« Le Pacte de Tudmir dans l’œuvre géographique d’al-Himyari : la mémoire de la conquête et de la paix », Historiografía y representaciones, III Estudios sobre las fuentes de la conquista islámica, L. A. García, E. Sánchez, L. Fernández eds., Madrid : Real Academia de la Historia, 2015, p. 405-423.

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Descripción

Historiogrfía y representaciones III Estudios sobre las fuentes de la conquista islámica

Historiografía y representaciones III Estudios sobre las fuentes de la conquista islámica Editores científicos:

Luis A. García Moreno – Esther Sánchez Medina Lidia Fernández Fonfría

ISBN 978‑84‑15069-50-8

REAL ACADEMIA

DE LA HISTORIA

Le pacte de Tudm÷r dans l’œuvre géographique d’al-©imyar÷: la mémoire de la conquête et de la paix Christine Mazzoli-Guintard Université de Nantes, CRHIA

Resumen En el diccionario del geógrafo al-©imyar÷ (m. h. 1325, Túnez?), se encuentra una de las versiones hoy conservadas del Pacto de Tudm÷r (713), y también menciones de este tratado en varias entradas de la obra. El análisis de las noticias relativas al Pacto permite seguir los modos de transmisión de los saberes; da a conocer también las opciones del autor y la memoria que conserva de la conquista de la región de Orihuela. Palabras clave: pacto de Tudm÷r, al-©imyar÷, conquista de Hispania, Orihuela. Résumé Le dictionnaire du géographe al-©imyarī (m. v. 1325, Tunis?) contient l’une des versions actuellement conservées du Pacte de Tudm÷r (713), ainsi que des allusions à ce traité dans diverses entrées de l’œuvre. L’analyse de ces notices permet de suivre les modes de transmission des savoirs, mais aussi de connaître les choix opérés par l’auteur et la mémoire qu’il conserve de la conquête de la région d’Orihuela. Mots-clés: pacte de Tudmīr, al-©imyarī, conquête de l’Hispania, Orihuela.

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Au printemps 713, le chef arabe ‘Abd al-‘Az÷z b. Mýsā signe avec le chef visigoth Théodomir un accord, selon lequel Théodomir conserve son droit de souveraineté dans une région du sud-est de la Péninsule qui comprend sept villes-territoires (madā’in), moyennant le versement d’un impôt et l’absence d’intelligence avec l’ennemi. Passé à la postérité sous le nom de Pacte de Tudm÷r, ce traité a fait l’objet d’éditions successives depuis sa première publication par Miguel Casiri en 1770, dans le second volume de son catalogue des manuscrits arabes de l’Escorial. Le vif intérêt suscité par ce texte ne s’est jamais démenti: les savants orientalistes du XIXe siècle ne manquèrent pas de lui faire une place dans leurs recherches, F. J. Simonet (1829-1897) dans son Historia de los mozárabes de España, R. Dozy (1820-1883) dans ses Recherches sur l’histoire et la littérature de l’Espagne pendant le Moyen Âge, E. Saavedra (1829-1912) dans son Estudio sobre la invasión de los árabes en España ou encore M. Gaspar y Remiro (1868-1925) dans son Historia de Murcia musulmana1. Long développement et analyse des clauses du traité chez Simonet2, simple rappel de l’inventeur du texte chez Dozy –«Casiri l’a trouvé dans Dhabbî et il l’a publié3»–, commentaires du document dans une lettre que Julián Ribera (1858-1934) adresse, le 9 octobre 1891 à Francisco Ribera (1836-1917)4, le Pacte de Tudm÷r est le passage obligé de toute étude relative à Molina López, M., “La cora de Tudm÷r según al-‘U²rī (siglo XI). Aportaciones al estudio geográfico-descriptivo del sureste peninsular”, Cuadernos de Historia del Islam 4, 1972, 7-111, en part. 58, note 54. 2 Simonet, F. J., Historia de los mozárabes de España, t. I, Bajo el gobierno de los virreyes (años 711 a 756), Madrid, 1897, réed. 1983, 52-58. 3 Dozy, R., Recherches sur l’histoire et la littérature de l’Espagne pendant le Moyen Âge, Leyden, 18602, t. I, 56-57, note 3. 4 Viguera Molins, Ma J., “Apuntes que Julián Ribera realizó del Pacto”, dans Carmona González, A. – Franco-Sánchez, F. (coord.), Tudmir, XIII Centenario del Pacto (713/94 H. ~ 2013/1434H.), Jornadas de Estudio, La formación de Tudmir: desde el Tratado de Orihuela a la fundación de Murcia (Murcia y Orihuela, 11 y 12 abril de 2013), sous presse; http://www.um.es/ 1

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la Péninsule au VIIIe siècle; seul texte conservé d’un pacte signé entre un dignitaire visigoth et un dignitaire arabe, cet unicum a suscité une abondante historiographie: depuis son invention au XVIIIe siècle jusqu’à la célébration de son XIIIe centenaire les 11 et 12 avril 2013 à Murcie et Orihuela5, le Pacte de Tudm÷r n’a jamais cessé d’être étudié, analysé et questionné, sur les voies de transmission du document6, sur les variantes entre ses quatre versions arabes7, sur ses clauses, sur le signataire du traité pour les Goths, qui a laissé son nom au pacte et à la région, Théodomir8. L’identification des villes du Pacte –sept ou plus ?9– continue

tudmir713/programa/apuntes-que-julian-ribera-realizo-del-pacto/  [consulté le 17/10/2013]. 5 Tudmir, XIII Centenario del Pacto (713/94 H. ~ 2013/1434H.), Jornadas de Estudio, La formación de Tudmir: desde el Tratado de Orihuela a la fundación de Murcia (Murcia y Orihuela, 11 y 12 abril de 2013), Carmona González, A. – Franco-Sánchez, F. (coord.), sous presse. 6 Molina López, M. – Pezzi de Vidal, E., “Ultimas aportaciones al estudio de la cora de Tudm÷r (Murcia): precisiones y rectificaciones”, Cuadernos de Historia de Islam 7, 1975-1976, 83-109. 7 Le texte est transmis par al-‘U²r÷ (m. 1085), al-¾abb÷ (m. 1203), al©imyar÷ (m. apr. 1325) et al-GarnaÐ÷ (m. 1359). La dernière version connue, celle d’al-GarnaÐ÷, fut découverte au milieu des années 1980 par Alfonso Carmona: Carmona, A., “Una cuarta versión de la capitulación de Tudm÷r”, Sharq al-Andalus 9, 1989, 11-17 et “La capitulación de Teodomiro”, site web Jarique; http: //www.jarique.com/pdf/carmona_01.pdf [consulté le 17/10/2013]. 8 Llobregat Conesa, E. A., Teodomiro de Oriola, su vida y su obra, Alicante, 1973; García Moreno, L. A., “Teudemiro de Orihuela y la invasión islámica”, dans Mundos medievales: espacios, sociedades y poder, Homenaje al profesor José Ángel García de Córtazar y Ruiz de Aguirre, Santander, 2012, vol. 1, 529-544. 9 Le chiffre sept n’a peut-être qu’une valeur symbolique et les divergences entre les versions du pacte amènent S. Gutiérrez à considérer l’existence de 8 ou 9 localités (Gutiérrez Lloret, S., La cora de Tudm÷r de la antigüedad tardía al mundo islámico. Poblamiento y cultura material, Madrid-Alicante, 1996, 227).

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à faire débat10: si l’accord est à peu près unanime à propos de cinq d’entre elles, Orihuela, Alicante, Mula, Begastri (Cehegín), Lorca, en revanche, le désaccord demeure au sujet d’Iyih, que certains assimilent à El Monastil (Elda)11, au Tolmo de Minateda (Hellín)12 ou à Algezares13, et de Balantala, identifiée à Valence14 ou à Elche15. S’il convient de laisser aux spécialistes le soin de trancher ces questions ou de formuler à leur propos de nouvelles hypothèses, je souhaiterais revenir sur la mémoire qu’al-©imyar÷ a gardée du Pacte de Tudm÷r: ce géographe tardif, mort après 1325, accorde au temps de la conquête une place importante dans son œuvre, en comparaison avec d’autres géographes antérieurs à son temps16, et il livre de la conquête une mémoire 10 Sur ce point, voir la belle mise au point de Pocklington, R., “El Pacto de Teodomiro y las siete ciudades”, dans Regnum Murciae, Génesis y configuración del Reino de Murcia, Murcia, 2008, 73-84. 11 Llobregat Conesa, E. A., “Relectura del Ravennate: dos calzadas, una mansión inexistente y otros datos de la geografía antigua del País Valenciano”, Lucentum II, 1983, 225-243. 12 Gutiérrez Lloret, S., “La identificación de Madînat Iyih y su relación con la sede episcopal Elotana. Nuevas perspectivas sobre viejos problemas”, dans Scripta in honorem Enrique A. Llobregat Conesa, Alicante, 2000, 481501. 13 Pocklington, R., “El emplazamiento de Iyi(h)”, Sharq al-Andalus 4, 1987, 175-198. 14 L’intuition de F. J. Simonet est reprise avec de nouveaux arguments philologiques par María Jesús Rubiera Mata (“Valencia en el pacto de Tudm÷r”, Sharq al-Andalus 2, 1985, 119-120) et à partir d’arguments archéologiques par Albert Vicent Ribera i Lacomba – Miquel Rosselló Mesquida, “Valencia y su entorno territorial tras el 713: Epílogo visigodo”, Zona arqueológica 15, 2011, 711, Arqueología e historia entre dos mundos, t. II, 83-99. 15 Pocklington, R., “El Pacto de Teodomiro y las siete ciudades”, op.cit., 80-81. 16 C’est autour d’al-©imyar÷ que j’ai articulé la recherche menée dans le cadre du projet P2007/HUM-0487, “La expansión del Imperio árabe-islámico en el Norte de África y Occidente (siglos VII-VIII) según las fuentes no-islámicas”:

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passée par le filtre de ses choix qui consistent, en particulier, à accorder aux Arabes un rôle fondamental dans le processus d’appropriation de la Péninsule17. Interroger al-©imyar÷ sur la manière dont il préserve le souvenir du Pacte de Tudm÷r revient à remettre le texte du pacte dans son contexte, l’ensemble de l’œuvre de ce géographe tardif, en examinant les entrées de son dictionnaire qui accordent une place au traité, en étudiant comment les mentions relatives au pacte s’articulent entre elles, en s’attachant en somme à la mémoire, véhiculée au XIVe siècle, de la conquête de la région d’Orihuela en avril 713 et de la paix alors signée entre vainqueurs et vaincus.

1. La mémoire du pacte de Tudmi-r chez al-H . imyariLa récente mise au point sur al-©imyarī, due à Vicente Carlos Navarro Oltra pour le Diccionario de autores y obras andalusíes, dispense d’une longue présentation de l’auteur18: Abý ‘Abd Allāh Mu¬ammad b. ‘Abd Allāh b. ‘Abd al-Mun‘im b. ‘Abd al-Nýr al-©imyar÷ al-Týnis÷, né au Maghreb ou dans la Péninsule ibérique au milieu du XIIIe siècle, mort après 726/1325-26 à Tunis peut-être, doit sa célébrité à un dictionnaire Mazzoli-Guintard, C., “La expansión islámica en la Península Ibérica: los datos de al-©imyar÷”, dans García Moreno, L. A. – Viguera Molins, Ma J. (éds.) – Del Nilo al Ebro, I Estudios sobre las fuentes de la conquista islámica, Alcalá de Henares, 2010, 245-266 et “La expansión islámica por la Península Ibérica según los geógrafos andalusíes de los ss. X al XII”, dans García Moreno, L. A. – Sánchez Medina, E. (éds.) – Del Nilo al Guadalquivir, II Estudios sobre las fuentes de la expansión islámica, Madrid, 2013, 135-160. 17 Sur les traditions historiographiques de la conquête, voir Viguera Molins, Ma J., “El establecimiento de los musulmanes en Spania-al-Andalus”, V Semana de Estudios Medievales, Logroño, 1995, 35-50. 18 Navarro Oltra, V. C., “[123] Al-©imyar÷, Abý ‘Abd Allāh Ibn ‘Abd al-Mun‘im”, Enciclopedia de al-Andalus, Diccionario de autores y obras andalusíes, t. I, A-IbnB, Granada, 2002, 249-255.

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géographique, le Kitāb al-rawÅ al-mi‘Ðār f÷ æabar al-aqÐār (Livre du jardin parfumé sur les notices des pays), dont les entrées sont des localités, des régions, des mers, des montagnes, etc. Au fil des copies de l’œuvre, les ajouts des scribes ont parfois légèrement modifié le texte du XIVe siècle, de telle sorte que la version du RawÅ al-mi‘Ðār que nous possédons aujourd’hui fut achevée dans la deuxième décennie du XVIe siècle. La partie du dictionnaire relative à al-Andalus fut éditée et traduite en français par Évariste Lévi-Provençal en 193819, à partir de quatre manuscrits maghrébins, édition et traduction qui servirent de base aux études sur ce texte pendant plus de quarante ans, jusqu’à la publication par I¬sān ‘Abbās d’une nouvelle édition du texte, à partir cette fois de deux manuscrits orientaux; l’édition de 1980 a notamment permis de corriger la version du Pacte de Tudm÷r transmise par al-©imyar÷ et éditée par le savant français en 193820.

1.1. À l’entrée Tudm÷r, une version du pacte Dans le dictionnaire d’al-©imyar÷, la mémoire du pacte de Tudm÷r est en premier lieu présente à l’entrée Tudm÷r, avec la reproduction du texte du traité. É. Lévi-Provençal en avait donné la traduction suivante: «Tudm÷r: Cercle d’al-Andalus, qui prit le nom de son ancien roi, Théodomir (Tudm÷r). Voici le texte du traité de paix que lui accorda ‘Abd al-‘Az÷z b. Mýsā b. Nu½ayr:

Al-©imyar÷, Kitāb al-rawÅ al-mi‘Ðār f÷ æabar al-aqÐār, trad. É. Lévi-Provençal, Leyde, 1938 (=al-©imyar÷, trad.). L’édition de 1938 a été réimprimée à Beyrouth en 1988, aux éditions Dār al-Ğīl (=al-©imyar÷, éd.). 20 Pocklington, R., “El Pacto de Teodomiro y las siete ciudades”, op. cit., 74-76. 19

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Au nom d’Allāh, le Clément, le Miséricordieux! Ecrit adressé par ‘Abd al-‘Az÷z b. Mýsā b. Nu½ayr à Tudm÷r b. ‘Abdýš. Ce dernier obtient la paix et reçoit l’engagement, sous la garantie d’Allāh et celle de son Prophète, qu’il ne sera rien changé à sa situation ni à celle des siens; que son droit de souveraineté ne lui sera pas contesté; que ses sujets ne seront ni tués, ni réduits en captivité, ni séparés de leurs enfants et de leurs femmes; qu’ils ne seront pas inquiétés dans la pratique de leur religion; que leurs églises ne seront ni incendiées, ni dépouillées des objets de culte qui s’y trouvent; et cela, aussi longtemps qu’il satisfera aux charges que nous lui imposons. La paix lui est accordée moyennant la remise des sept villes suivantes: Orihuela, Baltana [B.l.t.n.l.a], Alicante, Mula, Villena [Balāna21], Lorca et Ello [Alluh, Annahu]. Par ailleurs, il ne devra pas donner asile à quelqu’un qui se sera enfui de chez nous ou qui sera notre ennemi, ni faire du tort à qui aura bénéficié de notre amān, ni tenir secrets les renseignements relatifs à l’ennemi qui parviendront à sa connaissance. Lui et ses sujets devront payer chaque année un tribut personnel comprenant un d÷nār en espèces, quatre boisseaux (mudd) de blé et quatre d’orge, quatre mesures (qi½t) de moût, quatre de vinaigre, deux de miel et deux d’huile. Ce taux sera réduit de moitié pour les esclaves. Ecrit en rağ ab de l’année 94 de l’hégire (avril 713)22».

Les corrections apportées à l’édition du texte par I¬sān ‘Abbās, commentées par Robert Pocklington permirent, en particulier, de corriger la liste des villes concernées par le traité: Alluh, ou Annahu selon les manuscrits utilisés par É. Lévi-Provençal, interprété comme Ello, est en réalité une conjonction de coordination (anna-hu, qu’il), lue sous la forme d’un toponyme de façon sans doute à forger le septième nom de lieu attendu; Balāna est une forme corrompue de fulāna, le copiste ayant transformé l’expression fulāna wa-fulāna (une telle et une 21 22

J’ai conservé ici la vocalisation de l’édition de 1988. Al-©imyar÷, “Tudm÷r”, trad. 78-79, ed. 62-63.

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telle) en Balāna, supprimant une occurrence qui lui semblait superflue, ce qui fit perdre une composante de l’énumération, composante qu’É. Lévi-Provençal crut retrouver sous anna-hu23.

1.2. Au fil des entrées, des notices dispersées Dans le dictionnaire d’al-©imyar÷, le pacte de Tudm÷r apparaît également dans les articles relatifs à deux des villes du pacte, Orihuela et Lorca: «Ûriyýla/Orihuela: Ce fut l’une des sept localités moyennant la remise desquelles la paix fut accordée par ‘Abd al-‘Az÷z b. Mýsā b. Nu½ayr à Tudm÷r (Théodomir), fils de ‘Abdýs, lorsque ce dernier fut vaincu par ce général et réduit par les musulmans à la dernière extrémité. Un traité fut conclu, qui stipulait la livraison de ces places et le paiement d’un impôt de capitation. La place d’Orihuela était la capitale de ce Théodomir24». «Lawraqa/Lorca: C’est l’une des sept places-fortes qui firent l’objet du traité que Théodomir conclut avec les musulmans. Son territoire produit beaucoup de céréales, de bétail et de vin25».

Al-©imyar÷ rappelle aussi l’existence du pacte de Tudm÷r à l’entrée d’une localité absente de la liste des sept villes du traité, mais qui a joué un rôle de premier plan dans les événements du printemps 713, Carthagène: «C’est près de cette ville de Carthagène que ‘Abd al-‘Az÷z b. Mýsā b. Nu½ayr défit Théodomir, fils de ‘Abdýs, du nom Pocklington, R., “El emplazamiento de Iyuh”, op. cit., 179 et “El Pacto de Teodomiro y las siete ciudades”, op. cit., 75-76. 24 Al-©imyar÷, “Ûriyûla/Orihuela”, trad. 43, éd. 34. 25 Id., “Lawraqa/Lorca”, trad. 205, éd. 171. 23

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duquel [le cercle de] Tudm÷r tire son appellation. Les troupes de ce général furent décimées à coups de sabre par les musulmans, et Théodomir, avec quelques-uns de ses compagnons en déroute, alla se réfugier dans le château-fort [¬i½n] d’Orihuela. C’était un homme expérimenté, clairvoyant et rusé. Quand il vit le petit nombre de ses compagnons, il ordonna aux femmes de dénouer leurs cheveux et de tenir des roseaux dressés, au milieu des hommes qui restaient. Lui-même s’avança vers ses adversaires, en se donnant l’allure d’un messager, et demanda l’amān, qui lui fut accordé. La paix fut conclue pour lui et ses sujets, et Tudm÷r fut ainsi occupée pacifiquement. Quand le traité eut été conclu, Théodomir révéla sa personnalité et fit entrer les musulmans dans la ville. Ceux-ci, n’y voyant qu’un tout petit nombre d’hommes, regrettèrent d’avoir traité dans ces conditions. La paix étant intervenue entre Théodomir et ‘Abd al-‘Az÷z moyennant la remise d’un tribut et le paiement de la capitation individuelle, et elle s’appliquait à sept villes, dont Orihuela, Alicante, Villena [Balāna], etc. Le pays de Tudm÷r fut ainsi conquis en 94 (712-713)26».

En revanche, les entrées relatives aux autres villes du Pacte de Tudm÷r ne font aucune allusion au traité. Ainsi, à propos d’Alicante, al-©imyar÷ situe la ville en al-Andalus, avant d’évoquer les richesses de son terroir, les édifices les plus caractéristiques de la ville, la citadelle, le souq, la mosquée à minbar, et la principale activité d’Alicante, la construction navale27. Quant à Elche, présente dans la version transmise par al-‘U²r÷ et identifiée au Balantala des autres versions du traité par R. Pocklington28, l’article que lui consacre al-©imyarī ne fait aucune allusion au Pacte de Tudm÷r: le géographe rappelle son appartenance à la cora de Tudm÷r et signale que la ville est traversée par un cours d’eau, qui passe sous la muraille, Id., “QarÐāğanna/Carthagène”, trad. 181-182, éd. 151-152. Id., “Laqant/Alicante”, trad. 205, éd. 170. 28 Pocklington, R., “El Pacto de Teodomiro y las siete ciudades”, op. cit., 80. 26 27

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alimente les bains et traverse les souqs et les rues29. Al-©imyar÷ ne consacre pas une entrée à Iyuh, mais mentionne le toponyme à l’entrée Murcie, sous la forme Alluh, dont il fait une ville détruite après la construction de Murcie30.

1.3. Mémoire et transmission des savoirs La mémoire du Pacte de Tudm÷r qui figure dans le dictionnaire géographique d’al-©imyar÷ reflète avant tout les sources utilisées par l’auteur pour rédiger: les notices sur Alicante et sur Elche s’inspirent d’al-Idr÷s÷, l’entrée Carthagène, où est relatée la conquête d’Orihuela, puise chez al-‘U²r÷. Ce dernier rapporte en effet ceci: «‘Abd al-‘Az÷z b. Mýsà b. Nu½ayr dirigióse a Tudm÷r asediándola y conquistándola tras violente contienda. Teodomiro y los suyos se dieron a la fuga a través de una llanura sin que nada les protegiera. Los musulmanes les combatieron hasta aniquilarlos; los supervivientes huyeron y se refugieron en la ciudad de Orihuela. Teodomiro era un guerrero astuto por sus conocimientos militares. Cuando vio el escaso número de prosélitos que estaban con él, ordenó a las mujeres que se soltasen el pelo, les entregó unos palos y las colocó en las murallas de la ciudad junto a los hombres. Después, él mismo actuó como mensajero y solicitó el amān, concluyéndose así un tratado de paz (½ul¬) para él y para su gente. Así es como fue conquistada Tudm÷r, mediante un tratado de paz. Cuando concluyó esta argucia, personalmente salió al encuentro de ellos y les dio a conocer su nombre; les introdujo en la ciudad, pero no vieron a nadie que la defendiera. Los musulmanes se arrepintieron de lo que habían hecho; sin embargo, cumplieron lo prometido. Después, informaron de esta conquista a Æāriq. 29 30

Al-©imyar÷, “Alš/Elche”, trad. 39, éd. 31. Id., “Mursiya/Murcie”, trad. 219, éd. 181.

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Parte del ejercito permaneció en Tudm÷r, mezclándose con sus gentes. Se concluyó un tratado de paz entre ‘Abd al-‘Az÷z b. Mýsà y Teodomiro a condición de que éste pagara unos tributos y aquél percibiera el impuesto de capitación (ŷizya); se redactó un escrito acerca de lo tratado y acordado; he aquí su copia»31.

C’est également chez al-‘U²r÷ que puise al-©imyar÷ pour rédiger ses entrées Orihuela et Lorca. Quant à l’entrée Tudm÷r, E. Molina López et E. Pezzi de Vidal avaient suggéré une filiation entre la version du pacte qui figure chez al-‘U²r÷ et celle d’al-©imyar÷, tandis que R. Pocklington distingue deux familles de manuscrits, la famille I, représentée par al-¾abb÷, al-©imyar÷ et al-ĠarnaÐ÷, et la famille II, celle d’al-‘U²r÷32. Les arguments avancés par R. Pocklington, qui tiennent au contenu des clauses et à l’ordre d’énumération des villes, sont tout à fait convaincants, même si l’infidélité dont al-©imyar÷ se rend coupable vis-à-vis d’al-‘U²r÷ ne peut manquer de surprendre: non seulement il le suit de très près lorsqu’il relate la conquête d’Orihuela, mais encore sait-il parfaitement établir des liens entre ses notices, stipulant par exemple, à propos d’Orihuela, capitale de Théodomir, qu’il «parlera de ce personnage avec plus de détails à propos de Carthagène»33. Ce qui est en revanche certain, c’est qu’al-©imyar÷ a tendance à simplifier et abréger le texte qu’il compile; il remplace des noms de villes par fulāna wa-fulāna, il supprime la liste des témoins qui ferme le traité dans les autres versions du texte, se situant ainsi aux antipodes des techniques d’amplificatio employées par Ibn Molina López, E., “La cora de Tudm÷r según al-‘U²r÷ (siglo XI). Aportaciones al estudio geográfico-descriptivo del sureste peninsular”, Cuadernos de Historia del Islam 4, 1972, 7-111, en part. 56-58. 32 Molina López, M. – Pezzi de Vidal, E., “Últimas aportaciones al estudio de la cora de Tudm÷r (Murcia)”, op. cit., 100; Pocklington, R., “El Pacto de Teodomiro y las siete ciudades”, op. cit., 74. 33 Al-©imyar÷, “Ûriyýla/Orihuela”, trad. 43, éd. 34. 31

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©ayyān34. Ce qui est également certain, c’est que derrière les apparentes incohérences d’un texte se dissimulent les modalités de transmission des savoirs.

2. De la guerre à la paix, l’appropriation d’un territoire 2.1. Du champ de bataille au traité, les étapes de la conquête Le récit, conservé par al-©imyar÷, de l’appropriation du territoire jusque-là soumis à Théodomir par ‘Abd al-‘Az÷z et ses troupes comprend deux séquences bien différentes, les faits d’armes d’une part, la signature du traité de l’autre. L’importance que l’historiographie a toujours accordée au traité a souvent laissé dans l’ombre les opérations militaires, la bataille de Carthagène, puis le siège d’Orihuela. Théodomir fut vaincu une première fois dans la région de Carthagène (bi-QarÐāğanna) où ses troupes furent décimées à coups de sabre; il se réfugia, avec les rares survivants, dans sa capitale, la forteresse d’Orihuela, où il manœuvra habilement pour obtenir que les siens fussent épargnés: pour impressionner ses adversaires par le nombre de ses guerriers, il demanda aux femmes de se déguiser en soldats; il obtint ainsi une trêve, pendant laquelle il négocia le pacte35. Le récit d’al-©imyar÷ utilise les recours habituels de l’imaginaire sur l’autre: Théodomir est rusé, berne les musulmans en leur faisant croire qu’il est à la tête de troupes nombreuses, prive ses adversaires d’une victoire écrasante, car ceux-ci, abusés par sa tromperie, lui accordent l’amān, c’est-à-dire un sauf-conduit,

Molina, L., “Técnicas de amplificatio en el Muqtabis de Ibn ©ayyān”, Talia Dixit 1, 2006, 55-79. 35 Al-©imyar÷, “QarÐāğanna/Carthagène”, trad. 181-182, éd. 151-152. 34

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une protection grâce à laquelle il est protégé dans sa vie et ses biens pendant une période de temps limitée36. L’amān obtenu, Théodomir négocia donc un traité (‘āhd37), par lequel il obtient la vie sauve pour lui-même et les siens, conserve son autorité sur ses sujets, tant qu’il satisfera aux conditions qui lui sont imposées, le versement d’un impôt et l’absence d’intelligence avec l’ennemi. Les belligérants parviennent ainsi à un compromis qui rétablit la paix: c’est le terme ½ul¬, nom abstrait signifiant l’idée de paix et de réconciliation38, qui revient le plus fréquemment dans le discours d’al-©imyar÷. Les deux temps conduisant à l’appropriation du territoire, l’opération militaire puis la signature du pacte, ont suscité une interprétation de la conquête à propos de la manière dont celleci s’est opérée, entre violence et pacifisme. L’historiographie mit d’abord l’accent sur le caractère violent de la conquête et les calamités qu’elle suscita, vision catastrophiste forgée par l’école positiviste39; puis elle souligna au contraire la facilité de la conquête, la faible résistance et la passivité des populations, position systématisée par P. Chalmeta, selon lequel «fueron muy pocos los encuentros militares, de donde se deduce que más de conquista propiamente dicha cumple hablar de capitulación»40. Schacht, J., “amān”, EI 2, t. I, 441-442. Id., “ ‘āhd”, EI 2, t. I, 263: obligation, engagement; convention, pacte; décret politique et traité, en particulier pour les traités d’alliance avec les non-musulmans. 38 Khadduri, M., “½ul¬”, EI 2, t. IX, 880-881. 39 Chalmeta, P., Invasión e islamización, La sumisión de Hispania y la formación de al-Andalus, Madrid, 1992, 209. 40 Pour une bonne mise au point historiographique sur ce thème, voir García Sanjuán, A., “Formas de sumisión del territorio y tratamiento de los vencidos en el derecho islámico clásico”, dans Fierro, M. – García Fitz, F. (éds.), El cuerpo derrotado: cómo trataban musulmanes y cristianos a los enemigos vencidos (Península Ibérica, ss. VIII-XIII), Madrid, 2008, 61-111 et La conquista islámica de la península Ibérica y la tergiversación del pasado: del catastrofismo al negacionismo, Madrid, 2013. 36 37

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Pour résoudre la contradiction entre violence et pacifisme, E. Manzano a suggéré l’existence de deux traditions d’écriture de la conquête dans les sources arabes, tandis qu’A. García Sanjuán fait remarquer qu’il est difficile de distinguer nettement deux traditions, tant les chroniques présentent une version mixte de la conquête, entre violence et pacifisme41. Le discours d’al©imyar÷ ne participe pas d’une contradiction entre violence et pacifisme; la violence, le fait d’armes, la conquête violente de Carthagène, et le pacifisme, la négociation de la paix, la signature du Pacte de Tudm÷r devant les murailles d’Orihuela, apparaissent comme deux moments successifs d’un même processus, l’appropriation du territoire de Théodomir.

2.2. Contrôler et exploiter le territoire conquis Al-©imyar÷ continue de se faire l’écho, plus de six cents ans après les événements, de la forme de la conquête, lorsqu’il compile avec soin les clauses du traité. L’espace concerné par le pacte, le territoire placé sous l’autorité de Théodomir, est défini non par ses limites, mais par ses centres, les fameuses sept villes du Pacte, qu’al-©imyar÷ désigne de diverses manières: dans le texte même du pacte, elles sont dites madā’in, pluriel certes de mad÷na, mais pluriel bien moins usité que mudun dans les sources arabes; le terme désigne, –est-il besoin de le rappeler?–, autant le territoire que le centre de celui-ci42. Lorsqu’al-©imyar÷ évoque l’ensemble des villes du Pacte aux entrées Lorca et Orihuela, il les nomme ma‘āqil (forteresses) ou mawā½i‘ (lieux); Orihuela est tout à la fois un lieu fortifié (¬i½n), la capitale (qā‘ida) de Théodomir et une ville (madīna) García Sanjuán, A., “Formas de sumisión del territorio y tratamiento de los vencidos”, op. cit., 99-111. 42 Mazzoli-Guintard, C., Villes d’al-Andalus, Rennes, 1996, 26-28. 41

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ancienne, qui date de l’Antiquité, variantes qui répondent aux rôles successifs joués par Orihuela dans l’organisation du territoire. Peu importe d’ailleurs la morphologie des villes du Pacte: même si elles présentent des caractéristiques topographiques semblables –un site de hauteur et la présence d’importantes fortifications d’époque tardive–, comme l’a souligné S. Gutiérrez43, ce qui compte c’est leur capacité à être le centre d’un territoire, ainsi que le signifie le terme madīna qui sert à les désigner44. La conquête, appropriation économique d’un territoire au profit du vainqueur, se traduit par la remise d’un tribut en espèces et en nature, dont al-©imyar÷ donne le détail dans sa version du Pacte: l’énumération des biens qui composent ce tribut, uniformément compilée dans toutes les versions du traité, un dīnār et six produits agricoles différents, est remplacée par la mention du tribut (itāwa) et de la ŷizya personnelle (ŷizyat ‘an-yadin45) lorsque le géographe évoque le Pacte à l’entrée Carthagène. La terminologie est, une fois encore, révélatrice des techniques d’écriture: le terme ŷizya est absent de la version du Pacte transmise par al-¾abbī et compilée par al-©imyar÷; le terme ŷizya est en revanche présent dans la version du pacte transmise par al-‘U²rī, dont al-©imyar÷ s’inspire pour son entrée Carthagène. Le traité met donc bel et bien en place un contrat de ²imma, dont la stipulation essentielle et durable est le paiement de l’impôt distinctif, la ŷizya. Il s’agit, pour reprendre l’efficace définition de Claude Cahen, d’un «contrat indéfiniment reconduit par lequel la communauté musulmane accorde hospitalité-proGutiérrez Lloret, S., La cora de Tudm÷r de la antigüedad tardía al mundo islámico, op. cit., 236. 44 Sur le rôle des villes, points fondamentaux à partir desquels l’appareil administratif wisigoth exerce son contrôle, voir Gutiérrez Lloret, S., La cora de Tudm÷r de la antigüedad tardía al mundo islámico, op. cit., 267-268. 45 La ŷizya doit être donnée de la main et personnellement: Cahen, C., “djizya”, EI 2, t. II, 573-576. 43

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tection aux membres des autres religions  révélées, à condition qu’eux-mêmes respectent la domination de l’Islam»46. Le texte essentiel sur la ²imma se trouve dans la IXe sourate du Coran, au verset 29, qui contient la seule occurrence du terme ŷizya dans le texte coranique: «ceux qui, parmi les Gens du Livre, ne pratiquent pas la vraie Religion, combattez-les jusqu’à ce qu’ils payent le tribut (litt. ils donnent la ŷizya des mains)»47. Le texte d’al-©imyar÷ est sans ambigüité à ce sujet: en obtenant la paix, Théodomir et les siens se trouvent placés sous la garantie (²imma) d’Allāh et de son prophète. 2.3. Æāriq, l’absent de la conquête Le récit de la conquête des terres de Théodomir par al©imyar÷ fait intervenir deux acteurs, Théodomir et le fils du conquérant arabe Mūsā, ‘Abd al-‘Azīz. Ce faisant, al-©imyar÷ gomme un acteur présent dans le texte d’al-‘U²rī, Æāriq. À l’issue de la négociation du pacte, Théodomir fait entrer les musulmans dans la ville; al-‘U²rī rapporte que: «les introdujo en la ciudad, pero no vieron a nadie que la defendiera. Los musulmanes se arrepintieron de lo que habían hecho; sin embargo, cumplieron lo prometido. Después, informaron de esta conquista a Æāriq. Parte del ejército permaneció en Tudm÷r, mezclándose con sus gentes. Se concluyó un tratado de paz entre ‘Abd al-‘Az÷z y Teodomiro a condición de que éste pagara unos tributos y aquél percibiera el impuesto de capitación (ŷizya)48». Cahen, C., “dhimma”, EI 2, t. II, 234-238. Pour une rapide présentation de ce contrat, voir aussi Micheau, F., “dhimma”, dans Amir-Moezzi, M. A. (dir.), Dictionnaire du Coran, Paris, 2007, 215-217. 47 Le Coran, traduction, introduction et notes par Denise Masson, Paris, 1967. 48 Molina López, M., “La cora de Tudm÷r según al-‘U²rī”, op. cit., 57-58. 46

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Al-©imyar÷, de son côté, relate qu’ «il fit entrer les musulmans dans la ville. Ceux-ci, n’y voyant qu’un tout petit nombre d’hommes, regrettèrent d’avoir traité dans ces conditions. La paix était intervenue entre Théodomir et ‘Abd al-‘Azīz moyennant la remise d’un tribut et le paiement de la capitation individuelle (ŷizya), et elle s’appliquait à sept villes, dont Orihuela, Alicante, Villena, etc.»49.

Al-©imyar÷ a donc supprimé le rôle joué par Æāriq dans la soumission de Théodomir: il a oublié que les musulmans de ‘Abd al-‘Azīz b. Mūsā informèrent Æāriq de la conquête, ce qui aurait été reconnaître la subordination du fils de Mūsā vis-à-vis de Æāriq, alors que l’historiographie arabe place ‘Abd al-‘Az÷z à la tête de la province d’al-Andalus à partir de 713. Le dictionnaire du savant maghrébin du XIVe siècle appartient ainsi à cette série d’œuvres officielles qui visent à mettre en valeur deux processus, l’islamisation et l’arabisation, voulus et soutenus par l’État islamique50. L’épisode de la conquête d’Orihuela figure dans d’autres œuvres, avec le même récit de la ruse de Théodomir et de la signa­ture du traité de paix; Ibn ‘I²ārī, contemporain d’al©imyar÷ et auteur du Maghreb également, donne un rôle à Æāriq dans l’établissement du nouveau pouvoir dans la région: Théodomir «introduisit les musulmans dans la ville. Ceux-ci s’aperçurent alors qu’elle était privée de tout moyen de défense, mais, malgré le repentir qu’ils en eurent, ils respectèrent les conditions de la capitulation. Puis ils informèrent T’ârik’ du succès de leurs armes. Quelques soldats restèrent à Todmîr avec les Al-©imyar÷, éd. 152, trad. 182. Viguera Molins, Ma J., “El establecimiento de los musulmanes”, op. cit., 45. 49 50

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habitants; mais la plupart allèrent rejoindre T’ârik’, qui était devant Tolède51».

Al-Maqqarī, originaire du Maghreb, installé en Orient à partir de 1617-1618, rédige au Caire son œuvre maîtresse à partir de la documentation qu’il avait pu réunir à Marrakech; il fait aussi de Æāriq l’un des protagonistes de la conquête des terres de Théodomir: après la prise d’Orihuela et la signature du traité, «the Moslems wrote to Tárik, apprising him of the surrender of that district, and a small portion of the army remaining in the capital of the country»52. Le parti pris d’al-©imyar÷, sa mémoire sélective quant aux acteurs de la conquête, mériteraient davantage d’attention encore, pour mieux comprendre la place de ce géographe dans les œuvres produites au Maghreb, pour saisir l’éventuelle postérité de ses choix. * * * Au XIVe siècle encore, al-©imyarī conserve la mémoire du Pacte de Tudm÷r, en reproduisant le texte du traité et en faisant allusion à celui-ci à l’entrée de plusieurs localités concernées par la négociation menée à bien par Théodomir. Les mentions relatives au Pacte dans l’œuvre s’articulent entre elles de manière cohérente, leur examen permettant de saisir les modes de transmissions des savoirs, de retrouver les sources compilées par le géographe, de suivre ses choix. La mémoire, véhiculée au XIVe siècle, de la conquête de la région d’Orihuela en avril 713 et de la paix alors signée entre vainqueurs et vaincus, reflète avant tout les préférences de celui qui tenait le calame Ibn ‘I²ārī, Kitāb al-Bayān al-Muġrib, éd. Colin, G. S. – Lévi-Provençal, É., Leyden, 1951, t. II, 13; Histoire de l’Afrique et de l’Espagne intitulée Al-Bayano’l-Mogrib, trad. Fagnan, E., Alger, 1904, t. II, 17-18. 52 Al-Maqqar÷, The History of the Mohammedan dynaties in Spain, trad. De Gayangos, P., London, 20022. 51

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–auteur ou copiste ?–: la manière de compiler et de trier les informations relève d’un projet d’écriture de l’histoire; l’examen attentif des versions successivement compilées et surtout réécrites d’un même fait historique, la prise d’Orihuela par les troupes de ‘Abd al-‘Azīz, informe non sur les conditions de la conquête et les modalités de celles-ci, mais sur le projet d’écriture de l’histoire dans lequel l’auteur s’inscrit. Et c’est seulement lorsque nous aurons compris les manières de voir et de faire de chaque auteur que nous pourrons examiner leurs apports sur ce processus complexe, aux dynamiques multiples, de la conquête de l’Hispania.

ÍNDICE Págs. Prólogo.................................................................................

7

La conquista de Al-Andalus: Sus representaciones Historiografía La Historia preislámica de al-Andalus en Ibn Jaldýn, Luis A. García Moreno (Real Academia de la Historia. Madrid).............................................................................. 15 Visigodos y árabes: encuentros anteriores a 711, José Ramírez Del Río (Universidad de Córdoba)...............

37

En busca del relato de A¬mad Al-Rāzī sobre la conquista de al-Andalus, Jean-Pierre Molénat (C.N.R.S. – I.R.H.T. Paris).................................................................... 57 ¿Retórica en el campo de batalla? Reflexiones sobre la transmisión y conservación de arengas militares en las fuentes históricas a través del caso de Æāriq b. Ziyād, Omayra Herrero (CCHS-CSIC)....................................

91

711 En la Historia urbana: representaciones y realidades, Christine Mazzoli-Guintard (Universidad de Nantes)

119

La conquista de al-Andalus desde el positivismo del siglo XIX, María Jesús Viguera Molins (Universidad Com plutense. Madrid)..............................................................

157

666

ÍNDICE

Págs. La expansión musulmana por el Norte de África y la Península Ibérica en historiadores marroquíes, Mostafa Ammadi (Universidad Hassan II. Casablanca)...............

175

La conmemoración estudiosa en torno al 711 y la conquista musulmana de al-Andalus, María Jesús Viguera Molins (Universidad Complutense. Madrid).................

193

Arqueología e Iconografía El símbolo de la estrella en las primeras acuñaciones andalusíes, Rafael Frochoso Sánchez (Real Academia de Córdoba Académico correspondiente)...... 215 La cultura islámica medieval ante los restos del mundo clásico hispano, Jaime Gómez de Caso Zuriaga (Universidad de Alcalá)...................................................

233

Literatura Richiami al passato classico nella poesia mozarabica. Alcune note su Paolo Alvaro di Cordova, Chiara O. Tommasi Moreschini (Università di Pisa).................... 289 La

imagen del moro en la literatura y la historiografía de Alfonso X, Esther Sánchez Medina (Deutsche Archäologische Institut Kommission für Alte Geschichte und Epigraphik. Múnich)................................................. 305

Æāriq en la literatura árabe actual, Rajaa Dakir Universidad Hassan II. Casablanca).....................................................

339

ÍNDICE

667 Págs.

La Conmemoración del Pacto de Tudmir, 713-2013 Ciudades y topónimos del Pacto de Tudmīr, Luis A. García Moreno (Real Academia de la Historia. Madrid)........

357

De nuevo sobre los defensores de Teodomiro. Tópicos histo riográficos en los relatos de am×n, Omayra Herrero (CCHS-CSIC)....................................................................

375

Le pacte de Tudm÷r dans l’œuvre géographique d’al-©im yar÷: la mémoire de la conquête et de la paix, Christine Mazzoli-Guintard (Université de Nantes. CRHIA)....

405

Otros espacios mediterráneos y otras conquistas La Numidia preislámica, María Elvira Gil Egea (Universidad de Alcalá)..........................................................................

427

África disputada: los últimos años del África bizantina, José Soto Chica (UGR-C.E.B.N.Ch.)............................

459

Los bereberes judíos de Ibn Jaldún. La leyenda y su utilización, María Elvira Gil Egea (Universidad de Alcalá).......

517

Egipto, los árabes y la conquista de la Libia Marmárica, Pentápolis y Tripolitania. 642-698, José Soto Chica (UGR-C.E.B.N.Ch.)...........................................................

543

El

control de la población en el Egipto pre y protoárabe, Sofía Torallas Tovar – Amalia Zomeño (University of Chicago - Consejo Superior de Investigaciones Científicas (CCHS-ILC)).................................................. 609

668

ÍNDICE

Págs. El pago del andrismos en Egipto ¿una forma de conquista?, María Jesús Albarrán Martínez (Universitat Pompeu Fabra)................................................................................

625

La

645

piratería andalusí de comienzos del siglo IX en Alejandría y Mi½r en la Historia de los Santos Patriarcas de Ibn al-Muqaffa‛, obispo de Ashmunayn, Soha AbboudHaggar (Universidad Complutense. Madrid)................

Historiogrfía y representaciones III Estudios sobre las fuentes de la conquista islámica

Historiografía y representaciones III Estudios sobre las fuentes de la conquista islámica Editores científicos:

Luis A. García Moreno – Esther Sánchez Medina Lidia Fernández Fonfría

ISBN 978‑84‑15069-50-8

REAL ACADEMIA

DE LA HISTORIA

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