43. The existential centrifugal situation between endo-hypostatic narcissism [Rm 1, 23] and intra-creationnal orientation [Rm 1, 25]) (in French)

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Descripción

Prof. Hdr. Archim. Grigorios D. Papathomas





Homosexualité, nature contre-nature ?

(Une situation existentiale centrifuge entre
narcissisme endo-hypostatique [Rm 1, 23] et orientation intra-créationnelle
[Rm 1, 25])[1]


Ne s'agissant pas de l'homophobie et du sexisme, la question de
l'homosexualité touche non seulement le modus vivendi humain, mais surtout
le modus existendi des êtres humains. L'étude de la question, réalisée
amplement aujourd'hui dans notre société qui n'apporte pas de nouveauté sur
le fond, nous donne l'impression que nous restons seulement au niveau du
modus vivendi et nous nous montrons incapables d'aller plus loin et plus
profond pour étudier cette question à son niveau central, celui du modus
existendi. La qualité du sexe, masculin ou féminin selon le cas, est
principalement liée à notre existence hypostatique. « Dieu créa l'homme à
son image, […] mâle et femelle il les créa » (Gn 1, 27). La réalité
créative homme-mâle et homme-femelle touche donc une dimension ontologique
plutôt qu'une dimension biologique de l'homme. Ce qui montre bien que
l'homosexualité n'est pas une question morale ou, pire encore, de droit
naturel et juridique, mais une question proprement existentielle ou – pour
être encore plus précis – existentiale et ontologique.

Le sens théologique de la différence sexuelle (hétérosexualité)

Tout d'abord, la question étudiée constitue vraiment une question
délicate qui affecte finalement l'identité des sexes, les relations entre
les hommes et les femmes, et, par extension, la relation et la koinônia
entre l'homme et Dieu. Il faut donc voir brièvement le sens théologique de
la différence sexuelle avant d'examiner la question homosexuelle. D'emblée,
la création est fondée sur une distinction, la distinction du masculin et
du féminin, sur l'altérité des sexes. « Dieu créa l'homme à son image, mâle
et femelle il les créa ». La combinaison du singulier et du pluriel
signifie l'unité du genre humain et la distinction fondamentale que Dieu
opère en elle : c'est une unité-diversité. La différence sexuelle est une
différence à l'intérieur même de la nature humaine et non l'effet de deux
actes créateurs distincts et successifs : il n'y a pas de nature masculine
ou de nature féminine spécifiques. Il faut signaler ici que la distinction
sexuelle n'est pas entrée dans le monde comme une conséquence de la chute.
Cette antinomie ontologique est structurelle (cf. saint Maxime le
Confesseur, Ambigua 41, 1305AB). De même, selon saint Grégoire de Nysse
(Hom. opif. XVII, col. 189D), la finalité de la sexuation est, au-delà de
la procréation, l'amour eschatologique, né de la réconciliation ontologique
et de la victoire sur la mort. Dieu a donné à l'humanité cette forme-là de
multiplication, parce que l'être humain est appelé à découvrir
existentiellement et dans la liberté ontologique l'essence de la relation
interpersonnelle. Et il la découvre dans la polarité, quelquefois dans la
tension ou le conflit, hétérosexuels. L'enjeu de l'éros hétérosexuel
demeure donc la victoire résurrectionnelle sur la mort.

En tout cas, il n'y a pas de trace dans la parole biblique de Dieu de
deux créations successives masculine puis féminine[2] : la femme n'est pas
façonnée séparément mais distinguée, dégagée de la nature humaine une,
faisant apparaître alors le masculin comme tel. Et saint Basile de Césarée,
comme d'ailleurs saint Grégoire de Nysse, insiste sur l'unité de l'image
dans le couple sexué (Sur l'origine de l'homme, I, 18 ; SC, 160). Par
conséquent, la rencontre du masculin et du féminin et, dès qu'ils portent
un nom pour signifier leur statut hétéro-hypostatique, la rencontre d'un
homme et d'une femme, est bénie (Gn 1, 28). Ceci est le fondement
ontologique du couple (cf. Mt 19, 4 ou Mc 10, 6), simultanément distinction
dans l'ordre de la nature (le masculin et le féminin) et distinction dans
l'ordre des personnes. La distinction du masculin et du féminin signifie
l'existence de personnes différentes et pas seulement des êtres différents
sur le plan de la nature.

Dans la même parole, l'idée de la création à l'image de Dieu et celle
de la distinction sexuelle sont liées. Cela ne veut pas dire que Dieu lui-
même soit sexué, comme dans les religions cosmiques. Dieu est asexué. Mais
cela veut dire que l'altérité hypostatique est inscrite dans la nature
humaine en tant qu'elle est à l'image de Dieu. Il pouvait faire l'homme
asexué comme lui-même ou comme les anges. Mais Il a choisi de placer
l'hétérosexualité dès l'origine dans le sceau de l'image. L'image a la
diversité comme signe. L'image est antinomique. La nature humaine est
masculine-féminine. De même, Dieu asexué assume chastement et virginalement
la sexualité par l'Incarnation. Dans son absolue virginité, le Verbe
incarné, Dieu asexué, n'a pas été homme asexué. La virginité, absence
d'exercice de la sexualité organique et liberté à l'égard de la convoitise,
promet la sexualité en signe de l'altérité et pas en signe d'homocentrisme.
Elle désigne le mode de vie asexuel qui est le mode de vie eschatologique
du Royaume à venir. En celui ou celle qui vit dans la virginité, Dieu
transfigure la sexualité pour que la personne ou hypostase créée
s'accomplisse dans la différence absolue des personnes en communion, au-
delà de la différence relative des sexes. Ce qui appartient au Royaume, ce
n'est pas l'homosexualité, mais l'asexualité des personnes ayant dépassé et
transcendé la nature. Dans l'Église déjà, anticipant par le baptême le
monde qui arrive, « il n'y a plus ni homme ni femme » (cf. Gal 3, 28). Et
dans le Royaume, dit le Christ lui-même, « il n'y a plus ni mari ni femme ;
on est comme des anges » (Mt 22, 30). Cette comparaison ne signifie pas un
état incorporel mais un état asexué – au-delà et de l'hétérosexualité et de
l'homosexualité. La virginité, non pas comme état asexué mais comme
transfiguration de la sexualité, en est le signe prophétique (cf. Dan 12,
3 ; Mt 13, 43 ; 1 Cor 7, 7). Les deux voies de sanctification, le mariage
et le monachisme, sont deux voies, non de mutilation, mais de
transfiguration par la chasteté de la sexualité donnée par Dieu à la
première humanité.

Au moment de la création de la femme (Gn 2, 21-23), l'homme reçoit de
Dieu l'altérité sexuelle comme un don et comme signe de l'altérité
hypostatique, du non-moi. Il reçoit à la fois l'identité de nature et la
diversité dans la nature. Et l'altérité est un paramètre de sa joie (Gn 2,
23). La parole humaine, la première parole d'Adam, apparaît à la suite de
la différenciation sexuelle (Gn 2, 23). La parole suppose l'altérité.
L'hétérosexualité est joie de la différence dans l'unité ; elle est
pressentiment de l'altérité hypostatique. Le but de la différence est la
communion dans la diversité, un mode d'union qui ne soit pas fusionnel :
non pas l'union homosexuelle du même et du même ; mais l'union de l'un et
de l'autre. L'homme et la femme sont à la fois mêmes et autres : à la fois
mêmes, par l'image (Gn 1, 27), et autres par nature. La différence sexuelle
est de l'ordre de la nature, mais elle introduit la différence qui est de
l'ordre hypostatique. L'altérité de nature souligne l'altérité
hypostatique. La distinction hypostatique dans l'unité de nature fonde
l'amour. Il n'y a d'amour véritable que dans la différence au sein d'une
unité. D'ailleurs, où aurait été la manifestation de l'amour sans le risque
de l'altérité ? Et un Dieu narcissique n'est pas Celui qui s'est révélé par
le Logos incarné et par le Saint Esprit. Parce qu'Il est amour (1 Jn 4, 8
et 16), Dieu ne s'autosuffit pas. Or l'altérité est vécue réciproquement
comme don total de soi, sacrifice et soumission amoureuse (cf. Éph 5, 21,
24 et 33) à l'autre sexe.

L'homme n'est pas femme et la femme n'est pas homme, quoique que leur
nature soit une. « Etre homme, c'est être acculé à ne pas être femme, et
réciproquement »[3]. Il y a ainsi une complémentarité des sexes. Mais dans
l'accomplissement eschatologique de l'être humain, appelé déification, le
masculin et le féminin sont transcendés, non plus comme signes de la
différence hypostatique, mais comme fonctions naturelles. C'est ainsi que
la distinction sexuelle n'aura plus d'utilité, non seulement parce que la
procréation et la reproduction de l'espèce n'auront plus lieu d'être, mais
parce que cette distinction aura fini de servir à la révélation de la
différence hypostatique, maintenant resplendissante. La différence sexuelle
est l'image nécessaire mais passagère de la distinction des hypostases
créées. Et dans les Eschata, la différence des sexes sera dépassée, non pas
dans une homosexualité, mais dans une asexualité, une union purement
hypostatique, celle des hypostases créées, à la ressemblance (Gn 1, 26) de
la communion des personnes divines. En ce sens, le mariage de l'homme et de
la femme est inscrit dans le Royaume à venir, en tant que communion de(s)
personnes.

Le sens théologique de l'endo-hypostatisme sexuel (homosexualité)

La question traitée dépend fatalement de deux points de départ :
l'approche rationnelle (cosmique/intra-créationnelle) et l'approche à
partir de la Création et de la Révélation. Et là, il ne faut pas avoir des
illusions.

D'un point de vue biblique, il apparaît assez clairement que
l'homosexualité n'est pas cohérente avec ce que Dieu a révélé de soi et de
l'être humain, dans son être et dans son projet. En effet, l'estime du
couple hétérosexuel et le refus clair de l'homosexualité sont faciles à
démontrer. De plus, la Bible ne distingue pas entre orientation
homosexuelle et passage à l'acte. Il faut signaler aussi qu'elle ne connaît
pas le terme technique d'homosexualité qui est une construction du 19e
siècle ; néanmoins, elle veut bien dire ce que cela veut dire. Il y existe
aussi des avertissements bibliques et canoniques clairs concernant les
pratiques homosexuelles (voir p. ex. Gn 19, 1-29 ; Lev 18, 22 ; 20-23 ; Rm
1, 18-32 ; 1 Cor 6, 9-11, ainsi que les Canons 7 de Basile de Césarée et 4
de Grégoire de Nysse).

En effet, l'homosexualité demeure une disposition ou exercice contre-
nature de la sexualité, un mépris de la différence sexuelle et ainsi une
autosuffisance stérile au niveau ontologique de l'amour. Avant d'être une
question morale, l'homosexualité est une question théologique en tant
qu'ontologique, liée à la méconnaissance de Dieu, identifiée à l'idolâtrie
(Rm 1, 25). L'idolâtrie est définie comme la mentalité et, par extension,
la croyance qui ne connaît pas d'abord le Dieu créateur et qui confond par
la suite Dieu et la créature, et qui reste pour cette raison enfermée dans
le monde du créé, qui se suffit à soi-même sans Dieu. L'homosexualité est
comparable ainsi au repli sur soi de l'humanité sans Dieu (1 Cor 6, 9-10),
tendance et orientation purement intra-créationnelles. D'où la tendance
homosexuelle de rester « entre soi » – entre hommes et entre femmes – et la
tentation athée de rester entre êtres humains, affranchis de la différence
du Tout-autre (Rm 1, 26-31). C'est précisément et finalement le mépris
d'autrui, le refus total de l'altérité hypostatique. Ce mépris de
l'altérité place l'être humain dans une impasse : elle est un obstacle à la
ressemblance de Dieu, parce que c'est dans l'expérience quelquefois
crucifiante de la différence que l'être humain s'accomplit comme hypostase.
L'inversion opérée empêche l'être humain de se réaliser comme hypostase
créée à l'image de l'hypostase incréée, parce qu'elle l'asservit à
l'idolâtrie de soi.

L'homosexualité demeure anticréationnelle dans sa structure,
puisqu'elle estomperait les distinctions hypostatiques de nature que Dieu a
mises dans le chaos originel. Elle n'est pas seulement contre-nature ; elle
manifeste aussi une double perversion ontologique : de la relation entre
homme et femme, et de la relation avec Dieu. St Maxime le Confesseur écrit
que « le premier homme, pour avoir fait mauvais usage de ses facultés
naturelles qui devaient l'amener à sa finalité, se trouva ignorer de son
Créateur. L'ignorance de Dieu amène à diviniser la création… Il était même
devenu pire que les animaux, car il avait échangé ce qu'il y avait en lui
de naturel pour ce qui est contre-nature » (À Thalassios, 253). Cette
parole, qui est un commentaire de celle de l'Apôtre Paul, montre que
l'idolâtrie entraîne l'ignorance de Dieu et que celle-ci à son tour
entraîne des symptômes pathologiques dans l'ordre de l'existence et du
comportement, en particulier la relation contre-nature qu'est
l'homosexualité. Les passions en général se ramènent à l'amour idolâtre de
soi, que ce soit la colère, l'amour de l'argent, l'injustice sociale, que
ce soit une hétérosexualité même, vécue comme possession d'autrui et
objectivation de sa personne et de son corps. L'amour de soi (philautie) a
été présenté par les Pères anciens de l'Église, st Maxime notamment, comme
la racine de tous les maux. Il est repliement sur soi, autosuffisance,
négation de l'antinomie relationnelle (trinitaire) des personnes. La
philautie conduit à la négation de l'humanité et de la divinité, et de
l'ensemble de la nature du créé réduite au statut de proie. Or, ce qui est
vrai de toutes les passions, l'est particulièrement de l'homosexualité,
parce qu'elle est la forme éloquente et emblématique de l'amour de soi
(philautie), étant l'amour du même pour le même-même, parce qu'elle vit
dans l'idolâtrie narcissique de soi-même. « L'homosexualité est liée en
profondeur à un phénomène narcissique, à une intense fixation narcissique
du moi »[4]. Elle est une "auto-adoration", une hypertrophie de
l'individualisme, un homoérotisme et, en ce sens, elle se situe aux
antipodes de la nature humaine créée à l'image trinitaire de Dieu.

Ici encore, l'homosexuel est un narcisse amoureux de soi. C'est
l'homme qui, se trouvant dans l'impasse existential, se retourne vers sa
nature endo-hypostatique. Là, ce n'est pas une question de jugement mais de
constatation. Lorsque l'homme n'a pas une vision existentiale
eschatologique de la vie et de la communion personnelle, il retourne vers
le passé (historicisme de la création) ou vers son corps (narcissisme de
son être) pour s'épanouir. Ce n'est pas alors la communion personnelle qui
l'inspire, mais le retour vers son corps, son soi-même, et vers le corps de
l'"homo-autre" qui demeure finalement son soi-même autrement, non pas pour
fonder une communion créative, mais dans le sens d'un profit individualiste
aveugle. Le défaut de l'homosexualité repose sur le fait qu'elle reste
enfermée dans le créé ; elle s'inspire du créé en situation de chute et
ainsi, par définition, demeure dans l'impasse. C'est la nécessité
individuelle et autonomisante qui dicte son apparence et sa préférence, et
pas la liberté d'un rapport personnel. Lorsqu'il s'agit de passages à
l'acte qui ne sont là que pour un "test" juste pour satisfaire une
curiosité, qu'on peut le qualifier d'homosexualité épidermique, qui ne
relève pas de l'homosexualité structurelle, sans pour autant vouloir
justifier l'une pour exclure l'autre. Mais on comprend combien dans ce
contexte un discours clair sur les repères psychoaffectifs peut aider un
jeune à se construire et à passer au stade d'une sexualité objectale. De
même, l'endo-hypostatisme homosexuel crée par définition une impasse
existentielle dont les répercussions sont déjà évoquées par l'apôtre Paul
avec rigorisme et un réalisme honnête (Rm 1, 29-32). De plus, et il faut le
dire aussi honnêtement, à cause justement de cette impasse, la durée de
l'union homosexuelle est plus courte que pour les hétérosexuels. Mais la
réalité de cette "stabilité" [homosexuelle] est à observer de près. Bien
souvent elle autorise des écarts dans l'activité sexuelle tout en
privilégiant un partenaire, fait qui détruit toute forme d'égalité et de
participation existentielles à un événement déclaré d'amour.

Une question se pose alors : Faut-il seulement parler de personnes
homosexuelles au risque d'engendrer un parallélisme par le seul effet de
rime avec hétérosexuel ? Ne vaudrait-il pas mieux parler de personnes
homophiles ou gais et lesbiennes, et réserver le terme de sexualité pour
l'étape de maturation psychique qui autorise « le commerce objectal donc
sexuel, avec un autre, égal en puissance, différent dans sa spécificité
génitale et complémentaire dans ses fonctions » pour reprendre une
expression de Jean Bergeret[5]. Néanmoins, ce débat et ce combat se joue
également au niveau théologique et ecclésial. Même si, de nos jours, les
catégories pauliniennes nature, contre-nature sont des termes irrecevables
comme tels par certains, chez l'apôtre Paul, le contexte de Rm 1, 18-32
laisse entendre que cette nature est proche du concept de créature et que
l'argumentaire se situe dans un registre de la foi plus que dans le
registre du droit naturel. Je ne crois pas qu'il faille caractériser un
homosexuel, ou quelqu'un qui se déclare tel dans un cadre de vie
chrétienne, par ses seuls actes homosexuels. Et je ne considère pas non
plus comme une vue spirituelle de réduire leur homosexualité au champ des
actes homosexuels qu'ils sont susceptibles de poser ou non. Il y a là une
tragédie beaucoup plus importante du point de vue théologique et spirituel.
Et en n'y répondant que par des fermetures, nous ne faisons que traduire
notre incapacité à vivre aujourd'hui un témoignage réellement cohérent et
plus subversif que la subversion face à laquelle nous nous trouvons.

Actuellement, on a au fond un trouble sur la différence de sexe. Il y
a un trouble de la masculinité, un manque de masculinité de nos jours plus
que jamais, ce qui fait monter les divorces en croissance, ainsi que la
monoparentalité et l'homosexualité féminines. Il y a eu de très beaux
livres, depuis près de 150 ans, sur la crise de la femme ; mais les femmes
ont passé ce cap-là. Maintenant, ce sont les hommes qui ont un problème
très fort quant à leur identité. La femme demeure toujours incompréhensible
pour l'homme, comme le montre une longue culture misogyne. D'où la
tentation du viol, de l'esclavage, de la torture, de toutes formes de
domination par lesquelles il cherchera dès la chute à réduire l'altérité.
D'où également la tentation homosexuelle de nier l'altérité, ou son
impuissance à l'assumer. Ce problème identitaire pourrait avoir comme
conséquence immédiate aujourd'hui qu'on va vers une réduction de la
parentalité en faveur de la maternité. C'est effectivement généralisé ;
nous avons une image tellement forte de la maternité que les hommes ne
seront bientôt plus que des Joseph un peu falots (sans personnalité). Il
n'est donc pas indifférent qu'à une époque comme la nôtre, où la société
est ravagée par le divorce, l'homosexualité soit endémique et publiquement
prônée. Le rapport entre divorce et homosexualité doit faire l'objet d'une
vraie attention non seulement sur le plan psychologique et social mais
aussi sur le plan théologique.

Notre première démarche consiste à maîtriser notre discours à propos
des personnes homosexuelles tant du point de vue de notre compréhension
d'une anthropologie fondamentale inspirée des Écritures mais aussi adossée
aux sciences humaines les plus assurées (sociologie, psychologie), que de
la façon dont seront incluses ces personnes dans notre travail. Je pense,
en effet, que pour l'intuition générale, l'ensemble des Églises chrétiennes
partage le même avis sur la dignité de toute personne mais aussi sur la non-
pertinence ontologique du mariage des personnes homosexuelles. Le plus
difficile, est de tenir un discours qui encourage ceux qui sont à l'aise
dans l'hétérosexualité ou qui peuvent progresser sans pour autant humilier
et encore moins condamner ceux pour qui l'orientation homosexuelle se
trouve être un fait, d'une façon ou d'une autre ; un discours qui ne
surplombe pas de manière paternaliste ces personnes qui sont des frères et
sœurs en Jésus-Christ et qui à ce titre bénéficient tout autant que nous de
l'Esprit Saint pour discerner avec nous les chemins de vie qui s'offrent à
eux. Cette délicatesse pastorale ne devra pourtant rien céder au fait que
l'homosexualité reste un désordre de la vie psychoaffective.

L'attitude thérapeutique vis-à-vis de l'homosexualité

Notre attitude vis-à-vis de l'homosexualité ne peut être qu'une
attitude thérapeutique, une sollicitude pastorale (ontologique), car la
passion humaine est une disposition par définition contre-nature qui
devient finalement une seconde nature. La condamnation de notre part,
proscrite par le Christ lui-même (« ne condamnez pas » ; Mt 7, 1 ; Lc 6, 37
[cf. Jn 8, 10-11]), serait une identification de la personne avec la
seconde nature du péché, soit pour l'excuser soit pour la rejeter. Un tel
jugement incohérent réduit la personne à la passion et décourage la
conversion et la guérison (thérapie). Mais la passion, soulignent les Pères
de l'Église, est l'inversion d'un désir fondamental et légitime. La
conversion réoriente la passion vers sa finalité naturelle, généralement
l'union à Dieu trinitaire.

L'attitude biblique et chrétienne face à l'hétérosexualité comme face
à l'homosexualité est d'abord une attitude théologique – avant d'être une
attitude pastorale ou autre ; mais elle n'est surtout pas morale et
juridique. Le Christ n'est pas venu instaurer une morale. Il est venu
proposer à l'être humain la réconciliation et le salut ontologiques. Il y a
une théologie morale dans le christianisme, au sens d'une théologie morale
détachable de l'expérience du monde de Dieu qui concerne toute personne
humaine. Notre défit est de trouver une attitude évangélique devant ce
fait, une attitude inspirée par la Parole de Dieu et la tradition
ecclésiale plutôt que par des réactions épidermiques ou par une morale
sociale. Et la plénitude de cette tradition diachronique comporte une
théologie cohérente de sexualité. C'est pour cette raison qu'à l'égard de
tout péché, l'attitude de la Tradition ecclésiale est plus thérapeutique
que juridique ou morale. Condamner donc ou justifier l'homosexualité est
vraiment insuffisant ; il faut aller plus loin… Tout simplement, parce que
cette question existentiale dépasse un simple problème de morale sociale…
Pas de moralisme donc sur la question de l'homosexualité, si on veut
vraiment orienter les personnes concernées de façon christique et
ontologique. Enfin, il faut à tout prix éviter des discriminations entre
les personnes physiques à raison en particulier de leur orientation
sexuelle.

Ici encore, l'homosexuel est au milieu de nous comme un signe, le
signe douloureux d'une humanité livrée à l'idolâtrie de soi. Le monde dans
lequel nous vivons n'est pas le monde transfiguré, même s'il y tend. "Si
nous voyons notre frère ou notre sœur ou notre enfant tomber dans la
satisfaction de telle ou telle passion, faisons pénitence comme si nous
étions nous-mêmes tombés dans cette faiblesse", disent les apophtegmes
patristiques. Ceci doit libérer le chrétien conscient de toute condamnation
à l'égard des invertis. Et il ne faut pas oublier qu'il y a bien des
homosexuels convertis qui seront dans le Royaume à venir avant bien des
hétérosexuels qui se sont crus justes… Il est vain de stigmatiser
l'homosexualité ou une autre maladie de l'humanité, si nous n'extirpons pas
de nos cœurs par le repentir la convoitise et toutes les perversions de nos
êtres.

Par ailleurs, la promotion de l'homosexualité, actuellement trop à la
mode, est un archaïsme, un retour à un des modes de vie païens. On réclame
le droit de régresser à une vie pré-chrétienne et antique. L'objection
d'une homosexualité naturelle est un contresens du point de vue biblique.
Le Christ s'est incarné pour rendre à l'humanité la possibilité d'une vie
transfigurée et transcendante, cohérente avec l'image trinitaire, avec la
volonté divine et avec la création initiale ainsi qu'avec la re-création.
De plus, d'une prétendue homosexualité "génétique" on n'a d'ailleurs pas de
trace biologique. « Jusqu'à ce jour, on n'a pas trouvé le gène de
l'homosexualité »[6], de même que « […] mon expérience thérapeutique
m'autorise d'affirmer que l'homosexualité a toujours une origine
psychologique… et non génétique »[7]. La demande actuelle dans la société
d'une législation de l'homosexualité est certes un défi d'actualité, mais,
d'un point de vue ontologique, est une utopie parfaite. Cette utopie
parfaite est encore plus étendue et plus profonde lorsque certaines Églises
veulent l'adopter institutionnellement avec des dirigeants caractérisés
comme tels ; elles montrent ainsi qu'elles n'ont finalement rien compris de
l'événement-Christ et de vivre ecclésialement cet événement et, à plus
forte raison, de conduire les peuples ontologiquement vers Dieu le Père. Et
comment ces Églises n'arrivent pas à voir que, lorsque le Christ s'incarna
pour réconcilier l'incréé (divinité) et le créé (humanité) à son image, le
premier signe qu'Il donna fut celui de Cana en Galilée, quand Il se rendit
présent au sein du couple, pour réconcilier Adam et Eve (Jn 2, 1) ? Le
Christ qui unit hypostatiquement Dieu et l'Homme, est également le Chef de
l'homme et de la femme dans le mariage, l'hypostase du couple. D'où la
bénédiction du couple dans le cadre du Mystère du mariage unique, ce
« Mystère qui est Grand, en Christ et en Église » (Éph 5, 32).

Dans le même ordre des choses, on doit souligner le fait que
l'homosexualité est à mettre au pluriel, car il y a bien des motifs et des
raisons à l'homosexualité et pour une part tout n'est pas connu. Certes, on
a connu pendant des siècles une homosexualité de type référentiel ou
initiatique : le modèle d'homosexualité gréco-romaine, homosexualité
épidermique, homosexualité militaire, homosexualité de substitution,
homosexualité d'initiation qui passait par le refus de la sociabilité (ce
sont les « fêtes noires » décrites par Jean-Pierre Vernon, fêtes de ceux
qui refusent la sociabilité, la procréation, la contribution à la cité, et
s'inventent un autre monde avec un passage initiatique des vieux aux
jeunes). Dans ce contexte, des personnes qui disent avoir des pratiques
homosexuelles sont des personnes qui n'ont pas pu dépasser le stade
homoérotique-narcissique pour des raisons très diverses. En tout cas, ce
qui est sociologiquement fort intéressant aujourd'hui, c'est la manière
dont les homosexuels veulent rentrer dans l'ordre (mariage, adoption
d'enfants, etc.) ; il s'agit finalement d'un désir qui rejoint toute
démarche théologique thérapeutique.

Or présenter l'homosexualité, ainsi que l'on fait dans le monde
contemporain, comme un mode de vie parmi d'autres ou, pire encore, comme
une voie d'épanouissement, est une imposture. Comment l'être humain peut-il
s'épanouir autrement que selon l'image trinitaire dont le sceau est en
lui ? Et la prétendue "libération sexuelle", loin d'être un progrès, est
une régression caractérisée. Il est ici important d'affirmer historiquement
qu'on n'est pas dans un progrès : Toute l'Antiquité égypto-gréco-romaine
est caractérisée par l'homosexualité structurelle, alors que, sous
l'influence du christianisme, ces mêmes sociétés par la suite ou plus tard
sont caractérisées par l'hétérosexualité. La demande forte et même
institutionnelle de l'homosexualité qui envahit de nos jours, non seulement
notre société mais aussi quelques Églises, montre bien le niveau de la
régression et de la sécularisation et surtout de la déchristianisation. Le
christianisme, en ce sens-là, et l'amour chrétien, ont cassé une conception
aristocratique de l'homosexualité et y ont introduit une sorte
d'universalisme : ni homme ni femme. Il s'agit de l'hétérosexualité
symétrique qui constitue une des caractéristiques exclusives du couple, de
la vie familiale et surtout de l'amour transcendant.

Notre société est invitée aujourd'hui à affronter une question à
double face : la question du mariage des personnes homosexuelles et de
celle qui lui est corrélative, l'adoption des enfants par des personnes
vivant une union homosexuelle. En effet, le débat et le combat que nous
menons ne se joue pas seulement au plan législatif mais aussi au niveau
social tant pour éclairer les relations qu'entretiennent nos concitoyens
entre eux que pour soutenir l'éducation des enfants et des jeunes. De même,
le problème qui se pose à la société et surtout au christianisme est
double : il n'y aurait pas de problème homosexuel s'il n'y avait pas de
revendication d'un mariage homosexuel. Et il n'y aurait pas de question du
mariage homosexuel s'il n'y avait pas la question de l'homoparentalité.

Il faut signaler ici qu'il y a une règle du deux qui n'est pas que
celle du couple hétérosexuel dans le corpus néotestamentaire, dans la
réalité de l'Église primitive et dans la vie sacramentelle. Notre liturgie
du mariage ne peut évidemment s'appliquer – comme sans doute celles de
beaucoup d'Églises – qu'à un homme et une femme pour des raisons clairement
bibliques auxquelles elle fait référence et elle s'assimile. Néanmoins, il
y a un problème dans la théologie du mariage et le cérémonial du mariage
chrétien occidental : reposant beaucoup sur le droit romain et se fondant
en partie sur le consentement des époux, il prend une dimension
contractuelle qui a tendance à nuire à la dimension purement eschatologique
du mariage. Or les Églises sont faibles par rapport à cette dimension
contractuelle, car si c'est l'échange des consentements qui fonde en partie
le mariage, c'est que le mariage est une élection d'abord humaine. De même,
le véritable problème est évidemment la confusion que le groupe
d'homosexuels subversif veut apporter entre patrimoine et filiation : le
fait de vivre ensemble, de transmettre sa maison, et la filiation, c'est-à-
dire tout ce qui touche à la transmission de génération en génération.
Évidemment, il y a là un vrai problème de reconduction masculin-féminin. Je
ne crois pas que le masculin et le féminin soient toute l'altérité ;
néanmoins il est évident que, dans cette vision de l'homoparentalité, se
pose le problème suivant : que font-ils du masculin et du féminin ? Et il
faut en tenir compte, car cela ne va pas cesser. Une grande inégalité
existe entre les homosexuels masculins et les lesbiennes, ces dernières
étant en situation d'homoparentalité depuis très longtemps. C'est un fait
sociologique : par la procréation médicalement assistée et la réception de
spermes anonymes, les lesbiennes ont accès à la parentalité.

Par ailleurs, la confrontation à l'hétérosexualité est un droit pour
l'enfant. Un enfant se structure par identification et distinction. Ce
n'est pas pareil lorsqu'il s'agit d'un divorce, d'un décès que d'organiser
d'avance cette privation. Notre société est pleine de contradictions. D'une
part, elle met en lumière la souffrance réelle des jeunes et des adultes
qui ont accouchés sous X au point de vouloir faire changer la loi du secret
absolu sur les origines. D'autre part, elle serait prête à multiplier ces
situations de filiation « sans père ou sans mère » par l'adoption chez les
personnes homosexuelles. Comment peut-on imaginer un seul instant que les
enfants adoptés par des partenaires de même sexe ne vont pas se poser les
mêmes questions ? Et nous ne parlons pas de ceux qui seront conçus par des
méthodes de procréation médicalement assistée avec dons de gamètes.

Devant le drame d'une homosexualité institutionnalisée croissante,
comment se fait-il que ce soit principalement des personnes élevées dans un
contexte hétérosexuel qui soient prêtes à autoriser que des enfants ne le
soient pas ? C'est un mystère. Les opinions exprimées publiquement très
suspectes, qui s'intéressent surtout à l'équilibre comportemental et non
pas psychique, restent dans une statistique floue, car elles concernent des
populations trop peu nombreuses… Enfin, on se voit mal confier un enfant à
des personnes qui se déhanchent plus ou moins lascivement sur les chars de
la fierté homosexuelle. Ce que l'on fait en public, ne le fait-on pas a
fortiori en privé ? Là, on trouve une forme d'horizontalité dans
l'hédonisme, la consommation du désir et la jouissance. Vouloir faire vivre
tout cela à un enfant, c'est bien le signe qu'on ne l'aime pas vraiment.
Ici plus que jamais le principe de précaution vaut. Qui prendra le risque,
a priori, même de manière seulement probable, d'engendrer la souffrance
psychique et par la suite existentiale d'un enfant ?…

* * * * *

Certains disent que, en dépit de ce que les Églises soutiennent
aujourd'hui contre l'homosexualité, l'Évangile ne comporte pas de
condamnation de l'homosexualité. Mais le Christ ne condamne pas : Il
appelle au changement de vie (conversion-métanoia). La question
homosexuelle donc n'est pas une question de morale pour entrer dans la
logique cosmique de la condamner. C'est une question de théologie et de
liberté, c'est-à-dire de cohérence avec la nature profonde de l'être humain
à l'image de Dieu. L'impossibilité dans laquelle se trouve l'être humain à
vivre selon cette nature n'est pas surmontée par l'affirmation ou
l'infirmation de la loi morale. En tout cas, l'Église doit se méfier de la
morale. « La morale corrompt l'Église, elle change ses critères en critères
de ce monde, elle change le "grand mystère de la piété" en nécessité
rationnelle sociale »[8]. Or la question homosexuelle est une question
d'abord théologique et pastorale (ontologique) avant d'être une question
sociale ou psychologique, au sens où elle s'interprète à partir de la
relation de l'être humain avec Dieu. L'humanité peut tout espérer de la
réconciliation des sexes et du symbolisme conjugal, c'est-à-dire d'une
véritable profondeur théologique et ontologique du Mystère du mariage, de
pair et à côté du Mystère monastique relationnel et communionnel, tous les
deux Mystères existant comme icône et anticipation des réalités futures…


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[1] Texte publié dans Usk ja Elu, t. 4 (2/2007), p. 57-74 (en estonien).
[2] Pour le développement qui suit de certains aspects, nous nous sommes
inspirés en premier lieu du fort intéressant article de Marc-Antoine Costa
de BEAUREGARD, "Théologie de la sexualité. Le sens de la distinction du
masculin et du féminin (hétérosexualité et homosexualité). Essai d'une
interprétation chrétienne de la question homosexuelle" (version française-
2001), publié en roumain à Bucarest, éd. Christiana, 2004. De même, il faut
signaler une Présentation à trois voix réalisée par Bruno FEILLET, Jean-
François COLOSIMO et Olivier ABEL, "Interventions sur l'homosexualité",
faites au Conseil d'Églises chrétiennes en France (CECEF), à Paris le 25
novembre 2004, 11 p., qui constitue également une contribution
bibliographique intéressante sur cette question épineuse.
[3] Xavier THÉVENOT, Homosexualités masculines et morale chrétienne, Paris,
éd. Le Cerf, 1998, p. 199.
[4] Bertrand VERGELY, "Le PACS, ou l'aménagement désespéré d'un monde
désespéré", in [Supplément au] SOP, n° 238, mai 1999, p. 2 et 3.
[5] Jean BERGERT, L'érotisme narcissique. Homosexualité et homoérotisme,
Paris, éd. Dunod, 1999, p. 189.
[6] Bertrand VERGELY, "Le PACS, ou l'aménagement désespéré…", op. cit., p.
1.
[7] Jean-Paul MENSIOR, Chemins d'humanisation. Essai antropologique,
Bruxelles, éd. Lumen Vitæ (coll. Trajectoires, n° 7), 1998, p. 59.
[8] Christos YANNARAS, "La Morale de la liberté", in La Loi de la liberté,
Paris, éd. Mame, 1972, p. 57.
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