Don’t stay so close to your customer : le paradoxe de la satisfaction client

September 29, 2017 | Autor: Damien Chaney | Categoría: Video Games, Customer Satisfaction, Marketing Strategy, Blue Ocean Strategy, Product Strategy
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Descripción

Rubrique « Stratégies »

Don’t stay so close to your customer Le paradoxe de la satisfaction client

Karim BEN SLIMANE et Damien CHANEY

Karim BEN SLIMANE, Professeur Assistant Groupe ESC Troyes. Contact: [email protected] Damien CHANEY, Professeur Assistant Groupe ESC Troyes. Contact : [email protected] François H. Courvoisier est responsable de la rubrique « stratégies » de la revue Décisions Marketing. Tout auteur souhaitant contribuer à la rubrique peut lui proposer un texte d’environ 1 300 à 3 300 mots analysant un concept de stratégie marketing et les débats dont il fait l’objet, en l’illustrant d’un ou de plusieurs exemples commentés. Les propositions sont à envoyer à [email protected] (chef de rubrique) et au secrétaire de rédaction ([email protected]).

Résumé

Abstract

A travers l’illustration du marché des jeux vidéo et du lancement de la console Nintendo Wii, cette rubrique met en lumière le phénomène du paradoxe de la satisfaction client. Celui-ci présente deux effets pervers : l’escalade d’amélioration du produit et la guerre des prix. Pour juguler ce paradoxe, une réponse stratégique consiste à cibler les nonconsommateurs avec un produit plus simple technologiquement et en évitant la concurrence.

don't stay so close to your customer This paper deals with the strategies of new product development. Its aim is twofold. First, it brings into question the concept of customer satisfaction and sheds light on one of its ill-understood paradox. This paradox stems from two unintended consequences by which the race to customer satisfaction may lead to a product upgrade escalation and a price war. Second, this paper outlines a set of actions that can help managers to escape the paradox of customer satisfaction. Those actions consist of targeting new segments of non-customers with a new offer that is simple and avoiding high competition. This paper is built on the insights derived from the case of the launch of the Nintendo Wii in the videogame industry.

Mots clefs  : stratégie de produit, satisfaction client, nonconsommateurs, marché des consoles vidéo.

Key words: product strategy, customer satisfaction, noncustomers, video console market.

Décisions Marketing N°63 Juillet-Septembre 2011 – 73

Don't stay so close to your customer

L

e marché des jeux vidéo s’est très souvent focalisé sur un segment spécifique de consommateurs : les Hardcore Gamers. Le marché est principalement segmenté selon l’âge et le nombre d’heures consacrées par le consommateur aux jeux vidéo. En 2006, Nintendo lance la console Wii. Cette console, plus simple que ses rivales – PlayStation de Sony et Xbox de Microsoft –, s’adresse davantage à un segment de nouveaux consommateurs appelés Casual Gamers. Tandis que Sony et Microsoft peinent à atteindre la rentabilité sur des consoles de plus en plus complexes technologiquement, Nintendo a enregistré des bénéfices dès la première console vendue (1). La stratégie de lancement de la Wii sur le marché de la console vidéo apporte plusieurs enseignements sur la stratégie de développement de nouveaux produits. Premièrement, elle attire l’attention des managers sur le fait que la focalisation excessive sur la satisfaction des clients actuels peut avoir un caractère paradoxal menant à une diminution des profits. Deuxièmement, Nintendo nous apprend comment une entreprise touchée par le paradoxe de la satisfaction client peut sortir de cette situation en lançant de nouveaux produits technologiquement plus simples pour d’autres segments de non-consommateurs. Dans ce travail, nous présentons et définissons tout d’abord le phénomène du paradoxe de la satisfaction client, et ensuite le concept de non-consommateur. Notre but est de fournir au manager les éléments qui lui permettent de détecter les effets pervers de la satisfaction de ses clients et d’y remédier en changeant sa stratégie de lancement de nouveaux produits.

Les stratégies de lancement des nouveaux produits et la satisfaction client Lancer un nouveau produit consiste à répondre aux attentes des clients. Les entreprises adhèrent ainsi à une vision selon laquelle « la profitabilité à long terme d’une entreprise est davantage assurée en focalisant ses activités sur la satisfaction des besoins des consommateurs composant un/des segment(s) cible(s) » (5). La satisfaction, que l’on peut définir comme étant une évaluation post-achat du produit ou service par le client (13), constitue donc un dogme dans le champ du marketing, notamment parce qu’on y associe la profitabilité de l’entreprise (3, 9). Focalisés perpétuellement sur la satisfaction de leurs clients actuels, les managers se trouvent amenés à répondre indéfiniment aux exigences plus poussées de ces consommateurs. Cependant, les recherches en management de l’innovation attirent l’attention sur les risques d’une trop grande proximité, un enfermement sur les clients actuels. Cela peut amener l’entreprise à verrouiller l’amélioration de son produit dans des directions qui répondent seulement aux critères de performance attendus par les clients traditionnels et masquer 74 – Karim BEN SLIMANE et Damien CHANEY

l’existence d’autres segments de consommateurs potentiels (4). La satisfaction des clients peut ainsi avoir deux effets pervers.

La satisfaction client et l’escalade d’amélioration du produit Le premier paradoxe de la satisfaction client peut se manifester à travers une escalade de l’amélioration du produit qui grève le coût de production. Dans ce cas de figure, les consommateurs s’attachent à des critères de performance et de qualité bien particuliers et poussent les entreprises à y répondre. Ceci peut par exemple se traduire dans le domaine de l’informatique par des ordinateurs avec davantage de capacités de stockage ou de performance graphique, ou dans le secteur automobile par des véhicules de plus en plus confortables et sûrs. Quand il devient visible et important en termes de taille, un segment de clients peut ainsi restreindre les sentiers de développement du produit dans des directions particulières et ce, au détriment d’autres (4). La proximité avec le segment le plus important de clients est un facteur de réussite et de compétitivité pour l’entreprise. Pourtant, un tel verrouillage bride la stratégie de lancement de nouveaux produits par l’entreprise et peut engendrer à terme des effets pervers comme l’illustre le cas du marché de la console vidéo. Jusqu’à 2005, le marché des consoles s’adressait essentiellement aux Hardcore Gamers. Selon l’Entertainment Software Association, ces joueurs âgés en moyenne de 30 ans consacraient environ 6,8 heures par semaine au jeu et avaient un penchant prononcé pour les jeux complexes et réalistes les amenant à développer des compétences d’habileté et de rapidité dans le maniement des manettes (1). Les avancées technologiques, à l’instar de la 3D, ont poussé le réalisme des jeux à des niveaux tels que l’armée américaine a commencé à concevoir des jeux vidéo pour le recrutement de soldats parmi les jeunes Hardcore Gamers. En exigeant davantage de réalisme et de complexité dans les jeux, les Hardcore Gamers ont ainsi poussé au verrouillage des critères de performance d’une bonne console de jeux. En effet, la course au réalisme et à la complexité a conduit les trois constructeurs, Sony, Microsoft et Nintendo, à s’adapter aux attentes des Hardcore Gamers en lançant des consoles de plus en plus évoluées technologiquement. Les critères de performance et les attributs recherchés par les Hardcore Gamers se matérialisaient dans la puissance du microprocesseur et de la carte graphique d’un côté, et dans la richesse des fonctionnalités incorporées dans la console de l’autre (tableau 1). Les consoles lancées entre 1995 et 2006 ont donc atteint des niveaux de développement technologique très avancés. A titre d’exemple, la console PS3 lancée par Sony en 2006 a été équipée d’un microprocesseur de 3,2 Ghz équivalent à celui intégré dans les ordinateurs les plus performants. Naturellement, cette escalade s’est répercutée sur la chaîne de valeur des constructeurs et les a contraints à se fournir en équipements de plus en

Rubrique « Stratégies » Tableau 1 L’évolution technologique des consoles entre 1995 et 2006 Console et date de lancement PS Sony (1995)

Micro-processeur 33 MHZ

Carte graphique 360 000 Polygones

Xbox Microsoft (2001)

733 MHZ

300 millions Polygones

PS2 Sony (2000) Nintendo Game Cube (2002)

295 MHZ 486 MHZ

4 millions Polygones 27 millions Polygones

Xbox 360 Microsoft (2005)

3,2 GHZ

500 millions Polygones

PS3 Sony (2006)

3,2 GHZ

275 millions Polygones

plus performants et donc de plus en plus chers. Alors qu’historiquement l’industrie des consoles était une industrie de recyclage des technologies obsolètes de l’industrie de l’informatique (1), les constructeurs de consoles sont devenus de grands acheteurs interagissant avec des firmes comme Intel ou IBM pour se fournir en microprocesseurs spécifiques. Si son degré de sophistication est un antécédent de la performance d’un nouveau produit (7), cette sophistication peut devenir à long terme plus coûteuse que rémunératrice.

La satisfaction client, l’escalade d’amélioration du produit et l’effet de la concurrence Conjointement à l’escalade d’amélioration du produit, l’existence d’un segment de clients influents peut augmenter la pression sur les prix puisque les opportunités de différenciation entre les concurrents se trouvent réduites (4). En effet, à force d’être proches des mêmes clients et d’anticiper les mêmes demandes et attentes, les acteurs du marché peuvent se retrouver entraînés dans une guerre des prix. Dans le marché des consoles des jeux vidéo, la concurrence acharnée entre les trois mastodontes, Nintendo, Sony et Microsoft, s’est rapidement transformée en guerre des prix. Microsoft a lancé la Xbox en 2001 en s’alignant sur le prix de la PS2 de Sony vendue à l’époque sur le marché américain à 299  $ sauf que la Xbox était équipée d’un microprocesseur trois fois plus puissant et d’une carte graphique avec des performances incomparables (tableau 1).Au prix de 299 $, Microsoft cédait ses consoles 150 $ en dessous de son coût de production (1). Six mois plus tard, Microsoft baisse le prix de 100 $ en réponse à la baisse de prix de la PS2. En 2005, Microsoft récidive et propose sa Xbox 360 à 399 $ soit 71 $ de perte par unité (10). De son côté, Sony ne fait pas mieux. Sa console PS3 équipée d’un disque dur de 60 et de 80 Giga a été lancée avec une perte de 37 $ par unité ramenée en 2010 à 18 $. Même si la satisfaction client constitue un facteur important de la réussite d’une stratégie de lancement d’un nouveau produit (7), elle peut être une source d’effets pervers. Nous avons

Nouvelles fonctionnalités Lecteur CD CD, DVD, carte réseaux, disque dur, système d’exploitation (OS) CD, DVD, carte réseaux, disque dur, OS Mini disc, carte mémoire, OS HD DVD, disque dur, Wifi, carte réseaux, OS Blu Ray DVD, disque dur, wifi, carte réseau, OS

décrit deux effets pervers de la satisfaction client dont le résultat est une érosion de la valeur économique de l’entreprise. Cependant, cette situation est loin d’être inextricable. Le cas du lancement de la Wii offre à cet égard une alternative intéressante pour juguler le paradoxe de la satisfaction client.

Comment enrayer les effets pervers de la satisfaction client ? Dans certaines situations où la satisfaction des clients actuels entraîne les entreprises dans une spirale de détérioration des profits, les organisations ont besoin d’une stratégie pour dépasser ce paradoxe. Le lancement de la Wii par Nintendo en constitue un exemple. Cette stratégie repose sur deux axes : identifier et cibler des non-consommateurs et concevoir une offre plus simple et moins coûteuse. La nouvelle offre est fondée sur des critères de performance nouveaux.

Cibler les non-consommateurs En lançant la Wii, Nintendo s’est détournée du segment des Hardcore Gamers dont la satisfaction est devenue handicapante. Une trop grande proximité de l’entreprise avec ses clients engendre un aveuglement par rapport à d’autres segments et surtout par rapport à d’autres critères de performance qui peuvent orienter le développement de nouveaux produits dans des directions différentes (4). Les entreprises ont en effet des difficultés à identifier les non-consommateurs de leurs produits qui, comme le montre le cas de la Wii, constituent pourtant une opportunité permettant à l’entreprise de se repositionner sur le marché et de renouer avec la création de valeur. La nouvelle cible marketing de la Wii est constituée par les Casual Gamers, c’est-à-dire des personnes qui ne pratiquaient pas le jeu vidéo auparavant (10). Ces individus ont donc été des non-consommateurs, tenus à l’écart du marché. En effet, consommer des jeux vidéo nécessitait, avant 2006, la maîtrise de combinaisons compliquées de Décisions Marketing N°63 Juillet-Septembre 2011 – 75

Don't stay so close to your customer boutons, du temps et du goût pour des jeux complexes. Après avoir ciblé et identifié ces non-consommateurs, Nintendo a adopté un positionnement grand public axé sur la famille et les pairs, et ce, en favorisant la consommation en groupe. Aujourd’hui, la cible des Casual Gamers, auxquels on peut ajouter certains Hardcore Gamers, finalement conquis par le caractère novateur de la Wii, constitue une part très importante du marché des consoles vidéo. En 2009, d’après l’Entertainment Software Association, sur les dix jeux les mieux vendus aux Etats-Unis, six étaient conçus pour la Wii. L’âge moyen des joueurs est passé de 30 ans en 2004 à 34 ans en 2009 avec plus de 26% des joueurs âgés de plus de cinquante ans.

pétences, peut à la longue développer une frustration envers les offreurs de la catégorie de produits et devenir résistant. Si le plus souvent c’est la barrière de richesse qui apparait comme étant celle qui écarte le plus les consommateurs (encadré 1), d’autres consommateurs potentiels peuvent être exclus du marché en raison d’un manque de temps ou de la non maîtrise de compétences ou de savoirs particuliers. A titre d’exemple, Callaway a séduit beaucoup de non golfeurs en concevant des clubs de golf pour débutants qui leur permettent de s’initier à ce sport sans en avoir une grande maîtrise.

L’enjeu le plus important dans cette stratégie réside dans l’identification des non-consommateurs sur ce marché. Un non-consommateur peut être défini comme un consommateur potentiel d’un produit ou d’un service qui a été tenu à l’écart du marché en raison de la présence de l’une de ces trois types de barrières : une barrière de richesse, une barrière de temps et une barrière de compétences (9). Parce que les entreprises d’un même marché ont mécaniquement focalisé leurs efforts sur la sophistication des produits afin de satisfaire coûte que coûte leurs clients actuels, ces consommateurs potentiels se sont retrouvés exclus du marché. Il s’agit ici de barrières objectives qui diffèrent des facteurs subjectifs et interprétatifs liés à des comportements de résistance, de boycott. Le non-consommateur n’est pas en mesure de consommer alors que ceux qui résistent ne veulent pas consommer.

A nouveaux clients, nouveaux critères de performances et de qualité. En se détournant des clients traditionnels et en visant des non-consommateurs, l’entreprise réoriente la conception de son offre vers d’autres critères de performance. Cette stratégie peut être gagnante, si, d’une part, les critères de performance des non-consommateurs permettent à l’entreprise d’une part de simplifier son offre, ce qui réduit le coût de production, et si elle se différencie par rapport à la concurrence en réduisant la pression sur les prix, d’autre part. Il se produit un effet de déverrouillage du sentier d’amélioration et de lancement de nouveaux produits.

Ceci renvoie à la distinction entre non-consommateur relatif et non-consommateur absolu. Le non-consommateur relatif est une personne qui n’est pas cliente mais qui pourrait le devenir si certaines barrières étaient levées. Le non-consommateur absolu est une personne qui, par sa propre volonté, ne veut pas consommer le produit. Les frontières entre les deux catégories, par ailleurs, ne sont pas étanches puisqu’un non-consommateur relatif, exclu du marché en raison d’une barrière de com-

Les bénéfices d’une stratégie de ciblage des non-consommateurs

En 2006, quand Nintendo a lancé la Wii, la surprise des Hardcore Gamers a été grande. Et pour cause, car la nouvelle console est simple : elle ne possède ni les attributs, ni les critères de performance qu’ils recherchent. La Wii a été conçue dans l’objectif de dépasser les barrières de compétences et de temps qui tenaient les Casual Gamers en dehors du marché. Elle a donc délaissé le réalisme et la complexité des jeux, au profit de jeux simples et d’un maniement simplifié des manettes grâce à une technologie sans fil (10). La Wii est une console basique dotée d’une manette de contrôle sans fil qui permet de transformer les mouvements des joueurs en mouvements sur l’écran. En conséquence, et en accord avec son positionnement grand public, Nintendo

Encadré 1 : Quelques exemples de stratégies de ciblage de non-consommateurs exclus du marché en raison de la barrière de la richesse La barrière de la richesse constitue la barrière objective qui écarte le plus de consommateurs potentiels d’un marché donné (14). Ayant compris cet enjeu, certaines entreprises ont mis en place des stratégies visant ces non-consommateurs. Easy Jet en a même fait sa mission stratégique, en ciblant les marchés dans lesquels il existe des non-consommateurs non servis en raison d’une barrière de richesse. Ce faisant, cette stratégie l’a mené à lancer des modèles low cost dans les industries du transport aérien, de l’hôtellerie, de la location de voitures, de la croisière ou encore de la téléphonie. Les constructeurs automobiles ont aussi compris que la clef de la réussite sur les marchés émergents consiste à annihiler la barrière de la richesse. C’est après avoir constaté qu’en Inde des familles entières pouvaient se tasser sur un même scooter pour faire des trajets quotidiens que le métallurgiste Tata a eu l’idée de rendre la voiture accessible aux familles indiennes. En proposant la Nano à un prix se rapprochant de celui du scooter, Tata a offert aux Indiens un moyen de transport sûr, commode et confortable.

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Rubrique « Stratégies » a lancé de nouveaux jeux simples essentiellement dans le genre des jeux pour famille. Selon l’Entertainment Software Association, la part de marché des jeux pour famille a ainsi augmenté de 9,5  % en 2004 à 16  % en 2009. Même si la Wii constitue une innovation majeure dans la manière de concevoir le jeu vidéo, les nouveaux critères de performance qui ont attiré les Casual Gamers sont la simplicité d’utilisation et le caractère ludique des jeux. Ces nouveaux critères se sont répercutés sur les composants de la nouvelle console la rendant moins sophistiquée et donc moins coûteuse à la production. Techniquement, la Nintendo Wii est équipée d’un microprocesseur de 700 Mhz acheté chez Kmart (1) (la grande distribution) à un prix modique alors que ses rivales PS3 et Xbox 360 utilisent des microprocesseurs de 3,2 GHZ acquis au prix fort auprès d’Intel. La Wii est aussi réduite en termes de fonctionnalités. La nouvelle console n’est pas équipée de disque dur, ni de lecteur DVD et encore moins d’un système de son Dolby. Ce faisant Nintendo a pu lancer sa console au prix de 299 $ contre 599 $ pour la PS3, lui permettant de réaliser du profit sur chaque unité vendue contrairement à Microsoft et Sony. Moins cher que ses concurrents et pionnier sur le segment des Casual Gamers, segment visé depuis par la Playstation Move de Sony et la Kinect de Microsoft, Nintendo s’est mis durablement à l’abri d’une guerre des prix. En février 2011, la Xbox 360 était proposée à 299,99 $, la Playstation 3 de Sony était proposée au même prix alors que la Wii était proposée à 199,99 $. Nintendo a vendu 7 millions d’unités de Wii en 2010 en recul par rapport aux 9 millions d’unités réalisées en 2009. Cette baisse est expliquée par le lancement de la nouvelle console Kinect de Microsoft (15).

Conclusion Dans ce travail, nous avons illustré au travers du cas principal du marché des consoles vidéo, les effets pervers de la satisfaction client. En se détournant des clients traditionnels et en ciblant des non-consomma-

teurs, Nintendo a réussi à renouer avec les profits et à se créer une position concurrentielle avantageuse. On se rapproche ici de la stratégie de développement de marché d’Ansoff dans la mesure où le produit existe mais il est proposé à un marché nouveau (2). Par rapport à une stratégie visant à satisfaire continuellement les clients actuels de l’entreprise, une stratégie de ciblage des nonconsommateurs possède trois bénéfices (tableau 2). Premièrement, l’entreprise élargit le marché en attirant de nouveaux clients et peut même espérer arriver à retenir certains anciens clients malgré les nouveaux critères de qualité du produit. Deuxièmement, l’offre de produits pour la nouvelle cible est généralement plus rudimentaire et donc moins coûteuse pour l’entreprise. Troisièmement, en ciblant les non-consommateurs, l’entreprise se différencie de ses concurrents et profite d’un avantage de pionnier. Les enseignements tirés du cas de l’industrie des jeux vidéo valent également dans plusieurs autres secteurs d’activité, ce qui renforce le degré de généralisation des propositions faites. Sur le marché de la téléphonie mobile, alors que les constructeurs se lancent dans la course effrénée des Smartphones, certains, à l’instar d’Alcatel, se concentrent plutôt sur des téléphones plus simples et moins chers. Le constructeur coréen Samsung mène la bataille sur les deux fronts et commercialise une gamme de Smartphones en plus d’une gamme de téléphones ultra simples (2G, sans wifi ni appareil photo) pour les marchés émergents. Le marché de l’informatique a été dopé il y a quelques années par le mini-ordinateur qui constitue une réponse technologiquement plus simple et moins coûteuse à des besoins latents chez les jeunes et chez certains ménages. Son caractère peu encombrant a permis de nouveaux usages, notamment dans les transports en commun. Sur un autre registre et dans un secteur Low-tech, la maison d’édition Indigène a amorcé une réponse originale dans un marché de plus en plus concurrentiel et à la taille qui se réduit en raison de la désaffection que suscite la lecture en France. Avec sa collection « Ceux qui marchent contre le vent », Indigène propose des livres de 30 pages

Tableau 2 Stratégie de ciblage de consommateurs et stratégie de ciblage de non-consommateurs Situation dans laquelle la satisfaction client devient paradoxale Segment visé Critères de performances

Stratégie de ciblage des non-consommateurs

Les consommateurs actuels

Les attentes et les besoins précis et pointus des consommateurs actuels De plus en plus sophistiquée : escalade d’amélioraOffre tion du produit entraînée par les critères de performance Coûts de production Importants Concurrence Forte, entraînant une pression sur les prix Profits Tendance à la baisse

Les non-consommateurs relatifs tenus à l’écart du marché en raison de barrières objectives Nouveaux critères de performance qui annihilent les barrières objectives à la consommation Simple : nouveaux sentiers d’amélioration entraînés par les nouveaux critères de performance Faibles Inexistante : avantage du pionnier Tendance à la hausse

Décisions Marketing N°63 Juillet-Septembre 2011 – 77

Don't stay so close to your customer à 3 euros seulement, dépassant à la fois la barrière de temps et de prix qui tenaient certains jeunes et actifs hors du marché du livre. Les managers doivent donc être conscients que leurs clients traditionnels peuvent être, dans certains cas, source d’échec si leur satisfaction se fait au détriment du profit qu’ils pourraient retrouver avec d’autres clients potentiels. Après avoir isolé ces non-consommateurs relatifs, le praticien doit identifier la ou les barrières qui ont fait que ces derniers ne sont jamais devenus consommateurs de ses produits. Tandis que la stratégie de ciblage des consommateurs consiste à répondre aux besoins exprimés par les clients, ce qui traduit une orientation marché réactive, la stratégie de ciblage des non-consommateurs fait référence à une orientation proactive en s’intéressant aux besoins latents, c’est-àdire des besoins dont ces non-consommateurs relatifs n’ont pas conscience (12). Les conditions sous lesquelles la stratégie de ciblage des non-consommateurs est efficace sont de deux ordres  : des conditions d’efficacité liées à l’entreprise et des conditions d’efficacité liées au marché. Au niveau de l’entreprise, la stratégie de ciblage de nonconsommateurs sera efficace pour des organisations flexibles et ambidextres (c’est-à-dire capable de renforcer leurs compétences actuelles tout en développant des nouvelles), dotées d’une fonction marketing forte et tournées vers l’apprentissage (3, 11). En effet, les entreprises qui lancent de nouveaux produits à l’adresse des non-consommateurs, développent en leur sein des compétences nouvelles mais instillent aussi une nouvelle culture de relation client. Ainsi, l’entreprise se retrouve dans une situation où elle doit gérer, à l’instar des entreprises ambidextres, des tensions entre les anciennes et les nouvelles compétences et l’ancienne et la nouvelle culture. S’agissant des conditions liées au marché, la stratégie de ciblage de non-consommateurs sera efficace lorsque sont combinées, au niveau des clients actuels, une demande exigeante et difficile à satisfaire, une concurrence acharnée menant vers une guerre des prix et une technologie de plus en plus difficile et coûteuse à produire (6). En visant des non-consommateurs, l’entreprise peut donc atténuer la concurrence et échapper à la dépendance des sentiers dans le développement des nouveaux produits imposée par ses clients actuels. Néanmoins, la stratégie visant à se détourner des clients traditionnels au profit des non-consommateurs est à double tranchant. Se détourner de ses clients traditionnels peut entraîner leur désaffection générale de l’ensemble des produits de l’entreprise. De plus, une réaction rapide de la concurrence peut empêcher l’entreprise de profiter de son avantage de pionnier qui peut alors bénéficier aux suiveurs.

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