italie 1915 Roumanie 1912 Serbie 1911 Suède 1917
Population 4 837 448 67 563 205 29 193 293 7 571 387 2 775 076 20 842 902 39 602 258 36 960 684 36 120 118 7 508 009 2 957 207 5 800 000
Mariages Naissances (MA) (NA) 23 904 154 315 513 283 1 894 598 195 524 863 690 61 278 171 187 19 879 73 938 142 065 602 102 244 880 604 811 294 401 879 096 185 662 1 109 060 62 400 314 090 30 420 107 219 35 589 120 461
Décès (DE) 101 277 1 085 996 589 794 113 378 37 232 465 819 587 445 516 742 741 043 165 616 64 869 77 157
450
MA NA DE Proportion Proportion Proportion pour 1 000 pour 1 000 pour 1 000 habitants habitants habitants 4,9 7,6 6,7 8,1 7,2 6,8 6,2 8,0 5,1 8,3 10,3 6,1
31,9 28,0 29,6 22,6 26,6 28,9 15,3 23,8 30,7 41,8 36,3 20,8
20,9 16,1 20,2 15,0 13,4 22,3 14,8 14,0 20,5 22,1 21,9 13,3
Pays Colombie Italie Suède France Autriche Espagne Danemark Allemagne Grande-Bretagne Belgique Roumanie Serbie
Année 1915 1915 1917 1913 1913 1917 1916 1913 1914 1912 1912 1911
MA Proportion pour 1 000 habitants 4,9 5,1 6,1 6,2 6,7 6,8 7,2 7,6 8,0 8,1 8,3 10,3
Pays France Suède Belgique Grande-Bretagne Danemark Allemagne Espagne Autriche Italie Colombie Serbie Roumanie
Année 1913 1917 1912 1914 1916 1913 1917 1913 1915 1915 1911 1912
NA Proportion pour 1 000 habitants 15,3 20,8 22,6 23,8 26,6 28,0 28,9 29,6 30,7 31,9 36,3 41,8
Pays Suède Danemark Grande-Bretagne France Belgique Allemagne Autriche Italie Colombie Serbie Roumanie Espagne
Année 1917 1916 1914 1913 1912 1913 1913 1915 1915 1911 1912 1917
DE Proportion pour 1 000 habitants 13,3 13,4 14,0 14,8 15,0 16,1 20,2 20,5 20,9 21,9 22,1 22,3
SOURCE : Sir John Scott Keltie et M. Epstein, The Statesman’s year-book; statistical and historical annual of the states of the world for the year 1919 (London:
Macmillan, 1919)
451
Annexe 04. Mortalité selon les causes de 1915 à 1930 en Colombie 1915 MALADIES GÉNÉRALES Total P TM 1000 Total Fièvre typhoïde 3032 2,99 0,56 3088 Fièvre récurrente 1033 1,02 0,19 1041 Fièvre intermittente et cachexie paludéennes 726 0,72 0,13 1394 Variole 751 0,74 0,14 184 Rougeole 5309 5,24 0,97 2098 Coqueluche 2055 2,03 0,38 4248 Grippe, influenza, dengue 1599 1,58 0,29 1102 Dysenterie 5385 5,32 0,99 4168 Tuberculose des poumons 2011 1,99 0,37 1670 Syphilis 958 0,95 0,18 926 Anémie, chlorose 1787 1,76 0,33 3144 MALADIES DE L'APPAREIL RESPIRATOIRE Bronchite aiguë 1371 1,35 0,25 3279 Bronchite chronique 239 0,24 0,04 280 Broncho-pneumonie 223 0,22 0,04 386 Pneumonie 3535 3,49 0,65 5582 MALADIES DE L'APPAREIL DIGESTIF Diarrhée et entérite (au-dessous de 2 ans) 1447 1,43 0,27 1674 Diarrhée et entérite (2 ans et audessus) 401 0,40 0,07 1438 Parasites intestinaux 1495 1,48 0,27 2027 MALADIES MAL DÉFINIES Causes de décès mal définies ou non spécifiées 4923 4,86 0,90 10665 Causes de décès non spécifiées 41886 41,36 7,69 17981 Totales 101277 18,59 88546
1916 P Total TM 1000 3,49 0,55 2890 1,18 0,19 847
1917 P Total TM 1000 3,38 0,51 1703 0,99 0,15 2146
1918 P TM 1000 1,86 0,29 2,34 0,37
1,57 0,21 2,37 4,80 1,24 4,71 1,89 1,05 3,55
0,25 0,03 0,38 0,76 0,20 0,75 0,30 0,17 0,56
3412 264 534 3372 709 4378 1348 508 2340
3,99 0,31 0,62 3,94 0,83 5,12 1,57 0,59 2,73
0,60 0,05 0,09 0,59 0,12 0,77 0,24 0,09 0,41
2069 365 171 1410 6117 3916 1715 451 2658
2,26 0,40 0,19 1,54 6,68 4,27 1,87 0,49 2,90
0,35 0,06 0,03 0,24 1,04 0,67 0,29 0,08 0,45
3,70 0,32 0,44 6,30
0,59 0,05 0,07 1,00
2750 1051 1602 4221
3,21 1,23 1,87 4,93
0,48 0,18 0,28 0,74
2745 1489 2347 4447
3,00 1,62 2,56 4,85
0,47 0,25 0,40 0,76
1,89
0,30
2394
2,80
0,42
1899
2,07
0,32
1,62 2,29
0,26 0,36
1484 2921
1,73 3,41
0,26 0,51
952 2209
1,04 2,41
0,16 0,38
12,04 20,31
1,91 3,22 15,86
11373 14471 85589
13,29 16,91
1,99 2,53 14,98
10937 14682 91639
11,93 16,02
1,87 2,51 15,65
452
1919 P TM 1000 Total 3,12 0,48 1564 1,38 0,21 549
MALADIES GÉNÉRALES Total Fièvre typhoïde 2907 Fièvre récurrente 1285 Fièvre intermittente et cachexie paludéennes 1263 1,36 Variole 736 0,79 Rougeole 527 0,57 Coqueluche 2017 2,17 Grippe, influenza, dengue 3713 3,99 Dysenterie 4155 4,46 Tuberculose des poumons 1532 1,65 Syphilis 571 0,61 Anémie, chlorose 3632 3,90 MALADIES DE L'APPAREIL RESPIRATOIRE Bronchite aiguë 1877 2,02 Bronchite chronique 1516 1,63 Broncho-pneumonie 1789 1,92 Pneumonie 4188 4,50 MALADIES DE L'APPAREIL DIGESTIF Diarrhée et entérite (au-dessous de 2 ans) 1783 1,91 Diarrhée et entérite (2 ans et audessus) 1294 1,39 Parasites intestinaux 2243 2,41 MALADIES MAL DÉFINIES Causes de décès mal définies ou non spécifiées 12109 13,00 Causes de décès non spécifiées 10654 11,44 Totales 93113
1920 P TM 1000 Total 1,88 0,25 2039 0,66 0,09 1124
1923 P TM 1000 Total 2,26 0,31 2201 1,25 0,17 1477
1924 P TM 1000 2,52 0,33 1,69 0,22
0,21 0,12 0,09 0,34 0,62 0,69 0,26 0,10 0,61
1335 426 196 589 1559 2030 745 517 2537
1,61 0,51 0,24 0,71 1,88 2,44 0,90 0,62 3,05
0,22 0,07 0,03 0,10 0,25 0,33 0,12 0,08 0,41
1826 203 1318 1646 2526 2836 803 388 2660
2,02 0,23 1,46 1,83 2,80 3,14 0,89 0,43 2,95
0,28 0,03 0,20 0,25 0,38 0,43 0,12 0,06 0,40
3242 731 548 962 2165 3343 1880 398 2509
3,72 0,84 0,63 1,10 2,48 3,83 2,15 0,46 2,88
0,48 0,11 0,08 0,14 0,32 0,49 0,28 0,06 0,37
0,31 0,25 0,30 0,70
3813 263 1783 2001
4,59 0,32 2,15 2,41
0,62 0,04 0,29 0,33
6496 1500 4428 3216
7,20 1,66 4,91 3,57
0,98 0,23 0,67 0,49
6274 263 2946 3472
7,19 0,30 3,38 3,98
0,93 0,04 0,44 0,51
0,30
931
1,12
0,15
2422
2,69
0,37
4760
5,46
0,70
0,22 0,37
530 1652
0,64 1,99
0,09 0,27
1525 2076
1,69 2,30
0,23 0,31
1854 2215
2,13 2,54
0,27 0,33
9932 11,95 24356 29,31 83099
1,62 3,96 13,52
7216 8,00 14228 15,78 90184
1,09 2,15 13,63
13864 15,89 87239
2,05 12,91
2,02 1,78 15,52
453
1927 P TM 1000 Total 2,97 0,43 2842 0,90 0,13 152
MALADIES GÉNÉRALES Total Fièvre typhoïde 3144 Fièvre récurrente 948 Fièvre intermittente et cachexie paludéennes 2906 2,75 Variole 444 0,42 Rougeole 5121 4,84 Coqueluche 2480 2,34 Grippe, influenza, dengue 4850 4,59 Dysenterie 2673 2,53 Tuberculose des poumons 973 0,92 Syphilis 327 0,31 Anémie, chlorose 1904 1,80 MALADIES DE L'APPAREIL RESPIRATOIRE Bronchite aiguë 5251 4,96 Bronchite chronique 95 0,09 Broncho-pneumonie 4085 3,86 Pneumonie 7179 6,79 MALADIES DE L'APPAREIL DIGESTIF Diarrhée et entérite (au-dessous de 2 ans) 2504 2,37 Diarrhée et entérite (2 ans et audessus) 903 0,85 Parasites intestinaux 2326 2,20 MALADIES MAL DÉFINIES Causes de décès mal définies ou non spécifiées 21207 20,05 Causes de décès non spécifiées 21796 20,61 Totales 105767
1929 P TM 1000 Total 2,76 0,38 2229 0,15 0,02 622
1930 P TM 1000 2,37 0,29 0,66 0,08
0,40 0,06 0,70 0,34 0,66 0,37 0,13 0,04 0,26
2683 254 119 4995 2756 1710 1475 262 1840
2,61 0,25 0,12 4,85 2,68 1,66 1,43 0,25 1,79
0,36 0,03 0,02 0,67 0,37 0,23 0,20 0,03 0,25
2556 308 113 1768 2756 2062 1371 350 1383
2,72 0,33 0,12 1,88 2,93 2,19 1,46 0,37 1,47
0,33 0,04 0,01 0,23 0,36 0,27 0,18 0,05 0,18
0,72 0,01 0,56 0,98
4787
4,65
0,64
4092
4,35
0,53
3227 5292
3,14 5,14
0,43 0,71
2491 3681
2,65 3,91
0,33 0,48
0,34
2363
2,30
0,32
2377
2,53
0,31
0,12 0,32
772 2062
0,75 2,00
0,10 0,28
743 2059
0,79 2,19
0,10 0,27
4,06 31255 33,21 0,00 13,74 94125
4,09
2,90 30393 29,53 2,98 0 0,00 14,45 102929
454
PROPORTION DE DÉCÈS (Nombre de décès/nombre total de décès*100)
Maladies de l'appareil digestif Fièvre typhoïde
6,00
7,00
Fièvre recurrente
5,00
6,00
Fièvre entermitente et cachexie paludéennes Variole
5,00 4,00
Proportion de décès
8,00
Rougeole
3,00
Coqueluche
2,00
Grippe, influenza, dengue Dysenterie
1,00
7,00 6,00 5,00
Bronchite aiguë
4,00
Bronchite chronique
3,00
Broncho-pneumonie Pneumonie
0,00 1915 1916 1917 1918 1919 1920 1921 1923 1927 1929 1930
Proportion de décès
8,00
1,00
4,00
Diarrhée et entérite (2 ans et au-dessus)
3,00
Parasites intestinaux
2,00
1,00 1915 1916 1917 1918 1919 1920 1921 1923 1927 1929 1930
Maladies de l'appareil respiratoire
2,00
Diarrhée et entérite (au-dessous de 2 ans)
0,00
1930
1929
1927
1923
1921
1920
1919
1918
1917
1916
0,00
1915
Proportion de décès
Maladies générales
455
1930
1927
1921
1919
1915
1930
1927
1919
1921
456
R² = 0,2481
1,00
1930
1927
1921
1919
1917
0,00 1915
1930
1927
1921
1919
1917
1915
0,00
Tuberculose des poumons
0,50
R² = 0,2862 1930
1,00
1927
1,00
Potencial (Rougeole )
1921
2,00
2,00 1,50
3,00
2,00 0,00
Rougeole
4,00
1919
R² = 0,4153
Lineal (Grippe, influenza, dengue)
R² = 0,0645
2,50
5,00
1917
3,00
Grippe, influenza, dengue
Tuberculose des poumons
6,00 F. entermitente et C. paludéennes
4,00
7,00 6,00 5,00 4,00 3,00 2,00 1,00 0,00
Rougeole
F. entermitente et C. paludéennes 5,00
R² = 0,8028
1915
1930
1927
1921
1919
1917
1915
R² = 0,1334
Grippe, influenza, dengue
Dysenterie
1917
Fièvre typhoïde
6,00 5,00 4,00 3,00 2,00 1,00 0,00
1915
4,00 3,50 3,00 2,50 2,00 1,50 1,00 0,50 0,00
Dysenterie
1917
Fièvre typhoïde
TAUX DE MORTALITÉ (Nombre de décès /Population*1 000)
Maladies de l'appareil respiratoire
Maladies générales 0,20
1,40 Parasites intestinaux Diarrhée et entérite (2 ans et au-dessus)
0,60
Diarrhée et entérite (au-dessous de 2 ans)
0,40 0,20 0,00 1915 1916 1917 1918 1919 1920 1923 1924 1927 1929 1930
Taux de mortalité
1,20
0,80
1930
1915 1916 1917 1918 1919 1920 1923 1924 1927 1929 1930
SOURCE : Les chiffres ont été tirés des annuaires statistiques colombiens publiés de 1917 à 1936. Ils correspondent aux années 1915, 1918-1922, 1923, 1924, 1927, 1928-1931, 1936.
Maladies de l'appareil digestif
1,00
0,00 1915
0,00
1929
0,20
Syphilis
0,05
1927
0,40
Variole
1924
Pneumonie
0,10
1923
Broncho-pneumonie
1920
0,60
0,15
1919
Bronchite chronique
1918
0,80
1917
Bronchite aiguë
1916
1,00
Taux de mortalité
Taux de mortalité
1,20
457
Annexe 5. Population et territoire, Estados Unidos de Colombia 1870
Département Population Antioquia Bolivar Boyacá Cauca Cundinamarca Magdalena Panamá Santander Tolima Total
365 900 241 704 498 341 435 078 413 658 88 928 224 032 433 178 230 891 2 931 910
Territoire Densité de Territoire Employés pouplé la dépeuplé de l'État kms2 population km2 33 000 11,1 26 000 493 40 000 6,0 30 000 407 30 300 16,3 55 300 268 63 000 6,9 603 300 474 23 100 17,9 183 300 313 25 000 3,9 44 300 146 36 100 6,2 46 300 303 18 300 23,4 23 700 555 36 300 6,4 11 400 192 305 300 9,6 1 025 300 3 151
SOURCE : Safford, Frank, et Marco Palacios. Colombia: Fragmented Land, Divided Society. New York: Oxford University Press, 2002. p. 242, reprenant des données de Anuario estadístico de los Estados Unidos de Colombia, 1875, Bogotá: Imprenta de Medardo Rivas
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ANEXO 6 Bulletin individuel utilisée pour le recensement de 1928 1. ° Quelle est votre adresse ? .... (Département, commune, quartier, village, etc., pour localiser l’adresse de chaque personne) 2. ° Quels sont vos nom et prénom ? ........ 3. ° Quel est votre sexe ? ........ . (Réponse: homme ou femme, le cas échéant). 4. ° Quel est votre âge ? ........ Ans (Pour les enfants de moins d’un an, mois ........ ou jours............). 5. ° Quel est votre statut marital ?........ (Dites si vous êtes célibataire, marié ou mariée, veuf ou veuve). 6. ° Quelle est votre religion ? ........ 7. ° Quelle est votre nationalité ? (Êtes-vous colombien ? ......... Êtes-vous étranger ? ......... Quelle est votre patrie? ......... Êtesvous naturalisé ? ...... Auquel pays appartenait vous ?......) 8. ° Savez-vous lire ? ........ 9 ° Handicap physique. (Êtes-vous aveugle ? ------- Sourd-muet ? ........ Paralytique ? ........) 10. ° Occupation ....... (Quelle est votre occupation principale ?..... Dans quel type d’affaires travaille -vous ? Dans votre travail, êtes-vous le propriétaire ? ........ un employé ? ..... ou un ouvrier ? ....... Boletín individual utilizado para el censo de 1928 1.° Cuál es su domicilio ?....(Departamento, municipio, barrio, vereda, etc., para localizar el domicilio de cada habitante) 2.° Cuál es su nombre y apellido?........ 3.° Cuál es su sexo?........ . (Conteste: hombre o mujer, según el caso). 4.° Cuál es su edad?........ Años (Para los niños menores de un año, ...........meses cumplidos o........días cumplidos). 5.° Cuál es su estado civil?........ (Diga usted si es soltero o soltera, casado o casada, viudo o Muda). 6.° Cuál es su religión?........ 7.° Cuál es su nacionalidad? (Es usted colombiano?.........Es usted extranjero?......... De qué parte?.........es usted nacionalizado?........ A qué país pertenecía?»......) 8.° Sabe usted leer?........ 9.° Incapacidad física. (Es usted ciego?-------Sordomudo?........ Paralitico?........) 10.° Ocupación....... (Cuál es su ocupación principal?...... En qué clase de negocio trabaja?.... En su ocupación trabaja como dueño?........o como empleado?........o como obrero?.......
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Annexe 7. Tableau comparatif des catégories de recensement de population. Colombie 1905-1951
Date
Président
1905, 1 - 15 juin
Rafael Reyes Prieto
1912, 5 mars
1918, 14 octobre
Carlos E. Restrepo Restrepo
Marco Fidel Suárez
Date de Total de la publication population État civil
1917
1912
1924
4.143.632
5.072.604
5.855.077
Instruction
Personnes Célibataire, sachant lire et marié, veuf écrire
Race
Nationalité
Religion
Blancs, nègres, indiens, « mélangés »
Colombienne, étrangère
Catholique, La profession, l'occupation, non-catholique l'office
Blancs, nègres, Sachant lire, Célibataire, indiens (civilisé, sachant écrire, marié, veuf sauvage), « asistance à l'école mélangés »
Sachant lire et écrire, sachant lire mais pas Célibataire, Blancs, nègres, écrire, ni lire ni marié, veuf indiens, métis écrire. Assistance à l'école, n'y vont pas à l'école.
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Colombienne, étrangère, étrangères nationalisés
Colombienne, étrangère, étrangères nationalisés
Professions
Catholique, autre religion
Professions libérales, beauxarts, "l'art, l'artisanat et les apprentis", ministres du culte, les employés, les militaires, la police, l'industrie agricole, l'industrie de l'élevage, l'industrie commerciale, l'industrie du transport, des ouvriers (jornaleros), domestiques, tâches ménagères
Catholique, protestant, autre religion
Professions libérales, beauxarts et lettres, arts et métiers, culte religieux, fonctionnaire, force publique, l'industrie agricole, l'industrie de l'élevage de bétail, d'autres élevages, pêche et chasse, l'industrie commerciale, l'industrie du transport, l'industrie minière, services domestiques
Date
Type de travail
1905, 1 - 15 juin
Handicaps
D'autres variables
Notes
Aveugles
Quantifier les malades La publication n'eregistre que le nombre d'habitantes par municipalité et par départements. Il est difficile de savoir quelle information a été effectivement recueillie d'éléphancie et les pauvres de solennité le jour du recensement
1912, 5 mars
« réalisé sous sa propre tutelle » (travailleur La publication enregistre le nombre d'habitantes selon le sexe par municipalité et par Vaccinés. indépendant), « y Incapacité pour Propriétaire : ruraux, départements. Pour toutes les autres catégories, l'information ne considérer que les réalisé sous la tutelle travailler urbains ou l’ensemble. résultats des hommes d’autres » (employé) et « impossibilité de travailler ».
1918, 14 octobre
« réalisé sous sa propre tutelle » (travailleur indépendant), « y réalisé sous la tutelle d’autres » (employé) , ne travaille pas
Défaut physique et mentaux : capable de travailler, incapables de travailler
La première publication est parue en 1923. Celle-ci comportait seulement le chiffre des hommes de moins de 21 ans et ceux de plus de 21 ans distribués par municipalité et Vaccinés, nonpar département. Quantification de toute première importance pour les scrutins vaccinés. Propriétaire électoraux. Paradoxalement, la distribution d’âge de Bertillon utilisée pour décompter : rural, urbain, rural et les données, et prescrite par les critères internationaux ne permettait pas d’établir de urbain, sans façon nette le nombre d’hommes de plus de 21 ans, de sorte que les fonctionnaires propriétés. colombiens étaient forcés d’estimer le chiffre. En 1924 furent publiés les résultats du recensement concernant toute la population (hommes et femmes).
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Date
Président
1928, Miguel Abadía 17 Méndez november
Date de Total de la publication population État civil
1929-1930 publié par départements en plusieurs volumes
1940-1942 publié par départements en 16 volumes
1938, 5 juillet
Alfonso López Pumarejo
1951, 9 mai
1954-1956 publié par Laureano Gómez départements Castro en plusieurs volumes
7.851.000
8.701.816
11.548.172
Instruction
Race
Nationalité
Religion
Professions
Célibataire, Sachant lire, ne marié, veuf sachant pas lire
Colombienne, étrangère (européen, asiatique, sudCatholique, américain, protestant, américain, centre- autre religion américaine, sans précision)
L'agriculture, l'industrie, le commerce, les fonctionnaires, élevage, les services domestiques, les professions libérales, la force publique, l'exploitation minière, aucune profession particulière, improductif
Célibataire, Sachant lire, ne marié, veuf sachant pas lire
Colombienne, étrangère (sudaméricain selon les pays, américain, européen sans Catolique, restriction, E. avec autre religions restriction, asiatique sans restriction, A avec restriction, centreaméricaine)
1) Branches l'activité économique (plusieurs catégories). 2) La profession (plusieurs catégories). 3) Population active, population inactive
Colombienne et étrangére (pays d'origine registré)
1) Population économiquement active , population économiquement inactive. 2) Profession ou métier. 3) Chômage. 4) L'activité économique
Célibataire, marié, veuve, union consensuell e, séparé
Niveau d'éducation : école, lycée, université, autre. Alphabétisé, analphabète
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Date
Type de travail
Défauts physiques : aveugles, sourd-muets, paralysés
1928, 17 november
D'autres variables
Notes
Il n'a pas été approuvé par le Congrès à causes de ses chiffres gonflés. Un recensement de logement rural et urbain fut réalisé de façon préalable à celui de la population.
1) Par loi, quelques étrangères avaient une entrée restreinte en Colombie. 2) Pour les catégories des branches d'activité économique il fut utilisé la classification proposée par la Société des Nations. 3) Selon les fonctionnaires de statistique, les résultats sur la religion n'ont pas été publiés parce que la grande majorité de la population était catholique.
1938, 5 juillet
1951, 9 mai
Handicaps
Statut professionnel : Employeur, travailleur indépendant, assistant familial, employé, ouvrier
La recherche fondamentale de ce recensement a suivi la voie tracée par les règles de la Comisión para el Censo de las Américas - COTA (Commission du Recensement de l'Amérique), et ils ont été approuvées par les réunions de Washington (1948 et 1951) Rio de Janeiro (1949) et Bogotá (1950 ). Les résultats sur la population active et inactive n'ont pas été comparés avec ceux de 1938 car les définitions de ses catégories étaient différentes
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Annexe 08. Tableau des institutions d’hygiène en Colombie Années
Institution d'hygiène
1886-1913
CONSEIL CENTRAL D'HYGIÈNE (CCH)
1913-1914 1914-1918
1918-1925
1925-1931
1931-1931
1931-1938
CONSEIL SUPÉRIEUR DE SANTÉ (CSS) CONSEIL CENTRAL D'HYGIÈNE (CCH)
Dépendance Ministère d’Instruction publique (MIP)
Directeurs Nicolás Osorio; Aureliano Posada, Carlos Michelsen.
Ministère de l’Intérieur (MI) MI
Pablo García Medina (1914-1918)
MIP (1918-20), DIRECTION NATIONALE DE M Agriculture et commerce L'HYGIÈNE (DNH) MAC (1920-23), MIP (1923-25) DIRECTION NATIONALE DE L'HYGIÈNE ET MIP L’ASSISTANCE PUBLIQUE (DNH-AP) DÉPARTEMENT NATIONAL DE L'HYGIÈNE ET Institution indépendante L’ASSISTANCE PUBLIQUE (DepNH-AP) DÉPARTEMENT NATIONAL Présidence de la DE L'HYGIÈNE (DepNH) République (1931-34), MI (1934-35),
Pablo García Medina (1918-1925)
Pablo García Medina (1925-1931)
Pablo García Medina
Enrique Enciso 1931-193? Joaquín Cano *
MAC (1935-36),
Alejandro Villa Álvarez*
M. de l’Éducation nationale
Luis Patiño Camargo 1934-1935
(1936-38)
Arturo Robledo 1935-1936 Benigno Velasco Cabrera 1937
1938-1946
DIRECTION NATIONALE DE Ministère du Travail, de L'HYGIÈNE (DNH) (1938l’Hygiène et de la Prévision 45) sociale
Alberto Jaramillo Sánchez (1938-1939) Joaquín Caicedo Castillo (19391942) Arcesio Londoño Palacio (19421943) Abelardo Forero Benavides (1943) Jorge Eliécer Gaitán (1943-1944)
DÉPARTEMENT NATIONAL DE SANTÉ PUBLIQUE (1945-46) (DepNSP)
Moisés Prieto (1944-1945) Adán Arriaga Andrade (1945-1946) Blas Herrera Anzoátegui (interino)* 1946-1953
MINISTÈRE DE L’HY IÈNE
Institution autonome
Jorge Bejarano Martínez (1947) Pedro Eliseo Cruz (1947-1948) Hernando Anzola Cubides (1948)
Jorge Cavelier (1949-1950) Alonso Carvajal Peralta (19501951) Miguel Antonio Rueda G. (1952) Alejandro Jiménez Arango(19521953) SOURCE : Juan Carlos Eslava , « La emergencia de la salud pública como campo profesional en Colombia » (Tesis Magister en Sociología, Universidad Nacional de Colombia. Facultad de Ciencias Humanas. Departamento de Sociología, 2002) p.40 et annexes.
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Annexe 9. Schème de l’organisation du Département d’ankylostomiase crée en février 1920 à Bogota
NOTE: Department of cures: chargé de l’examen des patients et de l’administration du traitement; Département of soil sanitation: chargé de la construction des latrines. SOURCE: Frederick A. Miller, « Relief and control of Hookworm disease in Colombia from June 14 to Decembre 31, 1920 », 1921, 1‑3, RAC, RFA, RG 5 IHB, ser. 255-311 Colombia, subser. Q. Reports, box 27, fol.163, p. 2
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